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Idées, débats... - Page 442

  • Le rejet de la nation, de gauche à droite

     

    Par  Mathieu Bock-Côté

    Cette tribune [13.08] - d'une pertinence toujours égale - est de celles que Mathieu Bock-Côté donne sur son blogue du Journal de Montréal. Il aura été, depuis quelque temps déjà, un observateur lucide non seulement des évolutions politiques des pays dits encore occidentaux mais aussi de leur situation sociétale qui n'est pas de moindre importance.  L'esprit de ces chroniques, comme de celles qu'il donne au Figaro, est, au sens de la littérature et de l'histoire des idées, celui d'un antimoderne, même s'il n'est pas sûr qu'il acquiescerait à cette classification. Il s'est en tout cas imposé, selon nous, comme un esprit de première importance. Mathieu Bock-Côté rappelle ici à propos de la nation et de l'enracinement quelques vérités essentielles lesquelles  sont, d'ailleurs le fond des doctrines qui sont les nôtres.  LFAR 

     

    501680460.5.jpgLe refus de l’enracinement est certainement un des traits caractéristiques de l’idéologie dominante de notre temps. Il trouve des relais à gauche comme à droite. En fait, l'orgueil commun à la gauche radicale « altermondialiste » et à la droite néolibérale globaliste, c’est de regarder la patrie (et plus particulièrement sa patrie) avec condescendance et mépriser ouvertement ceux qui y tiennent, comme s’ils étaient des attardés enfermés dans une époque révolue, et résolus à ne pas en sortir. C’est une forme d’orgueil qui se veut progressiste. Ils sont nombreux à s’en réclamer chez ceux qui se veulent éclairés et à l’avant-garde.

    Lorsqu’ils sont pessimistes et du premier camp, ils spéculent sur une planète qui broierait les frontières et condamnerait les pays à l’insignifiance. C’est une forme de snobisme déguisé en lucidité catastrophiste. Ils prennent la pose, maudissent les étroits d’esprit et administrent leur catéchisme. Ils tonnent : comment peut-on penser à l’échelle nationale quand la solidarité doit être mondiale ?! C’est une phrase creuse mais ils la prennent pour une réflexion profonde. Ils ne comprennent manifestement pas que l'homme a besoin de médiations pour participer au monde. Ils en profitent aussi pour présenter le nationaliste ordinaire comme un petit être mesquin attaché à ses privilèges, sans noblesse, sans humanité. Ils résistent rarement à la tentation de l’accuser de racisme. Il faut dire que le grand pouvoir de la gauche radicale, c'est l'étiquetage idéologique, qui repose sur le pouvoir de l'injure publique.

    Lorsqu’ils sont optimistes et du deuxième camp, ils nous disent qu’un monde mondialisé est riche de tellement de possibles qu’il serait sot de se montrer exagérément attaché à sa patrie – ils n’y voient que la marque d’une psychologie obtuse. L’individu peut être citoyen du monde: n’est-ce pas la plus grande libération de l’histoire humaine ? Ils témoignent alors d’une fausse tendresse vraiment hautaine pour les hommes de « l’ancien monde », attachés à leurs certitudes, et incapables d’oser la liberté, comme s’ils appartenaient encore à l’âge infantile de l’humanité. L’appartenance, chez eux, est strictement contractuelle : elle ne saurait relever de l’héritage. À chaque génération, l’homme doit s’arracher au passé. La révolution technologique, qui est aussi celle des communications, liquiderait les vieilles nations. Au nom de la diversité et de l'ouverture au monde, ils nous invitent à tous nous convertir à l'anglais. Les langues nationales ne seront plus que des reliques.

    Dans les deux cas, ils ne désirent pas masquer leur sentiment de supériorité morale : ils paradent dans l’espace public en le revendiquant. Le cosmopolitisme, chez eux, ne consiste pas à transcender sa patrie mais à la nier, et à en nier le besoin. Ils se disent soucieux de l’avenir du genre humain mais celui qu’ils ne peuvent endurer, c’est l’homme ordinaire, qui aime son pays, qui veut transmettre le monde qu’il a reçu et qui ne voit pas pourquoi il devrait détester les siens pour aimer l’humanité. Ce qu’ils ne peuvent tolérer, c’est l’homme qui a besoin d’une demeure et qui n’a pas honte de vouloir être maître chez lui.  

    Mathieu Bock-Côté

    Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).

  • Chronique d'une tragédie annoncée

     

    Par le Général (2s) Antoine MARTINEZ

    Le général Antoine Martinez nous a transmis les fort intéressantes réflexions qui suivent, datées du 10 août 2017. Nous en partageons l'esprit et le souci au regard de l'actualité et de l'urgence. Et nous les reprenons in extenso. On ne s'étonnera pas que nous divergions cependant d'avec cette analyse sur trois questions de principe : primo sur les progrès que l'Occident aurait accomplis en tous domaines, au cours des derniers siècles, car si tel était le cas il ne se trouverait pas aujourd'hui dans l'état de faiblesse extrême qui est le sien face à l'invasion démographique et culturelle qui le frappe. Le désordre social, politique et moral qu'il connaît depuis deux ou trois siècles ne peut, selon nous, être considéré comme un progrès. Secondement, nous mettons en doute que les printemps arabes - largement orchestrés de l'extérieur et dont il ne reste presque plus rien aujourd'hui - aient correspondu à un réel désir de démocratie, du moins sous sa forme européenne ou occidentale, de la part des peuples arabes dans leurs profondeurs. Enfin, sur la question des droits de l'homme, aussi, nous divergeons. Non pas que nous niions leur existence en tant que tels, mais parce que sous leur forme idéologique, le droit-de-l'hommisme dominant, ils deviennent un puissant levier contre la cohésion et la capacité de résistance de nos sociétés.  De quoi débattre ! Lafautearousseau    

     

    Quand la Grande Muette prendra la            parole 001 - Copie.jpgIl y a quelques jours, le général italien Vincenzo Santo, interrogé par un journaliste sur la submersion migratoire actuelle, affirmait : « il suffit d'utiliser l'armée pour la mission qui est à l'origine de sa création, celle de défendre nos frontières. Il est tout à fait possible de mettre le holà à cette immigration désordonnée et massive. En quelques jours, l'armée italienne pourrait y mettre fin ».

    Il a parfaitement raison, mais ces propos sont tenus par un officier général, donc un militaire qui comme tout militaire, qu'il soit Italien, Français, Allemand, Espagnol, Belge, Néerlandais, Polonais, Danois, ou Suédois s'est engagé au service de sa patrie pour laquelle il est prêt à se battre. Et il la voit aujourd'hui, pour le plus grand malheur de son peuple, sombrer vers le chaos orchestré par l'irresponsabilité de ses dirigeants politiques inaptes à commander en situation de crise majeure. Car ces dirigeants politiques, et pour nous Français, NOS dirigeants politiques, ne peuvent pas ne pas reconnaître que les propos tenus par ce général italien sont des propos réalistes et de bon-sens. Il suffit, en effet, de vouloir et d'ordonner. Un chef d'Etat responsable doit savoir que l'histoire est tragique mais que gouverner c'est prévoir, anticiper et non pas être soumis à l'événement. En ne sachant pas décider ou en refusant de se déterminer face à l'événement, il ne fait que précipiter la tragédie en marche. Cette catastrophe aurait pu être évitée si, après l'éclatement en décembre 2010 de ce qu'on a appelé « le printemps arabe », des mesures préventives avaient été décidées dès le début de l'année 2011, avec la mise en place d'un « cordon sanitaire naval » face aux côtes libyennes élargi ensuite en Mer Egée, face à la Turquie. Et un général français – au moins un – analysait les conséquences possibles de ce « printemps arabe » et formulait ses inquiétudes dans un éditorial daté du 28 février 2011 (!) qui était transmis à nos parlementaires, députés et sénateurs ! Quelques extraits de ce document prémonitoire sur certains points méritent d'être rappelés ici. La totalité du document est disponible dans l'essai récemment publié aux éditions Apopsix « Quand la Grande Muette prendra la parole » (général A. Martinez), préfacé par Ivan Rioufol. Avec le recul de six années, on constate la faute impardonnable des responsables politiques européens et notamment français qui devraient rendre des comptes. 

    Face à cette révolution du monde arabo-musulman, une nécessité pour les Européens : anticiper ses effets et protéger leurs frontières (Extraits) 

    Une grande partie du monde musulman semble aujourd’hui ébranlée et bousculée dans ses certitudes. Alors que les islamistes proclament que l’islam dominera le monde et qu’ils élèvent le Coran au rang de constitution et la charia à celui de code de justice, un vent de révolte se lève progressivement dans cette frange territoriale qui s’étend du Maroc au Proche et Moyen-Orient. Inattendue, cette révolte qu’aucun expert n’avait prévue ou imaginée peut être qualifiée de véritable révolution qui marquera sans nul doute le XXIe siècle, non seulement à l’intérieur même du monde musulman mais surtout dans ses rapports avec l’Occident et donc avec le monde aux racines chrétiennes.

