UA-147560259-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Idées, débats... - Page 442

  • Société • Marin de Viry : « Comment le tourisme de masse a tué le voyage »

     

    Entretien par Eugénie Bastié 

    Du tour d'Italie de Lamartine au Club Med, Marin de Viry, auteur de l'essai Tous touristes, nous raconte l'avènement du tourisme de masse et comment celui-ci, en tuant la possibilité d'un ailleurs, a rendu le voyage impossible. Une réflexion particulièrement fine et opportune en cet été tragique [Figarovox, 17.08]. Y compris pour le tourisme de masse ...  LFAR 

     

    974767902.jpgVous écrivez dans Tous touristes : « Si le monde est un vaste dance floor sans frontières, quel sens a le mot tourisme ? ». Pouvez-vous expliquer ce paradoxe ? La mondialisation, en tuant la possibilité d'un « ailleurs » par l'uniformisation du monde, aurait-elle tué le tourisme ?

    Le tourisme n'a plus rien à voir avec ses racines. Quand il est né au XVIIIe siècle, c'était l'expérience personnelle d'un homme de « condition », un voyage initiatique au cours duquel il devait confronter son honneur - c'est-à-dire le petit nombre de principes qui lui avaient été inculqués - à des mondes qui n'étaient pas les siens. Il s'agissait de voir justement si ces principes résisteraient, s'ils étaient universels. Un moyen d'atteindre l'âge d'homme, en somme. Le voyage, c'était alors le risque, les accidents, les rencontres, les sidérations, autant de modalités d'un choc attendu, espéré, entre le spectacle du monde et la façon dont l'individu avait conçu ce monde à l'intérieur de sa culture originelle. Au XIXe, tout change : le bourgeois veut se raccrocher à l'aristocrate du XVIIIe à travers le voyage, qui devient alors une forme de mimétisme statutaire. Le bourgeois du XIXe siècle voyage pour pouvoir dire « j'y étais ». C'est ce qui fait dire à Flaubert lorsqu'il voyage avec Maxime Du Camp en Égypte : mais qu'est-ce que je fais ici ? - C'est-à-dire qu'est-ce que je fais à me prendre pour un aristocrate du XVIIIe siècle ? Avec l'époque contemporaine, on a une totale rupture du tourisme avec ses racines intellectuelles. Même chez ceux qui aujourd'hui veulent renouer avec le voyage, pour s'opposer au tourisme de masse, il n'y a plus de profonde résonance, de profond besoin, car le monde est connu, et le perfectionnement de leur personne ne passe plus forcément par le voyage. Là où le voyage était un besoin, au XVIIIe, pour devenir un homme, se former, parachever son âme et son intelligence, il devient quelque chose de statutaire au XIXe, puis une simple façon de « s'éclater » aujourd'hui. C'est devenu une modalité de la fête permanente, laquelle est devenue banale. Le monde est ennuyeux parce qu'il est le réceptacle de la fête, devenue banale. Solution : il faut « rebanaliser » le monde et débanaliser la fête.

    Dans notre monde globalisé, est-il encore possible de voyager ?

    Toute la question est de savoir s'il reste des destinations ouvertes à la curiosité. Or, plus elles sont organisées, balisées par le marketing touristique de la destination, moins elles sont ouvertes à la curiosité. L'exemple du musée Guggenheim à Venise est éclairant. Je l'ai connu avant qu'il ne soit aseptisé, on avait l'impression de visiter en catimini une maison privée, comme si Peggy Guggenheim l'avait quitté la veille, c'est tout juste s'il n'y avait pas un œuf à la coque encore tiède dans la salle à manger. Dans sa version actuelle, avec des faux plafonds traités par des architectes néo-suédois et une signalétique d'aéroport, la curiosité ne fonctionne plus. Ce qui fait qu'on articule ce qu'on est avec ce qu'on voit, c'est que ce que l'on voit n'est pas préparé, organisé de façon à produire une impression prédéterminée. De la même manière dans les musées, les panneaux explicatifs à côté des œuvres ont pris une importance incroyable. Il est devenu impossible d'avoir un regard spontané, vierge, ouvert sur les œuvres, bref de les regarder vraiment, en prenant le risque d'être désorienté et renvoyé à son absence de culture.

    Les dispositifs marketing et commerciaux des destinations ont tué toute possibilité de l'ailleurs, toute curiosité. Pour être un touriste authentique, désormais, c'est dans le quotidien, dans la banalité du réel, qu'il faut se promener. Pour être dépaysé, il faut aller visiter la réalité, des usines, des champs, des bureaux. Le tertiaire marchand est devenu authentiquement exotique. D'une façon générale, le monde réel est plus exotique que le monde touristique définitivement balisé.

    Cette perte de sens n'est-elle pas due tout simplement à la démocratisation du voyage et à l'avènement du tourisme de masse qui fait perdre toute prétention intellectuelle au voyage ?

    Je vais être néo-marxiste, mais je crois que c'est le salariat, plus que la démocratisation, qui change tout. Les congés payés font partie du deal entre celui qui a besoin de la force de travail et celui qui la fournit. À quoi s'ajoute la festivisation, qui est d'abord la haine de la vie quotidienne. Et il est convenu que la destination doit être la plus exotique possible, car la banalité de la vie quotidienne, du travail, est à fuir absolument. Au fur et à mesure de l'expansion du monde occidental, la fête se substitue à la banalité, et la banalité devient un repoussoir. Il n'y a pas d'idée plus hostile à la modernité que le pain quotidien.

    Autour de ce deal s'organise une industrie qui prend les gens comme ils sont, individualisés, atomisés, incultes, pas curieux, désirant vivre dans le régime de la distraction, au sens pascalien du terme, c'est-à-dire le désir d'être hors de soi. Le tourisme contemporain est l'accomplissement du divertissement pascalien, c'est-à-dire le désir d'être hors de soi plutôt que celui de s'accomplir. Promener sa Game boy à 10 000 kilomètres de la maison, si ce n'est pas s'oublier, qu'est-ce c'est ?

    Où, quand et par qui est inventé le tourisme de masse ?

    C'est Thomas Cook qui invente le tourisme de masse. Cet entrepreneur de confession baptiste organise, en juillet 1841 le premier voyage collectif en train, à un shilling par tête de Leiceister à Loughborough, pour 500 militants d'une ligue de vertu antialcoolique. C'est la première fois qu'on rassemble des gens dans une gare, qu'on les compte, qu'on vérifie s'ils sont bien sur la liste, qu'on déroule un programme. Les racines religieuses puritaines ne sont pas anodines. Il y a comme un air de pèlerinage, de communion collective, dans le tourisme de masse. Le tourisme est très religieux. Et il y a en effet quelque chose de sacré au fait de pouvoir disposer de la géographie du monde pour sortir de soi. S'éclater à Cuba, c'est une messe !

    Vous essayez dans votre livre de ne pas tomber dans la facilité qui consiste à opposer « bons » et « mauvais touristes », les ploucs contre Paul Morand, les touristes sexuels de Houellebecq contre les voyages de Stendhal. Est-ce à dire pour autant qu'il n'y a pas de bons touristes ?

    Les poulets de batterie, je veux dire les touristes de masse, ont une âme. Faire une distinction entre un globe-trotter qui fait du « tourisme éthique » et un hollandais en surcharge pondérale et en tongs qui ahane à Venise, c'est d'une goujaterie incroyable vis-à-vis du genre humain. C'est pourquoi je déteste le livre Venises de Paul Morand : c'est un bourgeois du XIXe qui essaie d'imiter l'aristocrate du XVIIIe en crachant sur le peuple du XXe, alors qu'il est moralement inférieur à lui.

    Comme l'homo « festivus festivus » décrit par Muray, qui « festive qu'il festive » et « s'éclate de s'éclater » le touriste moderne se regarde voyager, et il ne semble voyager que pour vérifier que ce qu'il a lu dans son guide est bien réel et pour « prendre des photos ». Que vous inspire cette dimension spectaculaire du tourisme ?

    Nous sommes dans la culture de l'éclate, de la distraction permanente, sans aucune possibilité de retour sur soi. Le monde moderne est une « conspiration contre toute espèce de vie intérieure », écrivait Bernanos. Je crois que le tourisme est une des modalités de destruction de la vie intérieure.

    Prenons l'exemple du « syndrome de Stendhal ». Stendhal s'est senti mal à force de voir trop de belles choses à Rome et à Florence. Trop de beauté crée un état de sidération, puis de délire confusionnel : en Italie, on est souvent submergé par le superflu. C'est l'expérience limite de la vie intérieure : la beauté vous fait perdre la raison. C'est exactement le contraire que vise l'industrie touristique, qui cherche à vendre la beauté par appartements, en petites doses sécables d'effusions esthétiques marchandisées. Elle ne veut pas que ses clients abdiquent leur raison devant la beauté, mais qu'ils payent pour le plaisir. Immense différence.

