UA-147560259-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Actualité Europe - Page 46

  • Référundum catalan : « L'indépendance n'est qu'un slogan »

     

    Par   

    Cet entretien de Paul Gérard avec Benoît Pellistrandi [Figarovox, 25.09] donne un éclairage à la fois informé, argumenté et juste sur la situation grave de la Catalogne et de l'Espagne, à la veille du référendum catalan de dimanche prochain, 1er octobre. Les événements qui s'y passent, dans la polémique, l'agitation, la tension et même l'affrontement, concernent la France. L'Espagne est un pays voisin, latin, comme nous atlantique et méditerranéen, avec lequel nos liens sont multiséculaires et où règne un Bourbon. En aucun cas sa dislocation ne ferait notre affaire. On pourra se reporter à nos propres réflexions sur le sujet,  brièvement données dans notre article Barcelone : « No tinc por », paru à la suite de l'attentat du mois dernier dans la capitale catalane [Lien ci-dessous].   LFAR

     

    maxresdefault.jpgLe Parlement catalan avait adopté le 9 novembre 2015 une résolution visant à créer une république indépendante de Catalogne si le « oui » l'emporte au référendum du 1er octobre. Pourquoi la Catalogne, dont l'autonomie accordée par la constitution de 1978 et augmentée par la loi de 2006, tient-elle à son indépendance ? 

    L'indépendantisme a longtemps été une option politique minoritaire et marginale en Catalogne. Si aujourd'hui les thèses indépendantistes ont gagné du terrain c'est que trois phénomènes majeurs se sont produits ces dix dernières années.

    D'abord, il y a eu la crise économique. Rappelons-nous : entre 2008 et 2012, l'Espagne plonge et se trouve au bord d'une situation comparable à la Grèce. Dans ces conditions, un discours dénonçant le « racket fiscal » auquel l'Espagne soumettrait la Catalogne devient largement audible. Et les responsables catalans de masquer derrière cet argument leurs propres choix budgétaires entre 2010 et 2013. L'indépendantisme se nourrit d'un populisme antiespagnol encouragé par le gouvernement de Catalogne.

    Deuxième élément clef : la crise économique provoque l'affaiblissement dramatique du PSOE (Parti Socialiste). La Catalogne était un traditionnel fief électoral du PSOE: en 2008, aux élections générales, les socialistes obtiennent 25 députés sur les 47 que la Catalogne envoie à Madrid. En 2011, 14 ; en 2015, 8 ; en 2016, 7.

    La Gauche Républicaine Catalane (ERC) a vu l'occasion historique de liquider ce parti national en Catalogne. L'irruption de Podemos a achevé le processus. Si bien qu'a disparu un parti national essentiel à l'articulation des liens entre la Catalogne et le reste de l'Espagne. Le Parti Populaire a toujours été faible en Catalogne et la représentation politique semble être majoritairement nationaliste et indépendantiste.

    Troisième élément : les effets d'une politique culturelle, éducative et audiovisuelle (TV3 est une télévision publique catalane) qui ont véritablement « catalanisé » une génération. Les militants les plus radicaux sont des jeunes de moins de 40 ans… Comme l'estime l'ancien président du parlement européen, le catalan socialiste Josep Borell, « la radicalisation d'une partie de la société catalane n'est pas étrangère à une propagande systématique ». L'indépendantisme est moins une revendication venue de la société catalane qu'une instruction diffusée par les institutions catalanes.

    Le problème de l'indépendance, c'est que ce n'est qu'un slogan. Aucune discussion précise n'a eu lieu pour essayer de penser et de décrire ce que serait une Catalogne coupée de l'Espagne et hors de l'Union européenne. L'indépendance est une revendication passionnelle mais pas un projet argumenté.

    En 2012 le ministre de l'éducation nationale de l'époque José Ignacio Wert avait appelé à « espagnoliser » les jeunes catalans. Y a-t-il donc un tel hiatus culturel entre la Catalogne et l'Espagne ?

    Oui. Aujourd'hui, selon les sondages, 40% des Catalans se sentent aussi Espagnols que Catalans et seulement 25% ne se sentent que Catalans. Ce sont ces 25% qu'on entend principalement. La Catalogne comme région autonome à la compétence des questions éducatives. Elle a aussi des compétences culturelles et linguistiques.

    Tout récemment, le maire de Sabadell a proposé de modifier le nom des rues pour effacer les traces du franquisme. Parmi les noms qu'il fallait oublier, celui d'Antonio Machado (1875-1939), le grand poète libéral et laïque de l'Espagne populaire, mort à Collioure de tristesse à la suite de la victoire de Franco. Son crime : avoir écrit le recueil Champs de Castille, un hymne à l'endurance des populations rurales, humbles et pauvres !

    Une telle ignorance dit à quel point certains Catalans se sont enfermés sur eux-mêmes et vivent dans une représentation biaisée du reste du monde… et d'eux-mêmes ! L'ambition du ministre José Ignacio Wert était de remettre, par l'enseignement, un peu de liens communs entre tous les Espagnols. Il y a eu une « balkanisation » de l'éducation en Espagne qui est très regrettable. On apprend la géographie de sa communauté autonome (pas seulement en Catalogne) et on ignore celle de l'Espagne !

    Alors même que la consultation du 1er octobre a été déclarée inconstitutionnelle par le Tribunal constitutionnel espagnol, les indépendantistes poursuivent leur agenda. En cas de « oui » au scrutin, Madrid peut-elle empêcher la sécession de la Catalogne ?

    Bien entendu. Une déclaration unilatérale d'indépendance aurait un caractère absolument ridicule. Seul le Venezuela s'est déclaré prêt à reconnaître le nouvel État… L'Union Européenne insiste sur le caractère anticonstitutionnel de la démarche de Barcelone. Ce que l'on sait c'est que le gouvernement catalan a préparé une agence fiscale catalane. Il s'est aussi emparé des données de la Sécurité sociale.

    Mais de quels moyens disposerait le nouvel État fantôme ? Ce serait casser encore plus une société catalane qui est déjà fracturée.

    Ce qui est certain c'est que le gouvernement espagnol - je préfère cette expression à Madrid car en opposant Madrid et Barcelone, on oublie l'existence de 47 millions d'Espagnols - n'opposera jamais la violence à l'action des responsables catalans mais toujours les instruments de l'État de droit. Nous sommes en 2017… pas en 1936, malgré les discours délirants et irresponsables de certains.

    Quelle est l'histoire de l'indépendantisme catalan ? Pourquoi a-t-il une telle vigueur aujourd'hui ?

    Il faut distinguer l'indépendantisme et le nationalisme, ou plutôt les nationalismes.

    Ceux-ci précédent l'indépendantisme. Le nationalisme naît à la fin du XIXe siècle à la faveur d'abord d'une renaissance culturelle du catalan. La langue n'était plus qu'utilisée oralement et elle a bénéficié d'une remise en valeur écrite. Sont d'ailleurs à l'origine de ce mouvement des érudits catholiques, souvent très conservateurs ! Puis la bourgeoisie catalane a voulu faire valoir ses intérêts face à Madrid: elle est en effet protectionniste alors que les céréaliers castillans sont favorables au libre-échange. Mais d'un autre côté, le développement d'un prolétariat en Catalogne a donné des forces à la gauche et un nationalisme révolutionnaire s'est développé. Dans les années 1930, ces deux nationalismes sont concurrents… et la banque catalane financera le coup d'État des militaires de juillet 1936 pour écraser la gauche prolétaire !

    En 1977, l'ancien président en exil de la Généralité de Catalogne, Josep Tarradellas, est rétabli dans ses fonctions. C'est un accord avec le président Suárez (chef du gouvernement espagnol de 1976 à 1981). Il s'agit en effet de consolider le centre-droit et la démocratie-chrétienne contre la gauche catalane. L'opération fonctionne et Jordi Pujol (Convergence et Union) dirigera la région de 1980 à 2003 !

    Aujourd'hui, la coalition au pouvoir noue ensemble des nationalismes idéologiquement très distincts : vous avez les héritiers de Jordi Pujol mais aussi les républicains de gauche et surtout les bolcheviques de la Candidature d'Unité Populaire. Ces derniers (10 sièges au parlement de Catalogne sur 135) sont la clef qui donne la majorité absolue et tout se fait par eux, avec eux, grâce à eux et à cause d'eux.

    Or, la CUP veut voir dans l'indépendance l'occasion de la révolution sociale. D'ailleurs, ces jours-ci, les structures catalanes de Podemos rallient la revendication du référendum car les militants et leurs leaders, Pablo Iglesias et Ada Colau (maire de Barcelone) y voient l'occasion de lancer un grand mouvement contre le Parti Populaire au pouvoir à Madrid.

    On est dans une convergence d'aspirations contradictoires. Cela s'est déjà vu… en 1937 : et ce fut une guerre civile dans la guerre civile espagnole. C'est dire comme la situation de confusion est grave et combien faire de l'indépendantisme l'alpha et l'oméga de toute la politique risque de conduire à de rudes désenchantements.

    Madrid a-t-elle selon vous raison de réprimer l'organisation du référendum en allant jusqu'à emprisonner des responsables catalans ?

    Personne n'est emprisonné. La justice espagnole a lancé des procédures contre des hauts fonctionnaires qui, obéissant à un gouvernement qui excède ses compétences, sont dans l'illégalité. Un juge d'instruction (de Barcelone) a lancé une opération judiciaire. Des hauts fonctionnaires ont été entendus dans le cadre d'une garde à vue. Ils sont depuis libérés mais mis en examen. D'autres hauts fonctionnaires sont restés eux dans le cadre de la loi.

    On peut citer le secrétaire général du Parlement de Catalogne qui a refusé d'entériner le coup de force parlementaire du 6 septembre. On doit citer les juges, les policiers qui font leur travail. Comment pourrait-on leur reprocher ? Il faut aussi mesurer l'intimidation politique et administrative à laquelle sont soumis les fonctionnaires catalans. En novembre 2014, quand une première consultation fut organisée, la Généralité de Catalogne ordonna aux proviseurs des lycées d'ouvrir leur établissement. Une proviseure, Dolores Agenjo, a demandé un ordre écrit : elle ne l'a jamais reçu parce que c'était illégal. Mais elle a dû faire face à des pressions considérables. On lui doit un livre très éclairant: SOS. Séquestrée par le nationalisme (2016).

