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LAFAUTEAROUSSEAU - Page 1323

  • Société • Marin de Viry : « Comment le tourisme de masse a tué le voyage »

     

    Entretien par Eugénie Bastié 

    Du tour d'Italie de Lamartine au Club Med, Marin de Viry, auteur de l'essai Tous touristes, nous raconte l'avènement du tourisme de masse et comment celui-ci, en tuant la possibilité d'un ailleurs, a rendu le voyage impossible. Une réflexion particulièrement fine et opportune en cet été tragique [Figarovox, 17.08]. Y compris pour le tourisme de masse ...  LFAR 

     

    974767902.jpgVous écrivez dans Tous touristes : « Si le monde est un vaste dance floor sans frontières, quel sens a le mot tourisme ? ». Pouvez-vous expliquer ce paradoxe ? La mondialisation, en tuant la possibilité d'un « ailleurs » par l'uniformisation du monde, aurait-elle tué le tourisme ?

    Le tourisme n'a plus rien à voir avec ses racines. Quand il est né au XVIIIe siècle, c'était l'expérience personnelle d'un homme de « condition », un voyage initiatique au cours duquel il devait confronter son honneur - c'est-à-dire le petit nombre de principes qui lui avaient été inculqués - à des mondes qui n'étaient pas les siens. Il s'agissait de voir justement si ces principes résisteraient, s'ils étaient universels. Un moyen d'atteindre l'âge d'homme, en somme. Le voyage, c'était alors le risque, les accidents, les rencontres, les sidérations, autant de modalités d'un choc attendu, espéré, entre le spectacle du monde et la façon dont l'individu avait conçu ce monde à l'intérieur de sa culture originelle. Au XIXe, tout change : le bourgeois veut se raccrocher à l'aristocrate du XVIIIe à travers le voyage, qui devient alors une forme de mimétisme statutaire. Le bourgeois du XIXe siècle voyage pour pouvoir dire « j'y étais ». C'est ce qui fait dire à Flaubert lorsqu'il voyage avec Maxime Du Camp en Égypte : mais qu'est-ce que je fais ici ? - C'est-à-dire qu'est-ce que je fais à me prendre pour un aristocrate du XVIIIe siècle ? Avec l'époque contemporaine, on a une totale rupture du tourisme avec ses racines intellectuelles. Même chez ceux qui aujourd'hui veulent renouer avec le voyage, pour s'opposer au tourisme de masse, il n'y a plus de profonde résonance, de profond besoin, car le monde est connu, et le perfectionnement de leur personne ne passe plus forcément par le voyage. Là où le voyage était un besoin, au XVIIIe, pour devenir un homme, se former, parachever son âme et son intelligence, il devient quelque chose de statutaire au XIXe, puis une simple façon de « s'éclater » aujourd'hui. C'est devenu une modalité de la fête permanente, laquelle est devenue banale. Le monde est ennuyeux parce qu'il est le réceptacle de la fête, devenue banale. Solution : il faut « rebanaliser » le monde et débanaliser la fête.

    Dans notre monde globalisé, est-il encore possible de voyager ?

    Toute la question est de savoir s'il reste des destinations ouvertes à la curiosité. Or, plus elles sont organisées, balisées par le marketing touristique de la destination, moins elles sont ouvertes à la curiosité. L'exemple du musée Guggenheim à Venise est éclairant. Je l'ai connu avant qu'il ne soit aseptisé, on avait l'impression de visiter en catimini une maison privée, comme si Peggy Guggenheim l'avait quitté la veille, c'est tout juste s'il n'y avait pas un œuf à la coque encore tiède dans la salle à manger. Dans sa version actuelle, avec des faux plafonds traités par des architectes néo-suédois et une signalétique d'aéroport, la curiosité ne fonctionne plus. Ce qui fait qu'on articule ce qu'on est avec ce qu'on voit, c'est que ce que l'on voit n'est pas préparé, organisé de façon à produire une impression prédéterminée. De la même manière dans les musées, les panneaux explicatifs à côté des œuvres ont pris une importance incroyable. Il est devenu impossible d'avoir un regard spontané, vierge, ouvert sur les œuvres, bref de les regarder vraiment, en prenant le risque d'être désorienté et renvoyé à son absence de culture.

    Les dispositifs marketing et commerciaux des destinations ont tué toute possibilité de l'ailleurs, toute curiosité. Pour être un touriste authentique, désormais, c'est dans le quotidien, dans la banalité du réel, qu'il faut se promener. Pour être dépaysé, il faut aller visiter la réalité, des usines, des champs, des bureaux. Le tertiaire marchand est devenu authentiquement exotique. D'une façon générale, le monde réel est plus exotique que le monde touristique définitivement balisé.

    Cette perte de sens n'est-elle pas due tout simplement à la démocratisation du voyage et à l'avènement du tourisme de masse qui fait perdre toute prétention intellectuelle au voyage ?

    Je vais être néo-marxiste, mais je crois que c'est le salariat, plus que la démocratisation, qui change tout. Les congés payés font partie du deal entre celui qui a besoin de la force de travail et celui qui la fournit. À quoi s'ajoute la festivisation, qui est d'abord la haine de la vie quotidienne. Et il est convenu que la destination doit être la plus exotique possible, car la banalité de la vie quotidienne, du travail, est à fuir absolument. Au fur et à mesure de l'expansion du monde occidental, la fête se substitue à la banalité, et la banalité devient un repoussoir. Il n'y a pas d'idée plus hostile à la modernité que le pain quotidien.

    Autour de ce deal s'organise une industrie qui prend les gens comme ils sont, individualisés, atomisés, incultes, pas curieux, désirant vivre dans le régime de la distraction, au sens pascalien du terme, c'est-à-dire le désir d'être hors de soi. Le tourisme contemporain est l'accomplissement du divertissement pascalien, c'est-à-dire le désir d'être hors de soi plutôt que celui de s'accomplir. Promener sa Game boy à 10 000 kilomètres de la maison, si ce n'est pas s'oublier, qu'est-ce c'est ?

    Où, quand et par qui est inventé le tourisme de masse ?

    C'est Thomas Cook qui invente le tourisme de masse. Cet entrepreneur de confession baptiste organise, en juillet 1841 le premier voyage collectif en train, à un shilling par tête de Leiceister à Loughborough, pour 500 militants d'une ligue de vertu antialcoolique. C'est la première fois qu'on rassemble des gens dans une gare, qu'on les compte, qu'on vérifie s'ils sont bien sur la liste, qu'on déroule un programme. Les racines religieuses puritaines ne sont pas anodines. Il y a comme un air de pèlerinage, de communion collective, dans le tourisme de masse. Le tourisme est très religieux. Et il y a en effet quelque chose de sacré au fait de pouvoir disposer de la géographie du monde pour sortir de soi. S'éclater à Cuba, c'est une messe !

    Vous essayez dans votre livre de ne pas tomber dans la facilité qui consiste à opposer « bons » et « mauvais touristes », les ploucs contre Paul Morand, les touristes sexuels de Houellebecq contre les voyages de Stendhal. Est-ce à dire pour autant qu'il n'y a pas de bons touristes ?

    Les poulets de batterie, je veux dire les touristes de masse, ont une âme. Faire une distinction entre un globe-trotter qui fait du « tourisme éthique » et un hollandais en surcharge pondérale et en tongs qui ahane à Venise, c'est d'une goujaterie incroyable vis-à-vis du genre humain. C'est pourquoi je déteste le livre Venises de Paul Morand : c'est un bourgeois du XIXe qui essaie d'imiter l'aristocrate du XVIIIe en crachant sur le peuple du XXe, alors qu'il est moralement inférieur à lui.