    … Reconnaissons que l’islam en tant que système politique – car il n’est pas seulement une religion – a prouvé son incapacité à procurer le progrès et le bien-être à ses sujets, maintenant la majorité de ces peuples dans l’ignorance, la pauvreté et le fanatisme. Ce système qui refuse les droits de l’homme au profit des seuls droits de Dieu a des siècles de retard sur le monde réel ce qui a créé un décalage considérable que le citoyen musulman moyen peut aujourd’hui découvrir enfin grâce au développement des moyens de diffusion de l’information et notamment de l’internet. Le résultat ne peut être qu’explosif. Car rejeter pendant des siècles la modernité, les progrès de la science, l’accès à l’éducation et à l’instruction a contribué à instaurer un retard colossal dans le développement de ces peuples et, par voie de conséquence, à entretenir un ressentiment à l’égard de l’Occident qui n’a cessé, lui, de progresser dans tous les domaines.

    ... En réclamant aujourd’hui la liberté et la démocratie, ces peuples révoltés aspirent en fait au bien-être, comme tout être humain libre, et finalement aux valeurs et principes défendus par l’Occident. Ils reconnaissent de fait l’universalité de ces valeurs. On assiste ainsi paradoxalement mais objectivement au triomphe des valeurs portées par la pensée chrétienne à l’origine des droits de l’homme.

    ...Il convient toutefois de rester prudent sur l’évolution du processus en cours et sur ses conséquences impossibles à cerner pour l’instant. Et si cette révolte a surpris tout le monde, les responsables politiques occidentaux, et particulièrement européens, se doivent à présent d’anticiper. Il y a urgence...  il faut être lucide et ne pas accepter de suivre et subir les événements mais les précéder.

    ...L’origine de la révolte est d’ordre social, provoquée par la misère et le chômage, et elle se produit dans des pays conduits par des régimes dictatoriaux ou des monarchies qui n’ont rien à voir avec la démocratie. Cela amène ces derniers à réprimer cette aspiration à plus de liberté avec une violence inouïe pour certains. Ces dictateurs ont maintenu leur peuple dans la pauvreté en stigmatisant l’Occident forcément responsable de leur situation alors que la plupart de ces pays disposent de richesses confisquées par leurs dirigeants. Incompétents, corrompus et irresponsables, ils n’ont rien appris de l’Histoire et leur refus d’accepter l’évidence laisse augurer des lendemains douloureux avec peut-être la mort au bout pour certains d’entre eux ...Mais si les situations des pays concernés sont différentes, des points communs les rassemblent: ces peuples ont été maintenus, pour la plupart, dans la misère et la précarité, sont frappés par des taux de chômage ahurissants et ont été privés jusqu’ici de liberté, notamment d’expression. Le réveil sera donc violent. D’autant plus qu’un autre point commun les caractérise, la démographie, incontrôlée, facteur aggravant et véritable bombe à retardement. L’ensemble de ces points communs doivent rapidement être pris en compte par nos gouvernants, car, alors qu’on aurait pu s’attendre logiquement à ce qu’une partie des Tunisiens installés en Europe et notamment en France rentre au pays après le départ de leur président, c’est un flot de milliers de clandestins tunisiens, poussés par la misère, qu’on a laissé débarquer en deux jours en Europe....Le citoyen européen ne peut pas accepter cela. Imaginons la suite, lorsque les régimes libyen ou algérien auront été balayés. L’Union européenne doit condamner ces dictateurs et aider ces pays mais elle doit vite adopter des mesures concrètes et non pas, comme elle vient de le décider, la création d'un groupe de travail  pour “prendre toute mesure urgente que la situation imposerait”. Des mesures fermes sont justifiées tout de suite par un état d’urgence à décréter en provoquant la réunion d’un Conseil européen extraordinaire. Il convient de coordonner nos moyens et les déployer immédiatement dans des actions préventives et dissuasives de surveillance et de contrôle au plus près des côtes du sud de la Méditerranée et, si nécessaire, d’intervention et de refoulement systématique des clandestins. Renforcer les moyens de contrôle et de refoulement à la frontière entre la Turquie et la Grèce, véritable passoire, est également impératif. Il faut empêcher que ne se réalise le scénario cauchemardesque du “ Camp des saints ” de Jean Raspail. Faire preuve d’attentisme dans ces circonstances serait non seulement coupable mais suicidaire pour nos pays ce qui faciliterait en outre la tâche des islamistes.

    ...De plus, ces organisations islamistes, bien conscientes de l’évolution du monde, ont probablement bien compris que la révolution à laquelle nous assistons aujourd’hui dans les pays musulmans à la périphérie de l’Europe devrait provoquer des changements...ces organisations pourraient donc se radicaliser encore plus et tenter de provoquer le chaos là où elles le peuvent. Et le territoire européen ne sera pas épargné car ces islamistes y sont bien implantés et ils pourraient être beaucoup plus actifs et dangereux...On le voit donc, la situation est volatile et il est impossible pour l’instant de prédire non pas le futur mais le simple avenir immédiat. On sent bien que plus rien ne sera dorénavant comme avant et que ce XXIème siècle marquera l’Histoire...

    A court terme, il faut, de toute façon, prévenir l’envahissement du territoire européen par des hordes de clandestins. C’est pour l’instant une priorité vitale que les gouvernants européens ne peuvent pas ignorer.      

    Six années après la rédaction de cet éditorial, on constate non seulement la confirmation de cette tragédie annoncée pour les peuples européens et concrétisée par cette invasion migratoire – amorcée dès le début de l'année 2011 mais amplifiée par l'Etat islamique à un niveau qui a largement dépassé ses promesses faites à la fin de l'année 2014 – mais on mesure également la lâcheté et la culpabilité impardonnables et condamnables des dirigeants européens et donc français. Non seulement ils ont manqué à leurs devoirs à l'égard des peuples dont ils ont la responsabilité et qu'ils doivent protéger, mais, en étant incapables d'anticiper ce qui était pourtant prévisible, ils aggravent la situation. Alors, devant les drames qui se préparent, la réponse ne réside-t-elle pas dans la révolte des peuples européens qui doivent à présent réagir et forcer leurs dirigeants à inverser le cours funeste des choses ?  •

    Quand la Grande Muette prendra la            parole 001 et 002.jpg

    Général (2s) Antoine MARTINEZ

    Coprésident des Volontaires Pour la France

    Volontaires Pour la France

  • Tocqueville : « l’espèce d’oppression, dont les peuples démocratiques sont me­na­cés »

     

    « Je pense que l’espèce d’oppression, dont les peuples démocratiques sont me­na­cés ne ressemblera à rien de ce qui l’a précédée dans le monde. [...] Je cherche en vain moi-même une expression qui reproduise exactement l’idée que je m’en forme et la renferme ; les anciens mots de despotisme et de tyrannie ne conviennent point. La chose est nou­velle, il faut donc tâcher de la définir, puisque je ne peux la nommer.

    Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie.

    Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. il est absolu, détaillé, régulier, pré­voyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages, que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?

    C’est ainsi que tous les jours il rend moins utile et plus rare l’emploi du libre arbitre ; qu’il renferme l’action de la volonté dans un plus petit espace, et dérobe peu à peu à chaque citoyen jusqu’à l’usage de lui-même. L’égalité a préparé les hommes à tou­tes ces choses : elle les a disposés à les souffrir et souvent même à les regarder comme un bienfait.    

     

    Alexis de Tocqueville 

    Le Despotisme démocratique - Carnets de l'Herne - 2009

  • Livres • Mary de Rachewiltz, la maîtresse du haut-château du Sud-Tyrol se souvient de son père Ezra Pound

    Mary de Rachewiltz et le château de Brunnenburg. 

