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Idées, débats... - Page 469

  • Alain Finkielkraut doit-il se taire ?

    Alain Finkielkraut a été reçu à l'Académie française. Dans son discours, il a évoqué la vie et l'oeuvre de Félicien Marceau. Il a condamné la mémoire « revue, corrigée et recrachée par le système. »

     

    Une pertinente analyse de Vincent Tremolet de Villers *

    A l'émission Des paroles et des actes, une enseignante a interpellé Alain Finkielkraut. Une passe d'armes qui témoigne du dialogue de sourds qui a remplacé le débat intellectuel en France.

     

    ob_b41265_vincent-temolet-de-villers.jpgTout passe et l'immortelle série des Gendarmes en est l'éclatant témoignage. Au départ divertissante, elle est très vite tombée dans une mécanique de répétitions épaisses et vaines. Il en va de même pour les débats et les controverses. Devant le énième procès fait aux « néo-réacs-qui-ont-gagné-la-bataille-des-idées », nous éprouvons la lassitude d'un téléspectateur contraint aux grimaces du Gendarme et les extraterrestres. L'adjudant-chef Lindenberg (auteur en 2002 du Rappel à l'ordre : enquête sur les nouveaux réactionnaires, Seuil) peut bien publier son livre enrichi, ça ne prend plus. Reconnaissons cependant que certaines répliques de cet interminable feuilleton sont entrées dans le langage courant.

    Il suffisait par exemple de regarder l'émission Des paroles et des actes  qui, jeudi dernier [21 janvier], a opposé Alain Finkielkraut à Daniel Cohn-Bendit. L'auteur de La Seule Exactitude (Stock), « néo-réac » du mois, a été pris à partie par une jeune professeur d'anglais, « apolitique », assurait le présentateur, mais maîtrisant cependant sur le bout des doigts le lexique victimaire. Comme Najat Vallaud-Belkacem au mois de mai dernier, elle qualifia le philosophe de « pseudo-intellectuel ». Elle fit l'éloge du « nous inclusif et solidaire » cher au rapport sur l'intégration remis par le conseiller d'État Thierry Tuot en 2013 à Jean-Marc Ayrault. Elle reprocha à l'auteur de La Défaite de la pensée d'être « approximatif », « vaseux », et d'obscurcir volontairement les esprits. Enfin, dans un sourire satisfait, elle conclut son propos par un martial : « Taisez-vous, Alain Finkielkraut ! » Six minutes d'idéologie pure que David Pujadas, visiblement gêné, n'a pas cru bon d'interrompre. À ces certitudes, le philosophe a répondu par l'éloge du doute consubstantiel, selon lui, à l'esprit européen. « Je m'avance vers celui qui me contredit, qui m'instruit », disait Montaigne. La jeune femme n'écoutait plus. Elle avait définitivement classé l'auteur du Cœur intelligent parmi les manipulateurs à l'esprit étroit dont la perversion consiste à souffler sur les braises d'une société déjà incandescente.

    « Taisez-vous, Alain Finkielkraut! » Cette injonction, au fond, reprenait le mot d'ordre des derniers défenseurs du gauchisme culturel. Dans leur manifeste pour une contre-offensive intellectuelle et politique publié par Le Monde le 27-28 septembre dernier, Édouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie établissaient comme premier principe celui du refus: « Fuir les débats imposés, refuser de constituer certains idéologues comme des interlocuteurs, certains thèmes comme discutables, certains problèmes comme pertinents. Ces thèmes rendent la confrontation d'idées impossible, les évacuer est la condition du débat.» Ces thèmes étaient les suivants : « nation, peuple, souveraineté ou identité nationale, désagrégation ». Les deux intransigeants préféraient parler « de classes, d'exploitation, de violence, de répression, de domination, d'intersectionalité ».

    « Taisez-vous, Alain Finkielkraut ! » Le thème de l'émission était « Les Deux France », et nous les avions là, sous nos yeux, plus encore que dans la conversation féconde et courtoise qu'eurent pendant deux heures Daniel Cohn-Bendit et Alain Finkielkraut. Ceux qui s'en tiennent à l'écume des choses feront de l'islam la ligne de fracture. Les courants, pourtant, sont autrement profonds, et ce qui sépare ces deux camps, c'est d'abord l'appréhension du monde. Les uns considèrent qu'il n'est rien d'autre qu'une matière à façonner selon des principes dictés par l'idéologie (qui peut être athée, religieuse, coranique), les autres tentent de tirer des leçons politiques et sociales de son observation. Les premiers le rêvent et nous endorment, les seconds le voient et nous réveillent. « Vivre-ensemblistes » et noyeurs de poissons décrivent une surréalité admirable qui aura raison de ce monde ancien, quand notre philosophe se fait « l'accoucheur de notre inquiétude collective » (François-Xavier Bellamy) et veut protéger ce qu'il reste de beauté. Ils promettent les lendemains qui chantent, quand Alain Finkielkraut vit les tourments d'aujourd'hui. Ils ont le cœur large comme la COP21, il contemple les vaches dansant dans les prés. Ils sont de partout et viennent de nulle part, il est l'héritier d'une généalogie, d'une histoire, d'une littérature. Ils pérorent avantageusement, mais plus personne ne les écoute, il s'exprime lentement, alternant soupirs, nuances et précautions. Chut ! taisez-vous, Alain Finkielkraut parle.   

    * Vincent Tremolet de Villers

    Vincent Tremolet de Villers est rédacteur en chef des pages Débats/Opinions du Figaro et du FigaroVox.

  • Histoire • Jeanne et ses juges

     

    Jean Sévillia a donné [Figaro magazine du 30.01.2016] le rappel historique qui suit des circonstances du procès de Jeanne d'Arc. Et c'est, en même temps, une excellente présentation de l'ouvrage que vient de publier Jacques Trémolet de Villers. Que les amis de Lafautearousseau ne manqueront pas de lire...  LFAR  

    une_proces_jeanne_darc.jpgLe 23 mai 1430, Jeanne d'Arc est capturée par les Bourguignons devant Compiègne. Six mois plus tard, elle est livrée aux Anglais, puis incarcérée à Rouen où le chapitre de la cathédrale accorde une concession de territoire à l'évêque de Beauvais, Cauchon, afin qu'il ouvre un procès pour les crimes que la Pucelle, faite prisonnière dans son diocèse, aurait commis : avoir « vécu dans le dérèglement et dans la honte, au mépris de l'état qui convient au sexe féminin », et avoir « semé et répandu plusieurs opinions contraires à la foi catholique ». Le 9 janvier 1431, la procédure s'engage. Quinze interrogatoires ont lieu entre le 21 février et le 17 mars. Les 27 et 28 mars, l'acte d'accusation est lu à la jeune fille. Au cours des semaines suivantes, diverses exhortations lui sont données. Jamais elle ne cède devant ses accusateurs.

    Le 24 mai, toutefois, face au bûcher où Cauchon commence à lui lire la sentence de mort, Jeanne faiblit : s'en remettant à l'Eglise pour la foi à accorder à ses voix, elle renonce à porter des vêtements d'homme en échange de la promesse d'être gardée par des femmes, dans une prison d'Eglise. La sentence étant commuée en prison à perpétuité, la Pucelle est reconduite dans son cachot anglais, au mépris de la parole qui lui a été donnée. Là, elle subit uni tentative de viol. Quatre jours plus tard, elle remet par conséquent ses habits d'homme. Dès lors considérée comme relapse, elle est brûlée vive, le 30 mai, sur la place du Vieux-Marché...

    De ce procès d'inquisition, le minutes ont été conservées. Il révèle, face à des juges qui mentent et qui trichent, l'intelligence de Jeanne d'Arc, sa vivacité d'esprit, son courage, sa simplicité, parfois ses fragilités. Avocat et essayiste, Jacques Trémolet de Villers publie les pièces intégrales de la procédure tout en les analysant - la typographie distinguant clairement le texte et le commentaire Ce faisant, l'auteur ressuscite la formidable dramaturgie de ce procès truqué, qui sera annulé vingt-cinq and plus tard, mais auquel on se surprend à rêver à une autre fin. Précieux document historique ce beau livre est aussi une leçon politiqua et spirituelle, et un émouvant exercice d'admiration pour Jeanne d'Arc, le plu: pur des symboles français. 


    22510100300630L.jpgJeanne d'Arc. Le procès de Rouen (21 février-30 mai 1431), lu et commenté par Jacques Trémolet de Villers, Les Belles Lettres, 316 p., 24,90 €.

  • Culture & Loisirs • In memoriam : L’année commence mal

     

    par Bruno Stéphane-Chambon

     

    D’abord on n’ira plus Chez Laurette, et on ne dansera plus langoureusement sur la musique de Wight Is Wight, Michel Delpech, nous a quitté le 2 janvier 2016. Après la gueule de bois au lendemain de l’enterrement de cette funeste année 2015, le départ du trouvère qui nous rappelait les jours heureux, n’était pas pour nous remettre en forme. Ses chansons les plus populaires ont marqué les adolescents d’hier et d’aujourd’hui, car on a tous rêvé d’un grand amour Pour un Flirt, regretté que la République à sa naissance ne soit pas aussi Jolie que Marianne, et parcouru les belles routes départementales du Loir-et-Cher.

    Après s’être égaré souvent dans des zones ésotériques imprégnées de paradis artificiels, il avait sur son chemin de Damas, celui de saint Paul, rencontré le Christ. Il nous a légué en 2013, un très beau livre, J’ai osé Dieu, édité aux Presses de la Renaissance,‎

    Deux jours plus tard… Attention on ne rit plus !

    Le tonitruant, caractériel, facétieux Adjudant de la Gendarmerie, Jérôme Gerber, ci devant Michel Galabru, vient d’éteindre son dernier cigare.

    La liste de ses rôles tenus au théâtre, au cinéma et à la télévision nécessiterait plusieurs pages de grand format. Seulement, rappelons que sa carrière théâtrale débuta à la Comédie Française en 1950, suite à un Premier prix qu’il obtint après trois ans d’étude au Conservatoire National dans la classe de Denis d’Inès. Il y restera sept ans en interprétant différents auteurs classiques et modernes. S’ensuivirent de nombreux rôles au Boulevard et surtout au cinéma. On lui a parfois reproché d’avoir tourné des films alimentaires, mais ainsi qu’il le disait avec humour : « si j’étais capable d’autres choses pourquoi les metteurs en scène de renom, ne sont ils pas venus me chercher ? » A partir de 1964, la saga du Gendarme de Saint-Tropez le révéla au grand public et cette association avec le grand Louis de Funès de Galarza, lui permit une grande carrière de comique. C’était sans compter que son talent était multiple et que ce personnage rabelaisien et aussi pagnolesque avait plusieurs cordes à son arc, dont une pouvait vibrer sous le coup d’un archet tragique.

