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Idées, débats... - Page 465

  • Histoire & Actualité • La France n’a pas gagné la Première guerre mondiale grâce à l’Afrique et aux Africains

     

    par Bernard Lugan

     

    46878456-jpeg_preview_large.jpgDans la grande entreprise de réécriture de l’histoire de France par les partisans du « grand remplacement », la Première Guerre mondiale, et plus particulièrement la bataille de Verdun, constitue un argument de poids. Son résumé est clair : les Africains ayant permis la victoire française, leurs descendants ont donc des droits sur nous.

    Voilà qui explique pourquoi ces ardents défenseurs du « vivre ensemble » que sont MM. Samuel Hazard, maire socialiste de Verdun, et Joseph Zimet, à la ville époux de Madame Rama Yade, et en charge de la Mission du centenaire de la Grande Guerre, ont voulu mettre le sacrifice de millions de Poilus au service de leur idéologie.

    Laissons donc parler les chiffres[1] : 

    1. Effectifs français (métropolitains et coloniaux)

    - Durant le premier conflit mondial, 7,8 millions de Français furent mobilisés, soit 20% de la population française totale.

    - Parmi ces 7,8 millions de Français, figuraient 73.000 Français d’Algérie, soit environ 20% de la population « pied-noir ».

    - Les pertes françaises furent de  1.300 000 morts, soit 16,67% des effectifs.

    - Les pertes des Français d’Algérie furent de 12.000 morts, soit 16,44% des effectifs.

    2. Effectifs africains

    - L’Afrique fournit dans son ensemble 407.000 hommes, soit 5,22 % de l’effectif global de l’armée française.

    - Sur ces 407.000 hommes, 218.000 étaient des « indigènes » originaires du Maroc, d’Algérie et de Tunisie, soit 2% de la population de ces trois pays.

    - Sur ces 218.000 hommes, on comptait 178.000 Algériens, soit 2,28 % de tous les effectifs français.

    - L’Afrique noire fournit quant à elle, 189.000 hommes, soit 1,6% de la population totale et 2,42% des effectifs français.

    - Les pertes des unités nord africaines furent de 35.900 hommes, soit 16,47% des effectifs.

    - Sur ces 35.900 morts,  23.000 étaient Algériens. Les pertes algériennes atteignirent donc 17.98 % des effectifs mobilisés ou engagés.

    - Les chiffres des pertes au sein des unités composées d’Africains sud-sahariens sont imprécis. L’estimation haute est de 35.000 morts, soit 18,51% des effectifs ; l’estimation basse est de 30 000 morts, soit 15.87%. Pour importants qu’ils soient, ces chiffres contredisent donc l’idée-reçue de « chair à canon » africaine. D’ailleurs, en 1917, aucune mutinerie ne se produisit dans les régiments coloniaux, qu’ils fussent composés d’Européens ou d’Africains.

    Des Africains ont donc courageusement et même héroïquement participé aux combats de la « Grande Guerre ». Gloire à eux. Cependant, compte tenu des effectifs engagés, il est faux de prétendre qu’ils ont permis à la France de remporter la victoire. Un seul exemple : le 2° Corps colonial engagé à Verdun en 1916 était composé de 16 régiments. Les 2/3 d’entre eux étaient formés de Français mobilisés, dont 10 régiments de Zouaves composés très majoritairement de Français d’Algérie, et du RICM (Régiment d’infanterie coloniale du Maroc), unité alors très majoritairement européenne.

    Autre idée-reçue utilisée par l’idéologie dominante : ce serait grâce aux ressources de l’Afrique que la France fut capable de soutenir l’effort de guerre. Cette affirmation est également fausse car, durant tout le conflit, si la France importa six millions de tonnes de marchandises diverses de son Empire, elle en importa 170 millions du reste du monde.

    Conclusion  durant la guerre de 1914-1918, l’Afrique fournit à la France 3,5% de toutes ses importations et 5,22 % de ses soldats. Ces chiffres sont respectables et il n’est naturellement pas question de les négliger. Mais prétendre qu’ils furent déterminants est un mensonge doublé d’une manipulation.


    Bernard Lugan

    13/05/2016 

    [1] Les références de ces chiffres sont données dans mon livre Histoire de l’Afrique du Nord des origines à nos jours. Le Rocher, en librairie le 2 juin 2016.

    le blog officiel de Bernard Lugan

  • D’un concert l’autre

     

    par Louis-Joseph Delanglade

     

    Alpha Diallo est, si l’on en croit sa biographie, un « chanteur français d'origine guinéenne » connu sous le pseudonyme poétique de Black M (M pour Mesrimes, contraction de « Mesrines », en son temps ennemi public numéro un, et « rimes»). S’adressant à ses parents, il dit dans un de ses couplets sur la France : « J´me sens coupable - Quand j´vois tout ce que vous a fait ce pays kouffar » (« Désolé », chanson du groupe de rap Sexion d’Assaut, 2010). M. Diallo ne peut ignorer que ce terme, « kouffar » (en arabe le pluriel de « kafir »), signifie « mécréant » et, par glissement sémantique, est devenu chez nous - chez lui, donc - « cafard ». On appréciera par là les sentiments qu’il éprouve à l’égard de « son » pays. 

    Et on s’étonnera quand même qu’il ait pu être invité à se produire en concert, le 29 mai prochain, à Verdun, en marge des cérémonies commémoratives du centenaire de la bataille. Avant que la mairie ne renonce, M. Diallo assumait son rôle avec une certaine inconscience : « on va s’amuser » répondait-il ainsi au journaliste de L’Est Républicain qui l’interrogeait sur la polémique suscitée par sa venue. M. Ménard dénonçait en effet dans « cette idée d'un concert de rap » à Verdun « le reflet d'une réécriture de l'histoire de France que met en place l'idéologie de gauche depuis des années sous la pression des lobbys immigrés » (Europe 1) et protestait contre ce qu’il appelait une « profanation de la mémoire et, symboliquement, [un] viol de l’histoire. » M. Hazard, maire socialiste de Verdun, se défendait en présentant le chanteur comme « un enfant de la République » (Le Parisien) au succès commercial immense. L’alternative était simple : ou c’était voulu ou c’était pur opportunisme. Dans les deux cas, c’était grave et intolérable. 

    syrie-concert-d-un-orchestre-symphonique-russe-a-palmyre_V001_MMV884432_TFR.jpgUn concert d’un tout autre genre s’est tenu le 5 mai à Palmyre, en Syrie. Un chef d’orchestre, un vrai, un grand, le Russe Valéri Guerguiev, a dirigé dans l'amphithéâtre de la ville antique, l'orchestre symphonique du théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg. Bach, Prokofiev, Chtchedrine. Ni bruit, ni haine. De la musique. Tout simplement magnifique. Le concert, retransmis en direct par la télévision publique russe, a été salué comme un "extraordinaire acte d'humanité" par le président russe M.Poutine qui a voulu y voir un acte fort pour « la renaissance de Palmyre » et contre « le terrorisme international ». L’initiative étant russe, ce concert a bien évidemment été critiqué par la grande majorité de la presse française, au motif qu’il s’agissait d’une opération de communication. L’objectivité eût consisté à dire que ce concert a effectivement constitué, en dehors de sa qualité artistique incontestable, ou plutôt grâce à elle, une remarquable publicité pour la Russie. On nous dit aujourd’hui que les combattants de l’Etat islamique menacent toujours Palmyre. Espérons n’avoir jamais à regretter que le concert de Palmyre ait été le dernier. 

    « Hommes, ici n'a point de moquerie » : l’avertissement de François Villon, (« Ballade des pendus ») pourrait concerner Verdun autant que Palmyre. Mais là aurait pu s’arrêter, en ce mois de mai, leur égalité « tragique ». Un rappeur à Verdun, Jean-Sébastien Bach à Palmyre : tout était dit. Mais, finalement, le rappeur ne viendra pas et c’est tant mieux.

