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Idées, débats... - Page 465

  • Retour sur l'étonnante profession de foi monarchiste de Choderlos de Laclos (1791)

     

    « Je veux une monarchie pour maintenir l'égalité entre les différents départements, pour que la souveraineté nationale ne se divise pas en souveraineté partielle, pour que le plus bel empire d'Europe ne consomme pas ses ressources et n’épuise pas ses forces dans des discussions intéressées, nées de prétentions mesquines et locales ; je veux aussi, et principalement une monarchie, pour que le département de Paris ne devienne pas, à l'égard des 82 autres départements ce qu'était l'ancienne Rome à l'égard de l'empire romain… Je voudrais encore une monarchie pour maintenir l'égalité entre les personnes, je voudrais une monarchie pour me garantir contre les grands citoyens ; je la voudrais pour n'avoir pas à me décider un jour, et très prochainement peut-être, entre César et Pompée; je la voudrais pour qu'il y ait quelque chose au-dessus des grandes fortunes, quelque chose au-dessus des grands talents, quelque chose même au-dessus des grands services rendus, enfin quelque chose encore au-dessus de la réunion de tous ces avantages, et ce quelque chose je veux que ce soit une institution constitutionnelle, une véritable magistrature, l’ouvrage de la loi créé et circonscrit par elle et non le produit ou de vertus dangereuses ou de crimes heureux, et non l'effet de l'enthousiasme ou de la crainte… Je ne veux pas d'une monarchie sans monarque, ni d'une régence sans régent, je veux la monarchie héréditaire…» Et il poursuit : «Je veux une monarchie pour éviter l'oligarchie que je prouverais, au besoin, être le plus détestable des gouvernements ; par conséquent, je ne veux pas d’une monarchie sans monarque et je rejette cette idée, prétendue ingénieuse, dont l'unique et perfide mérite est de déguiser, sous une dénomination populaire, la tyrannique oligarchie ; et ce que je dis de la monarchie sans monarque, je l'étends à la régence sans régent, au conseil de sanctions, etc... Dans l'impossibilité de prévoir jusqu'où pourrait aller l'ambition si elle se trouvait soutenue de la faveur populaire, je demande qu'avant tout on établisse une digue que nul effort ne puisse rompre. La nature a permis les tempêtes, mais elle a marqué le rivage, et les flots impétueux viennent s’y briser sans pouvoir le franchir. Je demande que la constitution marque aussi le rivage aux vagues ambitieuses qu’élèvent les orages politiques. Je veux donc une monarchie ; je la veux héréditaire ; je la veux garantie par l'inviolabilité absolue ; car je veux qu'aucune circonstance, aucune supposition, ne puisse faire concevoir à un citoyen la possibilité d'usurper la royauté. » 

     

    Choderlos de Laclos 

     

    Journal des Amis de la Constitution, organe officiel des Jacobins, 12 juillet 1791, n° 33

  • A propos de cette profession de foi ...

     

    LA VEDETTE SOURIANTE.JPGNous ne voulons pas manquer de signaler que la déclaration de Choderlos de Laclos que l'on peut lire plus haut a été mise en lumière par Patrick Barrau* lors de son intervention au Café actualités d'Aix-en-Provence du 2 décembre 2014, « A propos des Valeurs républicaines », publiée ensuite dans la Nouvelle Revue Universelle

    Antoine de Crémiers en a d'ailleurs opportunément donné lecture lors de son intervention au colloque d'Action française, « Je suis royaliste, pourquoi pas vous », de samedi dernier, 7 mai, à Paris.

    Patrick Barrau, dans sa conférence « A propos des Valeurs républicaines », avait apporté les précisions préalables suivantes qui éclairent la profession de foi de Choderlos de Laclos - texte, effectivement, important, dont le contexte et les circonstances sont ainsi utilement indiquées :

    « Il est bon de rappeler un fait essentiel : après Varennes et le retour du roi fugitif, les Jacobins, et notamment les plus importants d'entre eux, défendent énergiquement le principe de la monarchie. Quand il parle en faveur d'un gouvernement républicain, Billaud-Varenne est hué. Choderlos de Laclos prend alors la parole et dénonce les dangers d'un régime d’anarchie. Parlant des « républicains », il aura, le 1er juillet 1791, ce mot d'une étonnante lucidité : « Je leur demanderai si nous n’aurons pas des empereurs nommés par des soldats. » 

    Mais sa véritable profession de foi – qui rejoint alors les convictions de Robespierre, Danton, Marat, etc. – date du 11 juillet 1791. Le Journal des Amis de la Constitution, organe officiel des Jacobins, la publiera dès le lendemain, dans son n° 33. 

    * Historien du Droit, ancien directeur de l’institut régional du travail.

     

  • Cinéma • « Le Fils de Joseph »: une fable intemporelle pour moquer une modernité détestée

     

    par Vincent Roussel

    Sous le titre Famille élective, une critique de film que nous avons aimée. Un film où il s'agit aussi de moquer la modernité. [Causeur 30.04]

     

    Le Fils de Joseph d’Eugène Green tout comme ses précédents films (Toutes les nuits, Le Pont des arts, La Sapienza…) ne ressemble à rien de ce qui se fait actuellement. Et même si la référence semble désormais l’agacer, c’est Robert Bresson qu’il faudrait évoquer pour donner une petite idée de ce cinéma : composition rigoureuse des plans, diction « blanche » des comédiens, jeu antinaturaliste où tous les mots sont bien articulés et où les liaisons sont scrupuleusement respectées… Eludant toute psychologie, Green se concentre sur un découpage très élaboré de la mise en scène : goût pour la verticalité (ces monuments de Paris immémoriaux qui s’opposent aux contingences médiocres de notre modernité), travail très précis sur la lumière (une très belle scène où Marie et Joseph boivent un verre après une séance de cinéma et où Green accentue la lumière sur leurs visages, comme s’ils étaient transfigurés par la grâce), frontalité des échanges dans ses fameux champs/contrechamps face caméra et à 180°…

    On l’aura compris, le titre renvoie à la Bible et aux textes sacrés. Divisé en chapitres dont les titres accentuent cette dimension religieuse (« Le Sacrifice d’Abraham », « La Fuite en Egypte »…), le récit suit les pérégrinations de Vincent, un lycéen qui vit seul avec sa mère Marie (Natacha Régnier, radieuse et magnétique). Un jour, il découvre que son père qui l’a abandonné est un grand éditeur parisien. Après avoir tenté de l’égorger, il fait la connaissance de Joseph (Fabrizio Rongione), le frère de son père avec qui il va très bien s’entendre…

     

     

    Le film est donc l’histoire d’une famille recomposée mais qui se recompose non pas selon les désirs des parents mais selon ceux du fils. Au père biologique (Mathieu Amalric qui n’avait pas été aussi drôle et bon depuis très longtemps), Vincent substitue un père électif et symbolique.

