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Idées, débats... - Page 473

  • LIVRES • Les racines du mal selon Georges Simenon

     

    par Lars Klawonn

    A ceux qui disent que le mal n’existe pas, que tout le monde est victime de son milieu ou de son passé, je conseille de lire L’Homme de Londres de Georges Simenon. Georges Simenon ? Cet éternel auteur de romans de gare ? Ce misanthrope au style d’écriture aussi glacial que la lame de rasoir ? Ce vieux réac ? Les imbéciles pensent ce qu’ils veulent. Pour ma part, je suis concerné par la vision aiguë du mal qui se dégage de ce roman paru en 1976.

    Pour Simenon, le mal est contagieux. Il se propage comme un virus. Maloin est un homme ordinaire, père de famille et aiguilleur de son état. Il mène une vie réglée, simple, rythmée par l’habitude. Or, une nuit de service, il devient le témoin d’un meurtre. Profitant de l’occasion qui se présente, il vole 540 000 F appartenant à l’homme tué et qu’il cache dans une armoire sur son lieu de travail. La tentation était trop grande pour lui. Maloin « frissonnait à l’idée d’être riche. ». Il ne réfléchit pas à ce qu’il fait. Le crime est une pulsion qui ne demande que d’être libérée et assouvie. Cependant le meurtrier est à ses trousses, le soupçonnant d’avoir mis la main sur l’argent. Maloin réussit à l’enfermer dans sa cabane. Lorsque le meurtrier l’attaque par derrière, il se défend. L’instinct de survie prenant le dessus sur sa peur, il finit par tuer son agresseur. Dans l’acte de Maloin, rien n’était prémédité alors que le meurtrier avait planifié son coup pour voler l’argent.

    En l’espace de quelques jours, un homme comme un autre, ni particulièrement malheureux ni particulièrement heureux, s’est transformé en voleur, puis en assassin. La cupidité, somnolente en nous tous, s’était éveillée en lui. « Il sentait bien qu’il n’était plus un homme comme les autres. Il avait franchi une frontière inconnue, sans pouvoir dire à quel moment cela s’était passé. » C’est cette frontière qui le sépare désormais des hommes.

    Plus tard, Maloin avoue tout à la police afin de soulager sa conscience. Il assume ses actes, dit la vérité et accepte le verdict avec fatalité. Quand on a fait le mal, on doit payer. Mais rien ne lui rendra son humanité. Le crime et l’aveu l’ont rendu calme. Beaucoup trop calme, et docile. Aussi docile qu’une mécanique d’horloge.

    Écrit dans un style descriptif et dépourvu d’explications psychologiques et sociales, l’Homme de Londres n’est pas qu’un objet de culture populaire, n’en déplaise aux anti-élitistes. Les universitaires « engagés », ceux même qui voient tout par le filtre de la politique, de la sociologie et de la psychologie, ne peuvent que considérer tout geste littéraire comme une chose monstrueuse car gratuite, généreuse et inutile. Leur haine du mystère est telle qu’ils doivent constamment se rassurer. Expliquer et se rassurer. Or le roman de Simenon ne rassure pas. C’est avant tout une profonde réflexion sur la nature du mal. 

    Journaliste culturel, collaborateur au journal La Nation (Lausanne), à la revue Choisir (Genève) et à la Nouvelle Revue Universelle. 

  • Le rôle historique des rois, d'Athènes à Paris

     La Galerie des Rois au portail de Notre-Dame

     

    Par Jean-Philippe Chauvin

     

    arton8470-7b8cd.jpgDans le cadre des cours de Seconde sur la citoyenneté et la démocratie dans l'Antiquité, j'évoque l'histoire politique d'Athènes, histoire passionnante et qui permet d'ouvrir encore de nombreux débats sur l'organisation de la cité, sur les institutions et sur les politiques menées ou possibles : de la monarchie de Cécrops, Égée ou Thésée, à la démocratie de Périclès, puis à la conquête de Philippe de Macédoine qui met un terme, non à l'histoire d'Athènes mais à son indépendance diplomatique et politique. Histoire passionnante et éminemment instructive, y compris pour notre temps ! 

    Quelques remarques ou réflexions d'élèves méritent l'attention et peuvent ouvrir à la discussion, et j'essaye de les compléter, parfois de les nuancer, voire les démentir. 

    L'an dernier, un élève avait comparé l'histoire politique d'Athènes à celle de la France, en faisant remarquer que, dans la cité grecque comme dans notre nation, les rois avaient joué un rôle historique qui était celui de fondation et d'unification de l'ensemble civique national, et, qu'une fois cette tâche achevée, ils s’effaçaient devant d'autres formes de régime, de l'oligarchie à la démocratie, voire à une monocratie impériale ou républicaine. La remarque est intéressante même si, au regard d'un royaliste contemporain, elle peut paraître pécher par pessimisme pour la France d'aujourd'hui qui serait ainsi condamnée à la République à perpétuité ou à la perte de souveraineté inévitable. 

    Ce que je veux retenir, c’est ce rôle reconnu de la monarchie, d’Athènes à Paris : elle fonde autour de l’Etat, par l’Etat ajouteraient certains, la nation ou, plutôt, elle lui « permet d’exister », comme le souligne Gérard Leclerc dans un numéro des Cahiers de Royaliste d’octobre 1981. Si « l’Etat n’a pas de pouvoir ontogénique » (qui fait naître l’être) », selon le philosophe catholique Claude Bruaire (1932-1986), il « est la condition indispensable de l’apparition, de la persistance et du développement (…) de la nation, de la patrie et de notre être spirituel ». Ainsi, « L’Etat a un rôle prépondérant. Toute l’histoire de France est là pour nous le montrer. Sans la monarchie capétienne, il n’y aurait pas eu de France. Ce n’est pas l’Etat capétien qui fabrique la terre de France, qui fait les Français ou qui crée la langue française, mais c’est lui qui permet que tout cela s’épanouisse. » 

    Mais, comme à Athènes, c’est ensuite que cela peut paraître se gâter : les rois écartés, la cité est tentée par l’impérialisme, par cette sorte de fuite en avant vers la démesure politique comme territoriale. 

    Le principe royal, fondé sur le devoir, le service et la tempérance, ne serait-ce que pour permettre la survie de la dynastie (un « égoïsme familial » salvateur…), limitait les velléités bellicistes sans pour autant s’interdire de pratiquer la conquête quand elle pouvait servir l’ensemble national ou le protéger des appétits limitrophes. En ce sens, le règne de Louis XV peut sembler « conclure » l’effort commencé huit siècles auparavant, achevant l’hexagone français par la Lorraine (Napoléon III y adjoindra Nice et la Savoie un siècle plus tard), et laissant à son successeur une France que la Révolution et son « soldat » Napoléon épuiseront sans l’agrandir durablement, ces derniers mimant la grenouille qui se voulait aussi grosse que le bœuf de la fable de La Fontaine, avec les résultats malheureux que l’on sait. 