     
     
    par Daoud Boughezala
     
    C'est un très bel article que Daoud Boughezala donne là sur Erza Pound [Causeur, 19.08], cet auteur et poète assez peu connu en France - même de ceux qui s'en réclament - et pourtant important. On le connaîtra déjà un peu mieux, grâce au livre de sa fille, et grâce à cet article qui retrace sa vie à grands traits et évoque sa destinée, notamment littéraire.  LFAR     
     

    vignette-bistro-2016-11-25.jpgC’est un château-fort du XIIIe siècle qui trône au fond d’un vallon tyrolien. Au milieu de cette relique des temps anciens, vit Mary de Rachewiltz, 92 ans, fille naturelle du poète Ezra Pound et de la violoniste Olga Rudge. Au mois de juillet, j’ai bien tenté d’aller déranger cette auguste nonagénaire dans son repaire de Brunnenburg après une longue marche à travers des sentiers escarpés. Peine perdue, l’hôtesse de ces lieux ne reçoit plus. Tant pis, la féérie sera pour une autre fois. Ou un autre monde. Seul le « musée agricole » du château accueille les curieux de passage. Entre deux portraits de Pound et un laïus filmé de l’auteur des Cantos, des faucilles trônent sans marteau, quelques animaux de basse-cour vocifèrent sous l’orage. On pourrait trouver loufoque la visite d’un musée agricole Pound : pourquoi pas une maison de l’armée d’Annunzio ou un cabinet d’anatomie Louis-Ferdinand Céline ?

    Ce serait oublier que le touche-à-tout Pound liait culture et agriculture : sans exploitation raisonnée de la terre, une civilisation voue arts et lettres aux oubliettes. Comme pour nous le rappeler, retentit la voix du vieux sage qui avait conseillé à Mussolini de développer la culture du soja pour rassasier les Italiens. Le Duce l’avait cru fou. Là est le drame des génies qui s’abîment en politique.

    Souvenirs d’enfance

    Plonger dans Discrétions – Ezra Pound éducateur et père (Pierre-Guillaume de Roux, 2017) que Claire Vajou a traduit de l’anglais, nous ramène aux premières années de Mary de Rachewiltz, bien avant qu’elle et son mari hobereau n’investissent ce château abandonné. Ses souvenirs s’enracinent dans ce cher Tyrol, objet d’un marchandage entre Hitler et Mussolini dans les années 1930 : au Reich les irréductibles germanophones poussés à l’exil, à l’Italie fasciste les Tyroliens qu’il s’agira d’italianiser par la force. Fille adultérine d’artistes américains, la petite Mary se retrouve confiée aux paysans tyroliens qu’elle surnomme affectueusement Mamme et Tatte. Lectrice du Journal d’un fermier de Robert Duncan, Mary de Rachewiltz a très tôt acquis le goût de la ferme en même temps qu’elle a su faire fructifier l’immense legs culturel paternel.

    Domicilié à Rapallo, l’homme marié Pound passe avec Olga la voir une ou deux fois l’an, tant et si bien que leur fille apprend le patois tyrolien avant l’anglais et l’italien. Grâces soient d’ailleurs rendues à Danièle Dubois qui a su restituer les passages en tyrolien du roman d’aventure champêtre que fut l’enfance de l’auteur. Pendant que son père (Babbo) versifiait et que sa mère (Mamile) redonnait vie aux partitions oubliées de Vivaldi, Mary découvrait ingénument la vie parmi les paysans, l’école, l’église du village. C’est d’ailleurs avec ses parents de lait que Mary expérimente intuitivement l’antifascisme : fervents nationalistes tyroliens, attachés à la préservation de leur culture que l’idéologie mussolinienne entendait éradiquer, les habitants du cru prennent appui sur l’église et les fêtes folkloriques pour s’affranchir des pesanteurs jacobines. Traquant le parler germanophone jusque dans les foyers, les miliciens fascistes italiens doivent céder le pas lorsque les prêtres officient…

    Une vie dans les Cantos

    Dès son adolescence, Mary s’est immergée dans les Cantos, l’opus magnum qu’Ezra Pound a composé durant des décennies. La destinée dramatique de son père se confond avec cette grandiose aventure littéraire qui a réconcilié Mary avec le verbe anglo-saxon. En éducateur aussi bienveillant que rigoureux, Pound exhorte sa fille à traduire ses vers en italiens. La novice peine à la tâche mais progresse continuellement, encouragée par l’opiniâtreté paternelle. « Plus je me plongeais dans les Cantos, plus j’étais avide d’élargir mes connaissances » se souvient Rachewiltz. Avec les Cantos, une véritable forêt née de l’extraordinaire érudition poundienne prend vie; quel autre versificateur connaît à la fois la langue d’Oc des troubadours et les questions monétaires ?

    Discrétions est truffé de passages des Cantos que la fille de l’auteur resitue dans leur contexte, dévoilant ainsi leur signification cachée sans déflorer leur mystère poétique. Entre les lignes, Mary confie au lecteur sa frustration d’enfant ignorée de sa mère. Sans que l’on puisse tenir rigueur à Olga d’avoir négligée sa fille, on se figure rapidement que les deux femmes n’ont jamais rien eu à se dire. Il y a presque du Jules et Jim dans le ménage à trois que Babbo et Mamile, la maîtresse quasi-officielle, ont formé avec Dorothy Pound, l’épouse légitime et mère d’Omar, que Mary rencontrera au début de ses années de plomb.

    Le dernier Américain à vivre la tragédie de l’Europe

    Car Ezra Pound a prêché en vain la paix entre les nations. Sur Radio Rome, dans un sabir anglo-italien que certains transalpins peinaient à comprendre, le poète appelait à éviter les hostilités, à la manière du Jünger de La Paix (1940) méprisant les « lémures » totalitaires. De ses imprécations contre la finance, on ne retient hélas que le fumet superficiellement antisémite et le ralliement formel aux puissances de l’Axe.

    En vérité, Pound fut traité en paria dès l’agonie du régime fasciste, qui connaîtra ses derniers sursauts du  25 juillet 1943 (déposition de Mussolini) au 28 avril 1945 (pendaison du Duce). Entre ces deux dates, dans le nord de l’Italie, la République de Salò s’est faussement employée à raviver les premiers feux du fascisme social, les tankers et la répression nazis en plus. « Son expression « le dernier Américain à vivre la tragédie de l’Europe dit bien cela; il était de plus en plus « la fourmi solitaire » qui luttait pour préserver ses idées et sa vision du monde – en écoutant le son d’un autre tambour, relate Mary.

    Folle traversée de l’Italie occupée

    Lorsque la guerre semble définitivement perdue pour l’Italie, Mary engage une folle traversée de la botte occupée de part en part par les Allemands et les Anglo-Américains. Officiant un temps comme infirmière dans les hôpitaux allemands, elle voit les boys américains accueillis à bras ouverts par les Tyroliens. « Ils avaient beau se considérer comme nazis, c’étaient les Américains qu’ils admiraient » en ce qu’ils mettraient fin à vingt ans d’impérialisme culturel italien ! Des Alpes à Rapallo, elle part à la recherche de son père, arrêté comme un malpropre sans même avoir droit à une parodie de procès. Quelques années plus tôt, Babbo enseignait à sa fille pensionnaire d’un collège catholique le respect de Église et de l’autorité, la frugalité en toutes circonstances. Oubliée sa vie simple et authentiquement épicurienne à Rapallo ou Venise, le vieux Pound sera humilié à Pise puis aux États-Unis durant plus d’une dizaine d’années de détention. Il ne sera finalement libéré qu’en 1958, notamment grâce aux efforts acharnés de Mary pour plaider sa cause.

    Et Babbo se tut

    Ce destin tragique donne à Discrétions ses pages les plus bouleversantes. Car si sa famille se félicite de le voir enfin libre, le patriarche Pound se mure alors dans le silence, étranglé par le sentiment d’avoir tout raté.

    Ce père qui ne parle plus inspire à Mary des lignes poignantes face à un Babbo mutique, aphasique, mélancolique, atteint par cette maladie de rois espagnols qui vous glace le sang. Peu de mages le sortiront provisoirement de cette gangue, sinon peut-être l’éditeur Dominique de Roux qui l’invitera à Paris pour le rééditer. Le créateur des Cahiers de l’Herne nouera des liens indéfectibles avec le clan Pound, dont Discrétions est l’ultime surgeon, publié par son fils Pierre-Guillaume.

    Sa prison intérieure poursuit Pound jusqu’à sa dernière note, qu’il émettra en 1972 au terme d’une vie d’avant-garde. L’ami d’Hemingway, de Wyndham Lewis et de William Yeats a rejoint le paradis des poètes. Sa réhabilitation doit beaucoup à sa fille Mary – auquel un fameux poète a un jour lancé « vous vivez dans les Cantos » tant ce chef d’œuvre l’a habitée…

    Dans une langue sensible et lumineuse, Mary de Rachewiltz ressuscite son génie de père écrivant au fond de sa cage pisane:

     « The loneliness of death came upon me

    (at 3 PM for an instant)

    ….

    When the wind swings by a grass-blade

    an ant’s forefoot shall save you… »

     

    La solitude de la mort est tombée sur moi             

    (à 3 heures de l’après-midi pour un instant)

    Quand l’esprit vacille en présence de la lame d’un brin

    d’herbe

    la patte antérieure d’une fourmi te sauve… » (Cantos 82 et 83)

    Yeats nous avait prévenus : une terrible beauté est née. Et ne mourra jamais.   