    Comme l'homo « festivus festivus » décrit par Muray, qui « festive qu'il festive » et « s'éclate de s'éclater » le touriste moderne se regarde voyager, et il ne semble voyager que pour vérifier que ce qu'il a lu dans son guide est bien réel et pour « prendre des photos ». Que vous inspire cette dimension spectaculaire du tourisme ?

    Nous sommes dans la culture de l'éclate, de la distraction permanente, sans aucune possibilité de retour sur soi. Le monde moderne est une « conspiration contre toute espèce de vie intérieure », écrivait Bernanos. Je crois que le tourisme est une des modalités de destruction de la vie intérieure.

    Prenons l'exemple du « syndrome de Stendhal ». Stendhal s'est senti mal à force de voir trop de belles choses à Rome et à Florence. Trop de beauté crée un état de sidération, puis de délire confusionnel : en Italie, on est souvent submergé par le superflu. C'est l'expérience limite de la vie intérieure : la beauté vous fait perdre la raison. C'est exactement le contraire que vise l'industrie touristique, qui cherche à vendre la beauté par appartements, en petites doses sécables d'effusions esthétiques marchandisées. Elle ne veut pas que ses clients abdiquent leur raison devant la beauté, mais qu'ils payent pour le plaisir. Immense différence.

    Pourquoi faites-vous du romantisme le terreau idéologique du tourisme tel qu'il est pratiqué aujourd'hui ?

    Lamartine écrit Graziella en 1852. C'est l'histoire du tour en Italie complètement raté d'un jeune aristo français. Quand un jeune homme du XVIIIe siècle (car Lamartine appartient encore au XVIIIe, ou en tout cas le voudrait) va tester son honneur de par le monde pour le renforcer, il doit en revenir plus fort, raffermi dans ses principes. Mais Lamartine tombe amoureux d'une jeune fille de 16 ans en Sicile, qu'il n'a pas le courage d'épouser pour des raisons sociales, car elle est fille de pêcheur, et lui d'un comte. Lamartine revient à la niche à l'appel de sa mère et Graziella meurt de chagrin. Le romantisme, c'est l'histoire d'un voyage raté. L'ailleurs devient le lieu, où, au lieu de se trouver, on se perd. L'expérience de la découverte de soi dans le voyage devient une expérience malheureuse. Donc, il faut se venger du voyage en lui interdisant de devenir une expérience intérieure. Les générations suivantes ont parfaitement compris le message.

    Dans La Carte et le territoire, Michel Houellebecq décrit une France muséale, paradis touristique, vaste hôtel pour touristes chinois. Est-ce là le destin de la France ?

    Dans un éditorial, Jacques Julliard écrivait que la France avait 60% de chances de finir dans un scénario à la Houellebecq, 30% de chances de terminer selon le scénario de Baverez, et 10% de chances de finir autrement. Je ne suis pas totalement dégoûté par le scénario de Houellebecq. C'est une France apaisée, bucolique. On retournerait tous à la campagne pour accueillir des cohortes d'Asiatiques et de Californiens. On leur expliquerait ce qu'est une église romane, une cathédrale, une mairie de la IIIème République, un beffroi. Ce serait abandonner notre destin pour se lover dans un scénario tendanciel dégradé mais agréablement aménagé, et nous deviendrions un pays vitrifié plutôt qu'un pays vivant. Nous aurions été détruits par la mondialisation, mais notre capital culturel nous sauverait de l'humiliation totale : on nous garantirait des places de médiateurs culturels sur le marché mondial. Si on pense que Dieu n'a pas voulu la France, ou que l'histoire n'a pas besoin de nous, on peut trouver ça acceptable.   

    Marin de Viry est écrivain et critique littéraire. Il est l'auteur d'un essai sur le tourisme de masse: Tous touristes (Café Voltaire, Flammarion, 2010). Il a publié récemment Un roi immédiatement aux Éditions Pierre-Guillaume de Roux.

    Cet entretien est une rediffusion.

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    Eugénie Bastié

    Journaliste & essayiste - Sa biographie

    A lire aussi dans Lafautearousseau ...

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    Entretien • Marin de Viry : « Le roi, c’est la France telle que l’éternité l’a voulue »

  • Université d'été d'Action française, le Camp Maxime Real Del Sarte, se tiendra du 20 au 27 août 2017

     

    Voici donc le lieu, les dates, le thème du Camp Maxime Real del Sarte 2017.

    Le Camp Maxime Real del Sarte (CMRDS) est une université d’été d’Action française, surtout destinée aux jeunes Français soucieux de l'avenir de leur pays 

    Ainsi, après le colloque du 13 mai dernier, dont le thème était Refonder le Bien Commun, colloque dont l'invité d'honneur a été le Prince Jean de France, le Camp Maxime Real del Sarte 2017 s'est logiquement donné pour sujet : France d'abord, l'avènement du projet capétien pour la France 

    Le site du Centre Royaliste d'Acion Française donne le programme du CMRDS 2017. On a la possibilité de s'inscrire en ligne.  

  • Vacances marseillaises

     

    En deux mots.jpgOn peut dire de Marseille, sans exagération, qu'elle est une capitale en même temps de l'enracinement et de la diversité. Peut-être est-ce là la raison du choix du couple Macron.

    Ce double caractère de la Cité Phocéenne n'est pas nouveau. Il parcourt les siècles et même - au minimum - deux millénaires.

    Maurras, parmi d'autres, comme Pagnol, a écrit de fort belles pages sur Marseille. On en trouvera trace dans ses Œuvres Capitales  (« Marseille en Provence* »). Nos lecteurs, s'ils ne les connaissent pas, pourront s'y reporter, et ce serait tout bénéfice pour les Macron que de les lire. 

    Du côté des racines, Maurras, quant à lui, les affirme montagnardes : « Peu ou prou, nous sommes tous Gavots ». Selon lui, « la montagne est mère des hommes » et les plus anciennes familles marseillaises, il est vrai, en sont issues. D'où le solide fond de traditions populaires qui perdure à Marseille. Malgré tout, car, ouverte sur la mer et le monde, Marseille, avec ses navigateurs, ses marins et ses commerçants, partis au loin, avec ses arrivants de tous les coins du monde, a toujours été ouverte à la diversité. Elle en est aujourd'hui envahie - ce qui est bien différent - au point d'être devenue méconnaissable pour ses plus anciens habitants.

    On a surabondamment rappelé dans les milieux d'Action française, le jugement de Madame de Sévigné sur Marseille, parce que Bainville aimait à le citer, à le dire et redire à ses amis et admirateurs marseillais : « L’air, en gros, y est un peu scélérat ». A cet égard, il est patent que les choses n'ont guère changé, démentant ceux qui ne croient pas, en Histoire, aux permanences. 

    collage-macron-la-buzine-exclusif.jpgEmmanuel et Brigitte Macron, aux premières heures de leur séjour, se sont rendus au château de la Buzine. C'est le Château de ma mère, dont Marcel Pagnol a parlé en termes si délicats, souvent émouvants, toujours très vivants, en homme de théâtre et de cinéma qu'il fut toujours**. Et Pagnol, c'est, par excellence, un écrivain, un mémorialiste, un dramaturge, un cinéaste, et même, tel Virgile dont il a traduit, en vers, les Bucoliques, un poète des racines et des traditions populaires. Celles d'un peuple provençal, marseillais souvent, qui, aujourd'hui, n'existe plus. C'est miracle qu'il en subsiste encore nombre de traces, dans le magma diversitaire de la nouvelle démographie marseillaise et au-delà.