    Grâce à la perspicacité de Bertrand Tavernier, il interpréta, en 1976, le rôle terrible du sergent Joseph Bouvier dans Le Juge et l’Assassin, rôle pour lequel il reçut le César du meilleur acteur en 1977. C’est oublier que cette facette dramatique avait été déjà décelée en 1970 lors de son interprétation au théâtre dans Les Poissons Rouges de Jean Anouilh, au Théâtre de l’Œuvre. Dans le même registre on ne peut oublier le film, réalisé par Jean Becker en 1983, Un été meurtrier, où sa prestation dans le rôle du père d’Eliane, interprétée par Isabelle Adjani, nous révèle une nouvelle fois son sens inné de la tragédie et de la douleur. Le summum de son art de l’interprétation, incontestablement, fut son rôle de Monglat, le roi du marché noir, dans Uranus de Claude Berri, sorti en 1990. La puissance et la violence que pouvait exprimer l’acteur étaient liées à la plus profonde morbidité du personnage, tour de force exceptionnel !

    On ne passera pas sous silence l’aide qu’il porta aux jeunes artistes sans jamais en faire cas avec grande pudeur. Il reprit la salle du conservatoire Maubel, pour créer un théâtre, puis le Théâtre de 10 heures pour en faire un tremplin pour les jeunes auteurs et comédiens, et enfin fut à l’origine des Estivales de Malaucène, dans le Vaucluse.


    A 85 ans, enfin ! Le Molière du meilleur comédien lui est décerné en 2008.

    Le 4 janvier 2016, à 93 ans, le Boulanger, fils adoptif de Raimu, est mort de tristesse après le départ de sa femme et de son frère bien aimé.
    Michel Galabru était un de nos plus grands acteurs français.

    Un jour plus tard…

    Pierre Boulez rejoint son maître, Olivier Messiaen, au firmament étoilé des notes musicales.

    Tour à tour et concomitamment, il fut compositeur, chef d’orchestre, grand théoricien de la musique contemporaine, et en corollaire pédagogue.

    A la recherche d’outils technologiques et informatiques, nouveaux instruments de ses compositions et de celles des créateurs contemporains, il fonda en 1969, l’IRCAM (Institut de recherche et coordination acoustique/musique), Université et laboratoire du son, mais surtout école d’art. Son œuvre et sa personnalité furent souvent vilipendées, mais de par son obstination et sa puissance créative, il parvint à s’imposer et devenir la référence du monde musical contemporain.

    Pierre Boulez, durant un demi-siècle, malgré une œuvre prolifique a été plus un penseur et théoricien de l’art, qu’un véritable prophète. Il est vrai que son enseignement de la construction et la déconstruction de la phrase musicale, pourrait s’apparenter au Clavier bien tempéré de Johann Sébastian Bach, avec ses préludes et fugues utilisant les 12 demi-tons de la gamme chromatique. Bach terminait par cette dédicace que n’aurait pu renier Pierre Boulez : « Pour la pratique et le profit des jeunes musiciens désireux de s’instruire et pour la jouissance de ceux qui sont déjà rompus à cet art. »

    Mais Johann Sébastian Bach célébrait l’âme alors que Pierre Boulez ne s’intéressait qu’à l’alchimie cérébrale au détriment du chant.

    Toutefois, on ne pourra nier sa profonde compréhension des œuvres musicales de tout temps et pour exemple, on écoutera avec attention, son interprétation du morceau archi- connu du Boléro de Ravel. Le chef d’orchestre va au plus profond de l’inspiration avec un grand sens de l’épure, sorte de démarche janséniste sur un sujet profane.

    Pierre Boulez est mort le 5 janvier 2016 à Baden-Baden. Nous sommes en deuil d’un des plus grands artistes de nos dernières décennies, qui restera le pilier du rayonnement de la musique contemporaine française.

    L’œil de Satan est entré dans la tombe

    Bowie-600x398.jpgSouvent la ydriase révèle une souffrance cérébrale importante. Elle peut être aussi la cause d’émotions et se traduire par des phénomènes physiologiques. Elle est aussi un signe d’attirance.

    À 15 ans, lors d’une bagarre dans la cour de l’école, David Robert Jones, né le 8 janvier 1947, reçoit un coup de poing de poing d’un camarade de classe. Son œil gauche est gravement atteint et lui laisse à vie la pupille dilatée. (Phénomène de la mydriase, agrandissement du diamètre de la pupille).

    La planète le connaîtra sous le nom de David Bowie. Sophistiqué à l’extrême, il sera d’une incurable curiosité en visitant tous les types de musiques et en créant son propre style. En avant-garde de façon permanente, il a devancé tous les compositeurs de sa génération et dans tous les styles, rock, soul, funk, disco, techno avec l’aide de toute une instrumentalisation électronique dans des spectacles qui se voulaient apocalyptiques.

    A partir de 2004, David Bowie apparaît rarement mais se paye le luxe de vendre 140 millions d’albums dans le monde. Adepte du satanisme et arborant sa bisexualité avec outrance, le personnage se voulait sulfureux et parfois violent.

    Mais les clefs de cet être emblématique, icône du dandysme, adulé par les bobos qui n’ont rien compris à ce Janus, sont données dans le film Furyo, réalisé en 1983 par Nagisa Oshima. Duel infernal entre deux seigneurs, le capitaine Yonoi qui dirige, en 1942, avec cruauté un camp de prisonniers anglais, et un détenu, le major Cellier, interprété par David Bowie, lui-même. Entre eux se joue une lutte pour l’honneur, troublée par une attirance réciproque et ambigüe. Fascination et opposition de deux civilisations. On se souviendra longtemps de l’image de l’officier enterré vivant, dont seul le visage émerge de la terre, avec son expression souveraine.

    Mais David a deux yeux différents, l’un jette un regard provoquant à l’adresse d’un public complaisant, l’autre est en état d’introspection, en recherche de la paix bouddhique, la sérénité familiale et peut être aussi la grande quête de la spiritualité. Lors du concert en l’honneur de Freddy Mercury, donné au Stade Wembley en 1992 devant des dizaines de milliers de personnes, David Bowie, a achevé son spectacle en s’agenouillant avant de réciter le Notre-Père…

    Satan était un ange déchu, mais croyait en la miséricorde, il est mort le 10 janvier 2016 à New York. 

  • Livres • Il n'y a plus de mystère Louis XVII

     

    Une intéressante recension de Philippe Maxence*, notamment destinée aux passionnés du sujet. Mais peut-être pas seulement... Pour nous qui voyons la monarchie non comme une fantasmagorie mais comme un recours politique pour la France, l'affaire est classée.   LFAR

     

    220px-Philippe_Delorme.jpgDepuis de longues années, Philippe Delorme s'intéresse à la destinée tragique de Louis XVII, le dauphin emporté dans la tourmente révolutionnaire. Il publie ici une véritable somme sur le sujet, rassemblant en un seul volume ses travaux antérieurs tout en les mettant à jour afin de donner une réponse précise à rune des plus célèbres énigmes de l'histoire de France : Louis XVII est-il mort au Temple ou a-t-il survécu sous le nom de Naundorff ? Pour l'auteur, le jeune roi est bien mort de la tuberculose, le 8 juin 1795, après avoir vécu un véritable enfer en prison.

    Pour clore le débat, Delorme rapporte les conclusions des analyses ADN effectuées sur le coeur de l'enfant du Temple, non sans en avoir retracé l'étonnant parcours. L'historien montre notamment que ce coeur ne peut être confondu avec celui de son frère aîné, décédé en 1789, qui avait été embaumé.

    Dans Sang royal, Jean-Louis Bachelet (Ring, 316 p., 18 €) conclut dans le même sens : ce coeur est bien celui de l'enfant martyr.

    LOUIS XVII,  LA BIOGRAPHIE, de Philippe Delorme, Via Romana, 448 p., 24 €.

    * Figaro magazine [30.01.2016]

  • Tout ça pour ça : Mariage pour tous, deux ans après, un flop social !

     
     
    Le mariage gay n’a pas la cote chez les homosexuels. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), le nombre de mariages homosexuels a globalement décru passant de 10 522 mariages de personnes de même sexe en 2014 à 8000 en 2015. Dans le remarquable entretien qui suit, donné à Atlantico, Guillaume de Prémare tire les leçons de ce bilan chiffré. Il le fait en allant à l'essentiel. Conclusion : le mariage pour tous aura été plus qu'une nécessité, un véritable projet culturel. Encore faut-il dire lequel. Ce que fait Guillaume de Prémare. Et là, du simple point de vue du Bien Commun, politique et social, nous partageons, sur le fond, son analyse.  LFAR
     
     
    5bbc9ffaa3fdbebce007b4aa89b36a5f.jpgAtlantico : On a envie de dire tout ça pour ça ! Que pensez-vous de toute cette énergie dépensée et de tout ce capital politique utilisé pour donner satisfaction à une minorité de minorité (les homosexuels représentant seulement 1% de la population) qui au final n'utilise pas le droit de se marier avec leur conjoint du même sexe ?

    Guillaume de Prémare : L’enjeu de la loi Taubira était culturel, il s’agissait de déconstruire l’ordre anthropologique naturel et symbolique qui fonde la société sur la famille et la famille sur la différence homme-femme, le père, la mère et l’enfant. Madame Taubira a joué cartes sur table en précisant qu’il s’agissait d’un "changement de civilisation". Ce nouvel ordre symbolique et social est un symptôme fort de ce que Pierre Manent nomme "la souveraineté illimitée de l’individu". Dans la dialectique des minorités, la fonction de la loi est d’assurer la reconnaissance sociale de l’individu dans toutes ses dimensions particulières. Il faudrait ainsi un statut pour tous, alors même que tous ont déjà un statut partagé, celui de personne et de citoyen. Chacun revendique de nouveaux droits qui ne reposent sur aucune réalité commune. La logique des minorités est une marche folle vers une égalité fictive essentialisée, qui mène à la guerre de tous contre tous. Et nous voyons bien que les principes communs de vie en société se délitent : tout le monde se demande aujourd’hui comment vivre ensemble. Mais la loi Taubira est loin d’être le seul facteur. L’engrenage de ce que Jacques Généreux nomme la "dissociété" a commencé depuis longtemps. Nous avons oublié que la loi est un cadre général qui se réfère à des réalités partagées et favorise le déploiement d’un bien commun.

    En quoi le mariage gay a-t-il été le cache sexe d’un projet de société qui vise à diffuser la théorie du genre ? Quelles autres réformes sont venues confirmer ce changement de société ?