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    Discrétions – Ezra Pound éducateur et père (Pierre-Guillaume de Roux, 2017) 22 €

    Daoud Boughezala

  • Famille de France & Patrimoine • Promenade au Domaine royal de Dreux

     

    Ce dimanche [13 août], notre ami François De Rolleboise était au Domaine royal de Dreux ; la résidence officielle de l’héritier de la Maison Royale de France, le Prince Jean de France ; pour une petite séance photo consacrée au Domaine royal.

    Le prince Jean et la princesse Philomena ont emménagé au Domaine Royal en mars 2011. Depuis, le parc de trois hectares est un terrain de jeu idéal pour le prince Gaston, la princesse Antoinette, la princesse Louise-Marguerite et leur petit-frère le jeune prince Joseph. Le duc de Vendôme quant à lui a installé son bureau dans une tour de la demeure et la princesse Philomena qui apprécie sa vie au Domaine royal de Dreux, est fortement engagée au sein de la vie associative locale. Aujourd’hui visitons donc ensemble le Domaine royal de Dreux…

     

    Si le Domaine royal de Dreux est aujourd’hui la résidence officielle de l’héritier de la Maison Royale de France, le domaine, est certainement depuis le XIXe siècle  le Domaine royal le plus intimement attaché à l’Histoire politique et dynastique des Princes d’Orléans.

    L’Histoire du Domaine Royal de Dreux

    Le comté de Dreux, situé à la frontière du duché de Normandie, est rattaché au domaine royal en 1023. Le roi Louis VII donne en 1137 le comté de Dreux en apanage à son frère Robert. Ses descendants vont posséder ce fief durant deux siècles et demi. Un château fut édifié au XIIIe siècle. On peut voir encore certains vestiges du château-fort de Dreux tels que les murailles et quatre grosses tours rondes.  À l’avènement d’Henri IV, la place de Dreux rejoint le camp des ligueurs catholiques qui s’opposent au nouveau roi. Assiégée par Henri IV en 1590, la forteresse doit se rendre en 1593 après un siège mené par Sully. Le domaine de Dreux abandonné sombre dans l’oubli et tombe en ruine. En 1775, Louis XVI cède le comté de Dreux à son cousin le duc de Penthièvre, Gouverneur de Bretagne et Grand Amiral. Après le décès du prince en 1793 en son château de Bizy, le château de Dreux est mis sous séquestre puis vendu aux enchères à un marchand de bois.

    Au retour des Bourbons, la duchesse d’Orléans, fille du duc de Penthièvre   rachète le domaine et décide d’y faire bâtir une chapelle. La duchesse douairière d’Orléans  souhaite donner une sépulture décente aux morts de sa famille. Elle  choisit l’architecte parisien Claude-Philippe Cramail pour l’édification d’une chapelle funéraire de style classique en forme de croix grecque avec une rotonde surmontée d’une coupole. La duchesse d’Orléans décède en 1821 avant l’achèvement de la chapelle. Son fils Louis-Philippe termine l’édifice qui fut béni l’année suivante en 1822. Louis-Philippe, devenu roi des Français en 1830 décide de faire de cette chapelle le lieu de sépulture des princes de la Maison d’Orléans. Le roi agrandit la chapelle dans un style néo-gothique en vogue à l’époque. L’édifice est terminé en 1844. Louis-Philippe d’Orléans (1979-1980), fils du feu prince Thibaut, comte de La Marche est le représentant de la huitième génération de princes d’Orléans qui reposent dans la chapelle royale. Un élégant pavillon à tourelles fut bâti en 1844 par Louis-Philippe dans le parc de la chapelle royale pour servir de logement à Mgr Guillon, doyen des Aumôniers. Ce bâtiment, appelé encore de nos jours l’Évêché, sert de lieu de réception pour la famille de France après les cérémonies célébrées à la chapelle royale Saint Louis. Les cercueils du comte et de la comtesse de Paris défunts furent exposés dans le salon principal de l’Évêché pour recevoir les visites des fidèles et amis de la famille royale les jours précédents les obsèques des princes. Un autre bâtiment est accolé à l’Évêché. Il s’agit d’une ancienne maison en calcaire et briques rouges surmontée d’un toit à deux pentes et à pan coupé aux extrémités. Cette maison est aujourd’hui la demeure privée du duc et de la duchesse de Vendôme et de leurs enfants. Cette demeure bénéficie d’une vue magnifique sur la ville de Dreux. Cette maison a vu naitre le 7 septembre 1726, Francois-André Danican Philidor, un célèbre compositeur issu d’une dynastie de musiciens et théoricien du jeu des échecs.  •

    Source : La Couronne

  • Société • Marin de Viry : « Comment le tourisme de masse a tué le voyage »

     

    Entretien par Eugénie Bastié 

    Du tour d'Italie de Lamartine au Club Med, Marin de Viry, auteur de l'essai Tous touristes, nous raconte l'avènement du tourisme de masse et comment celui-ci, en tuant la possibilité d'un ailleurs, a rendu le voyage impossible. Une réflexion particulièrement fine et opportune en cet été tragique [Figarovox, 17.08]. Y compris pour le tourisme de masse ...  LFAR 

     

    974767902.jpgVous écrivez dans Tous touristes : « Si le monde est un vaste dance floor sans frontières, quel sens a le mot tourisme ? ». Pouvez-vous expliquer ce paradoxe ? La mondialisation, en tuant la possibilité d'un « ailleurs » par l'uniformisation du monde, aurait-elle tué le tourisme ?

    Le tourisme n'a plus rien à voir avec ses racines. Quand il est né au XVIIIe siècle, c'était l'expérience personnelle d'un homme de « condition », un voyage initiatique au cours duquel il devait confronter son honneur - c'est-à-dire le petit nombre de principes qui lui avaient été inculqués - à des mondes qui n'étaient pas les siens. Il s'agissait de voir justement si ces principes résisteraient, s'ils étaient universels. Un moyen d'atteindre l'âge d'homme, en somme. Le voyage, c'était alors le risque, les accidents, les rencontres, les sidérations, autant de modalités d'un choc attendu, espéré, entre le spectacle du monde et la façon dont l'individu avait conçu ce monde à l'intérieur de sa culture originelle. Au XIXe, tout change : le bourgeois veut se raccrocher à l'aristocrate du XVIIIe à travers le voyage, qui devient alors une forme de mimétisme statutaire. Le bourgeois du XIXe siècle voyage pour pouvoir dire « j'y étais ». C'est ce qui fait dire à Flaubert lorsqu'il voyage avec Maxime Du Camp en Égypte : mais qu'est-ce que je fais ici ? - C'est-à-dire qu'est-ce que je fais à me prendre pour un aristocrate du XVIIIe siècle ? Avec l'époque contemporaine, on a une totale rupture du tourisme avec ses racines intellectuelles. Même chez ceux qui aujourd'hui veulent renouer avec le voyage, pour s'opposer au tourisme de masse, il n'y a plus de profonde résonance, de profond besoin, car le monde est connu, et le perfectionnement de leur personne ne passe plus forcément par le voyage. Là où le voyage était un besoin, au XVIIIe, pour devenir un homme, se former, parachever son âme et son intelligence, il devient quelque chose de statutaire au XIXe, puis une simple façon de « s'éclater » aujourd'hui. C'est devenu une modalité de la fête permanente, laquelle est devenue banale. Le monde est ennuyeux parce qu'il est le réceptacle de la fête, devenue banale. Solution : il faut « rebanaliser » le monde et débanaliser la fête.

    Dans notre monde globalisé, est-il encore possible de voyager ?

    Toute la question est de savoir s'il reste des destinations ouvertes à la curiosité. Or, plus elles sont organisées, balisées par le marketing touristique de la destination, moins elles sont ouvertes à la curiosité. L'exemple du musée Guggenheim à Venise est éclairant. Je l'ai connu avant qu'il ne soit aseptisé, on avait l'impression de visiter en catimini une maison privée, comme si Peggy Guggenheim l'avait quitté la veille, c'est tout juste s'il n'y avait pas un œuf à la coque encore tiède dans la salle à manger. Dans sa version actuelle, avec des faux plafonds traités par des architectes néo-suédois et une signalétique d'aéroport, la curiosité ne fonctionne plus. Ce qui fait qu'on articule ce qu'on est avec ce qu'on voit, c'est que ce que l'on voit n'est pas préparé, organisé de façon à produire une impression prédéterminée. De la même manière dans les musées, les panneaux explicatifs à côté des œuvres ont pris une importance incroyable. Il est devenu impossible d'avoir un regard spontané, vierge, ouvert sur les œuvres, bref de les regarder vraiment, en prenant le risque d'être désorienté et renvoyé à son absence de culture.