    Mais aucune société humaine ne subsiste longtemps sans enracinement, sans conscience de son identité, sans le sentiment de former une communauté, de vivre un même destin, de participer d'une identique appartenance. L'idéologie dite diversitaire, multiculturaliste, multiethnique, se casse les dents sur ce besoin profond, anthropologique, ontologique. Simone Weil a écrit que ce besoin est, pour l'homme, le premier et le plus important de tous. 

    Ainsi les sociétés qui ont perdu leurs racines propres, leurs traditions anciennes, ont tôt fait d'en reconstituer ou de s'en laisser imposer de nouvelles, comme c'est le cas de Marseille, qui s'islamise, se recommunautarise à vitesse grand V.

    Le Marseille que visitent les Macron, n'est plus celui de Pagnol que pour une fraction de ses habitants. Le château de la Buzine est un musée, le bar de la Marine est toujours là, vivant, comme d'autres institutions du même type, comme nombre de traditions, mais un autre Marseille lui fait face, fait ses courses au Marché Soleil, ou habite dans ces Cités impénétrables, presque intégralement islamisées, à la fois radicalisées et mafieuses, qui sont un mixte d'Islam radicalisé et de trafic de drogue - leur économie non pas du tout secrète, mais souterraine.

    Si Emmanuel Macron s'imagine que ces deux mondes pourront coexister toujours, ou même longtemps, nous pas,

    Nous n'ignorons pas que, si dans la communauté issue de l'immigration, de nombreux musulmans, qui y sont largement majoritaires, se sont, pour le meilleur et pour le pire, plus ou moins intégrés à ce qu'il nous reste de mœurs et de traditions indigènes, ils ne sont pas les plus voyants, ni les plus actifs, ni les plus décidés. A Marseille comme ailleurs, on a fait la fête les soirs d'attentats, dans certains quartiers ...

    De l'autre côté, celui des Marseillais de souche - plus ou moins lointaine - la colère gronde, s'amplifie ...

    Telle est - à trop grands traits - la situation de la métropole marseillaise où le Chef de l'Etat et son épouse auront passé leurs premières vacances présidentielles. Qui sait, s'il y en a, de quoi seront faites les prochaines ?

    Ces simples aperçus montrent tout de même les limites de la pensée complexe selon Macron. Les limites du désormais fameux en même temps

    Toutes les conciliations ne sont pas possibles ni souhaitables. Arrive l’heure des affrontements, des choix, que les lourdes nécessités, les situations tragiques, finissent par imposer à qui n'a pas voulu ou n'a pas eu le courage de les décider à temps par la réflexion et l'expérience. •

    Marseille en Provence, Suite provençale, Œuvres capitales, tome IV, Flammarion, 1954 

    ** Souvenirs d'enfance : La Gloire de mon père (1957) - Le Château de ma mère (1958) - Le Temps des secrets (1960) - Monte-Carlo, Pastorelly

  • Macron-Défense : l’affaire Villiers n’est pas qu’une question de chiffres

     

    Par Roland Hureaux

    Au delà des chiffres et des budgets, Roland Hureaux se livre ici [Causeur - 16.08] à une fine et exacte analyse du rapport personnel de l'actuel président de la République avec nos Armées. Rappelons que Roland Hureaux fut l'un des participants au colloque d'Action française du 7 mai 2016, à Paris, « Je suis royaliste, pourquoi pas vous ? »    LFAR

     

    1871659358.jpgPour beaucoup, le différend qui a opposé le président Macron au général Pierre De Villiers, chef d’état-major des armées, pourrait être ramené à une question de chiffres, ce qui serait après tout normal s’agissant d’un président issu de I’Inspection des finances. Mais une telle approche serait bien réductrice.

    Question de chiffres : Macron avait promis dans son programme électoral de remonter le budget de la Défense à 2 % du PIB. Une promesse qu’avaient d’ailleurs faite aussi Marine le Pen et François Fillon. Comment Emmanuel Macron, adepte inconditionnel de l’OTAN, aurait-il pu proposer autre chose que le minimum que cette organisation a fixé et qui a été rappelé récemment par le président Trump. Mais 2%, c’est beaucoup, environ 44 milliards ; à un budget actuel de 32 milliards, il faudrait donc en ajouter 12.

    Autre chiffre, le déficit autorisé par l’Union européenne : 3 % du même PIB, soit 66 milliards qui sont déjà une tolérance, assortie de la promesse française de le ramener à zéro, jamais respectée par le gouvernement Hollande (dont Macron était le ministre des Finances). Ce n’est pas en effet en accumulant des déficits (et donc avec un supplément d’endettement de 3 % l’an) que l’on réduira une dette qui atteint aujourd’hui les 100 % du PIB. Il reste qu’Emmanuel Macron, qui a voulu entrer en fanfare sur la scène européenne, et pour qui les consignes de Bruxelles, comme les souhaits de Berlin,  sont la Loi et les prophètes, veut à tout prix, pour assurer sa crédibilité, redescendre à ce niveau. Il lui manque pour cela 8 milliards. L’habitude de Bercy dans ce cas-là est de ponctionner les ministères régaliens, à commencer par la Défense à qui, au lieu d’accorder 12 milliards, on demande 850 millions tout en gelant 2,7 milliards.

    Cette logique n’explique pas seule que le mécontentement des armées justement exprimé par leur chef d’état-major en commission de la Défense soit devenu une affaire d’Etat.

    Au-delà des chiffres, le choc des cultures

    On est surpris du degré de mépris dont le président Macron fait l’objet sur la toile dans de nombreux  textes, anonymes ou pas, issus de la communauté militaire. Nicolas Sarkozy et François Hollande, que les militaires n’aimaient pas beaucoup, n’ont jamais essuyé pareille hostilité. Et surtout pas moins de trois mois après leur prise de fonction.

    On peut faire la part des maladresses du nouveau président, de son absence de sensibilité militaire : même s’il fanfaronne ici ou là au milieu des troupes, il est le premier président à n’avoir pas fait de service militaire. La génération X-Y !

    Il faut cependant aller plus profond. La personnalité d’Emmanuel Macron rebute bien des gens, surtout dans les armées. Il porte avec lui un air de légèreté qui n’est pas vraiment le genre de la maison. Depuis la République romaine et sans doute avant, le chef militaire, confronté chaque jour à la mort, réalité ultime, est un homme grave. C’est cette gravitas, signe d’une maturité accomplie, que les militaires attendent du chef de l’Etat qui est aussi le chef des armées. Le moins qu’on puisse dire est que le nouveau président a, en la matière, des progrès à faire. Beaucoup, dans le grand public, ont été par exemple choqués par sa visite à Oradour-sur-Glane où il multipliait de tous côtés les poignées de main à la Chirac semblant confondre ce lieu de mémoire tragique avec un comice agricole.

    Sans doute sa vie privée n’appartient-elle qu’à lui. Mais pour exercer l’autorité, il faut donner le sentiment d’une personnalité accomplie. Or Jacques Lacan nous l’a enseigné, c’est la résolution du complexe d’Œdipe qui ouvre douloureusement le sujet au monde réel. Nous ne dirons pas qu’Emmanuel Macron ne l’a pas résolu. Mais en politique, seules les apparences comptent.

