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Idées, débats... - Page 467

  • Théâtre • Kessel, encore plus grand au théâtre

     

    Camille Dubernet pour Culture-Tops*

    Qui, en un sens, rend un hommage mérité à Joseph Kessel, et, d'autre part, analyse excellemment et signale un spectacle qui vaut certainement la peine d'être vu. LFAR

     

    "Les Cavaliers" était déjà un grand roman. Mais l'adaptation théâtrale de l'oeuvre de Kessel, présentée au Théâtre La Bruyère, lui donne une dimension humaine encore plus exceptionnelle. Coup de foudre.

    L’auteur

    kessel.pngJournaliste, résistant, scénariste, reporter de guerre et romancier, Joseph Kessel fut un aventurier au sens noble du terme. Il a écrit de très belles œuvres comme Le Lion, L’Armée des Ombres et bien évidemment Les Cavaliers (en 1967), que lui a inspiré un long reportage en Afghanistan.

    Pour reprendre les mots de François Mauriac, dans son Bloc-Notes, « Il est de ces êtres à qui tout excès aura été permis, et d’abord dans la témérité du soldat et du résistant, et qui aura gagné l’univers sans avoir perdu son âme. »

    Thème 

    Le jeune et orgueilleux Ouroz participe au tournoi le plus important d’Afghanistan, le Bouzkachi du Roi, un sport très violent pour des cavaliers exceptionnels. Son père, le grand Toursène, maître des écuries du domaine et grand champion du bouzkachi en son temps, lui confie son cheval, le grand Jehol,  pour le tournoi et lui promet de le lui offrir en cas de victoire de l’étalon.

    Mais Ouroz échoue, tombe de son cheval, et se brise la jambe. Il doit alors retourner dans sa province lointaine pour faire face à son père, malgré son humiliante défaite, et alors que son cheval, lui, a gagné avec un autre cavalier. 

    Ainsi commence pour Ouroz, blessé et malade, un long et périlleux voyage à travers l’Afghanistan. Il est accompagné de son fidèle serviteur Mokkhi et de Jehol, son magnifique cheval fou. 

    Points forts

    J’ai tellement aimé cette pièce dans son ensemble qu’il m’est difficile de ne sélectionner que quelques points forts, mais je vais quand même essayer de me prêter à l’exercice...

    Il faut tout d’abord expliquer qu’ayant lu avec passion le livre du même nom, je me demandais par quelle magie et surtout avec quels moyens un metteur en scène pouvait transposer cette épopée à cheval sur les planches d’un théâtre… Mais le défi est brillamment relevé tant par les metteurs en scène que par les quatre comédiens qui semblent véritablement habités par les personnages qu’ils incarnent pour nous.

    Venons-en aux points forts les plus révélateurs : 

    - La scénographie très sobre et unique tout au long de la pièce. Un tapis, un rideau, quelques tabourets, et nous voilà tour à tour dans les montagnes afghanes, les steppes de la province de Maïmana, sur le terrain du grand bouzkachi de Kaboul ou encore au coin du feu avec Ouroz et Mokkhi 

    - Car oui, même les cavalcades de chevaux et la présence continue de Jehol, le grand étalon, le cheval fou, sont vivantes sur la scène du Théâtre La Bruyère. La magie est là. Point de cheval, mais grâce aux talents des comédiens et de Khalid K, on pourrait presque jurer que si, bien sûr, on a vu Jehol galoper aux côtés des autres chevaux du bouzkachi, avant d’emmener son maître blessé sur son dos.

    - Khalid K… il faut absolument parler de Khalid K. Chanteur, musicien, « bruiteur », il est présent à chaque instant de la pièce qu’il accompagne de sa voix, de ses mélopées, pour faire ainsi résonner sur scène et en nous, les galops des chevaux et leur respiration, l’écho des montagnes, le bruit de la nuit, des angoisses et des peurs. Il est tout simplement exceptionnel. 

    Points faibles

    - Un petit bémol peut-être pour la scène de combat entre Ouroz, en transe, et un chien sauvage, que j’ai eu du mal à apprécier. Mais je crois que déjà dans le livre, je n’avais pas aimé cet épisode; alors; ma réaction n’est pas vraiment surprenante !

    - A la sortie du théâtre, les discussions étaient animées, et il faut reconnaître que cette pièce, peu classique et assez proche du conte ou du spectacle africain, ne plaira peut-être pas aux amateurs de théâtre plus conventionnel. Je me demande également si j’aurais autant apprécié sans avoir lu le livre… ?

    En deux mots 

    Je ne peux que recommander ce spectacle qui nous fait voyager loin de Paris, et qui nous révèle la dimension humaine très forte du livre de Joseph Kessel où il serait facile de ne voir que le récit de voyage et d’aventure. C'est un très bel hommage qui est rendu par toute l’équipe à ce grand écrivain, qui est d’ailleurs salué et remercié par les comédiens à la fin du spectacle. 

    Une phrase

    "Ici en Afghanistan, c'est le Bouzkachi qui façonne les hommes, ou qui les détruit."

    Recommandation

    En priorité  En priorité 

    Théâtre

    Les Cavaliers de Joseph Kessel

    Adaptation : Eric Bouvron.

    Avec : Éric Bouvron, Grégori Baquet en alternance avec Benjamin Penamaria, Khalid K. et Maïa Guéritte.

    Mise en scène Éric Bouvron et Anne Bourgeois

    Informations

    Théâtre La Bruyère, 5 rue La Bruyère, 75009 Paris

    Réservation: 01 48 74 76 99

    www.theatrelabruyere.com

    Du mardi au samedi, à 21h. En matinée, le samedi, à 15h30

    * Camille Dubernet est chroniqueuse pour Culture-Tops.

    Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).

  • Exposition ♦ Du neuf avec du vieux et ... les trésors du Prince de Liechtenstein

    Le sublime Hôtel de Caumont. à Aix-en-Provence

     

    PAR OLIVIER D'ESCOMBEAU 

    Les Aixois n'ont gardé qu'un pâle souvenir de ce qui fut jadis « le plus beau conservatoire de France », l'Hôtel de Caumont. Ce joyau de l'architecture du XVIIIe siècle, acheté par la ville au milieu des années 6o, avait été transformé, sous l'impulsion de Marcel Landowski, en conservatoire Darius Milhaud. Le lieu, devenu vétuste et encrassé, résonnait, il y a quelques années encore, des tâtonnements sonores de jeunes musiciens en herbe.

    En 2010, la ville décide de se séparer de ce bâtiment jugé peu fonctionnel. La vente de ce bien ne fut pas, comme on s'en doute, du goût de tous les Aixois. Une sévère polémique s'en suivit, où les édiles de la ville furent accusés de brader le patrimoine commun. À cinq ans de distance, il est pourtant difficile de leur donner tort lorsque l'on visite l'Hôtel de Caumont restitué dans sa splendeur au terme d'un gigantesque chantier. Qui plus est, voici ce lieu ouvert au public sous la bannière d'un opérateur privé bien connu dans le secteur du patrimoine : Culturespaces.

    Car le bâtiment, au terme d'une transaction et de travaux fort coûteux, est tombé dans l'escarcelle de cette société ayant, pour activité, la gestion de sites culturels aussi divers que le Château des Baux, la Cité de l'Automobile de Mulhouse, ou le Musée Jacquemart André à Paris.

    La culture ne nourrit pas son homme, c'est bien connu. Dans un pays où l'État, ces cinquante dernières années, a été l'alpha et l'oméga de l'action culturelle dans le patrimoine ou la création, les initiatives privées (autres que philanthropiques) ont eu bien du mal à prospérer. Culturespaces, qualifié par certains « d'ennemi de la culture », fait figure d'exception. Le rachat et l'ouverture de l'Hôtel de Caumont vient, en quelque sorte, couronner cette persévérance.

    Tenter d'instiller et d'adapter les méthodes du privé dans le domaine patrimonial n'est pas le seul reproche formulé à l'égard de Culturespaces. Car la spécialité de cette entreprise, c'est de gérer, en lieu et place des propriétaires publics ou privés, sites touristiques, Musées, Fondations ou demeures. Réussir, là où d'autres ont immanquablement échoué, se fait au prix de quelques sacrifices : sur-fréquentation des monuments, privatisations à outrance, restaurations des collections passant au second plan, exigences scientifiques en berne. Car il faut que cela paye. Il est de notoriété, parmi les conservateurs du patrimoine, que travailler dans une institution affermée à Culturespaces est une sorte d'enfer sur terre.