    Les dispositifs marketing et commerciaux des destinations ont tué toute possibilité de l'ailleurs, toute curiosité. Pour être un touriste authentique, désormais, c'est dans le quotidien, dans la banalité du réel, qu'il faut se promener. Pour être dépaysé, il faut aller visiter la réalité, des usines, des champs, des bureaux. Le tertiaire marchand est devenu authentiquement exotique. D'une façon générale, le monde réel est plus exotique que le monde touristique définitivement balisé.

    Cette perte de sens n'est-elle pas due tout simplement à la démocratisation du voyage et à l'avènement du tourisme de masse qui fait perdre toute prétention intellectuelle au voyage ?

    Je vais être néo-marxiste, mais je crois que c'est le salariat, plus que la démocratisation, qui change tout. Les congés payés font partie du deal entre celui qui a besoin de la force de travail et celui qui la fournit. À quoi s'ajoute la festivisation, qui est d'abord la haine de la vie quotidienne. Et il est convenu que la destination doit être la plus exotique possible, car la banalité de la vie quotidienne, du travail, est à fuir absolument. Au fur et à mesure de l'expansion du monde occidental, la fête se substitue à la banalité, et la banalité devient un repoussoir. Il n'y a pas d'idée plus hostile à la modernité que le pain quotidien.

    Autour de ce deal s'organise une industrie qui prend les gens comme ils sont, individualisés, atomisés, incultes, pas curieux, désirant vivre dans le régime de la distraction, au sens pascalien du terme, c'est-à-dire le désir d'être hors de soi. Le tourisme contemporain est l'accomplissement du divertissement pascalien, c'est-à-dire le désir d'être hors de soi plutôt que celui de s'accomplir. Promener sa Game boy à 10 000 kilomètres de la maison, si ce n'est pas s'oublier, qu'est-ce c'est ?

    Où, quand et par qui est inventé le tourisme de masse ?

    C'est Thomas Cook qui invente le tourisme de masse. Cet entrepreneur de confession baptiste organise, en juillet 1841 le premier voyage collectif en train, à un shilling par tête de Leiceister à Loughborough, pour 500 militants d'une ligue de vertu antialcoolique. C'est la première fois qu'on rassemble des gens dans une gare, qu'on les compte, qu'on vérifie s'ils sont bien sur la liste, qu'on déroule un programme. Les racines religieuses puritaines ne sont pas anodines. Il y a comme un air de pèlerinage, de communion collective, dans le tourisme de masse. Le tourisme est très religieux. Et il y a en effet quelque chose de sacré au fait de pouvoir disposer de la géographie du monde pour sortir de soi. S'éclater à Cuba, c'est une messe !

    Vous essayez dans votre livre de ne pas tomber dans la facilité qui consiste à opposer « bons » et « mauvais touristes », les ploucs contre Paul Morand, les touristes sexuels de Houellebecq contre les voyages de Stendhal. Est-ce à dire pour autant qu'il n'y a pas de bons touristes ?

    Les poulets de batterie, je veux dire les touristes de masse, ont une âme. Faire une distinction entre un globe-trotter qui fait du « tourisme éthique » et un hollandais en surcharge pondérale et en tongs qui ahane à Venise, c'est d'une goujaterie incroyable vis-à-vis du genre humain. C'est pourquoi je déteste le livre Venises de Paul Morand : c'est un bourgeois du XIXe qui essaie d'imiter l'aristocrate du XVIIIe en crachant sur le peuple du XXe, alors qu'il est moralement inférieur à lui.

    Comme l'homo « festivus festivus » décrit par Muray, qui « festive qu'il festive » et « s'éclate de s'éclater » le touriste moderne se regarde voyager, et il ne semble voyager que pour vérifier que ce qu'il a lu dans son guide est bien réel et pour « prendre des photos ». Que vous inspire cette dimension spectaculaire du tourisme ?

    Nous sommes dans la culture de l'éclate, de la distraction permanente, sans aucune possibilité de retour sur soi. Le monde moderne est une « conspiration contre toute espèce de vie intérieure », écrivait Bernanos. Je crois que le tourisme est une des modalités de destruction de la vie intérieure.

    Prenons l'exemple du « syndrome de Stendhal ». Stendhal s'est senti mal à force de voir trop de belles choses à Rome et à Florence. Trop de beauté crée un état de sidération, puis de délire confusionnel : en Italie, on est souvent submergé par le superflu. C'est l'expérience limite de la vie intérieure : la beauté vous fait perdre la raison. C'est exactement le contraire que vise l'industrie touristique, qui cherche à vendre la beauté par appartements, en petites doses sécables d'effusions esthétiques marchandisées. Elle ne veut pas que ses clients abdiquent leur raison devant la beauté, mais qu'ils payent pour le plaisir. Immense différence.

    Pourquoi faites-vous du romantisme le terreau idéologique du tourisme tel qu'il est pratiqué aujourd'hui ?

    Lamartine écrit Graziella en 1852. C'est l'histoire du tour en Italie complètement raté d'un jeune aristo français. Quand un jeune homme du XVIIIe siècle (car Lamartine appartient encore au XVIIIe, ou en tout cas le voudrait) va tester son honneur de par le monde pour le renforcer, il doit en revenir plus fort, raffermi dans ses principes. Mais Lamartine tombe amoureux d'une jeune fille de 16 ans en Sicile, qu'il n'a pas le courage d'épouser pour des raisons sociales, car elle est fille de pêcheur, et lui d'un comte. Lamartine revient à la niche à l'appel de sa mère et Graziella meurt de chagrin. Le romantisme, c'est l'histoire d'un voyage raté. L'ailleurs devient le lieu, où, au lieu de se trouver, on se perd. L'expérience de la découverte de soi dans le voyage devient une expérience malheureuse. Donc, il faut se venger du voyage en lui interdisant de devenir une expérience intérieure. Les générations suivantes ont parfaitement compris le message.

    Dans La Carte et le territoire, Michel Houellebecq décrit une France muséale, paradis touristique, vaste hôtel pour touristes chinois. Est-ce là le destin de la France ?

    Dans un éditorial, Jacques Julliard écrivait que la France avait 60% de chances de finir dans un scénario à la Houellebecq, 30% de chances de terminer selon le scénario de Baverez, et 10% de chances de finir autrement. Je ne suis pas totalement dégoûté par le scénario de Houellebecq. C'est une France apaisée, bucolique. On retournerait tous à la campagne pour accueillir des cohortes d'Asiatiques et de Californiens. On leur expliquerait ce qu'est une église romane, une cathédrale, une mairie de la IIIème République, un beffroi. Ce serait abandonner notre destin pour se lover dans un scénario tendanciel dégradé mais agréablement aménagé, et nous deviendrions un pays vitrifié plutôt qu'un pays vivant. Nous aurions été détruits par la mondialisation, mais notre capital culturel nous sauverait de l'humiliation totale : on nous garantirait des places de médiateurs culturels sur le marché mondial. Si on pense que Dieu n'a pas voulu la France, ou que l'histoire n'a pas besoin de nous, on peut trouver ça acceptable.   

    Marin de Viry est écrivain et critique littéraire. Il est l'auteur d'un essai sur le tourisme de masse: Tous touristes (Café Voltaire, Flammarion, 2010). Il a publié récemment Un roi immédiatement aux Éditions Pierre-Guillaume de Roux.

    Cet entretien est une rediffusion.

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    Eugénie Bastié

    Journaliste & essayiste - Sa biographie

    A lire aussi dans Lafautearousseau ...

    « Un roi immédiatement » ... Un livre dont on parle déjà beaucoup, dont on reparlera

    « Un roi immédiatement » ... Un livre dont on parle déjà beaucoup : réactions dans les commentaires ...

    Et si, pour redresser la France, on restaurait la monarchie ? C'est sur Boulevard Voltaire que la question a été posée

    Entretien • Marin de Viry : « Le roi, c’est la France telle que l’éternité l’a voulue »

  • Mitterrand à Péroncel-Hugoz : « Vos articles sont plus que des articles ... L'ensemble constitue une œuvre »

     spécial péroncel-hugoz.jpg« Réponses de Péroncel-Hugoz au mensuel islamo-gauchiste marocain DIN WA DUNIA (RELIGION ET MONDE) ».