    Ce récit mythique, intemporel, Eugène Green l’inscrit dans notre modernité qu’il abhorre. Avec un art prononcé pour le trait saillant, il filme un homme tenant son bébé en écharpe et portant un sac « Au bobo bio » ou un adolescent qui a décidé de monter sa propre entreprise sur Internet (« moderne, écologique ») en vendant son sperme.

    Si on s’amusait à pousser les correspondances dans les derniers retranchements de la logique, on pourrait dire que si le père symbolique de Vincent (Jésus) est Joseph, son vrai père devrait être Dieu. L’éditeur qu’incarne Amalric n’est évidemment pas Dieu mais le cinéaste raille avec beaucoup d’humour cet homme qui s’est fait Dieu et qui exerce son pouvoir dans le milieu de l’édition. La dimension satirique du Fils de Joseph est sans doute l’une des plus réussies. Avec beaucoup de verve, Eugène Green décrit avec justesse un cocktail mondain et littéraire où l’outrecuidance se dispute à la superficialité la plus extrême. Critique littéraire inculte (plaisir de revoir la grande Maria de Medeiros), culte de la « transgression », règne du paraître et de l’arrivisme : la satire du milieu fonctionne à merveille et s’avère réjouissante.

     

    Ce que recherche par là le cinéaste, c’est opposer une fois de plus les « modernes » qui se sont accaparés une certaine idée de l’art (ou plutôt, comme le disait Godard, de la « culture ») comme petite parcelle de pouvoir et ce que Green considère comme le véritable Art et qui élève : la musique baroque du XVIIème siècle, un poème chanté dans une église à la lumière des bougies…

    Pour être tout à fait franc, l’opposition est parfois un peu schématique entre la Sainte famille et les horribles bobos, entre les deux frères (qui incarnent le Bien et le Mal), entre une modernité vouée aux gémonies et la parabole mystique… Mais à cette petite réserve, la petite musique d’Eugène Green, le trait saillant du satiriste et la lumière qui se dégage des comédiens font du Fils de Joseph une expérience passionnante… 

    Le Fils de Joseph, d’Eugène Green avec Natacha Régnier, Mathieu Amalric, Victor Ezenfis, Fabrizio Rongione. En salle depuis le 20 avril.

    Vincent Roussel
    est cinéphile. Il tient le blog Le journal cinéma du docteur Orlof

  • Théâtre • Je l’appelais Monsieur Cocteau

     

    par Madeleine Gautier

     

    Je l’appelais Monsieur Cocteau, de Bérengère Dautun, d’après le roman de  Carole Weisweiller. Mise en scène Pascal Vitiello. Avec Bérengère Dautun et Guillaume Bienvenu

    Le livre de Carole Weisweiller adapté et interprété pour la scène  par Bérengère Dautun et Guillaume Bienvenu, ouvre une page enchantée sur la créativité foisonnante de Cocteau qui ne s’interdisait aucune discipline : peinture, littérature, cinéma, théâtre, dessin et dont les œuvres marquèrent le XXè siècle.   Une femme d’âge mûr se présente à nous, il s’agit  de Carole, fille de Francine Weisweiller amie et muse du poète. Au retour d’une soirée, portant son regard sur un objet réalisé par l’artiste, elle se rappelle son enfance et  celui  qui dit-elle:  «émiettait dans mon univers des parcelles de fêtes (…)  m’inventait des histoires que nous étions seuls à comprendre ».  Le souvenir des moments passés à la villa Santo Sospir avec le poète et sa mère Francine, lui laisse un parfum ineffable. A petits pas la narratrice nous guide comme on convie un ami, à  pénétrer  l’univers du « Prince des poètes » qui nous apparaît sous les traits de Guillaume Bienvenu, incarnant  la formidable énergie et révélant l’exigence esthétique extrême de ce funambule qui chercha toute sa vie une identité. La mise en scène  de Pascal Vitiello sobre et élégante, offre une belle partition aux deux comédiens, conteurs passionnés de ce  génie qui mérite amplement d’être (re)découvert. 

    Studio Hébertot, 78 Bis Boulevard des Batignolles, 75017 Paris (Location : 01 42 93 13 04)

  • Maurice Barrès : Quand nous allons célébrer la Fête Nationale de Jeanne d'Arc ...

     Ignacio Zuloaga, Portrait de Maurice Barrès devant Tolède, 1913

     

    prev66.jpg« Il n'y a pas un Français, quelle que soit son opinion religieuse, politique ou philosophique, dont Jeanne d Arc ne satisfasse les vénérations profondes. Chacun de nous peut personnifier en elle son idéal. Etes-vous catholique ? C'est une martyre et une sainte, que l'Eglise vient de mettre sur les autels. Etes-vous royaliste ? C'est l'héroïne qui a fait consacrer le fils de Saint Louis par le sacrement gallican de Reims. Rejetez-vous le surnaturel ? Jamais personne ne fut aussi réaliste que cette mystique ; elle est pratique, frondeuse et goguenarde, comme le soldat de toutes nos épopées... Pour les républicains, c'est l'enfant du peuple qui dépasse en magnanimité toutes les grandeurs établies. [...] Enfin les socialistes ne peuvent oublier qu'elle disait : "J'ai été envoyée pour la consolation des pauvres et des malheureux. "Ainsi tous les partis peuvent réclamer Jeanne d'Arc. Mais elle les dépasse tous. Nul ne peut la confisquer. C'est autour de sa bannière que peut s'accomplir aujourd'hui, comme il y a cinq siècles, le miracle de la réconciliation nationale. »  • 

     

    Maurice Barrès

    le 14 avril 1920

  • Histoire & Actualité • Emmanuel Macron fêtera Jeanne d’Arc ? Bonne nouvelle !

     

    Pour une fois que la République s’incline devant l’Histoire qui la précède, ne soyons pas bégueules.

    par Charlotte d'Ornellas

    Nous ne savons pas si Charlotte d'Ornellas a bien raison [Boulevard Voltaire - 30.04] de se féliciter que « la République s’incline devant l’Histoire qui la précède », dimanche 8 mai à Orléans  - en la personne très médiatique d'Emmanuel Macron. A vrai dire, on aurait de sérieuses raisons d'en douter : elle l'a fait tant de fois, à Orléans ou ailleurs, par la voix de ses plus hautes autorités sans que cela ne change rien à ce que Maurras appelait la mécanique de nos malheurs, ceux qu'induit ce régime, si souvent antihistorique, antifrançais ! Hommages, donc, sans conséquences ni engagements... Quant à Macron, il semble se définir essentiellement comme l'homme des banques, de la mondialisation et de la culture libéralo-libertaire ... Quelles paroles - sur notre Histoire et nos racines - prononcera-t-il donc à Orléans, dimanche prochain ? Seront-elles seulement des paroles de circonstance ou bien de vérité ? Y mettra-t-il quelque profondeur ? Sans-doute en serait-il capable et, pour ce qu'il reste de forces saines et vives au sein du Pays Réel, pour leurs combats futurs, ce ne serait pas indifférent. Dans ce cas, Charlotte d'Ornellas aurait eu raison. C'est pourquoi nous écouterons ou lirons Emmanuel Macron avec attention, dimanche prochain, Fête Nationale de Jeanne d'Arc.  LFAR

     

    9fcfe4689efe7a4738249e7060ebd6bf.jpeg.jpgQue personne ne s’affole, Emmanuel Macron ne « kidnappera » pas Jeanne d’Arc, d’abord parce que les Orléanais ne se laisseront pas faire ! Le 8 mai, à Orléans, personne n’a jamais réussi à récupérer la libératrice : les fêtes ne s’y prêtent pas, elle seule les préside réellement.