    L’idéologie issue des études sur le genre vise à imposer l’idée d’indifférenciation entre l’homme et la femme. Il y a un lien substantiel avec le mariage homosexuel : si deux hommes ou deux femmes peuvent se marier et adopter des enfants – au même titre qu’un homme et une femme -, c’est qu’il y a équivalence des situations et indifférenciation entre homme et femme. Il y a une dialectique qui vise à opposer nature et culture ; et même à nier l’existence d’une nature humaine. Cette opposition est trompeuse parce que l’homme est par nature un animal social et culturel ; et sa dimension biologique est articulée à sa dimension culturelle. La nature humaine englobe tout cela. D’autre part, l’idéologie du genre diabolise la notion de stéréotype, attribuant à ce mot une connotation par principe négative, donc à déconstruire. "Stéréotype" est un mot grec qui signifie "modèle fort". Un modèle fort n’est pas nécessairement négatif, au contraire. Le déficit éducatif actuel révèle le préjudice considérable causé par la chute des modèles forts, par exemple celui du père. Pour ma part, je soutiens qu’il y a de bons stéréotypes. Mais si le mariage gay est un "cache sexe" pour le Gender, il est, peut-être encore davantage, un cheval de Troie redoutable pour le marché des mères porteuses (la GPA). On s’appuie sur ce que l’on nomme "droit des minorités" et "égalité" pour introduire demain l’acceptabilité sociale et culturelle de l’externalisation de la grossesse. Cela ouvrirait un formidable marché de masse pour les firmes. La recherche du profit sans limites est indissociable des nouvelles mœurs de la postmodernité.

    Le gouvernement a-t-il été sous l’influence de certains lobbies LGBT qui veulent en finir avec l’hétérosexualité et faire triompher la théorie du genre ?

    D’une manière générale, la dissociété postmoderne dissout le politique dans la logique des lobbies. Cela consacre la loi du plus fort. Ultra-minoritaire, le lobby LGBT tire en grande partie sa force des firmes mondiales qui le financent et l’appuient sans relâche. Le militantisme homosexuel est en effet un instrument pour les firmes, comme je viens de l’expliquer pour la GPA. Le patron de Goldman Sachs a expliqué que le mariage gay est un "good business". Nous avons vu comment les grandes firmes US avaient imposé, via la Cour suprême, le mariage homosexuel à tous les Etats américains en juin 2015. Le lobby LGBT est en quelque sorte un jouet dans les mains du capitalisme globalisé. Les nouvelles mœurs de la dissociété sont consubstantiellement les mœurs de ce capitalisme tardif ; qui n’a plus rien à voir avec le capitalisme entrepreneurial et familial de jadis. Il n’y a aucune contradiction à ce que les révolutionnaires de 68 terminent aujourd’hui dans les bras des puissances d’argent. Et "la souveraineté illimitée de l’individu" jette l’individu – pieds et poings liés - dans les bras du Marché tout-puissant.

    En faisant des sujets sociétaux un enjeu majeur de sa politique, le gouvernement n’a-t-il pas plus servi ses propres intérêts que ceux de la communauté homosexuelle ?

    L’axe Valls-Macron est, sur de nombreux points, interchangeable avec Juppé, Lemaire ou Sarkozy. Le gouvernement s’accroche donc à ce qu’il juge être des marqueurs de gauche, dits sociétaux. Mais cela n’a de gauche que le nom. D’une part parce que cela fait l’affaire des puissances financières, d’autre part parce que le "sociétal" n’a aucun ancrage dans les classes populaires. Quant au PCF et Mélenchon, c’est en partie parce qu’ils ont rallié les nouvelles mœurs qu’ils n’ont quasiment plus d’électorat ouvrier. Le PCF de Duclos et Marchais aurait probablement combattu le mariage homosexuel et dénoncé "les mœurs décadentes du capitalisme".

    S’il reconnait le mal de la loi Taubira, Nicolas Sarkozy n’aurait pas l’intention finalement d’abroger la loi sur le mariage pour tous s’il revenait à l’Elysée. Le revirement de Nicolas Sarkozy sur la question du mariage homosexuel ne risque-t-il pas de se mettre à dos la partie conservatrice de l’électorat de droite ? Autrement dit, y-a-t-il un pouvoir de nuisance de la MPT sur la droite et sur Sarkozy ?

    Oui, La Manif Pour Tous a un pouvoir de nuisance sur les candidats de droite qui ne s’engagent pas pour la famille. Nous l’avons encore constaté aux dernières élections régionales. LMPT fait donc un bon travail. Cependant, Sarkozy ne s’est jamais prononcé sérieusement sur la loi Taubira ni engagé fermement à l’abroger. Pour moi, il n’y a ni surprise ni revirement mais parfaite continuité du personnage. Lors du meeting Sens Commun en 2014, il a acheté "pas cher" - comme il dit – des soutiens et des adhésions UMP, il a fait son marché parmi d’ex-LMPT. Il y a eu mépris de sa part et méprise de la part de ceux qui ont bien voulu y croire. D’une manière générale, je crois que les personnes de tradition socio-politique conservatrice vont comprendre progressivement que la droite qu’ils veulent – libérale au plan économique et conservatrice au plan familial – n’existe pas ou n’existe plus. La défense de la famille ne peut donner de résultat dans un cadre libéral, pour les raisons que j’ai évoquées plus haut. Elle doit s’inscrire dans le cadre d’un combat social et culturel plus large. C’est en rejoignant les préoccupations sociales d’un peuple rudoyé par ce que Laurent Bouvet appelle "l’insécurité culturelle" et par la machinerie économique globale que les défenseurs de la famille trouveront cette surface de contact avec la sociologie des profondeurs du peuple qui leur manque aujourd’hui. Faire ami-ami avec la droite est une illusion. 

    Guillaume de Prémare est délégué général d'Ichtus, et ancien président de La manif pour tous. Twitter @g2premare 

     
  • Religions & Cultures • Adonis apostrophe l'Islam

     

    Par Péroncel-Hugoz

    En lisant l'essai ultra-percutant du plus fameux poète arabophone vivant, paru à Paris fin 2015, Péroncel-Hugoz a hésité entre « coup de dent » et « coup de chapeau » …

     

    peroncel-hugoz 2.jpgÉtabli en France de longue date, le Syrien Ali-Ahmed Saïd-Esber, alias Adonis, patriarche des lettres arabes (il est né en 1930), observait depuis quelque temps un silence accablé devant les malheurs de son Levant originel, auquel il doit le pseudonyme d'Adonis, symbole de Nature et Beauté dans le monde païen d'avant l'Islam. 

    Or voilà que cette auguste plume arabe vient de publier, en France, en français, un provocant livre de dialogues avec la psychanalyste maghrébine Houria Abdelouahed, maître de conférences à l'Université Paris-Diderot et auteur de « Figures du féminin en Islam » (PUF, Paris, 2012). Et ces entretiens, novateurs mais d'une rare brutalité, et toujours très crus, jettent le lecteur entre admiration pour l'époustouflante énergie du vieux poète et indignation ou stupéfaction devant ce qui, en définitive, est surtout une démolition en règle de l'Islam d'hier et d'aujourd'hui. 

    Certains lecteurs se sont demandés si n'avait pas joué, dans les motivations de l'auteur, son appartenance native au noçaïrisme ou alaouitisme, filière religieuse issue du chiisme, à laquelle appartient également le clan Assad au pouvoir à Damas depuis le putsch de 1970. Cependant, Lalla Houria, qui joue un rôle très actif au fil des 200 pages de ce volume est, elle, née sunnite et a été éduquée au Maroc. 

    Finalement, j'ai opéré un choix, forcément arbitraire, des citations d'Adonis qui m'ont paru les plus significatives de cet ouvrage, laissant le lecteur, surtout s'il est musulman, juger par lui même. 

    *

    ARABES

    - « Il n'y a pas aujourd'hui de culture arabe »

    - « Il n'existe pas de problématiques arabes parce que l'Islam a dominé la vision du monde arabe»

     

    CHIISME

    - « Lorsque j'ai écrit « Le fixe et le mouvant » [en arabe, Beyrouth, 1973], les universitaires m'ont accusé d'être un chiite déformant l'Histoire. Ils se sont attaqués à mon lieu de naissance [Cassabine, près de Lattaquié, en pays chiite-alaouite] (…) Depuis 15 siècles, la guerre arabo-arabe n'a pas cessé »

     

    DAECH

    - « Daech répète seulement le côté obscur de l'Histoire »

    - « Daech ne répète pas Averroés, Ibn-Arabi ni l'audace spéculative des moutazilites [qui disaient que le Coran est créé et non pas incréé] »

    - « Je vois en Daech la fin de l'Islam »

     

    DEMOCRATIE

    - « La démocratie vient de la sphère occidentale. La liberté n'existe pas dans le Texte [coranique], ni dans le contexte islamique »

     

    FEMMES

    - « Les Fémens ? Je ne suis pas contre ! »

    - « Le premier ennemi de la femme ce n'est pas l'homme. C'est la religion. »

    - « Les Algériennes ont été victimes de la mentalité archaïque qui continue à régner »

    - « L’État wahabite a détruit la maison de Fatima, fille de Mahomet, en 2006, à La Mecque, comme vestige de la rébellion féminine »

    - La femme est réduite à un champ de labour pour l'homme »

     

    HOMMES

    - « L'homme de l'Islam est un libertin »

    - « L'Islam a déformé la sexualité »

    - « L'homme tunisien préfère épouser une Algérienne ou une autre Arabe, car la Tunisienne est trop exigeante [suite aux lois féministes de Bourguiba] »

     

    ISLAM

    - « La culture arabe est une décadence si on considère ce qui lui était antérieur »

    - « L'Islam, puisqu'il est né parfait, combat tout ce qui lui était antérieur et tout ce qui est venu après »

    - « L'Islam, dès le début, a adopté les violences des guerres et conquêtes »

    - « L'Islam a tué la poésie »

    - « Les grands poètes comme Abou-Nouwas, El Moutanabi et El Maâri étaient contre la religion officielle »

    - « La mystique a toujours été marginalisée au sein de la culture musulmane »

     

    OCCIDENT

    - « L'Occident a œuvré pour empêcher l'éclosion d'une véritable gauche arabe »

    - « L'Occident politique soutient les fondamentalistes »

    - « L'Occident traite les Arabes comme des poupées ou des marionnettes »

    - « L'Occident ne cherche plus la culture, la lumière, l'avenir, le progrès. Il cherche l'argent »

    - « L'Islam est dans son essence anti-Occident »

     

    PRINTEMPS ARABE de 2011

    - « Ce n'est pas une révolution mais une guerre, devenue elle-même une autre tyrannie. Une guerre confessionnelle, tribale et non civique, musulmane et non arabe »

    - « Le recours à la religion a transformé ce Printemps en enfer. C'est une régression totale » 

     

    EN GUISE DE CONCLUSION…

    La psychanalyste Houria Abdelouahed, partenaire d'Adonis pour construire l'essai « Violence et Islam », cite une réflexion peu connue du penseur français gaulliste André Malraux, qui fut ministre des Affaires culturelles au début de la Ve République : « C'est le grand phénomène de notre époque que la violence de la poussée islamique. Sous-estimée par la plupart de nos contemporains. Aujourd'hui, le monde occidental ne semble guère préparé à affronter le problème de l'Islam » (3 juin 1956). 