    C'est sous cet objet que notre confrère nous a transmis par courriel du 8 août le texte qu'on va lire, en posant la question suivante : « Cet entretien paru ce jour à Casa peut intéresser Lafautearousseau, non ? »

    Et comment ! L'entretien est passionnant, d'une dialectique sûre ; des choses essentielles y sont dites : sur l'Islam et sur le terrorisme, sur l'état des sociétés occidentales, sur la démocratie, sur ce que Péroncel-Hugoz appelle le « match République - Royauté ». Car pour lui, comme pour nous, la partie n'est pas terminée.

    S'ajoutent à cet entretien quelques explications notamment historiques et biographiques sur Mohammédia où Péroncel-Hugoz réside lorsqu'il est au Maroc ; ainsi qu'une note bibliographique sur ses divers ouvrages ou ceux qui ont été publiés sous sa direction. Notamment, son Rois de France d'Honoré de Balzac, qui vient d'être réédité au Maroc à son initiative. 

    Reste que le jeudi est le jour où nous publions des passages inédits du Journal d'un royaliste français au Maroc que tient Péroncel-Hugoz. Nous n'avons pas dérogé à la règle.

    De sorte que Lafautearousseau vous offre aujourd'hui une journée Spécial Péroncel-Hugoz. Et c'est très bien.  

    Lorsqu'il est entré - en 1983 - dans l'ordre de la Légion d'honneur, en qualité de chevalier, pour « 28 ans d'activités professionnelles et de services militaires », cette décoration lui a été remise à l'Élysée par le président François Mitterrand qui lui a déclaré à cette occasion : « Vos articles, qui sont plus que des articles, donnent motifs à réflexion, articles dont l'ensemble constitue une œuvre ».  

  • Quelques-unes des publications de Péroncel-Hugoz ...

    Le Radeau de Mahomet publié en 1983 

     

    livres.jpgLe Radeau de Mahomet, Lieu commun, Paris, 1983.

    Assassinat d'un poète (Jean Sénac), Jeanne Laffitte, Marseille, 1983.

    Une croix sur le Liban, Lieu commun, Paris, 1984 (Prix France-Liban).

    Le Fil rouge portugais : voyages à travers les continents, Bartillat, Paris, 2002.

    Benslimane (Maroc), La Croisée-des-Chemins, Casablanca, 2010.

    Le Maroc par le petit bout de la lorgnette, Atelier Fol'Fer, coll.

    « Xénophon », Anet, 2010. Deuxième édition sous le titre 2000 ans

    d'histoires marocaines chez Casa-Express Éditions, Rabat-Paris, 2014.

    Sous sa direction notamment :

    Lettres marocaines et autres écrits de Louis Hubert Lyautey, Bibliothèque arabo-berbère, Casablanca, 2010.

    Rois de France (1837) d'Honoré de Balzac, Afrique Orient, Casablanca, 2017 *.

    Gabriel Dardaud, Trente ans au bord du Nil. Un journaliste dans l'Égypte des derniers rois, Lieu commun, Paris, 1987.

    Malek Chebel, Histoire de la circoncision des origines à nos jours, Le Nadir/Ballant, Paris, 1992.  •

     

    * A NOTER QUE DESORMAIS ROIS DE FRANCE DE BALZAC EST DIFFUSE PAR LA LIBRAIRIE GALLIMARD DE PARIS ET PEUT NOTAMMENT Y ETRE ACHETE EN LIGNE

  • 15 août 2017, « Jour de la vierge » de Salvador Dali

     

    « La Madone de Port Lligat », 1947

    Salvador Dali [1904-1989]

  • Histoire • « Secrets d’Histoire » sur le Régent Philippe d’Orléans

     

    Jeudi 10 août 2017, l’émission « Secrets d’Histoire » sur France 2  était consacrée au Régent Philippe d’Orléans, petit-fils de Louis XIII, neveu de Louis XIV et cousin du futur Louis XV, sur lequel il veilla jusqu’à ses 14 ans. Le régent Philippe d’Orléans fut bien davantage que le débauché oisif et superficiel de la légende. « Secrets d’Histoire » présente un prince étonnamment moderne et pragmatique.  

     

    Source La Couronne

  • Cinéma • Okja et War Machine, deux productions Netflix à découvrir

     

    Par Francis Venciton

    Parmi les films produits par Netflix, Okja s’attaque à l’industrie agro-alimentaire, tandis que War Machine critique les interventions militaires de l’Occident et la stratégie de contre-insurrection.

     

    2355668558.JPGAu printemps dernier, un film a suscité la polémique au festival de Cannes : réalisé par Joon-Ho Bong, un cinéaste coréen reconnu, Okja a été produit par Netflix, la plate-forme de vidéos à la demande ; alors qu’il ne sortira pas en salle, sa présentation dans un temple du cinéma d’auteur a fait grincer des dents… Ce film est un conte. L’on y suit les aventures d’une jeune fille, Mija, qui tente de sauver un cochon génétiquement modifié, Okja, confié à son grand-père censé l’élever dans un objectif de marketing. C’est d’abord une attaque féroce contre l’industrie agro-alimentaire et son lobbying. Cependant, ce film ne se limite pas à opposer gentils écologistes et méchants capitalistes. Que font les écolos ? Du spectacle, incapables de proposer une alternative, grevés de paradoxes : ne cessant de dire qu’ils ne veulent pas être violents, ils le sont dans les faits ; un militant mange au minimum pour réduire son empreinte carbone alors même qu’il prend des bus et des avions. Leurs triomphe ? Un happening qui n’entrave pas la machine à produire.

    Les deux visages du capitalisme

    Les capitalistes sont traversés eux-aussi par des ambiguïtés. La société Mirando, créatrice d’Okja, est tiraillée par une opposition entre deux sœurs jumelles : l’une, soucieuse de communication, attifée de tenues rose bonbon, est toujours soucieuse d’être aimée ; l’autre, aux allures thatcheriennes, assume sa part de brutalité. La face du capitalisme qu’incarne la seconde semble répugnante, mais elle est préférable à l’autre. Pourquoi ? Parce cette figure-là de capitalisme, soumise au calcul, est raisonnable. Elle rend possible la résolution des problèmes, la substitution d’un produit à un autre. Contrairement au capitalisme de séduction, pour lequel Okja est cette créature paradoxale que l’on cherche à s’approprier parce qu’elle a acquis une singularité. Tous ces aspects de la société du spectacle sont confrontés à l’authenticité des relations humaines, notamment l’inscription respectueuse de l’homme dans la nature. Les montagnes édéniques de la Corée sont un espace de liberté. Pour combien de temps encore ? Le film laisse cette question en suspens. Là où Snowpiercer, du même réalisateur, s’égarait, Okja s’avère cohérent sans rien perdre en style. Fort de sa subtilité critique et de la diversité des genres qu’il aborde, c’est un film qui mérite d’être vu.

    Autre production Netflix : War Machine, réalisé par David Michôd, d’après The Operators de Michael Hastings, où Brad Pitt officie en tant qu’acteur et producteur. Ce film raconte comment le général Glen McMahon dirige la coalition internationale en Afghanistan avant de tomber à cause d’un article. Ce récit bourré d’ironie raconte en fait l’histoire vraie du général McChrystal, mais c’est aussi une explication du principe de contre-insurrection et du problème de l’interventionnisme. La contre-insurrection, ou guerre contre-révolutionnaire, théorisée dans une littérature d’origine française née durant la guerre d’Algérie, vise à retourner les populations contre les terroristes en donnant la priorité à la protection des civils. Elle a mauvaise presse en raison de son application en Amérique du Sud et des atteintes aux droits de l’homme ayant accompagné sa mise en œuvre. Le film ne prend jamais réellement au sérieux ce corpus doctrinal en insistant sur le fait que la guerre menée ici ne peut pas être gagnée. Curieusement, c’est une critique des “croyants” (believer) dans le milieu militaire. Mais tout officier ne se doit-il pas d’avoir la foi ?

    Achille en Afghanistan

    War Machine a été critiqué pour avoir mêlé l’humour au drame. Or la guerre est dramatique, absurde, et par là elle se prête au rire. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire les témoignages de Céline sur la Grande Guerre. Ce film, parce qu’il accepte cette dualité, n’est donc pas une copie de MASH. Cela se traduit dans la personnalité du héros : c’est un Achille, un bloc de marbre tombé dans la médiocrité contemporaine ; il est le seul personnage sérieux, avec les victimes de la guerre, face à des gens qui ne la comprennent plus, qu’il s’agisse des administratifs coupés des réalités ou des soldats shootés à l’adrénaline. Si ce film n’était pas resté collé à un certain “politiquement correct” de gauchiste émotif, il aurait pu développer une vraie critique de cet État démocratique qui mène des guerres à l’étranger sans intelligence. Intriguant, War Machine ne se montre pas aussi malin qu’il devrait l’être malgré de grandes et belles fulgurances. Dommage. 