     

  • Livres & Voyage • Tanger au microscope

    Philippe Guiguet à Tanger © Copyright : DR

     

    Par Péroncel-Hugoz

    Non sans quelque présomption, notre confrère croyait avoir tout lu, tout vu sur Tanger, et puis il est tombé sur un satané petit livre traitant de la métropole du Détroit …

     

    441212410.5.jpgOui, j’ai connu Tanger au temps douloureux où elle n’était pas aimée de son roi, à l’époque Hassan II (en revanche, la ville fut prisée par Lalla Abla, mère du défunt monarque) ; quand Tahar Ben Jelloun publiait ses premiers vers, préfacés par Abraham Serfaty et me recommandait à son frère, bon habilleur tangérois ; lorsque je louais une maison, sur les remparts d’Asilah, à un oncle de Si Mohamed Ben Aïssa, futur ministre en vue et qui était alors en train de faire de cette ancienne place-forte portugaise l’un des pôles culturels de Chérifie. 

    Je connus donc les derniers feux de la société cosmopolite tangéroise, de David Herbert à Paul Bowles via Marguerite McBey ; j’étais alors correspondant du «Monde» en Alger et je venais oublier un peu, de temps en temps, en Tingitanie, les rigueurs de la dictature Boumediene ; je pris le pli, en ces années-là, et je l’ai conservé, de lire ou voir à peu près tout ce qui concernait Tanger, des fondateurs phéniciens aux conquérants arabes ; d’Ibn Batouta à Lotfi Akalaÿ; de John Hopkins à Rachid Taferssiti; sans oublier bien sûr ce mini-chef-d’oeuvre littéraire qu’est l’inquiétante nouvelle «Hécate et ses chiens» de Paul Morand lequel, à Tanger, et ça ne s’invente pas, habita la rue Shakespeare ; je crois également en 50 ans, avoir visionné une moitié des 100 films inspirés en 100 ans par l’ancienne Tingis. 

    Connaissant mon tropisme culturel tangérois, un camarade salétin, lecteur curieux, me rapporta du Nord marocain, ce printemps 2016, un mince volume d’environ 100 pages avec une couverture assez fade et maladroite portant un nom inconnu de moi : Philippe Guiguet-Bologne, nanti, en page de garde, d’une photo sous-exposée illisible … Sans omettre un éditeur local, basé à Tanger, que plusieurs librairies casablancaises ignorèrent jusqu’à prétendre à l’impossibilité de commander ce pauvre petit bouquin … ( là, j’en profite pour donner un bon coup de dent, bien mérité croyez-moi, à ces «libraires», de Casa ou Rabat, qui affichent sans vergogne le plus complet mépris pour les éditeurs francophones du cru, et, quand ils détiennent leurs publications, les placent généralement dans un coin peu visible de leur magasin … Vous avez dit «masochisme» ? «Autodénigrement» ? Mais si vous prononcez les noms de quelques éditeurs parisiens, voire à la rigueur romands ou wallons, alors là, en avant l’empressement de ces messieurs pour passer aussitôt commande …) 

    Raison de plus, face à cet ostracisme suicidaire pour lire ce brave petit livre. Je le fis, avec l’exemplaire prêté par le Salétin, donc, et je l’avoue, je fus d’emblée irrité par l’utilisation de termes propres au darija, et parfois au darija du Nord — et tout ça sans index ! Merci pour le lecteur non arabophone! Néanmoins, ma curiosité étant forte, je persévérai, et — d’où cette chronique — je fus vite séduit malgré une ponctuation trop souvent àpeupréiste (où sont passés les traits d’union, un des marqueurs de la langue française ? Louis Philippe ce sont deux prénoms masculins ; Louis-Philippe c’est un roi des Français qui missionna Delacroix dans l’Empire chérifien ; belle fille c’est une jolie fille ; belle-fille, c’est une bru, et ainsi de suite … ) 

    Donc, ce M. Guiguet, qui anima le Centre culturel français à Tripoli de Libye, sous la dictature kadhafiste, poste où il a dû en voir un peu de toutes les couleurs, ce M.Guiguet a une plume légère, souple, sans racolage ni clichés trop souvent dégainés dès qu’on parle de Tanger (non, je ne citerai personne …). Et puis, cet auteur en sait un rayon sur la Cité sans doute la plus ancienne du Maroc, et il nous le dit en douceur, sans pose, sans pédanterie, sans nous ennuyer jamais. Il sait toujours ajouter une nouveauté, une trouvaille, un fait oublié ou occulté sur des «classiques» de la Médina, comme l’ex-Légation états-unienne, tel ensemble palatial de la Casbah, telle parfumerie ou pâtisserie, ou bien un cinéma Art déco qui remarche ou une galerie d’art nouvelle. Après tous ces cadeaux au lecteur, soyez indulgent pour cette inexactitude historique mineure page 46 : la mission royale française Mornay-Delacroix, en 1832, ne fut pas envoyée auprès de l’empereur alaouite Moulay-Hassan 1er mais à l’un de ses prédécesseurs, Moulay-Abderrahmane… 

    Ce léger hiatus historique, ni les autres points faibles cités au début de cette chronique, ne nuisent pas à l’ensemble de l’ouvrage où on se distrait, où on apprend beaucoup, du mausolée du «Fils du Caneton» (Ibn Batouta) à Bab Teatro via la maison des chérifs d’Ouezzane ou celle du couturier Saint Laurent. C’est vrai qu’en filigrane du texte on aperçoit à plusieurs reprises un peu de cette internationale «gentry gay» (si vous me permettez cette expression franglaise) qui a ses habitudes à Tanger depuis au moins 150 ans (comme à Mykonos en Grèce, Hammamet en Tunisie ou Biskra jadis en Algérie) ; la plus belle illustration de cette « gentry » est sans doute le journaliste-espion britannique, Walter Harris, au début du XXe siècle. Mais Guiguet-Bologne déroule cette particularité avec une décence (hiya), une pudeur (aoura), toute marocaine à l’ancienne et qui me paraît être une des vertus cachées de ce «Socco». Les quelques ombres homoïdes dont Guiguet a parsemé son itinéraire tangérois sont d’autant plus acceptables, à mon sens, que cet auteur nous a en revanche épargné les rituels couplets morbides, chaque fois qu’il est question du Tanger années 1945-1965, sur les intellos indigènes ou allogènes (notamment nord-américains), méchamment ravagés par divers alcools tord-boyaux, kif et autre maâjoun*, type la lamentable Jane Bowles, et hantant ruelles et bouges de la vigie du détroit de Gibraltar. 

    Un volume à lire, donc, en insistant auprès des libraires pour qu’ils se procurent ce Tanger passé au microscope d’une érudition vivante ! 

     

    * Sorte de « confiture » de feuilles de hachich pilées, mélangées à du miel, du sésame et autres ingrédients. 

    Petite Bibliothèque tangerine : « Socco, une promenade dans la vieille ville de Tanger », par Philippe Guiguet-Bologne, Ed. Slaiki Akhawayne, 1 rue de Youssoufia n°38, Tanger ; « Tanger entre Orient et Occident » par Philip Abensour, Ed. A. Sutton, BP 90 600 / 37542 Saint-Cyr-sur-Loire, France, photos anciennes légendées ; « Tange r» par Daniel Rondeau, Livre de Poche, Paris ; « Carnets de Tanger 1962-1979 », par John Hopkins, La Table ronde, Paris ; « Tanger, cité de rêve », livre-album par Rachid Taferssiti et Rachid Ouettassi, avec la collaboration de P. Champion, M.Choukri, D. Rondeau, M.Métalsi et Péroncel-Hugoz, Co-Ed. Paris-Méditerranée et la Croisée des Chemins, Casablanca ; « Tanger, le roi infidèle » et « Asilah, Tahar Ben Jelloun sous parasol » in « Villes du Sud », Balland, Paris puis Payot, Genève, par Peroncel-Hugoz. 