    Cette année, les fêtes johanniques seront présidées par le ministre de l’Économie et des Finances, et c’est une bonne nouvelle car en effet, c’est la première fois depuis 10 ans qu’un ministre en exercice tiendra ce rôle.

    Il ne sera pas là seulement en tant qu’Emmanuel Macron, mais bien en tant que ministre, c’est-à-dire en tant qu’il représente l’Etat. Et ce dernier doit bien ça à la petite Lorraine.

    Le 8 mai 1429, Jeanne d’Arc libère la ville des Anglais, et lance une procession d’action de grâce, suivie par tous les Orléanais. Depuis, et chaque année à quelques exceptions près (dues aux guerres notamment), la population fidèle à son héroïne rejoue la victoire.

    L’adage veut que « la moitié des orléanais regarde défiler l’autre moitié » lors de ces fêtes qui rassemblent les ordres civils, militaires et religieux. Seuls les Orléanais y parviennent encore, parce qu’ils ont eu la sagesse de ne s’attacher qu’à Jeanne, au moins ce jour là.

    Tous les présidents de la République se sont succédés à la tribune pour glorifier la Pucelle, un 8 mai, à Orléans. C’est depuis l’accession au poste de Nicolas Sarkozy que la tradition est rompue, sans que les raisons ne soient d’ailleurs connues, et c’est bien triste.

    Quelles qu’aient été les étiquettes politiques des maires d’Orléans, tous ont participé à ces fêtes avec la même ferveur et admiration pour celle que la ville honore comme une sainte, comme une héroïne française et comme un chef de guerre admirable.

    Aucun d’entre eux n’a songé a bouder la messe d’action de grâces qui est célébrée chaque 8 mai au matin dans la cathédrale d’Orléans, nul n’a pensé à supprimer le défilé militaire qui est le deuxième plus important en France après le 14 juillet, nul n’a jamais refusé de remettre le 7 mai au soir l’étendard de Jeanne – gardé par la mairie toute l’année – à l’évêque de la ville, parce que tous ont trouvé normal qu’il revienne à l’Eglise le jour où ses plis décorés des noms de « Jésus et Marie » sont à l’honneur.

    1913205714.jpgC’est dans cette tradition intacte que s’inscrira Emmanuel Macron, parce qu’il existe encore des petits bouts de France si miraculeux qu’ils échappent à nos légitimes querelles politiques.

    Si Jeanne d’Arc anime des passions politiques en France, elle réunit à Orléans et il était tant qu’un ministre en exercice vienne rassurer ses habitants : non, l’État n’a pas oublié l’héroïne qu’elle est !

    Il y a à ce titre bien plus de sens dans la venue d’Emmanuel Macron que dans celle de l’invitée précédente qu’était Audrey Pulvar d’ailleurs.

    Jacques Chirac, Valéry Giscard d’Estaing ou François Mitterand ont célébré Jeanne d’Arc au même pupitre que Régine Pernoud et Denis Tillinac. Et tous ont salué avec la même puissance la France qu’ils avaient en commun, incarnée par Jeanne d’Arc…

    Notre pays est en train de crever de désespérance, mais il y a chaque 8 mai, à Orléans, une toute jeune fille au parcours terrestre si mystérieux qui continue à rassembler. Posons les armes et savourons, ne serait-ce que le temps d’une (trop courte) journée.

    Et puis entre nous, pour une fois que la République s’incline devant l’Histoire qui la précède, ne soyons pas bégueules et laissons les Orléanais chanter une fois encore, avec les invités qu’ils veulent, « vive Jeanne, vive la France ! » 

    Journaliste indépendante

    Lire aussi

    Emmanuel Macron va présider les fêtes de Jeanne d'Arc à Orléans ... Redira-t-il qu'il nous manque un roi ?  [LFAR - 28.04]

  • Livres • Dans l’ombre des présidents

     

    par Nicolas Julhiet

     

    La fonction peut être l’objet de tous les fantasmes. La personne qui l’exerce n’est projetée que très rarement dans la lumière sauf à de rares occasions : si un changement de gouvernement vient à surgir auquel cas on le voit sur le perron de l’Élysée. Ou bien si le personnage lui-même devient un haut personnage de l’État connu et reconnu comme ce fut le cas notamment d’Édouard Balladur, de Claude Guéant, d’Anne Lauvergeon ou d’Hubert Védrine. Car être secrétaire général (ou adjoint) de la présidence de la République est un vrai métier. VGE ne les recrutaient que parmi les majors de promotion de l’ENA, Mitterrand parmi ses amis proches : Pierre Bérégovoy occupa la fonction avant d’être nommé ministre. On les pense déconnectés de la réalité alors que la fonction est lourde, pesante et chronophage. Conseillers du Prince, le secrétaire général de l’Élysée doit être un surhomme, à la fois diplomate, conseiller social, politique, confident. Oui le « SG » est vraiment l’ombre du Président et c’est à suivre le quotidien de cet homme clé que les deux auteurs, César Armand et Romain Bongibault nous invitent. Le travail déjà harassant se complique en période de cohabitation, d’attentats, en cas de maladie du chef de l’Etat, quand les maîtresses de ce dernier surgissent… Homme d’influence c’est aussi un homme de secrets. Beaucoup d’anciens SG n’ont pas répondu aux auteurs. Faut-il le regretter ? 

    Dans l’ombre des présidents, de César Armand & Romain Bongibault, éditions Fayard, 210 p., 18 euros.

  • Action française & Histoire • Jean-Pierre Fabre-Bernadac : « L'affaire Daudet, un crime politique »

     

    IMG.jpgENTRETIEN. En novembre 1923 éclate « l'affaire Philippe Daudet ». Le fils du célèbre homme de lettres et figure de proue de l'Action française Léon Daudet est retrouvé mort dans un taxi. Un prétendu suicide aux allures de crime politique. Jean-Pierre Fabre-Bernadac, ancien officier de gendarmerie, diplômé de criminologie et de criminalistique, a rouvert le dossier à la lueur de sources nouvelles.

    ROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËL DE GISLAIN

    LE 24 NOVEMBRE 1923, BOULEVARD MAGENTA, PHILIPPE DAUDET EST RETROUVÉ AGONISANT DANS UN TAXI. QUE S'EST-IL PASSÉ EXACTEMENT CE JOUR-LÀ ?

    Il y a deux choses importantes à rappeler à propos de Philippe Daudet pour comprendre ce qui s'est effectivement passé. Le jeune homme avait une grande admiration pour son père et il avait tendance à faire des fugues. Agé de 15 ans lors des faits, il avait l'âme excessivement romanesque, exaltée. Juste avant sa mort, il essaie de partir pour le Canada. Mais une fois au Havre, il s'aperçoit qu'il n'ira pas plus loin...Dès lors, comment revenir chez lui sans subir les foudres de ses parents ? Comment faire pour que cette nouvelle fugue ne déçoive pas trop son père ? Dans son esprit, il s'agit d'être à la hauteur ; son grand-père Alphonse est un immense écrivain et son père Léon une figure royaliste brillante et redoutée. Comme il sait que les anarchistes ont déjà essayé de tuer son père un an plus tôt, il se dit qu'un acte de bravoure, qui consisterait à révéler la préparation d'un nouveau complot pourrait faire oublier cette fugue... De retour à Saint-Lazare, il se rend donc au Libertaire, journal qui hait Léon Daudet, pour infiltrer les cercles anarchistes. Il tombe dans un panier de crabes parce que le milieu est complètement infiltré par la police politique. Avec son air de bourgeois et son projet fumeux d'assassinat de haute personnalité, Philippe Daudet n'a pas dû faire illusion très longtemps. Son identité certainement devinée, on l'envoie vers un libraire, un certain Le Flaoutter, indic notoire, et son sort bascule. La Sûreté générale, l'organe de la police politique, est prévenue, onze hommes débarquent pour arrêter le jeune homme... qui est retrouvé mort dans un taxi.

    LA THÈSE OFFICIELLE CONCLUT À UN SUICIDE. VOUS MONTREZ QU'ELLE EST COUSUE DE FIL BLANC...

    En effet, les incohérences se succèdent. Philippe Daudet a récupéré chez les anarchistes un « 6.35 ». Il tenait-là la preuve de son courage vis-à-vis de son père. Pourquoi ne rentre-t-il pas chez lui à ce moment-là ? Par ailleurs, il était extrêmement croyant et on ne comprend pas ce geste de suicide - un péché absolu -, d'autant qu'il était heureux chez lui même s'il aimait l'aventure. En reprenant le dossier - j'ai pu accéder aux archives nationales de la Police et à l'ensemble des documents de la famille Daudet -, les partis pris de l'enquête m'ont sauté aux yeux. Des témoignages fondamentaux sont écartés, des pistes ne sont pas exploitées et les conclusions sont pour la plupart approximatives. Le « 6.35 » qui a donné la mort au jeune homme n'est manifestement pas celui retrouvé, vu qu'aucune balle ne s'est chargée dans le canon après le coup de feu comme elle aurait dû le faire automatiquement ; la douille réapparaît dans le taxi dix jours après le drame au moment de la reconstitution, alors qu'il avait été soigneusement nettoyé ; aucun des onze policiers postés spécialement ne voit Philippe Daudet entrer ou sortir de la librairie, les horaires ne concordent pas, etc.

    DANS QUEL CONTEXTE IDÉOLOGIQUE S'INSCRIT ETTE DISPARITION ?

    Marius Plateau, le secrétaire général de l'Action française, a été tué de 5 balles un an auparavant par Germaine Berton, une anarchiste. À l'issue d'un procès absolument inique, la meurtrière est acquittée... Le contexte est donc extrêmement tendu. Des élections approchent, qui vont être gagnées par la gauche. Poincaré, qui a eu un lien amical avec l'Action française pendant la guerre - il sait le nombre de soldats et d'officiers qui ont été tués dans ses rangs - change son fusil d'épaule lorsqu'il voit que sa carrière est en jeu. Une tension sous-jacente vient du fait que l'Action française essaie de se rapprocher par le cercle Proudhon du mouvement ouvrier. Cela fait peur au pouvoir. On craint qu'une forme de national populisme ou monarchisme ne s'installe, d'autant que les scandales comme Panama ou le trafic des légions d'honneurs n'ont fait que discréditer la classe politique. Il faut bien voir que les tranchées ont donné naissance à une fraternité nouvelle considérable entre des français d'horizon divers. Le bourgeois et l'ouvrier ont maintenant un point commun : ils ont risqué leur peau de la même manière. Le fascisme, et d'une certaine façon, le national-socialisme sont nés de ce même élan à l'époque. Cette union qui bouleverse les classes effraie et on veut y mettre un terme à tout prix.

    DANS CE CLIMAT, POURQUOI ABATTRE LE FILS DE DAUDET ?

    Disons que, parmi les personnalités de l'Action française, mouvement qui suscitait une inquiétude grandissante, Léon Daudet avait des enfants et que Maurras n'en avait pas... Philippe, avec ce caractère éloigné des réalités, était quelqu'un de facilement manipulable. Voir cet enfant se jeter dans la gueule du loup était une aubaine pour des adversaires politiques. Je ne pense pas qu'il y ait eu de préméditation. Je ne crois pas qu'on ait voulu le tuer au départ mais que les circonstances ont conduit la Sûreté générale à le supprimer, lorsqu'elle a su qui elle tenait... Les Daudet étaient des sanguins ; il est possible que, se sentant démasqué, Philippe se soit rebellé, qu'un coup de feu soit parti et que l'on ait voulu maquiller les choses en suicide... On y a vu le moyen d'ouvrir une brèche et d'affaiblir l'Action française, qui bien sûr était visée in fine.

    IL Y A AUSSI CET INCROYABLE PROCÈS POLITIQUE CONTRE LÉON DAUDET...

    C'est la cerise sur le gâteau. Le père vient de retrouver son fils mort dans un taxi. Il fait un procès au chauffeur et voilà qu'il se retrouve condamné à cinq mois de prisons ! Il faut bien saisir la perfidie de ce jugement, à travers lequel on a opposé de façon fictive un père et un fils, salissant la réputation de l'un et la mémoire de l'autre. Les anarchistes n'ont cessé de répéter au cours du procès que Philippe était des leurs, ce qu'il n'a bien sûr jamais été. Lorsque l'on sait que les anarchistes étaient à l'époque le bras armé de la République, la manoeuvre est particulièrement écoeurante. Léon Daudet va finir par se rendre, mais l'histoire ne s'arrête pas là. Grâce au détournement des lignes téléphoniques du ministère de l'intérieur par une militante de l'Action française, il parvient à s'évader d'une façon rocambolesque. Après quoi il est contraint de se réfugier plusieurs années en Belgique...

    UNE TELLE AFFAIRE POURRAIT-ELLE SE REPRODUIRE AUJOURD'HUI ?