     

  • GONZAGUE SAINT BRIS, C’ÉTAIT QUAND MÊME QUELQU’UN !

     

    Par Nicolas Gauthier
     
    C’était un aristocrate selon mon goût, c’est-à-dire passablement fêlé de la théière, accroché au château de ses ancêtres comme une bernique à son rocher  (Repris de Boulevard Voltaire - 10.08 - cet excellent article pour saluer Saint-Bris).

    24ec62c3705f165c45cada17f039cf3b.pngGonzague Saint Bris n’est plus. Ce mardi, il s’est tué en voiture, contre un arbre. Triste journée, car moi, j’aimais bien Gonzague Saint Bris. C’était un aristocrate selon mon goût, c’est-à-dire passablement fêlé de la théière, accroché au château de ses ancêtres comme une bernique à son rocher. Mais aussi capable de consacrer un livre à Michael Jackson tout en traversant les Alpes à dos de mulet, en hommage à Léonard de Vinci et son périple jadis effectué pour répondre à la très royale invitation de François Ier.

    Écrivain, essayiste, homme de presse et de radio, éphémère chargé de mission au ministère de la Culture, de 1986 à 1988, Gonzague Saint Bris était aussi conseiller municipal de Loches (ville rendue fameuse par « Les Grosses Têtes » et la non moins célèbre madame Bellepaire), tant il était viscéralement attaché à sa Touraine natale. En 1978, il fonde le mouvement des Nouveaux Romantiques, petit souffle d’air frais en ces temps de technocratie giscardienne triomphante, avec des camarades à peu près aussi ébouriffés que lui, quoique à demi-chauves pour la plupart : Patrick Poivre d’Arvor, Francis Huster, Étienne Roda-Gil, Frédéric Mitterrand et Brice Lalonde.

    Tout cela ne mène évidemment pas à grand-chose, on s’en doute. Même pas à une intronisation par trois fois repoussée à l’Académie française. Dommage pour cet auteur prolifique – une cinquantaine d’ouvrages au compteur, ce n’est pas rien – qui, en 2016, reçoit le prix Hugues-Capet pour l’ensemble de son œuvre. Juste réparation pour cet homme qui, à l’instar d’un Max Gallo, ne fut jamais véritablement accepté par la communauté très fermée des historiens « officiels » ; un peu comme un Stéphane Bern ou un Lorànt Deutsch. Historiens du dimanche ? Pas du tout, ces personnes ayant le don de populariser l’Histoire de France à heures de grande écoute télévisuelle et de la vulgariser de la manière la plus intelligente qui soit.

    Certes, ils vont droit à l’essentiel, résument plutôt que de se perdre dans les détails, ne prétendent pas au savoir universel, mais commettent finalement moins d’erreurs factuelles que nombre de leurs confrères universitaires. C’est l’école Alain Decaux, qui fut à l’Histoire ce que Jean Vilar était au théâtre : tous pour la culture et, surtout, la culture pour tous ! Il était donc logique qu’un Stéphane Bern salue la mémoire de son illustre devancier en la matière.

    Non content d’être un passeur, Gonzague Saint Bris était, de plus, un homme exquis. Je me souviens de lui, au début des années 1990. Je travaillais à l’hebdomadaire Minute. Entre première guerre du Golfe et psychose collective de la profanation du cimetière de Carpentras, l’ambiance était, comment dire, des plus chaudes… Désireux de m’entretenir avec le bonhomme, je finis par dénicher son numéro de téléphone personnel. Et là, je cite de mémoire :

    – Allo, Gonzague Saint Bris ? Nicolas Gauthier, de Minute ! Ce serait pour une interview…
    – 
    Minute ? Quelle bonne surprise ! Inattendue, surtout…
    – Ça ne vous dérange pas de me parler ?
    – Et pourquoi donc, je vous prie ? Je lis souvent votre journal, fort bien écrit au demeurant…
    – C’est un compliment ?
    – Tout à fait, et dit sans malice…

    La vérité m’oblige à dire que je ne me souviens plus très bien de la suite, si ce n’est que nous avions parlé de la France et de son histoire. La première, il en était éperdument amoureux. La seconde, il déplorait que son enseignement, dispensé à des têtes de moins en moins blondes, devienne peu à peu passé en pertes et profits.

    À l’époque sévissait un autre chevelu à chemise blanche au col perpétuellement ouvert été comme hiver – Bernard-Henri Lévy. Qu’il me soit permis, en termes de look, de gentillesse et d’intelligence, de préférer celui-ci à celui-là.

    Sacré Gonzague !  

     
    Journaliste, écrivain
  • Humour • Michel Audiard, Cultissime !

     

    michel-audiard.jpgAudiar  ... À relire sans modération ! Malgré l'avalanche de paroles grossières, supportables en raison des vérités qu'elles expriment et du rire que, malgré tout, elles suscitent ...    

     

    - « On est gouvernés par des lascars qui fixent le prix de la betterave et qui ne sauraient pas faire pousser des radis. »

     

    - « Si on mettait un point rouge sur la tête de tous les cons, le monde ressemblerait à un champ de coquelicots ! »

     

    > - « Moi, les dingues, j'les soigne, j'm'en vais lui faire une ordonnance, et une sévère, j'vais lui montrer qui c'est Raoul. Aux quatre coins d'Paris qu'on va l'retrouver, éparpillé par petits bouts,   façon puzzle... Moi, quand on m'en fait trop, j'correctionne plus, j'dynamite, j'disperse, j'ventile. »

     

    - « Les cons ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît. » (Les tontons flingueurs)

     

    - « Les ordres sont les suivants : on courtise, on séduit, on enlève et en cas d'urgence on épouse. » (Les barbouzes)

     

    - « Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, ceux de 60 kilos les écoutent. » (100 000 dollars au soleil)

     

    - « La tête dure et la fesse molle, le contraire de ce que j'aime. » (Comment réussir quand on est con et pleurnichard)

     

    - « Un pigeon, c'est plus con qu'un dauphin, d'accord, mais ça vole. » (Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages)

     

    - « Mais pourquoi j'm'énerverais ? Monsieur joue les lointains ! D'ailleurs je peux très bien lui claquer la gueule sans m'énerver ! » (Le cave se rebiffe)

     

    - « Quand on mettra les cons sur orbite, t'as pas fini de tourner. » (Le Pacha)

     

    - « La justice c'est comme la Sainte Vierge. Si on la voit pas de temps en temps, le doute s'installe. » (Pile ou face)

     

    - « Si la connerie n'est pas remboursée par les assurances sociales, vous finirez sur la paille. » (Un singe en hiver)

     

    - « Deux intellectuels assis vont moins loin qu'une brute qui marche. » (Un taxi pour Tobrouk)

     

    - « Vous savez quelle différence il y'a entre un con et un voleur ? Un voleur de temps en temps ça se repose. » (Le guignolo)

     

    - « Dans la vie, il faut toujours être gentil avec les femmes même avec la sienne. » (Série Noire)

     

     - « Je suis pas contre les excuses, je suis même prêt à en recevoir. » (Les grandes familles)

     

    - « Il vaut mieux s'en aller la tête basse que les pieds devant. » (Archimède le clochard)

     

    - « Quand on a pas de bonne pour garder ses chiards, eh bien on n’en fait pas. » (Mélodie en sous-sol)

     

    - « Plus t'as de pognon, moins t'as de principes. L'oseille c'est la gangrène de l'âme. » (Des pissenlits par la racine)

     

    - « Deux milliards d'impôts ? J'appelle plus ça du budget, j'appelle ça de l'attaque à main armée. » (La chasse à l'homme)

     

    - « Je suis ancien combattant, militant socialiste et bistrot. C'est dire si, dans ma vie, j'en ai entendu, des conneries. » (Un idiot à Paris)

     

    - « Le flinguer, comme ça, de sang froid, sans être tout à fait de l'assassinat, y'aurait quand même comme un cousinage. » (Ne nous fâchons pas)

     

    - « A travers les innombrables vicissitudes de la France, le pourcentage d'emmerdeurs est le seul qui n'ait jamais baissé. » (Une veuve en or)

     

     Signé : Michel Audiard 

  • Langue française • Demain, « celles et ceux » gravé dans la Constitution ?

     

    Par Jérôme Serri 

    Il faut féliciter Jérôme Serri de cette exacte et remarquable tribune en défense de l'esprit de la langue française et qui tourne aussi en dérision les extravagances idéologiques de la caste dominante [Figarovox, 3.08]. Tentons, au moins, dans Lafautearousseau de ne pas succomber aux extravagances linguistiques, si nous sommes à peu près immunisés contre celles qui sont d'ordre idéologique. La langue d'abord !  LFAR   

     

    1280x720-phV.jpgLors de son audition, jeudi 20 juillet 2017, devant la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, a apporté son soutien à la proposition de loi constitutionnelle qui vise à inscrire le principe d'égalité devant la loi sans distinction de sexe.

