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Idées, débats... - Page 476

  • LIVRES • Jamais Soumise de Zohra K. : Vingt ans dans l’Enfer de l’Obscurantisme

     

    Entretien par Grégoire Arnould* 

    Zohra.jpgNée en France mais emmenée par ses parents à 16 ans en Algérie pour être mariée de force avec un cousin, Zohra K. a vécu l’horreur dans un petit village de Kabylie. Subissant brimades, coups et viols, elle finira par s’échapper au bout de vingt ans de captivité. Dans Jamais soumise, publié chez Ring, elle raconte sa tragique histoire.

    De quelle manière vous êtes-vous retrouvée en Algérie ?

    Ce sont mes parents – vivant et travaillant en France – qui m’ont emmenée là-bas. Il s’agissait de me punir de mon comportement – j’étais un peu une adolescente « rebelle », qu’ils ne jugeaient pas acceptable. Mais quand j’ai pris l’avion, je n’avais aucune idée de ce que m’y attendait. Ma mère me disait que nous partions pour quelques semaines. à aucun moment, je ne me suis dit que j’allais y rester vingt ans et être mariée de force.

    Quel était ce village de Kabylie où vous êtes resté captive pendant vingt ans ?

    Cinq familles y résidaient : nous étions tous cousins germains. Ce village était éloigné de tout et de tous. On vivait en autarcie.

    Vous expliquez que vous pardonnez à vos « ravisseurs ». Un pardon, d’ailleurs, que vous semblez avoir transmis à vos filles…

    Je les ai élevées avec ce souci. Je leur ai même demandé de garder des contacts avec leur père. Ce n’est pas à moi de les priver de toute relation avec lui. Elles n’ont pas à subir les conséquences de ma vie : elles n’ont pas choisi de naître, comme je n’ai pas choisi leur père. Je n’éprouve plus de haine.

    Autre fait marquant dans votre livre : votre solitude sur place. Personne ne semblait en mesure de vous aider…

    C’est ce qui était le plus dur. Tout le monde voyait ma détresse, mais personne n’y pouvait rien, même le médecin ! Alors que je cherchais à m’échapper, il me manquait une certaine somme pour le faire. J’ai sollicité un oncle qui avait des moyens et qui me soutenait moralement. Mais le jour où je lui ai demandé cette fameuse somme, il m’a répondu : « Je les ai et je peux te les prêter mais je ne le ferai pas. Tu es mariée à cette famille et je ne veux pas avoir affaire avec eux ».

    Sont-ils capables de changer leur manière de penser ?

    La famille à laquelle j’ai été intégré de force a greffé l’islam sur une tradition, sans forcément le pratiquer d’ailleurs. Les préceptes du Coran n’étaient pour eux qu’un prétexte. De toute manière, là-bas, ils ne font que reproduire indéfiniment les mêmes schémas. Les parents éduquent comme ils ont eux-mêmes été éduqués, les violeurs sont d’anciens violés… Bref, ils n’ont pas d’autre modèle d’éducation. Cela étant, ce que j’ai vécu est exceptionnel et n’est pas le quotidien de toutes les femmes de Kabylie. Il ne s’agit pas de s’en prendre à une religion ou à un pays en particulier. L’inceste, la pédophilie ou les violences contre les femmes sont des faits qui ont cours partout dans le monde.

    En plus de l’écriture, vous avez une autre passion : la peinture…

    Oui, je peins depuis toute petite. Après une pause – contrainte – pendant ma captivité, je m’y suis mise à nouveau, ce qui m’a permis d’éliminer la haine que je portais. Aujourd’hui, il s’agit de l’une de mes principales activités : j’expose et vends mes œuvres, toutes inspirées de mon histoire. 

    Jamais Soumise, Vingt ans dans l’Enfer de l’Obscurantisme de Zohra K. Ed. Ring. 17 euros. 

     - Politique magazine

     


     

    PRESENTATION OFFICIELLE "JAMAIS SOUMISE" (ZOHRA K.) par Editions_Ring

     

  • HISTOIRE • Des BD pour l’été ...

     

    Saint-Louis

    La série Ils ont fait l’Histoire se fend d’une biographie dessinée de Saint-Louis, notre grand monarque mort en 1270 à Tunis. C’est sous la tente où il va rendre son dernier soupir que débute l’histoire. Le roi se remémore le fil de sa vie, sa mère, Blanche de Castille, son sacre en la cathédrale de Reims à l’âge de 12 ans, son mariage avec Marguerite de Provence qui lui donnera une douzaine d’enfants, la guerre de Saintonge contre les seigneurs poitevins, la dysenterie qui a failli le faire passer de vie à trépas en 1244, etc.. Après avoir pacifié ses territoires, le saint homme s’en va guerroyer les infidèles lors de la septième croisade. Il conquiert Damiette en Basse-Egypte et rentre en France où sa mère vient de rendre son dernier soupir à Dieu…

    Le scénario de Mathieu Mariolle et d’Alex Nikolavitch retrace à merveille la complexité de Saint-Louis, sa piété, ses colères, sa soif de justice, son intransigeance mais aussi sa dépendance vis-à-vis de sa mère, sa lutte contre le péché (argent, prostitution…), sa volonté de réformer la France. On sent derrière ce scénario bien ficelé, les conseils judicieux dispensés par Étienne Anheim, maître de conférences en histoire du Moyen Âge à l’université de Versailles/Saint-Quentin-en-Yvelines et de ceux de Valérie Theis exerçant la même profession à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée. A l’image des autres albums de la série et dans la lignée du remarquable « Philippe le Bel », ce Saint-Louis est un ouvrage à lire sans aucune modération.

    Saint-Louis – Mathieu Mariolle, Alex Nikolavitch – Filippo Cenni – Etienne Anheim et Valérie Theis – Editions Glénat – 56 pages – 14,50 euros

     

    Waterloo : Le chant du départ

    Il y a 200 ans, avait lieu la bataille de Waterloo qui mettait un terme définitif aux 100 jours et amorçait le retour de Bourbons en France. Clap de fin pour l’Aigle que les Anglais vont exiler sur la lointaine île de Sainte-Hélène et Longwood.
    Peu après cette légendaire bataille, un homme est conduit devant un peloton d’exécution. On devine aisément que c’est un Français que l’on va passer par les armes. Alors que les soldats de la Coalition fourbissent leurs armes et se rassemblent aux ordres de leur supérieur, le soldat voit sa dernière heure venue. Il ne doit son salut qu’à la fortuite intervention du Feld-Maréchal Blücher, commandant en chef des armées prussiennes, qui reconnaît en lui le Baron Dominique Larrey, chirurgien en chef de la Grande Armée. Comme il était alors d’usage à l’époque, quand le respect de l’adversaire avait encore un sens, le vainqueur offre au vaincu non seulement la vie sauve mais aussi les honneurs de son château et de sa table. Autour de quelques mets, les deux hommes se livrent à une reconstitution de la bataille, chacun selon son tempérament ses informations, son ressenti et bien sûr sa partialité. Blücher, blessé à la bataille de Ligny trois jours avant, rappelle qu’il a lutté pour empêcher Napoléon de régner sur l’Europe. Larrey n’a droit choix que de défendre son Empereur et ami, expliquant que les Bourbons lui avaient coupé le robinet financier à l’Ile d’Elbe, qu’il ne se sentait pas en sécurité sur ce bout de terre. Sans concession, l’échange est tout de même respectueux, diplomatique, et intéressant quant à son analyse historique.