    L'action de l'État de droit espagnol vise tout simplement à protéger les citoyens espagnols en Catalogne face aux dérives d'un pouvoir qui se croit tout-puissant et qui entend forcer la démocratie.

    A-t-il jamais existé, en réalité, une nation espagnole?

    Voilà une redoutable question qui agite les Espagnols, les historiens et les penseurs depuis plusieurs siècles. Quand en 2008, l'Espagne a remporté la coupe d'Europe de football, qu'elle a répété cet exploit en 2012 et qu'entre-temps elle remporte la coupe du monde en 2010, les Espagnols se sentaient fiers de leur équipe. Quand Nadal triomphe sur les courts de tennis, les Espagnols aiment ce champion modeste, travailleur et génial. Quand en 1992, Barcelone a accueilli les Jeux Olympiques, ce fut une fierté nationale.

    Oui, il y a des moments d'unité et les Espagnols savent se reconnaître entre eux. Alors bien sûr, l'histoire de l'Espagne est marquée par des épisodes dramatiques, au premier rang la guerre civile. Les fractures sont énormes. Mais quelle nation européenne n'est pas ainsi lacérée par son histoire et ses mémoires contradictoires ? Croyez-vous que la nation italienne soit une évidence ? Et la nation allemande ? Du coup, le pessimisme historique sur l'Espagne affaiblit un sentiment national difficile.

    Ce qui manque à l'Espagne est une appréciation juste et comparée de son histoire. Trop souvent, elle porte en elle-même une vision exagérée de ses échecs ce qui conduit à un discours sévère sur le pays. Mais c'est manquer de vision : ce pays existe. Attention aux instrumentalisations de l'histoire. Quand la Catalogne a-t-elle été une nation indépendante ? Il y a mille ans… et le concept de nation n'a pas alors le sens qu'on lui donne.

    Une nation, c'est une histoire commune : comment douter qu'existe en Espagne une histoire commune ? Une nation, c'est une culture : comment douter que l'Espagne a fourni une manière de dire la vie, de la traduire et de la comprendre ? Une nation, c'est un peuple : or le peuple espagnol existe, comme réalité politique et constitutionnelle mais aussi comme réalité singulière en Europe. Une nation, c'est également la manière dont les autres pays la voient. Or, qui, dans le monde, doute de l'existence de l'Espagne ?  

    966213784.jpg

    Agrégé d'histoire et ancien élève de l'Ecole normale supérieure, Benoît Pellistrandi est professeur en classes préparatoires au lycée Condorcet à Paris et spécialiste de l'histoire espagnole. Il a notamment publié Histoire de l'Espagne. des guerres napoléoniennes à nos jours chez Perrin en 2013.

    Lire dans Lafautearousseau ... 

    Barcelone : « No tinc por  »

  • Ce qu’est l’Europe aujourd’hui

     

    par Gérard Leclerc

     

    2435494823.jpgLes résultats des élections allemandes ont donné lieu à des commentaires plutôt convergents.

    La victoire de la chancelière Angela Merkel a un goût d’amertume et son quatrième mandat s’annonce difficile. Je ne sais s’il faut partager le pessimisme extrême de ceux qui lui annoncent des allures crépusculaires. Mais il est incontestable que cette remarquable tacticienne se trouve aux prises avec des difficultés liées à la situation concrète de son pays et à celle de l’Europe. En effet, le régime représentatif reflète forcément l’évolution d’une société et les mouvements de son opinion publique. L’émergence de la formation Alternative pour l’Allemagne ne pouvait surprendre, elle est dans la logique des événements récents. Si l’on peut craindre la dureté de certaines de ses positions, on doit admettre qu’elle s’exprime dans un cadre régulateur qui vaut mieux que l’expression sauvage de certaines peurs et de certains réflexes.

    Force est de reconnaître également que ce qui est vrai pour l’Allemagne l’est aussi pour l’ensemble de l’Europe, et que cela risque de contrarier les projets qu’Emmanuel Macron envisageait de réaliser en accord avec la chancelière. Il faut convenir, même si ce n’est pas une réalité forcément agréable, que l’Europe de l’Est est réfractaire à une politique globale d’ouverture à l’immigration. La Hongrie, la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie sont solidaires à l’encontre d’une volonté qui leur imposerait des quotas d’immigrés. Même des intellectuels que l’on considérait comme participant d’une sorte de consensus progressiste se retrouvent avec les États qui craignent pour leur cohérence interne. Il faut bien comprendre que la République Tchèque, par exemple, ne renie pas forcément l’héritage de Vaclav Havel lorsque elle veut défendre sa spécificité qu’elle considère comme fragile, eu égard au caractère modeste de son État, à sa culture et sa langue minoritaires. C’est de tout cela qu’il faut tenir compte, et les élections sont la meilleure médiatrice pour donner au peuple l’occasion d’exprimer leurs craintes et leurs espoirs. Les élections allemandes sonnent l’heure d’un nouveau défi pour l’Europe.  

    Gérard Leclerc

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 26 septembre 2017

  • Une victoire si amère que ça ?

    A la Une du Figaro d'hier lundi ... 

     

    En deux mots.jpgIl a fallu bien des années à Alain Minc pour s'apercevoir que les nations, comme les personnes, ont, selon son expression, un ADN. C'est ce que les élections allemandes viennent de nous rappeler. Et de nous démontrer avec la force de l'évidence. 

    Manifestement, Allemands et Français, nous ne sommes pas le même peuple. Nos ADN sont différents, parfois opposés. Malgré De Gaulle et Adenauer, malgré Giscard et Schmidt, Mitterrand et Kohl, malgré les avions, le TGV, Internet, Erasmus, les réseaux sociaux, les interdépendances de tous ordres, notamment économiques ou financières, etc. C'est comme si rien n'était de taille, malgré l'opinion courante, à gommer les différences. 

    Nous avons élu le président de la République il y a à peine un peu plus de trois mois. Mais Emmanuel Macron a surtout été choisi parce qu'il incarnait les apparences de la rupture : par l'âge, la culture, le maintien, l'allure et parce qu'il signifiait le « dégagisme ». C'est à dire l'éviction programmée et rapide de toute une caste honnie dont on ne voulait plus. En l'affaire, l'électorat d'avril dernier n'a pas cherché beaucoup plus loin. Un trimestre a suffi pour que la cote de popularité du Chef de l'Etat soit au plus bas. On sait qu'elle a perdu 24 points en juillet-août et, aujourd'hui, plus de 60% des Français se disent mécontents, dont 20% de « très » mécontents. La rue manifeste, les routiers font mine de bloquer les postes d'essence et Mélenchon invite les jeunes à se mettre « en mouvement ». Il joue son Bolivar ou son Lénine et agite les vieux rêves de la Révolution. 

    Dimanche dernier, les Allemands ont renouvelé le Bundestag qui pour la quatrième fois reconduira Angela Merkel â la chancellerie. S'il n'y en a pas de cinquième, elle y sera restée 16 ans. D'ailleurs, comme Helmut Kohl, son mentor.   

    Merkel gouvernera à la tête d'une coalition ; son parti, quoique largement en tête, ressort légèrement affaibli de la consultation de dimanche. Mais, c'est évident, elle a très largement l'estime et le soutien du peuple allemand. Au reste, l'on a trouvé, Outre-Rhin, les débats Merkel-Schulz terriblement ennuyeux, tant leurs programmes sont proches. L'Allemagne est un pays de consensus. En France, il est rare et éphémère. Amère victoire pour Merkel ? C'est surtout une vision française ...

    Bainville réfléchit dans son Journal, vers 1932-33, sur le « besoin d'être commandés » des Allemands, peut-être plus vif, chez eux, que chez la plupart des autres peuples. Commandés, ils le seront peu après sous une forme extrême, où l'hubris, le romantisme, l'exaltation, l'horreur et, pour finir, l'apocalypse suprême, affecteront, dans un unanimisme peu contestable, ce peuple, d'ordinaire raisonnable, sagement laborieux et uni.  

    Quatre-vingt-dix députés de l'AFD entreront bientôt au Bundestag, véritable lieu de la souveraineté allemande, ce qui brise un peu l'unanimisme dont nous avons parlé, ou, vu autrement, le reconstitue contre une AFD pour l'instant à 13%.  

    L'essor de l'AFD témoigne - et c'est une première - de l'ébranlement des tabous - ou des complexes - allemands d'après-guerre. Ce parti sera-t-il amené à constituer un jour autour de lui une unanimité de substitution ?  On ne peut jurer de rien. Mais dans cette grande et opulente maison de retraite  constitutive aujourd'hui pour partie de la nation allemande, brandir la menace d'une quelconque résurgence d'un mouvement ou d'un climat ayant une vraie parenté avec la période nazie, nous paraît relever d'une propagande de piètre niveau. 

    Rien ne dit si l'Allemagne de l'unanimisme, à tout le moins du consensus, de la stabilité et de la richesse, durera longtemps. Son effondrement démographique l’inquiète et l’affaiblit. Pour l'instant, elle est satisfaite de son sort et en sait gré à ses dirigeants. La guerre qu'elle mène aujourd'hui - c'en est une - est industrielle et économique. Et c'est une guerre lucrative celle-là qui lui rapporte bon an, mal an, 250 milliards.  

    Nous avons gardé notre légèreté, notre inconstance, - essentiellement en politique - et notre manie gauloise des divisions infinies. De sorte que nous vivons, avec les Allemands, de part et d’autre du Rhin, Gaulois et Germains, sous des systèmes non plus ennemis, mais antithétiques.  •

    Retrouvez l'ensemble de ces chroniques en cliquant sur le lien ci-dessous

    En deux mots, réflexion sur l'actualité

  • Notre avant-guerre ?