    Militaires contre idéologues

    Il y a plus : sur presque tous les sujets, Emmanuel Macron a fait campagne sur les marqueurs idéologiques qui, depuis 15 ans, définissent ce qui est politiquement correct :  Europe, libre-échange, dépassement de la nation (la France étant accusée par lui de « crime »), mépris des considérations   culturelles et ethniques par l’ouverture à l’immigration, antiracisme, non-discrimination, hyper-écologie, théorie du genre, vaccins à tout va, etc. Sur aucun sujet Macron n’a pris la moindre distance par rapport à la doxa dominante. Il s’est bien gardé aussi de désavouer celles qui ravagent des secteurs comme l’Education nationale (méthode globale) ou la justice (culture de l’excuse). Non pas parce que cela plaisait à ses électeurs, bien au contraire. Mais parce que cela plaisait à ces prescripteurs essentiels que sont les gens de médias, largement inféodés à l’idéologie.

    Presque tous les ministères ont aujourd’hui la leur, qui suscite généralement l’ire de populations pas toujours conscientes de ce qui leur arrive: l’Intérieur veut à toutes forces supprimer 30 000 petites communes, l’équipement veut interdire toute construction hors des périmètres déjà construits, quelles que soient les traditions locales, la Santé veut fonctionnariser la médecine libérale etc. Le ministère de la Défense n’est pas entièrement exempt de telles idéologies (qui ne sont généralement pas beaucoup plus que des idées simplistes jamais remises en cause), mais seulement en manière d’organisation, où les civils ont leur mot à dire : ainsi les bases de défense, répondant à la culture du regroupement, ont mis plus de désordre qu’elles n’ont fait d’économies. Mais dans l’ensemble le ministère de la Défense demeure relativement préservé de l’idéologie. La raison : les engagements opérationnels multiples dans lesquels nos armées sont impliquées permettent un retour d’expérience constant, ce qui n’est pas le cas dans la plupart des administrations civiles. « Quand le canon tonne, les cons se taisent », dit un vieux dicton militaire. Les idéologues aussi, l’idéologie ayant pour caractère de faire perdre le sens du réel, éminemment nécessaire au combat.

    Il semble que l’idéologie et le déficit œdipien aillent ensemble. C’est l’immaturité qui explique le succès des idéologies, particulièrement dans une classe intellectuelle ou médiatique plus à l’abri que le peuple du contact direct avec le réel, parfois si dur. Sur ce chapitre, Emmanuel Macron est bien un enfant du siècle.  

    est essayiste.
  • Mitterrand à Péroncel-Hugoz : « Vos articles sont plus que des articles ... L'ensemble constitue une œuvre »

     spécial péroncel-hugoz.jpg« Réponses de Péroncel-Hugoz au mensuel islamo-gauchiste marocain DIN WA DUNIA (RELIGION ET MONDE) ».

    C'est sous cet objet que notre confrère nous a transmis par courriel du 8 août le texte qu'on va lire, en posant la question suivante : « Cet entretien paru ce jour à Casa peut intéresser Lafautearousseau, non ? »

    Et comment ! L'entretien est passionnant, d'une dialectique sûre ; des choses essentielles y sont dites : sur l'Islam et sur le terrorisme, sur l'état des sociétés occidentales, sur la démocratie, sur ce que Péroncel-Hugoz appelle le « match République - Royauté ». Car pour lui, comme pour nous, la partie n'est pas terminée.

    S'ajoutent à cet entretien quelques explications notamment historiques et biographiques sur Mohammédia où Péroncel-Hugoz réside lorsqu'il est au Maroc ; ainsi qu'une note bibliographique sur ses divers ouvrages ou ceux qui ont été publiés sous sa direction. Notamment, son Rois de France d'Honoré de Balzac, qui vient d'être réédité au Maroc à son initiative. 

    Reste que le jeudi est le jour où nous publions des passages inédits du Journal d'un royaliste français au Maroc que tient Péroncel-Hugoz. Nous n'avons pas dérogé à la règle.

    De sorte que Lafautearousseau vous offre aujourd'hui une journée Spécial Péroncel-Hugoz. Et c'est très bien.  

    Lorsqu'il est entré - en 1983 - dans l'ordre de la Légion d'honneur, en qualité de chevalier, pour « 28 ans d'activités professionnelles et de services militaires », cette décoration lui a été remise à l'Élysée par le président François Mitterrand qui lui a déclaré à cette occasion : « Vos articles, qui sont plus que des articles, donnent motifs à réflexion, articles dont l'ensemble constitue une œuvre ».  

  • Passionnant entretien de Péroncel-Hugoz dans le mensuel islamo-gauchiste marocain Din wa Dunia (Religion & Monde)

     

    « L'Etat est par définition un monstre froid, seule peut l'humaniser une famille royale digne. »

    JEAN-PIERRE PÉRONCEL-HUGOZ Journaliste, écrivain et essayiste de renom, membre de la Société des rédacteurs du journal Le Monde et ancien correspondant du célèbre quotidien français en Egypte, en Algérie et au Liban, Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, 77 ans, partage aujourd'hui sa vie entre la France et le Maroc. Ce grand connaisseur du monde arabo-musulman et du Maroc est l'auteur de nombreux essais sur les pays du Sud et a édité quelques 70 ouvrages d'auteurs tiers autour notamment de l'histoire de France et des anciennes colonies européennes. Rencontre avec une encyclopédie vivante.

    PROPOS RECUEILLIS PAR JAOUAD MDIDECHDÎN WA DUNIA N°21-22 • AOÛT-SEPTEMBRE 2017

    Untitled_Page_2 - Copie.jpgDepuis Le Radeau de Mahomet, paru en 1983, et jusqu'à présent, dans vos écrits, on ressent une certaine peur de l'Islam, comme d'ailleurs chez d'autres intellectuels occidentaux. Cette religion est-elle si dangereuse que cela ?

    D'abord, permettez-moi de préciser qu'à mon sens, l'Islam n'est pas seulement une religion mais aussi une idéologie, un droit, une vision du monde, une façon de vivre, en somme un tout difficile à scinder. Par ailleurs si, depuis un quart de siècle, la grande majorité des attentats meurtriers commis à travers la planète étaient le fait, par exemple, de bouddhistes ou d'esquimaux, même si tous les membres de ces catégories n'étaient pas des terroristes, les gens auraient tous plus ou moins peur des Esquimaux ou des Bouddhistes... La peur est une réaction spontanée qui ne se commande pas. On peut seulement la nier et c'est ce que font bon nombre d'élites occidentales au nom du « pas d'Islamalgame ! », mais la méfiance demeure au fond d'eux-mêmes contre l'ensemble de l'Oumma. Certains Européens, qui n'osent parler que de « terrorisme », sans le définir, doivent avoir honte de leur pusillanimité quand ils entendent l'écrivain algérien Boualem Sansal fulminer contre les « djihadistes » ou le roi du Maroc, dans son discours du 20 août 2016, dénier la qualité même de musulmans aux auteurs de crimes anti-chrétiens, en France ou ailleurs.

    En dehors des tueries, une autre raison nourrit de longue date craintes et doutes à l'égard de l'Islam : c'est le sort discriminatoire que celui-ci réserve en général aux non-mahométans, même reconnus comme « Gens du Livre », à l'instar des chrétiens d'Orient. Pour les chrétiens du Maroc, cette dhimmitude, car c'est de ce statut inférieur qu'il s'agit, n'existe pas dans la mesure où ces chrétiens ne sont pas autochtones, ont le statut d'étrangers et seraient sans doute défendus, si besoin était, par leurs pays d'origine. Néanmoins, tout chrétien, croyant ou pas, qui veut, en terre islamique, Maroc inclus, épouser une musulmane, est obligé de se convertir d'abord à l'Islam ! Imaginez qu'une telle contrainte existe dans un Etat chrétien, et aussitôt on défilerait un peu partout contre cet Etat qu'on accuserait d'être « anti-musulman ».