    Charles Maurras, l’esprit encore embué de quelques sentiments républicains au début des années 1890, avait définitivement déserté le camp de la Démocratie avec un grand D en se rendant à Athènes, à l’occasion des premiers jeux olympiques depuis l’Antiquité, et en constatant que le règne du Démos était « la consommation » des siècles précédents, de leurs efforts et de leurs richesses accumulées… Il est vrai que les citoyens libres d’Athènes n’ont pas toujours été à la hauteur, aveuglés par une puissance dont ils avaient héritée plus qu’ils ne l’avaient créée ! Cela se terminera mal, par une série de guerres qui, en définitive, entraîneront la ruine, puis la soumission de la cité à des conquérants plus forts qu’elle… La France, après la chute de la monarchie, connaîtra elle aussi, moins d’un quart de siècle après le 10 août, l’humiliation de la défaite et de l’occupation étrangère, les chevaux russes se désaltérant dans la Seine, avant que les Prussiens de l’empereur Guillaume Ier et les Allemands du IIIème Reich ne leur succèdent… Et il n’est pas certain que notre pays se soit vraiment remis du choc de la Révolution, recherchant désespérément, parfois sans se l’avouer, la « figure du roi » (ce qu’a bien compris Emmanuel Macron) à travers des présidents de moins en moins « monarchiques », en attendant (qui sait ?) « le roi » lui-même : retour vers le futur, d’une certaine manière ? 

    Le temps des rois est passé, et la France est faite, la Révolution ne pouvant être française que parce que la France lui préexistait, justement ! Mais, en ces temps de triste République, les rois ne sont pas dépassés : ils sont juste, pour l’instant, absents… et la France, du coup, semble en dormition, attendant le Prince qui la réveillera… L’histoire n’est pas finie, et la messe n’est pas dite ! 

    Le blog de Jean-Philippe Chauvin

     

  • LIVRES • Sébastien Lapaque : les indignés, les anarchistes et les déconstructeurs

     

    Sébastien Lapaque a lu pour le Figaro le dernier essai de Renaud Garcia « Le désert de la critique ». Il y a trouvé une passionnante déconstruction de la passion déconstructrice contemporaine. Il en résulte une chronique brillante, non-conformiste et par certains côtés, dérangeante, sur laquelle on peut débattre. Et qui nous a beaucoup intéressés. LFAR

     

    Sébastien_Lapaque.jpgPourquoi la gauche, malgré ses prétentions critiques face à l'Histoire, se montre-t-elle aujourd'hui incapable de penser le monde? A cette question déplaisante pour les grandes têtes molles du gauchisme culturel, il conviendrait d'en associer une seconde afin d'être complet. Pourquoi la droite, malgré ses prétentions patrimoniales, se montre-t-elle incapable de conserver le monde ? Les « mystères de la gauche » dont a merveilleusement parlé le philosophe Jean-Claude Michéa dans un « précis de décomposition » d'un genre un peu particulier s'appréhendent à la seule condition d'envisager en miroir ceux de la droite. Là, ceux qui ne sont plus capables de rien comprendre ; ici, ceux qui ne veulent plus rien sauver — surtout ceux qui en ont le plus besoin, à savoir ceux qui n'ont rien : les pauvres et le peuple. C'est cependant à la seule gauche postmoderne que s'en prend le philosophe Renaud Garcia dans Le Désert de la critique, déconstruction et politique (Editions l'Echappée). Un livre qui fera date, soyons en sûr, comme ont fait date Orwell anarchist tory (1995), L'enseignement de l'ignorance et ses conditions modernes (1999) et Impasse Adam Smith (2002) de Jean-Claude Michéa.

    Il n'a échappé à aucun de ceux qui prêtent un peu attention au mouvement des idées politiques dans la France contemporaine que c'était souvent parmi les héritiers du socialisme libertaire classique — celui de Pierre-Joseph Proudhon, de George Orwell et de Simone Weil — que se faisait entendre quelque chose de neuf. L'anarchisme, observe Renaud Garcia en préambule de son livre, est « l'un des seuls courants politiques contemporains connaissant, à gauche de l'éventail politique, une forme de renouveau depuis la chute du mur de Berlin ». Intellectuellement, c'est manifeste. Né en 1981, agrégé de philosophie, auteur d'une thèse sur le penseur russe Pierre Kropotkine, Renaud Garcia propose à ses lecteurs quelques clés essentielles pour comprendre l'impitoyable monde post-moderne tel qu'il va — et surtout tel qu'il ne va pas. Dans sa ligne de mire, la pensée de la déconstruction chère aux maîtres penseurs de la French theory, Michel Foucault, Jacques Derrida et Gilles Deleuze. Sans le voir, ces sceptiques de grand style ont consolidé les mécanismes d'aliénation contemporains. A force de vouloir tout déconstruire, les lois, les textes, le monde et la vie, leurs épigones se sont interdit de comprendre quoi que ce soit au mouvement du capitalisme total. Si le langage est fasciste, si la raison est fasciste, si l'idée d'universel est fasciste, quelles armes reste-t-il à la critique pour dénoncer la marchandise fétichisée, l'emprise technologique, l'indécence endémique et la généralisation de l'ennui dans les démocraties marchés ?

    L'attitude relativiste des radicaux à l'œuvre dans des mouvements tels que Anonymous, Occupy Wall Street ou Podemos, leur goût pour la marge et les minorités, leur disposition à l'insurrection existentielle permanente, leur glissement théorique d'une critique de l'« exploitation » à une critique de la « domination » en fait aujourd'hui les idiots utiles d'un capitalisme qui n'a pas fini d'accomplir de grands bonds en avant. A trop dériver de l'un vers le multiple, ils sont devenus « un peu sourd(s) à la question sociale », comme l'avoue merveilleusement le délicieux Bernard-Henri Lévy, qui s'est lui-même essayé à déconstruire l'universel à coups de marteau à l'époque des Nouveaux Philosophes. Renaud Garcia démontre avec force et conviction à quel point l'insistance sur les « différences » — de genre, de sexe, de race — est une ruse du Capital pour pouvoir continuer à manœuvrer et grandir dans un contexte d'accumulation illimitée que plus personne ne remet en cause. Le philosophe qui a lu et médité Günther Anders, Christopher Lasch et Guy Debord se désole de voir le lit fleuve néolibéral parsemé d'idées anarchistes devenues folles. Car ceux qui parlent de « Grande Révolution culturelle libéral-libertaire » voient juste. Au tréfonds du capitalisme, trépide une puissance de destruction qui méduse les anarchistes 2.0. convertis aux idéaux de la révolte « ludique et festive ».