    La Chine investit près de 200 milliards de dollars/an pour son armée 

     

    En deux mots.jpgPériodiquement, il faudrait relire Giraudoux, esprit sage et subtil, bienveillant et souriant aux misères des hommes et des peuples, à leurs insuffisances et à ces fatalités qui, à intervalles réguliers, les conduisent dans de terribles malheurs. Par exemple les guerres modernes. Giraudoux en savait quelque chose, qui en avait vécu deux. Mondiales, pour la première fois. Mais on ne lit plus Giraudoux, on l'a oublié ou presque, on ne joue plus son théâtre. A notre société il manque la culture et au théâtre un Jouvet, qui avait fait de Giraudoux l'auteur dramatique de sa vie. 

    Ce qui nous a rappelé Giraudoux ces temps derniers, ce sont les prodromes d'une guerre, qui montent de l'actualité avec leur lot de ridicules, de dérision et de sourde inquiétude. C'est ce dont Giraudoux a superbement traité dans La guerre de Troie n'aura pas lieu. Et qui finalement aura lieu comme chacun sait. 

    Entre 1870 et 1914, on avait déjà cru une nouvelle guerre impossible. On pensait que le perfectionnement des armes la rendait trop meurtrière pour qu'elle fût tentée. On le croyait encore le 2 août 1914. Mais la guerre éclata quand-même le 3. Entre les deux conflits mondiaux on recommença : la tragédie avait été trop terrible entre 1914 et 1918, elle avait fait un trop grand nombre de morts - autour de 20 millions - pour qu'une guerre pût encore se produire. Et aussi on avait créé la Société des Nations, la SDN, ancêtre de notre ONU, pour, de toute façon, l'empêcher. Dérisoire illusion ! Hubert Védrine l'a fort bien dit : les institutions internationales ne sont que des lieux de rencontre. 

    Les grands conflits sont en général précédés de guerres dites régionales. La guerre d'Espagne, où les armées européennes, sauf la nôtre, s'étaient essayées, sur terre et dans le ciel, s'est terminée le 1er avril 1939 ; la Seconde Guerre mondiale éclata le 1er septembre. Nous avons aujourd'hui la guerre de Syrie, dont Eric Zemmour a dit - peut-être avec raison - qu'elle est notre guerre d'Espagne. Mauvais présage … Les aviations russe, américaine et accessoirement française, se croisent dans le ciel syrien, au risque, d'ailleurs, de s'y affronter. Des militaires de mêmes nationalités s'affairent sur son sol.  

    Précèdent aussi les conflits majeurs, ces rencontres entre « grands » où l'on fait assaut de pacifisme et de bons sentiments. Giraudoux, toujours, a restitué cette dramaturgie singulière dans La Guerre de Troie n'aura pas lieu, avec une infinie délicatesse et une lucidité amusée. En 1938, il y avait eu Munich. Nous avons les G7, les G 20, et les conférences au « format Normandie ». Trump, Poutine et Xi Jinping se sont rencontrés à Hambourg en 2017 ; les membres, plus chanceux, du G7 se sont offerts Taormine comme jadis on se retrouvait à Locarno. 

    La politique des « sanctions » fait aussi partie de la panoplie des avant-guerres. Comme il y eut, autour de 1935-1937, les sanctions contre l'Italie, aux funestes conséquences, nous avons les sanctions américaines contre Cuba et les sanctions, d'ailleurs réciproques, des « démocraties » contre la Russie, ou contre l'Iran et, aujourd'hui, les sanctions votées à l'ONU, contre la Corée du Nord. 

    C'est maintenant dans le Pacifique que semble s'être déplacée la perspective de grands affrontements. Loin de notre Europe, et c'est tant mieux. Les missiles de Pyongyang survolent à intervalles rapprochés le Pacifique et le Japon lui-même, qui d'ailleurs, avait occupé jadis la Corée. Elle ne l'a pas oublié. Les 160 000 Américains de l'ile Guam vivent dans la peur qu’un missile nord-coréen leur tombe dessus. Mais chacun sait que derrière la Corée du Nord il y a l'immense Chine et derrière la Corée du Sud et le Japon, les Etats-Unis. Contenue, pour un temps dont on ne peut dire combien il durera, par des motivations commerciales et financières, la rivalité sino-américaine n'en est pas moins un phénomène grandissant, derrière les sourires et les poignées de main. 

    Ces motivations pacifico-pragmatiques, toutefois, n’empêchent pas la course aux armements, dont on croit qu'on ne se servira jamais, comme on avait pensé jadis que la guerre de Troie n'aurait pas lieu. La course aux armements caractérise aussi les avant-guerres et nous conseillerons aux sceptiques de considérer l’ampleur et l’accroissement, étonnants pour les optimistes, des budgets militaires des grandes puissances d’aujourd’hui : les 622 milliards de dollars américains, que Trump vient de décider d’augmenter de 7% ; les presque 200 milliards de dollars chinois ; le programme militaire indien, en passe de rejoindre la Chine sur ce terrain ; sans compter l’éventuel réarmement du Japon, d’ailleurs déjà entamé. Que pèsent, en comparaison, les 44 milliards français et les 48 milliards russes ? 

    Justement, si le pragmatisme devait être abandonné, si un conflit majeur venait à éclater un jour ou l’autre dans les régions du Pacifique que nous avons évoquées, il ne faudrait pas dénier à l’Europe, qui s’est si longtemps épuisée à se battre chez elle, notamment la France, la chance de se trouver, pour une fois fort éloignées du théâtre du conflit, ni, nonobstant toutes alliances,  le droit de s’en tenir soigneusement à l’écart. Chacun sait que la guerre de Troie n’aura pas lieu. Mais si elle avait lieu tout de même ? Nous devrions dire comme Louis XV et rester sur le mont Pagnotte.  • 

     Retrouvez l'ensemble de ces chroniques en cliquant sur le lien ci-dessous

    En deux mots, réflexion sur l'actualité

  • Charles Saint-Prot : « La priorité fondamentale, c’est la récupération de tous les instruments de souveraineté. »

     

    Trois questions à… Charles Saint-Prot, directeur général de l’Observatoire d’études géopolitiques, qui a donné une conférence au Camp Maxime Real del Sarte 2017 sur la place de la France dans le monde. Il répond ici aux questions d'Action française 200O. Charles Saint-Prot est aussi un vieil ami de l'actuelle équipe de Lafautearousseau.  LFAR

     

    Saint-prot.jpgVous évoquez la nécessité de la volonté politique en matière de politique étrangère, cependant le problème de nos élites n’est-il pas une méconnaissance de la France en tant qu’entité historique, voire sa négation ?

    Il ne peut y avoir de grande politique étrangère sans une ferme volonté politique et sans un cap précis conforme à l’intérêt national puisque le but ultime du politique est de servir cet intérêt. Il est triste de devoir constater que la volonté politique est trop souvent absente ou du moins très timide dans la politique étrangère de la France. Cela est dû au fait que les hommes politiques ont, pour le plus grand nombre d’entre eux, sombré dans la facilité, la routine, la soumission à l’idéologie du renoncement. Ils se sont laissé enfermer dans le piège mortel d’une construction européenne qui se fait sous la forme d’un super-État totalitaire au détriment des États-Nations, à commencer par la France.
    Comme je l’expose dans mon ouvrage L’État-nation face à l’Europe des tribus (Cerf), l’eurocratie – dirigée par une Allemagne sûre d’elle-même et dominatrice – rêve de faire sauter le verrou de la nation pour imposer un système supranational s’inscrivant dans le projet mondialiste ultra-libéral. Il semble que la plupart des dirigeants français ne prennent pas la mesure de la menace puisqu’ils acceptent ce diktat supranational, ignorant du coup les lois de la politique française et les leçons de l’Histoire qui enseignent qu’il faut toujours rester maître chez soi sinon on court le risque de perdre toutes ses libertés en perdant son indépendance.

    Ne doit-on pas voir dans ce renoncement une conséquence de la faillite de nos institutions (républicaines) ?

    Sans doute la situation déplorable de notre politique étrangère est- elle due à l’inconséquence d’un système politique dont les faiblesses sont évidentes. Ce système est générateur de prétendues élites a-nationales et conformistes qui ignorent le bien commun, bafouent les intérêts les plus évidents de la nation et sont déconnectées du pays réel. Ce système est en faillite ; il ne vit qu’au jour le jour, d’une élection à l’autre. Du coup, pour ce qui concerne la place de la France dans le monde, la thèse exposée par Maurras dans son fameux Kiel et Tanger  – dont le président de la République Georges Pompidou louait d’ailleurs la lucidité lors du centenaire de Sciences Po – se révèle exacte : le régime républicain, qui est hélas de plus en plus tributaires des brigues, des factions et des groupes de pression, est impuissant et, par conséquent, incapable de mener une politique étrangère durable conforme à l’intérêt national.

    Quelle est la place des droits de l’homme au sein de la diplomatie ?

    Une politique étrangère obéit à des objectifs précis concernant le rôle d’une nation dans le monde. Il est clair qu’elle n’a pas à répondre à des critères idéologiques, sentimentaux ou prétendument moraux. Il ne faut pas mélanger politique et morale. Il ne s’agit pas de pratiquer une sorte d’ingérence en donnant à tout bout de champ des leçons aux autres et en se mêlant des affaires intérieures des États souverains. Pas plus d’ailleurs qu’il ne faut se laisser donner des leçons par les autres. La politique étrangère ne consiste pas à se faire le propagandiste d’options idéologiques en faisant la promotion de la « démocratie » et des « droits de l’homme », toujours conçus à sens unique et d’une manière bien hypocrite quand on voit le nombre de situations dramatiques que l’on s’obstine à ignorer (par exemple l’éradication de l’identité tibétaine par la Chine)
    Ce qui doit primer dans l’ordre international c’est le principe, posé par les traités de Westphalie (1648), réaffirmé par le Congrès de Vienne de 1815 et exposé dans la Charte des Nations unies adoptée en 1945 : le droit international est fondé sur le principe de la souveraineté, intérieure et extérieure, des États. Sans le respect de la souveraineté s’impose alors la loi du plus fort ou celle d’un super-État artificiel ou encore celle d’obscures institutions supranationales qui n’ont aucune légitimité.
    Pour ce qui concerne la place de la France dans le monde, il faut se concentrer sur l’essentiel : la priorité fondamentale c’est la récupération de tous les instruments de souveraineté (politique, monétaire, économique, juridique, linguistique…), le refus de se soumettre à une entité supranationale comme l’union européenne, la reconstruction d’un ordre multipolaire fondé sur la souveraineté des États et respectant la diversité et l’indépendance des nations.  •

    Repris du site Action française - Publié le 15.09.2017

  • Terrorisme • Londres, après Barcelone et Rotterdam

    Métro de Londres, après l'attentat

     

     Publié le 25 août  2017 - Réactualisé le 16 septembre 2017

    En deux mots.jpgAinsi de Barcelone à Rotterdam, en passant par Paris, de l'Espagne aux Pays-Bas, axe historique s'il en est, de Londres à Berlin, de Nice à Birmingham ou à Turku, sur la Baltique, dans la lointaine Finlande, se dessine aujourd'hui toute une cartographie de la nouvelle offensive de l'Islam contre l'Europe, sans plus laisser beaucoup d'espaces, de peuples, d'Etats,  à l'écart de la menace, à l'abri des objectifs et des coups islamistes ; sans plus laisser passer beaucoup de temps, non plus, d'un attentat à l'autre : ainsi l'Angleterre vit, en ce moment, au rythme d'un attentat par mois.