    Le cas de l'Hôtel de Caumont tranche avec les autres sites gérés par Culturespaces, près d'une quinzaine à l'heure actuelle. Car ici, point de collections encombrantes et coûteuses à entretenir, pas de professionnels de la culture rétifs et meurtris, pas de propriétaire sourcilleux regardant par-dessus l'épaule du concessionnaire ; mais un espace vide et prestigieux tout entier offert à la programmation et aux privatisations.
    Les trésors du Prince de Liechtenstein — Raphaël, Rubens ou Vernet — présentés dans les salles de l'Hôtel de Caumont ont eu de quoi enchanter l'amateur d'art. Ces magnifiques collections ont traversé des périodes troublées, en particulier au siècle dernier, sans jamais quitter la sphère privée. Un choix emblématique pour la première exposition du joyau de Culturespaces. 

     

    Le Musée Caumont est ouvert tous les jours de l’année de 10h à 18h. Librairie. Petite restauration. Parc-autos à proximité. 3, rue Joseph-Cabassol, à deux pas du cours Mirabeau, 13100-Aix-en-Provence. 

    Sur le même sujet : Exposition • Monarchie et beaux-arts par Péroncel-Hugoz

     

  • Christopher Caldwell : « Les intuitions de Houellebecq sur la France sont justes »

     

    Dans son livre, une Révolution sous nos yeux, le journaliste américain Christopher Caldwell annonçait que l'islam allait transformer la France et l'Europe. Pour FigaroVox [25.03] il réagit aux attentats de Bruxelles. Sa réflexion va souvent à l'essentiel. Nous le suivrons presque en tous points. Même son appréciation sur les Lumières est en fait nuancée. Et, de toute façon, Houllebecq, sans-doute à juste titre, les juge éteintes...  LFAR  

     

    Après Paris, Bruxelles est frappée par le terrorisme islamiste. A chaque fois la majeure partie des djihadistes sont nés dans le pays qu'ils attaquent. Cela révèle-t-il l'échec du multiculturalisme ?

    Peut-être, mais je ne suis pas sûr que le mot « multiculturalisme » signifie encore quelque chose. Il ne faut pas être surpris qu'un homme né européen commette des actes de terrorisme européen. C'est pour l'essentiel une question pratique. Le terrorisme requiert de la familiarité avec le terrain d'opération, le “champ de bataille”. C'est une chose très difficile que de constituer une équipe de terroristes en passant plusieurs frontières pour mener à bien une opération dans un pays étranger - même si cela peut être réalisé, comme les attentats du 11 Septembre l'ont montré.

    Au surplus, l'ensemble des droits et libertés constitutionnels de l'Union européenne, en commençant par Schengen, donne un éventail particulièrement large de possibilités à tout jeune Européen en rupture. Regardez ces terroristes belges. L'artificier Najim Laachraoui est allé en Syrie pour se battre aux côtés de Daech, mais personne n'a su comment il était revenu à Bruxelles. Ibrahim el-Bakraoui a été condamné à 9 ans de prison pour avoir tiré sur un policier en 2010. Mais il a également été arrêté plus récemment par la Turquie à Gaziantep, à la frontière syrienne, et identifié comme un combattant de Daech. Et tout cela est resté sans conséquences.

    Diriez-vous que derrière l'islamisme guerrier de Daesh, l'Europe est également confrontée à une islamisation douce un peu comme dans le dernier livre de Houellebecq, Soumission ?

    Quand j'ai lu le livre de Houellebecq, quelques jours après les assassinats à Charlie Hebdo, il m'a semblé que ses intuitions sur la vie politique française étaient tout à fait correctes. Les élites françaises donnent souvent l'impression qu'elles seraient moins perturbées par un parti islamiste au pouvoir que par le Front national.

    La lecture du travail de Christophe Guilluy sur ces questions a aiguisé ma réflexion sur la politique européenne. Guilluy se demande pourquoi la classe moyenne est en déclin à Paris comme dans la plupart des grandes villes européennes et il répond: parce que les villes européennes n'ont pas vraiment besoin d'une classe moyenne. Les emplois occupés auparavant par les classes moyennes et populaires, principalement dans le secteur manufacturier, sont maintenant plus rentablement pourvus en Chine. Ce dont les grandes villes européennes ont besoin, c'est d'équipements et de services pour les categories aisées qui y vivent. Ces services sont aujourd'hui fournis par des immigrés. Les classes supérieures et les nouveaux arrivants s'accommodent plutôt bien de la mondialisation. Ils ont donc une certaine affinité, ils sont complices d'une certaine manière. Voilà ce que Houellebecq a vu.

    Les populistes européens ne parviennent pas toujours à développer une explication logique à leur perception de l'immigration comme origine principale de leurs maux, mais leurs points de vues ne sont pas non plus totalement absurdes.

    Dans votre livre Un révolution sous nos yeux ,vous montriez comment l'islam va transformer la France et l'Europe. Sommes-nous en train de vivre cette transformation ?

    Très clairement.

    Celle-ci passe-t-elle forcément par un choc des cultures ?  

    C'est difficile à prévoir, mais ce qui se passe est un phénomène profond, anthropologique. Une culture - l'islam - qui apparaît, quels que soient ses défauts, comme jeune, dynamique, optimiste et surtout centrée sur la famille entre en conflit avec la culture que l'Europe a adoptée depuis la seconde guerre mondiale, celle de la «société ouverte» comme Charles Michel et Angela Merkel se sont empressés de la qualifier après les attentats du 22 Mars. En raison même de son postulat individualiste, cette culture est timide, confuse, et, surtout, hostile aux familles. Tel est le problème fondamental: l'Islam est plus jeune, plus fort et fait preuve d'une vitalité évidente.

    Certains intellectuels comme Pierre Manent propose de négocier avec l'islam. Est-ce crédible ? Les «accommodements raisonnables» peuvent-ils fonctionner ?

    Situation de la France de Pierre Manent est un livre brillant à plusieurs niveaux. Il a raison de dire que, comme pure question sociologique, l'Islam est désormais un fait en France. Manent est aussi extrêmement fin sur les failles de la laïcité comme moyen d'assimiler les musulmans, laïcité qui fut construite autour d'un problème très spécifique et bâtie comme un ensemble de dispositions destinées à démanteler les institutions par lesquelles l'Église catholique influençait la politique française il y a un siècle. Au fil du temps les arguments d'origine se sont transformés en simples slogans. La France invoque aujourd'hui, pour faire entrer les musulmans dans la communauté nationale, des règles destinées à expulser les catholiques de la vie politique.

    Il faut aussi se rappeler que Manent a fait sa proposition avant les attentats de novembre dernier. De plus, sa volonté d'offrir des accomodements à la religion musulmane était assortie d'une insistance à ce que l'Islam rejette les influences étrangères, ce qui à mon sens ne se fera pas. D'abord parce que ces attentats ayant eu lieu, la France paraîtrait faible et non pas généreuse, en proposant un tel accord. Et aussi parce que tant que l'immigration se poursuivra, favorisant un établissement inéluctable de l'islam en France, les instances musulmanes peuvent estimer qu'elles n'ont aucun intérêt à transiger.

    « Entre une culture qui doute d'elle-même et une culture forte, c'est la culture forte qui va l'emporter... » écrivez-vous en conclusion de votre livre. L'Europe des Lumières héritière de la civilisation judéo-chrétienne et gréco-romaine est-elle appelée à disparaître ?

    L'Europe ne va pas disparaître. Il y a quelque chose d'immortel en elle. Mais elle sera diminuée. Je ne pense pas que l'on puisse en accuser l'Europe des Lumières, qui n' a jamais été une menace fondamentale pour la continuité de l'Europe. La menace tient pour l'essentiel à cet objectif plus recent de «société ouverte» dont le principe moteur est de vider la société de toute métaphysique, héritée ou antérieure (ce qui soulève la question, très complexe, de de la tendance du capitalisme à s'ériger lui-même en métaphysique). A certains égards, on comprend pourquoi des gens préfèrent cette société ouverte au christianisme culturel qu'elle remplace. Mais dans l'optique de la survie, elle se montre cependant nettement inférieure. 