    Cet ouvrage est d’autant plus passionnant que les scènes de batailles bien reproduites sont épiques et s’inspirent des plus grands tableaux. Bien que le lecteur puisse parfois se perdre dans les noms des lieux et des personnages, cet album se révèle d’une très bonne facture. Le scénario et les dessins de Bruno Falba, Christophe Régnault et Maurizio Geminiani y sont pour beaucoup. L’imprimatur historique de Jean Tulard, le spécialiste français de Napoléon qui se fend d’une quinzaine de pages explicatives à la fin de cet opus contribue à donner toutes ses lettres de noblesse à cette superbe histoire.

    Waterloo : Le Chant du départ – Bruno Falba, Christophe Régnault, Maurizio Geminiani Luca Blancone et Jen Tulard- Editions Glénat – 96 pages – 19,50 euros

    CS - Politique magazine

     

  • LIVRES • Pour cette fin de semaine : Histoire de rire... Par Hilaire de Crémiers

     

    Clémentine Portier-Kaltenback a l’art de raconter des histoires. C’est vif, enlevé, drolatique et, en l’occurrence, c’est à propos de la grande histoire de France dont elle dévoile, pour ainsi dire, quelques dessous.

    Ça peut être affriolant, ce n’est pas toujours très propre ni très beau ; c’est même quelquefois très affligeant. Car elle ne se contente pas des secrets d’alcôve, elle s’intéresse aux questions familiales, ce qu’elle appelle les embrouilles.

    C’est toujours d’un compliqué inimaginable et, pourtant, à la fois très simple : la vie, quoi. Il ne reste plus grand-chose des grands hommes, rois, empereurs, génies, littérateurs. On le savait, mais à ce point !

     

    Embrouilles familiales de l’Histoire de France, Clémentine Portier-Kaltenbach, J.C. Lattès, 390 p, 19 euros.

     

  • LITTERATURE & ACTUALITE • Vauvenargues, notre contemporain vu par Eric Zemmour *

     

    Les Éditions des Mille et Une Nuits ont eu la bonne idée de rééditer ce bijou d'un jeune homme âgé alors de 22 ans, qui tranche une question éternelle de la philosophie : la liberté.  

     

    ZemmourOK - Copie.jpgIl est né quelques jours après la mort de Louis XIV. Il a 22 ans, et s'ennuie dans le fort de Besançon. Il attend non l'ennemi qui le fera héros, mais le livre qui le rendra célèbre. Il rédige, entre deux corvées militaires, un bref et incisif Traité sur la liberté comme illusion ; mais cet ouvrage ne sera publié qu'en 1806, l'année de la victoire d'Iéna. Trop iconoclaste, trop dangereux. Vauvenargues ne renonce pas. Il deviendra l'ami de Voltaire, qui l'encourage à achever ses Réflexions et Maximes, qui feront de lui l'un des trois plus grands moralistes français, avec La Rochefoucauld et Chamfort ; mais la postérité injuste le traitera toujours comme le cadet des deux autres. Il meurt à 37 ans. Descartes, Pascal, Vauvenargues : les génies mouraient jeunes à l'époque: mais ils avaient quand même le temps de laisser une empreinte profonde. Les Éditions Mille et Une Nuits ont eu la bonne idée de rééditer ce petit bijou. Avec un travail éditorial impeccable pour mieux sertir cette langue magnifique, vive et sans graisse, qui virevolte, caracole à bride abattue, comme un mousquetaire du roi, toujours élégant, même lorsqu'il use de sa rapière pour fendre l'adversaire. Vauvenargues reprend l'éternelle question du libre arbitre, et la règle d'un coup sec: tout n'est qu'illusion. « Nul n'est libre, et la liberté est un mot que les hommes n'entendent point.»

    L'homme, pressé d'agir, veut se croire libre de faire, et préfère ignorer qu'il est le lieu confus de pensées et d'envies contradictoires, de passions, de sentiments et de raisons multiples qui « le déterminent », le « font agir » alors qu'il se croit autonome et libre. Deux siècles avant Freud, Vauvenargues avait deviné la notion d'inconscient. Mais il le dit avec simplicité et élégance, sans jargon scientifique ni prétention prophétique. « La volonté n'est qu'un désir qui n'est point combattu… Point de volonté qui ne soit un effet de quelque passion ou de quelque réflexion. » Bref, il est un homme du XVIIIe et non du XIXe siècle.

    C'est aussi son drame. Il est déjà trop de son temps, pour reprendre la conception du « libre arbitre » de l'Église. Il essaie pourtant de « courber notre esprit sous la foi ». Il a lu Pascal : « la grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable ». Mais son ironie déjà voltairienne est la plus forte : « Si vous faites la volonté tout à fait indépendante, elle n'est plus soumise à Dieu ; si elle est toujours soumise à Dieu, elle est toujours dépendante… Nous suivons les lois éternelles en suivant nos propres désirs ; mais nous les suivons sans contrainte, et voilà notre liberté… C'est toujours Dieu qui agit dans toutes ces circonstances ; mais quand il nous meut malgré nous, cela s'appelle contrainte ; et quand il nous conduit par nos propres désirs, cela se nomme liberté… Mais comme Il ne veut pas nous rendre tous heureux, Il ne veut pas non plus que tous suivent sa loi. »

    Vauvenargues est entre Spinoza et Pascal, entre Voltaire et Nietzsche. Il est trop pessimiste pour les philosophes de son temps, et trop indépendant pour l'Église. Vauvenargues n'arrivant pas à exonérer Dieu du mal sur la terre, il risque d'être accusé d'athéisme et d'immoralisme comme Spinoza, même s'il évite de blasphémer ouvertement. On comprend mieux sa prudence éditoriale, mais aussi son statut marginal au sein du mouvement des Lumières. Vauvenargues est un Romain qui privilégie l'intérêt général et annonce certains accents révolutionnaires: « La préférence de l'intérêt général au personnel est la seule définition qui soit digne de la vertu, et qui doive en fixer l'idée. Au contraire, le sacrifice mercenaire du bonheur public à l'intérêt propre est le sceau éternel du vice. » Mais son siècle est obsédé par la découverte de l'individu et de sa liberté, sa liberté de croire ou de ne pas croire (Voltaire, Diderot), et la liberté romantique et le fantasme d'indépendance absolue (Rousseau et la « table rase » de 1789).