    C'est aujourd'hui le continent européen qui est globalement visé. L'Europe doit s'y résigner, l'admettre, en prendre conscience : une guerre lui a été déclarée, lui est menée, sans-doute d'un type nouveau à l'ère contemporaine, mais une guerre tout de même, dont le front n'est pas une ligne discernable, dont les combattants ne portent pas l'uniforme d'une armée régulière, sont dissimulés, mobiles, imprévisibles, et peuvent frapper n'importe où, n'importe qui. 

    Cette guerre, on le sait, peut durer longtemps, elle oppose des adversaires inégaux, les islamistes étant plus déterminés à nous agresser, nous vaincre et nous soumettre, que nous à les mettre hors d'état de nuire, plus sûrs de leur cause que nous de la nôtre. 

    Dans ce combat, malgré la disproportion des forces en présence - qui est bien-sûr en notre faveur : les terroristes ressortent rarement vivants de leurs entreprises, les forces de l'ordre les tuent presque à tout coup - notre faiblesse pour l'essentiel est de deux ordres : 

    1. L'extrême fragilité de notre « civilisation » de type postmoderne, déracinée, décervelée, déculturée, atomisée et au sens profond démoralisée, sans fierté, sans convictions, petites ou grandes. Et la liste n'est pas close. 

    2. L'extrême débilité de nos institutions politiques et des hommes qui les incarnent. (Ce qui inclut les femmes). 

    A de rares exceptions près, toutes à l'Est, cette constatation vaut pour l'ensemble de l'Europe, à commencer par le semble-couple franco-allemand. La chancelière Merkel - à qui l'on a attribué, y compris parmi nous, bien plus de qualités politiques qu'elle n'en a vraiment - l'a amplement démontré lorsqu'elle a appelé plus d'un million de migrants à entrer en Europe. A la vérité, la médiocrité des dirigeants européens fait presque pitié.

    Ainsi, nous ne comprendrons rien à la lutte antiterroriste, nous ne la mènerons pas efficacement, tant que nous ne nous rendrons pas compte que le mal est plus en nous qu'en nos assaillants ; tant que nous continuerons à vociférer stupidement en priorité contre l'islam sans nous apercevoir que le mal principal est d'abord en nous-mêmes. 

    Cette nécessaire autocritique, nous devons l'accomplir non pas comme une repentance vulgaire, au sens de la doxa, mais au contraire pour retrouver, revivifier, notre fond vrai. Celui qui nous vient de la lointaine Histoire française et européenne, car au delà de la hideuse caricature bruxelloise, l'Europe, aujourd'hui, se retrouve d'une certaine manière unie contre un danger commun, comme il lui est déjà arrivé de l'être, en d'autres temps, sinon pareils, du moins semblables.   

    Ce n'est pas une équation simple, mais elle est vraie : sans un retournement politique et social profond, qui remette en cause jusqu'à nos démocraties sous leur forme européenne actuelle et nos sociétés version postmoderne, nos chances de sortir, rapidement ou pas, vainqueurs des islamistes sont bien faibles et sans portée.  

     Retrouvez l'ensemble de ces chroniques en cliquant sur le lien suivant :

    En deux mots, réflexion sur l'actualité

  • Un duo dynamique ?

     

    En deux mots.jpgFaut-il admettre l’idée banale, l’idée bateau, selon laquelle les moyens de transport et de communication modernes, internet, les avions, le téléphone portable, la télévision et tout le reste, convergent pour réaliser la fusion des peuples, abolissent les frontières, gomment les différences et rendent l'unité de l’humanité absolument inéluctable ? Ainsi subséquemment, qu’un gouvernement mondial. Telle est la vision, d'esprit prophétique, de Jacques Attali et de beaucoup d'autres, moins inspirés 

    Par exemple, le gentil, le candide, Yann Moix et le pape François. Duo improbable mais qui s'est révélé lors de l'émission ONPC [On n'est pas couché] où Dominique Wolton était invité pour présenter son livre de dialogue avec le pape. Yann Moix en a conçu - et il l'a dit - un fort et inattendu enthousiasme pour l'Eglise catholique. Pourquoi ? Parce qu'elle a pris la tête du grand mouvement qui mène à l'unité du monde et qu'elle l'accélère et le parachève en prêchant la généralisation des libres migrations, le métissage des cultures et des hommes. Les nations, Yann Moix l'affirme d'autorité, sont d'ailleurs déjà obsolètes, détruites, abolies. Les frontières n'existent plus ; il n'y a plus d'autre peuple que mondial. Bien-sûr grâce à internet, aux voyages, aux smartphones, à la télévision, etc. Accessoirement, il ne le dit pas, grâce aussi au libre mouvement des flux financiers sans frontières. D'enthousiasme encore, Moix, on ne sait trop pourquoi, en vient même à citer le théologien Gustave Thibon. Etonnant pour nous qui, jadis, l'écoutions aux Baux de Provence, ou ailleurs, loin de ce fatras. 

    Faut-il croire ces choses-là ? Sont-ce des rêveries ou la réalité ? Refuser cette évidence ne serait-ce pas cela rêver ? Dénier les réalités des temps modernes ! Mais justement que disent les réalités ? 

    D'abord ceci : l'idée que le monde est en passe de s'unifier ne date pas d'hier. Le XIXe siècle y a cru dur comme fer. Hugo en tête qui annonçait dans d'assez mauvais vers des lendemains où il n'y aurait « plus de frontières ». Et même : « Plus de fisc ». Cela prête à rire…  Un siècle et demi a passé. L'humanité a vécu deux guerres mondiales d’une cruauté sans analogue dans l'Histoire et des avions américains ont lâché des bombes atomiques sur le Japon. 

    Et que disent les réalités d'aujourd'hui de l'unification du monde ? Faut-il en faire le détail ? Au Proche et Moyen Orient, en Afrique, en Asie, partout les armes parlent, des menaces sont échangées, les conflits s'aiguisent, les rivalités s'affirment et se précisent, les budgets militaires arabes, russes, américains, asiatiques, s'enflent démesurément. Qu’est-ce qui peut garantir que les forces ainsi créées à grand effort ne serviront jamais ? Les grands conflits commencent toujours par des combats de coqs, tels ceux auxquels nous assistons ces semaines-ci.

    Les avions, internet, les smartphones, les télévisions et les radios censés, par nature, devoir nécessairement accomplir l’homogénéisation des peuples, servent aussi à bien autre chose : les avions à transporter des soldats ou des terroristes, à lancer des bombes ou à s'écraser sur des tours ; internet, les smartphones, les télévisions et les radios à diffuser des propagandes, des consignes, religieuses ou nationalistes, idéologiques ou terroristes, ou encore communautaristes, toutes choses qui ont peu de rapport avec l'unité du monde. Ne veut-on pas voir ? En dehors de la pauvre Europe occidentale, épuisée de tant de conflits passés et de tant de doutes sur elle-même, de tant de scrupules et de reniements, ce n'est partout que nationalismes et retour sur soi : religions, philosophies anciennes, traditions et modes de vie. Cela est vrai des plus grands : Russie, Chine, Inde, Japon, Etats-Unis. Mais aussi de beaucoup d'autres de moindre importance. 

    Les avions, les bateaux de croisière et les cars Macron continueront donc de déverser aux quatre coins du monde leurs flots de touristes hébétés ; les réseaux sociaux et les téléphones - quand ils ne serviront pas aux terroristes - à déverser leurs niaiseries sur la terre entière. De même que radios et télévisions. Il s'en suivra en effet une certaine standardisation des peuples. Mais George Steiner a fait observer que les standardisations se font toujours par le bas. 

    Même s'il satisfait l'univers des financiers, qui ont largement poussé à la roue pour que ces phénomènes prospèrent et eux avec, on peut se demander ce que pèsera – face aux actifs, aux déterminés - ce monde de zombies. 

    La vérité – on pourrait multiplier les exemples à l’infini - c’est que les techniques sont neutres. Elles charrient le bien comme le mal.   

    Retrouvez l'ensemble de ces chroniques en cliquant sur le lien suivant ... 

    En deux mots, réflexion sur l'actualité

  • Le paradoxe de la Catalogne, identitaire et ... remplaciste

     

    Par Javier Portella

    Il s'agit là d'une réflexion d'une chaude actualité sur les événements graves que vivent en ce moment la Catalogne et toute l'Espagne. [Boulevard Voltaire, 14.09] Et qui, bien-sûr concerne la France et l'Europe. Nous en avions traité par accroc dans Lafautearousseau, lors de l'attentat islamique de Barcelone [Cf. Lien ci-dessous]. Mais pour ce qui est des paradoxes de l'indépendantisme catalan, Javier Portella connaît manifestement son affaire. Nous ne pensons pas autrement que lui. Et il l'exprime avec science, clarté et hauteur de vue.   LFAR

     

    77dae4cee53d71a6de676a118bdb1379.jpeg.jpgOn peut se poser la question : pourquoi ne pas laisser les Catalans s’exprimer « démocratiquement » (voilà le mot talisman !) et décider du sort de la Catalogne lors du référendum que les indépendantistes ont convoqué illégalement pour le 1er octobre, un référendum qu’ils auraient d’ailleurs des chances de perdre si jamais il avait lieu d’une façon normale et selon les règles du jeu ?