    Peroncel-Hugoz

    Repris du journal en ligne marocain le 360 du 13.05.2016

  • Histoire & Actualité • Le grand panache du Puy du fou : un hommage aux martyrs de la Vendée

     

    Par Floris de Bonneville

    Cette semaine s’ouvre un nouveau spectacle dans une salle unique au monde que les Villiers ont baptisé le Théâtre des Géants.

     

    5e9f2e42c77ed5986d2c94b0b67aaf3c.jpeg.jpgInutile de revenir sur l’étonnant succès du Puy du Fou, de son Grand Parc et de sa cinéscénie, qui n’arrête pas de glaner les plus hautes récompenses mondiales et qui a drainé l’an dernier plus de 2 millions de visiteurs.

    
Mais cette semaine s’ouvre un nouveau spectacle dans une salle unique au monde que les Villiers ont baptisé le Théâtre des Géants. Géant par les 7.500 m² de la nouvelle salle où les dernières technologies permettent de mettre en scène d’autres géants : ceux qui, pour Dieu et le Roi, ont affronté les troupes révolutionnaires et sanguinaires de la Convention de 1793 à 1796. Une guerre civile qui s’est terminée par un véritable « populicide » qui aura coûté la vie de 270.000 à 700.000 Vendéens, décimant cette province de ses habitants et la transformant en champ de ruines brûlantes.



    Pour le 20e spectacle du Puy du Fou, Philippe de Villiers et son fils Nicolas ont choisi de rendre hommage à François Athanase Charette de la Contrie, le plus emblématique des chefs royalistes vendéens. Et cet hommage est grandiose. 40 comédiens évoluent dans des décors réels ou virtuels qui reconstituent la vie mouvementée de ce héros oublié de nos livres d’histoire. Un héros qui traversera l’Atlantique pour libérer l’Amérique de ses envahisseurs anglais, puis viendra se battre contre les colonnes infernales de Turreau.

    Pour suivre Charette, le spectateur est embarqué dans un gigantesque travelling, comme au cinéma. Il a fallu des mois de réglages pour imaginer un système de rotation conforme aux exigences du récit. La technologie est omniprésente puisque les décors en vidéo projections, les lumières, le son et tous les effets spéciaux suivent l’action à 360°. On se laisse emporter par l’émotion. 33 minutes intenses pendant lesquels les tribunes se déplacent au gré des tableaux.

    Le spectacle débute sur l’Ile de Sainte-Hélène où Napoléon rédige ses mémoires et évoque la figure héroïque de Charette. Une belle mise en bouche avant que nous ne soyons emportés sur l’Océan Atlantique reconstitué sur un plan d’eau très agité de 60 mètres de long, sur lequel vogue une frégate à bord de laquelle Charette accompagne Lafayette. Lui qui détestait la mer, il avait été forcé par son père de suivre l’École de Brest. Victorieux des Anglais, il est décoré par le général Washington avant de revenir en France où les paysans lui commandent de mener la révolte contre les bleus qui ont reçu l’ordre de la sinistre Convention d’anéantir les brigands.

    Pendant trois ans, Charette sera pourchassé de village en forêt, de ferme en château avant que son destin ne bascule dans une fantastique et tragique épopée. Son ultime combat pour la liberté s’achèvera à Nantes, le 27 mars 1796. Condamné à mort, il ordonnera lui-même de faire feu avec sa célèbre réplique « lorsque je fermerai les yeux, tirez droit au cœur ». Il refusera d’ailleurs de se faire bander les yeux, et fera sienne, avant de mourir, la réplique « Seigneur, entre tes mains je remets mon esprit ». On reconnaît la discrète patte religieuse que Philippe de Villiers impose à tous ses spectacles.


    Vous pourrez assister en direct à cette exécution jusqu’au 25 septembre dans ce Théâtre des Géants, après avoir parcouru la tranchée des Amoureux de Verdun qui vient d’être sacrée par les Thea Awards de Los Angeles, « meilleure attraction du monde » ! Nul ne peut douter que ce Dernier Panache lui succédera, l’an prochain.
  

    Journaliste
    Ancien directeur des rédactions de l’Agence Gamma
    Boulevard Voltaire
     
     
     
     
  • Livres • PIERRE BOUTANG, MODE D'EMPLOI

     

    L'oeuvre de Pierre Boutang est un continent dont les falaises abruptes paraissent plonger droit dans les profondeurs de l'océan. Une voie d'accès possible — la plus pénétrante, peut-être — est de le suivre sur les chemins escarpés de sa vie. C'est ce que nous propose Stéphane Giocanti. Dont il est fait ici une remarquable analyse*.

     

    Par Christian Tarente

    « Vous parlez comme un livre ! » lançait un jour Boutang, moqueur, à un jeune fanfaron. Mieux qu'à nul autre, c'est pourtant à lui-même que cette boutade pourrait s'appliquer à la lettre : il parlait comme il écrivait, d'un même rythme, sans rupture ni rature. L'habitait une sorte de densité permanente, que seuls désarmaient, à certains moments, l'humour ou l'émotion. Ce poids spécifique, propre à sa nature même, issu de quelque grâce inexpliquée, n'est évidemment pas pour rien dans le sentiment répandu que son oeuvre est d'un accès difficile. Aussi est-ce souvent par certains aspects particuliers de son travail, notamment la critique littéraire (Les Abeilles de Delphes, La Source sacrée, La Fontaine politique), que beaucoup parviennent à l'aborder. Avec le risque d'être tentés d'en rester là, de ne pas oser affronter ses autres grands livres - Ontologie du secret, Apocalypse du désir, Le Purgatoire, ou le Maurras... -, dont la lecture peut prendre l'allure d'une épreuve rebutante, voire dissuasive.

    DEUX PERSONNAGES CAPITAUX,
    TOUS DEUX PRÉNOMMÉS CHARLES...

    On ne se risquera pas ici à prétendre que Boutang est plus facile à lire qu'on ne le croit. Entrer dans sa vision des choses et dans son mode de pensée implique indéniablement un effort, une ascèse si l'on veut. Il faut l'admettre d'emblée : ce n'était pas un adepte de la clarté classique, son oeuvre ne s'ordonne pas comme un jardin à la française. Non qu'il ne soit pas lumineux, mais la lumière procède chez lui d'harmoniques complexes qui ne demandent qu'à révéler leurs surprenantes richesses. Il y a quelque chose d'essentiellement musical dans la manière dont sa pensée s'élabore et se déploie. Parfums, couleurs et sons s'y répondent d'une manière qui n'appartient qu'à lui, et qu'il va chercher dans tout ce qui a fait la matière même de sa vie.

    Né sous la calamiteuse IIIe République, marqué au fer par la Seconde Guerre mondiale, son itinéraire s'est vu éperonné par l'enchaînement diabolique des événements. Deux personnages capitaux, tous deux prénommés Charles, vont y jouer, à des titres bien différents, un rôle déterminant À 14 ans, le jeune Pierre découvre le bouleversant Corps glorieux de Maurras (reproduit dans le Dossier H « Pierre Boutang »), que son père lui lit les larmes aux yeux. Sans encore bien le comprendre, il découvrait l'inquiétude métaphysique du chef de l'Action française. Dès lors, le discours sur l'amour de Diotime dans Le Banquet de Platon suffira à faire de lui un platonicien à vie. Et décider de son destin de philosophe. Le débat Maurras-Boutang sur Platon et Aristote, dialogue d'une vie, restera au coeur de l'étonnante et indestructible fidélité, « jusqu'au bout de son souffle », de Boutang à son vieux maître. En dépit - et peut-être à cause - de l'antisémitisme d'État, de Vichy, de l'épuration, de la prison, de la vieillesse...