    Le pouvoir donne tous les moyens pour agir en cas de menace. Je crois qu'évidemment de tels évènements pourraient se reproduire aujourd'hui et qu'ils ne sont pas l'apanage d'une époque. Depuis 1945, les disparitions troubles d'hommes proches du pouvoir n'ont pas cessé - on en compte au moins trois. La police politique n'a pas disparu, elle est inhérente à la République. 


    À LIRE : ON A TUÉ LE FILS DAUDET, de Jean-Pierre Fabre-Bemardac, éditions Godefroy de Bouillon, 265 p., 26 euros.

  • Livres & Voyage • Venise, mythe éternel


    Par Jean Sévillia

     

    2266144432.jpgLes touristes peuvent envahir la place Saint-Marc et d'invraisemblables navires de croisière, semblables à des immeubles flottants, se profiler sur la lagune, le charme des lieux opère toujours : défiant le temps, écrasant de sa superbe les clichés qui courent à son encontre, Venise reste un des sites les plus saisissants au monde. Ici, dans un décor qu'il ne se lasse pas d'admirer, le visiteur a tout à la fois rendez-vous avec la foi, la politique, la littérature, la fête, la sensualité, la musique, la peinture, le . théâtre, l'opéra, le carnaval ou le cinéma, sans parler de la séduction de l'Italie. Afin de rendre compte de la multiplicité de ces facettes, la collection Bouquins consacre à la ville un livre qui s'inscrit dans une série où figurent Berlin, Istanbul, Lisbonne, New York, Saint-Pétersbourg ou Shanghaï (Histoire, promenades, anthologie et dictionnaire). Ce volume manifeste toutefois la volonté de passer en revue les classiques sans lesquels Venise ne serait plus Venise, mais aussi de mettre en avant des aspects moins connus, plus originaux, plus novateurs. Car la ville n'est pas une belle endormie, prisonnière de son passé : au XXIe siècle, elle demeure, quoi
    qu'il en soit, le coeur battant d'une aventure commencée sous Byzance. Dans ce livre, cinq chapitres initiaux sur l'histoire de la ville et un précieux résumé chronologique, à la fin de l'ouvrage, fournissent d'indispensables repères sur l'échelle des siècles, de l'élection du premier doge, en 697, à la chute de la République, en 1797, et de l'unité italienne à nos jours. Le reste du volume est organisé par thèmes. Quartier par quartier, les promenades nous guident entre canaux, églises et palais. L'anthologie littéraire nous conduit à travers les mille sources qui ont inspiré les écrivains d'hier et d'aujourd'hui : on passe, dans un savant désordre, de Hemingway à Julien Gracq, de Lawrence Durrell à Michel Tournier, et de Françoise Sagan à Philippe Delerm. Quant au dictionnaire, de Canaletto à Vivaldi et du Grand Canal à la Salute, il permet de réviser ses connaissances en quelques minutes. A lire pour préparer son voyage, à glisser dans sa valise en partant, et à relire après. 

    ven-1.jpg

    Venise. Histoire, promenades, anthologie et dictionnaire, sous la direction de Delphine Cachet et Alessandro Scarsella, Robert Laffont, « Bouquins », 1216 p., 32 C.

    [Le Figaro magazine, 22.04]

  • Livres & Société • Les Saint-Just du samedi soir

     

    par Jean-Philippe CHAUVIN 

     

    arton8470-7b8cd.jpgIl est en France un philosophe qui s'oppose à la « ferme des mille vaches » et à la construction d'un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, et qui use de sa notoriété médiatique pour dénoncer les conditions indignes de l'élevage productiviste et les absurdités de la course à la bétonnisation aéroportuaire et mondialiste : en somme, certains, à cette rapide description, pourraient croire qu'il était, au regard de ces combats qu'il est l'un des seuls intellectuels français à assumer publiquement en France, le bienvenu sur cette place de la « Nuit debout » contestatrice de tant de scandales environnementaux et sociaux... Et pourtant ! Après quelques dizaines de minutes passées à écouter les intervenants des débats, Alain Finkielkraut en a été chassé comme un malpropre par quelques extrémistes qui, le plus souvent, n'ont même pas pris le temps de le lire, se contentant de quelques slogans et arguments faciles. Quelle déception, quelle colère peut-on éprouver devant une telle situation absurde et, il faut le dire, éminemment révoltante ! 

    Le philosophe Alain Badiou, maoïste pas vraiment repenti, n'a pas, lui, hésité à discuter avec son confrère maudit par les nouveaux Saint-Just du samedi soir, et un livre en est né, qui mérite d'être lu*. D'autres, qui n'ont pas la notoriété de Badiou ou de Finkielkraut, ont été invités dans l'émission que ce dernier anime, depuis des années, sur France-Culture, sans censure aucune, et ont pu faire valoir des idées parfois fort éloignées de celles de leur hôte...  

    Je suis d'une tradition dans laquelle on discute beaucoup, et je n'ai jamais hésité à franchir quelques barrières idéologiques pour chercher à comprendre, mais aussi à convaincre mes adversaires, parfois en vain. Je me souviens, entre autres, d'un débat sur la question universitaire organisé par le groupe anarchiste de l'université de Rennes2 auquel je m'étais rendu, accompagné de quelques monarchistes : la surprise était grande parmi les libertaires qui, refusant d'entamer le dialogue avec nous, avaient préféré annuler leur réunion et quitter les lieux... Cela, en définitive, m'avait plus agacé qu'amusé car j'ai toujours trouvé choquant ce genre d'attitude d'exclusion et de fermeture : que l'on ne parle pas de débat et de liberté d'expression si l'on n'accepte pas celle des autres !  

    Il n'est de pire sourd que celui qui ne veut entendre, dit le proverbe, et les excités qui ont poursuivi M. Finkielkraut de leur vindicte l'ont aisément et méchamment prouvé en refusant, non même sa parole, mais sa simple présence, sans doute trop bruyante à leur ouïe délicate de maîtres censeurs... « Messieurs les censeurs, bonsoir ! », lâchait Maurice Clavel en quittant le plateau de télévision après le caviardage d'une phrase de son reportage sur la Résistance, phrase qui mettait en cause le président Pompidou... Son cri du cœur est aussi celui de ceux qui, aujourd'hui, veulent pouvoir parler envers et contre tout, même si cela n'a pas l'heur de plaire aux Saint-Just qui, en un héritage qui n'a rien d'illégitime au regard de son histoire, se revendiquent d'une République qui ressemble trop, ainsi, à une place de Grève ou de la Révolution façon 1793... 

    La République, par ces quelques fanatiques (qui ne peuvent être, je le crois, confondus avec les premiers initiateurs de la Nuit debout chantant la Marseillaise en descendant dans le métro, le premier soir...), retrouve ses mauvais démons qui, semble-t-il, ne l'ont jamais quittée... Il est dommage que, du coup, ils assassinent un mouvement qui, malgré ses excès et son folklore, avait quelque légitimité à être et à faire valoir... 