    Bibliographie

    - Adonis. « Violence et Islam », entretiens avec Houria Abdelouahed, Seuil, Paris, 2015

    - Adonis. « El Kitab », œuvres poétiques en français, Seuil, 3 volumes

    - Haouès Seniguer. « Petit précis d'islamisme : hommes, textes, idées », l'Harmattan, Paris, 2013

    Peroncel-Hugoz

    Repris du journal en ligne marocain le 360 du 15.01.2016

  • Livres • Considérations sur la France : Relire Joseph de Maistre

     

    par Lars Klawonn

     

    En ce temps d’attaques terroristes, d’état d’urgence et de déclarations de guerre, on est bien avisé, ce me semble, de relire Considérations sur la France du comte J. de Maistre. Écrit en 1796 à Lausanne, où, chassé de chez lui par l’entrée des troupes révolutionnaires, ce Savoisien s’est établi, son essai se veut la défense de la monarchie. Il est la réaction directe au pamphlet qu’un certain Benjamin Constant avait publié en mai 1796, et qui soutient le Directoire. Ce fut une époque instable et pleine de tensions, un moment de crise et de guerre civile mille fois plus violente et plus brutale que celle que vit la France aujourd’hui. Néanmoins, en lisant de Maistre, on est tout le temps amené à faire des parallèles. Au fil des pages, on se rend compte que les causes de ce dont souffre la France sont bien antérieures aux attentats. En fait, elles remontent à la France révolutionnaire que de Maistre dénonce dans son essai. La révolution a « violé brusquement et durement toutes les propriétés, tous les préjugés et toutes les coutumes ; parce que toute tyrannie plébéienne étant, de sa nature, fougueuse, insultante, impitoyable, celle qui a opéré la révolution française, a dû pousser ce caractère à l’excès, l’univers n’ayant jamais vu de tyrannie plus basse et plus absolue. »

    La République ne se réfère-t-elle pas constamment aux fameuses valeurs révolutionnaires tachées de sang, et imposées par la force ? Et ne tient-elle pas ses valeurs pour absolues et irréfutables ?


    De Maistre croit à la Providence. Il considère que le pouvoir révolutionnaire est « tout à la fois un châtiment épouvantable pour les Français et le seul moyen de sauver la France. » Loin de la philosophie moderne qui dit que « tout est bien », l’écrivain pense que l’univers est fondé sur la violence mais qu’il ne faut pas perdre courage car « il n’y a point de châtiment qui ne purifie. » Dans son esprit, la politique (le trône) et la religion (l’autel) se fondent ensemble car il faut organiser la société d’après le pouvoir toujours limité de l’homme, c’est-à-dire d’après ce qui est en son pouvoir, et séparé de ce qui n’appartient qu’à Dieu. La nation est donc gouvernée par l’homme dans les domaines qui lui appartiennent et par Dieu dans les domaines spirituels.

    Le gouvernement français actuel se dit prêt à combattre le terrorisme par tous les moyens tout en reniant les racines et le passé de la France. Sous prétexte de laïcité et de liberté d’expression, c’est le grand Nihil qu’on favorise, l’apostasie matérialiste et athée. Le grand Nihil consacre le pouvoir illimité de l’homme, un pouvoir que tout roi de l’ancien régime aurait refusé parce que nul ne concevait gouverner sans l’aide de Dieu.

    Au lieu de faire la guerre, comme elle le prétend, la République, soutenue par l’UE, continue de faire la révolution, en d’autres termes, de supprimer les frontières, d’abaisser des mœurs, de pervertir le sens de la justice et de détruire les familles chrétiennes. Elle continue d’accréditer l’idée d’un islam tolérant et d’un christianisme coupable, ressassée à l’infini par d’éminents spécialistes diplômés, porte-paroles de la cause musulmane en dépit des faits. Alors que son gouvernement devrait faire non pas la révolution, ni la contre-révolution mais le contraire de la révolution : rétablir l’ordre. C’est-à-dire contrôler les frontières, rétablir l’État de droit dans les banlieues et désarmer l’armée djihadiste de l’État islamique.

    Les terroristes musulmans sont des révolutionnaires. Ce ne sont pas des mercenaires, mais des soldats du Coran. Ils emploient la violence sans aucun état d’âme pour imposer l’islam contre le monde capitaliste, corrompu et pourri à leurs yeux. Ce ne sont pas des nihilistes, bien au contraire. Ils croient à leur dieu. Ils prient Allah avant de se battre et sont prêts à lui sacrifier leur vie. Comment les combattre si on refuse obstinément l’aide de Dieu ? Si on se complaît dans le plaisir de profaner ? Si on réduit le blasphème à une simple convention ? Je vous le demande.

    S’il est vrai, comme le pensait J. de Maistre, que la révolution française comportait un caractère satanique et terroriste, il sera peut-être utile de méditer cette phrase que l’on trouve dans les Considérations : « Ce n’est pas par le chemin du néant que vous arriverez à la création. » 

    Journaliste culturel, collaborateur au journal La Nation (Lausanne), à la revue Choisir (Genève) et à la Nouvelle Revue Universelle

  • Histoire • Dans Causeur : 21 janvier, hommage à Louis XVI

     

    L'article qui suit - signé de Lucie Vilatte - est paru dans Causeur, le 21 janvier.  Il s'agit, selon son titre, que ne dément pas la suite, d'un hommage à Louis XVI. Il a été publié plusieurs hommages à Louis XVI dans d'autres médias en ligne. Par exemple dans Boulevard Voltaire. Nous avons retenu celui-ci parce qu'il émane d'une conscience républicaine. Républicaine au moins en ses enfances. Et, aujourd'hui, plutôt sceptique, on le verra. On pourra débattre de différents aspects de cet hommage bienvenu. N'en retenons qu'un : l'idée selon laquelle Louis XVI serait mort pour rien. Idée que contredit la juste analyse qui précède : au chapitre des conséquences de l'assassinat du roi, le solde, en effet, entre positif (?) et négatif, n'est pas à somme nulle. Lucie Vilatte dresse fort bien, elle-même, la liste des terribles conséquences qu'il est résulté de cette mort singulière, pour la France, l'Europe et le monde. Ce n'est pas pour rien que Louis XVI est mort mais pour une suite de  malheurs dont nous n'avons pas fini de faire l'inventaire et dont nous subissons encore les conséquences négatives.  Lafautearousseau   

     

    L’idée d’une lignée familiale régnant sur un pays a longtemps heurté ma conscience républicaine, dûment  formatée pendant mes douze années de présence sur les bancs de l’école du même nom.

    Instituteurs, puis professeurs, noblement investis de leur mission, mettant le paquet pour nous faire admettre le bien-fondé de la décapitation d’un roi exécuté pour le simple fait d’être roi. Cela avait permis d’en finir avec ce système injuste et absurde qui donnait le pouvoir à une famille régnante, et aux deux castes les moins nombreuses et les plus riches : noblesse et clergé, laissant de côté les représentants du Tiers-Etat, c’est à dire nos ancêtres directs.

    Aucun d’entre nous n’ayant a priori de représentant du clergé dans son ascendance, ni de particule à revendiquer dans son patronyme (les autres faisant profil bas), il était évident que le Tiers-Etat c’était nous, que c’était pour notre Bien et notre Liberté que ce gros benêt de Louis XVI avait été raccourci et que le pouvoir était enfin donné au peuple de France. De toutes façons ce n’était pas un roi qu’on avait tué mais un symbole. Voilà à peu près comment le Peuple en question s’est approprié la Révolution française.

    Mes valeureux professeurs, encore tout imprégnés du formatage qu’ils avaient eux même subi, ne s’arrêtaient pas plus que nécessaire sur les prisons pleines à craquer, les charrettes quotidiennes vers les actuelles places de la Concorde, de l’Hôtel de Ville ou de la Nation, les milliers de cadavres charriés sur la Loire à Nantes, la répression à Lyon, en Provence et ailleurs. Ni, surtout, sur ce qu’il faut bien appeler le génocide vendéen.

    Robespierre était l’Incorruptible, Mirabeau n’était pas beau et le calendrier de Fabre d’Eglantine était si poétique. Tant pis si ces révolutionnaires s’étaient finalement auto-détruits. Tant pis si tout ce sang versé avait eu pour résultat de laisser la place à un individu assoiffé de pouvoir qui, tout en reconstituant une cour et une aristocratie à l’identique avec son propre entourage, avait mis l’Europe à feu et à sang, terrorisant à ce point les monarchies voisines qu’il finit, pour se donner une légitimité européenne, par épouser la fille de l’empereur d’Autriche, accessoirement petite nièce de la Reine décapitée quelque dix-sept ans auparavant.

    La Révolution restait belle, idéale, rêve de tout le XIXème siècle, inspirant quelques soubresauts ici et là et finissant, un peu grâce aux Prussiens, par dégager le dernier tyran qui, comme son oncle, s’était servi d’un accès de fièvre républicaine (la seconde) pour se coiffer d’une couronne impériale.

    Nous étions donc enfin en République, troisième du nom. « On est en république tout de même ! » signifiant dès lors dans le langage populaire le droit de faire ce que l’on voulait. Non mais ! L’idéalisation de la Révolution allait pouvoir commencer, le mythe fondateur s’installer, balayant, sous le tapis des cimetières et du bagne, ses héritiers directs que furent les Communards.

    Malgré quelques voix discordantes, il devint courant pour les hommes politiques de se référer à la Révolution pour légitimer leur engagement républicain, en bons représentants du « Camp du Bien » face aux quelques survivances monarchistes des débuts de cette Troisième République. Le 14 juillet devint fête nationale. L’Exposition Universelle de 1889 célébra brillamment le centenaire de la Révolution, il nous en reste un des plus beaux monuments du pays, la Tour Eiffel.

    Aujourd’hui, 1789 a pris du plomb dans l’aile, il est difficile de se référer à cette époque sanguinaire dans une société qui a voulu gommer toute idée de violence. Seul un Mélenchon ose évoquer son admiration pour Robespierre, ou peut-être seulement pour son incorruptibilité ?

    Par contre, les références à la République, aux « valeurs républicaines » sont quasi quotidiennes depuis quelques années. D’ailleurs, il faudrait que l’on m’explique en quoi les valeurs en question sont spécifiquement républicaines, je n’y vois personnellement qu’un héritage du Christianisme et des Lumières.  Elles n’ont rien d’universel, elles sont notre identité.