    La réponse est simple. Si on ne laisse pas « le peuple décider », c’est pour la bonne et simple raison qu’il y a des choses qui sont hors décision. On ne décide pas de vivre ou de mourir, d’être ou de ne pas être (sauf, bien entendu, si vous voulez vous suicider). On ne le décide pas en tant qu’individu ; on ne le décide pas non plus en tant que peuple.

    De deux choses l’une, en effet. Soit vous adhérez à la vision individualo-libéralo-gauchiste du monde, soit vous adhérez a la vision identitaire, organique des choses. Soit vous considérez que le peuple (ou la nation, ou la communauté… peu importe le nom) n’est qu’un amas d’atomes individuels qui décident de signer (ou de résilier) le fameux Contrat par lequel ils auraient fait le choix de se mettre ensemble ; soit vous considérez qu’il n’y a pas de contrat, le peuple (ou la nation, ou la communauté…) étant un tout organique – « une unité de destin », disaient Hegel et, en Espagne, un certain José Antonio Primo de Rivera – dans lequel le passé, le présent et l’avenir s’entremêlent dans un lien qui ne peut être brisé, le tout étant supérieur à la somme des parties.

    Disons-le par une boutade. Puisque la patrie est autant la terre des contemporains que des ancêtres, un référendum portant sur le sort de la patrie ne saurait être valable que si les ancêtres, eux aussi, pouvaient y voter ! 

    Voilà donc les deux visions du monde qui s’affrontent partout : celle de ceux qui aiment la patrie et celle de ceux qui aiment les atomes individuels (et les masses qui vont avec). Le paradoxe, en Catalogne, c’est que les sécessionnistes aiment les deux en même temps ! Ils aiment, bien entendu, la patrie. Enfin, ce qu’ils entendent par là : rien que la petite patrie catalane, tandis qu’ils vouent, comme tous les chauvinismes, leur haine à l’Autre. En l’occurrence, à la grande patrie espagnole à laquelle ils sont historiquement, culturellement et linguistiquement rattachés par toute sorte de liens. 

    Mais si ces gens-là aiment la patrie, ils aiment encore plus l’individualisme grégaire de nos jours, le nihilisme libéralo-individualiste-gauchiste étant même leur marque la plus profonde. Certes, ils invoquent constamment l’amour qu’ils vouent à la terre catalane, à ses traditions folkloriques, à sa langue, à la beauté – indéniable – de ses paysages… Voilà des sentiments bien nobles et légitimes – bien plus, d’ailleurs, que le détachement identitaire qui marque aujourd’hui le reste de l’Espagne –, mais voilà aussi des sentiments qui ne sauraient justifier aucune séparation, la Catalogne « opprimée » par l’Espagne étant une fiction historique qui ne tient pas debout et dont le mythe n’a commencé à germer qu’à la fin du XIXe siècle.

    Peu importe, dès lors, la véritable identité, profondément duelle, aussi espagnole que catalane, du pays ; peu importent toutes les considérations historiques, culturelles, linguistiques ; peu importe une identité profondément bafouée par ceux-là mêmes qui, prétendant la défendre, remplissent le pays avec des centaines de milliers de musulmans venus remplacer les Catalans de souche… Peu importe tout cela. Si nous voulons l’indépendance, disent-ils au plus profond de leur cœur, c’est tout simplement parce que nous le voulons, nous le décidons, nous n’en faisons qu’à notre tête. Un point, c’est tout.

    Reste que la police semble enfin s’apprêter à mettre les points sur les i (y compris la police catalane, dont les policiers sont payés par Madrid, la Generalitat étant tombée en faillite frauduleuse). Il est vrai, aussi, que la racaille des gauchistes de la CUP, appuyée sans doute par ceux de Podemos, s’apprête à en faire autant en prenant, le 1er octobre, les rues d’assaut. La possibilité que Barcelone brûle, comme elle brûla en 1909, lors de la Semaine tragique organisée par les anarchistes d’alors, n’est pas à exclure.  

    Écrivain et journaliste espagnol

     

    A lire dans Lafautearousseau ...

    En deux mots : Barcelone : « No tinc por »

  • Le scandale de la non-application de la loi Fioraso

     

    Par Marc Rousset

    Qui dénonce ici un scandale bien réel. Sur l'espéranto, comme solution d'attente, on sera, bien-sûr, moins d'accord. Ou même pas du tout !  LFAR 

     

    3973556484.jpgLe président Albert Salon, de l’association Avenir de la langue française, nous met en garde, dans sa Revue n° 62 de septembre 2017, sur la confusion entre anglicisation et internationalisation. Il s’élève avec force contre la couardise et le scandale de la non-application des dispositions législatives de la loi Fioraso par le gouvernement français.

    Les tribunaux administratifs, en France, se contorsionnent pour ne pas condamner les universités, dont l’École normale supérieure, et les grandes écoles qui offrent des formations diplômantes exclusivement en anglais. Celui de Paris a refusé de condamner le Comité français d’organisation des Jeux olympiques de 2024, qui avait pourtant choisi le débile slogan publicitaire d’une marque commerciale privée – « made for sharing » – triomphalement projeté sur la tour Eiffel. Le français est pourtant bien la langue officielle fondatrice des Jeux olympiques rénovés par le baron Pierre de Coubertin !

    Il se trouve, d’une façon très opportune, que la Cour constitutionnelle italienne vient d’infliger une leçon magistrale à l’Europe, et plus particulièrement à la France de Macron ! Le problème posé était celui du passage de l’Instituto Politecnico di Milano au « tout anglais » à compter du niveau master. Il ne s’agissait en aucune façon de s’opposer à l’enseignement des langues étrangères dans un pays – ce que tout le monde accepte et souhaite. La question était de savoir si on allait autoriser, pour la totalité d’une formation, le remplacement du français par l’anglais en France, de l’italien par l’anglais en Italie, de l’allemand par l’anglais en Allemagne, etc.

    En France, le Parlement a dit « non » avec la loi Fioraso ; il a imposé une limite au volume d’enseignement dispensé dans une langue étrangère à 50 % et exigé une maîtrise suffisante du français pour la délivrance d’un diplôme.

    Pour la Cour constitutionnelle italienne : « Les buts légitimes de l’internationalisation ne peuvent pas réduire la langue italienne, au sein de l’université italienne, à une position marginale et subordonnée, en faisant disparaître cette fonction de vecteur de l’histoire et de l’identité de la communauté nationale, qui lui est propre, ainsi que son être, en soi, de patrimoine culturel à préserver et à valoriser. »

    Malheureusement, en France, la loi Fioraso du 22 juillet 2013 n’est pas appliquée. Le nombre de formations de niveau licence ou master totalement en anglais était de 634 en avril 2013. Il est de 951 en janvier 2017, soit une augmentation, en quatre ans, de +50 % au risque d’une disparition totale des formations supérieures dispensées en français malgré la loi en vigueur dans la République française. 

    Des pays comme la France, l’Allemagne et l’Italie ne peuvent se soumettre. L’important est que la résistance s’organise en France.

    Le scandale de l’anglais, seule langue étrangère pouvant être présentée au concours d’entrée de l’ENA – une des dernières inventions de nos lâches élites -, se doit d’être dénoncé et combattu publiquement. Après le Brexit, tous les Français – à l’exception de Macron – se doivent d’œuvrer pour que le français devienne la langue de l’Europe !

    Et si ce n’est pas le français, cela ne pourra pas être non plus l’anglais, voire même « l’anglo-américain », langue impérialiste et destructrice de l’Amérique qui conduirait inéluctablement, à terme, à la disparition de toutes les langues nationales de l’Europe. À l’instar du breton en France ou du français en Louisiane.

    Il ne restera alors plus, le dos au mur, pour tous les Européens, qu’on le veuille ou non, une seule et unique solution réaliste et n’ayant rien d’utopique : l’espéranto, seule langue neutre et éthique susceptible de préserver à long terme la survie des langues nationales et le plurilinguisme européen !   •

    Économiste
  • Les déclarations du pape : Il n'y a pas à s'étonner

    Le pape Pie XII

     

    Par Antiquus  

    Ce commentaire - du 13 septembre - complète les articles que nous avons publiés ici sur les prises de position récentes du pape François. Antiquus y préconise le retour à une politique capétienne d'indépendance politique à l'égard de la papauté. Le cas échéant, on pourra se reporter aux articles concernés.  (Liens ci-dessous). Merci à Antiquus !  LFAR

     

    3142485460.jpg

    Il n'y a pas à s'étonner : les déclarations du pape, comme l'a montré Dandrieu, sont l'aboutissement d'une évolution déjà fort ancienne de la doctrine pontificale.

    Dandrieu la fait remonter à Pie XII. Je pense qu'elle est déjà présente chez Léon XIII. En fait, du moment où les papes ont perdu leur pouvoir temporel, ils ont estimé qu'ils n'avaient plus aucune responsabilité à tenir à l'égard du gouvernement des Etats. D'où la condamnation de la peine de mort, dont Maistre disait qu'elle était le fondement de tout pouvoir. D'où l'abandon de l'Etat chrétien et la nouvelle doctrine sur la liberté religieuse, et aussi la délégitimation de la nation, et la transformation de l'Eglise (à usage externe seulement) en une ONG, se revendiquant comme la plus ancienne et la plus vénérable.

    Faut-il en déduire que la papauté n'est plus à la tête de la « seule internationale qui tienne » selon l'expression du martégal ? Il nous suffit de puiser dans l'héritage capétien les principes du gallicanisme, qui nous autorise à invoquer l'étanchéité de la France aux interventions pontificales qui s'opposent à la légitime perduration de notre pays.  

    A lire aussi dans Lafautearousseau ...

    En deux mots : Désolés, Saint-Père, nous ne sommes pas d'accord

    François, pape philanthrope

    Rémi Brague au Figaro : « Non, la parabole du bon Samaritain ne s'applique pas aux États ! »

  • Ukraine : intangibilité des frontières ? Allons donc !

