Vous avez dit la République ?
Par Hilaire de Crémiers
Incontestablement nos dirigeants ont peur. Et pourtant…
Le gouvernement n’en a pas fini. Non seulement avec les Gilets jaunes, mais avec une révolte générale qui, pour le moment, sourd des profondeurs du pays et qui pourrait aussi bien jaillir en flux beaucoup plus violents à la moindre occasion.
« Manager » la France
Macron, Philippe, et leurs équipes, quand ils sont arrivés au pouvoir, ont cru que tout se ramenait à une question de gestion ; ils trancheraient avec les prédécesseurs ; ils auraient l’audace tranquille et franche de la direction « managériale » ; leur politique serait celle de bons gestionnaires, loin des discours partisans, des positions idéologiques, transcendant les clivages et s’imposant par son efficacité.
La liste avait été établie de tous les points névralgiques où il fallait porter le fer de la bonne réforme. L’important était de rénover le système français qui devenait obsolète et, surtout, de dégager l’avenir afin de consacrer temps, argent, capital humain et financier aux richesses du futur dépendant des nouvelles technologies. Ce qui obligerait enfin la France à sortir d’elle-même et de ses vieux problèmes pour s’engager résolument sur les voies de la globalisation et de la mondialisation. A quoi il convenait d’ajouter le souci écologique qui devenait plus que jamais l’une des composantes de la vie et où la France brille singulièrement, comme chacun sait, par l’éclat de ses discours et de ses résolutions chiffrées, actées, trompettées.
De telles prospectives supposent un maître d’œuvre. Et Macron était là ! Matignon assurerait le quotidien ; l’Élysée maintiendrait la vision. Il devait y avoir à tous les niveaux de direction gouvernementale et administrative un personnel capable de comprendre l’ampleur du dessein pour mieux en assurer l’exécution.
Le reste était relativement secondaire. L’immigration dans l’imaginaire macronien n’était un problème qu’en raison des idéologies néfastes qui s’emparaient de la question, soit le refus xénophobe et raciste, soit le tout-va immigrationniste. Le réalisme était de comprendre le problème dans toute la complexité de ses données multiples. Il n’était pas jusqu’aux questions dites sociétales qui ne trouveraient leur solution dans un tel état d’esprit. Il n’y avait pas de métaphysique qui tenait ; l’esprit positif du gouvernement, tenant compte des progrès de la science et de la technique comme des revendications juridiquement valides des personnes et des couples, ferait valoir auprès de l’opinion la plus large « les avancées » qu’il était possible d’envisager.
Restait à mettre les institutions au diapason de cet esprit de réforme générale. Les vieux « trucs » politiciens devaient disparaître devant des propositions claires et simples d’une dynamique modernité : plus de cumul des mandats ; plus de carrières politiciennes qui s’enkystent dans le système avec les reconductions dans les charges publiques ; moins d’élus de toutes sortes ; moins de strates politiques et administratives pour faire des économies d’échelle ; renouvellement dans et par la société civile de toute les fonctions publiques, assurant une participation de tous au débat citoyen et aux décisions collectives ; ouverture de certains scrutins à la proportionelle mais avec une sage pondération pour permettre une plus exacte représentation du corps électoral – et aussi pour finir d’affaiblir les partis traditionnels ! Et, peut-être, dans certains cas, de plus grandes possibilités de référendums.
Et le président « présiderait » en majesté jupitérienne par la haute dignité de son intelligence –, ça, c’était pour le peuple français –, et, en même temps, en simplicité par son ouverture compréhensive à la vie d’aujourd’hui qui se doit d’accepter presque tout et de jouer le jeu de la vulgarité, s’il le faut jusqu’à la trivialité, avec cette idée qu’on ne perd rien à se mettre au niveau de la voyoucratie à la mode – et ça, c’était pour tous les bobos – dont les Macron font partie à leur manière – et les gars des banlieues qu’on se flattait de séduire.
Ainsi Macron se faisait-il fort de résoudre le problème français. En cinq ans, avait-il annoncé, le temps d’un quinquennat. Il avait montré sa capacité à vaincre, en France d’abord, le populisme et l’hydre du nationalisme. Il était disposé à manifester la même capacité au niveau européen ; il s’en était expliqué dans un long discours à la Sorbonne ; il s’était engagé en janvier 2018 à Davos à faire de l’Europe, avec essentiellement l’aide de l’Allemagne, un modèle de société ouverte. Ce serait, après la rénovation du « contrat social » français, la restauration du « contrat social européen » dont l’Angleterre ne pourrait avoir qu’envie de redevenir partenaire. Il resterait alors à diligenter « le contrat social mondial », à le rééquilibrer ; et, là aussi, Macron exposait ses idées de multilatéralisme, de justice, de complémentarité, et tout le monde comprenait qu’il était, à ce niveau aussi, l’homme de la situation. Ce qui lui valut à Davos une standing ovation !