    Pourtant vous travaillez au Maroc. L'Islam marocain vous fait-il moins peur ?

    En effet, je travaille au Maroc depuis plus de 10 ans, et auparavant j'y vins pour des dizaines de reportages sous le règne de Hassan II. Je me sens davantage en sécurité ici qu'en France, où la police est plus laxiste. Ce fut un peu la même situation dans d'autres nations mahométanes, comme l'Egypte, où j'ai longtemps travaillé pour Le Monde. L'art de vivre, l'hygiène de vie des Arabo-turco-persans me conviennent mieux que l'american way of life. Leur confiance en Dieu, leur optimisme foncier, leur patience dans l'adversité m'impressionnent ; étant en outre originaire d'un continent où règnent aujourd'hui l'incroyance et la confusion des genres, j'apprécie les sociétés où demeure en vigueur la loi naturelle, c'est-à-dire tout simplement que les hommes y sont des hommes et les femmes des femmes. Last but not least, les sociétés musulmanes, contrairement aux sociétés occidentales, continuent d'honorer les notions de décence et de pudeur — Lhya, hchouma, âoura —, valeurs auxquelles je reste attaché. Ce contexte m'a permis de vivre jusqu'ici en harmonie parmi des musulmans. Du moment qu'on admet l'existence d'Orientaux occidentalisés, il faut reconnaître qu'il y a également des Occidentaux orientalisés, qui ne sont pas toujours islamisés pour autant. Je peux très bien comprendre, cependant, que la jeune convertie russe, Isabelle Eberhardt (1)jadis, se soit bien sentie « dans l'ombre chaude de l'Islam » ...

    Cependant, il existe une haute civilisation musulmane, avec ses grands hommes. Et de tout temps, il y a eu du fondamentalisme, même au sein des deux autres religions monothéistes, non ?

    boumédienne-hassan ii.jpgMême mes pires détracteurs, je crois, reconnaissent que je n'ai cessé, tout au long de mes reportages et de mes livres, de décrire les réussites historiques des cultures islamiques, de l'Indus au Sénégal via le Nil ou la Moulouya, sans m'interdire pour autant de critiquer ce qui me paraissait devoir l'être car, selon le mot de Beaumarchais, « sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur ». Hélas, cette civilisation musulmane a peu à peu décliné jusqu'à ne plus vivre que de ses souvenirs ; et si elle est en train de renaître à présent, je crains que ce ne soit sous une forme politico-religieuse radicale qui a déjà commis de nombreux dégâts...Quant aux autres « fondamentalismes », ils font bien pâle figure de nos jours, sauf peut-être, il est vrai, sous forme d'interventions militaires euro-américaines en pays d'Islam. Et c'est d'ailleurs pour cela que, tel le philosophe français indépendant Michel Onfray, j'ai toujours été hostile aux expéditions occidentales, notamment françaises, à l'étranger, sauf ponctuellement lorsqu'il s'agit uniquement de sauver nos ressortissants. La comparaison entre les attentats islamistes aveugles et nos bombardements anti-djihadistes qui tuent également des civils au Levant, en Libye ou en Afrique noire, n'est pas du tout infondée. Il faut laisser les Musulmans vider entre eux leurs querelles, tout en leur proposant évidemment nos bons offices diplomatiques.

    Estimez-vous qu'aucune cohabitation n'est possible entre Islam et laïcité française ? La démocratie en Europe est-elle si fragile ?

    Cette « cohabitation », d'ailleurs pas toujours harmonieuse, existe de facto et certains Etats européens ont fourni de grands efforts pour donner de la place aux musulmans venus s'installer chez eux. Deux des principales villes d'Europe, Londres et Rotterdam, ont des maires musulmans. En France, la liste est longue des musulmans occupant ou ayant occupé des positions de premier plan dans maints domaines : le benjamin du premier gouvernement de la présidence Macron est un jeune Marocain spécialiste du numérique ; l'acteur le plus populaire en France, et le mieux rémunéré, est aussi marocain. Le principal prix littéraire parisien est allé deux fois à des Marocains, etc. Quand on pense qu'en Egypte, le plus brillant diplomate du monde arabe au 20e  siècle, Boutros Boutros-Ghali, n'a jamais pu être ministre des Affaires étrangères à part entière, à cause de sa qualité de chrétien indigène ! Quant à la fameuse démocratie, dont Churchill disait qu'elle est « le pire des systèmes, à l'exception de tous les autres », je me demande si beaucoup de musulmans ont envie de la voir s'installer en Islam, du moins sous sa forme européenne actuelle. Car il faut avoir à l'esprit que la démocratie signifie la primauté des lois conçues par les hommes sur la loi divine, à laquelle l'immense majorité des croyants mahométans paraissent prioritairement attachés. Au Maroc par exemple, tout le monde sait que le peuple n'a aucune considération pour les politiciens et pour la plupart des partis politiques, et bien des Marocains ne craignent pas de dire qu'il vaudrait mieux augmenter les pouvoirs de Sa Majesté chérifienne plutôt que de les diminuer.

    Vous êtes un monarchiste invétéré : la royauté apporterait-elle, à votre avis, plus de sécurité, de liberté, de bonheur que la république ?

    Je suis royaliste comme on respire, à la fois de conviction, de tradition et de raison, mais je le suis pour .la France, comme le furent Lyautey ou De Gaulle. Car pour les autres nations cela n'est pas mon affaire, même si j'aime à voir fonctionner la monarchie exécutive marocaine de manière tellement plus efficace, plus moderne et en même temps plus authentique que la république algérienne voisine, où je fus correspondant du Monde sous la dictature militaire de Houari Boumédiène (2). L'Etat est, par définition, un « monstre froid ». Seule peut l'humaniser une famille royale, incarnant la pérennité nationale, et à condition, bien sûr, que cette famille soit digne. Sous le monarque marocain actuel, l'affection populaire qui s'élève vers lui semble parfois, du moins pour les observateurs occidentaux, franchir la limite du rationnel. Mohamed VI, en effet, malgré ses efforts et sa bonne volonté, n'a pas encore réussi à régler les deux principaux problèmes qui se posent au Maroc depuis des décennies : les karyane ou bidonvilles d'une part ; l'imbroglio saharien, d'autre part, dû surtout, il est vrai, à la jalousie de l'Algérie pour les progrès d'un Maroc pourtant moins riche qu'elle.

    Au sujet du match République-Royauté, feu l'opposant marxiste à Hassan II, Abraham Serfaty, répondait que « l'Histoire avait prouvé la supériorité des républiques ». Eh bien non justement, car, comme disait Lénine « les faits sont têtus », et le 20e siècle, sans remonter plus loin, a vu les plus grands crimes contre les peuples, être le fait, comme par hasard, de deux républiques, celle d'Hitler et celle de Staline...

    Existe-t-il, selon vous, un point faible pouvant expliquer, du moins en partie, les problématiques liées actuellement à l'Islam ?