    Pourquoi faites-vous du romantisme le terreau idéologique du tourisme tel qu'il est pratiqué aujourd'hui ?

    Lamartine écrit Graziella en 1852. C'est l'histoire du tour en Italie complètement raté d'un jeune aristo français. Quand un jeune homme du XVIIIe siècle (car Lamartine appartient encore au XVIIIe, ou en tout cas le voudrait) va tester son honneur de par le monde pour le renforcer, il doit en revenir plus fort, raffermi dans ses principes. Mais Lamartine tombe amoureux d'une jeune fille de 16 ans en Sicile, qu'il n'a pas le courage d'épouser pour des raisons sociales, car elle est fille de pêcheur, et lui d'un comte. Lamartine revient à la niche à l'appel de sa mère et Graziella meurt de chagrin. Le romantisme, c'est l'histoire d'un voyage raté. L'ailleurs devient le lieu, où, au lieu de se trouver, on se perd. L'expérience de la découverte de soi dans le voyage devient une expérience malheureuse. Donc, il faut se venger du voyage en lui interdisant de devenir une expérience intérieure. Les générations suivantes ont parfaitement compris le message.

    Dans La Carte et le territoire, Michel Houellebecq décrit une France muséale, paradis touristique, vaste hôtel pour touristes chinois. Est-ce là le destin de la France ?

    Dans un éditorial, Jacques Julliard écrivait que la France avait 60% de chances de finir dans un scénario à la Houellebecq, 30% de chances de terminer selon le scénario de Baverez, et 10% de chances de finir autrement. Je ne suis pas totalement dégoûté par le scénario de Houellebecq. C'est une France apaisée, bucolique. On retournerait tous à la campagne pour accueillir des cohortes d'Asiatiques et de Californiens. On leur expliquerait ce qu'est une église romane, une cathédrale, une mairie de la IIIème République, un beffroi. Ce serait abandonner notre destin pour se lover dans un scénario tendanciel dégradé mais agréablement aménagé, et nous deviendrions un pays vitrifié plutôt qu'un pays vivant. Nous aurions été détruits par la mondialisation, mais notre capital culturel nous sauverait de l'humiliation totale : on nous garantirait des places de médiateurs culturels sur le marché mondial. Si on pense que Dieu n'a pas voulu la France, ou que l'histoire n'a pas besoin de nous, on peut trouver ça acceptable.   

    Marin de Viry est écrivain et critique littéraire. Il est l'auteur d'un essai sur le tourisme de masse: Tous touristes (Café Voltaire, Flammarion, 2010). Il a publié récemment Un roi immédiatement aux Éditions Pierre-Guillaume de Roux.

    Cet entretien est une rediffusion.

    2863182147.2.jpg

    Eugénie Bastié

    Journaliste & essayiste - Sa biographie

    A lire aussi dans Lafautearousseau ...

    « Un roi immédiatement » ... Un livre dont on parle déjà beaucoup, dont on reparlera

    « Un roi immédiatement » ... Un livre dont on parle déjà beaucoup : réactions dans les commentaires ...

    Et si, pour redresser la France, on restaurait la monarchie ? C'est sur Boulevard Voltaire que la question a été posée

    Entretien • Marin de Viry : « Le roi, c’est la France telle que l’éternité l’a voulue »

  • Mitterrand à Péroncel-Hugoz : « Vos articles sont plus que des articles ... L'ensemble constitue une œuvre »

     spécial péroncel-hugoz.jpg« Réponses de Péroncel-Hugoz au mensuel islamo-gauchiste marocain DIN WA DUNIA (RELIGION ET MONDE) ».

    C'est sous cet objet que notre confrère nous a transmis par courriel du 8 août le texte qu'on va lire, en posant la question suivante : « Cet entretien paru ce jour à Casa peut intéresser Lafautearousseau, non ? »

    Et comment ! L'entretien est passionnant, d'une dialectique sûre ; des choses essentielles y sont dites : sur l'Islam et sur le terrorisme, sur l'état des sociétés occidentales, sur la démocratie, sur ce que Péroncel-Hugoz appelle le « match République - Royauté ». Car pour lui, comme pour nous, la partie n'est pas terminée.

    S'ajoutent à cet entretien quelques explications notamment historiques et biographiques sur Mohammédia où Péroncel-Hugoz réside lorsqu'il est au Maroc ; ainsi qu'une note bibliographique sur ses divers ouvrages ou ceux qui ont été publiés sous sa direction. Notamment, son Rois de France d'Honoré de Balzac, qui vient d'être réédité au Maroc à son initiative. 

    Reste que le jeudi est le jour où nous publions des passages inédits du Journal d'un royaliste français au Maroc que tient Péroncel-Hugoz. Nous n'avons pas dérogé à la règle.

    De sorte que Lafautearousseau vous offre aujourd'hui une journée Spécial Péroncel-Hugoz. Et c'est très bien.  

    Lorsqu'il est entré - en 1983 - dans l'ordre de la Légion d'honneur, en qualité de chevalier, pour « 28 ans d'activités professionnelles et de services militaires », cette décoration lui a été remise à l'Élysée par le président François Mitterrand qui lui a déclaré à cette occasion : « Vos articles, qui sont plus que des articles, donnent motifs à réflexion, articles dont l'ensemble constitue une œuvre ».  

  • Quelques-unes des publications de Péroncel-Hugoz ...

    Le Radeau de Mahomet publié en 1983 

     

    livres.jpgLe Radeau de Mahomet, Lieu commun, Paris, 1983.

    Assassinat d'un poète (Jean Sénac), Jeanne Laffitte, Marseille, 1983.

    Une croix sur le Liban, Lieu commun, Paris, 1984 (Prix France-Liban).

    Le Fil rouge portugais : voyages à travers les continents, Bartillat, Paris, 2002.

    Benslimane (Maroc), La Croisée-des-Chemins, Casablanca, 2010.

    Le Maroc par le petit bout de la lorgnette, Atelier Fol'Fer, coll.

    « Xénophon », Anet, 2010. Deuxième édition sous le titre 2000 ans

    d'histoires marocaines chez Casa-Express Éditions, Rabat-Paris, 2014.

    Sous sa direction notamment :

    Lettres marocaines et autres écrits de Louis Hubert Lyautey, Bibliothèque arabo-berbère, Casablanca, 2010.

    Rois de France (1837) d'Honoré de Balzac, Afrique Orient, Casablanca, 2017 *.

    Gabriel Dardaud, Trente ans au bord du Nil. Un journaliste dans l'Égypte des derniers rois, Lieu commun, Paris, 1987.

    Malek Chebel, Histoire de la circoncision des origines à nos jours, Le Nadir/Ballant, Paris, 1992.  •

     

    * A NOTER QUE DESORMAIS ROIS DE FRANCE DE BALZAC EST DIFFUSE PAR LA LIBRAIRIE GALLIMARD DE PARIS ET PEUT NOTAMMENT Y ETRE ACHETE EN LIGNE

  • 15 août 2017, « Jour de la vierge » de Salvador Dali

     

    « La Madone de Port Lligat », 1947

    Salvador Dali [1904-1989]

  • Histoire • « Secrets d’Histoire » sur le Régent Philippe d’Orléans

     

    Jeudi 10 août 2017, l’émission « Secrets d’Histoire » sur France 2  était consacrée au Régent Philippe d’Orléans, petit-fils de Louis XIII, neveu de Louis XIV et cousin du futur Louis XV, sur lequel il veilla jusqu’à ses 14 ans. Le régent Philippe d’Orléans fut bien davantage que le débauché oisif et superficiel de la légende. « Secrets d’Histoire » présente un prince étonnamment moderne et pragmatique.  

     

    Source La Couronne

  • Cinéma • Okja et War Machine, deux productions Netflix à découvrir

     

    Par Francis Venciton

    Parmi les films produits par Netflix, Okja s’attaque à l’industrie agro-alimentaire, tandis que War Machine critique les interventions militaires de l’Occident et la stratégie de contre-insurrection.

