Inquiétante Algérie : « Le pourrissement de la situation pourrait déboucher sur un coup d'Etat militaire»
Noureddine Boukrouh, ancien ministre du Commerce
Un décryptage instructif par M. M'Hamed Hamrouch
La situation de l'Algérie ne laisse pas d'être inquiétante. Non pas seulement pour ce qui peut arriver à ce malheureux pays. Mais pour les conséquences d'une extrême gravité qu'il peut en résulter pour le nôtre, si proche de l'Algérie par la géographie et où des populations d'origine algérienne vivent en grand nombre. Le Maroc est aussi attentif et inquiet de l'état de son dangereux et grand voisin. Un chaos algérien pourrait affecter aussi tout le Maghreb. L'article qui suit est écrit du point de vue marocain. Il nous renseigne très utilement sur l'alarmante situation de l'Algérie. LFAR
Pour Noureddine Boukrouh, ancien candidat à la présidentielle algérienne de 1995, le président Bouteflika aura bel et bien préparé le terrain aux militaires pour prendre le pouvoir. Une éventualité désastreuse pour le peuple qui aura assez souffert de la prédation des « tyranneaux «
Voilà une sortie qui risque de fort déplaire au ministre de la Défense algérien, soit le président Bouteflika, autant qu'à son adjoint, le général de corps d'armée Gaïd Salah. C'est celle que vient de faire l'intellectuel algérien Noureddine Boukrouh, réputé pour ses déclarations au vitriol quand il s'agit d'épingler le régime grabataire de Boutef, ou encore l'armée du président qui se serait plutôt illustrée par la répression du peuple algérien frère.
Dans un article-fleuve, posté sur son compte Facebook, Nourredine Boukrouh, connu aussi pour sa position audacieuse sur le conflit artificiel créé autour du Sahara marocain, apporte d'abord une précision de taille. « Je n'appelle pas l'Armée à un coup d'Etat mais affirme en toute responsabilité que le pourrissement de la situation sape de plus le moral de la nation, érode l'autorité de l'Etat, pousse aux troubles sociaux », précise-t-il en effet. « Devant de tels dangers, il n'y a pas que le coup d'Etat comme moyen d'action », prévient-il.
Dans la foulée de ces tirs à l'artillerie lourde, Gaïd Salah en prend pour ses grades de chef d'état-major de l'armée algérienne. Le général est invité à cesser ses rodomontades de pacotille et à s'en tenir à la stricte obligation que toute grande muette doit faire sienne, soit l'obligation de discrétion et de réserve.
Boukrouh, qui affirme avoir eu bien des démêlées judiciaires avec l'armée, surtout en 1991, quand il a été poursuivi pour avoir accusé les hauts galonnés de l'armée de la « ripouxpublic « « de se servir « et ne pas servir le peuple, s'en prend, ici, au vice-ministre de la Défense, Gaïd Salah. « On ne peut pas dire que notre armée soit muette car elle s’exprime régulièrement par écrit à travers les éditoriaux de sa revue officielle, el-Djeïch, et oralement par la bouche de son chef d’état-major à une occasion ou une autre. Les deux parlent d’une même voix, pour dire la même chose, surtout quand il s’agit de rappeler, comme vient de le faire le général Gaïd Salah à Constantine, qu’elle est une « armée républicaine «.
« Quel sens peuvent revêtir des déclarations d’allégeance à la République quand cette allégeance ne va pas au « peuple souverain » mais à un homme invisible, inaudible et notoirement dépourvu de ses moyens physiques et intellectuels ? Quand le haut commandement de l’Armée, à la suite d’un enchaînement de décisions et de restructurations, est devenu le bras armé et ponctuellement menaçant d’un régime moribond, d’un pays sans gouvernance et d’un Etat qui n’est plus Gérant ou Garant, mais tout simplement Errant... », s'indigne encore M. Boukrouh.
L'ANP a du sang algérien sur les mains !