    Pour sortir des chemins qui ne mènent nulle part dans lesquels est engagée la génération perdue des Indignés, Renaud Garcia propose de faire retour à l'idée de relation concrète — comme les non-conformistes des années 30 ou les chrétiens Jacques Ellul et Bernard Charbonneau en leur temps. « Bien qu'il s'avère de plus en plus difficile à effectuer dans le contexte du gigantisme des sociétés contemporaines, le recentrage sur ce qu'il y a d'immédiatement commun entre l'autre et moi-même reste un choix simple et à la portée de nos capacités. » Une proposition généreuse dont on ne saurait trop louer le caractère rafraîchissant, d'un point de vue intellectuel mais également, osons l'écrire ici, d'un point de vue spirituel. Penseur rare, Renaud Garcia est un « angry young man » un peu plus lucide que la plupart des enragés qui campent à la gauche de la gauche. A le lire, à le suivre, à l'entendre, on comprend que seule la vérité, seule l'essence des choses, seule la réalité, seule l'idée que « l'homme est un être dont la nature ne se construit que par les liens avec ses semblables » sont révolutionnaires.

    Peu de choses, dites-vous ? C'est un monde.

    Le désert de la critique - Déconstruction et politique - Renaud Garcia - Editions de l'échappée - 220 pages - 15 euros

     

    Sébastien Lapaque

  • SOCIETE • Denis Tillinac : L’envolée du Puy du Fou

    Philippe de Villiers au Puy du Fou. Les Russes s'intéressent de près à l'expérience...Photo © AFP 

    Preuve que le réenracinement est un besoin mondial, la “merveille” vendéenne s’exporte dans le monde entier. Et la Révolution n'en sort pas grandie. C'est ce que dit Tillinac qui voit dans l'aventure du Puy du fou un esprit de révolte et un espoir de relève. Relève du politique, hors du Système. Et d'une France réenracinée.  

    2594939590.jpgIl existe en France un château en ruine à la Walter Scott où l’on se dépayse tout en renouant avec sa patrie intime : le Puy du Fou. Deux millions de visiteurs s’y sont rendus cette année. C’est dans le bocage vendéen, loin de ma Corrèze où jadis un stagiaire de l’Ena à la préfecture, haut sur pattes, précédé d’un nez important, forçait la sympathie par sa jovialité et sa faconde : Philippe de Villiers. Il avait de l’allure, et de l’allant. Chirac qui régnait alors sur nos arpents lui prophétisait une carrière politique reluisante. Par le fait, il lui ouvrit les portes de son gouvernement.

    Mais on ne met pas une muselière à un loup : à peine intronisé dans le sérail, Villiers s’y sentit piégé et à l’étroit. Sa verve tourna à l’ironie la plus mordante ; il tirait à vue, et visait juste. Jugeant la classe politique peu vertébrée et insipide au possible, il le lui fit savoir en mots d’esprit colportés par une noria médiatique malveillante. Elle s’en offusqua. Vade retro, suppôt réac de la chouannerie ! Il se replia en Vendée où longtemps il régna en tsar autocrate, à la satisfaction des autochtones. Nul n’aura autant marqué son terroir — et le sien n’est pas ordinaire, il a subi dans sa chair les effets du premier génocide idéologique.

    Le mot “génocide” gêne aux entournures les historiens marxisants dans la lignée de Mathiez, Soboul et Lefebvre, mais les faits sont avérés : la Convention a bel et bien conçu l’extermination du peuple vendéen en rébellion spontanée contre un projet ouvertement totalitaire. Un historial implanté par Villiers en témoigne, et, par la grâce de Furet, le tabou a du plomb dans l’aile ; les Français commencent à savoir de quoi la Révolution se rendit coupable. Pour mieux enfoncer le clou mémoriel, Villiers a même invité le grand Soljenitsyne : il était bien placé pour percevoir le fil reliant Robespierre à Lénine et Brejnev.

    Mais avant de devenir député et président du conseil général de la Vendée, avant même d’entrer au gouvernement, Villiers avait démissionné de la fonction publique pour ne pas servir un gouvernement comprenant des ministres… communistes. Dans la foulée de ce choix audacieux mais cohérent, il créa ex nihilo le Puy du Fou sans faire les poches des contribuables. Entrepreneur et scénariste de son propre rêve, il a conçu autour des ruines un spectacle dont les acteurs étaient et sont encore des bénévoles du cru. Au fil des années, ce spectacle s’est étayé, les visiteurs ont afflué et, trente-huit ans après les débuts artisanaux, la Cinéscénie a été consacrée au plan mondial.

    J’ assistais l’autre samedi à la dernière représentation de l’année ; c’est une cavalcade grandiose dans une histoire de France tantôt tragique, tantôt aimablement champêtre avec des tableaux vivants qui évoquent les fêtes de Breughel. Par la même occasion, j’ai parcouru le parc d’attractions — « parc d’enracinement », dit Villiers à juste titre — pour y découvrir les innovations, notamment les Amoureux de Verdun, évocation poignante de la vie des poilus dans une tranchée, mais aussi un abrégé saisissant de l’invasion puis de la christianisation des Vikings.

    Voilà notre imagerie historique, égrenée en scènes qui emballent les enfants et leurs parents. Voilà la belle saga des “Puyfolais” — 35 000 bénévoles depuis le début de cette aventure collective, 1 500 acteurs de la Cinéscénie, famille soudée par la fierté d’avoir sorti de l’oubli la mémoire de sa patrie vendéenne, et de la nôtre. Voilà le grand oeuvre de ce grand gosse désormais sexagénaire, Villiers, dont le fils Nicolas a pris les commandes. Lui, Philippe, écrit de nouveaux scénarios. Telle est la renommée du Puy du Fou que plusieurs chefs d’État veulent le leur. Poutine, entre autres. Il a compris le besoin de ressourcement de son peuple par les temps mondialistes qui courent, et quoi de plus instructif qu’un beau spectacle en relais des manuels d’histoire. Aux visiteurs du site, Villiers réserve une surprise importante pour l’année prochaine ; son imagination n’a pas de limites et son activisme politique, inopérant à l’intérieur du système, a trouvé son mode d’emploi approprié. Car le Puy du Fou, enfanté par un rêve et nourri par l’esprit de révolte, relève du politique au sens le plus noble du terme. 