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    Christopher Caldwell est un journaliste américain. Il est l'auteur de Une Révolution sous nos yeux, comment l'islam va transformer la France et l'Europe paru aux éditions du Toucan en 2011. 

    picture-2540921-61yhv5dr.jpgEntretien par

    Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Twitter : @AlexDevecchio

     

  • Décès d'Alain Decaux : selon lui, il y avait 26 millions de royalistes en France en 1788

    Alain Decaux et son épouse au mariage du prince Jean à Senlis en 2009

     

    A l'annonce du décès d'Alain Decaux, qui fut un bon serviteur de l'Histoire, en guise d'hommage, sans-doute celui qu'il nous revient de lui rendre, voici le texte complet d'un excellent article qu'il fit paraître il y a quelques vingt-cinq ans sous le titre : «26 millions de Royalistes. » Il s'agit du premier article d'une série de neuf, écrits chacun par une personnalité différente, et regroupés sous le titre global « Journal de l'Histoire 1788 ». L'ensemble a été publié dans Le Figaro du 13 juillet 1988 au 25 août 1988. Et dans Lafautearousseau le 14 septembre 2007, d'où nous le reprenons. LFAR   

           

    Le 13 juillet 1788, on le sait, un cataclysme tel que nul en France n'en avait gardé la mémoire accabla l'Ouest de la France: la grêle s'abattit partout avec une telle violence qu'elle anéantit la moisson. Fallait-il être grand clerc pour en déduire que le pain, en 1789, serait rare et que donc il serait cher. On n'avait vraiment pas besoin de cela, alors que surgissaient déjà tant de raisons d'inquiétude et non moins de sujets de mécontentement. Quelques temps plus tôt, un voyageur anglais, Arthur Young, agronome de profession et observateur d'instinct, notait: "Une opinion prévalait, c'est qu'on était à l'aurore d'une grande révolution dans le gouvernement." Vers la même époque, un des derniers ministres de Louis XVI, Calonne, avait, dans un rapport adressé au Roi, formulé un diagnostic plus sombre encore: "La France est un royaume très imparfait, très rempli d'abus et, tel qu'il est, impossible à gouverner." Une révolution imminente, un pays impossible à gouverner: pourquoi ?

    L'étrange de l'affaire est que, dans son ensemble, la France ne s'est jamais aussi bien portée. Oubliées, les épouvantables famines qui avaient désolé le règne de Louis XIV, celle de 1709 ayant à elle seule causé deux millions de morts. Éloignées, les grandes épidémies qui, au XVIII° siècle encore, avaient répandu la terreur. Qui plus est -et c'est peut-être l'élément capital- de 1715 à 1792 le territoire national n'a connu aucune invasion étrangère. Que découvre l'étranger qui, en 1788, parcourt la France? Un pays de 26 millions d'habitants -le plus peuplé d'Europe- dont l'opulence le frappe. Une nation en pleine expansion économique. Une agriculture de plus en plus prospère. Un commerce florissant. Paris est, pour le monde entier, l'incarnation d'une civilisation portée à son plus haut degré. Toute l'Europe parle français.

    Le problème, le vrai problème, est que, si la France est riche, l'Etat est ruiné. Du Roi jusqu'au plus humbles des citoyens, les français cherchent éperdument la solution d'une crise dont on sent qu'elle menace jusqu'à l'existence de la nation. Pour le Roi et ses conseillers, cette solution doit rester financière. Pour le plus grand nombre de français, elle ne peut que devenir politique.

    L'évidence des réformes.

    Le colossal déficit accumulé d'année en année depuis si longtemps ne pouvait être réduit à néant que par le vote de nouveaux impôts. Cependant seuls les États Généraux, élus par l'ensemble de la nation, pouvaient voter des impositions supplémentaires. Ils n'avaient pas été convoqués depuis 1614. Fallait-il les réunir ? Le poids total de l'impôt reposait sur le Tiers État. Le clergé et la noblesse en étaient dispensés. L'occasion se présentait d'une plus grande équité fiscale. Fallait-il la saisir ? Le siècle tout entier aspirait, non pas à une révolution mais à des réformes. Le premier, Montesquieu avait souhaité un état libéral. Rousseau avait exposé les principes idéaux d'une démocratie égalitaire. Avec son extraordinaire alacrité, Voltaire avait donné la priorité à la liberté individuelle et à la tolérance. Jamais des théoriciens n'avaient rencontré si prodigieux écho. Toute la France cultivée les avait lus. Pour une raison évidente: ils s'adressaient à des esprits préparés.  

    Depuis plusieurs décennies, la bourgeoisie avait mobilisé une grande partie de la fortune de la France. Elle ne pouvait et ne voulait plus accepter les privilèges réservés à la noblesse, par exemple celui, exorbitant, qui, depuis 1781, accordait aux seuls nobles le droit de devenir officier. Non seulement elle les trouvait injustes mais humiliants. Qui dira la part des humiliations dans la naissance des révolutions ? Les paysans, dans leur majorité, étaient devenus propriétaires de leurs domaines. Mais ils devaient toujours au seigneur dont dépendait autrefois leur terre une incroyable quantité -jusqu'à 70% de leur revenu- de droits en nature ou en argent. Si la bourgeoisie enrageait, la paysannerie gémissait. Les cahiers de doléances qui devaient précéder la convocation des États Généraux allaient unanimement réclamer l'égalité devant l'impôt, l'égalité civile, l'accès aux emplois selon le mérite et non selon la naissance, l'accès de tous aux grades militaires. Tout ce qui pour nous est aujourd'hui la règle. Tout ce qui restait alors à conquérir.

    Demain les États Généraux.

    Comme tout est allé vite! L'année 1788 s'ouvre, le 4 janvier, par un réquisitoire du Parlement contre les lettres de cachet qui permettent, sans jugement et par simple décision royale, de faire arrêter les citoyens. Soutenus par l'opinion, les parlementaires vont plus loin: ils réclament la liberté individuelle comme un droit fondamental. Le 3 mai, le Parlement affirme que le vote des impôts appartient aux États Généraux. En mai et juin, le Parlement de Grenoble entre en rébellion contre l'autorité royale. Le 11 juin, des émeutes éclatent à Dijon et à Toulouse. Le 14 juin, Grenoble réclame la convocation des États Généraux. Le 19 juin, Pau s'enflamme. Le 21 juillet, à Vizille, cinquante ecclésiastiques, cent soixante cinq nobles, deux cent soixante seize membres du Tiers État réclament les Etats Généraux.

    Le 8 août, Louis XVI capitule : les États Généraux seront convoqués pour le 1° mai 1789. Le 16 août, l'État doit suspendre ses paiements. C'est la banqueroute. D'évidence, ceci explique cela. Le 26 août 1788, le Roi rappelle Necker. Le retour aux affaires de ce grand bourgeois, suisse, protestant et libéral, fait croire à un peuple enthousiaste que la France est sauvée. Au début de novembre, une société de pensée qui réunit La Fayette, Mirabeau, Sieyès, Condorcet, Talleyrand, réclame que le nombre des députés du Tiers État soit doublé par rapport à ceux de la noblesse et du clergé. Elle demande que les votes, aux États Généraux, soient comptés par tête et non par ordre. Elle revendique -voilà qui est nouveau- un gouvernement représentatif. Le 27 décembre, Necker accepte le doublement du Tiers.

    Ainsi s'achève l'année 1788. Une immense gratitude monte vers le Roi Louis XVI en qui l'on voit le restaurateur des libertés. Il n'y a pas un seul républicain en France. "Nous sommes nés pour chercher le bonheur", écrit Madame Roland. Il n'est, pour préoccuper les esprits pessimistes, que cette catastrophe climatique qui a anéanti la moisson. Les optimistes répondent que dans un an on n'en parlera plus.

    Dans un an, le 13 juillet 1789... A.D. 

  • A demain, Jeanne !

     

    Par Alban Gerard  

    Dimanche 20 mars, le Puy du Fou a accueilli l'anneau de Jeanne d'Arc. Pour Alban Gérard, en ces temps d'exacerbation du fait religieux, le retour d'un anneau sorti du passé nous confronte avec simplicité à la question de la transcendance de notre nation [Figarovox - 21.03]. « En ces temps d'exacerbation du fait religieux » cette question - à laquelle chacun apportera sa réponse - a, dans tous les cas, que l'on soit ou non croyant, une importance toute particulière.  LFAR  

    A l'anneau de Jeanne de retour sur la bonne terre de France, les cieux ont réservé un retour triomphal. Exilé depuis six siècles outre-Manche, cet anneau gravé des noms de « Jhesu Maria» , arraché de haute lutte par le Puy du Fou lors d'une vente aux enchères il y a quinze jours, fait l'objet d'une singulière cérémonie sur les terres vendéennes du célèbre parc.