    L'autre Charles, ce général qui s'est forgé une légitimité de la manière poignarde que l'on sait, sera pour Boutang, loin de sa vie intime certes, l'occasion de grandes rencontres d'idées et de vives espérances pour le pays, mais aussi (surtout ?) de cruelles déceptions et d'amères frustrations.

    C'est sur ce fond de décor que les grandes étapes de sa vie vont s'installer, induisant plus ou moins directement la parution de ses oeuvres. 1947 : journaliste à Aspects de la France ; 1950 : lettre de Maurras lui interdisant le découragement (« Il faut que l'arche franco-catholique soit mise à l'eau face au triomphe du pire et des pires ») ; 1955 : fondation de La Nation française, qui paraîtra chaque semaine pendant douze ans ; 1967 : réintégration à l'Université : il devient professeur de lycée ; 1973: soutenance de thèse portant sur l'ontologie du secret ; 1976: nommé professeur à la Sorbonne, malgré la cabale menée contre lui par Derrida, il y enseignera jusqu'en 1989, marquant de son empreinte toute une génération de jeunes philosophes (Marion, Bruaire, Colosimo, Mattéi,...).

    LA VIE MOUVEMENTÉE DE BOUTANG,
    VOIE D'ACCÈS À SON OEUVRE

    AVT_Pierre-Boutang_2022.jpegL'étroite imbrication entre une vie hors du commun et une oeuvre qui ne l'est pas moins forme la substance même de la magistrale biographie que vient de publier Stéphane Giocanti. S'appuyant notamment sur les Cahiers que Boutang a tenus de 1947 à 1997 (des milliers de pages, encore inédites, mais bientôt publiées), il fournit une masse considérable d'informations, des plus simples - notamment les agitations de sa vie personnelle, traitées avec délicatesse - aux plus décisives. Leur grand mérite est de grandement contribuer à éclairer le sens de son oeuvre.

    Prenons par exemple Ontologie du secret, son « maître-livre », salué par les plus grands. Simple sujet de thèse ? Non, dit Giocanti, c'est depuis la fin de la guerre qu'il porte en lui un traité de métaphysique tournant autour du « désir de l'origine », et de « l'origine comme fondement du désir » : l'origine absolue, c'est Dieu même, et sa Parole créatrice qui se révèle dans le secret. Au service de sa réflexion, Boutang mobilise des lectures considérables qui touchent à presque toute la culture occidentale : des présocratiques, Platon (le Parménide, qu'il récitait par coeur) et Saint Augustin à Musil et Pound, en passant par tous les grands noms de la philosophie, de Descartes et Kant à Heidegger et Wittgenstein, mais aussi Giambattista Vico (le napolitain de la Scienza nuova, sa grande redécouverte), Dante, Nicolas de Cusa, Shakespeare, Pascal, le cardinal de Retz, Max Scheler, Simone Weil, Freud, Dostoïevski... Pas l'ombre d'une cuistrerie, pourtant : de l'érudition, certes, mais au seul service de ses démonstrations. Sans compter un large appel fait aux rencontres et aux souvenirs personnels.

    Comme l'a noté Gabriel Marcel, Ontologie du secret est un périple, une sorte d'Odyssée à la manière, peut-on dire, de James Joyce. D'ailleurs, Boutang s'en souviendra en écrivant Le Purgatoire, ce roman-confession dont Giocanti nous fournit, là encore, et comme il le fait pour l'ensemble de. ses livres, les tenants et aboutissants biographiques.

    Avec cet ouvrage, nous disposons désormais de deux outils majeurs d'explicitation de l'oeuvre du Forézien : l'autre est le « Dossier H » publié à L'Âge d'Homme en 2002, sous la direction du même Giocanti et d'Axel Tisserand. Parmi ses contributions, Stéphane Giocanti s'était attaché à explorer le lien entre Boutang et Maurras. Ce lien indéfectible ne cesse de nous interroger. Chez un esprit de cette trempe, la fidélité filiale n'explique pas tout.

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    PIERRE BOUTANG, de Stéphane Giocanti, Flammarion, coll. Grandes biographies, 2016, 460 p., 28 euros.

    * Politique magazine, mai 2016

  • Retour sur l'étonnante profession de foi monarchiste de Choderlos de Laclos (1791)

     

    « Je veux une monarchie pour maintenir l'égalité entre les différents départements, pour que la souveraineté nationale ne se divise pas en souveraineté partielle, pour que le plus bel empire d'Europe ne consomme pas ses ressources et n’épuise pas ses forces dans des discussions intéressées, nées de prétentions mesquines et locales ; je veux aussi, et principalement une monarchie, pour que le département de Paris ne devienne pas, à l'égard des 82 autres départements ce qu'était l'ancienne Rome à l'égard de l'empire romain… Je voudrais encore une monarchie pour maintenir l'égalité entre les personnes, je voudrais une monarchie pour me garantir contre les grands citoyens ; je la voudrais pour n'avoir pas à me décider un jour, et très prochainement peut-être, entre César et Pompée; je la voudrais pour qu'il y ait quelque chose au-dessus des grandes fortunes, quelque chose au-dessus des grands talents, quelque chose même au-dessus des grands services rendus, enfin quelque chose encore au-dessus de la réunion de tous ces avantages, et ce quelque chose je veux que ce soit une institution constitutionnelle, une véritable magistrature, l’ouvrage de la loi créé et circonscrit par elle et non le produit ou de vertus dangereuses ou de crimes heureux, et non l'effet de l'enthousiasme ou de la crainte… Je ne veux pas d'une monarchie sans monarque, ni d'une régence sans régent, je veux la monarchie héréditaire…» Et il poursuit : «Je veux une monarchie pour éviter l'oligarchie que je prouverais, au besoin, être le plus détestable des gouvernements ; par conséquent, je ne veux pas d’une monarchie sans monarque et je rejette cette idée, prétendue ingénieuse, dont l'unique et perfide mérite est de déguiser, sous une dénomination populaire, la tyrannique oligarchie ; et ce que je dis de la monarchie sans monarque, je l'étends à la régence sans régent, au conseil de sanctions, etc... Dans l'impossibilité de prévoir jusqu'où pourrait aller l'ambition si elle se trouvait soutenue de la faveur populaire, je demande qu'avant tout on établisse une digue que nul effort ne puisse rompre. La nature a permis les tempêtes, mais elle a marqué le rivage, et les flots impétueux viennent s’y briser sans pouvoir le franchir. Je demande que la constitution marque aussi le rivage aux vagues ambitieuses qu’élèvent les orages politiques. Je veux donc une monarchie ; je la veux héréditaire ; je la veux garantie par l'inviolabilité absolue ; car je veux qu'aucune circonstance, aucune supposition, ne puisse faire concevoir à un citoyen la possibilité d'usurper la royauté. » 

     

    Choderlos de Laclos 

     

    Journal des Amis de la Constitution, organe officiel des Jacobins, 12 juillet 1791, n° 33

  • A propos de cette profession de foi ...

     

    LA VEDETTE SOURIANTE.JPGNous ne voulons pas manquer de signaler que la déclaration de Choderlos de Laclos que l'on peut lire plus haut a été mise en lumière par Patrick Barrau* lors de son intervention au Café actualités d'Aix-en-Provence du 2 décembre 2014, « A propos des Valeurs républicaines », publiée ensuite dans la Nouvelle Revue Universelle

    Antoine de Crémiers en a d'ailleurs opportunément donné lecture lors de son intervention au colloque d'Action française, « Je suis royaliste, pourquoi pas vous », de samedi dernier, 7 mai, à Paris.