    Le XVIIIème, siècle des Lumières portait en lui tous les germes de l’émancipation humaine, on aurait pu en tirer le meilleur. La violence de la Révolution est venue détruire et dénaturer tout cela. N’aurait-il pas mieux valu pour le peuple, un monarque éclairé et paisible plutôt que des ennemis de la liberté se réclamant de la liberté, puis un arriviste obsédé de pouvoir qui mirent l’Europe à feu et à sang ?

    Qui peut dire que notre pays n’a pas payé tout cela au prix fort  au cours des deux siècles suivants ? Et ne le paye pas encore ? Le Royaume-Uni a t-il du retard sur la France avec sa royauté ? Le Danemark, la Suède, la Norvège, la Belgique, les Pays-Bas ?Pouvons-nous nous poser la question sans passer pour des antirépublicains prêts à en découdre avec la « Gueuse » ?

    Louis XVI est mort pour que noblesse et clergé laissent le pouvoir au Peuple et que règne l’Egalité. Ce rêve a vécu. Aujourd’hui, nous avons presque à l’identique une noblesse d’Etat, sortie de l’ENA ou constituée de politiciens professionnels, la morgue de certains n’ayant rien à envier à l’Ancien Régime. Nous avons un clergé médiatique constitué d’animateurs ou d’artistes engagés nous assénant leur idéologie à la moindre occasion, et de journalistes, privilégiés fiscaux, chargés de nous apporter la Vérité à la grand-messe du 20 heures. Tout ce beau monde se chargeant de nous inculquer les Évangiles du politiquement correct.

    Ses membres exercent un pouvoir sans contre pouvoir, étant de plus en plus déconnectés de la réalité quotidienne de la « France d’en bas » expression douteuse, justifiant en elle même l’existence de l’Elite dominant le Peuple. Quant aux milliardaires, de plus en plus milliardaires, est il besoin d’évoquer leur influence sur la vie publique ou politique ?

    L’Histoire est écrite par les vainqueurs. Au fil du temps, la figure de Louis XVI est pourtant apparue sous un autre jour. L’idéologie républicaine en avait fait un balourd inapte à gouverner, ultime représentant d’une lignée d’oppresseurs. De tyran il est devenu victime. Les gens qui l’ont condamné, ont touché quelques mois plus tard le fond de l’ignominie, en osant accuser sa femme de relations incestueuses avec le petit Dauphin. Cela seul suffit à les discréditer, mais on ne nous racontait pas cela à l’école !

    La réalité du personnage (à part sous le bref épisode de la Restauration) aura mis deux siècles à nous parvenir, je veux dire à nous, grand public non spécialiste.

    Le roi horloger (une de ses passions) s’intéressait à son époque et aux progrès de la Science. La cartographie, la chimie, et même les débuts de l’électricité n’avaient pas de secret pour lui. Il avait été éduqué dans cet esprit des Lumières qui voulait le bien des peuples et la fin de l’obscurantisme. C’était un esprit ouvert et cultivé, des textes d’époque en attestent.

    En 1774, il s’était fait inoculer ainsi que toute sa famille le vaccin de la variole, pour donner l’exemple. Il fut sans doute le premier roi fidèle à sa femme. Il vécut comme un bon père de famille bourgeois, effondré de douleur à la mort de son fils aîné, en juin 1789 année décidément bien néfaste pour lui.

    On dit que le jour de son exécution il a demandé si l’on n’avait toujours pas de nouvelles de La Pérouse l’explorateur perdu avec navire et équipage depuis plusieurs années.

    C’était un homme de son temps, le malheur l’avait fait naître roi. Il n’avait pas eu le choix. Mais il choisit de ne pas faire tirer sur la foule pour se protéger. Ses dernières paroles furent « Je prie Dieu pour que le sang que vous allez répandre ne retombe pas sur la France » Si vous passez par la Concorde un 21 janvier, ayez une pensée pour le Roi. Il est mort pour rien. Et il n’est pas le seul.

    *Image : wikicommons/ Raymond Ellis.

    Lucie Vilatte

  • Littérature & Histoire • « Les Dieux ont soif » : une analyse clinique de la démence révolutionnaire

     

    [Lafautearousseau - Actualisé le 17.01.2016]

     

    "Les Dieux ont soif" est un roman d'Anatole France, publié en feuilleton dans la Revue de Paris du 15 octobre 1911 au 15 janvier 1912, puis en volume chez Calmann-Lévy à la mi juin 1912. 

    "La société devient enfer dès qu'on veut en faire un paradis." Cette pensée si juste de Gustave Thibon accompagne le lecteur tout au long de cette impeccable dissection de la démence révolutionnaire, qui renvoie à cette autre phrase, monstrueuse celle-là, prononcée par Staline, et qui "légitime" (!) tous les génocides : "Le problème, c'est les hommes; pas d'hommes, pas de problème !..." 

    De même que le personnage central du roman, le peintre raté Evariste Gamelin, fait irrésistiblement penser à la morale de la Fable d'Anouilh, "Le loup et la vipère" : "Petits garçons heureux, Hitler ou Robespierre, Combien de pauvres hères Qui seraient morts chez eux ?"...

    En voici quelques morceaux choisis, quelques "bonnes feuilles" dont la lecture sera intéressante à quelques jours de la commémoration de l'exécution de Louis XVI.

     

    TERREUR.jpg1. Chapitre 1, page 1 : la vraie devise de la République idéologique française

    "...Sur la façade...les emblèmes religieux avaient été martelés et l'on avait inscrit en lettres noires au-dessus de la porte la devise républicaine :

    Liberté, Egalité, Fraternité ou la Mort"... 

    nouveau couilllard.jpg

    2. Chapitre 9, page 122

    "Evariste Gamelin devait entrer en fonctions le 14 septembre, lors de la réorganisation du Tribunal, divisé désormais en quatre sections, avec quinze jurés pour chacune. Les prisons regorgeaient : l'accusateur public travaillait dix-huit heures par jour. Aux défaites des armées, aux révoltes des provinces, aux conspirations, aux complots, aux trahisons, la Convention opposait la Terreur. Les Dieux avaient soif..."

     nouveau couilllard.jpg

    terreur guillotine.jpg3. Chapitre 13, page 204 : prière à Sainte Guillotine, comme les chrétiens priaient Sainte-Geneviève

    "...il voyait partout des conspirateurs et des traîtres.

    Et il songeait :

    "...République ! contre tant d'ennemis, secrets ou déclarés, tu n'as qu'un secours. Sainte Guillotine, sauve la patrie !..." 

     nouveau couilllard.jpg

     4. Chapitre 15, pages 224/225/226 : pour Marie-Antoinette, c'est l'hallali...

    "Il fallait vider les prisons qui regorgeaient; il fallait juger, juger sans repos ni trêve. Assis contre les murailles tapissées de faisceaux et de bonnets rouges, comme leurs pareils sur les fleurs de lys, les juges gardaient la gravité, la tranquillité terrible de leurs prédécesseurs royaux. L'accusateur public et ses substituts, épuisés de fatigue, brûlés d'insomnie et d'eau-de-vie, ne secouaient leur accablement que par un violent effort; et leur mauvaise santé les rendait tragiques. Les jurés, divers d'origine et de caractère, les uns instruits, les autres ignares, lâches ou généreux, doux ou violents, hypocrites ou sincères, mais qui tous, dans le danger de la patrie et de la République, sentaient ou feignaient de sentir les mêmes angoisses, des brûler des mêmes flammes, tous atroces de vertu ou de peur, ne formaient qu'un seul être, une seule tête sourde, terreur tribunal.jpgirritée, une seule âme, une bête mystique, qui par l'exercice naturel de ses fonctions, produisait abondamment la mort. Bienveillants ou cruels par sensibilité, secoués soudain par un brusque mouvement de pitié, ils acquittaient avec des larmes un accusé qu'ils eussent, une heure auparavant, condamné avec des sarcasmes. A mesure qu'ils avançaient dans leur tâche, ils suivaient plus impétueusement les impulsions de leur coeur.

    Ils jugeaient dans la fièvre et dans la somnolence que leur donnait l'excès de travail, sous les excitations du dehors et les ordres du souverain, sous les menaces des sans-culottes et des tricoteuses pressés dans les tribunes et dans l'enceinte publique, d'après des témoignages forcenés, sur des réquisitoires frénétiques, dans un air empesté, qui appesantissait les cerveaux, faisait bourdonner les oreilles et battre les tempes et mettait un voile de sang sur les yeux. Des bruits vagues couraient dans le public sur des jurés corrompus par l'or des accusés. Mais à ces rumeurs le jury tout entier répondait par des protestations indignées et des condamnations impitoyables. Enfin, c'étaient des hommes, ni pires ni meilleurs que les autres. L'innocence, le plus souvent, est un bonheur et non pas une vertu : quiconque eût accepté de se mettre à leur place eût agi comme eux et accompli d'une âme médiocre ces tâches épouvantables.

    marie antoinette proces.jpg

    Antoinette, tant attendue, vint enfin s'asseoir en robe noire dans le fauteuil fatal, au milieu d'un tel concert de haine que seule la certitude de l'issue qu'aurait le jugement en fit respecter les formes. Aux questions mortelles, l'accusée répondit tantôt avec l'instinct de la conservation, tantôt avec sa hauteur accoutumée,, et, une fois, grâce à l'infamie d'un de ses accusateurs, avec la majesté d'une mère. L'outrage et la calomnie seuls étaient permis aux témoins; la défense fut glacée d'effroi. Le tribunal, se contraignant à juger dans les règles, attendait que tout cela fût fini pour jeter la tête de l'Autrichienne à l'Europe..."
        nouveau couilllard.jpg

     

    Lire la suite

  • Culture • Le lexique franco-« jeunes » (sic) enfin disponible dans les écoles les plus proches

     

    Une excellente et instructive chronique de Gabriel Robin*

     

    Gabriel Robin.jpegAh, le langage des « jeunes » ! Une barrière à la compréhension intergénérationnelle souvent infranchissable. Récemment, les dictionnaires Petit Robert et Larousse se sont renouvelés en incluant des anglicismes stupides et des mots d’argot comme « bolos ». Ils restent néanmoins en retard par rapport à l’évolution constante de l’argot des « jeunes ».

    L’Express révélait hier, dans sa rubrique « Insolite », l’existence d’un lexique franco-« jeunes » officieux à l’usage des professeurs d’un établissement scolaire parisien. C’est une utilisatrice du réseau social Twitter qui en a révélé l’existence. Le document, intitulé « Lexique top secret pour M. Dufduf », était affiché dans la salle destinée aux réunions privées des professeurs. Dans ce lexique, plusieurs mots argotiques, ou étrangers, trouvent une traduction en français courant (déduction faite des nombreuses fautes d’orthographe).