    La Laure de Kiev, sur le Dniepr, monastère fondé en 1051, et lieu de résidence du primat de l'Église orthodoxe d'Ukraine (Patriarcat de Moscou)

     

    En deux mots.jpgDe tous les dogmes en vogue en matière de politique étrangère, le plus stupide, le plus irréaliste, et le plus ignorant – en particulier de la géographie et de l'Histoire - c'est, sans conteste, celui de l'intangibilité des frontières.

    Lesquelles, en effet ? Sans remonter au déluge, le XXe siècle a passé son temps à les modifier en tous sens : à l'issue de la 1ère Guerre Mondiale où l'on dépeça l'Autriche-Hongrie et la Turquie, sur les dépouilles de laquelle Français et Anglais tracèrent arbitrairement les bien embarrassantes frontières de l'actuel Proche-Orient ; à la fin de la Seconde Guerre mondiale où la carte de l'Europe fut refondue, dans la foulée  de Yalta ; lors de l'éclatement de l'URSS enfin, à quoi s’ajoute la dislocation subséquente de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie que les traités d'après la Grande Guerre avaient pourtant instituées.

    Au total, l'Europe actuelle compte nombre d'Etats qui n'existaient pas avant 1914, 1945 ou autour de 1990. De fait, le principe de l'intangibilité des frontières n'a cessé d'être foulé aux pieds à l'époque moderne, comme en toute autre de l'Histoire. Croit-on que l'on va s'en tenir éternellement au tracé actuel des frontières de l'Europe, que les choses vont s'arrêter là ?

    Et est-ce au nom de ce principe de l'intangibilité des frontières qu'Emmanuel Macron vient crânement de déclarer sa ferme intention de mener la vie dure à Vladimir Poutine à propos de l'Ukraine, ou même de la Crimée ? Pourquoi ? Ce n'est guère sérieux.

    Nous ne sachons pas que du temps de l'Union Soviétique, sous Staline, Khrouchtchev, Brejnev, ou même Gorbatchev, aucun Etat, aucune diplomatie occidentale, aient, alors, jamais contesté que l'Ukraine - ou la Crimée - fût russe. Personne n'aurait alors songé à s'en aviser, encore moins à en saisir les Soviétiques,

    Selon l'Histoire, l'Ukraine est le berceau de l'ancienne Russie autour de l'an 1000, où Vladimir, grand prince de la Rus de Kiev, décida, que la Russie serait chrétienne, et, de surcroît, orthodoxe, à cause de la beauté des cérémonies byzantines. Le baptême de la Russie, fut décidé à Kiev, à l'époque où Moscou n'était qu'un gros village. Sous l’angle culturel plus récent, Gogol, Prokofiev ou Tchaïkovski sont Ukrainiens ; ce sont surtout, cependant, sous le regard du monde entier, de grands artistes russes. Aujourd'hui, encore, l'église orthodoxe d'Ukraine est rattachée au Patriarcat de Moscou, ce qui n'est pas, ici, sans importance spirituelle et politique.    

    Les « démocraties » ont reconnu naguère les frontières de l'Union Soviétique, Ukraine et Crimée comprises, toutes deux déjà russes sous les derniers tsars.

    Elles s'obstinent aujourd'hui, alignées sans scrupules sur la politique belliciste active des Américains, bien loin de leurs bases, au centre et à l'Est de l'Europe, à contester ce qu'elles ont accepté hier. 

    La Crimée est russe au moins depuis le XVIIIe siècle et chacun sait qu'elle ne fut rattachée à l'Ukraine, alors russe, qu'en 1954, par décision en quelque sorte administrative de Moscou, prise en l'occurrence par Nikita Khrouchtchev. Singulière paternité pour cette Crimée ukrainienne à laquelle sans autres raisons s'accrochent les Occidentaux.

    Au risque de choquer quelques lecteurs, notre avis est que l'équilibre, la tranquillité et, tout simplement, la paix de l'Europe, seraient infiniment mieux assurées si, sous une forme ou sous une autre, préservant, autant que possible, sa toujours relative indépendance, l'Ukraine - c'est chose faite pour la Crimée - retrouvait sa place historique dans l'orbite, la zone d'influence, russe. C'est précisément à quoi notre diplomatie ne cesse de s'opposer pour l'instant. Elle continue de fonder son action sur les principes du « format Normandie » plutôt que sur l'esprit de la rencontre franco-russe de Versailles. Cette position ne peut manquer de laisser la crise ouverte pour longtemps en Ukraine.

    Ce grand Etat mafieux, cette nation composite, dont l'identité est peu définie, qui ne fut presque jamais indépendante et, au contraire, continuellement partagée entre ses voisins ; dont les finances, minées par la corruption de ses dirigeants, sont en ruine, ne nous semble pas pouvoir être artificiellement attirée, sans dommages, embarras de toutes sortes, et sans que se perpétue dangereusement un état de tension permanente avec la Russie, vers l'Europe de l'Ouest ou, pis, sous la coupe de l’OTAN.  

    Retrouvez l'ensemble de ces chroniques en cliquant sur le lien suivant ... :

    En deux mots, réflexion sur l'actualité

  • Histoire & Actualité • Regards sur les rapports Islam-Europe depuis treize siècles [4]

     

    Publié le 3.07.2009 - Actualisé le 3.09.2017

    TRAVAUX DIVERS - Largeur +.jpgNous allons donc conclure - provisoirement - notre série de réflexions [Cf. liens en fin d'article] sur quelques points d'Histoire importants des rapports Islam-Europe. 

    Nous le ferons en donnant la parole à Chateaubriand. Citer ce grand auteur ne revient pas à occulter ou à abandonner la critique de fond que l'école d'Action Française a développée à son égard - notamment par Charles Maurras, dans Trois idées politiques, Jacques Bainville, dans son Histoire de France, ou Pierre Boutang, dans son Maurras.  Il se trouve cependant que le texte de Chateaubriand repris ici est superbe et semble écrit aujourd'hui, à d'infimes détails près, ce qui montre bien que les problématiques actuelles ne sont pas nouvelles, et que les problèmes que nous avons aujourd'hui avec l'Islam datent de fort longtemps.

    Nous avons rappelé précédemment les deux agressions militaires de l'Islam contre l'Europe : la première à partir de 711 par l'Espagne, et la seconde à partir de 1353 par la Grèce.

    Entre ces deux assauts s'intercale ce que l'on peut considérer comme une contre-attaque des Européens. C'est du moins ainsi que le voit Chateaubriand. Il s'agit, bien-sûr des Croisades.

    Dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris, Chateaubriand propose cette défense des Croisades (La Pléiade, Œuvres romanesques, tome II, pages 1052 à 1054). 

     

    portrait_francois_rene_1768_1__hi.jpg« ... Les écrivains du XVIIIème siècle se sont plu à représenter les Croisades sous un jour odieux. J'ai réclamé un des premiers contre cette ignorance ou cette injustice. Les Croisades ne furent des folies, comme on affectait de les appeler, ni dans leur principe, ni dans leur résultat. Les Chrétiens n'étaient point les agresseurs. Si les sujets d'Omar, partis de Jérusalem, après avoir fait le tour de l'Afrique, fondirent sur la Sicile, sur l'Espagne, sur la France même, où Charles Martel les extermina, pourquoi des sujets de Philippe Ier, sortis de la France, n'auraient-ils pas faits le tour de l'Asie pour se venger des descendants d'Omar jusque dans Jérusalem ?

    C'est un grand spectacle sans doute que ces deux armées de l'Europe et de l'Asie, marchant en sens contraire autour de la Méditerranée, et venant, chacune sous la bannière de sa religion, attaquer Mahomet et Jésus-Christ au milieu de leurs adorateurs. 

    N'apercevoir dans les Croisades que des pèlerins armés qui courent délivrer un tombeau en Palestine, c'est montrer une vue très bornée en histoire. Il s'agissait, non seulement de la délivrance de ce Tombeau sacré, mais encore de savoir qui devait l'emporter sur la terre, ou d'un culte ennemi de la civilisation, favorable par système à l'ignorance, au despotisme, à l'esclavage, ou d'un culte qui a fait revivre chez les modernes le génie de la docte antiquité, et aboli la servitude ?

    Il suffit de lire le discours du pape Urbain II au concile de Clermont, pour se convaincre que les chefs de ces entreprises guerrières n'avaient pas les petites idées qu'on leur suppose, et qu'ils pensaient à sauver le monde d'une inondation de nouveaux Barbares.

    L'esprit du Mahométisme est la persécution et la conquête ; l'Evangile au contraire ne prêche que la tolérance et la paix. Aussi les chrétiens supportèrent-ils pendant sept cent soixante-quatre ans tous les maux que le fanatisme des Sarrasins leur voulut faire souffrir ; ils tâchèrent seulement d'intéresser en leur faveur Charlemagne ; mais ni les Espagne soumises, ni la Grèce et les deux Sicile ravagées, ni l'Afrique entière tombée dans les fers, ne purent déterminer, pendant près de huit siècles, les Chrétiens à prendre les armes. Si enfin les cris de tant de victimes égorgées en Orient, si les progrès des Barbares déjà aux portes de Constantinople, réveillèrent la Chrétienté, et la firent courir à sa propre défense, qui oserait dire que la cause des Guerres Sacrées fut injuste ? Où en serions-nous, si nos pères n'eussent repoussé la force par la force ? Que l'on contemple la Grèce, et l'on verra ce que devient un peuple sous le joug des Musulmans.

    Ceux qui s'applaudissent tant aujourd'hui du progrès des Lumières, auraient-ils donc voulu voir régner parmi nous une religion qui a brûlé la bibliothèque d'Alexandrie, qui se fait un mérite de fouler aux pieds les hommes, et de mépriser souverainement les lettres et les arts ?

    Les Croisades, en affaiblissant les hordes mahométanes aux portes mêmes de l'Asie, nous ont empêchés de devenir la proie des Turcs et des Arabes. Elles ont fait plus : elles nous ont sauvé de nos propres révolutions ; elles ont suspendu, par la paix de Dieu, nos guerres intestines ; elles ont ouvert une issue à cet excès de population qui, tôt ou tard, cause la ruine des Etats ; remarque que le Père Maimbourg a faite, et que M. de Bonald a développée.