    Patrick Barrau, dans sa conférence « A propos des Valeurs républicaines », avait apporté les précisions préalables suivantes qui éclairent la profession de foi de Choderlos de Laclos - texte, effectivement, important, dont le contexte et les circonstances sont ainsi utilement indiquées :

    « Il est bon de rappeler un fait essentiel : après Varennes et le retour du roi fugitif, les Jacobins, et notamment les plus importants d'entre eux, défendent énergiquement le principe de la monarchie. Quand il parle en faveur d'un gouvernement républicain, Billaud-Varenne est hué. Choderlos de Laclos prend alors la parole et dénonce les dangers d'un régime d’anarchie. Parlant des « républicains », il aura, le 1er juillet 1791, ce mot d'une étonnante lucidité : « Je leur demanderai si nous n’aurons pas des empereurs nommés par des soldats. » 

    Mais sa véritable profession de foi – qui rejoint alors les convictions de Robespierre, Danton, Marat, etc. – date du 11 juillet 1791. Le Journal des Amis de la Constitution, organe officiel des Jacobins, la publiera dès le lendemain, dans son n° 33. 

    * Historien du Droit, ancien directeur de l’institut régional du travail.

     

  • Cinéma • « Le Fils de Joseph »: une fable intemporelle pour moquer une modernité détestée

     

    par Vincent Roussel

    Sous le titre Famille élective, une critique de film que nous avons aimée. Un film où il s'agit aussi de moquer la modernité. [Causeur 30.04]

     

    Le Fils de Joseph d’Eugène Green tout comme ses précédents films (Toutes les nuits, Le Pont des arts, La Sapienza…) ne ressemble à rien de ce qui se fait actuellement. Et même si la référence semble désormais l’agacer, c’est Robert Bresson qu’il faudrait évoquer pour donner une petite idée de ce cinéma : composition rigoureuse des plans, diction « blanche » des comédiens, jeu antinaturaliste où tous les mots sont bien articulés et où les liaisons sont scrupuleusement respectées… Eludant toute psychologie, Green se concentre sur un découpage très élaboré de la mise en scène : goût pour la verticalité (ces monuments de Paris immémoriaux qui s’opposent aux contingences médiocres de notre modernité), travail très précis sur la lumière (une très belle scène où Marie et Joseph boivent un verre après une séance de cinéma et où Green accentue la lumière sur leurs visages, comme s’ils étaient transfigurés par la grâce), frontalité des échanges dans ses fameux champs/contrechamps face caméra et à 180°…

    On l’aura compris, le titre renvoie à la Bible et aux textes sacrés. Divisé en chapitres dont les titres accentuent cette dimension religieuse (« Le Sacrifice d’Abraham », « La Fuite en Egypte »…), le récit suit les pérégrinations de Vincent, un lycéen qui vit seul avec sa mère Marie (Natacha Régnier, radieuse et magnétique). Un jour, il découvre que son père qui l’a abandonné est un grand éditeur parisien. Après avoir tenté de l’égorger, il fait la connaissance de Joseph (Fabrizio Rongione), le frère de son père avec qui il va très bien s’entendre…

     

     

    Le film est donc l’histoire d’une famille recomposée mais qui se recompose non pas selon les désirs des parents mais selon ceux du fils. Au père biologique (Mathieu Amalric qui n’avait pas été aussi drôle et bon depuis très longtemps), Vincent substitue un père électif et symbolique.

    Ce récit mythique, intemporel, Eugène Green l’inscrit dans notre modernité qu’il abhorre. Avec un art prononcé pour le trait saillant, il filme un homme tenant son bébé en écharpe et portant un sac « Au bobo bio » ou un adolescent qui a décidé de monter sa propre entreprise sur Internet (« moderne, écologique ») en vendant son sperme.

    Si on s’amusait à pousser les correspondances dans les derniers retranchements de la logique, on pourrait dire que si le père symbolique de Vincent (Jésus) est Joseph, son vrai père devrait être Dieu. L’éditeur qu’incarne Amalric n’est évidemment pas Dieu mais le cinéaste raille avec beaucoup d’humour cet homme qui s’est fait Dieu et qui exerce son pouvoir dans le milieu de l’édition. La dimension satirique du Fils de Joseph est sans doute l’une des plus réussies. Avec beaucoup de verve, Eugène Green décrit avec justesse un cocktail mondain et littéraire où l’outrecuidance se dispute à la superficialité la plus extrême. Critique littéraire inculte (plaisir de revoir la grande Maria de Medeiros), culte de la « transgression », règne du paraître et de l’arrivisme : la satire du milieu fonctionne à merveille et s’avère réjouissante.

     

    Ce que recherche par là le cinéaste, c’est opposer une fois de plus les « modernes » qui se sont accaparés une certaine idée de l’art (ou plutôt, comme le disait Godard, de la « culture ») comme petite parcelle de pouvoir et ce que Green considère comme le véritable Art et qui élève : la musique baroque du XVIIème siècle, un poème chanté dans une église à la lumière des bougies…

    Pour être tout à fait franc, l’opposition est parfois un peu schématique entre la Sainte famille et les horribles bobos, entre les deux frères (qui incarnent le Bien et le Mal), entre une modernité vouée aux gémonies et la parabole mystique… Mais à cette petite réserve, la petite musique d’Eugène Green, le trait saillant du satiriste et la lumière qui se dégage des comédiens font du Fils de Joseph une expérience passionnante… 

    Le Fils de Joseph, d’Eugène Green avec Natacha Régnier, Mathieu Amalric, Victor Ezenfis, Fabrizio Rongione. En salle depuis le 20 avril.

    Vincent Roussel
    est cinéphile. Il tient le blog Le journal cinéma du docteur Orlof

  • Théâtre • Je l’appelais Monsieur Cocteau

     

    par Madeleine Gautier

     

    Je l’appelais Monsieur Cocteau, de Bérengère Dautun, d’après le roman de  Carole Weisweiller. Mise en scène Pascal Vitiello. Avec Bérengère Dautun et Guillaume Bienvenu

    Le livre de Carole Weisweiller adapté et interprété pour la scène  par Bérengère Dautun et Guillaume Bienvenu, ouvre une page enchantée sur la créativité foisonnante de Cocteau qui ne s’interdisait aucune discipline : peinture, littérature, cinéma, théâtre, dessin et dont les œuvres marquèrent le XXè siècle.   Une femme d’âge mûr se présente à nous, il s’agit  de Carole, fille de Francine Weisweiller amie et muse du poète. Au retour d’une soirée, portant son regard sur un objet réalisé par l’artiste, elle se rappelle son enfance et  celui  qui dit-elle:  «émiettait dans mon univers des parcelles de fêtes (…)  m’inventait des histoires que nous étions seuls à comprendre ».  Le souvenir des moments passés à la villa Santo Sospir avec le poète et sa mère Francine, lui laisse un parfum ineffable. A petits pas la narratrice nous guide comme on convie un ami, à  pénétrer  l’univers du « Prince des poètes » qui nous apparaît sous les traits de Guillaume Bienvenu, incarnant  la formidable énergie et révélant l’exigence esthétique extrême de ce funambule qui chercha toute sa vie une identité. La mise en scène  de Pascal Vitiello sobre et élégante, offre une belle partition aux deux comédiens, conteurs passionnés de ce  génie qui mérite amplement d’être (re)découvert. 

    Studio Hébertot, 78 Bis Boulevard des Batignolles, 75017 Paris (Location : 01 42 93 13 04)

  • Maurice Barrès : Quand nous allons célébrer la Fête Nationale de Jeanne d'Arc ...