    Vauvenargues ne serait pas trop décontenancé par nos débats contemporains. Mises à part notre prose obèse et prétentieuse, notre langue abîmée et avariée, nos querelles tournent toujours autour de cette sacrée liberté. Vauvenargues aurait le plaisir de constater que son intuition avait été amplement creusée et démontrée : notre volonté soi-disant autonome est le lieu d'innombrables conditionnements et déterminismes, que ceux-ci soient économiques, sociaux, culturels, ou psychiques et génétiques. Mais le paradoxe est que nos sociétés ont fait de cette illusion de liberté le fondement de notre bonheur individuel (les chimères de « développement personnel » sont l'objet d'un marché lucratif) et de l'organisation de nos sociétés, liberté de choisir ses gouvernants, ses amis, ses femmes et ses maris, ses vêtements et ses distractions, jusqu'à ses enfants, sur catalogue, et même son sexe, selon ses désirs de l'instant. Jamais nous n'avons eu une connaissance aussi approfondie des limites de notre autonomie ; et jamais nous ne nous sommes prétendus aussi libres, jusqu'au caprice.

    Comme à l'époque de Vauvenargues, une Église sourcilleuse et vindicative contrôle et sanctionne le moindre manquement au dogme religieux de l'époque ; mais la foi catholique a été remplacée par une doxa antiraciste, féministe, xénophile et homophile, où l'amour de l'Autre a remplacé l'amour du fils de Dieu, mais où les Tribunaux continuent de traquer et punir les blasphémateurs. Les prêtres de la nouvelle Église sont encore plus hypocrites et vindicatifs que ne le furent leurs modèles catholiques. Comme au temps de Vauvenargues, nous avons les héritiers des philosophes, en plus petits et médiocres, qui continuent d'exalter la liberté d'expression pour mieux l'interdire à leurs adversaires, et glorifier le « peuple » pour mieux mépriser « la canaille» , qui s'appelle désormais « populiste ». Vauvenargues ne serait vraiment pas décontenancé parmi nous : la liberté est toujours une illusion.

     

    La liberté comme illusion, Vauvenargues. Mille et Une Nuits. 75 p., 3 €

     Eric Zemmour  - Le Figaro

  • THEÄTRE & FESTIVALS • Festival d’Avignon : De mal en Py Son Roi Lear sonne faux

     

    Excellente critique de Paulina Dalmayer dans Causeur. 

     

    Il y a peu, Elisabeth Lévy citait Jésus pour demander à Emmanuel Todd « Qu’as-tu fait de tes talents ? ». Peut-être faudrait-il initier dans Causeur un cycle de portraits de personnalités à qui on poserait la même question ? En effet, la dernière production d’Olivier Py, présentée en ouverture du 69e Festival d’Avignon, nous inflige une complète déception. Son Roi Lear sonne faux et même archi-faux. Le paradoxe fondamental du théâtre exige pourtant de rendre crédibles les créations de l’esprit les plus abstraites, de faire croire aux rationalistes que nous sommes à l’improbable apparition du fantôme d’un père assassiné et à l’intervention des elfes dans les affaires de ce bas monde. Ce n’est pas par hasard  que le grand maître Grotowski jugeait le jeu de ses acteurs selon un critère de prime abord insensé : « je crois » ou, « je ne crois pas ». Olivier Py ne nous donne pas à croire à la tragédie de Lear. Pis, il nous fait éprouver en presque trois heures que dure le spectacle un sentiment de gêne- inévitable quand on assiste à un échec aussi spectaculaire.

    Longtemps, l’ex-directeur du Théâtre de l’Odéon a été libre de raconter n’importe quoi sur des sujets qui n’entrent pas dans le champ de ses compétences. Ses talents de dramaturge et de metteur en scène l’excusaient. Quiconque a vu Les Vainqueurs, cette merveilleuse épopée qui permettait de s’abandonner avec confiance à la jubilation du style d’un Py à la fois farceur et mystique, ne saurait lui reprocher sa bien-pensance en politique. Certes, on tombait en arrêt devant ses déclarations sur l’« intolérable intolérance de l’Eglise » face au mariage gay. Mais Py nous a offert une épatante intégrale du Soulier de satin et cela suffisait pour oublier le reste. D’autant que l’auteur des Illusions comiques bénéficiait d’un sens de l’humour et de l’autodérision tout à fait exceptionnel chez un conservateur de gauche. À la limite, on rigolait quand il voulait transférer le festival d’Avignon, alors menacé par la peste brune, vers une cité qui ferait montre d’un refus catégorique à l’assaut de la pensée réactionnaire. On ignore où exactement, vers Alger peut-être? La programmation de la présente livraison du festival, dont Olivier Py assure la direction depuis deux ans, a suscité quelques interrogations : l’immense cour d’honneur du palais des papes s’adapte-elle réellement à la lecture de Sade qui y sera donnée par Isabelle Huppert ? Fallait-il à tout prix inclure au programme le spectacle 81 avenue Victor Hugo lequel, grâce à la participation d’acteurs sans-papiers, a suscité le « buzz », sans avoir réussi à créer un événement artistique ? Passons. On attendait Le Roi Lear dans la mise en scène et dans la nouvelle traduction de Py, à qui il a fallu « trente ans pour oser cette traduction » et de « longues années de méditation sur Shakespeare » pour aboutir à ce spectacle.

    Audacieuse, ramassée, énergique, bien que parfois complaisante à l’oreille contemporaine, la traduction d’Olivier Py met en valeur la diversité des registres de la langue shakespearienne et épargne ses métaphores sexuées, ses accès de violence ou de trivialité. Hélas, incités à gueuler leurs répliques sans relâche et sans nuance, les acteurs consentent à anéantir le beau travail d’Olivier Py sur le texte, par le désastreux travail d’Olivier Py metteur en scène. Philippe Gerard peine ainsi à convaincre dans le costume sobre qu’a conçu Pierre-André Weitz, à la mesure d’un Lear unidimensionnel à qui on a ôté le nécessaire pathos d’un grand mégalomane, et la noblesse d’un homme déchu ayant pris conscience de ses propres erreurs. D’ailleurs, l’acteur ne s’en sort pas mieux entièrement dénudé, feignant la folie jusqu’au persiflage. Car, évidemment, la nudité masculine n’a pas été épargnée aux spectateurs. Mathieu Dessertine dans le rôle d’Edgar, fils légitime du comte Gloucester, semble prendre un plaisir jouissif à exhiber son sexe pendant un bon quart d’heure au moins. Seulement, on cherche le pourquoi de ce naturisme scénique. La canicule est-elle en cause ou s’agit-il d’épater le bourgeois? Peu importe, l’idée fait un flop. Ce qui étonnerait encore en 2015, ce serait plutôt un spectacle sans strip-tease, allusion sado-maso, ni obsessions scatologiques. En déféquant devant le public, Amira Casar en Goneril, une des filles de Lear, aurait-elle tenté d’incarner le climat de l’époque élisabéthaine, « noir, radical, fulgurant » comme nous l’explique Olivier Py? En la regardant -mécanique dans ses gestes, agaçante par sa déclamation monocorde du texte- on songe surtout à cette phrase de la pièce : « Oh le monde ! Sans ces désastres qui nous font le haïr/On n’accepterait pas la mort, c’est sûr!».  Si dans Le Roi Lear, Shakespeare fulminait une terrible prophétie « de ce que deviendra le monde moderne, de ce que deviendra le monde de la raison », Olivier Py y met du sien en déshumanisant les personnages du dramaturge.