    Sont-ce les couleurs vives des étendards flottant au bout des lances du cortège de chevalerie, ou les cimiers frémissant des casoars des officiers volontaires défilant aux accents de la marche médiévale de Robert Bruce ? Un souffle mystérieux est à l'œuvre. L'histoire rêvée d'une France lointaine retrouve pour quelques heures un peu de son panache !

    Car certes, les bénévoles du cortège sont costumés comme des figurants de peplum hollywoodien, certes les haut-parleurs diffusent du Brave Heart aux moments choisis pour faire vibrer notre fibre patriote ; certes la « foule » des cinq mille curieux s'apparente plus à une grande sortie de messe de province qu'à une marche pour la dignité.

    Et pourtant, nos dirigeants auraient beaucoup à apprendre de ce qui s'est passé. Les commémorations se font rares en France. Oui elles existent, mais, hors armistice, on est dans l'ordre de la mémoire communautaire, la revendication identitaire, loin de la communion nationale. La commémoration pour le retour de l'anneau de Jeanne fait figure d'exception. Pas de revendication dans le public, juste la joie de retrouver une pièce symbolique du patrimoine dont il est héritier. Comme il semble loin le temps des précautions de Chirac et Villepin en 2005 préférant annuler la commémoration d'Austerlitz plutôt que de subir les foudres de lobbies communautaires antillais aussi chétifs que revendicatifs !

    D'ailleurs, dans la foule l'émotion est réelle, et ne résulte pas seulement de la mise en scène spectaculaire. Cet anneau, comme nous le rappellent les différents intervenants*, est confisqué à Jeanne d'Arc lors du procès de Rouen par l'évêque Cauchon, afin d'empêcher tout culte voué à celle qui sera canonisée bien plus tard, en 1920, par l'Eglise catholique dans un souci de réconciliation avec l'Etat. Symbole matériel rappelant le courage de notre héroïne nationale, ou selon le terme choisi par Philippe de Villiers, unique relique de celle qui fut le plus grand trait d'union de notre histoire, entre Dieu et le peuple de France ?

    Mais la force d'une telle célébration réside bien plus encore dans l'audacieux pari de réveiller l'idée enfouie d'une France profondément spirituelle. L'anneau de Jeanne, signe d'une alliance mystique - elle aurait vu en songe Sainte Catherine en le touchant - d'un dessein divin pour la nation française ? Si chacun est libre d'interpréter l'objet comme il l'entend, le « mystère de Jeanne » ne peut être abordé sans envisager la question des racines chrétiennes de notre pays. Des racines dont on peut attester l'origine historique, mais dont l'actualité est sujette à de chatouilleux débats. Et le retour de l'anneau sorti du passé en ces temps d'exacerbation du fait religieux nous confronte avec simplicité à la question de la transcendance de notre nation. 

    Alban Gerard   

    Responsable d'activité dans un groupe de protection sociale, Alban Gérard est le fondateur des Gavroches.

    Les Gavroches convoquent l'imaginaire des Misérables pour réinventer un roman national. Ces enfants des barricades, amoureux des arts, s'engagent pour replacer le débat politique dans la rue et créer le dialogue.

    * Philippe et Nicolas de Villiers, Franck Ferrand, Jacques Trémolet de Villers  

    Remerciements à Pierre Builly qui nous a signalé cette excellente tribune.

  • Théâtre • Comédie du pouvoir

     

    par Bruno Stéphane-Chambon

     

    Nous arrivons au printemps et pour le fêter, l’association Le Parti d’en rire, qui réunit des amoureux du théâtre, nous convie à une représentation qui s’annonce jubilatoire.

    La troupe a pris ce pseudonyme en souvenir du sketch de Francis Blanche et Pierre Dac qui avait créé, dans les années 1950, Le parti d’en rire, un parti politique humoristique qui avait donné lieu à une chanson célèbre sur la musique du Boléro de Ravel. Cet hymne parodique avait été repris ensuite avec succès par les 4 Barbus.

    En compagnie d’amis et de sa fratrie, l’animateur de la troupe, Joseph Darantière, a écrit une comédie inédite qui illustre les arcanes de la politique actuelle et les tractations menées en coulisse pour de prochaines élections : Le discours du président.

    Par-delà le simple désir d’amuser, l’auteur de la pièce, après une mission humanitaire auprès de la fondation Martin de Porres, en Colombie, s’est engagé à récolter des fonds destinés à achever le développement d’une école, à Anolaima, dans le département de Cundinamarca. Les enfants démunis y reçoivent une bonne formation scolaire, adaptée à leur environnement naturel. Les fonds servent aussi à parrainer un enfant dont la famille ne peut assurer les frais de scolarité.

    On pourra donc se rencontrer de façon conviviale pour encourager ces jeunes comédiens qui choisissent l’humour corrosif et allègre plutôt que la pensée correcte et morose qui affecte la jeunesse germanopratine.

    Mise en scène de François-Xavier Joyeux, avec Anne-Laure de Reviers ; Marie Verny ; Marie-Ange Darantière ; Thérèse Darantière ; Michel Darantière ; Joseph Darantière, Victor Carpentier, Paul-Louis de Roincé, Philippe Huten, Côme de Vannoise et Hugues Lefer.

    Théâtre Le Passage Vers les Etoiles,
    17, Cité Joly Paris 11ème
    Le vendredi 8, samedi 9, mardi 12, mercredi 13 et jeudi 14 avril à 20h.
    Téléphone : 09 50 00 60 17
    passageversetoiles@free.fr
    Pour vos réservations en direct : http://lepartidenrire.com/reservations/
    Pour les contacter : denrireleparti@gmail.com
    Pour en savoir plus sur l’association : http://lepartidenrire.com/ 

     

  • Après deux ans aujourd'hui, présence de Jean-François Mattéi

    Jean-François Mattéi chez Charles Maurras parle du Chemin de Paradis
     
     
    Jean-François Mattéi nous a quittés le 24 mars 2014. Deux années ont passé.
     
    Grand philosophe, d'une culture immense mais d'une simplicité et d'une urbanité rares, Jean-François Mattéi connaissait bien Lafautearousseau, il l'appréciait, le lisait, et y écrivit volontiers.
     
    C'est le mardi 23 mai 2013 que lafautearousseau publia le premier article que lui donna Jean-François Mattéi, traitant d'un sujet qu'il connaissait bien et qui lui tenait à coeur, la théorie du genre... On pourra s'y reporter. [Le Père Goriot et la Mère Vauquer]. D'autres textes suivirent, dont un intéressant échange avec Pierre de Meuse sur le statut de l'universel. Et Jean-François Mattei est intervenu à maintes reprises dans nos cafés politiques à Marseille et Aix en Provence et en de multiples autres occasions : colloques à Paris, aux Baux de Provence, soirées du 21 janvier à Marseille, hommage à Maurras à Martigues, etc. On en trouvera de nombreuses traces dans nos vidéos. De même dans nos grands textes* qui ont publié de larges extraits [25 au total] de son important ouvrage Le regard vide - Essai sur l'épuisement de la Culture européenne.

    Le 4 février 2014, à peine plus d'un mois avant de nous quitter, Jean-François Mattei avait donné au Café actualité d'Aix en Provence, une conférence qui fut sans-doute l'une de ses dernières interventions publiques en même temps que l'une des plus brillantes où, à travers son diagnostic sur la crise des fondements de notre civilisation, se trouve remarquablement exposée sa conception de l'ordre des cités, des sociétés et de la civilisation en général. On l'écoutera avec profit et, pour ceux qui ont connu Jean-François Mattei, avec émotion.  

     

     

     

    * Grands Textes et Le regard vide, par Jean-François Mattei 

    Voir aussi l'éphéméride de ce jour

    et

    Décès de Jean-François Mattéi : par dessus tout, une perte pour la pensée française

  • Vidéo - Événement : l’arrivée de l’anneau de Jeanne d’Arc au Puy du Fou !