    Denis Tillinac Valeurs actuelles 

     

  • LIVRE • Le monde selon Napoléon

     

    par Bruno Stéphane-Chambon

    Par ordre alphabétique, les pensées et les jugements de l’Empereur sont compilés. On trouvera ses appréciations sur les maréchaux qui l’entouraient, dont certaines sont assez méprisantes. De nombreux thèmes sont abordés : souvent, Napoléon se révèle d’une grande lucidité et se montre parfois même prophétique.

    Jean Tulard, un des auteurs les plus prolixes sur ce sujet, puise abondamment dans ses recherches antérieures. L’habileté de l’historien réside surtout dans le fait qu’il cite les témoignages de ses compagnons d’infortune mêlés à des citations avérées du glorieux personnage. Naturellement, Emmanuel de Las Cases dans son Mémorial de Sainte-Hélène est largement mis à contribution, mais aussi Henri Gratien Bertrand, le général Gourgaud et le Général Montholon. Parfois, d’un trait lapidaire, Napoléon croque avec férocité certains de ses contemporains. Le portrait qu’il brosse de son geôlier, le nouveau gouverneur de l’Île, Hudson Lowe, vaut le détour. On se délectera aussi de sa correspondance, oh combien romantique, avec Joséphine, dont il restera totalement épris jusqu’à la fin de sa vie. La lecture de ce dictionnaire est aisée tant l’ouvrage est divers et teinté d’humour. Ce diable d’homme avait donc un avis sur tout et sur tous ! 

    Le Monde selon Napoléon, Maximes, pensées, réflexions, confidences et prophéties, de Jean Tulard, édition Tallandier, 345 pages, 20,90 €.

     

  • EXPOSITION • Clic-Clac impérial

     

    Par Camille Pascal*

    Camille Pascal montre ici avec le talent et le goût qu'on lui connaît, en quoi la France est un pays merveilleux non seulement à cause de la permanence de son administration qui passe les siècles et les régimes mais aussi par l'accumulation et la profusion toujours renouvelée de ses trésors ainsi protégés des aléas du goût et du pouvoir. On aura sans-doute compris que notre souci, ici, n'est politique que pour servir et prolonger cette civilisation française dont nous sommes les héritiers. Laquelle est aujourd'hui aux mains d'un Pouvoir qui, à bien des égards, volens nolens, conduit à sa disparition. Raison de plus pour suivre le conseil implicite de Camille Pascal et visiter l'exposition qu'il évoque ici avec une évidente délectation.   LFAR

      

    Camille%20Pascal_22222222222222.pngLe Mobilier national expose les savoir-faire de ses ateliers de restauration, jusqu’à la reconstitution parfaite du « bivouac de Napoléon ». 

    Le Garde-Meuble, ou Mobilier national comme l’on voudra, est une très vieille institution née sous Henri IV et qui a survécu à tous les régimes, même les moins conservateurs… Depuis très exactement quatre cent onze ans, une même administration — la France est un pays merveilleux — gère donc avec soin le patrimoine “mobilier” de l’État.

    Cette maison, somptueusement logée place de la Concorde par le roi Louis XV, est aujourd’hui abritée aux Gobelins dans des bâtiments futuristes conçus en 1936 par les frères Perret. Siècle après siècle, elle est devenue le grenier de la France où chaque époque a déposé ce qui ne lui plaisait plus pour passer commande de nouveautés ébouriffantes. Parfois, les révolutions ont fait un peu d’argent avec ce merveilleux bric-à-brac. Le mobilier de Versailles a été vendu à l’encan, le château des Tuileries a été pillé quatre fois en moins d’un siècle et Jules Ferry fit démonter et disperser les bijoux de la Couronne, mais l’administration du Garde-Meuble, elle, a sauvé ce qui pouvait l’être. Longtemps le Mobilier national, comme tous les greniers de bonnes maisons, est resté protégé des aléas du goût et du pouvoir par une épaisse couche de poussière, il s’est un peu endormi et les Français l’ont oublié.

    Il y a quelques années de cela, grâce à la restauration de la grande galerie, l’institution chargée de meubler palais nationaux, ministères et ambassades a entrouvert ses portes. La caverne d’Ali Baba s’est révélée au public. Ce fut un éblouissement. Tapisseries des Gobelins ou d’Aubusson, pendules de bronze doré, meubles de laque et d’ébénisterie, soies précieuses, cristaux fragiles, tapis de la Savonnerie, tout était là savamment étiqueté et bien rangé pour s’offrir aux regards des visiteurs assez peu habitués à voir ces trésors dans leur emballage.

    Aujourd’hui, le Mobilier national fait mieux : il offre à chacun de nous, dans le cadre d’une exposition temporaire, la possibilité d’aller à la rencontre de tous les métiers qui permettent l’entretien et la restauration du grand mobilier français depuis les beaux sièges du XVIIIe siècle jusqu’aux créations très contemporaines de Pierre Paulin ou d’Olivier Mourgue. Des mains aux mouvements parfaits reproduisent ainsi devant vous des gestes qui sont autant d’oeuvres d’art vivantes.

    Pour preuve de leur savoir-faire, ces artisans d’État exposent “le bivouac de Napoléon” entièrement restauré par leurs soins et meublé comme au soir de la bataille de Marengo. Les fauteuils de voyage sont ouverts devant une table de travail démontable. Le lit pliant de l’Empereur a été installé. Il est fait et n’attend plus que le “petit tondu”. On apprend d’ailleurs au passage que c’est pour lui qu’un serrurier de génie a inventé le fameux lit parapluie sur lequel des générations de parents se seront, depuis, énervées jusqu’aux larmes avant de pouvoir coucher leur bébé.

    Au moment où j’allais quitter cette exposition, un soldat de la garde impériale, shako en tête et fusil à l’épaule, venait monter la garde. Le grenier de la France est hanté par l’histoire. 

    Le Garde-Meuble, Paris, du 18 septembre au 13 décembre 2015

    Camille Pascal - Valeurs actuelles

  • LIVRE • Le testament du Kosovo

     

    par Bruno Stéphane-Chambon

    L’histoire du Kosovo en 1999, est déclinée en 16 dates. Ce journal de guerre a été tenu par Daniel Salvatore Schiffer, philosophe et essayiste belge, professeur de philosophie de l’art à l’École Supérieure de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Liège, déjà auteur d’une vingtaine d’ouvrages.