    Tout peut se justifier dans une mise en scène, y compris le recours aux moyens d’expression scénique les plus choquants. Le désastre de la proposition d’Olivier Py ne vient pas du fait que les hommes y courent à poil tandis que les femmes sont réduites à l’image de harpies déchainées (Goneril, Régane) ou d’oie nigaude (Cordélia). La débâcle est due à l’impossibilité du metteur en scène de justifier ses choix et de les rendre compréhensibles au public. André Engel optait, il y a quelques années, pour un « Lear » situé dans les années 30 en Amérique, avec Michel Piccoli dans le rôle principal ressemblant à un parrain mafieux. Sa vision pouvait faire adhérer ou pas, mais elle se défendait de manière objective par sa cohérence. Dans le programme, Olivier Py nous explique que « la pièce parle très précisément de ce qui s’est passé entre 1914 et 1989, c’est-à-dire au cours du XXème siècle ». Très bien. Reste que sa réalisation ne le montre pas, pas plus qu’elle ne sert à soutenir cette lecture. Sous prétexte de raconter le chaos d’un monde où « le langage ne sert plus à rien », Olivier Py se satisfait d’une mise en scène chaotique et illisible.

    Il serait malheureux de conclure que cette année nous pourrions nous éviter un déplacement sous les tropiques avignonnais pour voir du bon théâtre. Ceci n’est vrai qu’en ce qui concerne les représentations programmées dans la Cour d’honneur du Palais des Papes. Fort heureusement, le Festival a aussi ouvert avec un bouleversant Thomas Bernhard dans la mise en scène du Polonais Krystian Lupa. Des arbres à abattre, la pièce dont il est question, constitue une charge féroce contre l’establishment culturel et son autosatisfaction. Olivier Py n’aurait pas perdu son temps en la méditant. 

    * Photo : DELALANDE/SIPA. 00679735_000001.

    L'auteur Paulina Dalmayer est journaliste et travaille dans l'édition
     
  • MEDIAS & LITTERATURE • Marcel Pagnol : 120 ans, et pas une ride

     

    Pour commémorer les 120 ans de la naissance de l'écrivain, le Figaro Hors-Série publie un numéro exceptionnel, entre album souvenir, portrait ensoleillé, profil d'une œuvre généreuse, au charme éternel.

    Il a enchanté nos lectures d'enfance, nous a fait vivre la chasse buissonnière dans La Gloire de mon père, courir dans les collines embaumées de sarriette et de lavande, trembler devant le gardien du Château de ma mère, rêver d'aventures et de haute mer avec Marius, pleurer l'amour qui part avec Fanny.

    Marcel Pagnol aurait eu 120 ans cette année. Il n'a pas pris une ride. Pour célébrer cet anniversaire, le Figaro Hors-Série consacre un numéro exceptionnel à l'homme, le cinéaste, l'écrivain. Celui qui, des chemins d'Aubagne au Vieux- port de Marseille, touche à l'universel: «En nous parlant de lui», écrit Michel De Jaegehere dans son éditorial, «jamais il n'avait mieux paru s'adresser, tête à tête, à chacun d'entre nous, pour lui dire les merveilles et la brièveté de la vie.»

    Au fil des 106 pages de ce Figaro Hors-Série, magnifiquement illustrées des dessins du Marseillais Albert Dubout, des photos d'archives de sa vie et de ses films, on découvre l'enfant des collines, dont les récits ont la chaleur de l'été, au son des cigales et des parties de pétanque que l'on joue sous la treille. Le dramaturge, dont les personnages nous ressemblent comme des frères, dont on ne serait pas toujours très fiers: Topaze, l'instituteur ingénu qui finit en maître de la corruption et troque son infructueuse honnêteté pour le culte de l'argent ; Ugolin Soubeyrran, le paysan cupide qui laisse mourir à la tâche Jean de Florette, le «pauvre bossu», plutôt que de lui révéler l'emplacement de la source qu'il a bouchée ; la femme du boulanger, qui quitte son ballot de mari pour vivre une passion aussi dévorante qu'éphémère avec un berger de passage.

    On entre aussi dans « la bande à Pagnol » : Raimu, Charpin, Fresnay, qui plus qu'une équipe de tournage forment autour de lui une famille, avec ses bonheurs et ses chamailleries, et qui immortalisent à l'écran un monde révolu, partagé entre l'instituteur et le curé, où la Comédie humaine se joue au village et aux champs.

    Récit de sa vie en douze journées, exploration de sa «Provence intérieure», présentation des adaptations de ses œuvres au cinéma, dictionnaire de ses personnages, agenda des commémorations de l'année Pagnol: ce numéro du Figaro Hors-série est à savourer tout l'été, sans modération. 

    Pagnol, Le Figaro Hors-Série, 8,90€, en kiosque et sur www.figarostore

  • Aujourd'hui, Saint Benoît, patron de l'Europe : si l'Europe veut exister, qu'elle commence par ses racines

     

    Saint Benoît-sur-Loire : « une des plus anciennes églises romanes de France. Ses fondations remontent au XIème siècle. (...) La basilique apparaît derrière un écran d'aubépines. Dieu, qu'elle est belle dans sa robuste simplicité ! Sa façade, couleur de vieil ivoire, ressemble à une plaque d'évangéliaire. (...) Dans la crypte, je distingue, dans la pénombre, un sarcophage très ancien : c'est celui de Philippe 1er. Puis, une châsse plus ancienne encore, contenant les reliques de Saint Benoît, le saint patron de l'Europe ».    

     

    Jacques Benoist-Méchin

    A l'épreuve du temps, Tome 2, 1940-1947, Julliard, 1989

     

  • HISTOIRE • L’histoire du « duc de fer »,par Anne Bernet

     

    Rééditée à l’occasion du bicentenaire de Waterloo, la biographie, l’une des rares disponibles en notre langue, qu’Antoine d’Arjuzon donna de Wellington en trace un portrait sensible.

    Né en Irlande en 1769, Arthur Wellesley appartient à l’une de ces familles de l’aristocratie anglaise que Cromwell expédia dans l’île catholique afin de l’assujettir après avoir dépossédé la noblesse locale : état de fait devenu intolérable, ce qui rendra Wellington partisan de l’autonomie. C’est d’ailleurs pour avoir défendu les droits des catholiques irlandais que, devenu Premier ministre, il chutera.

    Intelligent, pragmatique, révolté par l’injustice, Wellington n’est pas homme à cautionner les mauvais choix, politiques ou stratégiques. Cette lucidité l’a conduit, cadet sans avenir, à choisir, contre ses penchants personnels, la carrière des armes où il révélera son génie.