     

    Boulevard Voltaire était au Puy du Fou dimanche 20 mars pour assister au retour de l’anneau de Jeanne d’Arc en France…

    Regardez ce reportage extraordinaire et écoutez l’émotion des Français qui témoignent de leur amour pour sainte Jeanne !

     

     10 minutes

    Merci à Boulevard Voltaire de notre part, nous qui célèbrerons Jeanne d'Arc, le dimanche 8 mai prochain et qui n'oublions pas que la Fête Nationale de Jeanne d'Arc fut instituée [10 juillet 1920) gâce aux campagnes de l'Action française et des Camelots du Roi. Remerciements surtout et gratitude envers Philippe de Villiers et le Puy du Fou. 

    Boulevard Voltaire

     

  • Livres • Pierre Boutang, entre Dieu et le Roi

     

    Rémi Soulié a donné au Figaro Magazine - qui vient de paraître - l'intéressante recension qui suit du gros volume que Stéphane Giocanti publie sur Pierre Boutang, chez Flammarion. Rappelons que Boutang fut et demeure l'un de nos maîtres dont l'œuvre est pour nous des plus essentielles. Rappelons aussi qu'il eut parmi ses étudiants le prince Jean de France, héritier, après son père, de la tradition monarchique française. LFAR 

     

    Philosophe, métaphysicien, poète et traducteur, mais aussi journaliste, essayiste et militant politique, le catholique et royaliste Pierre Boutang fut un penseur hors normes. La biographie que lui consacre Stéphane Giocanti fait revivre ce personnage méconnu.


    A lire la très belle biographie que Stéphane Giocanti consacre au philosophe Pierre Boutang (1916-1998), la tentation est grande de suivre parallèlement la trame de cette vie si riche et féconde à travers le roman autobiographique que Boûtang publia en 1976, Le Purgatoire, qui s'organise en plusieurs « chants » consacrés à des péchés capitaux dont la « superbe », la luxure et la colère. Orgueilleux, sulfureux, colérique, certes, mais aussi prodigieux et génial Boutang que la célébration du centenaire de sa naissance, il faut l'espérer, contribuera à faire découvrir à une nouvelle génération de jeunes gens.

    Issus du lieu-dit Las Botanias (le lieu des barriques), dans l'arrondissement de Brive, les Boutang sont enracinés de longue date en Limousin, mais c'est à Saint-Etienne, dans un milieu modeste, que naît, le 20 septembre 1916, Pierre Boutang de... Pierre Boutang et Marion Ruo-Berchera. Il n'est pas exagéré de dire que la relation passionnée qu'il entretint avec son père, « chouan forézien au tempérament entier », note Giocanti, détermina à jamais l'essentiel de sa pensée : cette « paternité édifiante et complète donnera à Boutang l'impression d'avoir perçu l'idée du père, et de lui-même comme fils, bien avant de concevoir l'idée d'homme. » Et le père, monarchiste, lui apprend à lire dans L'Action française. Dieu et le roi, théologie et politique : tel est le socle à partir duquel s'élèvera une réflexion exigeante et érudite, jusqu'à l'hermétisme parfois, au point que la poésie et la prière en seront les exutoires naturel et surnaturel.

    Elève de Vladimir Jankélévitch et de Jean Wahl, le brillant khâgneux intègre l'ENS de la rue d'Ulm d'où il sortira agrégé de philosophie.

    En 1934, il rencontre pour la première fois celui dont il sera le disciple et, dans une certaine mesure, le réformateur : Charles Maurras. Deux ans plus tard, il épouse Marie-Claire Cangue, normalienne et agrégée de lettres classiques, qui lui donnera six enfants. Malgré les nombreuses passions amoureuses qui traverseront sa vie, dont celle qu'il connut avec la romancière Béatrix Beck — qui relatera leur relation dans un roman au titre éloquent, Don Juan des forêts — leur union restera indissoluble.

    Maréchaliste, un temps membre du cabinet Giraud, antinazi radical, Boutang est pourtant chassé de l'Université à la Libération. Journaliste, il dirige Paroles françaises, écrit dans Aspects de la France et devient l'un des piliers de la droite littéraire parisienne, de cette « droite buissonnière » si subtilement décrite par le critique Pol Vandromme. Ses amis s'appellent Roger Nimier, Antoine Blondin, Michel Déon, Kléber Haedens, Philippe Ariès, Raoul Girardet, François Sentein., Marcel Jouhandeau...

    En 1955, il fonde l'hebdomadaire La Nation française, dont le tirage s'élèvera en moyenne à 20 000 exemplaires et où s'esquisse son rapprochement avec le général de Gaulle, qui sera effectif mais « conditionné » après la guerre d'Algérie.

    En 1967, sa réintégration universitaire est acquise — il succédera à Lévinas comme titulaire de la chaire de métaphysique à la Sorbonne. En « vil pamphlétaire », Boutang s'insurge contre le règne de l'argent, traduit Platon et Chesterton, lit comme nul autre avant lui Maurice Scève, La Fontaine, William Blake et Karin Pozzi, développe une théorie du pouvoir légitime et une Ontologie du secret saluée par George Steiner comme l'un des « maîtres-textes métaphysiques » du siècle. Ses nombreux élèves, étudiants et disciples sont tous fascinés par cet «ogre », par ce « géant » dont la mort en 1998, ne mit un terme, à leurs yeux, ni au rayonnement ni à la séduction. « Boutang est un homme de la Renaissance, écrit Giocanti, tant par sa vitalité, son érudition, la virulence de son Eros et l'ardeur de ses combats que par son inquiétude métaphysique, sa mélancolie, et les consolations qu'il demande en permanence à la poésie. »

    Suivez le condottiere ! 

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    Pierre Boutang,

    de Stéphane Giocanti, Flammarion, 460 p., 28 C. 

     

    BOUTANG EN CINQ DATES

    1916 Naissance à Saint-Etienne.

    1973 Ontologie du secret

    1979 Apocalypse du désir.

    1984 Maurras. La destinée et l'oeuve.

    1990 Mort à Saint-Germain-en-Laye

  • Histoire & Actualité • La date maudite du 19 mars 1962

     

    par Jean Monneret

     

    Le 18 mars 1962, les négociateurs d’Evian signaient un accord de cessez-le-feu entre l’armée française et le FLN qui dirigeait la rébellion indépendantiste. Le texte était accompagné de « déclarations gouvernementales » censées garantir la sécurité des Européens présents en Algérie, comme de ceux, de toutes origines, qui s’étaient opposés au FLN. Les harkis (1), supplétifs de l’armée française n’étaient pas mentionnés. La promesse, toute verbale, du FLN qu’il n’y aurait pas de représailles contre eux, fut jugée suffisante par L. Joxe. (2)

    Le texte d’Evian fut publié le 19 mars 1962. Depuis, certaines organisations « anticolonialistes » considèrent cette date comme celle de la fin de la guerre d’Algérie. Or, loin que le conflit s’apaisât, le 19 mars ouvrit une période de violences sans précédent.Il en fut ainsi non seulement jusqu’au 3 juillet, lorsque Paris reconnut l’indépendance de l’Algérie, mais jusqu’à l’automne 1962 et au-delà.

    Les victimes musulmanes du FLN furent probablement plus nombreuses durant ces six mois qu’elles ne l’avaient été durant les huit années précédentes. Le nombre des Pieds-Noirs enlevés quintupla (3), contraignant l’immense majorité d’entre eux à un exil définitif résultant d’une épuration ethnique pure et simple. Ajoutons que durant ce semestre abominable, nombre de militaires français furent tués ou enlevés ; 177 d’entre eux demeurent portés disparus à ce jour (chiffre provisoire sans doute inférieur à la réalité). 

    Donner la date du 19 mars à des places, à des rues, à des ponts (prochainement à Toulouse), fêter cette journée, prétendre y voir la fin du conflit algérien, est donc une insulte à toutes les victimes de cette époque, un outrage à l’Armée française, un défi au sens national le plus élémentaire et une injustice criante.

    En effet, contrairement à ce qui s’affirme parfois avec légèreté, le FLN représenté par Krim Belkacem , à l’époque homme fort de ce mouvement, a bien signé et paraphé les accords d’Evian. Cette organisation a donc délibérément violé le texte auquel elle avait souscrit (et qu’elle négocia durement). Elle a donc totalement engagé sa responsabilité morale et matérielle dans ce qui suivit. La participation ouverte de ses commandos, de son armée et de ses militants aux enlèvements massifs et aux exécutions durant les neuf mois postérieurs au 19 mars devrait inspirer une condamnation unanime. Ce n’est pas le cas, ce qui illustre le relativisme troublant de l’idéologie des droits de l’homme, devenue le fondement de l’univers occidental actuel. L’opprobre ne devrait d’ailleurs pas épargner certains responsables politiques français de l’époque.