     Ignacio Zuloaga, Portrait de Maurice Barrès devant Tolède, 1913

     

    prev66.jpg« Il n'y a pas un Français, quelle que soit son opinion religieuse, politique ou philosophique, dont Jeanne d Arc ne satisfasse les vénérations profondes. Chacun de nous peut personnifier en elle son idéal. Etes-vous catholique ? C'est une martyre et une sainte, que l'Eglise vient de mettre sur les autels. Etes-vous royaliste ? C'est l'héroïne qui a fait consacrer le fils de Saint Louis par le sacrement gallican de Reims. Rejetez-vous le surnaturel ? Jamais personne ne fut aussi réaliste que cette mystique ; elle est pratique, frondeuse et goguenarde, comme le soldat de toutes nos épopées... Pour les républicains, c'est l'enfant du peuple qui dépasse en magnanimité toutes les grandeurs établies. [...] Enfin les socialistes ne peuvent oublier qu'elle disait : "J'ai été envoyée pour la consolation des pauvres et des malheureux. "Ainsi tous les partis peuvent réclamer Jeanne d'Arc. Mais elle les dépasse tous. Nul ne peut la confisquer. C'est autour de sa bannière que peut s'accomplir aujourd'hui, comme il y a cinq siècles, le miracle de la réconciliation nationale. »  • 

     

    Maurice Barrès

    le 14 avril 1920

  • Histoire & Actualité • Emmanuel Macron fêtera Jeanne d’Arc ? Bonne nouvelle !

     

    Pour une fois que la République s’incline devant l’Histoire qui la précède, ne soyons pas bégueules.

    par Charlotte d'Ornellas

    Nous ne savons pas si Charlotte d'Ornellas a bien raison [Boulevard Voltaire - 30.04] de se féliciter que « la République s’incline devant l’Histoire qui la précède », dimanche 8 mai à Orléans  - en la personne très médiatique d'Emmanuel Macron. A vrai dire, on aurait de sérieuses raisons d'en douter : elle l'a fait tant de fois, à Orléans ou ailleurs, par la voix de ses plus hautes autorités sans que cela ne change rien à ce que Maurras appelait la mécanique de nos malheurs, ceux qu'induit ce régime, si souvent antihistorique, antifrançais ! Hommages, donc, sans conséquences ni engagements... Quant à Macron, il semble se définir essentiellement comme l'homme des banques, de la mondialisation et de la culture libéralo-libertaire ... Quelles paroles - sur notre Histoire et nos racines - prononcera-t-il donc à Orléans, dimanche prochain ? Seront-elles seulement des paroles de circonstance ou bien de vérité ? Y mettra-t-il quelque profondeur ? Sans-doute en serait-il capable et, pour ce qu'il reste de forces saines et vives au sein du Pays Réel, pour leurs combats futurs, ce ne serait pas indifférent. Dans ce cas, Charlotte d'Ornellas aurait eu raison. C'est pourquoi nous écouterons ou lirons Emmanuel Macron avec attention, dimanche prochain, Fête Nationale de Jeanne d'Arc.  LFAR

     

    9fcfe4689efe7a4738249e7060ebd6bf.jpeg.jpgQue personne ne s’affole, Emmanuel Macron ne « kidnappera » pas Jeanne d’Arc, d’abord parce que les Orléanais ne se laisseront pas faire ! Le 8 mai, à Orléans, personne n’a jamais réussi à récupérer la libératrice : les fêtes ne s’y prêtent pas, elle seule les préside réellement.

    Cette année, les fêtes johanniques seront présidées par le ministre de l’Économie et des Finances, et c’est une bonne nouvelle car en effet, c’est la première fois depuis 10 ans qu’un ministre en exercice tiendra ce rôle.

    Il ne sera pas là seulement en tant qu’Emmanuel Macron, mais bien en tant que ministre, c’est-à-dire en tant qu’il représente l’Etat. Et ce dernier doit bien ça à la petite Lorraine.

    Le 8 mai 1429, Jeanne d’Arc libère la ville des Anglais, et lance une procession d’action de grâce, suivie par tous les Orléanais. Depuis, et chaque année à quelques exceptions près (dues aux guerres notamment), la population fidèle à son héroïne rejoue la victoire.

    L’adage veut que « la moitié des orléanais regarde défiler l’autre moitié » lors de ces fêtes qui rassemblent les ordres civils, militaires et religieux. Seuls les Orléanais y parviennent encore, parce qu’ils ont eu la sagesse de ne s’attacher qu’à Jeanne, au moins ce jour là.

    Tous les présidents de la République se sont succédés à la tribune pour glorifier la Pucelle, un 8 mai, à Orléans. C’est depuis l’accession au poste de Nicolas Sarkozy que la tradition est rompue, sans que les raisons ne soient d’ailleurs connues, et c’est bien triste.

    Quelles qu’aient été les étiquettes politiques des maires d’Orléans, tous ont participé à ces fêtes avec la même ferveur et admiration pour celle que la ville honore comme une sainte, comme une héroïne française et comme un chef de guerre admirable.

    Aucun d’entre eux n’a songé a bouder la messe d’action de grâces qui est célébrée chaque 8 mai au matin dans la cathédrale d’Orléans, nul n’a pensé à supprimer le défilé militaire qui est le deuxième plus important en France après le 14 juillet, nul n’a jamais refusé de remettre le 7 mai au soir l’étendard de Jeanne – gardé par la mairie toute l’année – à l’évêque de la ville, parce que tous ont trouvé normal qu’il revienne à l’Eglise le jour où ses plis décorés des noms de « Jésus et Marie » sont à l’honneur.

    1913205714.jpgC’est dans cette tradition intacte que s’inscrira Emmanuel Macron, parce qu’il existe encore des petits bouts de France si miraculeux qu’ils échappent à nos légitimes querelles politiques.

    Si Jeanne d’Arc anime des passions politiques en France, elle réunit à Orléans et il était tant qu’un ministre en exercice vienne rassurer ses habitants : non, l’État n’a pas oublié l’héroïne qu’elle est !

    Il y a à ce titre bien plus de sens dans la venue d’Emmanuel Macron que dans celle de l’invitée précédente qu’était Audrey Pulvar d’ailleurs.

    Jacques Chirac, Valéry Giscard d’Estaing ou François Mitterand ont célébré Jeanne d’Arc au même pupitre que Régine Pernoud et Denis Tillinac. Et tous ont salué avec la même puissance la France qu’ils avaient en commun, incarnée par Jeanne d’Arc…

    Notre pays est en train de crever de désespérance, mais il y a chaque 8 mai, à Orléans, une toute jeune fille au parcours terrestre si mystérieux qui continue à rassembler. Posons les armes et savourons, ne serait-ce que le temps d’une (trop courte) journée.

    Et puis entre nous, pour une fois que la République s’incline devant l’Histoire qui la précède, ne soyons pas bégueules et laissons les Orléanais chanter une fois encore, avec les invités qu’ils veulent, « vive Jeanne, vive la France ! » 

    Journaliste indépendante

    Lire aussi

    Emmanuel Macron va présider les fêtes de Jeanne d'Arc à Orléans ... Redira-t-il qu'il nous manque un roi ?  [LFAR - 28.04]

  • Livres • Dans l’ombre des présidents

     

    par Nicolas Julhiet

     

    La fonction peut être l’objet de tous les fantasmes. La personne qui l’exerce n’est projetée que très rarement dans la lumière sauf à de rares occasions : si un changement de gouvernement vient à surgir auquel cas on le voit sur le perron de l’Élysée. Ou bien si le personnage lui-même devient un haut personnage de l’État connu et reconnu comme ce fut le cas notamment d’Édouard Balladur, de Claude Guéant, d’Anne Lauvergeon ou d’Hubert Védrine. Car être secrétaire général (ou adjoint) de la présidence de la République est un vrai métier. VGE ne les recrutaient que parmi les majors de promotion de l’ENA, Mitterrand parmi ses amis proches : Pierre Bérégovoy occupa la fonction avant d’être nommé ministre. On les pense déconnectés de la réalité alors que la fonction est lourde, pesante et chronophage. Conseillers du Prince, le secrétaire général de l’Élysée doit être un surhomme, à la fois diplomate, conseiller social, politique, confident. Oui le « SG » est vraiment l’ombre du Président et c’est à suivre le quotidien de cet homme clé que les deux auteurs, César Armand et Romain Bongibault nous invitent. Le travail déjà harassant se complique en période de cohabitation, d’attentats, en cas de maladie du chef de l’Etat, quand les maîtresses de ce dernier surgissent… Homme d’influence c’est aussi un homme de secrets. Beaucoup d’anciens SG n’ont pas répondu aux auteurs. Faut-il le regretter ? 

