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  • Une analyse de l'Encyclique Spe salvi, par Hilaire de Crémiers

    Une bonne nouvelle (Retour sur l'Encyclique Spe salvi)         

               Cette encyclique du pape Benoît XVI a plus de portée qu'on ne l'a dit.

              C’était un signe d’Avent. C’est-à-dire un signe d’espérance. Le jour de la Saint-André, le 30 novembre 2007, le souverain pontife Benoît XVI a signé son encyclique sur l’Espérance Spe salvi.

     

    benoit xvi spe salvi.jpg
    Lire l'encyclique : 

    http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/encyclical...

      

               On  se souvient que sa première encyclique, il y a deux ans, portait sur la Charité : Deus Caritas est. Il n’est pas douteux qu’il y en aura une troisième sur la Foi. Le pape se propose ainsi de revenir à l’essentiel : la Foi, l’Espérance, la Charité. Il est clair aussi qu’il dit pourquoi ; il le dit d’ailleurs dans tous ses textes et à toutes les occasions. Ce pourquoi est fort simple : c’est que précisément l’essentiel avait été perdu de vue.

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    La croix camarguaise, illustration de la Foi (la croix), de l'Espérance (l'ancre) et de la Charité ( le coeur)

     

     

              Or les vertus théologales de Foi, d’Espérance et de Charité ont d’abord et pour ainsi dire pour principale « vertu », c’est-à-dire pour force propre, intime et caractéristique de se rapporter à Dieu dont elles tirent leur qualification, et donc de ramener l’homme à Dieu et au Dieu incarné Jésus-Christ dont l’Église est chargée par l’Esprit-Saint d’annoncer le salut. C’est dire qu’on s’en était écarté. Jusque et y compris dans les discours ecclésiastiques.

     

    L’espérance, vertu chrétienne

     

    Le pape dans sa première encyclique Deus Caritas est s’était donné le soin de préciser les différentes notions de l’amour et de déterminer les caractères singuliers de la charité chrétienne qui ajoutait au meilleur de l’amour humain une force divine unitive, capable de répondre à une attente humaine spécifique et, en même temps, de dépasser totalement cette attente par la grâce significative d’un don gratuit et surabondant de Dieu qui distingue de manière radicale la charité de toute autre philanthropie et qui en fait une manifestation propre de la communion avec le Dieu vivant, avec le Christ crucifié et ressuscité, et avec l’Église, son corps mystique ; amour qui peut aller et va au-delà même de toutes les limites visibles. La leçon était importante : l’activisme idéologique et politique ne saurait aucunement se revendiquer de la charité. C’était dit fermement.

    De la même façon, le Saint-Père dans son encyclique sur l’Espérance, d’une manière pédagogique mais très résolue, rappelle ce qu’est l’espérance chrétienne qui n’est que la certitude dans la foi de posséder déjà de manière présente les biens futurs qui sont promis par Jésus-Christ. Il y a là une radicalité qui ne saurait compromettre l’espérance chrétienne dans l’idéologie ou dans la politique.

    Au contraire, c’est cette espérance qui anime le témoin de Jésus-Christ, le martyr, face à la puissance étatique dont l’idéologie se transforme en force de persécution ; c’est elle qui mène à la vraie liberté des enfants de Dieu les pauvres esclaves humains ; c’est elle qui met à part le religieux dans sa quête du royaume dès ici-bas. Le pape en donne des exemples merveilleux ou touchants à travers tous les siècles. Espérance personnelle si forte qu’elle ne se conçoit que comme collective, comme communautaire : l’homme de l’espérance chrétienne ne veut pas seulement se sauver lui-même, mais il voudrait, s’il était possible, sauver l’humanité toute entière. Comme son Dieu !

     

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    Jean 8.12 : “Jésus dit qu’il est la lumière du monde…”
    Ephésiens 2.11 : “Vous étiez sans espérance et sans Dieu…”
    Tessaloniciens 4.13 : ”Ne pleurez pas comme ceux qui n’ont pas d’espérance…”
    Jésus a dit :  “Je suis la lumière du monde, celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres mais il aura la lumière de la vie“….
     
     

     

    L’idéologie remplace l’espérance

     

    Et le pape alors de s’interroger sur l’origine des fausses conceptions qui, chez les modernes, ont détourné la notion même d’espérance de son sens véritable. Il indique, dans ces causes, d’abord, la sorte de déification de la Raison et de la Liberté que les méthodes scientifiques, extrapolées au-delà de leur possibilités, ont semblé justifier : dans cet esprit, l’homme n’était plus fait que pour le Progrès majusculaire, qui remplaçait de fait l’espérance comme unique et radieux avenir.