    Dès le 17 avril 1962, l’encre d’Evian étant à peine sèche, le FLN inaugura le terrorisme silencieux, les enlèvements massifs d’Européens à Alger, à Oran, dans la campagne oranaise et en Mitidja. Ces rapts prenaient pour prétexte : la lutte contre l’Organisation Armée Secrète (OAS). (5) Après l’échec du putsch des généraux en avril 1961, les partisans de l’Algérie française avaient en effet rejoint cette organisation clandestine qui refusait ledit cessez-le-feu.

    Les « anticolonialistes » qui donnent le ton aujourd’hui dans les médias et les milieux officiels font de l’OAS la responsable de l’échec d’Evian et de l’exil des Pieds-Noirs. C’est un procédé commode mais peu honnête. L’organisation secrète, en fin de course, en juin 1962 n’avait plus ni stratégie, ni tactique. Il en résulta des dérives diverses et une confusion chaotique terminées par une (pseudo) négociation avec le FLN. (6) A ce stade, l’OAS menaça de pratiquer la « terre brûlée ». Des historiens de pacotille lui imputent cette politique depuis sa naissance, alors qu’elle ne dura qu’une semaine.

    L’histoire de l’OAS s’étend sur seize mois, de mars 1961 à juin 1962. Quelles que furent ses errances finales, indéniables , en faire le bouc-émissaire de tous les échecs ultimes des autorités françaises n’est qu’une manière peu subtile d’exonérer le pouvoir d’alors et de blanchir le FLN de ses crimes vis-à-vis de l’Algérie, des harkis et des Pieds-Noirs.

    Car après le ratissage de Bab-el-Oued, ces derniers subirent aussi la fusillade du 26 mars 1962 rue d’Isly (7), puis la longue succession des crimes des nouveaux maîtres du pays. Un exemple en donnera une idée : en mai 1962 ,272 Européens furent enlevés en Alger contre 44 en avril. A la fin du mois de juin, on évaluait à près de 1000 les victimes européennes de rapts dans la seule capitale.A partir du 17 juin, à la suite d’un accord FLN-OAS, les enlèvements ralentirent. Ils reprirent de plus belle après le 3 juillet, date de la proclamation de l’indépendance. Deux jours après, le 5 juillet à Oran, une manifestation venue des quartiers musulmans submergea le centre-ville européen. Quelque 700 Pieds-Noirs et une centaine de Musulmans (sans doute pro-français) furent massacrés.(8) Ceci accentua l’exode et le rendit irréversible.

    Les victimes les plus nombreuses se situent toutefois parmi les Musulmans. Dès la signature des accords du 19 mars, des harkis furent attaqués à Saint-Denis.A Saïda, des membres du commando Georges furent enlevés et tués par l’organisation indépendantiste alors même que plusieurs d’entre eux étaient des officiers français. Après le 3 juillet, les représailles contre les Musulmans ayant combattu le FLN s’intensifièrent. Des dizaines de milliers furent assassinés, emprisonnés ou persécutés de diverses manières. (9) Quelque 90000 harkis, familles comprises, furent transférés en France grâce à l’action clandestine de quelques officiers. Les autorités militaires, tout en signalant les épreuves subies par nos compatriotes musulmans, n’en relayèrent pas moins des recommandations insistantes et répétées de ne pas les faire venir en France. Ces faits largement établis historiquement n’en sont pas moins dissimulés voire niés aujourd’hui par quelques chercheurs « engagés ».Ceux qui ont vécu les événements de ce vilain temps en sont marqués à jamais. La date du 19 mars 1962 demeurera celle d’une ineffaçable duperie. 

    1. Harkis : supplétifs mobiles de l’armée française. Par extension, tout Musulman ayant combattu le FLN.
    2. Ministre d’Etat chargé des affaires algériennes, dirigeait la délégation française à Evian.
    3. JJ Jordi, Un silence d’état. Soteca, 2011, p. 155, chiffre à 300 les Européens disparus avant le 19 mars et à 1253 après. S’y ajoutent 123 personnes dont les corps furent retrouvés et 170 cas incertains.
    4. A ce jour, le gouvernement français a refusé d’ouvrir ces archives concernant ces militaires disparus. Seuls les civils ont été étudiés.
    5. M. Faivre, Les archives inédites de la politique algérienne, ed. L’Harmattan 2001. Vers la Paix en Algérie, collectif, ed. Bruylant, Bruxelles 2003. Les pages signées y sont reproduites.
    6. L’OAS fut créée à Madrid le 10 février 1961 et devint active en mars et surtout à l’automne suivant. Le FLN et ses séides prétendent aujourd’hui que les enlèvements ciblaient des militants de l’OAS. Dans La Phase Finale de la Guerre d’Algérie (ed. L’Harmattan, 2011) nous avons montré que les rapts pouvaient toucher aveuglément n’importe quel Européen.
    7. Voir notre ouvrage : Une Ténébreuse Affaire : La Fusillade du 26 mars 1962 (ed. L’Harmattan, 2009).
    8. Jordi, op.cité, p.155.
    9. M.Faivre, Les combattants musulmans de l’Armée française, ed. L’Harmattan, 1995.

     
     
  • Société • Grossièreté des politiques : SOS Education écrit à « la » ministre ... Bravo !



    logo_sos copie.jpg« Madame la ministre,


    Mes élèves à moi apprennent à dire "wesh", "nique", "encule", "salope" dès le primaire.

    Mes élèves à moi grandissent très souvent dans des familles où les parents ne parlent pas français, et où le summum de la réussite consiste à passer manager chez KFC.

    Mes élèves à moi n'écoutent pas Boris Vian et Desproges, ignorent l'existence de Bach et Mahler. Mes élèves à moi n'ont droit qu'à Booba, La Fouine, Orelsan et Gradur.

    Mes élèves à moi doivent passer dix minutes sur chaque vers de Du Bellay pour espérer comprendre quelque chose. Parce que leur référentiel principal, c'est Nabila et Touche pas à mon poste.

    Mes élèves à moi poussent dans un environnement où les filles doivent dès la 6eme s'habiller et se comporter en bonhommes, ou se voiler, si elles veulent avoir la paix.

    Mes élèves à moi découvrent le porno bien avant d'avoir la chance de rencontrer Balzac.

    Nos élèves, madame la ministre, comprennent que s'ils veulent s'en sortir, accéder aux postes que leurs talents et un travail acharné leur feraient mériter, ils doivent d'abord se défaire de leur codes vestimentaires et langagiers, découvrir les pronoms relatifs, atteindre le pluriel et le passé simple, se reposer sur le subjonctif. Ils savent, croyez-moi, madame, que si je m'escrime à leur faire répéter dix fois une phrase avec la bonne syntaxe et le ton juste, c'est parce que je refuse que nos lâchetés et nos faiblesses fassent d'eux ce que la société imagine et entretient : des racailles, des jeunes privés d'avenir car privés d'exigences, de langue, de style, de beauté, de sens, enfin.

    Nous luttons quotidiennement au milieu de nos gosses de REP et REP+ contre les « salope ! », « sale chien ! », « tu m'fous les seum !». Nous luttons pour leur donner une noble vision d'eux-mêmes quand tout pousse au contraire à faire d'eux des êtres hagards, décérébrés, violents. Nous tentons de leur transmettre le Verbe, dans un monde qui ne leur offre qu'Hanouna et Ribéry. Nous ne passons pas nos journées à jouer les thuriféraires de la pensée unique, rue de Grenelle, nous. Nous ne nous faisons pas de courbettes entre deux numéros de cirque à l'Assemblée Nationale. Nous avons les pieds dans la boue, une boue qui nous donne quelquefois la nausée, tant nous sommes seuls, et isolés, et décriés, tant notre tâche paraît ridicule et vaine.