    Dans l’ombre des présidents, de César Armand & Romain Bongibault, éditions Fayard, 210 p., 18 euros.

  • Action française & Histoire • Jean-Pierre Fabre-Bernadac : « L'affaire Daudet, un crime politique »

     

    IMG.jpgENTRETIEN. En novembre 1923 éclate « l'affaire Philippe Daudet ». Le fils du célèbre homme de lettres et figure de proue de l'Action française Léon Daudet est retrouvé mort dans un taxi. Un prétendu suicide aux allures de crime politique. Jean-Pierre Fabre-Bernadac, ancien officier de gendarmerie, diplômé de criminologie et de criminalistique, a rouvert le dossier à la lueur de sources nouvelles.

    ROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËL DE GISLAIN

    LE 24 NOVEMBRE 1923, BOULEVARD MAGENTA, PHILIPPE DAUDET EST RETROUVÉ AGONISANT DANS UN TAXI. QUE S'EST-IL PASSÉ EXACTEMENT CE JOUR-LÀ ?

    Il y a deux choses importantes à rappeler à propos de Philippe Daudet pour comprendre ce qui s'est effectivement passé. Le jeune homme avait une grande admiration pour son père et il avait tendance à faire des fugues. Agé de 15 ans lors des faits, il avait l'âme excessivement romanesque, exaltée. Juste avant sa mort, il essaie de partir pour le Canada. Mais une fois au Havre, il s'aperçoit qu'il n'ira pas plus loin...Dès lors, comment revenir chez lui sans subir les foudres de ses parents ? Comment faire pour que cette nouvelle fugue ne déçoive pas trop son père ? Dans son esprit, il s'agit d'être à la hauteur ; son grand-père Alphonse est un immense écrivain et son père Léon une figure royaliste brillante et redoutée. Comme il sait que les anarchistes ont déjà essayé de tuer son père un an plus tôt, il se dit qu'un acte de bravoure, qui consisterait à révéler la préparation d'un nouveau complot pourrait faire oublier cette fugue... De retour à Saint-Lazare, il se rend donc au Libertaire, journal qui hait Léon Daudet, pour infiltrer les cercles anarchistes. Il tombe dans un panier de crabes parce que le milieu est complètement infiltré par la police politique. Avec son air de bourgeois et son projet fumeux d'assassinat de haute personnalité, Philippe Daudet n'a pas dû faire illusion très longtemps. Son identité certainement devinée, on l'envoie vers un libraire, un certain Le Flaoutter, indic notoire, et son sort bascule. La Sûreté générale, l'organe de la police politique, est prévenue, onze hommes débarquent pour arrêter le jeune homme... qui est retrouvé mort dans un taxi.

    LA THÈSE OFFICIELLE CONCLUT À UN SUICIDE. VOUS MONTREZ QU'ELLE EST COUSUE DE FIL BLANC...

    En effet, les incohérences se succèdent. Philippe Daudet a récupéré chez les anarchistes un « 6.35 ». Il tenait-là la preuve de son courage vis-à-vis de son père. Pourquoi ne rentre-t-il pas chez lui à ce moment-là ? Par ailleurs, il était extrêmement croyant et on ne comprend pas ce geste de suicide - un péché absolu -, d'autant qu'il était heureux chez lui même s'il aimait l'aventure. En reprenant le dossier - j'ai pu accéder aux archives nationales de la Police et à l'ensemble des documents de la famille Daudet -, les partis pris de l'enquête m'ont sauté aux yeux. Des témoignages fondamentaux sont écartés, des pistes ne sont pas exploitées et les conclusions sont pour la plupart approximatives. Le « 6.35 » qui a donné la mort au jeune homme n'est manifestement pas celui retrouvé, vu qu'aucune balle ne s'est chargée dans le canon après le coup de feu comme elle aurait dû le faire automatiquement ; la douille réapparaît dans le taxi dix jours après le drame au moment de la reconstitution, alors qu'il avait été soigneusement nettoyé ; aucun des onze policiers postés spécialement ne voit Philippe Daudet entrer ou sortir de la librairie, les horaires ne concordent pas, etc.

    DANS QUEL CONTEXTE IDÉOLOGIQUE S'INSCRIT ETTE DISPARITION ?

    Marius Plateau, le secrétaire général de l'Action française, a été tué de 5 balles un an auparavant par Germaine Berton, une anarchiste. À l'issue d'un procès absolument inique, la meurtrière est acquittée... Le contexte est donc extrêmement tendu. Des élections approchent, qui vont être gagnées par la gauche. Poincaré, qui a eu un lien amical avec l'Action française pendant la guerre - il sait le nombre de soldats et d'officiers qui ont été tués dans ses rangs - change son fusil d'épaule lorsqu'il voit que sa carrière est en jeu. Une tension sous-jacente vient du fait que l'Action française essaie de se rapprocher par le cercle Proudhon du mouvement ouvrier. Cela fait peur au pouvoir. On craint qu'une forme de national populisme ou monarchisme ne s'installe, d'autant que les scandales comme Panama ou le trafic des légions d'honneurs n'ont fait que discréditer la classe politique. Il faut bien voir que les tranchées ont donné naissance à une fraternité nouvelle considérable entre des français d'horizon divers. Le bourgeois et l'ouvrier ont maintenant un point commun : ils ont risqué leur peau de la même manière. Le fascisme, et d'une certaine façon, le national-socialisme sont nés de ce même élan à l'époque. Cette union qui bouleverse les classes effraie et on veut y mettre un terme à tout prix.

    DANS CE CLIMAT, POURQUOI ABATTRE LE FILS DE DAUDET ?

    Disons que, parmi les personnalités de l'Action française, mouvement qui suscitait une inquiétude grandissante, Léon Daudet avait des enfants et que Maurras n'en avait pas... Philippe, avec ce caractère éloigné des réalités, était quelqu'un de facilement manipulable. Voir cet enfant se jeter dans la gueule du loup était une aubaine pour des adversaires politiques. Je ne pense pas qu'il y ait eu de préméditation. Je ne crois pas qu'on ait voulu le tuer au départ mais que les circonstances ont conduit la Sûreté générale à le supprimer, lorsqu'elle a su qui elle tenait... Les Daudet étaient des sanguins ; il est possible que, se sentant démasqué, Philippe se soit rebellé, qu'un coup de feu soit parti et que l'on ait voulu maquiller les choses en suicide... On y a vu le moyen d'ouvrir une brèche et d'affaiblir l'Action française, qui bien sûr était visée in fine.

    IL Y A AUSSI CET INCROYABLE PROCÈS POLITIQUE CONTRE LÉON DAUDET...