    Antoine d’Arjuzon fait évidemment la part belle au guerrier ; sans occulter l’homme privé, le diplomate, le politique. Sous sa plume, « le duc de fer » devient l’archétype d’une conception aristocratique de l’existence qui tendait, déjà, à se perdre. Parangon de fidélité monarchique, respectant l’adversaire valeureux, méprisant les comportements bourgeois et les étroitesses victoriennes, Arthur Wellesley demeure l’un des derniers grands seigneurs européens, et force l’admiration même des plus prévenus. 

    Wellington, d’Antoine d’Arjuzon, Perrin, 530 p., 25 euros.

      - Politique magazine

  • HISTOIRE • Pourquoi le comte de Chambord renonça-t-il, en 1873, à une restauration alors annoncée comme imminente ?

    Le comte de Chambord, par le baron Louis-Auguste Schwiter. Photo © AFP

    L'analyse de Christian Brosio, dans Valeurs actuelles 

     

    Pourvu que leur motivation ne soit pas la nostalgie, le folklore, une sorte de jeu sans conséquence, ce qui est parfois le cas, la véritable grande affaire des royalistes, ceux d'aujourd'hui, comme ceux de toutes les époques, ce fut toujours, selon l'expression des plus anciens des Camelots du Roi, de faire le Roi. D'établir la monarchie. Les occasions ont existé, même si, jamais encore, elles n'ont abouti. Les plus sérieuses, dans un pays comme le nôtre, sont celles qui se seraient passées selon ce que De Gaulle appelait un processus régulier. Naturellement dicté par les circonstances et les nécessités. Du temps du Comte de Chambord, il se fût encore agi d'une restauration. Christian Brosio nous dit ici comment et pourquoi elle fut ratée. Et son explication nous paraît être plutôt à l'honneur du Comte de Chambord. Ceux parmi nos lecteurs qui sont historiens feraient oeuve uile s'ils nous donnaient leur avis ...  LFAR

     

    Tout semblait prêt, en cet automne 1873, pour une restauration.

    Le 8 février 1871, cinq mois après le désastre de Sedan, le suffrage universel avait élu une Assemblée comptant 400 royalistes. Mais ceux-ci étaient divisés entre “orléanistes”, tenants des Bourbons-Orléans, représentés par Philippe, comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe, et “légitimistes”, fidèles à la branche aînée des Bourbons, incarnée par Henri, comte de Chambord, petit-fils de Charles X et sans descendance.

    L’obstacle de cette division paraissait aplani depuis que, lui ayant rendu visite, le 5 août 1873, dans son exil de Frohsdorf, en Autriche, le comte de Paris avait salué en son cousin Chambord « le représentant du principe monarchique en France ». Arrivé secrètement à Paris le 9 novembre, Henri s’est installé à Versailles où siégeait l’Assemblée. Avec l’intention, le moment venu, de se faire acclamer par elle sous le nom d’Henri V. Ce moment ne vint jamais. Pourquoi ?

    Selon une opinion largement admise, la faute en reviendrait au comte de Chambord lui-même. Notamment en refusant le drapeau tricolore au profit du drapeau blanc. Ce “grand refus” a laissé de lui l’image d’un prince passéiste. Une image fausse, forgée par ses ennemis. Autrement dit par les “conservateurs”, le “parti de l’ordre” incarné par une grande bourgeoisie et une fraction de l’aristocratie imprégnées des “valeurs” du capitalisme manchestérien. Thiers, le fusilleur de la Commune, fut l’un de leurs hérauts. Leur modèle : un régime oligarchique —monarchique ou républicain — tenant le peuple à distance par le suffrage censitaire. Voilà ce qu’ils mettaient derrière le drapeau tricolore. Voilà ce que refusait Henri V, promoteur, au contraire, du suffrage universel et d’une monarchie renouvelée, sociale, fédérative et décentralisée. Salué par Proudhon, le comte de Chambord s’était vu, en revanche, reprocher par Guizot ses « liens d’intimité avec les factions anarchiques ». C’est ainsi que, le 20 novembre 1873, l’Assemblée, manoeuvrée par Albert de Broglie, prorogea de sept ans le mandat de Mac-Mahon à la tête de l’État plutôt que d’acclamer Henri V.   

                

    Christian Brosio - Valeurs actuelles

  • LITTERATURE & ACTUALITE • Entre ici, Charles Péguy, par Eric Zemmour

     

    Deux textes de Péguy parmi les plus connus, pour évoquer la République entre mystique et politique, ressortent. Une réflexion iconoclaste qui n'a pas pris une ride. Eric Zemmour les a commentés pour Le Figaro.

     

    XVM6312673a-de1a-11e4-b137-20089febc440.jpgD'abord, il y a le style. Impétueux et tempétueux, un fleuve de montagne qui se déverse sans souci de ce qu'il charrie, formules en rafale, répétées autant de fois que nécessaire, sans respect de la bienséance littéraire. Et puis, il y a les mots, les mots employés à jet continu, les mots interdits aujourd'hui, banals hier : « race », « peuple » ou « famille française ». Comme un voyage dans le temps et dans l'espace. Les Cahiers de l'Herne ont eu la bonne idée de publier les textes parmi les plus connus de Charles Péguy. On y retrouve ses formules les plus célèbres, celles qui ont fait sa gloire, citées à tort et à travers : « Tout commence en mystique et finit en politique…» ; ou encore: « Pour la première fois dans l'histoire du monde l'argent est seul face à l'esprit ».

    Péguy nous parle d'un temps que les moins de cent ans ne peuvent pas connaître. Entre l'affaire Dreyfus et 1914-1918 ; entre « la guerre des deux France » et l'union sacrée. Il a assumé celle-là et prophétisé celle-ci. Vécu intensément l'une et perdu la vie dans l'autre, mais dans les deux cas glorieusement. Il a fait le pont entre les deux. Ni sectaire, ni politicard, il a tendu la main à ses adversaires - les antidreyfusards - de la manière la plus élégante qui soit : « Il faut comparer les mystiques entre elles et les politiques entre elles. Il ne faut pas comparer une mystique à une politique ; ni une politique à une mystique… Nos adversaires parlaient le très respectable langage de la continuité, de la continuation temporelle du peuple et de la race, du salut temporel du peuple et de la race. »

    Il n'était pas monarchiste mais sa République était « notre royaume de France ». On pourrait croire que cent ans plus tard, l'extinction de la contestation antirépublicaine l'aurait réjoui ; à le lire, on comprend très vite que c'est la République d'aujourd'hui et les républicains de tous bords qui le désoleraient. Lui qui reprochait déjà à la IIIe République de s'abîmer dans la gestion d'un idéal falsifié, il supporterait encore moins le prêchi-prêcha de la  « culture de gouvernement » couvert des oripeaux des « valeurs républicains ». On a parfois l'impression qu'il se moque de notre Ve République quand il brocarde la IIIe : « la preuve que ça dure, la preuve que ça tient, c'est que ça dure déjà depuis quarante ans. Il y en a pour quarante siècles. C'est les premiers quarante ans qui sont les plus durs… Ils se trompent. Ces politiciens se trompent. Du haut de cette République, quarante siècles (d'avenir) ne les contemplent pas.»