     

    2355668558.JPGAu printemps dernier, un film a suscité la polémique au festival de Cannes : réalisé par Joon-Ho Bong, un cinéaste coréen reconnu, Okja a été produit par Netflix, la plate-forme de vidéos à la demande ; alors qu’il ne sortira pas en salle, sa présentation dans un temple du cinéma d’auteur a fait grincer des dents… Ce film est un conte. L’on y suit les aventures d’une jeune fille, Mija, qui tente de sauver un cochon génétiquement modifié, Okja, confié à son grand-père censé l’élever dans un objectif de marketing. C’est d’abord une attaque féroce contre l’industrie agro-alimentaire et son lobbying. Cependant, ce film ne se limite pas à opposer gentils écologistes et méchants capitalistes. Que font les écolos ? Du spectacle, incapables de proposer une alternative, grevés de paradoxes : ne cessant de dire qu’ils ne veulent pas être violents, ils le sont dans les faits ; un militant mange au minimum pour réduire son empreinte carbone alors même qu’il prend des bus et des avions. Leurs triomphe ? Un happening qui n’entrave pas la machine à produire.

    Les deux visages du capitalisme

    Les capitalistes sont traversés eux-aussi par des ambiguïtés. La société Mirando, créatrice d’Okja, est tiraillée par une opposition entre deux sœurs jumelles : l’une, soucieuse de communication, attifée de tenues rose bonbon, est toujours soucieuse d’être aimée ; l’autre, aux allures thatcheriennes, assume sa part de brutalité. La face du capitalisme qu’incarne la seconde semble répugnante, mais elle est préférable à l’autre. Pourquoi ? Parce cette figure-là de capitalisme, soumise au calcul, est raisonnable. Elle rend possible la résolution des problèmes, la substitution d’un produit à un autre. Contrairement au capitalisme de séduction, pour lequel Okja est cette créature paradoxale que l’on cherche à s’approprier parce qu’elle a acquis une singularité. Tous ces aspects de la société du spectacle sont confrontés à l’authenticité des relations humaines, notamment l’inscription respectueuse de l’homme dans la nature. Les montagnes édéniques de la Corée sont un espace de liberté. Pour combien de temps encore ? Le film laisse cette question en suspens. Là où Snowpiercer, du même réalisateur, s’égarait, Okja s’avère cohérent sans rien perdre en style. Fort de sa subtilité critique et de la diversité des genres qu’il aborde, c’est un film qui mérite d’être vu.

    Autre production Netflix : War Machine, réalisé par David Michôd, d’après The Operators de Michael Hastings, où Brad Pitt officie en tant qu’acteur et producteur. Ce film raconte comment le général Glen McMahon dirige la coalition internationale en Afghanistan avant de tomber à cause d’un article. Ce récit bourré d’ironie raconte en fait l’histoire vraie du général McChrystal, mais c’est aussi une explication du principe de contre-insurrection et du problème de l’interventionnisme. La contre-insurrection, ou guerre contre-révolutionnaire, théorisée dans une littérature d’origine française née durant la guerre d’Algérie, vise à retourner les populations contre les terroristes en donnant la priorité à la protection des civils. Elle a mauvaise presse en raison de son application en Amérique du Sud et des atteintes aux droits de l’homme ayant accompagné sa mise en œuvre. Le film ne prend jamais réellement au sérieux ce corpus doctrinal en insistant sur le fait que la guerre menée ici ne peut pas être gagnée. Curieusement, c’est une critique des “croyants” (believer) dans le milieu militaire. Mais tout officier ne se doit-il pas d’avoir la foi ?

    Achille en Afghanistan

    War Machine a été critiqué pour avoir mêlé l’humour au drame. Or la guerre est dramatique, absurde, et par là elle se prête au rire. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire les témoignages de Céline sur la Grande Guerre. Ce film, parce qu’il accepte cette dualité, n’est donc pas une copie de MASH. Cela se traduit dans la personnalité du héros : c’est un Achille, un bloc de marbre tombé dans la médiocrité contemporaine ; il est le seul personnage sérieux, avec les victimes de la guerre, face à des gens qui ne la comprennent plus, qu’il s’agisse des administratifs coupés des réalités ou des soldats shootés à l’adrénaline. Si ce film n’était pas resté collé à un certain “politiquement correct” de gauchiste émotif, il aurait pu développer une vraie critique de cet État démocratique qui mène des guerres à l’étranger sans intelligence. Intriguant, War Machine ne se montre pas aussi malin qu’il devrait l’être malgré de grandes et belles fulgurances. Dommage. 

     

  • GONZAGUE SAINT BRIS, C’ÉTAIT QUAND MÊME QUELQU’UN !

     

    Par Nicolas Gauthier
     
    C’était un aristocrate selon mon goût, c’est-à-dire passablement fêlé de la théière, accroché au château de ses ancêtres comme une bernique à son rocher  (Repris de Boulevard Voltaire - 10.08 - cet excellent article pour saluer Saint-Bris).

    24ec62c3705f165c45cada17f039cf3b.pngGonzague Saint Bris n’est plus. Ce mardi, il s’est tué en voiture, contre un arbre. Triste journée, car moi, j’aimais bien Gonzague Saint Bris. C’était un aristocrate selon mon goût, c’est-à-dire passablement fêlé de la théière, accroché au château de ses ancêtres comme une bernique à son rocher. Mais aussi capable de consacrer un livre à Michael Jackson tout en traversant les Alpes à dos de mulet, en hommage à Léonard de Vinci et son périple jadis effectué pour répondre à la très royale invitation de François Ier.

    Écrivain, essayiste, homme de presse et de radio, éphémère chargé de mission au ministère de la Culture, de 1986 à 1988, Gonzague Saint Bris était aussi conseiller municipal de Loches (ville rendue fameuse par « Les Grosses Têtes » et la non moins célèbre madame Bellepaire), tant il était viscéralement attaché à sa Touraine natale. En 1978, il fonde le mouvement des Nouveaux Romantiques, petit souffle d’air frais en ces temps de technocratie giscardienne triomphante, avec des camarades à peu près aussi ébouriffés que lui, quoique à demi-chauves pour la plupart : Patrick Poivre d’Arvor, Francis Huster, Étienne Roda-Gil, Frédéric Mitterrand et Brice Lalonde.

    Tout cela ne mène évidemment pas à grand-chose, on s’en doute. Même pas à une intronisation par trois fois repoussée à l’Académie française. Dommage pour cet auteur prolifique – une cinquantaine d’ouvrages au compteur, ce n’est pas rien – qui, en 2016, reçoit le prix Hugues-Capet pour l’ensemble de son œuvre. Juste réparation pour cet homme qui, à l’instar d’un Max Gallo, ne fut jamais véritablement accepté par la communauté très fermée des historiens « officiels » ; un peu comme un Stéphane Bern ou un Lorànt Deutsch. Historiens du dimanche ? Pas du tout, ces personnes ayant le don de populariser l’Histoire de France à heures de grande écoute télévisuelle et de la vulgariser de la manière la plus intelligente qui soit.

    Certes, ils vont droit à l’essentiel, résument plutôt que de se perdre dans les détails, ne prétendent pas au savoir universel, mais commettent finalement moins d’erreurs factuelles que nombre de leurs confrères universitaires. C’est l’école Alain Decaux, qui fut à l’Histoire ce que Jean Vilar était au théâtre : tous pour la culture et, surtout, la culture pour tous ! Il était donc logique qu’un Stéphane Bern salue la mémoire de son illustre devancier en la matière.

    Non content d’être un passeur, Gonzague Saint Bris était, de plus, un homme exquis. Je me souviens de lui, au début des années 1990. Je travaillais à l’hebdomadaire Minute. Entre première guerre du Golfe et psychose collective de la profanation du cimetière de Carpentras, l’ambiance était, comment dire, des plus chaudes… Désireux de m’entretenir avec le bonhomme, je finis par dénicher son numéro de téléphone personnel. Et là, je cite de mémoire :

    – Allo, Gonzague Saint Bris ? Nicolas Gauthier, de Minute ! Ce serait pour une interview…
    – 
    Minute ? Quelle bonne surprise ! Inattendue, surtout…
    – Ça ne vous dérange pas de me parler ?
    – Et pourquoi donc, je vous prie ? Je lis souvent votre journal, fort bien écrit au demeurant…
    – C’est un compliment ?
    – Tout à fait, et dit sans malice…

    La vérité m’oblige à dire que je ne me souviens plus très bien de la suite, si ce n’est que nous avions parlé de la France et de son histoire. La première, il en était éperdument amoureux. La seconde, il déplorait que son enseignement, dispensé à des têtes de moins en moins blondes, devienne peu à peu passé en pertes et profits.

    À l’époque sévissait un autre chevelu à chemise blanche au col perpétuellement ouvert été comme hiver – Bernard-Henri Lévy. Qu’il me soit permis, en termes de look, de gentillesse et d’intelligence, de préférer celui-ci à celui-là.

    Sacré Gonzague !  

     
    Journaliste, écrivain
  • Humour • Michel Audiard, Cultissime !