« Vous avez tiré sur le peuple le jour de l’indépendance puis après, lors du coup d’Etat de 1965, en octobre 1988, en 2001… C’en est assez ! », s'insurge M. Boukrouh. « Cette armée a perdu des milliers de « djounouds » dans la lutte contre le terrorisme et tué des dizaines de milliers d’Algériens passés au terrorisme. Jusqu’à quand l’armée algérienne fera-t-elle la guerre aux Algériens innocents ou « égarés », alors que même cet « égarement » est le fruit de vos choix, de votre aveuglement, de votre incompétence… », s'interroge-t-il, insinuant de manière à peine voilée que ce sinistre scénario risquerait de se reproduire en cas de nouveau coup d'Etat militaire.
« Ce peuple est présentement sacrifié au delirium tremens d’un homme que vous avez ramené et imposé (Ndlr : le président Bouteflika), puis demandé à quelques hommes de bonne volonté comme moi de « l’aider à reconstruire le pays. Il l'a détruit, au moins moralement », déplore-t-il.
Contre les fanfaronnades du général Gaïd Salah, comparé à Saddam Hussein
« Le chef d’état-major de l’ANP affirmait récemment avec une autosatisfaction qui m’a rappelé Saddam Hussein que notre Armée comptait parmi les plus puissantes au monde. Là aussi yekhtalfou-l-oulama, général ! », ironise l'auteur du livre L'Algérie dans la tourmente. « Car le savoir universel enseigne et l’expérience des dernières guerres montre qu’une armée qui n’est pas adossée à une économie et des technologies indépendantes et performantes, qui ne produit pas les matériels requis par la guerre moderne mais les achète, qui ne possède pas une industrie capable de produire de l’armement conventionnel et stratégique à l’instar de la Chine, la Russie, l’Inde ou la Corée du Nord, sans parler de l’Occident et du Japon, est une armée juste bonne à réprimer le petit peuple pour qu’il plie devant le despotisme d’un tyranneau de douar ou d’une smala, à s’opposer à un terrorisme local, ou à soutenir un conflit avec un voisin de moindre force » , enfonce-t-il.
Et d'ajouter: « Voilà un quart de siècle que l’ANP combat jour et nuit le terrorisme sur l’ensemble du territoire national sans l’avoir éradiqué (...) Une armée puissante est l’émanation d’un peuple libre, intelligent, inventif, productif, fier de ses institutions démocratiques, et non un appareil militaire prompt à tirer sur son peuple quand celui-ci veut devenir libre, intelligent, inventif, productif, démocrate et capable de créer une industrie militaire destinée à le protéger réellement» .
Voilà qui donnera du fil à retordre au vice-ministre algérien de la Défense, dont le département continue de se jeter à fonds perdu dans l'achat des armes. Il a engrangé en 2017 pas moins de 62 milliards de dollars, au moment où le spectre de faillite générale guette tout le pays en raison de la chute continue des hydrocarbures (98% des exportations et 60% des recettes de l'Etat).
Un paradoxe dont seuls les hauts galonnés détiennent le secret, sachant que leur armée n'a jamais fait de guerre en dehors de celle, - la Guerre des Sables de 1963-, où elle a essuyé une cuisante raclée de la part des vaillantes Forces armées royales. La « guerre » contre les terroristes, ceux-là mêmes qui ont été enrôlés et financés par les hauts galonnés du Département du renseignement et de la sécurité (renseignement militaire) justifierait-elle ces dépenses himalayennes ? Que dire des rétrocommissions perçues en dessous de table sur chaque contrat d'armement par des généraux convertis en hommes d’affaires ? « En 1991, j’ai été le premier Algérien à faire l’objet d’un dépôt de plainte par le ministère de la Défense nationale », se souvient M. Boukrouh. « C’était au lendemain d’une déclaration faite lors d’un débat public à Blida en réponse à la question d’un concitoyen sur le salaire des généraux : « Les généraux n’ont pas de salaires, ils se servent ». On n'est jamais mieux servi que par soi-même, dit un proverbe. Proverbe qui s'applique parfaitement à des généraux gloutons et prompts à sévir quand il s'agit de préserver leurs intérêts et ceux de leurs familles. •