    Quant aux autres résultats des Croisades, on commence à convenir que ces entreprises guerrières ont été favorables aux progrès des lettres et de la civilisation. Robertson a parfaitement traité ce sujet dans son Histoire du Commerce des Anciens aux indes orientales. J'ajouterai qu'il ne faut pas, dans ces calculs, omettre la renommée que les armes européennes ont obtenue dans les expéditions d'outre-mer.

    Le temps de ces expéditions est le temps héroïque de notre histoire ; c'est celui qui a donné naissance à notre poésie épique. Tout ce qui répand du merveilleux sur une nation, ne doit point être méprisé par cette nation même. On voudrait en vain se le dissimuler, il y a quelque chose dans notre cœur qui nous fait aimer la gloire ; l'homme ne se compose pas absolument de calculs positifs pour son bien et pour son mal, ce serait trop le ravaler ; c'est en entretenant les Romains de l'éternité de leur ville, qu'on les a menés à la conquête du monde, et qu'on leur a fait laisser dans l'histoire un nom éternel ... »   

    Lire les 3 premiers articles de cette suite ...

    Histoire & Actualité • Regards sur les rapports Islam-Europe depuis treize siècles [1]

    Histoire & Actualité • Regards sur les rapports Islam-Europe depuis treize siècles [2]

    Histoire & Actualité • Regards sur les rapports Islam-Europe depuis treize siècles [3]

  • Histoire & Actualité • Regards sur les rapports Islam-Europe depuis treize siècles [3]

    L'extension de l'empire Ottoman - Historique 

     

    Publié le 26.06.2009 - Actualisé (extraits) le 2.09.2017

    TRAVAUX DIVERS - Largeur +.jpgIl s’agit ici - l'actualité nous y invite - de réfléchir, avec un certain recul et de façon, bien-sûr, non exhaustive, sur ce que sont, au fond, les rapports entre l'Islam et l'Europe (la Chrétienté, l'Occident) depuis treize siècles. Nous y avons déjà consacré deux articles [Voir liens ci-dessous]. Celui-ci est le troisième et avant-dernier.

     

    Voyons maintenant la deuxième invasion militaire d'une partie de l'Europe par l'Islam. Il ne s'agit plus là de Berbères d'Afrique du Nord, mais de Turcs, venus d'Asie centrale ; et l'attaque n'est plus par le sud-ouest, mais par le sud-est. 

    509283401.JPGDès 1353, la dynastie turque des Ottomans, fondée par Osman 1er, prit pied en Europe : c'est en effet cette année-là que, follement appelé à l'aide par l'usurpateur Jean Cantacuzène, et jouant pleinement des dissensions suicidaires des chrétiens de l'Empire byzantin, le successeur d'Osman fonda à Gallipoli le premier établissement turc en Europe. [Drapeau de la dynastie Ottomane (ci-contre) et de la flotte turque (ci-dessous)] 

    1153129601.JPGAvec Mourad 1er commença la conquête des Balkans, dès 1360. Maître d'Andrinople et de la Thrace, les Ottomans mirent en déroute sur la Maritsa la croisade de Louis 1er de Hongrie, en 1363, puis entreprirent la conquête de la Serbie. La victoire turque de Kosovo (juin 1389) fit passer les Serbes, après les Bulgares, sous le joug Ottoman. Ensuite eut lieu la conquête de la Thessalie, et les premières entreprises devant Constantinople elle-même. Un temps freiné dans leur expansion par l'arrivée sur leurs arrières de Tamerlan et de ses mongols, les Ottomans reprirent leur marche en avant, après le départ de Tamerlan, et conquirent Thessalonique en 1430. De l'Empire Romain d'Orient, il ne restait plus que Constantinople et sa banlieue : Mehmet II s'en empara en 1453, malgré l'héroïque résistance des défenseurs de la ville.    

    1399180821.jpgEcoutons Michel Mourre : » Jusque vers 1700, les Turcs devaient rester un danger permanent pour l'Europe chrétienne. Sous Mehmet II, ils poursuivirent leur avance dans toutes les directions. Vers l'Ouest, en s'emparant de la Bosnie (1463) et de l’Albanie, où Skanderbeg leur avait opposé une longue résistance ; du côté de la mer Noire, en enlevant la Crimée aux Génois (1475) ; du côté de l'Arménie, en liquidant l’Etat grec de Trébizonde (1461). L'une après l'autre, les places génoises et vénitiennes de la mer Egée et de la Morée [Péloponnèse], passaient aux mains des Ottomans, qui commençaient à mener la guerre à la fois sur mer et sur terre et s'installaient même à Otrante, en Italie du Sud (1480) ...»

    L'empire turc atteignit son apogée sous Soliman II le Magnifique, qui s'empara de Belgrade (1521), de Rhodes (1522) et fit passer presque toute la Hongrie sous son protectorat après la victoire de Mohacs (1526) et assiégea Vienne, pour la première fois, en 1529. » Au milieu du XVI° siècle -dit encore Michel Mourre- la Turquie était devenue la première puissance de l'Europe et de la Méditerranée» . Elle contrôlait, en Europe, toute la péninsule balkanique et la Grèce, les provinces danubiennes, la Transylvanie, la Hongrie orientale. 

    Ce n'est qu'à partir de 1571 - avec la victoire de Lépante (ci-dessous) - que l'on assiste au premier véritable coup d'arrêt donné au déferlement de cette puissance ottomane, qui semblait jusque-là irrésistible. A cette occasion, une coalition formée par le pape, et regroupant l'Espagne, Venise et les Chevaliers de Malte, sous le commandement de Don Juan d'Autriche, détruisit la flotte ottomane, qui ne se releva jamais de ce désastre. 1571 marque donc, d'une certaine façon, le réveil européen, et si cette victoire resta sans lendemain, et ne fut pas exploitée militairement, son retentissement moral fut considérable : elle «  rendit courage à l'Europe chrétienne»  (Michel Mourre). Et pourtant, pendant plus d'un siècle encore, les Turcs restèrent menaçants : ils enlevèrent encore la Crète et la Podolie (sud-ouest de l'Ukraine) et menacèrent Vienne jusqu'en 1683, date à laquelle ils furent contraints d'en lever le siège : la ville ne fut en effet définitivement libérée du danger musulman que cette année-là, grâce aux troupes polono-allemandes commandées par Jean Sobiewski.   

    A partir de là commença la lente reconquête par les européens de la partie de leur Europe envahie par les musulmans. Exactement comme l'avaient fait les espagnols près de mille ans auparavant. En septembre 1686, Buda est libérée, et la paix de Karlowitz restitua à l'Autriche, la Hongrie (sauf le Banat) et la Transylvanie ; à la Pologne, la Podolie ; à Venise, la Morée et la Dalmatie. Le Traité de Passarowitz (1718) restitua à l'Autriche le nord de la Bosnie et de la Serbie (avec Belgrade) ainsi que la Valachie occidentale [sud de la Roumanie].  (A suivre)  • 

    49770156.jpg

     7 octobre 1571, Lépante (http://www.publius-historicus.com/lepante.html)

    213 galères espagnoles et vénitiennes et quelques 300 vaisseaux turcs. Cent mille hommes combattent dans chaque camp. Les chrétiens remportent une victoire complète. Presque toutes les galères ennemies sont prises. L'amiral turc est fait prisonnier et décapité et 15.000 captifs chrétiens sont libérés. 

    Lire les 2 premiers articles de cette suite ...

    Histoire & Actualité • Regards sur les rapports Islam-Europe depuis treize siècles [1]

    Histoire & Actualité • Regards sur les rapports Islam-Europe depuis treize siècles [2]

  • Travailleurs détachés : le plaidoyer d'Éric Zemmour pour la Pologne

    Cracovie, la capitale historique de la Pologne

     

    BILLET - Emmanuel Macron a entamé un vrai bras de fer avec le gouvernement de Varsovie, qui refuse de réformer la directive européenne sur les travailleurs détachés. Il a raison. Mais comment le fait-il ? Au nom de quels arguments ? Et quelle est leur valeur ? Eric Zemmour livre ici de justes réflexions [RTL 29.08].  LFAR 

     

     

     Résumé RTL par Éric Zemmour et Loïc Farge 

    « Le plombier polonais est de retour. Mais pas où l’on attendait », constate Éric Zemmour. « Lors du referendum de 2005, la question des travailleurs détachés était agitée par les anti-européens, de droite et de gauche », rappelle-t-il. « À l'époque, les partisans du 'oui' dénonçaient leurs pulsions protectionnistes et chauvines. Comme les Polonais d'aujourd'hui », note Zemmour.

    Aujourd'hui, Emmanuel Macron et les institutions européennes reprochent à la Pologne de ne pas être solidaire dans l'accueil des migrants et de ne pas respecter les principes de l'état de droit. « Les Polonais ont-ils été consultés lorsque Angela Merkel a ouvert grand ses bras aux réfugiés ? La Pologne a-t-elle été consultée lorsque Sarkozy et Cameron ont liquidé Kadhafi, horrible tyran qui avait le mérite de tenir sa frontière ? », plaide Éric Zemmour. 

    Éric Zemmour

  • L. Dandrieu : « La sécurité personnelle ne peut exister si les nations basculent dans l'anarchie »

     

    Entretien par Eugénie Bastié

    Laurent Dandrieu réagit ici à la publication d'un texte dans lequel le pape François va très loin dans la défense des migrants [Figarovox, 22.08]. Il déplore le désintérêt du souverain pontife pour les pays qui les accueillent. Lafautearousseau, de son côté (voir lien en fin d'article) a marqué son désaccord avec ces déclarations. Lorsque le Pape empiète sue le terrain politique et lorsque, ce faisant, il nuit gravement à la sécurité ou à la stabilité de notre société, nous n'avons aucunement l'obligation de le suivre et, au contraire, en de tels cas, nous avons le devoir de nous y opposer.  LFAR  

     

    2591938438.jpgLe pape François vient de publier un texte où il plaide pour «faire passer la sécurité personnelle [des migrants] avant la sécurité nationale», et appelle à un accueil beaucoup plus large des migrants. Que vous inspirent ces propos? Sont-ils inédits ?