     

    michel-audiard.jpgAudiar  ... À relire sans modération ! Malgré l'avalanche de paroles grossières, supportables en raison des vérités qu'elles expriment et du rire que, malgré tout, elles suscitent ...    

     

    - « On est gouvernés par des lascars qui fixent le prix de la betterave et qui ne sauraient pas faire pousser des radis. »

     

    - « Si on mettait un point rouge sur la tête de tous les cons, le monde ressemblerait à un champ de coquelicots ! »

     

    > - « Moi, les dingues, j'les soigne, j'm'en vais lui faire une ordonnance, et une sévère, j'vais lui montrer qui c'est Raoul. Aux quatre coins d'Paris qu'on va l'retrouver, éparpillé par petits bouts,   façon puzzle... Moi, quand on m'en fait trop, j'correctionne plus, j'dynamite, j'disperse, j'ventile. »

     

    - « Les cons ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît. » (Les tontons flingueurs)

     

    - « Les ordres sont les suivants : on courtise, on séduit, on enlève et en cas d'urgence on épouse. » (Les barbouzes)

     

    - « Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, ceux de 60 kilos les écoutent. » (100 000 dollars au soleil)

     

    - « La tête dure et la fesse molle, le contraire de ce que j'aime. » (Comment réussir quand on est con et pleurnichard)

     

    - « Un pigeon, c'est plus con qu'un dauphin, d'accord, mais ça vole. » (Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages)

     

    - « Mais pourquoi j'm'énerverais ? Monsieur joue les lointains ! D'ailleurs je peux très bien lui claquer la gueule sans m'énerver ! » (Le cave se rebiffe)

     

    - « Quand on mettra les cons sur orbite, t'as pas fini de tourner. » (Le Pacha)

     

    - « La justice c'est comme la Sainte Vierge. Si on la voit pas de temps en temps, le doute s'installe. » (Pile ou face)

     

    - « Si la connerie n'est pas remboursée par les assurances sociales, vous finirez sur la paille. » (Un singe en hiver)

     

    - « Deux intellectuels assis vont moins loin qu'une brute qui marche. » (Un taxi pour Tobrouk)

     

    - « Vous savez quelle différence il y'a entre un con et un voleur ? Un voleur de temps en temps ça se repose. » (Le guignolo)

     

    - « Dans la vie, il faut toujours être gentil avec les femmes même avec la sienne. » (Série Noire)

     

     - « Je suis pas contre les excuses, je suis même prêt à en recevoir. » (Les grandes familles)

     

    - « Il vaut mieux s'en aller la tête basse que les pieds devant. » (Archimède le clochard)

     

    - « Quand on a pas de bonne pour garder ses chiards, eh bien on n’en fait pas. » (Mélodie en sous-sol)

     

    - « Plus t'as de pognon, moins t'as de principes. L'oseille c'est la gangrène de l'âme. » (Des pissenlits par la racine)

     

    - « Deux milliards d'impôts ? J'appelle plus ça du budget, j'appelle ça de l'attaque à main armée. » (La chasse à l'homme)

     

    - « Je suis ancien combattant, militant socialiste et bistrot. C'est dire si, dans ma vie, j'en ai entendu, des conneries. » (Un idiot à Paris)

     

    - « Le flinguer, comme ça, de sang froid, sans être tout à fait de l'assassinat, y'aurait quand même comme un cousinage. » (Ne nous fâchons pas)

     

    - « A travers les innombrables vicissitudes de la France, le pourcentage d'emmerdeurs est le seul qui n'ait jamais baissé. » (Une veuve en or)

     

     Signé : Michel Audiard 

  • Langue française • Demain, « celles et ceux » gravé dans la Constitution ?

     

    Par Jérôme Serri 

    Il faut féliciter Jérôme Serri de cette exacte et remarquable tribune en défense de l'esprit de la langue française et qui tourne aussi en dérision les extravagances idéologiques de la caste dominante [Figarovox, 3.08]. Tentons, au moins, dans Lafautearousseau de ne pas succomber aux extravagances linguistiques, si nous sommes à peu près immunisés contre celles qui sont d'ordre idéologique. La langue d'abord !  LFAR   

     

    1280x720-phV.jpgLors de son audition, jeudi 20 juillet 2017, devant la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, a apporté son soutien à la proposition de loi constitutionnelle qui vise à inscrire le principe d'égalité devant la loi sans distinction de sexe.

    Cette proposition de loi constitutionnelle avait été déposée le 8 mars 2017, Journée internationale des droits de la femme, par des sénateurs et des sénatrices (Centristes, Les Républicains, Radicaux, Socialistes, Communistes) de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Ce texte pourrait être adopté à l'occasion d'une révision constitutionnelle plus large.

    Dans l'unique article de cette proposition de loi, les signataires souhaitent modifier l'article 1er de la Constitution dont le premier alinéa est rédigé ainsi : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée ». La deuxième phrase de cet alinéa deviendrait : « Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de sexe, d'origine, de race ou de religion.»

    Les auteurs de cette proposition de loi expliquent que, s'agissant de l'égalité entre femmes et hommes, renvoyer au Préambule de la Constitution de 1946 (qui fait partie du bloc de constitutionnalité) ne suffit plus. Si ce Préambule qui dispose que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme » était, au lendemain de la guerre, une avancée très importante, il leur apparaît aujourd'hui, de par sa formulation, comme « un rattrapage de droits » qui, de ce fait, maintient présente dans notre Constitution le caractère second des droits accordés aux femmes. Cette formulation serait la trace du fait historique que l'égalité hommes/femmes hier n'allait pas de soi. D'où la nécessité de l'effacer en modifiant la Constitution. Se refuser à le faire serait accepter peu ou prou de rester prisonnier ou complice d'une idéologie sexiste qui, selon la terminologie de Simone de Beauvoir, fait de la femme le « deuxième sexe », le sexe inférieur. Ayant estimé que la formulation était « perfectible », nos auteurs entendent donc la parfaire.

    Est-il sûr que la nouvelle rédaction soit plus pertinente que celle des constituants de 1958 ?

    Vouloir écrire que la France est une République qui « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de sexe...», c'est s'offusquer - à tort, on va le voir - de ce masculin pluriel et vouloir le dénoncer. Ne serait-il pas l'irréfutable preuve, pour les membres de la délégation aux droits des femmes signataires de la proposition de loi, que notre langue est misogyne, phallocrate et qu'elle alimente le machisme de notre société? D'ailleurs, Emmanuel Macron n'a cessé durant toute la campagne présidentielle de nous montrer le droit chemin en se montrant l'irréprochable ami des femmes. Il a veillé avec une extrême « bienveillance » à ne jamais oublier d'associer sans distinction « toutes celles et tous ceux » dont il briguait « en même temps » les suffrages.

    Or, que disons-nous quand nous disons « tous les citoyens » ? Que désigne ce masculin ? Si, parce qu'il est masculin, il désigne les seuls citoyens de sexe masculin, ajouter, comme le proposent les membres de cette délégation, « sans distinction de sexe » n'a aucun sens, chacun en conviendra (chacune et chacun en conviendront ?).

    Depuis que Pierre Mauroy a mis en place le 29 février 1984 une commission de terminologie « chargée d'étudier la féminisation des titres et des fonctions et, d'une manière générale, le vocabulaire concernant les activités des femmes », nombre de nos politiques ne sont ni à une démagogie ni à un contresens près et pataugent dans des aberrations linguistiques. Que n'ont-ils fait l'effort de lire la déclaration de l'Académie Française du 14 juin 1984 que rédigèrent Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss : « On peut craindre que, ainsi définie, la tâche assignée à cette commission ne procède d'un contresens sur la notion de genre grammatical, et qu'elle ne débouche sur des propositions contraires à l'esprit de la langue. Il convient en effet de rappeler qu'en français comme dans les autres langues indo-européennes, aucun rapport d'équivalence n'existe entre le genre grammatical et le genre naturel. Le français connaît deux genres, traditionnellement dénommés « masculin » et « féminin ». Ces vocables hérités de l'ancienne grammaire sont impropres. Le seul moyen satisfaisant de définir les genres du français eu égard à leur fonctionnement réel consiste à les distinguer en genres respectivement marqué et non marqué ».

    Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il confondu durant toute la campagne présidentielle le genre grammatical et le genre naturel ? Pourquoi ne l'a-t-on pas corrigé de ce tic démagogique en lui mettant sous les yeux la déclaration de Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss : « Le genre dit couramment «masculin », écrivent nos deux éminents académiciens, est le genre non marqué, qu'on peut appeler aussi extensif en ce sens qu'il a capacité à représenter à lui seul les éléments relevant de l'un et l'autre genre. Quand on dit « tous les hommes sont mortels », « cette ville compte 20 000 habitants », « tous les candidats ont été reçus à l'examen », etc., le genre non marqué désigne indifféremment des hommes ou des femmes. Son emploi signifie que, dans le cas considéré, l'opposition des sexes n'est pas pertinente et qu'on peut donc les confondre ».