    C'est la cerise sur le gâteau. Le père vient de retrouver son fils mort dans un taxi. Il fait un procès au chauffeur et voilà qu'il se retrouve condamné à cinq mois de prisons ! Il faut bien saisir la perfidie de ce jugement, à travers lequel on a opposé de façon fictive un père et un fils, salissant la réputation de l'un et la mémoire de l'autre. Les anarchistes n'ont cessé de répéter au cours du procès que Philippe était des leurs, ce qu'il n'a bien sûr jamais été. Lorsque l'on sait que les anarchistes étaient à l'époque le bras armé de la République, la manoeuvre est particulièrement écoeurante. Léon Daudet va finir par se rendre, mais l'histoire ne s'arrête pas là. Grâce au détournement des lignes téléphoniques du ministère de l'intérieur par une militante de l'Action française, il parvient à s'évader d'une façon rocambolesque. Après quoi il est contraint de se réfugier plusieurs années en Belgique...

    UNE TELLE AFFAIRE POURRAIT-ELLE SE REPRODUIRE AUJOURD'HUI ?

    Le pouvoir donne tous les moyens pour agir en cas de menace. Je crois qu'évidemment de tels évènements pourraient se reproduire aujourd'hui et qu'ils ne sont pas l'apanage d'une époque. Depuis 1945, les disparitions troubles d'hommes proches du pouvoir n'ont pas cessé - on en compte au moins trois. La police politique n'a pas disparu, elle est inhérente à la République. 


    À LIRE : ON A TUÉ LE FILS DAUDET, de Jean-Pierre Fabre-Bemardac, éditions Godefroy de Bouillon, 265 p., 26 euros.

  • Livres & Voyage • Venise, mythe éternel


    Par Jean Sévillia

     

    2266144432.jpgLes touristes peuvent envahir la place Saint-Marc et d'invraisemblables navires de croisière, semblables à des immeubles flottants, se profiler sur la lagune, le charme des lieux opère toujours : défiant le temps, écrasant de sa superbe les clichés qui courent à son encontre, Venise reste un des sites les plus saisissants au monde. Ici, dans un décor qu'il ne se lasse pas d'admirer, le visiteur a tout à la fois rendez-vous avec la foi, la politique, la littérature, la fête, la sensualité, la musique, la peinture, le . théâtre, l'opéra, le carnaval ou le cinéma, sans parler de la séduction de l'Italie. Afin de rendre compte de la multiplicité de ces facettes, la collection Bouquins consacre à la ville un livre qui s'inscrit dans une série où figurent Berlin, Istanbul, Lisbonne, New York, Saint-Pétersbourg ou Shanghaï (Histoire, promenades, anthologie et dictionnaire). Ce volume manifeste toutefois la volonté de passer en revue les classiques sans lesquels Venise ne serait plus Venise, mais aussi de mettre en avant des aspects moins connus, plus originaux, plus novateurs. Car la ville n'est pas une belle endormie, prisonnière de son passé : au XXIe siècle, elle demeure, quoi
    qu'il en soit, le coeur battant d'une aventure commencée sous Byzance. Dans ce livre, cinq chapitres initiaux sur l'histoire de la ville et un précieux résumé chronologique, à la fin de l'ouvrage, fournissent d'indispensables repères sur l'échelle des siècles, de l'élection du premier doge, en 697, à la chute de la République, en 1797, et de l'unité italienne à nos jours. Le reste du volume est organisé par thèmes. Quartier par quartier, les promenades nous guident entre canaux, églises et palais. L'anthologie littéraire nous conduit à travers les mille sources qui ont inspiré les écrivains d'hier et d'aujourd'hui : on passe, dans un savant désordre, de Hemingway à Julien Gracq, de Lawrence Durrell à Michel Tournier, et de Françoise Sagan à Philippe Delerm. Quant au dictionnaire, de Canaletto à Vivaldi et du Grand Canal à la Salute, il permet de réviser ses connaissances en quelques minutes. A lire pour préparer son voyage, à glisser dans sa valise en partant, et à relire après. 

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    Venise. Histoire, promenades, anthologie et dictionnaire, sous la direction de Delphine Cachet et Alessandro Scarsella, Robert Laffont, « Bouquins », 1216 p., 32 C.

    [Le Figaro magazine, 22.04]

  • Livres & Société • Les Saint-Just du samedi soir

     

    par Jean-Philippe CHAUVIN 

     

    arton8470-7b8cd.jpgIl est en France un philosophe qui s'oppose à la « ferme des mille vaches » et à la construction d'un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, et qui use de sa notoriété médiatique pour dénoncer les conditions indignes de l'élevage productiviste et les absurdités de la course à la bétonnisation aéroportuaire et mondialiste : en somme, certains, à cette rapide description, pourraient croire qu'il était, au regard de ces combats qu'il est l'un des seuls intellectuels français à assumer publiquement en France, le bienvenu sur cette place de la « Nuit debout » contestatrice de tant de scandales environnementaux et sociaux... Et pourtant ! Après quelques dizaines de minutes passées à écouter les intervenants des débats, Alain Finkielkraut en a été chassé comme un malpropre par quelques extrémistes qui, le plus souvent, n'ont même pas pris le temps de le lire, se contentant de quelques slogans et arguments faciles. Quelle déception, quelle colère peut-on éprouver devant une telle situation absurde et, il faut le dire, éminemment révoltante ! 

    Le philosophe Alain Badiou, maoïste pas vraiment repenti, n'a pas, lui, hésité à discuter avec son confrère maudit par les nouveaux Saint-Just du samedi soir, et un livre en est né, qui mérite d'être lu*. D'autres, qui n'ont pas la notoriété de Badiou ou de Finkielkraut, ont été invités dans l'émission que ce dernier anime, depuis des années, sur France-Culture, sans censure aucune, et ont pu faire valoir des idées parfois fort éloignées de celles de leur hôte...  

    Je suis d'une tradition dans laquelle on discute beaucoup, et je n'ai jamais hésité à franchir quelques barrières idéologiques pour chercher à comprendre, mais aussi à convaincre mes adversaires, parfois en vain. Je me souviens, entre autres, d'un débat sur la question universitaire organisé par le groupe anarchiste de l'université de Rennes2 auquel je m'étais rendu, accompagné de quelques monarchistes : la surprise était grande parmi les libertaires qui, refusant d'entamer le dialogue avec nous, avaient préféré annuler leur réunion et quitter les lieux... Cela, en définitive, m'avait plus agacé qu'amusé car j'ai toujours trouvé choquant ce genre d'attitude d'exclusion et de fermeture : que l'on ne parle pas de débat et de liberté d'expression si l'on n'accepte pas celle des autres !  

    Il n'est de pire sourd que celui qui ne veut entendre, dit le proverbe, et les excités qui ont poursuivi M. Finkielkraut de leur vindicte l'ont aisément et méchamment prouvé en refusant, non même sa parole, mais sa simple présence, sans doute trop bruyante à leur ouïe délicate de maîtres censeurs... « Messieurs les censeurs, bonsoir ! », lâchait Maurice Clavel en quittant le plateau de télévision après le caviardage d'une phrase de son reportage sur la Résistance, phrase qui mettait en cause le président Pompidou... Son cri du cœur est aussi celui de ceux qui, aujourd'hui, veulent pouvoir parler envers et contre tout, même si cela n'a pas l'heur de plaire aux Saint-Just qui, en un héritage qui n'a rien d'illégitime au regard de son histoire, se revendiquent d'une République qui ressemble trop, ainsi, à une place de Grève ou de la Révolution façon 1793... 

    La République, par ces quelques fanatiques (qui ne peuvent être, je le crois, confondus avec les premiers initiateurs de la Nuit debout chantant la Marseillaise en descendant dans le métro, le premier soir...), retrouve ses mauvais démons qui, semble-t-il, ne l'ont jamais quittée... Il est dommage que, du coup, ils assassinent un mouvement qui, malgré ses excès et son folklore, avait quelque légitimité à être et à faire valoir... 

    * L'explication, débat entre MM. Badiou et Finkielkrault, animé par Aude Lancelin, éditions Lignes, 2010.

    Le blog de Jean-Philippe Chauvin