    À son époque, la République exaltait la France et se croyait la mieux à même de la défendre contre ses ennemis ; aujourd'hui, la République a remplacé la France ; on dit la République parce qu'on a honte de dire la France ; on dit « valeurs de la République » parce qu'on refuse de rappeler les « valeurs » de la France. On dit République pour consacrer l'exact contraire de ce que fut la République. Péguy, c'est comme un rappel à l'ordre. Au vrai sens des mots. Avant le grand dévoiement. Grand reniement. Grand remplacement : « On prouve, on démontre aujourd'hui la République. Quand elle était vivante on ne la prouvait pas. On la vivait. Quand un régime se démontre, aisément, commodément, victorieusement, c'est qu'il est creux, c'est qu'il est par terre… Le mouvement de dérépublicanisation de la France est profondément le même mouvement de sa déchristianisation. C'est ensemble, un même, un seul mouvement profond de démystification… C'est la même stérilité moderne.»

    Péguy dénonçait les modernes ; nous subissons le joug des post-modernes. Il ne connaissait pas sa chance ; nous reconnaissons bien nos maîtres : « Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin. Le monde des intelligents, des avancés, de ceux qui savent, de ceux à qui on n'en remontre pas, de ceux à qui on n'en fait pas accroire. Le monde de ceux à qui on n'a plus rien à apprendre. Le monde de ceux qui font le malin. Le monde de ceux qui ne sont pas dupes, des imbéciles. Comme nous. C'est-à-dire : le monde de ceux qui ne croient à rien, pas même à l'athéisme, qui ne se dévouent, qui ne se sacrifient à rien. Exactement: le monde de ceux qui n'ont pas de mystique.»

    Karl Marx avait annoncé que le capitalisme détruirait toutes les structures traditionnelles (aristocratie, église, nation, État, famille) pour plonger chacun d'entre nous dans « les eaux glacées du calcul égoïste ». Péguy a bien compris que le socialisme finirait le travail, que ce couple moderniste, soi-disant antagoniste, en réalité complice car de concert progressiste, annihilerait les valeurs traditionnelles des classes populaires, sans lesquelles pourtant ni l'un ni l'autre n'auraient pu prospérer : « Le foyer se confondait encore très souvent avec l'atelier et l'honneur du foyer et l'honneur de l'atelier étaient le même honneur. C'était l'honneur du même lieu… respect des vieillards ; des parents, de la parenté. Un admirable respect des enfants. Naturellement un respect de la femme. Un respect de la famille, un respect du foyer… Un respect de l'outil et de la main, ce suprême outil… Et au fond ils se dégoûtent d'eux-mêmes, d'abîmer les outils. Mais voilà, des messieurs très bien, des savants, des bourgeois, leur ont expliqué que c'était ça le socialisme, et que c'était ça la révolution.»

    Le rapprochement de ces deux textes nous fait toucher du doigt ce qu'un Jean-Claude Michéa ne cesse de rappeler dans chacun de ses livres : l'affaire Dreyfus fut un basculement historique et idéologique. À partir de la défense légitime d'un innocent, les socialistes se sont ralliés à la défense exclusive de la « République » où ils n'ont plus cessé de privilégier l'épanouissement de l'individu, donnant ainsi au marché, au capitalisme - Péguy dit « l'argent » - l'arme absolue pour régner totalement sur la société. D'instinct, Péguy l'a compris. D'où le regard sévère qu'il porte sur les dreyfusards, le respect qu'il manifeste à ses adversaires, et la violence de son désespoir face à l'étiolement de la République. D'où son déchirement intérieur qui explique peut-être qu'il se soit jeté ainsi étourdiment au-devant des mitrailleuses allemandes dès les premiers jours de la guerre… 

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    Péguy, La mystique républicaine. L'Herne. 71 p., 7,50 €.

     

  • HISTOIRE & SOCIETE • 500 ans après son introduction par François 1er, la vigne revient à Chambord

    Château de Chambord. Le recensement effectué à la mort d’Henri II en 1552, témoigne de la présence de nombreuses vignes dans les fermes du château (photo FC). Elles reviennent. Presse locale é médias nous en parlent ...

     

    C'est en 1519 que le monarque bâtisseur de Chambord a fait venir 80 000 pieds de vigne de Bourgogne, aujourd'hui connus sous le nom de cépage « Romorantin ». Longtemps disparu du domaine, le voici replanté d'une très rare variété pré-phylloxérique ressuscitée par la famille Marionnet de Soings-en-Sologne. Les premiers pieds viennent d'être mis en terre.

    « Tant pour l’achapt de la quantité de quatre vingt milliers de complans de Beaune par luy achapté par ordonnance […] conduict lesdits complants depuis ladite ville de Beaune […] jusques en la ville de Romorantin… Iceluy complan ledit seigneur a ordonné estre planté ». C’est un extrait d’un courrier de 1518 des Archives Nationales relatant l’implantation de cépage Romorantin en Sologne. D’autre part, d’anciens plans de Chambord attestent qu’en 1786, six hectares des terres de la ferme de l’Ormetrou sur le domaine étaient plantés de vignes. Au début du XXIe siècle, officiellement le 12 juin 2015, les ceps retrouvent le terroir chambourdin. "C’est un projet patrimonial, environnemental et économique", explique Jean d’Haussonville, le directeur général du Domaine National de Chambord.

    Une vigne unique au monde

    dscf8029.jpgPatrimonial, car la moitié des pieds plantés, soit trois hectares, sont issus d’une sélection massale sur des plants pré-phylloxériques certifiés d’avant 1840. Ce sont des plants dits « francs de pied », n’ayant subi aucun greffage ni aucune transformation génétique. « Il y a 15 ans, nous avons récupéré 36 ares de cette vigne sur Soings-en-Sologne », raconte Jean-Sébastien Marionnet. Si bien que cette variété est aujourd’hui considérée comme la descendante la plus directe des "complans de Beaune" acheminés par François 1er en 1519. « A Chambord, nous les plantons sur une terre très sableuse, légèrement argileuse », explique le  vigneron au sein du domaine familial de "La Charmoise" à Soings. « Cela donnera un vin élégant et racé » promet son père, Henry Marionnet.

    Plantation entre pluies et éclaircies

    dscf8116.jpgLes ceps ont été mis en terre de manière très officielle vendredi 12 juin. Elus locaux et autorités de l’Etat ont été invités à chausser les gants pour la plantation symbolique autour de Guillaume Garot. L’ancien ministre délégué à l’Agroalimentaire et député PS de la Mayenne est depuis décembre 2014 président du conseil d’administration du Domaine National de Chambord. « Nous recréons la vigne de François 1er et nous élaborerons le vin de Chambord », s’enthousiasme Guillaume Garot. Cette idée inscrite dans le projet d’établissement du Domaine permettra, selon les prévisions, de récolter 300 000 €, voire plus. « Cet argent sera destiné à l’entretien du Domaine, particulièrement du mur d’enceinte », précise Jean d’Haussonville.