    Cette proposition de loi constitutionnelle avait été déposée le 8 mars 2017, Journée internationale des droits de la femme, par des sénateurs et des sénatrices (Centristes, Les Républicains, Radicaux, Socialistes, Communistes) de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Ce texte pourrait être adopté à l'occasion d'une révision constitutionnelle plus large.

    Dans l'unique article de cette proposition de loi, les signataires souhaitent modifier l'article 1er de la Constitution dont le premier alinéa est rédigé ainsi : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée ». La deuxième phrase de cet alinéa deviendrait : « Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de sexe, d'origine, de race ou de religion.»

    Les auteurs de cette proposition de loi expliquent que, s'agissant de l'égalité entre femmes et hommes, renvoyer au Préambule de la Constitution de 1946 (qui fait partie du bloc de constitutionnalité) ne suffit plus. Si ce Préambule qui dispose que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme » était, au lendemain de la guerre, une avancée très importante, il leur apparaît aujourd'hui, de par sa formulation, comme « un rattrapage de droits » qui, de ce fait, maintient présente dans notre Constitution le caractère second des droits accordés aux femmes. Cette formulation serait la trace du fait historique que l'égalité hommes/femmes hier n'allait pas de soi. D'où la nécessité de l'effacer en modifiant la Constitution. Se refuser à le faire serait accepter peu ou prou de rester prisonnier ou complice d'une idéologie sexiste qui, selon la terminologie de Simone de Beauvoir, fait de la femme le « deuxième sexe », le sexe inférieur. Ayant estimé que la formulation était « perfectible », nos auteurs entendent donc la parfaire.

    Est-il sûr que la nouvelle rédaction soit plus pertinente que celle des constituants de 1958 ?

    Vouloir écrire que la France est une République qui « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de sexe...», c'est s'offusquer - à tort, on va le voir - de ce masculin pluriel et vouloir le dénoncer. Ne serait-il pas l'irréfutable preuve, pour les membres de la délégation aux droits des femmes signataires de la proposition de loi, que notre langue est misogyne, phallocrate et qu'elle alimente le machisme de notre société? D'ailleurs, Emmanuel Macron n'a cessé durant toute la campagne présidentielle de nous montrer le droit chemin en se montrant l'irréprochable ami des femmes. Il a veillé avec une extrême « bienveillance » à ne jamais oublier d'associer sans distinction « toutes celles et tous ceux » dont il briguait « en même temps » les suffrages.

    Or, que disons-nous quand nous disons « tous les citoyens » ? Que désigne ce masculin ? Si, parce qu'il est masculin, il désigne les seuls citoyens de sexe masculin, ajouter, comme le proposent les membres de cette délégation, « sans distinction de sexe » n'a aucun sens, chacun en conviendra (chacune et chacun en conviendront ?).

    Depuis que Pierre Mauroy a mis en place le 29 février 1984 une commission de terminologie « chargée d'étudier la féminisation des titres et des fonctions et, d'une manière générale, le vocabulaire concernant les activités des femmes », nombre de nos politiques ne sont ni à une démagogie ni à un contresens près et pataugent dans des aberrations linguistiques. Que n'ont-ils fait l'effort de lire la déclaration de l'Académie Française du 14 juin 1984 que rédigèrent Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss : « On peut craindre que, ainsi définie, la tâche assignée à cette commission ne procède d'un contresens sur la notion de genre grammatical, et qu'elle ne débouche sur des propositions contraires à l'esprit de la langue. Il convient en effet de rappeler qu'en français comme dans les autres langues indo-européennes, aucun rapport d'équivalence n'existe entre le genre grammatical et le genre naturel. Le français connaît deux genres, traditionnellement dénommés « masculin » et « féminin ». Ces vocables hérités de l'ancienne grammaire sont impropres. Le seul moyen satisfaisant de définir les genres du français eu égard à leur fonctionnement réel consiste à les distinguer en genres respectivement marqué et non marqué ».

    Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il confondu durant toute la campagne présidentielle le genre grammatical et le genre naturel ? Pourquoi ne l'a-t-on pas corrigé de ce tic démagogique en lui mettant sous les yeux la déclaration de Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss : « Le genre dit couramment «masculin », écrivent nos deux éminents académiciens, est le genre non marqué, qu'on peut appeler aussi extensif en ce sens qu'il a capacité à représenter à lui seul les éléments relevant de l'un et l'autre genre. Quand on dit « tous les hommes sont mortels », « cette ville compte 20 000 habitants », « tous les candidats ont été reçus à l'examen », etc., le genre non marqué désigne indifféremment des hommes ou des femmes. Son emploi signifie que, dans le cas considéré, l'opposition des sexes n'est pas pertinente et qu'on peut donc les confondre ».

    Que feront nos parlementaires pour éviter l'aberration d'une proposition de loi qui vise à remédier au machisme imaginaire du groupe nominal « tous les citoyens » en ajoutant « sans distinction de sexe » ? Décideront-ils (et/ou elles) d'être, comme le fidèle Christophe Castaner, la voix de son maître et de revoir leur copie en proposant d'écrire : « Elle (la France) assure l'égalité devant la loi de toutes les citoyennes et tous les citoyens…» ? Chacun conviendra (chacune et chacun conviendront ?) qu'il n'est alors plus besoin d'ajouter « sans distinction de sexe ».

    Au fait, de quel droit l'effigie de notre République, une et indivisible, est-elle une femme ?  •

    Jérôme Serri

    Jérôme Serri est collaborateur parlementaire, journaliste au magazine Lire. Il a publié Les Couleurs de la France avec Michel Pastoureau et Pascal Ory (éditions Hoëbeke) et Roland Barthes, le texte et l'image (éditions Paris Musées).

  • Sport • Neymar, Paris 2024 : les drôles de priorités d’homo festivus

     

     

    Sur l'affaire Neymar, notamment, Aurélien Marq a donné dans Causeur [3.08] un point de vue qui nous semble avoir sa pleine justification. Le cas échéant, les sportifs donneront leur avis.  

    La Défense vient de perdre 850 millions d’euros. La mission sécurité, c’est à dire la police et la gendarmerie, en perd 200. Soit plus d’un milliard d’euros de moins pour la sécurité de la France et de ses habitants.

    Pendant ce temps, Paris se réjouit à l’idée d’accueillir des Jeux Olympiques qui n’ont plus grand’chose à voir avec l’esprit de l’Antiquité, mais dont les récentes versions se sont avérées des gaspillages presque caricaturaux. Et les clubs de foot s’apprêtent à s’échanger des joueurs aux salaires démesurés pour des sommes colossales.

    Bien sûr, l’argent du football n’est pas de l’argent public. Même si au fond, les grands clubs ne doivent leur richesse qu’à l’engouement général pour ce sport, nourri par un réseau de clubs amateurs bénéficiant de subventions et de terrains de foot installés jusque dans les plus petites communes aux frais du contribuable.

    Neymar = 1200 militaires

    Mais prenons le cas médiatisé dernièrement de Neymar . 30 millions d’euros de salaire net estimé par an, 222 millions de coût de transfert pour rejoindre le PSG. D’un strict point de vue économique, rien à redire. La loi de l’offre et de la demande. Et il n’est pas choquant qu’un homme talentueux dans son domaine monnaye son travail à la hauteur de ce que son employeur espère en retirer. Tant mieux pour lui, et que les jaloux essayent de faire aussi bien au lieu de critiquer.

    Pourtant, que pouvons-nous penser d’une société dont les membres se plaignent de manquer de soldats, de gendarmes, de policiers, et qui néanmoins verse pour un seul joueur de foot l’argent qui lui permettrait d’avoir environ 1200 militaires supplémentaires ? Car cet argent vient bien de quelque part ! Des abonnements, des droits de diffusion, de la publicité parce qu’elle est rentable et donc de nos achats, etc.

    L’air du temps est celui que nous expirons

    Oh, ce n’est pas la décision d’un chef d’Etat, ni d’un gouvernement. Personne, à vrai dire, n’a un jour eu à arbitrer entre ces deux options : la France a-t-elle plus besoin, aujourd’hui, d’un excellent joueur dans un club appartenant à un pays dont les liens avec le terrorisme sont pour le moins ambigus, ou de 1200 militaires, gendarmes et policiers chargés de combattre ce terrorisme ?

    Il n’en demeure pas moins que ce choix a été fait, collectivement. Il est la conséquence naturelle d’un climat, d’une ambiance, d’un « air du temps ». Et il dit quelque chose de ce que nous sommes.  •

    Aurélien Marq