    Que feront nos parlementaires pour éviter l'aberration d'une proposition de loi qui vise à remédier au machisme imaginaire du groupe nominal « tous les citoyens » en ajoutant « sans distinction de sexe » ? Décideront-ils (et/ou elles) d'être, comme le fidèle Christophe Castaner, la voix de son maître et de revoir leur copie en proposant d'écrire : « Elle (la France) assure l'égalité devant la loi de toutes les citoyennes et tous les citoyens…» ? Chacun conviendra (chacune et chacun conviendront ?) qu'il n'est alors plus besoin d'ajouter « sans distinction de sexe ».

    Au fait, de quel droit l'effigie de notre République, une et indivisible, est-elle une femme ?  •

    Jérôme Serri

    Jérôme Serri est collaborateur parlementaire, journaliste au magazine Lire. Il a publié Les Couleurs de la France avec Michel Pastoureau et Pascal Ory (éditions Hoëbeke) et Roland Barthes, le texte et l'image (éditions Paris Musées).

  • Sport • Neymar, Paris 2024 : les drôles de priorités d’homo festivus

     

     

    Sur l'affaire Neymar, notamment, Aurélien Marq a donné dans Causeur [3.08] un point de vue qui nous semble avoir sa pleine justification. Le cas échéant, les sportifs donneront leur avis.  

    La Défense vient de perdre 850 millions d’euros. La mission sécurité, c’est à dire la police et la gendarmerie, en perd 200. Soit plus d’un milliard d’euros de moins pour la sécurité de la France et de ses habitants.

    Pendant ce temps, Paris se réjouit à l’idée d’accueillir des Jeux Olympiques qui n’ont plus grand’chose à voir avec l’esprit de l’Antiquité, mais dont les récentes versions se sont avérées des gaspillages presque caricaturaux. Et les clubs de foot s’apprêtent à s’échanger des joueurs aux salaires démesurés pour des sommes colossales.

    Bien sûr, l’argent du football n’est pas de l’argent public. Même si au fond, les grands clubs ne doivent leur richesse qu’à l’engouement général pour ce sport, nourri par un réseau de clubs amateurs bénéficiant de subventions et de terrains de foot installés jusque dans les plus petites communes aux frais du contribuable.

    Neymar = 1200 militaires

    Mais prenons le cas médiatisé dernièrement de Neymar . 30 millions d’euros de salaire net estimé par an, 222 millions de coût de transfert pour rejoindre le PSG. D’un strict point de vue économique, rien à redire. La loi de l’offre et de la demande. Et il n’est pas choquant qu’un homme talentueux dans son domaine monnaye son travail à la hauteur de ce que son employeur espère en retirer. Tant mieux pour lui, et que les jaloux essayent de faire aussi bien au lieu de critiquer.

    Pourtant, que pouvons-nous penser d’une société dont les membres se plaignent de manquer de soldats, de gendarmes, de policiers, et qui néanmoins verse pour un seul joueur de foot l’argent qui lui permettrait d’avoir environ 1200 militaires supplémentaires ? Car cet argent vient bien de quelque part ! Des abonnements, des droits de diffusion, de la publicité parce qu’elle est rentable et donc de nos achats, etc.

    L’air du temps est celui que nous expirons

    Oh, ce n’est pas la décision d’un chef d’Etat, ni d’un gouvernement. Personne, à vrai dire, n’a un jour eu à arbitrer entre ces deux options : la France a-t-elle plus besoin, aujourd’hui, d’un excellent joueur dans un club appartenant à un pays dont les liens avec le terrorisme sont pour le moins ambigus, ou de 1200 militaires, gendarmes et policiers chargés de combattre ce terrorisme ?

    Il n’en demeure pas moins que ce choix a été fait, collectivement. Il est la conséquence naturelle d’un climat, d’une ambiance, d’un « air du temps ». Et il dit quelque chose de ce que nous sommes.  •

    Aurélien Marq

  • Famille de France & Histoire • Le testament politique de Philippe VII de France, comte de Paris (1838-1894)

     

    A lire ce très beau texte, l'on retrouve l'esprit, les termes, les sentiments des Princes, aujourd'hui. Le Prince Jean de France en est l'évident continuateur. LFAR

     

    « Il m’a toujours paru fort imprudent, même pour les Princes et les hommes d’État qui ont joué un grand rôle parmi leurs contemporains, d’écrire un testament politique. Pour qu’un tel document puisse être utile à leurs successeurs, il faudrait qu’ils eussent reçu le don de lire dans l’avenir, don qu’il faut remercier Dieu de nous avoir refusé.

    Aussi, au moment où je me prépare tout particulièrement à paraître devant ce souverain Juge, n’ai-je pas l’intention de tracer une ligne de conduite à mon fils. Il connaît mes pensées, mes sentiments, mes espérances ; il aura toujours pour guide la conscience de ses devoirs et l’amour passionné de la France qui est la tradition invariable de notre Maison.

    C’est à mes amis que je tiens à dire un dernier adieu, au moment de terminer une vie que je n’ai pu consacrer aussi utilement que je l’aurais voulu au service de notre pays. Et je ne m’adresse pas seulement à ceux avec qui j’ai été en relations directes. J’appelle amis et amies toutes les personnes, quelle que soit leur condition sociale, qui, de mon vivant, ont fait des vœux pour le succès de la cause monarchique et qui prieront Dieu pour moi au jour de ma mort. Ce m’est une consolation de songer qu’elles se souviendront de moi, lorsque mes jours plus heureux luiront sur la France, lorsque, comme je le souhaite avec ardeur, les passions politiques et religieuses qui divisent en ce moment profondément les enfants d’un même pays seront apaisées.

    Cet apaisement ne pourra être que l’œuvre de la monarchie nationale et traditionnelle. Seule, elle pourra réunir dans un effort commun tous les dévouements, tous les élans généreux, qui, à l’honneur de notre pays, ne sont le monopole d’aucun parti.

    Lorsque je ne serai plus, j’espère que la France rendra justice aux efforts que j’ai faits, au lendemain de ses désastres, pour l’aider à chercher à se relever en revenant au principe monarchique. En 1873, j’ai été à Frohsdorf pour écarter tous les obstacles personnels et pour donner l’exemple du respect absolu du principe héréditaire dans la Maison de France. Dix ans après, le parti monarchique montrait sa visibilité et son esprit politique en ne laissant pas ébranler par la transmission du dépôt traditionnel qui passait du représentant de la branche aînée au représentant de la branche cadette.

    J’ai cherché à répondre à la confiance que ce grand parti avait montrée à son nouveau chef en travaillant à fusionner les éléments divers dont il se composait. Le résultat des élections de 1885 montra que ce travail n’avait pas été inutile. Nos adversaires politiques y répondirent par l’exil. Je n’avais rien fait pour le provoquer, si ce n’est d’exciter leurs alarmes. Je ne fis rien pour l’éviter, et je le subis comme l’une des plus dures conséquences de la situation que me faisait ma naissance.

    J’ai poursuivi sans relâche dans l’exil l’œuvre commencée sur le sol français, au milieu des circonstances les plus difficiles. J’ai pu me tromper parfois sur les hommes et sur les choses, mais je l’ai toujours fait de bonne foi, et j’ai le droit de dire que tous mes actes n’ont jamais été inspirés que par mon dévouement à la France et à la cause que je représente.

    Mon but a toujours été de conserver le dépôt du principe traditionnel dont ma naissance m’avait constitué le gardien, et de prouver à la France que ce principe n’avait rien d’incompatible avec les idées modernes, avec notre état social actuel.

    En transmettant cet héritage à mon fils aîné, je demande à tous mes amis de se serrer autour de lui. J’ai confiance dans l’avenir ; j’espère qu’ils se partageront cette confiance. Elle sera leur soutien au milieu de toutes les épreuves et le gage de leur succès final.

    Je ne puis pas croire, en effet, que Dieu ait pour toujours abandonné la France, le pays auquel il a donné saint Louis et Jeanne d’Arc. Or, pour qu’elle se relève, il faut qu’elle redevienne une nation chrétienne. Une nation qui a perdu le sentiment religieux, où les passions ne sont plus contenues par aucun frein moral, où ceux qui souffrent ne trouvent pas un motif de résignation dans l’espoir de la vie future, est destinée à se diviser, à se déchirer, à devenir la proie de ses ennemis intérieurs ou extérieurs.