    De la nature en bouteille

    dscf8132.jpgLe classement du Domaine en site « Natura 2 000 » impose certaines obligations, notamment pour le maintien de la biodiversité. C’est Ségolène Royal, ministre de l’Ecologie, qui a exigé un travail biologique de ces vignes. Le savoir-faire de la famille Marionnet permettra même de produire un vin naturel, sans ajouts de soufre ou de produits œnologiques. En prime, le ministère octroie 800 000 € au Domaine National de Chambord pour créer un parcours promenade dans les vignes. « Nous nous inscrivons pleinement dans une démarche oeno-touristique », rebondit Jean d’Haussonville. Début juillet, la Maison des vins des AOC Cheverny et Cour-Cheverny installera un nouveau lieu d’accueil à Chambord.

    Quantités (très) limitées

    dscf8126.jpg« Nous prévoyons une production annuelle de 60 000 bouteilles », déclare Jean d’Haussonville, mais toutes ne contiendrons pas le vin issu des précieux pieds de Romorantin. En effet, une parcelle de pieds greffés complètera la gamme pour le blanc, et il faudra aussi compter avec des Pinot Noir et des Gamay pour élaborer un Cheverny rouge. « Nous sommes en attente de décrocher les AOC Cour-Cheverny et Cheverny. C’est en bonne voie », assure la directeur général de Chambord. Seul certitude, il n’y en aura pas pour tout le monde. Il faudra déjà attendre la première vendange prévue en 2019 (année des 500 ans du début de la construction du château). « Nous allons aussi lancer une campagne de mécénat des pieds de vigne ». Ainsi, pour 1 000 €, il sera possible de bénéficier d’un droit d’option sur trois bouteilles. 

     

    Nicolas Terrien

  • Lobby socialo-algérien et beaux-arts, par Péroncel-Hugoz

    Le musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille (MUCEM).

     

    Depuis Marseille, Péroncel-Hugoz donne un coup de dent au lobby anti-marocain de Paris dont les basses intrigues contrastent avec le haut niveau des échanges culturels franco-chérifiens…

    peroncel-hugoz 2.jpgC'est un fait : depuis février 2014, à force de manœuvres souterraines mais efficaces, le lobby socialo-algérien, assez puissant actuellement en France, a multiplié chausse-trappes et coups d'épingle pour entraver la bonne marche des relations Rabat-Paris. En contraste, brille en même temps avec une intensité particulière, la coopération artistique entre Royaume alaouite et République française. 

    Depuis plus d'un an et demi, les manifestations culturelles de Marseille, Paris, Rabat et, en cet été 2015, derechef la cité phocéenne, ne cessent de voir s'épanouir les beaux-arts d'hier ou d'aujourd'hui, entre Sud et Nord de la méditerranée, entre États et peuples de France et du Maroc. Afin sans doute de mettre de l'huile dans les rouages politiques, Rabat n'a pas lésiné sur le niveau de ses représentants aux principales expos: la princesse Lalla-Meryem à Paris puis l'émir Moulay-Rachid à Rabat et, le 3 juin 2015, au fameux MUCEM, à Marseille, le conseiller royal André Azoulay, s'exprimant à propos des « Lieux saints partagés », thème d'une nouvelle manifestation déjà très courue. 

    Pèlerin international depuis des décennies en faveur de la mise en lumière des points communs, plutôt que des divergences, entre les trois monothéismes dits « du Livre » (ou plutôt « des Livres » : Thora, Évangile, Coran), le conseiller palatin a dû revoir ou découvrir avec satisfaction une superbe suspension de synagogue marocaine (vers 1900), une tablette scolaire coranique en bois (Marrakech, vers 1900) mais aussi un vitrail de Salagon (Haute-Provence), une rare icône serbe, une Jument Bourâq tunisienne très enlevée, une Vierge Marie perse, un Mahomet voilé et même – ô surprise dans cette expo vouée en principe aux croyances abrahamiques ! – un très serein Bouddha laotien, comme un pied-de-nez au reste de cet univers divin… 

    Plus loin, un dessin animé moderne montre les « fleuves de vin » (et de miel) du Paradis très concret promis aux bons mahométans, mais aussi, sans précaution oratoire, « éphèbes et vierges » annoncés aux mêmes croyants dans l'au-delà… Tout cela est en effet écrit noir sur blanc dans les textes sacrés islamiques. 

    Ce qui, en revanche, a pu surprendre, agréablement ou non, certains visiteurs c'est, au milieu de ces salles toutes nimbées de foi traduite en beaux-arts, la vitrine absolument vide consacrée à l'agnosticisme par le plasticien italien Michelangelo Pistoletto… Au final, des œuvres belles et diverses inspirées par Moïse, Jésus, Marie, Mahomet ou Ali mais aussi un fond audiovisuel un peu trop « tout-le-monde-il-est-beau-tout-le-monde-il-est-gentil »… Eh ! Oui Marseille l'Orientale est quand même ancrée également au pays des «Charlie» et des « Bisounours »…  

     

    Péroncel-Hugoz  - Le 360

  • LIVRES • Vers la paix des ménages ... Par Grégoire Arnould

     

    Face à l’émancipation des femmes, quel nouveau rôle pour les hommes ? Une nouvelle conception de l’altérité entre les sexes est-elle à définir ? Ces questions, parmi d’autres, sont celles que se posent Chantal Delsol et Martin Steffens dans Le nouvel âge des pères, un essai rédigé à quatre mains. S’ils se complètent et se retrouvent souvent, il n’y a pas, chez les deux auteurs, de discours univoque. Chacun dispose de sa partie : la philosophe et membre de l’Institut propose une réflexion sur l’évolution du rôle de la femme et la récente fin de son « infantilisation » par les hommes, terme qu’elle préfère à celui d’« émancipation ». Le professeur de philosophie traite, lui, de la nécessaire adaptation des hommes à cette évolution sociologique.

    Comme le titre du livre le laisse suggérer, la place et la fonction des pères sont au cœur de leur questionnement, eux qui ont, trop souvent, démissionné de leur rôle. Ainsi, Martin Steffens propose une nouvelle conception de la virilité – ou de la masculinité – dans laquelle l’homme se doit d’ « être » et de « consister ». Autrement dit, d’exister et d’affirmer son existence. Le grand danger qui le guette, en raison de la fin programmée de sa domination, serait que le rapport de force s’inverse – c’est-à-dire que l’homme n’ait à offrir que ses faiblesses – au lieu de s’équilibrer. Chantal Delsol ne dit pas autre chose. La complémentarité homme-femme dans les familles est, pour elle, essentielle. Ils sont « deux membres différents d’une même espèce humaine faits pour collaborer ». Nos deux auteurs offrent, à rebours du projet postmoderniste, de bien précieuses réflexions aux inspirations chrétiennes sur l’avenir de notre société occidentale.

     

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    Le nouvel âge des pères, de Chantal Delsol et Martin Steffens, éditions du Cerf, 247p., 19 euros.

     

      - Politique magazine

  • LIVRES • Retrouver l’histoire de Louis Manaranche, par Georges LEROY

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     Retrouver l’histoire de Louis Manaranche - Le Cerf, 120 p., 12 €. 