    Parmi les mots mentionnés, de nombreux mots étrangers : sheitan (diable), miskine (le pauvre), bismila (au nom de dieu), nardinomouk (insulte pour une mère), starfoullah (pardon dieu), psartek (respect). D’autres mots renvoient au vocabulaire du rap, des fameux quartiers dits « populaires » : zoulette (péripatéticienne), balek (s’en foutre royalement), zonz (prison), biff (argent), rodave (être pris en flagrant délit), crew (groupe, block, bâtiment de la cité). Pour le journaliste de la rubrique « Insolite de L’Express, cette liste de définitions permettrait d’« enrichir le vocabulaire des adultes » et représenterait le langage des « jeunes ». Mais de quels « jeunes » parlons-nous ? La jeunesse de France dans son ensemble aurait donc fait de l’arabe vulgaire sa première langue et d’un sabir islamo-racaille mondialisé son langage de tous les jours ?

    Cette information témoigne de la profonde décadence dans laquelle est plongée la France. La déculturation du pays est une réalité observable. Première victime ? La langue française qui est dénaturée, trahie, violée et méthodiquement remplacée par un jargon débilitant. Le niveau d’enseignement donné à l’école baisse considérablement, ainsi que la compétence générale d’une partie de moins en moins négligeable du corps enseignant.

    À la source de nos maux : une classe politique folle qui a laissé venir une immigration de masse sans se soucier des conséquences : l’abandon progressif de l’exigence à l’école, le relativisme culturel. L’école, conformément aux souhaits des idéologues qui nous gouvernent, s’est adaptée aux nouvelles catégories de la population présentes sur notre territoire, alors qu’elle aurait dû demander à ces nouvelles catégories de s’adapter à elle. Elle est devenue bêtement « multiculturelle » avant que d’être totalement déculturée car déracinée. Face à l’immigration de masse, nos dirigeants ont toujours répondu qu’elle était une « chance ». Ils n’ont jamais prévenu les Français que cette immigration de masse pourrait poser des « difficultés » et qu’elle nécessitait des aménagements, des sacrifices auxquels la population n’aurait pas forcément consenti si elle avait été informée.

    « Dès qu’elle est proférée, la langue entre au service d’un pouvoir », disait Roland Barthes. En l’espèce, ce pouvoir prospère sur la disparition de notre civilisation et entend la remplacer par un néant. C’est un pouvoir injuste en lutte contre tout ce qui est beau et élève l’esprit. 

    * Boulevard Voltaire

    Juriste
  • Livres • L’or du rien

        Tadashi Kawamata   

     

    L'imposture que constitue ce que l'on appelle avec complaisance l'art contemporain est aujourd'hui assez communément dénoncé. C'est ce que fait ici avec pertinence Laurent Dandrieu en commentaire d'un livre d’Aude de Kerros qui démontre comment le dit art contemporain est devenu une bulle spéculative. De l’art de faire des fortunes avec du vent.

     

    laurent%20dandrieu%203.jpgLes chiffres donnent le tournis : 58,4 millions de dollars pour un chien gonflable de Jeff Koons (Balloon Dog), 100 millions de dollars pour une tête de mort (certes incrustée de diamants) de Damien Hirst (For the Love of God), 70,5 millions de dollars acquittés le 11 novembre dernier, chez Sotheby’s à New York, pour des gribouillages sur tableau noir signés de Cy Twombly (Untitled). Selon le site Artprice, le chiffre d’affaires annuel du marché de l’art contemporain serait aujourd’hui de 1,7 milliard d’euros, soit une augmentation de 1 800 % en quinze ans !

    Dans l’essai qu’elle consacre au phénomène, Aude de Kerros montre qu’aujourd’hui, l’art contemporain (qu’elle désigne par l’acronyme AC, pour bien souligner que ce courant ultra-dominant ne saurait prétendre à représenter la totalité de l’art d’aujourd’hui) est essentiellement devenu un art financier, une bulle spéculative pour grandes fortunes avides de placements hautement rentables et quasiment sans risques. Si le titre de son livre, l’Imposture de l’art contemporain, pourrait laisser croire à une énième dénonciation du vide de ce nouvel art officiel, l’approche en est plus novatrice : démonter les processus par lesquels, d’avant-garde esthétique, il s’est mué en puissance économique dominatrice et monopolistique.

    Sous ses dehors d’art contestataire, censé poser sur le réel un regard déconstructeur en ne cessant de le “questionner” — sans jamais donner la moindre réponse, ce qui permet de continuer à poser indéfiniment les mêmes questions —, l’art contemporain est devenu une valeur refuge, d’autant plus commode qu’elle est incontrôlable : « C’est un produit qui échappe à bien des réglementations, aux taux de change, aux problèmes de douane, grâce aux zones franches. Il offre des possibilités à l’évasion fiscale et au blanchiment d’argent. […] Les délits d’initiés, les trusts et les ententes ne sont pas réprimés sur le marché de l’AC. » Indépendant par essence de la critique, puisque seul le regard de l’artiste est apte à décider ce qui est de l’art, l’AC s’est, depuis quelques années, émancipé de la tutelle des institutions (musées, pouvoirs publics) pour ne plus dépendre que du marché. Un marché qui est tout sauf transparent, puisque collectionneurs, galeristes, experts et grandes maisons de ventes aux enchères travaillent main dans la main, avec la bénédiction complice des grands musées instrumentalisés par le secteur privé, pour déterminer les cotes des artistes d’une manière on ne peut plus artificielle — mais très avantageuse pour toutes les parties concernées. Irrespectueux par essence, l’art contemporain s’est d’ailleurs toujours montré très déférent vis-à-vis de la puissance de l’argent : « On peut se foutre de la gueule de l’art, mais pas de la gueule du marché », déclare ainsi Damien Hirst, qui parle d’or.

    Devenu marginal sur le marché de l’art, où il ne pèse guère ni artistiquement ni financièrement, Paris s’est vu attribuer un autre rôle : celui d’une place de prestige, assignée à la légitimation de l’AC. Versailles, le Louvre, l’hôtel de la Monnaie, en ouvrant leurs portes à Koons, Murakami ou McCarthy, leur confèrent par capillarité la dignité de la haute culture, une sorte de label de qualité symbolique incritiquable.

    Bien rodé, le système peut-il perdurer indéfiniment ? Depuis quelques années, le réveil de la pensée critique sur le sujet laisse deviner que le roi est de plus en plus nu. Quant à cette « titrisation du néant » que dénonce Jean Clair, cette manière de conférer des prix délirants à des objets qui artistiquement n’existent pas, elle semble condamnée à se dégonfler aussi sûrement que ces produits financiers dérivés qui ne reposaient sur rien de tangible et qui ont abouti à la crise des subprimes. À défaut de rester dans l’histoire de l’art autrement que comme symptôme de dégénérescence, peut-être Jeff Koons restera-t-il comme un prophète, pour avoir donné à ses oeuvres phares l’opportune apparence de baudruches. 

    Aude_de_Kerros.jpgL’Imposture de l’art contemporain, une utopie financière, d’Aude de Kerros, Eyrolles, 256 pages, 25 €.

    Laurent Dandrieu  [Valeurs actuelles]

  • Livres • Crime imaginaire et victimes réelles

     

    Entre blasphème, soldats d'Allah, charia et menace des kalachnikovs, une excellente chronique d'Éric Zemmour pour FigaroVox.

     

    Un an après Charlie, seule une plongée dans le passé du blasphème nous éclaire. Une histoire passionnante où religion et politique sont étroitement mêlées. Hier comme aujourd'hui.

    Le mot avait disparu du langage courant. Il évoquait des temps immémoriaux et obscurs, où le Moyen Âge et le chevalier de La Barre se mêlaient dans une grande confusion historique. Le blasphème nous semblait aussi désuet que la marine à voile mais sans susciter la même nostalgie pour la splendeur des équipages. Il y a un an, l'exécution de dessinateurs blasphémateurs au cri d'Allah akbar nous a ramenés dans un passé que l'on croyait révolu. Aussi efficace qu'une machine à remonter le temps, la kalachnikov des frères Kouachi ressuscitait un univers des «péchés de bouche» et des «serments outrageux» que Voltaire et la République des Jules avaient cru enterrer dans le linceul des «crimes imaginaires». Alors, pour mieux comprendre et combattre ce qui nous tombait dessus, autant plonger dans ce passé qui était fort bien passé. C'est ce que nous propose Jacques de Saint Victor, historien du droit bien connu des lecteurs du supplément littéraire du Figaro. Une plongée passionnante et instructive qui nous ramène aux sources juives du Dieu monothéiste, exclusif et jaloux, et de ces développements complexes en terre chrétienne.

    Notre auteur nous surprend en nous apprenant que, contrairement aux idées reçues, ce n'est pas tant l'Église qui réprima le blasphème que les rois ; le pape tempérait même les ardeurs répressives des rois: «C'est plutôt la politique que la religion qui a rendu la religion intolérante.» Les guerres de religion allaient donner une nouvelle vigueur à cette question, dans un temps où les protestants usaient du blasphème pour scandaliser les catholiques et où le protestantisme fut assimilé au blasphème par les catholiques. Pour sortir des guerres de religion, les politiques inventèrent la monarchie absolue. Que les Lumières et la Révolution remplacèrent par la nation. On n'avait plus besoin de Dieu et de la religion pour fonder la légitimité du pouvoir politique. «La France fut la première nation en Europe à abolir expressément le délit de blasphème en 1791… La première nation à dissocier aussi nettement le droit et la religion.» Les tentatives pour restaurer les anciens interdits (Restauration, second Empire) étaient vouées à l'échec et au ridicule. Mais le ridicule ne tue pas. Notre auteur s'en amuse ou s'en effraie. «Notons que notre exigence actuelle de “respect des religions” ou de “décence” puise sa source dans les plus obscures décisions de justice du second Empire, celles-là mêmes qui poursuivaient Proudhon, Baudelaire et Flaubert!» Nous vivons le temps des grands renversements d'alliance. Les progressistes ont des faiblesses pour le Moyen Âge. Les laïcards, des tendresses pour Allah. «La pénalisation du “discours de la haine” et le respect des convictions intimes étaient brandis par la droite ultracatholique de 1881 pour dénoncer le blasphème ; les voici repris aujourd'hui par les associations antiracistes.»

    À l'époque, c'est Clemenceau, anticlérical et anticolonialiste, qui lançait: «Dieu se défendra bien lui-même ; il n'a pas besoin pour cela de la Chambre des députés.» Aujourd'hui, c'est l'extrême gauche qui explique que la laïcité est un projet colonialiste et raciste, et que l'islam rigoriste n'est que «la rage des victimes de la mondialisation capitaliste».