Le divorce consommé
Voilà donc Macron, tel qu’il est, tel qu’il se pense. Il ne fait, d’ailleurs, que rabâcher ce qu’il a appris dans ses cours, sans prendre de distance, et en se l’appropriant comme sa plus profonde réflexion. Il n’a aucune épaisseur de pensée, aucune profondeur de cœur ; il est figé dans des raisonnements de quatre sous et des considérations aussi générales que répétitives qui ne forment pas une politique. En un an il n’a pas changé ; il ne changera pas ; il ne peut pas changer ; il l’a dit ; c’est sa seule structure mentale et c’est sa psychologie de fond dans le rapport de son moi avec le monde. Ses vœux moralisateurs étaient du même acabit, sans chaleur, sans prise avec le réel : un cours récité.
Alors, pourquoi faire ou refaire dans ces colonnes pareille synthèse de la pensée macronienne, aujourd’hui, en ce début d’année 2019 ? Uniquement pour montrer le décalage absolu entre la vision du chef de l’État et les préoccupations du peuple français. Il ne suffit pas de le constater et de le dire ; il faut en comprendre les raisons. Les grandes idées inconsistantes et concrètement destructrices des liens sociaux et historiques au motif d’une prétendue modernité ont toujours été rejetées par les peuples. C’est ainsi que la France et les Français ont rejeté toutes leurs républiques depuis plus de deux cents ans. L’État ne saurait être au service de plans concoctés dans des cervelles d’arrivistes plus ou moins intellectuels et qui finissent en chimères ; il se doit d’être le premier fonctionnaire du bien commun, c’est-à-dire de l’intérêt national. Et cela ne l’empêche nullement de s’intéresser aussi aux voitures de demain ! La Ve République subit en ce moment le sort des précédentes. Parce qu’elle ne sert plus maintenant qu’une idée et, avec Macron, une idée fausse.
Les Français demandent à vivre. On les en empêche au nom de vastes considérations dont ils n’ont strictement rien à faire. L’abîme qui se creuse entre les gouvernants et ce qu’il est convenu d’appeler le peuple, est tel que la crise devient naturellement institutionnelle. « Macron, démission ! » n’est pas seulement un cri jeté en l’air. S’il faut déplorer comme tous les honnêtes gens les destructions inutiles qui sont essentiellement le fait de casseurs qu’on laisse faire depuis des décennies, il est en revanche dans les manifestations des actes et des slogans qui signifient clairement le rejet d’un État et de gouvernants qui méprisent la France et les Français. « C’est à la République qu’on s’en prend », reprennent en chœur les Castaner, les Griveaux et autres qui n’ont cessé d’insulter des Français pacifiques en les traitant de voyous. Juste retour des choses. Et d’ailleurs la légitimité de tout ce personnel, d’où vient-elle ? Historiquement, de têtes coupées, mises au bout d’une pique. N’est-ce pas ? Et ils en sont fiers ! Et ils le revendiquent ! Alors ?
Malgré tous les discours, le pays réel n’est plus écouté par le pays légal. Le divorce aujourd’hui est complet. Le Conseil économique, social et environnemental propose-t-il une consultation ? La majorité des réponses demande en priorité l’abrogation de la loi Taubira. Qu’à cela ne tienne ! C’est traité comme un mauvais coup des réactionnaires ! Pas plus que la pétition des 700 000 signatures en 2014, ces revendications ne seront prises en compte.
Le président écrit aux Français pour leur proposer un large débat et tout le monde devine que le débat est déjà clos. Il en profitera pour essayer de faire passer quelques points de sa réforme constitutionnelle avec l’aval populaire d’un référendum. On est dans l’astuce politicienne. Le monde nouveau de Macron rappelle étrangement le monde d’hier. La République continue à se ressembler à elle-même. Mais, il est vrai, que faire ? Les malins quittent le navire gouvernemental les uns après les autres. Qu’en sera-t-il quand le pilote arrivera sur l’écueil des élections européennes ? ■