    * L'explication, débat entre MM. Badiou et Finkielkrault, animé par Aude Lancelin, éditions Lignes, 2010.

    Le blog de Jean-Philippe Chauvin

  • Théâtre • Une pièce à ne rater sous aucun prétexte

     

    par Bruno Stéphane-Chambon

     

    Le théâtre Classique avait ses trois règles, unité de temps, unité de lieu et unité d’action que Boileau, dans son Art Poétique décrivait ainsi :

    « Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli,
    Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli » 

    De nos jours la qualité et le succès d’un spectacle se doivent de respecter trois substrats : un grand sujet, une écriture majestueuse et un comédien de talent pour défendre la pièce. A l’heure où la transmission du savoir est mise à mal, il est heureux d’assister à une leçon d’histoire, nourrie d’extraits de Dumas, Michelet, Victor Hugo, Saint-Simon et interprétée par Maxime d’Aboville. Ce dernier a été formé par Jean-Laurent Cochet. Il a interprété Bernanos et incarné Bonaparte dans La Conversation de Jean d’Ormesson. En 2010, il a été nominé pour le Molière de la révélation théâtrale pour Journal d’un curé de campagne et en 2011, son second rôle dans Henri IV, le bien aimé a été nominé au Molière. Enfin, il reçoit en 2015 le Molière du comédien pour son interprétation dans la pièce The Servant.

    Pour faire vivre sur scène ces grands moments de l’Histoire, il tient le rôle de l’instituteur d’autrefois, avec sa blouse grise, juché sur son estrade avec pour fond la grande carte de France. Le cours devient un palpitant récit d’aventures qui débute par l‘évocation de la célèbre victoire de François Ier à Marignan, puis survolant deux siècles, s’achève par la mort du Roi Louis XIV.

    Cette prestation rare, ne se jouant que le samedi après-midi, l’affluence du public y est très importante. Nous recommandons à nos lecteurs de réserver très rapidement leurs places, pour les prochaines semaines et mois. Les trésors sont rares sur les scènes, il serait dommage de ne point découvrir cette perle. 

    Une Leçon d’Histoire de France, de 1515 au Roi-Soleil
    D’après Alexandre Dumas, Jules Michelet, Victor Hugo et Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon.
    Interprétation et mise en scène de Maxime d’Aboville.

    Théâtre de Poche Montparnasse
    75, Boulevard du Montparnasse, 6ᵉ arrondissement de Paris
    Réservations : 01 45 44 50 21
    Le samedi à 16h
    Du 2 avril au 2 Juillet – Samedi à 16h, durée 1 heure.
    Relâches exceptionnelles les 7 et 14 mai
    Places : Plein tarif 24€ / Tarif réduit 18€ / Tarif jeunes -26 ans 10€ 

  • Histoire • Quand la cour survit aux rois

     

    Par Jean Sévillia

    Disparue en 1789, la cour du roi ? Un passionnant ouvrage montre au contraire, comment, de Napoléon à la IIIe République, le système de cour a perduré pendant tout le XIXe siècle, en jouant un rôle politique et culturel fondamental. [Le Figaro 15.04]

     

    XVM06e8d676-796d-11e5-ba18-c49418e196fb.jpgLorsqu'on évoque la cour des rois de France, on pense à Louis XIV ou Louis XV à Versailles, plus rarement aux Valois au Louvre ou dans un château de la Loire, presque jamais à ce qui s'est passé après la Révolution. Or Louis XVI (même après les journées d'octobre 1789), Louis XVIII, Charles X et Louis-Philippe ont eu une cour, de même que Napoléon Ier et Napoléon III. C'est le sujet étudié par un jeune historien, Charles-Eloi Vial, conservateur à la Bibliothèque nationale de France où il est chargé des manuscrits modernes et contemporains. Son ouvrage, appuyé sur de patientes recherches dans les archives et sur une bibliographie impressionnante, est un modèle car l'auteur fait partie de ces nouveaux universitaires qui ont compris, contrairement à tant de leurs prédécesseurs, qu'il ne sert à rien d'écrire dans un style austère : les lecteurs d'aujourd'hui étant pressés, les ennuyer, c'est s'exposer à ce qu'ils abandonnent définitivement leur livre.

    Cette étude, illustrée par de nombreuses historiettes et anecdotes, se lit donc avec bonheur. Elle n'en est pas moins extrêmement sérieuse, car ce que montre Vial, c'est que le système curial a joué un rôle politique et culturel fondamental dans la France du XIXe siècle.

    La cour de Louis XVI, à Versailles, est le reflet d'un régime bloqué qui finira par emporter la monarchie. C'est Napoléon qui recrée une cour évoquant l'Ancien Régime par certains aspects extérieurs, mais dont le but profond est d'assurer le contrôle des élites par le pouvoir, et de donner une légitimité aux institutions nouvelles par le mélange de l'ancien et du nouveau monde. La Restauration, contrairement à une idée reçue, puis la monarchie de Juillet et enfin le Second Empire ne dérogent pas à ce principe. Dans son dernier chapitre, l'auteur expose comment la IIIe République, à ses débuts, tente de perpétuer la tradition de la cour, notamment à travers les voyages présidentiels, les grands dîners et les réceptions à l'Elysée. Le budget du palais, son mobilier et ses cuisines son un héritage lointain de la liste civile du roi. « La cour, observe Charles-Eloi Vial au terme de cette passionnante rétrospective, projette dans tous les esprits comme une ombre sur l'histoire de notre pays: son souvenir hante encore les Français. »   

    Jean Sévillia           

  • Société & Histoire • Resurrection du Sphinx

    Le Sphinx en 2016 © Copyright : DR

     

    Par Peroncel-Hugoz

    Notre confrère n’a pas eu besoin d’aller loin pour trouver l’inspiration de son billet puisque le thème se trouvait à sa porte : l’ex plus célèbre « maison de tolérance » du Vieux Monde était située en effet à deux pas de Casa … En résulte un savoureux récit et des anecdotes instructives ...

     

    peroncel-hugoz 2.jpgEn principe, c’est le Phénix qui renaît de ses cendres; mais à Mohamédia, ex-Fédala, à 25 km de Casa, c’est le Sphinx qui vient de ressusciter. Oh ! n’ayez crainte, Mesdames et Messieurs des ligues de vertu, l’ancien plus fameux — quel mot utiliser ? Bordel, maison de passe, lupanar, maison de tolérance, etc …, je laisse le lecteur choisir.  L’enseigne défunte, qui attira jadis tant de « fines braguettes » à Fédala,  a bien ressuscité, sous son nom d’origine, mais en tant que respectable « maison d’hôtes », tout ce qu’il y a de plus bon chic-bon genre, un hôtel-restaurant soigné pour couples en règle, pour familles honnêtes et bien sûr, ayant des moyens. 