    Jadis, l'État français combattait tout communautarisme et tout État dans l'État. Aujourd'hui, c'est l'État lui-même qui, avec la loi Pleven, «marque le début juridique du repli communautaire en France en institutionnalisant sans y prendre garde la logique identitaire». À l'ONU, sous la pression des pays musulmans, le conseil des droits de l'homme adopte une résolution en 2009 qui affirme la nécessité de poursuivre «toute forme de diffamation des religions» et le Vatican s'y oppose, voyant le danger pour les chrétiens dans les pays musulmans.

    Dans ce tohu-bohu historique et idéologique, notre auteur tente de raison garder. Il invoque les mânes modérés de Montesquieu ; refuse la confusion faite «entre respect des croyances et respect des sensibilités». Mais il paraît désarmé devant cette «singularité française: depuis le début des années 2000, la nation la plus laïque d'Europe va nourrir, en son sein, des exigences parmi les plus fondamentalistes du continent en matière de blasphème». Il diagnostique fort bien un retour à l'esprit des guerres de religion: «Le blasphème a fini par redevenir un “curseur identitaire” comme il l'avait été au XVIe siècle» ; mais il croit pouvoir établir une égalité entre les menaces venues de l'islam littéraliste et celles issues du christianisme fondamentaliste. Derrière celui-ci, il croit voir l'ombre de «l'ordre moral». Il continue à croire que «la société libérale laïque reste en définitive la seule réponse à ce délit de blasphème» ; mais il oublie que cette société libérale de la IIIe République respectait alors «la morale de nos pères» chère à Jules Ferry, et ne sacrifiait pas aux rites postmodernes de la théorie du genre et du mariage homosexuel. Il invoque avec raison le souvenir glorieux de Clermont-Tonnerre et sa fameuse phrase: «Il faut tout donner aux juifs en tant qu'individus, et rien en tant que nation», en omettant que les Israélites, en échange de leur émancipation religieuse, poursuivaient leur assimilation culturelle à une société chrétienne. Il craint que cette évocation vigoureuse et décomplexée de nos racines chrétiennes ne pousse au «choc des civilisations» en faisant mine de ne pas voir que le fameux choc a déjà fait couler le sang dans les rues de Paris. Il nous avait pourtant lui-même donné les clefs d'explication du retour tonitruant de cette question dans la France du XXIe siècle, en nous montrant que la répression du blasphème fut une des armes utilisées par le pouvoir royal pour affirmer son autorité et sa souveraineté.

    De même aujourd'hui, la répression du blasphème par des soldats d'Allah exprime la volonté d'affirmer sur notre sol, et nos populations, l'émergence d'un pouvoir islamique, fondé sur la charia et appuyé par la menace des kalachnikovs. Les islamo-gauchistes ont déjà choisi d'y faire allégeance. D'autres s'y refusent. Notre auteur, comme nous tous, devra se résoudre à choisir son camp. 

    Eric Zemmour 

    Blasphème de .Jacques de Saint Victor, Gallimard, 122p., 14 €

    Blasphème de .Jacques de Saint Victor, Gallimard, 122p., 14 €

  • Rétro 2015 • Civilisation, ce mot si souvent brandi en 2015 mais dont le sens profond nous échappe largement

     
     
    Guerre de civilisations ? Défense de la civilisation ? A la suite des attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, le mot de civilisation s'est retrouvé dans tous les discours des politiques et des intellectuels français. Mais en connaît-on véritablement le sens ? Retour sur l'histoire d'un mot et tentative de définition.
    Telle est, du moins, ici, l'intention de Christophe Dickès et tel est l'objet de sa réflexion, qu'il mène à partir de la pensée de Jacques Bainville. Ce dernier serait sans-doute assez surpris que l'on tente de résumer son pessimisme et peut-être son espoir pour l'avenir de notre civilisation par la formule de Jean d'Ormesson citée par Christophe Dickès : « Le seul salut ne peut venir que de l’entreprise » ! Mais, de fait, l'analyse que nous livrons à la réflexion de nos lecteurs ne s'en tient heureusement pas là. Il faut donc lire l'ensemble de cette chronique qui, bien entendu, n'épuise pas le sujet ... LFAR
     

    dickès.pngA la question de savoir quel a été le moment le plus important de l’année 2015, il me semble qu’il ne s’agit pas d’un événement en particulier, mais plutôt d’un mot : celui de civilisation. Ce mot avait beaucoup été utilisé au lendemain des attentats du 11 septembre. On parlait alors du choc des civilisations, en écho au célèbre livre de Samuel Huntington.

    Depuis plus d’un an, la progression dans l’horreur des islamistes de Daech a amené nos hommes politiques à adopter l’idée d’une « défense de la civilisation ». Après Nicolas Sarkozy au mois de janvier dernier, Manuel Valls a franchi le Rubicon en évoquant à son tour la guerre de civilisation au mois de juin : « Nous ne pouvons pas perdre cette guerre parce que c’est au fond une guerre de civilisation. C’est notre société, notre civilisation, nos valeurs que nous défendons ». Le 14 juillet dernier, ce fut au tour de François Hollande de nous expliquer que nous étions face à des groupes qui « veulent remettre en cause les civilisations ». Par l’utilisation du pluriel, l’affaire se compliquait quelque peu... De son côté, et bien avant tout le monde, Christiane Taubira se réjouissait du changement de civilisation opéré par le mariage entre personnes de même sexe. Une civilisation serait donc à géométrie variable. Mais au fond qu’est-ce donc que la civilisation ? 

    En son temps, c’est-à-dire au début du XXe siècle, l’historien et journaliste Jacques Bainville (1879-1936) tenta de la définir en se posant la question de son avenir. Il le fit en 1922, c’est-à-dire au lendemain de la Grande Guerre, considérée à l’époque comme le plus grand traumatisme de l’histoire européenne. Il rappelait à juste titre que le mot de civilisation s’était répandu en Europe au XIXe siècle, c’est-à-dire à une époque de progrès scientifique, industriel et commercial : « La conception du progrès indéfini concourut à convaincre l’espèce humaine qu’elle était entrée dans une ère nouvelle, celle de la civilisation absolue. » Mais, pour Bainville, confondre progrès et civilisation était une erreur : le progressisme lyrique de Victor Hugo et le scientisme d’Auguste Comte ont été ensevelis dans la boue des tranchées de 1914. La guerre de masse rappela à l’espèce humaine que le progrès n’était pas si indéfini… A l’orgueil et à l’ivresse s’étaient substituées la mort et les souffrances, la peur et les angoisses. Conscient de la fragilité du monde dans lequel il vivait, Bainville constatait : « Nous voulons bien croire encore, par un reste d’habitude, au progrès fatal et nécessaire. Mais l’idée de régression nous hante, comme elle devait hanter les témoins de la décadence de l’empire romain. »

    La civilisation n’a donc rien à voir avec le progrès. Elle était pour lui comme la santé, destinée à un équilibre instable : « C’est une fleur délicate. Elle dépend de tout un ensemble de conditions économiques, sociales et politiques. Supprimez quelques-unes de ces conditions : elle dépérit, elle recule ». Et il ajoutait plus loin : « La réalité que l’on avait oubliée ou méconnue et qui se rappelle à nous cruellement, c’est que la civilisation, non seulement pour se développer, mais pour se maintenir, a besoin d’un support matériel. Elle n’est pas dans les régions de l’idéalisme. Elle suppose d’abord la sécurité et la facilité de la vie qui suppose à son tour des Etats organisés, des finances saines et abondantes. » Et c’est ici que Bainville donne la définition de la civilisation. Elle est, écrit-il, « un capital. Elle est ensuite un capital transmis. Car les connaissances, les idées, les perfectionnements techniques, la moralité se capitalisent comme autre chose. Capitalisation et tradition, - tradition c’est transmission, - voilà deux termes inséparables de l’idée de civilisation. »

    Il peut paraître étonnant de la part de Bainville, historien et spécialiste des relations internationales, d’associer l’idée de civilisation en partie à des nécessités économiques. Pourtant, c’est oublier qu’il fut, dans l’histoire de la presse, un des tous premiers journalistes économiques, collaborateur du journal libéral Le Capital. A cet égard, il offre bien des leçons pour notre temps et n’aurait pas été dépaysé sous la présidence de François Hollande et le gouvernement de Manuel Valls : il blâmait les rigueurs du fisc qui empêchait l’investissement ; il souriait de la fuite des capitaux en rappelant l’histoire de Voltaire que l’on considérerait aujourd’hui comme un exilé fiscal ; il soutenait le sort des classes moyennes « qui sont le plus solide support de la civilisation » contre l’Etat-providence. Il a même fustigé ces socialistes qui menacent la finance quand ils sont dans l’opposition, pour mieux la solliciter arrivés au pouvoir : « On menace, on épouvante d’abord les capitaux, on court ensuite après eux. On montre le poing aux banques dans l’opposition. Au pouvoir, et quand le Trésor est à sec, on sollicite l’aide des banquiers. » Dans une émission de radio, Jean d’Ormesson, à qui l’on demandait ce qu’impliquait « Changer de politique », le slogan de la soirée électorale du 13 décembre dernier, lança laconique : « Le seul salut ne peut venir que de l’entreprise. » Un constat très bainvillien en somme que ne semble pas comprendre notre gouvernement.

    Néanmoins, l’enseignement de Bainville a ses limites. En effet, il aurait été surpris par les fractures sociale et sociétale de notre époque, tout comme par le développement du communautarisme. La France du début du XXe siècle, c’est-à-dire la France de la IIIe République gardait une identité forte incarnée dans l’éloquence de ses hommes politiques, de ses gens de Lettres et ses hommes de presse. C’était un temps aussi où l’on respectait le professeur dont le rôle était de transmettre un savoir et non d’éduquer des enfants. La IIIe république entretenait aussi le culte du passé. De tout le passé, sans exception. A La Sorbonne, l’amphithéâtre Louis Liard qui date des premières années du régime républicain, un des plus beaux d’Europe, incarne cette conception assumée de notre histoire : on y voit le portrait en pied de Richelieu au-dessus de la chaire principale et, dans les médaillons, on reconnaît Pascal, Bossuet, Descartes, Racine, Molière et Corneille. L’âme française. Bainville pleurerait de voir que la civilisation est aujourd’hui aux mains d’amateurs plaçant le latin comme un « enseignement de complément » selon le jargon du Ministère de l’Education nationale.

    Bainville, qui associait nécessités de la politique intérieure et défis de la politique étrangère, croyait aux permanences dans l’histoire. Pour cette raison, son œuvre, qui ne cesse de puiser des exemples dans le passé, reste profondément contemporaine. C’est peut-être pour cette raison que depuis sa mort en 1936, elle a été rééditée par les plus grandes maisons de la place parisienne[1]. Si Bainville avait vécu de nos jours, il aurait été classé dans le camp des « déclinistes » aux côtés de Zemmour, Lévy, Rioufol ou de Villiers. Pourtant, il rappelait que « le pessimisme, cause de découragement pour les uns, est un principe d’action pour les autres. L’histoire vue sous un aspect est une école de scepticisme ; vue sous un autre aspect, elle enseigne la confiance. » L’année 2015, elle, nous aura enseigné une leçon oubliée, celle de la fragilité des temps. Il ne tient qu’à nous de redonner à notre civilisation toute sa force.   