    Le premier devoir de mes amis est donc d’arracher la France à la voie funeste qui la conduirait à une telle catastrophe. J’espère que, dans cette œuvre de salut, ils verront se réunir à eux tous les honnêtes gens que l’expérience ne peut manquer d’éclairer un jour. C’est le dernier vœu de l’exilé pour une patrie à laquelle il recommande à ses enfants de rester toujours dévoués et fidèles. »  • 

    Philippe VII, comte de Paris, Chef de la Maison de France (de 1883 à 1894)

    Stowe-House, 21 Juillet 1894.

    Le prince Phillippe d’Orléans, comte de Paris

    Source : La Monarchie Française. Lettres et documents politiques (1844-1907).

    Comte de Chambord – Comte de Paris – Duc d’Orléans. P. 198 à 201.

    La Couronne

  • Théâtre & Cinéma • Pauvre de nous : Claude Rich n’est plus

     

    Par Nicolas Gauthier

    Voici un bien bel article [Boulevard Voltaire, 22.07] d'évocation de Claude Rich, disparu il y a déjà deux semaines. Le rédacteur de ces lignes-ci se souvient d'avoir vu Claude Rich jouer Faisons un rêve au théâtre, à Marseille ou à Paris, et que c'était un enchantement, bien-sûr  à cause de l'art de Guitry mais aussi à cause de l'art, personnel, sans imitation aucune, de Claude Rich. Il ne faut jamais juger les artistes à raison de leurs idées politiques, religieuses ou autres, mais seulement de l'intensité de leur art. Celui de Claude Rich, cependant, se ressentait de son attachement à la France de la Tradition, notamment catholique. Et cela n'est pas indifférent.  Lafautearousseau.  

     

    745791051.pngMaintenant que Claude Rich nous a quittés, Venantino Venantini demeure le dernier des Tontons flingueurs à ne pas avoir été flingué par la Camarde.

    Claude Rich, dans le film de Georges Lautner, c’est l’insupportable Antoine, soupirant de la jolie Patricia, filleule de l’irascible Fernand, incarné par Lino Ventura ; un Antoine compositeur de l’espèce bruitiste, connu pour signer concertos pour robinets qui fuient et sonates pour pneus crevés.

    Claude Rich va enfin atteindre « l’anti-accord absolu », quand Fernand assure à Patricia que « ton Antoine commence à me les briser menu ».

    Claude Rich, dans l’Oscar d’Édouard Molinaro, c’est Christian, le comptable indélicat et plus insupportable encore, qui arnaque son futur beau-père, le tout aussi irascible Louis de Funès. « Vous connaissez ma fille depuis combien de temps ? » « Un an et demi. Mais je suis aussi son amant… » « Depuis combien de temps ? » « Un an et demi… » « Eh bien, vous, le moins qu’on puisse dire est que vous ne perdez pas de temps ! »

    Claude Rich, c’est un phrasé inimitable, une longue silhouette, souple et dégingandée, des yeux qui riaient tout seuls, une classe naturelle et incomparable.

    Claude Rich, ce sont des dizaines de films et plus, encore, de pièces de théâtre. C’est aussi le roué Talleyrand qui affronte le terrible Fouché, Claude Brasseur, dans Le Souper, sublime pièce de Jean-Claude Brisville, transposée sur grand écran par Édouard Molinaro. 

    Claude Rich, c’est également ce vieillard aussi pingre qu’atrabilaire dans Le crime est notre affaire, fort joli film de Pascal Thomas, très librement inspiré d’un roman d’Agatha Christie. Même en ignoble bonhomme, il parvient à inspirer de la tendresse, à faire transpirer l’humanité de son personnage, au coin d’un sourire, au travers d’un regard. 

    Claude Rich, c’est l’homme qui sait tout jouer, l’acteur qui peut tout jouer ; à l’exception, peut-être, de ce rêve à jamais inassouvi ? Incarner le père Charles de Foucauld, l’ermite du Hoggar, dont il conserva longtemps la photo dans son portefeuille, fasciné qu’il était par son « besoin d’absolu ».

    Claude Rich, en effet, est un catholique de conviction, espèce assez rare en un show-biz désormais envahi de Michaël Youn et de Jamel Debbouze. Se définissant comme un « chrétien pitoyable », il affirmait au passage : « Je ne suis pas un très bon chrétien. Je n’étudie pas beaucoup ma religion, mais je crois en l’amour de Dieu. De la même façon que l’on ne sait pas toujours pourquoi on aime une personne, j’aime Dieu. Je le fréquente tous les dimanches. Lorsqu’il m’arrive de confier à quelqu’un mon intention d’aller à la messe le dimanche et que mon interlocuteur me fait part de son étonnement, je lui dis que c’est moi qui suis étonné qu’il n’aille pas à l’église ! »

    Claude Rich est malgré tout assez bon chrétien pour signer des deux mains le manifeste de « total soutien » au pape Benoît XVI, quand ce dernier remit à l’honneur la messe tridentine.

    Claude Rich fut donc un drôle de paroissien. Qu’il nous soit ainsi permis de le saluer, humblement et chaleureusement, en ces colonnes, pour tout le bonheur qu’il nous a donné, et surtout les moments d’émotion et les fous rires avec lui partagés.

    À Dieu, Claude Rich. À Dieu en deux mots, tel qu’il se doit ; pour vous dire ce qui n’est qu’un au revoir.   

    Journaliste, écrivain
     
    A lire aussi un autre très bel article sur la disparition de Claude Rich  ...
     
    Claude Rich, le prince s’en est allé par Thomas Morales  - 
  • Culture • Enquête sur l’édition française (2) : « Il fallait passer au livre, s’incarner »

     
     
    L’Action Française 2000 se penche sur l’état de l’édition en France. Lit-on encore ? Publie-t-on trop ? L’édition électronique a-t-elle un avenir ? Panorama d’une culture en profonde transformation, avec des témoignages d’éditeurs, dans toute leur diversité.

    Entretien avec Maximilien Friche, directeur des éditions Nouvelle Marge.

    Pouvez-vous nous raconter l’histoire de votre jeune maison d’édition ?

    Nouvelle Marge vient de Mauvaise Nouvelle, une revue en ligne que je dirige depuis 2013. Cette revue publie chaque semaine aussi bien des tribunes de combat du politiquement correct que des recensions littéraires en laissant une place importante aux arts et à la poésie. À force de publier en ligne, je me suis dit que j’étais, de fait, un éditeur. Il fallait passer au livre, s’incarner. Le premier roman publié fut le cinquième roman de Sarah Vajda, Jaroslav et Djamila, et je fus ravi d’entrer en littérature avec un roman d’amour d’un auteur dont je suis fan. Cette année, Nouvelle Marge se lance dans les essais, avant d’ouvrir la voie vers d’autres écrits : recueils de nouvelles, poèmes épiques… Rien ne nous est interdit puisque nous avons pris la marge dès notre naissance ; nous allons donc bien nous amuser.

    Quelle est la philosophie générale de Nouvelle Marge ?

    Comme tout s’échine à nier la personne humaine dans ce monde, Nouvelle Marge a un combat : l’existence. En littérature, nous voulons d’abord rétablir la vocation héroïque du lecteur et, en ce sens, nous nous opposons à toute la culture de l’autofiction où les auteurs nous racontent la vie de leurs entrailles en se croyant profonds et en nous incitant à prendre des vessies pour des lanternes. Nouvelle Marge veut également allier l’amour de la langue avec sa passion de la modernité. C’est sans doute dans ce mariage qu’émerge le style dans le principe d’individuation de la langue. L’écrivain est cette gargouille qui se laisse traverser par le Verbe. Il rend ce qu’il reçoit, il traduit sa chair en paroles. Si les initiales s’inversent entre Nouvelle Marge et Mauvaise Nouvelle, c’est pour symboliser l’ambition d’être le lieu où l’être fait sa propre révolution, sa conversion. Nouvelle Marge souhaite apporter l’écrit qui modifie l’être, qui le rétablit dans sa dimension tragique. En guise de philosophie générale, finalement, je me demande si ce ne serait pas une volonté non pas d’échapper au monde en allant à sa marge, mais plutôt de le reconstruire à sa marge, de construire une arche peut-être.

    Vous avez ouvert récemment une « zone d’essais » (collection « Mauvaise Nouvelle »). C’est une petite révolution puisque Nouvelle Marge était à l’origine vouée aux genres narratifs. Comment abordez-vous cette nouvelle étape ?