    A la fin du protectorat et au début de l’indépendance, le Sphinx première formule, avait été un « Eros Center » de tout premier choix : uniquement de splendides filles, toutes européennes ou israélites — pas de musulmane afin de ne pas provoquer la gent théologienne dans une petite ville. La majorité de la clientèle fut longtemps européenne même si, dès l’origine, la « maison » eut aussi sa clientèle maghrébine au portefeuille bien rempli, type, dit-on, El Glaoui, pacha de Marrakech. Un brave vieil Espagnol, travailleur manuel retraité, rencontré à « Moha », me confiait en 2009 qu’il n’avait jamais eu les moyens d’aller « consommer au Sphinx » et que pour seulement « apercevoir les pensionnaires », il s’était fait embaucher comme manutentionnaire par la tenancière de l’époque. Il s’agissait alors de la renommée (et redoutée) « Madame Andrée », celle que connut le grand chanteur belge Jacques Brel, l’une de ces célébrités de la fin du XXe siècle qui eurent leurs habitudes au Sphinx. Le Belge le mit même dans ses chansons …

    Après avoir été propriété de divers gens d’affaires, étrangers ou marocains, le Sphinx fut fermé, sous le règne d’Hassan II, par un maire istiqlalien de Moha qui, en vieillissant, se trouva soudain choqué par l’existence dans sa cité d’une telle « maison du péché »… A la fin de la décennie 2000, il fut question de démolir le bordel abandonné, et de construire à sa place un immeuble de rapport. Le peintre Nabili ( 1952-2012), que j’eus l’honneur d’accompagner ce jour-là, vint spécialement de son atelier de Benslimane, à 35 km de Moha, pour protester in situ contre cet éventuel « crime architectural », proposant d’installer au Sphinx, un « Institut de l’imaginaire artistique enfantin ». S’il ne fut pas écouté sur ce dernier point, il le fut pour la conservation de cette œuvre exemplaire de feu Albert Planque, architecte français établi jadis à Moha où il construisit plusieurs bâtiments bien pensés dont le Sphinx, « premier bordel du monde construit pour être un bordel » : discrétion, confort, sécurité, salubrité, plusieurs entrées et sorties, etc … 

    Si on sait que, dans les ruines romaines d’Italie et de Libye, les maisons de passe antiques conservées sont les vestiges les plus visités par les touristes occidentaux, on se dit qu’un jour le Sphinx, désormais sauvé de la destruction, fera partie du patrimoine historique de l’ancienne Fédala. C’est déjà un peu le cas puisque, dimanche 10 avril*, le nouvel hôtel-restaurant mohamédien au passé sulfureux, sera ouvert à tout public lors de la Journée du patrimoine. 

    Comme auteur d’un livre d’histoire sur le Maroc où j’ai consacré un chapitre au Sphinx en son époque légère, je peux témoigner que la plupart des articles de presse sur mon ouvrage ont tourné autour de ce haut-lieu de la débauche. Idem pour les questions de lecteurs rencontrés au Maroc ou en France… Les lupanars font et feront toujours recette, même fermés. Ajoutons, pour être franc, qu’un autre thème intrigua mes lecteurs : le puits du Sphinx avait-il reçu, oui ou non, tout ou partie de la dépouille du politicien Mehdi Ben Barka, disparu à Paris en 1965 ? Ce qui accrédita la rumeur du puits — lequel existe toujours dans le jardin du Sphinx ressuscité —, c’est que la maison de tolérance fut gérée un temps, vers 1965, par le truand français Georges Boucheseiche qui devait ensuite être liquidé discrètement (en 1974) par des tueurs qu’on a dit « issus des services secrets français et marocains »… Vrai ou faux ? On ne sait point. En tout cas il y a là un piment de plus pour la trouble auréole du Sphinx qui ne manquera pas d’amener des clients tant au nouvel hôtel qu’à son restaurant qui s’appelle justement … « Chez Madame Andrée ».  ♦ 

    * Le Sphinx, avenue Moulay-Youssef, entre Casbah et Corniche, Mohamédia.

    Livres : 

    Abdelhouahab Bouhdiba, « La sexualité en Islam », PUF, Paris ; J.Mathieu et P-H Maury, « Bousbir, la prostitution au Maroc colonial », Iremam, Paris ; Denis Bachelot, « L’Islam, le sexe et nous », Buchet-Chastel, Paris ; Péroncel-Hugoz, « Le Maroc par le petit bout de la lorgnette », Xénophon, Anet, France ; « 2000 ans d’histoires marocaines », Casa-Express, Rabat. Ces deux ouvrages comportent à peu près le même chapitre sur le Sphinx.

    Péroncel-Hugoz

    Repris du journal en ligne marocain le 360 du 8.04.2016

  • Hubert Védrine [2] : « L'hubris américaine »

      

    Dans son dernier essai, Le monde au défi, Hubert Védrine fait le constat de l'impuissance voire de l'inexistence de la communauté internationale. Il dresse un vaste et éclairant panorama de l'état du monde et des illusions perdues du marché, de la mondialisation heureuse et de l'Union européenne. Secrétaire général de l'Élysée sous François Mitterrand et ministre des Affaires étrangères de 1997 à 2002, Hubert Védrine se distingue par sa finesse d'analyse et sa connaissance précise des dossiers. Loin des incantations et de la dialectique binaire qui tend à remplacer la géopolitique, il défend, à la manière d'un Bainville, une vision réaliste et pragmatique de la politique étrangère. Il plaide pour « un  retour au monde réel, et inévitablement à la realpolitik, moins néfaste que l'irreal politikLafautearousseau en publie au fil des jours des extraits choisis par Vincent Trémolet de Villers pour Le Figaro [8.04].  LFAR

     

    hubert_vedrine_sipa.jpgL'hubris américaine

    Ainsi, au cours des vingt-cinq dernières années, les États-Unis ont souvent abusé, jusqu'à l'hubris, de ce qu'ils ont cru être leur toute-puissance - et c'est d'ailleurs dans la décennie 1990 que j'ai utilisé à leur égard le terme d'« hyperpuissance ». Lors de la décennie suivante, les États-Unis réagirent de façon contrastée et contradictoire à la prise de conscience, partielle et douloureuse, de la perte de leur monopole de puissance, tandis que les Européens se berçaient d'illusions, que les Russes ressassaient leur amertume, que le monde arabo-islamique oscillait entre verrouillage, dénonciations et convulsions, qu'enflait la vague du terrorisme islamique et que l'économie globale de marché, financiarisée et dérégulée, finissait par exploser en 2008. 

    Hubert Védrine           

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    Le monde au défi, Fayard, 180 p.