    J'ai parfois l'impression que nombre de musulmans, adossés à leur certitude coranique d'être « la meilleure des communautés » et à leur dogme égocentrique selon lequel seuls les fidèles de Mahomet pourront entrer au Paradis, se trouvent ainsi dispensés d'être soumis à la critique ou à l'autocritique. En 1987, je rencontrai en France un opposant alors quasi inconnu au régime tunisien, le docteur Moncef Marzouki, qui me séduisit par l'audace critique d'un texte intitulé Arabes si vous parliez ... Je le publiai et ce fut un succès à Paris, Bruxelles ou Genève. Ce livre est une charge puissante et argumentée, par un Arabe contre les Arabes, trop enclins à trouver ailleurs que chez eux, par exemple chez les anciens colonisateurs européens, des responsables à leurs maux contemporains. En 2011, par un retournement politique inattendu, Si Moncef devint le chef de l'Etat tunisien. En accord avec lui, je décidai de republier sans y changer un mot Arabes si vous parliez..., à Casablanca cette fois-ci. Ce texte, qui repose sur l'idée que « l’autocritique est l'autre nom de la maturité », fut cette fois un échec éditorial, surtout en Tunisie... Disons quand même, à la décharge des musulmans, que les menaces des djihadistes contre ceux des « vrais croyants » qui seraient tentés par l'autocritique, peuvent expliquer les silences actuels de l'Oumm (3). En juin 1992, au Caire, Farag Foda, musulman modéré et éminent acteur de la société civile (4), osa réprouver publiquement les traitements discriminatoires dont sont traditionnellement victimes les Coptes, chrétiens autochtones. Très vite, Foda fut abattu devant son domicile par un commando djihadiste (5), après avoir été qualifié, rien que ça, d’ « ennemi de l'Islam », simplement pour avoir pointé une situation scandaleuse, mais que personne, parmi les musulmans de l'époque, n'avait jusqu'alors osé dénoncer en public.

    « Un seul juste dans le pèlerinage rachète tout le pèlerinage ! » Est-ce que ce hadith prêté jadis à Mahomet peut s'appliquer à Marzouki ou à Foda ? C'est à leurs coreligionnaires de répondre. Et d'agir. Sinon, les gens d'Al Qaïda, de Boko Haram et de Daech risquent de s'imposer un peu partout...  

     

    1. Ecrivaine suisse (de parents d'origine russe et devenue française par mariage avec Slimane Ehni) née en 1877 et installée en Algérie à partir de 1897, où elle vécut au milieu de la population musulmane. Ses récits de la société algérienne au temps de la colonisation française seront publiés après sa mort, survenue le 21 octobre 1904 durant la crue d'un oued à Aïn Sefra (nord-ouest de l'Algérie).

    2. Houari Boumédiène (1932-1978) : chef de l'État-major général de l'Armée de libération nationale de 1959 à 1962, puis ministre de la défense de Ben Bella, il devient président du Conseil de la Révolution (et chef de l'État) le 20 juin 1965 suite à un coup d'Etat, et président de la république algérienne du 10 décembre 1976 jusqu'à son décès le 27 décembre 1978. Aucune opposition politique n'était autorisée sous son règne, Boumédiène cumulait les fonctions de président, premier ministre, ministre de la Défense et président du FLN, alors parti unique.

    3. Oumma, du mot arabe « oum », mère, la communauté universelle des musulmans.

    4. Farag Foda (1946-1992) : professeur d'agronomie, il était également écrivain, journaliste et militait en faveur des droits humains et de la sécularisation de l'Egypte.

    5. L'assassinat, perpétré le 8 juin 1992, a été revendiqué par le groupe salafiste Gamaa al-Islamiya, en référence à la fatwa d'al-Azhar du 3 juin de la même année, accusant Farag Foda d'être un ennemi de l'islam. Huit des treize accusés sont acquittés et d'autres relâchés en 2012 sur ordre du président Mohamed Morsi.

  • Quelques-unes des publications de Péroncel-Hugoz ...

    Le Radeau de Mahomet publié en 1983 

     

    livres.jpgLe Radeau de Mahomet, Lieu commun, Paris, 1983.

    Assassinat d'un poète (Jean Sénac), Jeanne Laffitte, Marseille, 1983.

    Une croix sur le Liban, Lieu commun, Paris, 1984 (Prix France-Liban).

    Le Fil rouge portugais : voyages à travers les continents, Bartillat, Paris, 2002.

    Benslimane (Maroc), La Croisée-des-Chemins, Casablanca, 2010.

    Le Maroc par le petit bout de la lorgnette, Atelier Fol'Fer, coll.

    « Xénophon », Anet, 2010. Deuxième édition sous le titre 2000 ans

    d'histoires marocaines chez Casa-Express Éditions, Rabat-Paris, 2014.

    Sous sa direction notamment :

    Lettres marocaines et autres écrits de Louis Hubert Lyautey, Bibliothèque arabo-berbère, Casablanca, 2010.

    Rois de France (1837) d'Honoré de Balzac, Afrique Orient, Casablanca, 2017 *.

    Gabriel Dardaud, Trente ans au bord du Nil. Un journaliste dans l'Égypte des derniers rois, Lieu commun, Paris, 1987.

    Malek Chebel, Histoire de la circoncision des origines à nos jours, Le Nadir/Ballant, Paris, 1992.  •

     

    * A NOTER QUE DESORMAIS ROIS DE FRANCE DE BALZAC EST DIFFUSE PAR LA LIBRAIRIE GALLIMARD DE PARIS ET PEUT NOTAMMENT Y ETRE ACHETE EN LIGNE

  • Les islamistes d'Al Nosra chassés du Liban

    Combats dans la région d'Ersal 

     

    Par Antoine de Lacoste

     

    2966618915.2.pngDepuis plusieurs années, une poche islamiste s'était constituée dans la montagne libanaise appelée Antiliban, à cheval sur la frontière syrienne, à quelques kilomètres du beau site antique de Baalbek. De là, le Front al Nosra (rebaptisé depuis Fatah al Cham) se sentait suffisamment sûr de lui pour faire des incursions dans la Plaine de la Bekaa. Il y avait affronté l'armée libanaise, tuant et faisant prisonnier plusieurs de ses soldats. Il faut noter que des éléments de Daesh étaient venus lui prêter main forte ; il décapitera deux soldats libanais...

    Al Nosra avait ainsi pris le contrôle en août 2014 de la petite ville d'Ersal, à majorité sunnite, la mettant en coupe réglée : exécutions de récalcitrants, application de la charia, trafics d'armes et de drogue. La panoplie habituelle des islamistes sunnites.

    Trop faible, l'armée libanaise n'était pas en capacité d'intervenir et l'armée syrienne avait autre chose à faire. Elle n'aurait de toute façon pas été la bienvenue. Après de longues négociations, Al Nosra avait finalement accepté de se retirer dans les montagnes sur la promesse que l'armée libanaise ne l'attaquerait pas.

    Tout a changé il y a quelques jours avec l'intervention du Hezbollah. Libéré de plusieurs fronts en Syrie, en particulier à Alep et à l'Ouest de Damas, il a décidé de reconquérir Ersal afin de garder la main mise sur la Plaine de la Bekaa à majorité chiite.

    La prise de la ville fut aisée car les combattants de Fatah al Cham restés sur place ont refusé le combat et se sont réfugiés dans les montagnes. Mais le Hezbollah était décidé à en finir et a attaqué l'ensemble du réduit islamiste. Dans le même temps l'armée libanaise prenait position dans Ersal pour éviter toute mauvaise surprise. L'aviation syrienne est également intervenue pour fixer les troupes islamistes et faciliter l'intervention du Hezbollah. L'histoire ne dit pas si le Liban a donné son accord pour des bombardements syriens sur son sol, mais le Hezbollah constituant depuis longtemps un Etat dans l'Etat, cela ne change malheureusement plus grand chose pour ce qu'il reste d'Etat libanais.

    L'issue de la bataille fut favorable : Al Nosra a perdu une cinquantaine d'hommes et les chiites une dizaine (leurs noms et leurs photos figurent toujours dans la presse libanaise chiite afin d'honorer les « martyrs »).