    Je ne voulais publier effectivement que des œuvres narratives et puis, une controverse littéraire avec un ami ayant écrit un essai sur Dantec m’a amené à descendre de mon snobisme germanopratin. En fait, des écrits peuvent modifier un être au-delà de la forme narrative, notamment par la langue, comme en poésie notamment, par la transmission avec les essais qui nous placent dans une aventure de la pensée. Un autre élément a concouru à la création de cette zone d’essais : la richesse des textes publiés dans Mauvaise Nouvelle et la volonté de donner aux plus beaux d’entre eux un corps. Il me fallait donc une collection dédiée aux essais et pour continuer de laisser les univers d’Internet et du livre s’entremêler, cette zone est la collection “Mauvaise Nouvelle”. Cette dernière se veut fidèle à l’esprit de la revue, au sens où l’outrance ne nous fait pas peur pour parvenir à désarçonner le politiquement correct, et que, dans le même temps, nous refuserons toujours d’être réduits à la pensée militante. Je ne crée pas une marge pour finir dans une niche. J’aborde donc cette collection d’essais avec beaucoup d’enthousiasme car je sais qu’il s’agit d’un lieu où l’intelligence va jouir de sa liberté.

    blanchonnet-petit-dictionnaire-maurrassien - Copie.jpgVous éditez le Petit dictionnaire maurrassien de Stéphane Blanchonnet (sortie ironique le 14 juillet 2017). Que représente pour vous l’école d’Action française ?

    Voilà encore de quoi s’enthousiasmer ! Et les rodomontades ou autres procès staliniens que je subis depuis que j’ai annoncé la parution de cet essai sur Maurras ne font que conforter ma décision de lancer une série politique. À l’heure où les Français choisissent les députés sur CV et que la France est dirigée par un algorithme, il me semble essentiel d’apporter quelques précis politiques aux lecteurs et électeurs. Et comme je préfère être en marge qu’en marche, Maurras inaugure cette série. D’autres suivront : Marx, De Gaulle, Jaurès… Pour l’heure, nous publions le Petit dictionnaire maurassien de Stéphane Blanchonnet, et commencer une série politique par un ouvrage consacré à l’auteur de la formule « Politique d’abord ! » me semble tout à fait à propos. J’ai toujours été fasciné par la longévité et le dynamisme de l’AF, sa faculté à renouveler ses forces militantes. Le point essentiel pour moi reste de croiser très souvent des intellectuels, des journalistes, des écrivains, des professeurs… qui se réclament de ce mouvement qui les a formés intellectuellement et leur a permis d’irriguer le monde des idées de l’AF. J’oserais dire que l’on ne peut pas s’intéresser à la politique sans s’arrêter un temps sur l’AF, son histoire et son actualité.   •

    L'Action Française  - 25 juillet 2017.

  • la tyrannie de l'abstraction

    Saint-Just, le fanatisme de la Raison

     

    Par Jean de Maistre 

    Excellent commentaire, du jeudi 3 août, sur notre publication « Claude Lévi-Strauss à  propos des idées de la Révolution ». Ce qu'écrit fort justement Jean de Maistre sur les dangers de l'abstraction nous rappelle la prophétie de Frédéric II, faite à Voltaire, prophétie que Gustave Thibon aimait à citer : « Nous avons connu le fanatisme de la foi. Peut-être connaîtrons-nous, mon cher Voltaire, le fanatisme de la raison, et ce sera bien pire. »   LFAR 

    715304725.jpgLucidité de Lévi-Strauss, comme sur de nombreux autres problèmes, surpopulation, uniformisation culturelle planétaire etc.

    Les anthropologues et de nombreux penseurs, à la différence de la philosophie du XVIII° siècle, savent que les sociétés humaines ne sont pas des machines que l'on peut démonter et remonter à sa guise. Mais dès le moment de la révolution française, Edmund Burke avait dénoncé la tyrannie de l'abstraction régnant dans le mouvement révolutionnaire.

    En relisant l'histoire des Girondins de Lamartine on voit comment le fanatisme de l'abstraction dans les discours des membres de la Constituante, de la Législative ou de la Convention ne pouvait mener qu'au règne de la Terreur, qui n'est pas un accident regrettable du processus révolutionnaire mais l'essence de celui-ci.

    Le trop méconnu historien Augustin Cochin dans ses travaux sur la révolution française a montré le rôle des « sociétés de pensée » du XVIII°, où l'on se gorgeait de concepts et de grands principes, dans l'avènement de la tyrannie révolutionnaire.

    Il faut réhabiliter en politique la vertu aristotélicienne de prudence. 

    Lire ...

    Claude Lévi-Strauss à propos des « idées de la Révolution »

  • Histoire • « Jeanne d’Arc enflamme les cœurs »

     

    Un monumental Dictionnaire encyclopédique de Jeanne d’Arc vient de paraître : travail de fourmi, enquête passionnée, il livre aux curieux une masse impressionnante de documents qui sans cela auraient risqué de tomber dans l’oubli. Entretien avec Pascal-Raphaël Ambrogi.

    Propos recueillis par Philippe Mesnard

    Votre ouvrage est à la fois une œuvre scientifique et un « dictionnaire amoureux de Jeanne d’Arc ».

    Il offre au lecteur ce que l’on sait de Jeanne, ce que l’on a dit d’elle et ce qu’elle a inspiré et inspire encore. Mis à la portée du plus grand nombre ces documents, ces analyses, ces synthèses, ces catalogues, cette anthologie, ce livre qui est tout à la fois, organisé en dictionnaire, sert à chacun ce qu’il savait sans doute déjà et tout ce qu’il n’avait jamais imaginé trouver. Jeanne d’Arc ! Plus on l’étudie, plus l’émerveillement croît.

    Quelle a été votre plus belle découverte en vous lançant dans cette entreprise ?

    Jeanne est une découverte perpétuelle tout comme une source d’inspiration inépuisable. Un personnage historique parmi les plus documentés de l’Histoire, un enjeu, un symbole, un héros. Je n’imaginais pas un tel potentiel d’admiration, de foi et d’énergie créatrice. L’actualité permanente de la « libératrice de la France » ne se traduit pas uniquement par la parution d’ouvrages littéraires ou historiques. C’est dans pratiquement tous les domaines d’expression qu’elle est présente et qu’elle bat aussi souvent des records. Il faut évoquer ici quatorze mille livres, de vint à trente millestatues rien qu’en France, quatre cents pièces de théâtre déjà répertoriées en 1922, cen trente-neuf films ! Des mangas, des morceaux de rock et de hard metal… Ces derniers dans le monde entier au cours des années récentes. Une pièce de théâtre est annoncée pour 2017, une autre pour 2018. Un film sortira à l’automne, consacré à l’enfance de Jeanne. Une statue sculptée par le russe Boris Lejeune pour la ville de Saint-Pétersbourg sera bientôt élevée. Une sienne statue a déjà été placée, en 2013, à Bermont, près du village natal de Jeanne. Une Pietà de Jeanne d’Arc a été placée, en 2006, à l’entrée d’une caserne près de New York : Jeanne porte un soldat mort sur ses genoux. Ce qui est poignant et unique.

    Cet intérêt pour Jeanne n’est pas nouveau. Il remonte en réalité aux heures mêmes de son épopée. C’est là ma plus grande découverte. Nous avons évoqué les nombreux documents contemporains, significatifs à cet égard. Et s’il faut attendre le XIXe siècle pour assister à ce que l’on pourrait qualifier de « frénésie johannique » ou d’« engouement johannique » – entre 1870 et 1900, par exemple, paraissent cent une biographies consacrées à Jeanne d’Arc, destinées au grand public et à la jeunesse – il n’en reste pas moins que le « messie de la France » (a dit Henri Martin) est loin d’être absent de la scène. Il suffit de consulter les articles « Musique », « Poésie » ou « Théâtre » du Dictionnaire encyclopédique de Jeanne d’Arc pour s’en rendre compte. La Ballade contre les Anglais, de 1428, y fait déjà allusion. Évoquons la Ballade des dames du temps jadis, de François Villon. L’article « Musique » mentionne une œuvre pour les XVe et XVIe siècles, trois pour le XVIIe siècle et douze au XVIIIe siècle. L’article « Poésie » recense huit œuvres au XVe siècle, treize au XVIe siècle, vingt au XVIIe siècle, quatorze au XVIIIe siècle. Quant à l’article « Théâtre », il répertorie une pièce du XVe siècle, le Mystère du siège d’Orléans, daté de 1439, deux pour le XVIe siècle, une bonne douzaine pour le XVIIe siècle, et dix-sept pour le XVIIIe siècle. Cette production est donc loin d’être négligeable.