    Ce n’est pas un pavé dans la mare, mais une visite en enfer, en hommage aux serbes morts en héros, pour défendre leur pays. Si cette parution est tardive, c’est parce que les révélations faites dans cet ouvrage auraient été inaudibles et déclarées irrecevables par les tenants et, en l’occurrence, les manipulateurs de l’opinion de cette époque. Le déluge de feu qui s’est abattu sur ce pays, qui a toujours été l’allié de la France, a été d’une violence rare. Il fut et orchestré par les autorités américaines, soutenues par l’aviation française, et encouragé par les bonnes consciences qui ont délibérément menti. Sans manichéisme aucun, l’auteur, qui déplore la brutalité des dirigeants serbes qui entouraient l’ancien Président Slobodan Milošević, s’insurge contre ce bombardement qui a duré pendant soixante-dix-huit jours et nuits et causer d’innombrables victimes dont l’auteur lui-même qui fut blessé gravement. Et pourtant la Serbie a résisté ! Daniel Salvatore Schiffer dénonce surtout les pseudos intellectuels et les marionnettes politiques qui ont impunément soutenu ce combat inique en accusant les serbes d’exactions et en glorifiant à outrance l’Armée de libération du Kosovo, l’UCK.

    Le journal de bord de Daniel Salvatore Schiffer pèche parfois par de nombreuses réitérations mais qui sont parfois nécessaires pour la bonne compréhension des faits et de leur interprétation. Par ailleurs, philosophe et humaniste, Schiffer disserte sur l’origine des guerres et se prête à de nombreuses digressions qui exigent du lecteur une attention soutenue. D’une lecture parfois un peu difficile, cet ouvrage n’en reste pas moins le cri d’un Juste. L’amour de la Serbie en est sa marque de fabrique, ou plutôt le sceau sacré apposé sur la charte de la vérité enfin révélée. Un livre incontournable sur cette période de l’histoire dont notre pays ne sort pas grandi, à rapprocher de celui de Pierre Péan, Kosovo : une guerre juste pour créer un Etat mafieux, et, surtout, du Martyre du Kosovo, de Nikola Mirković. 

    Le Testament du Kosovo, Journal de guerre, de Daniel Salvatore Schiffer, édition du Rocher, 512 pages, 21 €

     

     

  • LITTERATURE & SOCIETE • La rentrée littéraire vue par Proudhon

     

    Une tribune de Sébastien Lapaque * 

    Sébastien Lapaque déplore avec Proudhon la marchandisation des livres et des biens culturels en cette période de rentrée littéraire. Pour ceux d'entre nous qui sont d'Action française, l'ont été - mais, en quelque manière, on le reste toujours - ou y sont passés, Sébastien Lapaque n'est pas un inconnu. Nous l'avons côtoyé à l'Action française dans sa jeunesse turbulente qui, heureusement, ne semble pas l'avoir quitté. Il déplore, ici, avec Proudhon, la marchandisation des œuvres de l'esprit et le déclin ou l'éclipse, de la grande littérature. Il a évidemment raison. Avec Proudhon, avec Bernanos, son maître et le nôtre. Et avec Maurras qui rangeait, lui aussi, Proudhon parmi ses maîtres et qui a écrit, au début du siècle dernier, le livre définitif qui explique, prévoit, non sans quelque espoir d'aventure et de renaissance, cet asservissement de l'Esprit que Lapaque déplore ici en cherchant les moyens d'en rire. L'Avenir de l'intelligence, en la matière, avait tout dit. C'était en 1905.  LFAR     

     

    L'autre soir, boulevard Haussmann à Paris, j'ai croisé Clitandre, non loin de l'immeuble où Marcel Proust, reclus dans sa chambre tapissée de liège, mena contre la mort son marathon pour retrouver le Temps, prouvant que la littérature n'était pas l'écriture d'une histoire, mais l'histoire d'une écriture. Clitandre est un écrivain à la mode, reconnu, célébré ; il est membre d'un prestigieux prix littéraire. Lorsque je lui ai demandé quel livre il voulait faire couronner cette année, il m'a parlé du dernier roman d'un auteur vedette de la maison d'édition dans laquelle il publie ses propres ouvrages. Plus tard, c'est la voix d'Argyre que j'ai entendu couler dans les enceintes du taxi qui me conduisait chez moi. Argyre est chef du service culture d'une grande radio : elle était invitée chez un confrère pour évoquer la rentrée littéraire. Au journaliste qui voulait savoir si elle avait lu chacun des 589 romans publiés à la fin du mois d'août et comment elle faisait pour distinguer l'excellent du tout-venant dans cette gigantesque pile de livres, Argyre a répondu que non, elle ne lisait par tout, qu'elle commençait par les incontournables — les « poids lourds » qu'un critique doit lire — et qu'ensuite elle se laissait guider par les attachées de presse dont elle connaissait d'expérience le bon goût. « La machine est bien huilée », me suis-je dit. Je l'ai vérifié quelques jours plus tard, en découvrant qu'une phrase de Télèphe, rédacteur en chef d'un magazine et littérateur négligeable, avait été retenue dans un encart publicitaire de son propre éditeur pour vendre au « gros public » un roman aussi insignifiant que les siens dont il avait fait l'éloge auparavant.

    Lorsqu'on a envie de pleurer du monde, il convient d'inventer le moyen d'en rire. C'est dans un volume oublié de Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) que j'ai trouvé certaines consolations aux noirceurs morales de notre siècle en miettes. Les Majorats littéraires est un livre que le fameux polémiste, économiste, philosophe et sociologue franc-comtois a fait paraître à Bruxelles en 1862. Rien de mieux qu'un auteur anarchiste pour comprendre les causes profondes du désordre établi. Dans Les Majorats littéraires, Proudhon s'intéresse à la question de la propriété intellectuelle, mais aussi, dans une vigoureuse deuxième partie, à « la décadence de la littérature sous l'influence du mercenarisme ». En lisant Proudhon, j'ai repensé à Clitandre et à ses amitiés, à Argyre et à ses poids lourds, à Télèphe et à son gros public.

    « L'art de vendre un manuscrit, d'exploiter une réputation, d'ailleurs surfaite, de pressurer la curiosité et l'engouement du public, l'agiotage littéraire, pour le nommer par son nom, a été poussé de nos jours à un degré inouï. D'abord, il n'y a plus de critiques: les gens de lettres forment une caste ; tout ce qui est écrit dans les journaux et les revues devient complice de la spéculation. L'homme qui se respecte, ne voulant ni contribuer à la réclame, ni se faire dénonciateur de la médiocrité, prend le parti du silence. La place est au charlatanisme. » Proudhon l'explique un peu plus loin dans son pamphlet: la littérature est l'expression de la société. Dans un monde où nous ne croyons plus à rien parce que nous sommes tous à vendre et que tout est à vendre — comme le produit des champs et les articles manufacturés sortis des usines —, les lettres et les arts ne font pas exception.