    Cette outrecuidance, pense le pape, pourrait fort bien se résorber dans l’avenir, car non seulement il n’y a aucun conflit entre la raison et la liberté humaines, d’une part, et la vertu d’espérance surnaturelle, d’autre part, mais encore et au contraire elles peuvent s’accorder profondément, car sans liberté et sans raison point d’espérance. Il suffit simplement de faire les distinctions nécessaires. L’espérance est même la garantie de la liberté.

    Les causes les plus certaines, d’après le pape, se trouvent dans une sorte de trilogie qui pourrait se ramener en son essentiel chronologique sous les  dénominations suivantes : Luther, la Révolution française (« avant tout », dit le pape), la philosophie allemande. Et c’est tellement vrai. Luther a réduit l’objet de la foi à une conviction subjective : l’espérance devenait ainsi une opinion, une idée sans objet. La Révolution française a érigé l’idéologie en divinité, en matrice nouvelle et universelle d’une foi, d’une espérance, d’un amour pour ici-bas à réaliser dans la société heureuse des lendemains révolutionnaires qui sortira nécessairement de toutes les convulsions de tant de gésines douloureuses. Le pape, certes, ne s’appesantit pas sur ce point, mais ce n’est pas la première fois qu’il pointe du doigt ce tournant du mal.

    La philosophie allemande, enfin, va s’emparer de ce thème, dans l’étonnement que lui procure cet événement de la Révolution qui change le cours de l’histoire. Kant sera le premier à en saisir l’importance, dans un premier temps pour admirer, mais, dans un deuxième temps, – et Benoît XVI le cite –, pour en inférer – ce qui était bien vu – qu’il y avait là un tel retournement de perspectives qu’il pourrait bien s’agir pour le futur d’une annonce du règne de l’Antéchrist.  Joseph de Maistre et plus tard Soloviev ne penseront pas autrement.

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    Philosophe et poète, Soloviev (1853-1900) fut aussi un précurseur du rapprochement des Eglises chrétiennes

     

     

    Benoît XVI se garde bien de faire un cours de philosophie : il ne trace qu’à grands traits cette généalogie de l’idéologie moderne : Hegel dialectise l’Histoire pour mettre la Raison et l’Etat au bout de ses concepts ; Engels et Marx décident d’achever la révolution bourgeoise en révolution prolétarienne et mettent au bout de la dialectique historique, matérialiste, économiste et productiviste, l’avènement inéluctable de la société sans classe. Il n’est plus d’autre espérance !

    Le malheur est que, quand Lénine a prétendu réaliser la prophétie, il a créé le goulag, l’univers concentrationnaire. Terrible leçon, car, rappelle le pape, l’homme reste l’homme et les structures matérielles et sociales ne suffisent pas à l’améliorer. L’espérance est d’un autre ordre. Il n’empêche que, sous une forme ou sous une autre, l’Europe occidentale, puis le monde entier ont été affectés par tous ces totalitarismes de l’idéologie qui s’était  emparé de la politique. Même les chrétiens, souligne Benoît XVI, en ont été marqués dans leur conception, abandonnant dans leur pensée une telle place à l’idéologie que, pour les plus pieux d’entre eux, ils ne concevaient  plus qu’un salut tout personnel. Comme c’est bien vu !

     

    Le retour à l’espérance

     

    Et le pape de s’adresser directement aux chrétiens pour leur demander de se purifier de ses visions erronées et de rectifier leur regard. C’est la partie la plus belle de l’encyclique dont ce n’est pas le lieu ici de faire le commentaire. Pour faire bref, le pape appelle les chrétiens à la prière qui est la meilleure manière d’exprimer l’espérance chrétienne. Il les invite à agir en acceptant la souffrance et les difficultés puisque c’est au travers de ce monde, imparfait par nature, que l’homme marche vers la perfection surnaturelle. Enfin Benoît XVI évoque le jugement, jugement personnel, jugement final, avec beaucoup de délicatesse mais sans hésiter : ainsi il prêche « les fins dernières », prédication qui, depuis des décennies, avait disparu – mais presque totalement – du discours ecclésiastique. C’est pour ainsi dire aujourd’hui une nouveauté.

    Les méchants seront jugés comme méchants, les bons comme bons : cette simple proposition redonne un sens à la vie, un ordre aux choses, une finalité à la création. Car la justice est le besoin le plus incoercible de la  nature humaine et peut-être de la nature tout court et, dit Benoît XVI, elle justifie à elle seule et presque de manière naturelle – et c’est exprès que le pape cite en cet endroit Platon – la croyance en l’immortalité de l’âme et en la résurrection de la chair. Et comme la plupart des hommes sont dans l’entre-deux de  la misère et du désir de perfection, il est juste et normal que l’Église ait conçu, comme il se doit, une nécessaire purgation. Avant la rencontre définitive.