    Il me semble que ce message qui vient d'être publié en préparation de la Journée mondiale du migrant et du réfugié 2018, qui aura lieu le 14 janvier prochain, est dans la droite ligne des positions défendues par le pape François depuis le début de son pontificat, mais qu'il va cependant plus loin que d'habitude sur un certain nombre de points. Dans un entretien accordé à une radio portugaise le 14 septembre 2015, par exemple, le pape reconnaissait le risque d'infiltration terroriste lié à la crise des migrants, mais n'en ajoutait pas moins qu'« à l'évidence, si un réfugié arrive, en dépit de toutes les précautions liées à la sécurité, nous devons l'accueillir, car c'est un commandement de la Bible ». Quand, dans ce nouveau message, François écrit que « le principe de la centralité de la personne humaine (…) nous oblige à toujours faire passer la sécurité personnelle avant la sécurité nationale », il donne en quelque sorte une version plus théorique de cette précédente déclaration.

    La question est de savoir si, ce faisant, il ne cède pas à un certain idéalisme, potentiellement désastreux : car c'est oublier que la sécurité nationale est le plus sûr rempart de la sécurité personnelle, et qu'il n'existe aucune sécurité personnelle qui puisse exister en dehors de cadres politiques, juridiques et légaux qui en sont le rempart. Aucune sécurité personnelle ne peut exister si les nations occidentales, par exemple, du fait du terrorisme ou d'une immigration incontrôlée et ingérable, basculent dans l'anarchie.

    Par ailleurs, le principe de la centralité de la personne humaine oblige à considérer, aussi, que les citoyens des nations occidentales ont un droit évident à la sécurité nationale. On attend vainement, tout au long de ce texte, une prise en considération des intérêts des populations des pays d'accueil, qui ont droit, eux aussi, à la sollicitude de l'Église, et dont une partie de plus en plus importante vit, elle aussi, des situations de grande détresse et de grande précarité, matérielle, spirituelle et morale.

    Deuxième élément important et pour le coup très novateur de ce texte : le pape prend position pour « la défense des droits et de la dignité des migrants ainsi que des réfugiés, indépendamment de leur statut migratoire » : ce qui veut dire qu'il réclame des droits égaux pour les clandestins et pour les immigrants légaux, pour les demandeurs d'asile et pour les immigrés économiques. Parmi ces droits figurent « la liberté de mouvement dans le pays d'accueil, la possibilité de travailler et l'accès aux moyens de télécommunication »: ce qui veut dire, concrètement, que le pape réclame un droit d'installation préalable pour tous les migrants, avant même que soit étudié leur cas. Ce qui revient à donner une prime à l'illégalité d'autant plus forte qu'il est évident qu'un clandestin qui, entre-temps, aura trouvé un moyen de subsistance, aura d'autant moins de chance de voir son dossier rejeté. Cette prime à l'illégalité me paraît une seconde atteinte, très forte, contre les droits des nations et la citoyenneté: car la nation, la citoyenneté n'existent que par un consensus sur la légitimité de la loi. Si on postule que la loi est faite pour être contournée, il n'y a plus de bien commun possible.

    Ce discours a-t-il selon vous une dimension politique ?

    Un autre aspect du message me semble clarifier ce qui apparaissait jusqu'alors une ambiguïté dans le discours de François. Il prônait jusqu'alors une grande générosité dans l'accueil, sans que l'on sache toujours si cela signifiait un simple rappel évangélique de la charité avec laquelle le chrétien se doit de traiter l'étranger croisé sur sa route, ce qui relève à l'évidence du rôle du pape, ou s'il s'agissait d'un appel plus politique, et donc plus discutable, à ouvrir les frontières. En stipulant que la protection des migrants « commence dans le pays d'origine », c'est-à-dire consiste à les accompagner à la source dans leur désir de migrer, le pape assume plus clairement que jamais la dimension politique de ce discours, la volonté de ne pas se cantonner à affronter une situation de fait, mais en quelque sorte d'accompagner et d'encourager ce mouvement migratoire vers l'Europe.

    Dernière clarification : en stipulant que les migrants doivent être mis en situation de se réaliser y compris dans leur dimension religieuse, le pape François donne une sorte de blanc-seing à l'entrée massive de populations de religion musulmane et à l'acclimatation de la religion musulmane sur le continent européen, en semblant indifférent aux innombrables problèmes identitaires et sécuritaires que cela pose.

    La position de François tranche-t-elle avec celle de ses prédécesseurs, et notamment celle de Benoit XVI ? Que dit l'Église sur le devoir d'accueillir les migrants?

    La continuité est indéniable, et est attestée dans ce message par des nombreuses citations de son prédécesseur. Quand le pape prône le regroupement familial, au risque de transformer systématiquement les réfugiés temporaires en immigrés permanents, il ne fait que reprendre des positions défendues inlassablement, par exemple, par Jean-Paul II et Benoît XVI, comme je le montre abondamment dans mon livre.

    Le discours de l'Église, en son Catéchisme, reconnaît à la fois le droit de migrer quand la nécessité s'en fait sentir, et le droit des États de limiter les flux quand ils l'estiment nécessaire. Mais, dans les faits, le discours des papes oublie fréquemment ce second aspect. Il l'oublie d'autant plus volontiers que l'Église a souvent cédé à une vision quasi messianique des phénomènes migratoires, censés conduire vers « l'unité de la famille humaine », selon l'expression de Jean XXIII. Jean-Paul II écrit ainsi que « parmi toutes les expériences humaines, Dieu a voulu choisir celle de la migration pour signifier son plan de rédemption de l'homme », et Benoît XVI y voit une « préfiguration anticipée de la cité sans frontières de Dieu ». Face à cela, la protection de la population des pays d'accueil est condamnée à peser de peu de poids, et de fait, elle est quasiment absente du regard que l'Église pèse sur les phénomènes migratoires. En face de cela, l'Église prône inlassablement l'intégration du Migrant, avec un grand M, sans se poser la question de savoir concrètement qui est ce migrant, et si le fait qu'il vienne, en grand nombre, avec un bagage culturel et religieux radicalement différent du nôtre, et dans certains cas incompatible avec le nôtre, ne rend pas cette intégration pour le moins illusoire.

    L'État nation et l'existence de frontières se justifient-ils d'un point de vue théologique?

    Bien évidemment, car c'est une suite logique du commandement d'honorer son père et sa mère. Saint Thomas d'Aquin écrit qu'« il appartient à la piété de rendre un culte aux parents et à la patrie » et, à la suite de saint Augustin, stipule qu'on doit la charité en priorité à ceux qui nous sont proches par les liens du sang ou de la citoyenneté. Léon XIII écrit que « la loi naturelle nous ordonne d'aimer d'un amour de prédilection et de dévouement le pays où nous sommes nés et où nous avons été élevés », et Pie XII enseigne que « dans l'exercice de la charité il existe un ordre établi par Dieu, selon lequel il faut porter un amour plus intense et faire du bien de préférence à ceux à qui l'on est uni par des liens spéciaux. Le Divin maître lui-même donna l'exemple de cette préférence envers sa terre et sa patrie en pleurant sur l'imminente destruction de la Cité sainte.»

    Plus récemment, Jean-Paul II a abondamment développé cette « théologie des nations », des nations qu'il ne voit pas seulement comme un bien politique, un outil au service du bien commun, mais à qui il reconnaît une dignité spirituelle éminente : la nation, explique-t-il, de toutes les communautés humaines, est « la plus importante pour l'histoire spirituelle de l'homme ». Il va même jusqu'à dire que « la fidélité à l'identité nationale possède aussi une valeur religieuse. » De là, on peut évidemment déduire que les nations ont un droit irrépressible à défendre leur identité nationale face aux menaces extérieures, comme une immigration incontrôlée et inintégrable.

    « L'intégration n'est pas une assimilation qui conduit à supprimer ou à oublier sa propre identité culturelle », a aussi dit le pape. Y a-t-il position traditionnelle de l'église en matière d'assimilation ?

    Cette condamnation de l'assimilation, au nom du respect de la culture d'origine de l'immigré, est malheureusement une constante dans le discours de l'Église sur l'immigration. Jean-Paul II va jusqu'à la renvoyer dos à dos avec des politiques de discrimination allant jusqu'à l'apartheid : « On doit en effet exclure aussi bien les modèles fondés sur l'assimilation, qui tendent à faire de celui qui est différent une copie de soi-même, que les modèles de marginalisation des immigrés, comportant des attitudes qui peuvent aller jusqu'aux choix de l'apartheid. » Je dis « malheureusement », car on ne voit pas bien, dès lors, malgré les appels répétés de l'Église à une politique d'intégration, comment l'appel de la hiérarchie catholique à un accueil généreux des migrants pourrait ne pas déboucher sur un multiculturalisme, d'ailleurs parfaitement assumé par le pape François.

    Le problème est que ce multiculturalisme aboutit dans les faits à un refus de considérer la culture du pays d'accueil comme une culture de référence, et rend de facto l'intégration illusoire. Sous la pression de l'immigration de masse et de l'idéologie multiculturaliste, les sociétés occidentales se réduisent de plus en plus à une juxtaposition de communautés d'origines, de cultures et de religions différentes, qui se regardent en chiens de faïence faute d'avoir de référence commune, autre que de très vagues principes abstraits, tels que cette « culture de la rencontre » à laquelle le pape François tend à réduire l'identité européenne. Le bien commun, faute de valeurs partagées, se réduit ainsi à un vivre ensemble qui, de plus en plus, tourne dans la réalité à un apartheid de fait. Soit le contraire du but recherché, et une catastrophe civilisationnelle majeure en germe tant pour les peuples européens que pour les populations immigrées. •

    Laurent Dandrieu est rédacteur en chef des pages Culture à Valeurs Actuelles. Il a publié Église et immigration, le grand malaise. Le pape et le suicide de la civilisation européenne, de Laurent Dandrieu. Presses de la Renaissance, 288 p., 17,90 €. 

    2863182147.2.jpg

    Eugénie Bastié

    Journaliste & essayiste - Sa biographie 

    A lire aussi dans Lafautearousseau ...

    Désolés, Saint-Père, nous ne sommes pas d'accord