    Les rappels à l'ordre des hauts parleurs de la Grande Machine valent pour tous. Agiotage, spéculation, charlatanisme, observe Proudhon… On ne saurait mieux dire. Une grande partie des jurés des prix littéraires et des critiques employés dans les « lignes d'étapes de l'armée de la distribution et de l'éloge des marchandises actuelles » (Guy Debord) ne revendiquent ni pour eux-mêmes ni pour les autres la possibilité de préserver la souveraineté de leur conscience ou l'expression leur goût. Au pire, ils ricanent et se rendent complices de la haine d'une littérature désormais tombée en réclame ; au mieux, ils s'intéressent aux livres comme d'autres à la Bourse ou au Pari Mutuel Urbain. Il jaugent les écrivains comme des actions ou des canassons. Leur horizon, ce n'est pas la jubilation que procure l'art de grand style, c'est faire des coups et de trouver le tiercé dans l'ordre. « Quand la littérature devrait s'élever, suivre la marche ascensionnelle des choses, elle dégringole. A genoux devant le veau d'or, l'homme de lettres n'a qu'un souci, c'est de faire valoir au mieux de ses intérêts son capital littéraire, en composant avec les puissances de qui il croit dépendre, et se mutilant ou travestissant volontairement. »

    Pierre-Joseph Proudhon encore une fois.  •

    * Sébastien Lapaque est écrivain. Il est critique littéraire au Figaro.

     

  • CULTURE • Didier Rykner : « La classe politique est devenue inculte ! »

     

    par Raphaël de Gislain

     

    Depuis une dizaine d’années, le site Internet La Tribune de l’art passe au crible le monde de la culture et des musées, prenant le parti du patrimoine et des œuvres, souvent à rebours de l’idéologie dominante. Rencontre avec Didier Rykner, son bouillonnant fondateur…

    Rykner-600x401.jpgPourquoi avoir créé La Tribune de l’art et dans quel contexte l’avez-vous fait ?

    J’ai créé La Tribune de l’art en 2003, parce que je souhaitais lire un journal que je ne trouvais pas, qui n’existait pas, c’est-à-dire un journal d’art ou l’on parle d’expositions que l’on a vues – la plupart des revues d’art commentent des évènements qu’elles n’ont pas vues –, de livres que l’on a lus, etc. J’ai créé ce que je souhaitais avoir en quelque sorte. Après une formation d’ingénieur agronome, je suis passé par Sciences Po et l’école du Louvre mais je ne suis pas devenu conservateur. Le devoir de réserve n’a jamais été tellement mon style… Mon idée était de faire du journalisme sans langue de bois, comme un historien de l’art, en considérant le patrimoine et en prenant le parti de le défendre. Dans ce milieu, cela n’a rien d’une évidence. Pour cela il fallait un média libre et indépendant comme La Tribune de l’art. Culturellement, le contexte était alors meilleur qu’aujourd’hui…

    Existe-t-il encore une véritable critique d’art en France ?

    Il existe encore des critiques d’art, bien sûr, mais le problème est global. De plus en plus de journaux dépendent de groupes puissants comme Arnault, Lagardère, Bouygues, qui ont des intérêts énormes dans diverses activités, dans l’industrie ou le bâtiment, et qui tiennent les deux bouts de la chaîne. Par exemple, Arnault détruit des immeubles de l’ancienne Samaritaine. Comment voulez-vous que les journaux qui lui appartiennent soient critiques ? Dans ce contexte, il n’est alors plus question de défendre l’intérêt du patrimoine… Le phénomène est le même avec les expositions : lorsque les journaux sont partenaires, il ne faut pas attendre qu’ils en livrent une analyse objective… à cela, il faut aussi ajouter le copinage et les renvois d’ascenseurs, plutôt fréquents dans le milieu. Les critiques d’art sont donc de moins en moins nombreux à être indépendants et à pouvoir s’exprimer. Pour ma part, j’ai été boycotté surtout au début, du temps où Donnedieu de Vabres était au ministère de la Culture et Henri Loyrette au Louvre. Actuellement (cela a commencé d’ailleurs du temps d’Henri Loyrette lui même, il faut le reconnaître) je ne suis plus tenu à l’écart, même lorsque je combats les réserves du Louvre à Lens. On met même un point d’honneur à m’inviter…

    Comment voyez-vous évoluer l’articulation entre le monde politique et le monde culturel ? On a l’impression que le premier a totalement asservi le second…

    Il apparaît avec évidence que la classe politique est devenue complètement inculte. Même si une minorité échappe à la règle, les gens qui nous gouvernent, à droite comme à gauche, ne connaissent rien et s’en fichent. Par voie de conséquence, la politique se désintéresse de plus en plus du patrimoine et des musées. Il n’y a qu’à voir l’actuel projet de loi sur le patrimoine. Le ministère donne l’impression de vouloir se débarrasser de biens qui l’encombrent, en transférant la responsabilité aux villes, ce qui va être une catastrophe puisque les maires n’ont eux-mêmes souvent que peu d’intérêt ou peu de compétences pour la sauvegarde de leurs bâtiments… Le problème est donc lié à des hommes politiques a-cculturés qui considèrent que l’histoire de l’art est superflue, alors qu’il s’agit d’une des richesses principales de la France, qui plus est, source de revenus énormes… La culture n’est regardée que pour ces postes prestigieux et les nominations abracadabrantes continuent : on parle de nommer Muriel Mayette, l’ancienne administratrice de la Comédie Française, à la tête de la Villa Médicis, sans aucune légitimité… Regardez avec quelle vitesse le Louvre est actuellement entraîné dans une vertigineuse dérive intellectuelle. Il y aura l’année prochaine au Louvre-Lens une exposition sur le Racing club de Lens – il fallait quand même l’imaginer –, et à Paris dès septembre, trois autres expositions : Les mythes fondateurs d’Hercule à Dark Vador, – qui peut sérieusement penser que Dark Vador incarne « un mythe fondateur » ? –, Une brève histoire de l’avenir, d’après le livre de Jacques Attali, qui n’est tout de même pas connu pour ses compétences en matière d’histoire de l’art et dont on peut déjà craindre le verbiage, et des installations de Claude Lévêque, artiste contemporain qui n’a rien à faire au Louvre. Parallèlement, les rétrospectives Le Nain et Charles Le Brun auront lieu non pas à Paris mais à Lens, sans que l’on se demande s’il y avait là-bas un public pour des rétrospectives nécessairement pointues… Heureusement, à côté, certains musées de province s’en sortent à la force du poignet, avec des moyens parfois réduits. On peut citer le musée de Lyon, le musée de Montpellier, de Rennes, ou encore de Roubaix, qui est à sa façon un exemple, situé dans la ville la plus pauvre de France. Il est la preuve que tout n’est pas une question de budget. Mais la tâche est de plus en plus difficile pour eux.