    C’est un Anglais, William Shakespeare, qui relance Jeanne, avec son Roi Henry VI, de 1592. Il en donne une vision scabreuse et va contribuer à répandre le mythe de Jeanne la sorcière. Voltaire, avec La Pucelle d’Orléans, érotise Jeanne, dans les multiples versions de son œuvre, qui connaît un succès fou (cent vingt-cinq éditions entre 1755 et 1835) et est apprise par cœur par certains, y compris à l’étranger. Schiller porte Jeanne à la scène avec la Jungfrau von Orleans, de 1801. Il brode en inventant une idylle amoureuse entre Jeanne et un beau soldat anglais. Schiller s’assurait ainsi un succès durable. Sa pièce est imitée par de nombreux auteurs, tels que Charles-Joseph Loeillard d’Avrigny et Alexandre Soumet en France ; Roberto de Simone, Nicolas Vaccai et Salvatore Vigano en Italie, Destouches en Allemagne ; elle est mise en musique par Max Bruch, Joseph Klein, Leopold Damrosch, Johann Schulz, Carl Wagner, Bernhard Weber en Allemagne ; Manuel Tamayo y Baus en Espagne, Mario Bossi, Giuseppe Verdi en Italie ; Tchaïkovski en Russie ; Ignaz Moscheles, auteur tchèque. Elle est portée au cinéma en RDA, en 1976, se retrouve au Japon dans des manga de Wakuni Akisato et de S. Muchi.

    Nous avons dit que le phénomène se poursuit. Comment l’expliquer ? Jeanne d’Arc est la figure emblématique par excellence de l’héroïne qui défend son pays de l’envahisseur, en même temps qu’il émane d’elle une aura particulière du fait de sa jeunesse (elle entame sa carrière politique et militaire à dix-sept ans !), de sa fraîcheur, de la « trahison » du roi Charles VII aussi et de sa mort atroce, brûlée vive sur un bûcher à Rouen, le 30 mai 1431.
    Jeanne d’Arc bénéficie ainsi d’un capital de sympathie qui perdure et continue d’enflammer les cœurs. Son personnage est aussi entouré d’un certain mystère, du fait que Jeanne est avant tout une mystique. Elle ne prend pas ses ordres auprès des hommes.

    jeanne-darc-418576_1280.jpg« J’ignore la conduite de la guerre », déclare-t-elle. Or, selon l’auteur de la Geste des nobles français, du 6 juillet 1429, dès son arrivée à Chinon, Jeanne décrit à Charles et à son conseil, « les manières de guerroyer des Anglais » avec une telle précision qu’ils en sont fort ébaudis. Elle déclare : « Par l’aide du ciel, je sais chevaucher et conduire une armée. » Comment l’expliquer, si ce n’est qu’elle jouit de l’assistance continuelle de son conseil divin, dont elle parle avec tant d’assurance, qui « lui avait mis dans l’esprit des clartés de tout ce qui regardait la guerre, et lui fournissait, au moment voulu, les suggestions utiles » ? Ce que nul chef chevronné n’a vu ni compris, elle s’en rend ainsi compte et le saisit sur-le-champ.

    Comment expliquer, devant la masse des faits, que d’aucuns cherchent encore à mythifier Jeanne d’Arc en imaginant qu’elle n’est pas morte sur le bûcher ou qu’elle était d’ascendance royale ?

    Jeanne d’Arc, un mythe ? Comment l’expliquer ? Jeanne est un mystère qui balance entre une incarnation – la jeune fille de Domremy, ce « Bethléem de la patrie » – et un mythe désormais universel qu’elle a bien involontairement suggéré et qui la dépasse sans la détruire. Or, contrairement à la plupart des héros dont la mythification n’intervient que tardivement après leur mort, Jeanne fut un mythe vivant, rappelle Colette Beaune. Dès son apparition, le mythe fut consubstantiel à son histoire. La France et les Français attendaient une intervention divine. Jeanne revêtit les habits du Sauveur tant espéré. Sa capture imprima au mythe d’autres formes. Au messianisme triomphal des années 1429 succéda dans son camp l’image de la souffrante puis de la martyre.

    L’épopée de la Pucelle d’Orléans est certes légendaire, en ce sens qu’elle est inscrite de façon indélébile dans l’histoire de l’humanité et qu’elle est devenue une référence universelle. C’est ainsi que nous avons recensé cinquante-quatre femmes qualifiées de Jeanne d’Arc dans trente-trois pays, dont plus d’une au cours des années récentes. Ce sont les Jeanne d’Arc des États-Unis, de Colombie, de Russie, du Japon, de Côte d’Ivoire, de Chine, du Brésil, etc.

    Mais l’épopée de notre héroïne nationale n’est pas une légende au sens d’une construction artificielle bâtie après coup quelques faits épars. Avec Jeanne d’Arc, nous sommes en présence du personnage de l’humanité, après notre Seigneur et la très Sainte Vierge, le plus documenté de tous les temps. Jugeons-en. Enquête théologique à Poitiers, en mars 1429, qui décide le dauphin Charles à faire crédit à la Pucelle, avec un examen de virginité et une enquête à Domremy et à Vaucouleurs. Procès de condamnation de janvier à mai 1431, avec enquête à Domremy et deuxième examen de virginité ; procès de relapse fin mai 1431, condamnant Jeanne à être brûlée vive. Enquête officieuse de 1450, à la demande du roi Charles VII. Enquête officielle à Rouen en 1452. Ouverture en 1455 du procès de nullité de la condamnation, avec enquêtes à Domremy, Vaucouleurs, Orléans, Tours, Paris, Poitiers, Compiègne, Saint-Denis, Sully-sur-Loire, Lyon, soit cent quarante-quatre auditions, le tout aboutissant à casser, en 1456, la première sentence. Puis procès de béatification, avec examen de l’héroïcité des vertus de Jeanne, examen de trois miracles, procès des raisons pouvant s’opposer à la béatification. Engagé en 1869, à la demande Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans, il débouche sur la béatification, le 18 août 1909. Procès de canonisation enfin, avec la reconnaissance de trois nouveaux miracles. La cérémonie officielle a lieu en la basilique Saint-Pierre de Rome, le 16 mai 1920. Nous disposons ainsi d’une documentation de première main vraiment unique.

    Documentation d’autant plus exceptionnelle que, vu l’importance politique de la condamnation et de l’exécution de Jeanne d’Arc pour l’Angleterre, le roi Henry VI a pris grand soin de faire rédiger cinq copies authentiques des actes du procès qu’il a envoyées à divers destinataires.

    Nous avons recensé en outre, délaissant les délibérations et les comptes de plusieurs villes, cent cinquante-six documents contemporains parlant des exploits de la Pucelle. Par contemporains, j’entends ceux allant du début de l’épopée, le 22 février 1429, à la sentence de nullité de la condamnation, le 7 juillet 1456. Ils émanent aussi bien du camp Armagnac que des adversaires de Jeanne, ou de simples observateurs, comme les marchands italiens installés en France. « Nous devons d’autant plus prêter foi à tous ces faits, écrira l’Allemand Guido Görres, qu’ils ont été consignés par ses ennemis mortels [certains d’entre eux du moins], qui ont tout fait pour les falsifier et les déformer au détriment de Jeanne : car c’est une preuve irréfutable de son innocence, que, selon les vœux de la Providence, ses persécuteurs devaient donner au monde futur ».

    Citons-en quelques-uns. Le plus ancien document semble être une lettre du 22 avril 1429 d’un ambassadeur de Philippe de Brabant. Notons que Jeanne n’entrera dans Orléans que sept jours plus tard. Nous trouvons des annotations du 9 mai, deux jours après la levée du siège d’Orléans. Le 14 mai, Jean Gerson, chancelier de l’université de Paris, écrit un Traité sur la Pucelle. Vers le 15 mai, le duc de Bedford, régent d’Angleterre, prend des mesures contre les désertions qui se multiplient dans son camp. Le Ditié, un poème de Christine de Pisan, date du 31 juillet. Dès qu’il apprend la prise d’Orléans, l’empereur Sigismond de Luxembourg commande un tableau représentant Comment la Pucelle a combattu en France.

    Tout cela est donc très sérieux et historiquement très sûr. Et absolument unique. Ce qui est de nature à ôter tout doute sur le caractère historique des quatre cent vingt-sept jours de l’épopée de Jeanne, quatre cent vingt-sept jours seulement qui suffisent à rétablir la situation, à faire échec aux Anglais, à libérer Orléans et le royaume de leur présence indésirable, à faire sacrer le roi et lui restituer sa légitimité, et à modifier de fond en comble l’art de conduire la guerre.

    ___________________________________ 

    livre_dictionnaire_encyclopedique_de_jeanne_d_arc.jpg

    Pascal-Raphaël Ambrogi et Dominique Le Tourneau, Dictionnaire encyclopédique de de Jeanne d’Arc, éditions Desclée de Brouwer, juillet 2017, 2 012 pages, 49 euros.

    Philippe Mesnard

    Lire la suite