    Mais les islamistes se sont repliés dans un dernier petit réduit montagneux de neuf kilomètres carrés avec quatre prisonniers. Pour les récupérer sains et saufs, le Hezbollah a dû négocier. Un accord semble avoir été trouvé pour que les derniers combattants sunnites soient acheminés vers la Province d'Idleb, au Nord-Ouest de la Syrie. C'est déjà là que se concentrent tous les islamistes syriens (hors Daech) après les multiples redditions des derniers mois.

    C'est un tournant important dans la guerre qui oppose la Syrie aux islamistes. En effet de nombreuses poches d'insurgés sunnites subsistent ici et là dans les montagnes séparant la Syrie du Liban. Ces petits sanctuaires permettaient aux islamistes d'être à l'abri et de recevoir régulièrement des armes et des renforts. La perte de la plus importante de ses poches va probablement en entraîner d'autres.

    La Syrie n'aura plus à craindre des attaques surprises venant des montagnes libanaises et le Liban sera débarrassé de la présence d'Al Nosra sur son sol.  •

  • Ce que dit le Roi du Maroc Mohammed VI : « Il n’y a pas de vierges au Paradis »

     

    A signaler noter que cette intéressante note - signée  est parue le 

    Logo-LExpress-Une-Mouves.jpgLa semaine dernière, le Roi Mohammed VI du Maroc a tenu un discours remarquable sur le terrorisme et l’islamisme en Europe, à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance marocaine.

    Le texte intégral de son discours traduit en anglais est récemment apparu sur le site du Middle East Media Research Institute (MEMRI).

     

    « Nous croyons que le meurtre d’un moine est interdit par la charia, et que le tuer dans une église est un acte impardonnable de stupidité, parce qu’il est un être humain, et un religieux, même s’il n’est pas musulman. (…) Les terroristes qui opèrent au nom de l’islam ne sont pas musulmans », a dit le roi, se référant à l’assassinat du prêtre catholique Jacques Hamel en France le 26 juillet dernier.

    Il a demandé aux Marocains résidant à l’étranger d’adhérer aux valeurs de leur foi, et d’empêcher la montée de l’islamophobie et du racisme en protégeant leur bonne réputation.

    Pas de vierges pour les djihadistes

    Pour la première fois le monarque a également soulevé la question du djihad. Les kamikazes ne sont pas nécessairement motivés par des motifs religieux, mais la promesse de paradis est souvent un motif important. En effet, les musulmans qui se font exploser croient qu’ils acquièrent le statut de martyr, ce qui leur assure – à la différence des musulmans ordinaires – d’aller directement au paradis. Selon certaines interprétations du Coran, ils seraient alors récompensés par 72 houris, c’est à dire des jeunes femmes célestes vierges d’une très grande beauté.

    Dans les bagages de Mohammed Atta, l’un des terroristes qui avaient détourné un avion pour le faire percuter dans les tours du WTC à Manhattan en 2001, on a trouvé un document contenant la note suivante : « Il faut que tu sois gai, heureux, ouvert, tranquille, car tu  commets une action que Dieu aime et qui le satisfait et le jour viendra où tu  seras avec les houris ».

    Depuis quand le djihad consiste-t-il à tuer des innocents ?

    Le roi a évoqué le groupe terroriste Etat islamique (EI), l’accusant d’exploiter le manque de connaissance de l’Islam et de la langue arabe des jeunes musulmans en Europe :

    « Les terroristes qui opèrent au nom de l’islam ne sont pas musulmans. (…) Menés par leur ignorance, ils croient que ce qu’ils font est le djihad. Mais depuis quand le djihad consiste-t-il à tuer des innocents ? (…) Est ce qu’une personne saine d’esprit peut croire que des vierges au Paradis sont la récompense pour le djihad ? Est-il concevable que ceux qui écoutent de la musique seront avalés par la Terre ? Et il y d’autres mensonges de cette sorte. Les terroristes et les extrémistes utilisent tous les moyens possibles pour persuader les jeunes de se joindre à eux et de frapper des sociétés qui défendent les valeurs de liberté, d’ouverture et de tolérance. (…) Nous sommes tous visés. Celui qui croit en ce que j’ai dit est une cible pour le terrorisme ».  

  • Une publication exceptionnelle ... Un entretien qui devrait intéresser les lecteurs de Lafautearousseau ... Et comment !

  • 15 août 2017, « Jour de la vierge » de Salvador Dali

     

    « La Madone de Port Lligat », 1947

    Salvador Dali [1904-1989]

  • Le bouffon des temps tragiques

     

    PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ

    Cette tribune [2.08] - d'une pertinence toujours égale - est l'une de celles que Mathieu Bock-Côté donne sur son blogue du Journal de Montréal. Il aura été, depuis quelque temps déjà, un observateur lucide non seulement des évolutions politiques des pays dits encore occidentaux mais aussi de leur situation sociétale qui n'est pas de moindre importance.  L'esprit de ces chroniques, comme de celles qu'il donne au Figaro, est, au sens de la littérature et de l'histoire des idées, celui d'un antimoderne, même s'il n'est pas sûr qu'il acquiescerait à cette classification. Il s'est en tout cas imposé, selon nous, comme un esprit de première importance. Mathieu Bock-Côté n'est pas tendre ici pour Donald Trump, bien que, comme nous, il ait sans-doute préféré son élection à celle d'Hillary Clinton. Sur ce personnage, chef du plus puissant pays du monde, il nous paraît toutefois lucide.  Ce qui nous rappelle que, de par la nature de ce grand Etat, de ses intérêts, de son système politique et de sa classe dirigeante, les limites de l'alliance américaine doivent être toujours très présentes aux esprits français.  LFAR 

     

    501680460.5.jpgIl peut sembler facile, très facile, et même trop facile, de dire du mal de Donald Trump et de son administration. Hélas, il est difficile d’en dire autre chose !

    Nous sommes manifestement devant un pouvoir grotesque. Il a toutefois cela de particulier qu’il s’exerce à la tête de l’empire qui domine notre temps à un moment de l’histoire qui exigerait de grands dirigeants, capables de faire face à une époque tragique.

    Il y a quelque chose de saisissant à lire d’un côté les déboires d’un président fantasque et de l’autre, l’explosion d’une actualité internationale agitée qui laisse deviner des années difficiles.

    Histoire

    C’est le paradoxe de Trump : il prétend incarner un renouveau de la puissance américaine, mais il tourne son pays en ridicule sur la scène mondiale.

    Évidemment, l’Amérique survira à Trump, mais il aura contribué à son affaiblissement. Il en viendra un jour à représenter un dérèglement possible de la démocratie qui, toujours, peut céder aux démagogues, même si ceux-ci jouent souvent sur des inquiétudes populaires légitimes pour se hisser au pouvoir.

    Trump a conquis la Maison-Blanche en prenant au sérieux le sentiment de dépossession d’un grand nombre d’Américains. Il les trahit en se montrant incapable de se hisser à la hauteur de sa nouvelle fonction.

    Il voulait transgresser le politiquement correct, mais il en est venu à piétiner les exigences élémentaires de la décence.

    Revenons-y : l’époque est tragique et nous ne semblons toujours pas l’accepter.

    Revenons au début des années 1990. Après la chute du communisme, le monde occidental se croyait engagé sur le chemin de la paix perpétuelle. Certes, on trouverait encore ici et là des poches de résistance à la modernité.

    Mais le monde serait en voie de s’unir sous la pression du commerce et grâce au génie des droits de l’homme. La révolution technologique ferait de la planète un immense village.

    Les vieux conflits entre les pays, les religions et les civilisations deviendraient tout simplement incompréhensibles.

    Mondialisation

    Tout cela nous semble aujourd’hui terriblement ridicule.