    On observe des collusions de plus en plus fréquentes, via l’art contemporain, entre le marché de l’art et les institutions publiques, comme Versailles ; est-ce un phénomène général ?

    Il est clair qu’il y a un certain nombre d’artistes, toujours les mêmes, comme Lévêque ou Buren, que l’on retrouve partout y compris dans des lieux dévolus à l’art ancien. Le Louvre et Versailles ont ainsi de véritables politiques d’art contemporain, ce qui n’est absolument pas dans leur rôle. Cela a certainement un impact sur la cote des artistes, même si l’on constate qu’elles se dirigent le plus souvent vers des artistes connus, dont la cote est déjà solidement établie. Koons en est un bon exemple.

    Les expositions représentent aujourd’hui un véritable marché destiné aux masses. Les historiens de l’art ne jouent-ils pas un jeu dangereux en y participant et en cautionnant le mythe de l’art pour tous ?
    Il est heureux que les historiens de l’art participent aux grandes expositions ; ainsi, certaines ont-elles de réelles qualités scientifiques. Il est certain que l’on veut aujourd’hui que tout le monde aille au musée, y compris les gens qui ne s’y intéressent pas. On les attire donc avec des choses qui ne sont pas muséales pour les faire venir, ce qui est absurde. C’est par exemple ce que vient de faire le musées des beaux-arts de Lille, cet été, avec une exposition sur Donald et les canards… Le niveau baisse donc et on accompagne cette baisse… Vouloir faire des blockbusters avec des grands noms pour que défilent des centaines de milliers de visiteurs aboutit à un non-sens dans la mesure où plus personne ne profite des œuvres. L’idéologie ambiante est que tout se vaut, que Dark Vador est aussi légitime au Louvre qu’Hercule, qu’il n’y a pas de hiérarchie dans la culture. Il faut toujours un prétexte contemporain et populaire pour prétendument faire aimer l’art ancien. Rabaissé de la sorte, l’art ancien n’est quasiment plus considéré pour ce qu’il est. 

     

     - Politique magazine

  • ACTUALITE • Guy Béart : « La mort, c’est une blague »

     

    par Dominique Jamet

     

    3312863504.jpgDans la lumière noire du soleil de la mort, la véritable stature de Guy Béart apparaît enfin. 

    Tout jeune débutant au début des années cinquante, une seule chanson l’avait propulsé au sommet, L’Eau vive, que l’on apprend encore, paraît-il, dans les écoles. Des dizaines d’autres avaient suivi, sans lui valoir jamais tout à fait la place que méritait son talent. Ombrageux, personnel, indépendant, libre, trop libre, littéraire, trop littéraire, Guy Béart était peu à peu sorti des circuits, aussi bien ceux de la distribution lorsqu’il avait prétendu gérer lui-même son œuvre, que ceux de la complaisance, de la connivence et de la mode. La maladie contre laquelle il luttait depuis de longues années avait achevé de le murer dans la solitude orgueilleuse et un peu amère de sa maison de Garches. Cependant, il fut accompagné jusqu’au bout par la ferveur joyeuse, aujourd’hui endeuillée, de la petite foule des happy few qui, lors de ses trop rares apparitions sur scène ou à l’occasion des fêtes qu’il leur donnait à domicile, reprenaient en chœur un répertoire qu’ils connaissaient par cœur.

    Dans la lumière noire du soleil de la mort, la véritable stature de Guy Béart apparaît enfin, comme on pouvait s’y attendre, et les médias saluent mais un peu tard « le dernier des troubadours », comme ils disent, ou, plus simplement, « un grand parmi les grands », l’égal des deux autres « B » de la chanson à texte d’après-guerre : Georges Brassens et Jacques Brel.

    Sur les piliers et sous les voûtes de l’Arc de Triomphe, à Paris, est gravée la glorieuse liste des victoires et des généraux de la Révolution et de l’Empire. Bal chez Temporel, L’Eau vive, Il n’y a plus d’après, Il y a plus d’un an, Vous, Les couleurs du temps, Qu’on est bien, Laura, Les souliers, À Amsterdam, Les Couleurs du temps, La Vérité, Couleurs vous êtes des larmes, La fille aux yeux mauves, L’espérance folle, Hôtel-Dieu, Demain je recommence… : la liste est longue aussi, et belle, des airs et des textes qui composent à Béart, dans le ciel de la chanson la voûte immatérielle d’un incomparable arc-en-ciel.

    « La mort, c’est une blague », avait écrit Guy Béart. De fait, les hommes meurent mais leur œuvre demeure. Trenet l’avait dit avant lui : « Longtemps, longtemps, longtemps/Après que les poètes ont disparu/Leurs chansons courent encore dans les rues. » Les chansons de Guy Béart voleront longtemps encore de lèvres en lèvres, même quand on ne connaîtra pas le nom de leur auteur. Elles sont immortelles, et il en sourira, là où il est entré avant-hier, dans la grande salle de bal de l’intemporel. 

     

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     Journaliste et écrivain - Boulevard Voltaire*

     

  • LIVRE • Louis XIV en paroles

     

    par Anne Bernet

     

    anne bernet.pngLongtemps, il a fallu s’y résigner : les paroles s’envolaient, seuls les écrits restaient. Ainsi, jusqu’à l’invention de moyens d’enregistrement de la voix et du son, toute parole prononcée, fût-elle attestée par des témoins fiables, ne peut être regardée comme authentique, exacte et sûre. Après non plus, d’ailleurs…

    Louis XIV n’a évidemment pas échappé à ce sort et l’essentiel des mots que lui attribue la postérité a de fortes chances d’être apocryphes, à commencer par le fameux « l’État, c’est moi ! », inventé de toutes pièces à l’époque de Napoléon.

    Patrick Dandrey a pris le risque, et il s’en explique habilement, d’opérer un tri parmi les milliers de citations attribuées au Roi-Soleil et, les classant par thèmes, de raconter la vie de Louis XIV à travers les paroles qu’il prononça, peut-être, et celles qui lui furent prêtées, reflet paradoxal de la vision que les contemporains et la postérité ont eue de lui.

    Intelligent, disert, informé, critique à bon escient, remettant chaque « mot » en perspective et dans son contexte, voici un livre remarquable, passionnant, drôle souvent, profond toujours qui compte parmi les meilleurs de cette année de tricentenaire.  