  • Société • Il faut dire adieu à Simone de Beauvoir

     

    Adieu mademoiselle, la défaite des femmes est un brûlot antiféministe qui se place sous la tutelle protectrice de la compagne de Jean-Paul Sartre. Audacieux, mais non dénué de contradiction, selon Zemmour, qui oppose à Eugénie Bastié, sa propre analyse. Laquelle n'est pas non plus dénuée de justes arguments [Figarovox du 6.04]. Controverse ? Pourquoi pas ? Une raison de plus de lire au plus tôt le livre d'Eugénie Bastié !  LFAR 

     

    ZemmourOK - Copie.jpgTout a été déjà écrit. Chaque nouvelle génération doit affronter cette loi d'airain. Et il faut un mélange d'audace et de présomption pour ajouter quand même son propre texte sur la pile. Eugénie Bastié ne manque ni de l'une ni de l'autre. Cette jeune femme a donc choisi d'inscrire son nom sur la liste - déjà longue - des féministes critiques. La tâche est aisée : les femmes peuvent seules critiquer le féminisme - mais la voie est encombrée : de l'inconvénient d'être née à la fin du XXe siècle.

    Bastié rejette les Femen, la théorie du genre, Judith Butler et Éric Fassin, le mariage pour tous, la PMA, la GPA. Elle dénonce un « féminisme dévoyé » dont « l'horizon n'est plus l'égalité des droits, mais l'interchangeabilité des êtres », qui planifie la « déconstruction des identités » et pense « la différence comme une discrimination ». Cet ancien « garçon manqué » chante la joie d'être une « fille réussie ». Elle écrit ses plus belles pages pour repousser l'existence d'un « droit à l'avortement ». Elle s'inscrit dans la lignée des Élisabeth Badinter ou Sylviane Agacinski, auxquelles elle ajoute une pincée bienvenue de christianisme. Elle retrouve la pertinence de leurs analyses mais n'évite nullement l'écueil de leurs contradictions.

    Elle ouvre son livre sur un hommage appuyé à Simone de Beauvoir. Notre auteur fait allégeance à l'icône : « Le lecteur sera-t-il tenté de jeter le bébé féministe avec l'eau de ce néoféminisme dévoyé. Il aurait tort de céder à cette mauvaise tentation… Est-il encore possible, en 2016, de se dire féministe en Occident ? L'ambition du présent essai est de montrer pourquoi et comment on peut répondre par la positive à chacune de ces questions. »

    Sauf qu'elle n'y parvient pas. Elle fait avec le féminisme ce que les apôtres du « padamalgam » font avec l'islam, et ce que les compagnons de route du communisme ont fait avec le marxisme. Et c'est le même échec. Comme tout l'islam est dans le Coran, et tout le communisme dans Marx, tout le féminisme est dans Beauvoir, bon ou mauvais. Beauvoir est à Butler ce que Lénine fut à Staline, ou le Mahomet de La Mecque au Mahomet de Médine : un paravent rhétorique, un rideau de fumée, un pieux mensonge. Eugénie Bastié elle-même passe son temps à nous en fournir les preuves les plus accablantes. Tout le monde connaît le célèbre « On ne naît pas femme, on le devient » ; mais on évoque moins le « Je rêvais d'être ma propre cause et ma propre fin ». Et pourtant, ces deux phrases fondent la théorie du genre et autres queer theory de Judith Butler. Si on devient femme, comment ne pas le devenir ? Étape suivante, logique, irrécusable. Et déjà prévue par Beauvoir elle-même, qui avait bien compris que la spécificité féminine - celle dont tout découlait - était bien sûr la maternité : « son malheur, disait-elle en parlant de la femme, c'est d'avoir été biologiquement vouée à répéter la vie ». C'est pour cette raison qu'elle refusa d'avoir un enfant et n'a jamais caché son mépris pour « les pondeuses ».

    Tout le reste est aussi dans Beauvoir : l'alliance des féministes avec les mouvements antiracistes naît dans la fascination de la compagne de Sartre pour le FLN et les Noirs américains. Une fascination qui a amené ces héritières au déni de Cologne! C'est le mâle blanc hétérosexuel qui est leur ennemi commun. Leur cible à abattre. Qui fut aussi le fondement de l'autre alliance décisive, celle des années 1970, entre les mouvements féministes et homosexuels. Et qui finira de la même façon en piège intégral, comme s'en lamente notre auteur : « Objectivement, femmes et homosexuels n'ont pas les mêmes intérêts… En faisant de la maîtrise des corps le critère de la libération, il (le féminisme) a désigné le corps féminin comme terrain d'expérimentation et futur cobaye. » Mais qui a défilé en criant « mon corps m'appartient » ? Qui s'est battu pour le droit au divorce, considéré comme une liberté pour les femmes ? « Les femmes sont les premières victimes de la dislocation de la famille occidentale. Ce sont les pères qui fuient. Ce sont elles qui restent seules à éduquer les enfants. Le droit a comme un arrière-goût amer. » Un goût de répudiation.

    Un faux progrès qui se paye cher

    C'était écrit d'avance. Le féminisme est un libéralisme qui ramène la gauche à ses sources. Il exalte l'individu et le contrat, au détriment de la famille et de la nation. C'est un faux progrès qui se paye cher. Par les femmes et les hommes. N'en déplaise à notre auteur, c'est Houellebecq qui a raison : la conversion à l'islam a pour source première la volonté des jeunes hommes de retrouver une virilité et une domination ruinées par quarante ans de féminisme. Au contraire de ce que pense Eugénie Bastié, nous subissons une féminisation de la société, qui s'affirme dans ses valeurs les plus sacrées : pacifisme, principe de précaution, négociation, consultation, psychologisation, hiérarchie délégitimée. Et dans les comportements de ces hommes occidentaux qui refusent de se battre, assument leurs sentiments et laissent couler leurs larmes, et préfèrent allumer des bougies et « refuser la haine » plutôt que de venger leurs femmes ou leurs enfants massacrés par les djihadistes.

    2258380137.pngNotre auteur touche juste lorsqu'elle pointe: « Le féminisme est devenu le refuge du nouvel ordre moral » ; mais elle ignore qu'il en a toujours été ainsi. Elle vante la féministe à l'ancienne George Sand ; mais on lui rappellera ce qu'en disait Baudelaire : « La femme Sand est le Prudhomme de l'immoralité. Elle a toujours été moraliste. Seulement elle faisait autrefois de la contre-morale. » Elle compare les obsessions grammaticales des féministes à la « novlangue » dans 1984 d'Orwell ; mais les femmes savantes de Molière contrôlaient déjà le langage de ces malotrus de mâles. « J'entends le rire de Beauvoir, et c'est à lui que je dédie ces pages », nous avait-elle lancé en guise de défi au début de son livre. À la fin, malgré ses tentatives talentueuses et culottées, elle a perdu son pari ; et j'entends le rire de Molière, le rire de Baudelaire, le rire de Bossuet, et son fameux rire de Dieu qui rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ; et c'est à eux que je dédie cet article. 

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    Adieu mademoiselle, la défaite des femmes, Eugénie Bastié, Éditions du Cerf, 220 p., 19 €.

    Eric Zemmour