    Cette recension du dernier ouvrage de Louis Manaranche est reprise des toujours excellentes - aussi bien qu'abondantes - notes de lecture de Georges LEROY dans chaque livraison du Réseau Regain. Ici, celle de mai 2015. Nous en recommandons la lecture.  

    Les Gaulois sont-ils nos ancêtres ? Doit-on reconnaître les bienfaits de la colonisation ? Quelle histoire de France enseigner ? Et si notre histoire, plutôt que de nous diviser, devenait un facteur de rassemblement et de transmission ? Et si, à force de renier le passé, nous avions renoncé à tout avenir ? Et si, à force d’exalter l’individualité, nous étions devenus incapables de communauté ? Et si, à force de vanter la diversité, nous avions oublié l’unité ? Refusant lafatalité, récusant les mythes dorés comme les légendes noires, ce livre montre que l’exception française tient à l’histoire de France. 

    Voilà l’ambition de ce livre : montrer comment, par son intensité, par ses multiples interprétations, par la diversité des hommes et des femmes qui l’ont incarnée ou qui l’incarnent, l’histoire devrait nous permettre de nous reconnaître comme Français grâce à un héritage où chacun trouverait sa part. Convoquant des auteurs de tous bords, de Simone Weil à Pierre Nora et de Hannah Arendt à Régis Debray, citant aussi bien les discours de Jaurès, de Clemenceau, du général de Gaulle ou de Benoît XVI, revenant sur des époques, des énements et des anecdotes connus et moins connues, mais tous significatifs, de la prière pour la France de Louis XIII à l’assassinat des Girondins par les Jacobins, des Trente glorieuses à la construction européenne, ou encore le récent projet de réforme de la carte territoriale, l’auteur repense notre rapport au passé afin de renouer avec l’idée de notre avenir.L’auteur déroule ici les actes fondateurs de la nation française, jusqu’à l’état présent de la laïcité.

    Voulant « raison garder », cet essai vif et détonnant, qui aborde un sujet plus que jamais d’actualité, constitue un antidote à la crise ambiante. 

  • Bainville chroniqueur : les commentaires de Causeur sous la plume de Bernard Quiriny

     

    Retour sur Jacques Bainville et sur la réédition de Doit-on le dire*. (Voir aussi Peut-on être Jacques Bainville aujourd'hui ? L'analyse de Stéphane Ratti : notre note du mardi 2 juin). 

    En 1924, l’éditeur Arthème Fayard (deuxième du nom) lance Candide, hebdomadaire d’actualité politique et littéraire, plutôt à droite, dirigé par Pierre Gaxotte. Y collaborent des plumes comme Albert Thibaudet, Benjamin Crémieux, Léon Daudet ou le caricaturiste Sennep, pilier de la rubrique humoristique. Avec un tirage de 80 000 exemplaires dès l’année du lancement, Candide est l’un des premiers hebdomadaires français ; sa diffusion passe 400 000 exemplaires au milieu des années 1930, presque autant que Gringoire et plus que Marianne ou Vendredi. Jacques Bainville, 45 ans à l’époque, célèbre pour ses livres d’histoire (Histoire de deux peuples, Histoire de France) et ses essais (Les conséquences politiques de la paix, fameuse dénonciation du Traité de Versailles), est invité à écrire par Fayard. Aguerri au journalisme (il écrira durant sa vie pour plus de trente titres), il se voit confier un billet de deux colonnes à la une, sous le titre « Doit-on le dire ? », pour parler de ce qu’il veut, vie politique et parlementaire, actualité diplomatique, mœurs, arts, littérature. La forme étant libre, Bainville s’en donne à cœur joie, testant tout : dialogue, saynète futuriste (un débat à la chambre en… 1975), commentaire, etc. Très lue, cette chronique donne lieu en 1939 à un recueil de 250 papiers chez Fayard, avec une préface d’André Chaumeix. C’est ce volume qu’exhume aujourd’hui Jean-Claude Zylberstein dans sa collection « Le goût des idées », avec un avant-propos de Christophe Parry.

    Y a-t-il un sens à relire aujourd’hui ces chroniques de l’entre-deux-guerres ? Beaucoup d’événements dont elles parlent sont sortis des mémoires, on n’en saisit pas toujours les subtilités. Deux ou trois mots de contextualisation n’auraient pas été de trop. Mais quand même, quel plaisir ! Plaisir de voyager dans le temps, déjà : on respire dans ces billets l’atmosphère de la Troisième République, avec les grands députés, les inquiétudes devant le franc trop faible et l’Allemagne trop forte, la démission de Millerand, les polémiques, les scandales. Il n’y a pas que la politique qui passionne Bainville : tout lui est bon pour réfléchir et plaisanter, du dernier prix littéraire aux vacances des Français en passant par les séances de l’Académie (il y sera élu en 1935) et le politiquement correct qui, déjà, fait ses ravages. Ainsi Bainville ironiste-t-il en 1928 sur le remplacement du Ministère de la guerre par un Ministère de la Défense nationale, tellement plus rassurant… Quant à ses opinions, elles n’étonnent pas, pour qui connaît son parcours : Bainville défend le capitalisme, critique les dérives du du parlementarisme, et réserve ses meilleures flèches aux socialistes, adorateurs du fisc et de l’égalité, ainsi qu’à tous les opportunistes et à tous les utopismes, qu’il estime toujours trompeurs et dangereux.

    Ses armes sont l’ironie, la fausse candeur, la banderille plantée l’air de rien. Les chutes de ses papiers, souvent, sont excellentes. « Je ne vois qu’une difficulté à la défense des écrivains contre le fisc, dit-il. L’organisation de leur grève se conçoit assez mal. Il y aurait bien celle des chefs-d’œuvre. Malheureusement elle est déjà commencée ». On glane dans ces pages beaucoup de petits aphorismes malicieux, toujours applicables aujourd’hui. « A condition de ne donner ni chiffres ni dates, vous pouvez conjecturer tout ce que vous voudrez » : ne dirait-on pas qu’il parle de la courbe du chômage dans nos années 2015 ? De même, voyez ce papier de 1934 où il cloue au pilori deux députés radicaux qui ont fait campagne contre « les congrégations économiques et l’oligarchie financière » : « Jamais on ne s’est moqué du peuple à ce point-là ». Toute ressemblance avec un certain discours au Bourget, etc. Comme on voit, il y a de quoi rire dans ce volume. On y voit un Bainville, léger, caustique, différent du Bainville des grands livres, le Napoléon, les Histoires, le Bismarck. C’est sa facette voltairienne, si l’on veut, lui qui si souvent fut comparé à Voltaire, et qui ne pouvait mieux exprimer cet aspect de sa personnalité que dans un journal intitulé Candide. La façon de Voltaire, il la résume d’ailleurs dans une chronique : tout oser et, pour cela, « joindre beaucoup de style à beaucoup d’esprit ». 

    Doit-on-le dire ?, Jacques Bainville, Les Belles, Lettres, 2015.

    Bernard Quiriny - Causeur