    Que dire ici ? Sinon que cette encyclique est un formidable rétablissement. En quelques pages Benoît XVI rend à l’humanité moderne le plus grand des services moraux et, ajoutons-le sans scrupule, politiques. Tout simplement en remettant l’eschatologie, c’est-à-dire la connaissance des fins dernières, là où elle doit être. Il libère la religion en lui redonnant sa dimension surnaturelle ; il libère du même coup la politique en la débarrassant, dans une conception saine, de tout l’horrible fardeau de l’idéologie. Idéologie qui encombre encore malheureusement tant de discours, qui offusque encore passablement l’horizon. Idéologie qui n’a jamais fait l’affaire au cours de ces derniers siècles que d’aventuriers qui, en promettant le « Bonheur » aux peuples – le « Bonheur final » ! – n’ont causé que leur malheur et les ont réduits à la servitude, le pire étant peut-être aujourd’hui la servitude de l’argent. Autre forme d’idéologie.

     

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    La grande force de l’idéologie a tenu au fait qu’elle a réussi à s’emparer de l’État et, par l’État, de la culture officielle et de l’éducation des peuples. L’État idéologue a pu ainsi substituer ses mots d’ordre à la foi, à l’espérance et à la charité, qu’il a orientées vers ses propres fins, et il s’est substitué de la même façon à la politique en lui retirant sa fonction d’ordonnatrice du Bien commun et en imposant sous son nom ses principes de gouvernement. Il a ainsi abusé le monde et il l’a fait en toute impunité puisqu’il s’est déclaré en même temps la Justice, celui qui la dit, celui qui la fait, celui qui donne le jugement final sur le Bien et sur le Mal. Voilà la parodie d’espérance dont la parole du pape nous libère !

    Et voici que le temps de l’État idéologue commence à passer. La tour de Babel a déjà  vacillé. Des pans entiers se sont effondrés dans les pays de l’Est, libérant des énergies qui, dans le tourbillon des changements, n’ont pas révélé encore leur capacité. La France, quant à elle, pour parler de notre pays, n’en a pas fini certes avec son idéologie.

    Cependant le diagnostic du pape est profondément vrai : une ère s’achève qu’il faut fermer. C’est dans l’air du temps. Le professeur Jean-François Mattéi vient de publier un remarquable essai sur l’épuisement de la culture européenne, d’où il résulte qu’à force d’idéologie l’Europe en est venue à perdre le sens de sa propre identité, faite de rationalité, de liberté, d’espérance incoercible et d’universalisme chrétien. Elle semble renoncer à elle-même  et elle ne sait plus où elle va ; elle a, dit Mattéi, le regard vide.

  • L'unité du genre humain, notamment par les mouvements migratoires, est-elle pour demain ? (2/2).

                La croyance dans l’unification de l’humanité et l’enthousiasme d’une partie non-négligeable de l’Eglise Catholique pour cette perspective hasardeuse ne datent ni l’une ni l’autre d’hier.

    Le texte que nous versons au débat est de Charles MAURRAS. Il a été publié dans l’Action française du 21 octobre 1932, en réponse au cardinal VERDIER, archevêque de Paris.

    Nous n’alourdirons pas le texte de MAURRAS par des commentaires superflus, car, qu’on l’approuve ou non, il est rédigé de façon claire. Il se suffit à lui-même. Chacun jugera.

    Il faut, bien-sûr, un certain effort de transposition de cette époque dans la nôtre. Mais cet effort ne sera pas très grand tant la profession de foi du Cardinal VERDIER dans l’unification prochaine de l’humanité et son bonheur à venir, tant ses certitudes ressemblent aux raisonnements d’aujourd’hui.

    Ajoutons seulement, sans aucune malice, mais avec la claire conscience de l’aveuglement engendré par les utopies, que 7 ans, à peine, après cet échange d’idées, se déclenchait la seconde guerre mondiale, la plus grande et la plus destructrice que l’humanité ait jamais connue.

    De quel côté était donc la clairvoyance ?

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    Vieilles nuées philosophiques

                On lit, dans la Semaine religieuse de Paris, sous la signature de Mgr Verdier :

                Le commerce, l'industrie, la finance et donc la politique elle-même ne peuvent plus s'abandonner, sans restriction, à la libre concurrence, ou organiser leur activité dans un "superbe isolement". Les conditions faites au monde moderne ne le permettent plus.

                .... Jusqu'à ce jour, l'humanité n'était que la somme des unités nationales. Elle n'avait pas d'existence propre.

                Demain elle SERA une réalité distincte, agissante, liée très explicitement au bien-être et au bonheur de tous les hommes.

               Demain, nos devoirs envers la patrie ne POURRONT plus se séparer de nos devoirs envers l'humanité.

               ... Chose étrange, en présence de cette compénétration universelle qui demain s'imposera à eux, les nationalismes s'inquiètent et s'irritent.