    [1] Bainville, La Monarchie des Lettres (anthologie), Robert-Laffont, coll. Bouquins, 1184 pages, 30,50€.

    Historien et journaliste, spécialiste du catholicisme, Christophe Dickès a dirigé le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège chez Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il est également l'auteur de Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde (Tallandier).

    Atlantico

  • Exposition • Monarchie et beaux-arts

    Vaduz

    Par Péroncel-Hugoz

    Emballé par une exposition de haut vol à Aix-en-Provence, Péroncel-Hugoz en profite pour mettre en lumière les liens naturels existant entre la royauté et les arts.

     

    peroncel-hugoz 2.jpgEn ce moment, et jusqu’au 20 mars 2016, se tient à Aix, ancienne capitale de la Provence comtale puis royale, une exposition de peinture comme on en voit rarement par sa haute qualité, et qui permet aussi de se pencher sur les rapports étroits existant souvent, tant en Occident qu’en Orient, entre monarchie et beaux-arts. 

    La collection en question ici appartient aux princes souverains du Liechtenstein qui règnent depuis le XVIIe siècle sur ce petit (160 km², 36 000 âmes, capitale Vaduz) mais superbe pays, inséré entre Rhin et Alpes, entre Suisse et Autriche et où règne actuellement, depuis 1989, Son Altesse Hans-Adam II, quinzième monarque de cette dynastie germanique qui a résisté à tous les bouleversements et a affirmé son indépendance en écartant l’idée d’adhésion à l’Union européenne. 

    Les tableaux présentés à Aix-en-Provence sont tous hors concours et résument bien la grande peinture européenne d’hier, loin, très loin des «installations» de ferrailles et chiffons d’aujourd’hui qui font rugir d’admiration les chroniqueurs «dans le vent» de la presse euro-américaine … Une foule franco-étrangère se presse chaque jour depuis le 7 novembre, vers le grandiose hôtel (et nouveau musée) de Caumont, rendu récemment à ses décors XVIIIe siècle, pour y admirer des œuvres de Cranach, Raphaël, Rubens, Rembrandt, Franz Hals, Van Dyck, Claude-Joseph Vernet, Hubert Robert, Madame Vigée-Lebrun, etc. 

    Des sculptures de Breker au Maroc 

    En parcourant les hautes salles du musée, je pensais au patient travail de collectionneur des souverains français, de François 1er à Napoléon III, via Louis XIV et Louis-Philippe 1er, grâce à la perspicacité de qui Paris possède aujourd’hui, avec le Louvre, le plus vaste pôle artistique des cinq continents. Je pensais aussi à la collection de peintures marocaines et étrangères que l’actuel monarque chérifien a commencée et également aux œuvres d’art réunies par certains de ses prédécesseurs, tel son grand-père Mohamed V qui, comme le très connaisseur président Senghor du Sénégal, sut faire appel par trois fois à celui qui fut sans doute le plus novateur, le plus spectaculaire sculpteur européen du XXe siècle, Arno Breker (1) ; le sultan-roi dépassait ainsi avec panache les préventions politiques contre cet artiste qui avait travaillé … pour le Troisième Reich d’Hitler… L’Art, le vrai, se reconnaît au fait qu’il est toujours au-dessus des vicissitudes de l’Histoire. La dynastie de Vaduz offre aussi un modèle exemplaire, quoique peu connu, de lignée adonnée à la constitution raisonnée d’un patrimoine artistique cohérent et varié. Loin des artistes de pacotille… 

    On se moque facilement, dans les salons casablancais ou parisiens, des extravagances de nouveaux-riches des islamo-pétro-monarchies mais c’est oublier que plusieurs d’entre elles (Koweït, Abou-Dhabi, Doubaï, Oman, Bruneï) sont collectionneuses et on ouvert des musées. Si l’Arabie fait exception, avec son intransigeant wahabisme qui a même laissé détruire d’insignes monuments historiques dans les Villes saintes de l’Islam, l’autre Etat wahabite, Qatar, a su, lui, honorer les beaux-arts avec magnificence sans pour autant renier sa doctrine religieuse. En Iran, la dynastie hélas renversée des Pahlavi a laissé derrière elle de fabuleuses collections persanes et européennes qui, tôt ou tard, feront derechef les délices des Iraniens. 

    Par hasard, c’est à Aix que je tombais sur le livre, pas encore traduit en français, du philosophe allemand naturalisé états-unien, Hans-Herman Hoppe (né en 1949), ayant enseigné en Europe et en Amérique, et qui, dans un essai brillamment argumenté, «Democracy: the God that failed» (Démocratie : le dieu qui a échoué) démontre que les monarchies, ayant pour elles « la durée et le temps», peuvent réaliser ce dont sont incapables beaucoup de républiques, par exemple réunir dans la sérénité, augmenter et conserver des collections d’œuvres d’art. Hoppe, comme avant lui le penseur canadien Marshall McLuhan (1911-1980), est devenu un fervent royaliste par la simple observation de faits contemporains ou historiques. Tous deux ont pointé la bousculade permanente des présidences de quatre ou cinq ans, qui plus est mangées en partie par des campagnes tapageuses et coûteuses en vue d’éventuelles réélections… Hoppe associe à son éloge de la royauté celui du capitalisme familial, tellement plus humain que le « bizness » international, aveugle et anonyme. 

    Les princes du Liechtenstein se sont de tout temps tenus à distance des jeux politiciens et l’un des plus beaux résultats de leur comportement détaché se trouve dans ces collections, actuellement en partie exposées à Aix; collections figurant au premier rang des patrimoines artistiques royaux, avant même peut-être celui des Windsor, en Grande-Bretagne, si on en croit les experts en art occidental. 

    Si vous passez cet hiver par la Provence, ménagez-vous une halte à l’hôtel de Caumont et vous jugerez !              

     

    Le Musée Caumont est ouvert tous les jours de l’année de 10h à 18h. Librairie. Petite restauration. Parc-autos à proximité. 3, rue Joseph-Cabassol, à deux pas du cours Mirabeau, 13100-Aix-en-Provence. 

    1. Voir « Arno Breker à la cour chérifienne », par Péroncel-Hugoz, « La Nouvelle Revue d’Histoire », Paris, juillet-août 2009

    Peroncel-Hugoz

    Repris du journal en ligne marocain le 360 du 25.12.2015

  • Société • Nativité et résurrection à l’italienne

     Palerme, Sicile

     

    Un point de vue original et juste de Camille Pascal

    Pour l'essentiel, Camille Pascal établit par l'exemple une comparaison entre la France et l'Italie, à l'avantage de cette dernière : « L’Italie, toute République qu’elle soit, sait d’où elle vient. ». L'explication est selon nous très claire : la République italienne naît presque immédiatement après la seconde guerre mondiale, comme une suite de la défaite de l'Italie, conduite par Mussolini et la dynastie des Savoie. Elle ne procède pas d'une révolution et n'a avec la Révolution française que des liens indirects. Elle ne se bâtit pas en rupture avec l'Histoire de l'Italie, elle ne pratique pas la table rase, elle ne renie pas ses racines C'est ce qui la différencie d'avec la République française qui se tient toujours, en définitive, dans le droit fil de la Révolution française, de l'idéologie qui la fonde et, sous diverses formes, du jacobinisme et de la Terreur. Sa radicalité ne s'est jamais vraiment éteinte. Et la France continue, si l'on peut dire, d'en porter la croix. LFAR

     

    Camille%20Pascal_22222222222222.pngLa réplique scrupuleuse d’un chef-d’oeuvre du Caravage a retrouvé la place de l’original, probablement vandalisé puis détruit.

    L’événement est passé quasiment inaperçu en France mais il a eu un retentissement considérable en Italie et dans le monde de l’art. Le 12 décembre dernier, à Palerme, la Nativité avec saint François et saint Laurent, du Caravage, a retrouvé le délicieux oratoire de San Lorenzo et son cadre de stucs insensés, sculpté par le grand Serpotta à l’extrême fin du XVIIe siècle.

    Le tableau avait été peint par le maître au lendemain de sa fuite des geôles de l’ordre de Malte, soit un an avant qu’il ne soit retrouvé mort sur une plage de Toscane, dans des conditions déjà pasoliniennes. Malgré la présence à l’arrière-plan de l’ange et de saint François d’Assise en prière, cette Nativité reste d’un très grand réalisme caravagesque.

    Saint Joseph est représenté avec la jeunesse que lui donnent les Écritures mais que lui refuse le plus souvent l’iconographie traditionnelle ; tournant le dos au spectateur, vêtu d’un pauvre manteau vert et chaussé de simples pantoufles, il semble dialoguer avec les saints apocryphes imposés par les commanditaires. La Vierge, elle, a la simplicité d’une jeune femme du peuple et regarde tristement l’Enfant Jésus posé à même le sol dans une position d’abandon, qui pourrait être celle d’un sommeil profond si elle n’annonçait pas déjà son sacrifice. La tête d’un boeuf pensif contemple cette Nativité désolée par l’obscurité du jour de la crucifixion.

    Pourtant, le tableau qui était inauguré en grande pompe le 12 décembre dernier est un faux ou, plus exactement, une réplique scrupuleuse savamment reconstituée grâce à des techniques de pointe. L’original, lui, a disparu. Il a été volé sur ordre d’un mafieux et maladroitement découpé au couteau par un mauvais garçon de Naples, qui devait avoir les mêmes traits que les modèles masculins dont le Caravage aimait à faire des apôtres, des martyrs ou des Bacchus. La toile n’a jamais été retrouvée. Massacrée par les larrons chargés de ce larcin, refusée par les receleurs épouvantés et peut-être taraudés par le remords du sacrilège qu’ils avaient ordonné, elle aurait été détruite.

    Les Palermitains n’ont jamais accepté cette disparition, ils ont d’abord tenté l’impossible pour retrouver l’original puis, en désespoir de cause, ils se sont donné les moyens de cette véritable résurrection de leur Nativité.

    Tout fut alors fait pour que ce chef d’oeuvre du ténébrisme ait retrouvé sa place avant Noël, de façon à ce que la Sainte Famille enfin réunie pour la Nativité puisse être offerte à la contemplation des fidèles. Le président de la République italienne, Sergio Mattarella, a tenu à assister, lui-même, à cette résurrection d’un monument de l’art sacré.

    L’Italie, toute République qu’elle soit, sait d’où elle vient. 

    Camille Pascal (

    Valeurs actuelles)