    Quand donc, à la radio, madame la ministre, vous lâchez votre « bruit de chiottes », en bonne petite bourge qui ne voudrait pas avoir trop l'air d'être loin du petit peuple, qui ne voudrait surtout pas faire le jeu de cet abominable élitisme dont tout le monde sait que notre société crève, n'est-ce pas, quand donc vous vous soulagez verbalement, ce n'est pas tant votre fonction que vous abîmez : c'est notre travail auprès des élèves, nos mois d'épuisement et leur espoir, nos années de travail et leurs efforts, nos séances passées à essayer de leur dire que ce n'est pas parce que ce monde-ci est laid qu'il faut lui ressembler.

    Vous avez réussi, en quelques mois, à démontrer avec éclat votre conformisme, votre arrogance, votre paresse intellectuelle. Nous n'ignorions rien de tout cela. Désormais, nous savons que vous êtes aussi vulgaire. On ne vous mettra pas de 0/20, puisque vous avez aussi décidé que l'évaluation, c'était mal, péché, Sheitan, vilainpasbeau. Vous aurez simplement gagné le mépris absolu de milliers d'enseignants qui bien souvent, eux aussi, quand ils sont un peu à bout, aimeraient en lâcher une bonne grosse bien vulgaire, en classe, mais se retiennent, par souci d'exemplarité. »

    Je crois que l'on ne saurait mieux dire... n'hésitez pas à faire suivre ce message à vos amis ! 


    Claire Polin
    Présidente de SOS Éducation 

    [Merci à Jean-Louis Faure] 

  • Livres • A propos de la Grande Guerre

     

    par CS 

     

    DeGaulle.jpgDe Gaulle ou la possible reddition

    Et si cette blessure était la plus intime du général de Gaulle et qu’il avait eu du mal à l’accepter ? La blessure ? Sa capture par les Allemands lors de la bataille de Verdun le 2 mars 1916, alors qu’il se trouve près du Fort de Douaumont à la tête de ses hommes. Est-ce une capture ou bien une reddition ? L’auteur ne tranche pas. Il essaie de reconstituer le fil des événements. Il essaie de savoir ce qui s’est passé. Comme certains supposent, le Capitaine De Gaulle, appartenant alors à la 10e Compagnie du 33e Régiment d’Infanterie a-t-il hissé le drapeau blanc ? Ou bien cette capture est-elle consécutive à un combat féroce auquel le futur chef de l’Etat aurait été blessé ?

    Le Général lui-même s’est expliqué sur cet épisode qui s’est passé pendant l’enfer de Verdun (plus de 300 000 morts) et qui lui a valu 50 mois de captivité dans différents oflags. Il n’en a tiré aucune gloire et a même cru, pendant un moment, que sa carrière en serait brisée. Toujours est-il que cette captivité lui a permis de lire, d’écrire, de structurer sa pensée et ainsi de devenir l’un des protégés du maréchal Pétain avec lequel il prendra ses distances pour une distance de droit d’auteur. Une distance qui prendra des allures de rupture

    A travers ce livre bien documenté, l’ancien journaliste Jean-Baptiste Ferracci, tord le cou à quelques fausses idées, notamment celle qui veut que Philippe De Gaulle ait eu Philippe Pétain comme parrain, même si l’hommage du capitaine au Maréchal est évident. Il ouvre surtout un débat qui n’est pas près de se refermer. Un ouvrage fouillé, intéressant et parfois troublant. 

    De la capture à Verdun à la rupture avec Pétain / Une autre histoire de Charles de Gaulle. Jean-Baptiste Ferracci, éditions de Paris, 130 pages, 18 euros.

    Poilus.jpgBouquin Poilus

    Roselyne Bachelot, Dominique de Villepin, Michel Rocard, Jean-Yves Le Drian et certainement bien d’autres hommes et femmes politiques doivent leur engagement dans la vie publique à la Première Guerre mondiale. Car la plupart d’entre eux ont connu leurs grands-pères, ces Poilus qui ont fait la Marne, Verdun, les Dardanelles, le Chemin des Dames. Tous ou presque ont vu leur enfance bercée par ces récits de guerre, ces histoires souvent terribles et tout aussi souvent tues qui ont forgé leurs convictions.

    C’est à une véritable enquête que se sont livrés les deux journalistes, Caroline Fontaine et Laurent Valdiguié, réussissant le tour de force de faire replonger certains de ces puissants gouvernants dans les archives de leur famille, quitte à ce qu’elles découvrent la vérité sur des secrets bien gardés. C’est le cas de l’actuel ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian dont un des grands-pères est « mort de boisson » mais qui s’est révélé être un valeureux soldat. Tout aussi inattendue est l’histoire d’un des deux grands-pères de Michel Rocard qui a croisé le chemin d’Hermann Goering. Plus cruelle et compréhensible est celle d’un des aïeux de Cécile Duflot (son arrière-grand-père) qui répétait souvent : « Au cul ! Vous pouvez vous les foutres au cul les médailles ». Une certitude : tous ceux qui ont répondu aux demandes des auteurs sont fiers de leurs ancêtres et reprennent leur héritage à leur compte. Nous voilà rassurés. 

    Mon grand-père était un
 poilu – Caroline Fontaine et Laurent Valdiguié, éditions Tallandier, 240 pages, 18,90 euros.

  • Littérature • Rendez-nous les Hussards ! Une certaine idée de la France

    Antoine Blondin et Jacques Laurent (Photos : SIPA)


    Ils avaient la fronde chevillée au stylo-plume et ils vont refaire parler d'eux en cette année 2016, selon  Thomas Morales, dans cette excellente chronique - que nous avons aimée - parue dans Causeur [06.03]. Pour ceux qui n'ignorent pas leur filiation, littéraire et en quelque façon politique, l'évocation des hussards nous rappelle aussi les maîtres de notre esprit et de notre goût. L'expression est de Charles Maurras.  LFAR

     

    thomas morales.pngNous entrons dans une ère de commémorations intensives. En 2016, nous fêtons Verdun mais aussi les 25 ans de la disparition d’Antoine Blondin (1922-1991) et d’André Fraigneau (1905-1991), Kléber Haedens (1913-1976) nous a quittés voilà quarante ans, les éditions de la Thébaïde ressortent vingt-six ans près L’Orange de Malte du camarade Jérôme Leroy et Finkie a fait l’éloge de Félicien Marceau à l’Académie. Les Hussards vivants ou morts, ce grand fourre-tout idéologique, cette famille recomposée où les individualités seront toujours plus fortes que le groupe, ont le vent en poupe. Le 3e Prix des Hussards sera même décerné courant mars par un jury aussi hétéroclite que tonique.

    La droite buissonnière bruisse d’impatience de célébrer ses écrivains chéris. Les vieux anars ne sont pas mécontents de voir, à nouveau, tous ces auteurs réprouvés pointer le bout de leur nez dans les rayonnages. Il paraîtrait même que de vrais cocos frappés au marteau et à la faucille jubilent intérieurement. Lassés par la théorie du genre et la macronisation de l’économie, ils gardent un assez bon souvenir de leurs lectures jadis interdites. Excepté Roger Vailland, la littérature rouge des années 50 était plutôt glaçante, voire carrément emmerdante. Si les odes au camarade Staline ne font plus recette, les mots d’Antoine Blondin, de Roger Nimier ou de Jacques Laurent ramassent toujours la mise au comptoir et dans le boudoir. Comme dirait Audiard, le prix s’oublie, la qualité reste. Seuls les libraires trouvent cette renaissance quelque peu nauséabonde car les stylistes pensent mal et se vendent encore plus mal.

    Foutraque et enivrant

    Nos champions de l’irrévérence n’ont jamais été solidaires de personne. L’humanisme et la bien-pensance leur donnent la nausée, les politiques la colique et les professeurs des aigreurs d’estomac. Toute leur vie, ils auront été d’insupportables réfractaires. Les manuels scolaires ont fini par carrément les effacer de l’histoire littéraire. De la mauvaise herbe à faucher mais qui a tendance à repousser à chaque génération. Le plaisir de lecture se niche dans ce chiendent-là. Un point commun rassemble pourtant tous ces énergumènes non-encartés et non-alignés. Au-delà de la variété de leur style, chacun s’exprimant selon son propre tempo, ils écrivent ou écrivaient tous dans un français gouleyant. De nos jours, une telle prouesse est considérée comme suspecte. En trente ans, l’université a seulement réussi à déconstruire la phrase. On l’a compris, la mauvaise réputation des Hussards, les originels comme les « néo » des années 80, tient en partie à leur positionnement politique brouillon. Car qu’ils soient de gauche, de droite ou des extrêmes, ils ont la fronde chevillée au stylo-plume. On leur dit de marcher droit, ils titubent. Nos diplômés du dernier rang sont en fait à l’image de notre pays. Foutraque et enivrant. En 1975, trois d’entre eux avaient collaboré à un beau livre intitulé La France que j’aime aux Editions Sun.