    Qu’on pense seulement à la Russie de Poutine. Elle est dans une quête de puissance classique qui semble incompréhensible à ceux qui ne jurent que par la vie festive.

    Qu’on pense aux migrations massives, surtout celles qui frappent l’Europe : elles annoncent un monde chaotique qui fragilisera comme jamais le vieux monde.

    Qu’on pense aux fantasmes nucléaires de la Corée du Nord.

    Pensons, de manière plus heureuse, cette fois, au Brexit : en votant en sa faveur, les Britanniques ont rappelé que l’indépendance nationale demeure une valeur cardinale. Dans un monde bouillant, les peuples redécouvrent l’importance vitale des frontières.

    Retour à Trump. À certains égards, il représentait une révolte du peuple américain contre les excès de la mondialisation et un désir de réaffirmer une vision plus traditionnelle des États-Unis, plus adéquate pour affronter les temps nouveaux.

    Jusqu’à présent, il a tout gâché en se contentant d’être la caricature de lui-même. Il n’a pas su quoi faire de sa victoire. On ne voit pas comment il pourrait changer de cap.  

    MATHIEU BOCK-CÔTÉ

    Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).

  • Oui, l'Europe et la Russie peuvent se réconcilier

     

    Par Laurence Daziano 

    Depuis la fin de la Guerre froide, les relations entre l'Europe et la Russie demeurent tendues. Dans cette tribune publiée par Figarovox [11.08] Laurence Daziano, montre comment dans le contexte international actuel l'intérêt de l'Europe est de retrouver le chemin de l'entente avec Moscou. Lafautearousseau partage ce point de vue. En revanche, nous n'avons pas la même confiance que Laurence Daziano dans la solidité - retrouvée grâce à l'élection d'Emmanuel Macron ? - du couple franco-allemand. Ceci en raison des disparités qui n'ont cessé de se creuser entre les deux partenaires et de fortes oppositions d'intérêt. De même la vision très européenne si ce n'est européiste de Laurence Daziano pour réaliser l'entente euro-russe à juste titre proposée ici, nous paraît irréaliste. Et pas très gaullienne, non plus, comme en témoigne la référence à Jean Monnet. Si ce rapprochement doit évidemment entraîner l'ensemble européen, à commencer par l'Allemagne, peut-être devrait-il revenir à la France d'en prendre l'initiative, d'y avoir un rôle moteur et déclenchant. Une politique euro-russe à la française, d'initiative française, que la rencontre de Versailles, au lieu de n'être qu'un symbole, aurait préfigurée et qui, alors, prendrait un vrai sens. Qu'attend Macron pour aller à Moscou ?    LFAR

     

    Depuis près de dix ans, l'accroissement des tensions géopolitiques fait peser une épée de Damoclès sur l'Union européenne : crise financière de 2008, crise migratoire, conflit ukrainien, Brexit, élection de Donald Trump à la Maison Blanche qui achève de faire diverger les vues de Washington et de Bruxelles sur de nombreux dossiers. Ce retour en force du fait géopolitique s'est également concrétisé dans une montée inédite des tensions entre les Occidentaux et la Russie depuis la fin de la Guerre froide.

    Cependant, une conjonction de trois facteurs pourrait permettre aux Européens de retrouver, positivement, le chemin d'un destin propre, en quelque sorte une « voie gaulliste » entre l'Ouest et l'Est. D'abord, les « révolutions atlantiques » de Washington et Londres redonnent aux Européens la maîtrise de leur propre destin, y compris en termes sécuritaires. Ensuite, l'élection d'Emmanuel Macron à l'Elysée, qui a stoppé la vague populiste en Europe, ainsi que la probable réélection d'Angela Merkel à la chancellerie, en septembre 2017, redonnent à l'Europe le moteur qui lui manquait : un couple franco-allemand solide. Enfin, la Russie, qui est arrivée à garantir ses objectifs stratégiques en Ukraine et en Syrie, comprend désormais qu'une politique extérieure forte doit également reposer sur une croissance économique solide, à la veille des élections présidentielles de 2018.

    En mai dernier, Angela Merkel ne disait pas autre chose en déclarant, au lendemain du sommet du G7 de Taormina : « Les temps où nous pouvions totalement nous reposer sur d'autres sont en partie révolus. Nous, les Européens, nous devons vraiment prendre en main notre propre destin ». L'élection d'Emmanuel Macron a également consacré une nouvelle impulsion en Europe, en lançant des réformes tant attendues par Berlin et en recevant Vladimir Poutine à Versailles pour discuter, à nouveau, avec notre partenaire russe.

    Inversement, la promulgation le 2 août dernier des sanctions américaines contre la Russie a convaincu les Européens qu'il fallait définir une nouvelle voie stratégique. Washington vient de prendre, contre l'avis de Bruxelles, une série de sanctions qui pourraient toucher les entreprises européennes. Ces nouvelles sanctions, contre la Russie notamment, permettraient à Washington de prononcer des amendes, des restrictions bancaires et l'exclusion des appels d'offres outre-Atlantique à l'encontre des sociétés européennes qui participeraient à la construction de pipelines russes ou qui utiliseraient le dollar comme monnaie de transaction avec la Russie. De facto, ces sanctions interdiraient aux entreprises européennes, engagées dans des projets d'infrastructures en Russie, de poursuivre leur activité aux Etats-Unis.

    La France, déjà échaudée par les sanctions contre BNP Paribas, qui avait dû payer 9 milliards d'euros au Trésor américain en 2014 pour échapper à des poursuites judiciaires, a des intérêts à défendre. Washington utilise les sanctions comme une législation extraterritoriale au détriment des entreprises européennes et au profit des intérêts américains. Ces nouvelles sanctions visent de nombreuses entreprises énergétiques européennes ainsi que les projets de gazoduc à l'instar de Nord Stream 2. Financé en partie par Engie, Nord Stream 2 doit acheminer du gaz russe en Europe via l'Allemagne, alors que les Américains projettent d'exporter leur gaz de schiste, à un coût supérieur, en Europe.

    Dans ce contexte, l'Union européenne, sous l'impulsion du couple franco-allemand, devrait retrouver le chemin d'un dialogue franc et constructif avec Moscou, avec qui nous partageons de nombreux intérêts politiques, économiques, commerciaux et énergétiques, et faciliter les initiatives en ce sens.

    Dans un premier temps, la reprise de ce dialogue pourrait se dérouler à l'occasion d'un sommet «E - Russie » qui adopterait une feuille de route autour de projets concrets pour créer, comme l'avait déclaré en son temps Jean Monnet, des solidarités de fait. Ces solidarités « de fait » concerneraient la réalisation des projets énergétiques communs, mais également les coopérations des industries agro-alimentaires et l'industrie spatiale. Dans ce cadre, l'UE devrait être favorable aux coopérations commerciales en cours, comme Nord Stream 2 et Yamal, et non subordonner leur réalisation à des considérations exclusivement politiques.

    Dans un second temps, les relations russo-européennes pourraient être approfondies à l'occasion de la tenue d'une nouvelle Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) qui, en 1975, fut à l'origine de la détente et de la perestroïka. Cette conférence, qui pourrait se tenir à Helsinki comme la première, pourrait aborder la question d'un accord commercial de libre-échange UE - Russie, ainsi que la coopération sécuritaire. Bruxelles et Moscou pourraient signer un nouvel Acte final d'Helsinki, permettant de parachever une détente sécuritaire et l'édification de solidarités concrètes dans un espace géographique commun qui se dresserait de Brest à Vladivostok.  

    Laurence Daziano

    Maître de conférences en économie à Sciences Po, Membre du conseil scientifique de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol).

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