    Louis XIV a dit, de Patrick Dandrey, les Belles lettres, 465 p., 19 euros. 

     

  • CINEMA • Erick Dick : « La Vendée a lutté contre l’agression culturelle »

     

    par Raphaël de Gislain

    Auteur d’un documentaire en forme de voyage sur les traces du chef vendéen le plus emblématique, le réalisateur Eric Dick remet Charette à l’honneur. Alors que son film vient de sortir, Politique magazine l’a rencontré.

    Pourquoi cet intérêt pour les guerres de Vendée ?

    Avant tout, je suis vendéen et l’histoire des guerres de la Vendée militaire fait partie de mon identité, de ma culture ; elle est toujours présente pour les habitants de la région et nous la portons en nous. Cette histoire revêt un caractère universel ; les Vendéens ont souffert ; ils ont été exterminés par cette nouvelle république parce qu’ils croyaient en Dieu, en leur roi et qu’ils ont refusé de mettre de côté leurs convictions. Ils en sont sortis grandis.

    Par quel prisme racontez-vous l’histoire de ce peuple ?

    La première chose qui m’importait était de donner la parole aux Vendéens. Les rares documentaires qui existent sur le sujet donnent un point de vue assez parisien des évènements, souvent centré sur Robespierre. A l’opposé, j’ai tenu à ce que cette période tragique, de 1793 à 96, soit rapportée par des gens du terroir et du peuple. C’est leur sentiment qui m’a intéressé, et l’aspect légendaire autant que la vérité historique. L’autre point était de m’attacher à un héros ; en l’occurrence Charette. Il demeure le plus emblématique. Il a rassemblé les maraîchins, avec le panache d’un guerrier qui aimait faire la fête. Mille fois il aurait pu avoir les honneurs, partir en Angleterre ou encore virer sa veste, mais il est resté fidèle à sa foi en la monarchie, quitte à se retrouver seul.

    Vous ralliez-vous à la thèse du génocide ?

    Je pense qu’il y a eu beaucoup d’exagération de la part des militaires et qu’on a fait en sorte que le peuple vendéen soit très affaibli. Y-a-t-il eu des ordres qui venaient d’en haut pour exterminer méthodiquement une population ou les exactions furent-elles le fait de généraux zélés des colonnes infernales ? Mon rôle, en tant que réalisateur, n’est pas de trancher. Avec ce film, j’espère surtout délier les langues. Il semble qu’aujourd’hui l’heure de la « victoire des vaincus » ait sonné et que d’aucuns demandent des comptes…

    En quoi serait-ce une histoire d’actualité ?

    Voilà un peuple qui a osé se dresser et se battre contre ce qui représentait à ses yeux une invasion, craignant de voir ses croyances anéanties. Ce soulèvement contre un envahisseur peut se transposer aisément à notre époque, où l’islamisation est ressentie de plus en plus comme une agression culturelle. Je pense qu’à terme, les mêmes causes conduiront aux mêmes effets…

    Comment peut-on voir votre film ?

    Aucun producteur n’ayant voulu participer, j’ai eu recours à des financements propres… Il est donc important que les gens puissent le voir. Le film va être distribué au cinéma dans plus de 80 salles, à Paris comme en province. Il sera ensuite décliné en séries télévisées dans le courant de l’année 2016 et disponible en VOD. 

    C’était une fois dans l’Ouest, d’Eric Dick, Zedig distribution, 120 min. En salles. Toutes les informations sur le site : www.cetaitunefoisdanslouest.a3w.fr/ 

     

     

  • LIVRES • Hollande en vérité

     

    par Bruno Stéphane-Chambon

    Rédacteur en chef du service « actualités » de Famille Chrétienne, Samuel Pruvot enquête sur la véritable personnalité du Chef de l’Etat en auditionnant une cinquantaine de proches et interlocuteurs privilégiés. François Hollande veut incarner la social-démocratie en s’appuyant sur des mouvements post modernes qu’il croit créer et maîtriser. Quant à son rapport avec Dieu, on est dans le clair-obscur, tant il feint d’ignorer le fait religieux et exalte une vision exclusive de la laïcité. Pourtant, dès son enfance, le futur Président avait été éduqué principalement par sa mère, Nicole, chrétienne très ancrée à gauche. A Rouen il suit ses premières études à Jean-Baptiste de La Salle dans un climat religieux et altruiste. Mais à son entrée à Sciences-Po, il affirme sa rupture en se présentant comme un laïc républicain qui estime que la vie publique doit être profane et que le sacré n’y a pas sa place. A l’ENA, alors que l’ensemble des étudiants préfère suivre des stages en ambassade ou en préfecture, il choisit une étude sociologique sur la banlieue. Accompagné de sa future compagne Ségolène Royal, il est reçu dans une cité par un prêtre salésien, Jean-Marie Petitclerc, adepte du Catholicisme social, avec qui le courant passe immédiatement. Ils vont dans les tréfonds des cités à la rencontre des jeunes en perdition. Bien que reconnaissant la fraternité agissante au nom du Christ de ce prêtre, François Hollande demeure profondément laïc. Il rejoint alors François Mitterrand et, habile politique, devient expert en l’art de la synthèse des différents courants du PS. Toujours en mouvement, rarement dans la réflexion, il privilégie la médiation. Lors de sa campagne présidentielle, il prend des conseils auprès d’un chrétien de gauche, Jean-Baptiste de Foucauld, ancien collaborateur de Jacques Delors. Mais il semble plutôt intéressé par les réseaux de ce dernier que par sa spiritualité. Une fois au pouvoir, il affiche une incompréhension totale devant la révolte des catholiques (et celle de nombreux musulmans) face aux lois sociétales qu’il édicte. Monseigneur Dominique Rey, évêque de Toulon-Fréjus, constate : « François Hollande est comme beaucoup de politiques : il a la tentation de nier toute autorité qui transcende les siècles. » De son côté, Julien Dray, intime du Président, reconnaît que « François ne fait pas référence à Dieu. Il n’a pas d’angoisses métaphysiques. Jamais je n’ai entendu en privé l’expression d’une recherche, un quelconque besoin d’ancrage ». Comme si François Hollande avait enfoui son âme aux tréfonds de son être. Avec ce portrait proche de la psychanalyse, sans empathie mais avec un regard dénué de malveillance, Samuel Pruvot tente de nous donner les clefs afin de saisir la complexité de cet homme pressé.  

    François Hollande, Dieu et La République, deSamuel Pruvot, éditions Salvator, 19,50 euros 

     

  • Hommage à Jean Raspail et à sa lucidité d'il y a quarante ans !