    Cette histoire vagabonde de notre pays était présentée par Kléber Haedens, légendée par Antoine Blondin et racontée par Cécil Saint-Laurent. Nos trois athlètes de la géographie déployaient des trésors d’inventivité et d’érudition pour faire aimer notre nation. Dans sa préface, Kléber annonçait la couleur : « Beaucoup de Français portent en eux une France à la fois réelle et imaginaire, décrassée des impuretés de la vie, dure et brillante, dorée par le feu de l’Histoire ». Cécil Saint-Laurent enfonçait le clou : « Dépêchez-vous, touristes, de profiter de la France. Car sans le savoir, ce que vous aimez en elle c’est qu’elle tienne son unité de couleur d’une diversité de nuances. Ce merveilleux naturel est en péril. Il est absolument contraire aux normes du monde actuel ». Ces affreux jojos qui passaient pour des réacs étaient les enlumineurs de notre territoire. Et puis, Antoine Blondin, de sa gloriole flamboyante venait dégoupiller quelques formules pétillantes : « Les villes et les villages de la Bourgogne centrale sont coiffés de velours côtelé » ou « En Normandie, les hommes et les chevaux se tiennent par le bras à tous les âges de la vie ». Cette poésie du verbe nous manque cruellement.   

    Thomas Morales
    est journaliste et écrivain

     

    Chez les bouquinistes :

    La France que j’aime de Haedens, Blondin et Saint-Laurent aux Editions Sun.

    L’Orange de Malte de Jérôme Leroy (préface de Sébastien Lapaque et lettre inédite de Michel Mohrt à l’auteur). Aux éditions de la Thébaïde.

  • Littérature & Société • Le salut par la disgrâce ... C’était écrit

     

    par Jérôme Leroy
    Ecrivain et rédacteur en chef culture de Causeur

    A vrai dire, nous avons aimé ce dernier billet de Jérôme Leroy, paru dans Causeur [05.03]. Jérôme Leroy sait écrire (bien) et penser. Il ne nous est guère possible d'être toujours d'accord avec lui; avec, parfois telles de ses positions à notre avis scabreuses; mais toujours dignes d'attention. Bainville - qui s'y entendait - dit quelque part que le littéraire n'est pas celui qui est incessamment plongé dans les livres, mais celui qui porte toujours sur toutes choses son regard du point de vue de la littérature. C'est ainsi, nous semble-t-il, que Jérôme Leroy les envisage. Ici avec élégance, indulgence, style et pertinence. Il n'est pas toujours nécessaire d'être méchant. LFAR

     

    Jerome_Leroy0.jpgSi elle n'a pas lu Modiano, peut-être Fleur Pellerin a-t-elle parcouru Chateaubriand ? Le Vicomte a, en son temps, expérimenté la perte d'un ministère... 

    « Mon grand regret est d’avoir mal su expliquer ce que j’étais en train de faire à la tête de ce ministère », a déclaré Fleur Pellerin dans un entretien doux-amer accordé à L’Obs le 17 février, au lendemain de son renvoi. Comment pourrait-on la consoler ? Par la littérature, qui est le meilleur vulnéraire pour les blessures politiques. Elle qui déplorait, après l’incident Modiano, de ne pas avoir le temps de lire mais qui affirme dans ce même entretien avoir lu Joyce en anglais et Musil en allemand – ce qui vaut mieux que le contraire –, trouvera sans mal des auteurs qui feront écho à son infortune. Chateaubriand, par exemple, qui dans ses Mémoires d’outre-tombe, rappelle les circonstances de sa disgrâce.

    Nommé ministre des Affaires étrangères le 28 décembre 1822 après une brillante carrière diplomatique, il est débarqué sans ménagement le 4 août 1824, un ministère à peine plus long que celui de Fleur, rue de Valois. Fleur a été surprise : « Dire que je n’ai pas accusé le coup, que je n’ai pas été choquée par la nouvelle serait mentir. » Chateaubriand aussi : « Et pourtant, qu’avais-je fait ? Où étaient mes intrigues et mon ambition ? »

    Fleur l’a appris par un coup de téléphone tandis que c’est Hyacinthe le valet de l’écrivain, qui lui annonce qu’il n’est plus ministre. Le téléphone, c’est le valet d’aujourd’hui. Il lui remet un billet plus élégant néanmoins mais tout aussi violent que le tweet de l’Élysée annonçant le nouveau gouvernement : « Monsieur le Vicomte, j’obéis aux ordres du roi en transmettant de suite à votre Excellence une ordonnance que Sa Majesté vient de rendre. Le sieur Comte de Villèle, président de notre conseil des ministres, est chargé par intérim du portefeuille des affaires étrangères en remplacement du sieur Vicomte de Chateaubriand. »

    Bien sûr l’important, c’est l’après. Chateaubriand écrit : « On avait compté sur ma platitude, sur mes pleurnicheries, sur mon ambition de chien couchant, sur mon empressement à me déclarer moi-même coupable, à faire le pied de grue auprès de ceux qui m’avaient chassé : c’était mal me connaître. » Si Fleur assure, contrairement à ce qu’ont prétendu des malveillants, avoir évité elle aussi les « pleurnicheries », il n’est pas sûr qu’elle ne fasse pas le pied de grue : « Pour l’avenir, je n’exclus rien. Je ne peux pas imaginer une seconde ne pas jouer un rôle dans le destin de ce pays. » Chateaubriand, pour sa part, préféra ensuite tomber amoureux d’une jeunette et écrire des livres.

    Il a eu raison, chère Fleur : on se souvient plus de lui comme écrivain amoureux que comme ministre.

    Jérôme Leroy

  • Théâtre • Le grand retour de Jean Piat

     

    par Bruno Stéphane-Chambon

     

    image_Piece.2378.0x1200.jpgUne soirée au Bouffes-Parisiens nous prouve que l'art de la conversation n'est pas uniquement l'apanage de l'honnête homme du )(vine siècle. L'illustre sociétaire de la Comédie-Française, Jean Piat, nous conte sa carrière en rebondissant d'un souvenir à l'autre, en évoquant les grands acteurs que furent ses maîtres, ses nombreux partenaires et les grands auteurs dont Sacha Guitry. Piat est entré au conservatoire dans la classe de Béatrix Dussane à qui il porte une vénération filiale. Mis à la porte de cette institution de façon rocambolesque, il se présente toutefois à une audition à la Comédie Française où il est engagé immédiatement. La grande aventure commence. Le comédien nous fait revivre les grands moments de l'illustre théâtre. Devenu sociétaire le ier janvier 1953, il joue avec succès le Don César de Bazan, dans Ruy Blas. Mais la gloire l'attend, le 8 février 1964 : Jean Piat interprète le rôle de Cyrano de Bergerac, qu'il reprendra près de 40o fois !

    À la fin de ce périple, c'est le grand tournant, avec le Tournant, pièce de Françoise Dorin, qui marque son entrée dans le théâtre privé. Se remémorant le répertoire français, Jean Piat cite de nombreux extraits de ses grands rôles et, facétieusement, n'omet pas le monologue de Figaro dans le Mariage (Acte V, scène 3) : « Je broche une comédie dans les moeurs du sérail. Auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupule : à l'instant un envoyé. de je ne sais où se plaint que j'offense dans mes vers la Sublime-Porte, la Perse, une partie, de la presqu'île de l'Inde, toute l'Egypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d'Alger et de Maroc : et voilà ma comédie flambée, pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent l'omoplate, en nous disant : chiens de chrétiens... »

    On ne saurait manquer ce moment de grâce teinté d'humour, soutenu par un modulé vocal inimitable. Une soirée en conversation avec un aristocrate des planches. 

    Pièces d’Identité, de Jean Piat, mise en scène de Stéphane Hillel

    Théâtre des Bouffes-Parisiens, 4, Rue Monsigny, Paris 2ème

    Du vendredi au Samedi à 19h et le dimanche à 17h30 et certains jeudi selon disponibilités - Jusqu’au 30 avril 2016

    Réservations : 01 42 96 92 42 (places : 19€/41€).