               Mais les faits sont plus forts que les hommes. Les découvertes modernes et les conséquences de la grande guerre ont mis l'humanité sur une pente raide où elle NE PEUT PLUS s'arrêter. Oui, redisons-le, d'un pas continu et que les évènements peuvent accélérer, ELLE VA à cet ordre nouveau où S'ATTÉNUERONT les frontières de toutes sortes, où la compénétration directe de tous les intérêts SERA la condition normale de la vie et de l'activité de tous les hommes.

               Ces perspectives créent des devoirs immédiats.

               Il va de soi que je ne conteste les droits d'aucun esprit. Chacun peut croire avec le romantisme que le progrès conduit à l'unité des races humaines.

                Le monde en s'épurant s'élève à l'unité,

                disait Lamartine en 1843. Depuis quatre-vingt-dix ans bien près d'être écoulés, l'histoire du monde, si elle comporte deux grandes unifications en Italie et en Allemagne, montre au contraire l'atomisation, la pulvérisation d'une Europe à qui manque l'unité autrichienne, l'unité ottomane, l'unité suédo-norvégienne, même l'unité du Royaume-Uni : l'effort désintégrateur ayant au moins égalé l'effort intégrateur. Ce passé récent peut être jugé sans force ni valeur devant la foi à l'unité proche et fatale, mais ce témoignage de fait établit tout au moins que la discussion reste ouverte et que, si l'on peut parler pour l'unité et croire mordicus à cette unité, il n'y a  pas lieu de mettre au futur certain des conditionnels pleins de risques....   

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    "Depuis quatre-vingt-dix ans bien près d'être écoulés, l'histoire du monde, si elle comporte deux grandes unifications en Italie et en Allemagne, montre au contraire l'atomisation, la pulvérisation d'une Europe à qui manque l'unité autrichienne, l'unité ottomane..."

                 Chacun peut rêver à sa fantaisie et, encore une fois, croire à son aise la matière enseignée par Victor Hugo dans Plein Ciel: la facilité et la fréquence des communications, particulièrement aériennes, pousserait fatalement les humains à fraterniser; nous avons reçu sur la tête assez de marmites venues de tous les points du ciel allemand pour maintenir les réserves assez formelles sur les fatalités de cet acabit.

                 Chacun peut adhérer à ce dogme, pas très frais, du romantisme saint-simonien, d'après lequel une civilisation industrielle comme la nôtre devra être forcément pacifique. Mais il suffit d'ouvrir un journal pacifiste pour y lire que les pires ennemis de la paix sont aujourd'hui les métallurgistes, parce qu'ils fabriquent et vendent des canons. L'industrie, en s'incorporant à la vie des hommes, est devenue guerrière comme eux.   

                 Nouveau refrain, nous ne donnons pas ces vues pour des révélations qu'il faille imposer : une liberté spacieuse est ouverte à tous les lieux communs de la poésie et de la philosophie révolutionnaires. Il n'est cependant pas un esprit un peu critique et cultivé qui ne sache de quelles objections de fait et de droit ces formules restent passibles. 

                  La dure expérience des "guerres d'enfer" nées avec la Révolution française a parlé. La raison analytique avait parlé avant elle.

                  L'éminent anticipateur insinue bien que ces objections proviennent de "l'inquiétude" et de "l'irritation" des nationalismes. Pas du nationalisme français, toujours ! Il est bien tranquille, le pauvre. Il n'y a personne de moins inquiet !

                 Seule existe ici une irritation de l'esprit, parfaitement légitime, celle que note Pascal : "D'où vient qu'un esprit tortu vous irrite ?..."

                 L'esprit tortu de la philosophie révolutionnaire et romantique irrite, j'en conviens, par son obstination à nier les réalités. Il y a vingt-sept ans, un des maîtres du pacifisme, M. Marc Sangnier, nous soutenait que la monarchie était devenue inutile parce que les deux éléments essentiels du régime royal, une diplomatie, une armée, étaient déjà périmées : pures "survivances", comme disait alors Anatole France ! C'était en 1905, juste à la veille de l'éclat de Tanger. La menace de l'empereur Guillaume II montra clairement que ni la politique extérieure ni la politique militaire n'étaient inutiles. La grande guerre est venue dix ans plus tard.

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    1905 : En vue de prévenir la mainmise de la France sur le Maroc, Guillaume II débarque théâtralement à Tanger, au nord du sultanat, traverse la ville à cheval, à la tête d'un imposant cortège, et va à la rencontre du sultan Abd-ul-Aziz pour l'assurer de son appui....

                 Le cardinal-archevêque de Paris écrit tranquillement que "les faits sont plus forts que les hommes". Qu'est-ce qu'il en sait ? Notre poids nous attache au sol, c'est un fait : les êtres qui inventent et pratiquent l'aviation ne sont pas des singes ; ils sont plus forts que ce fait-là. L'histoire du monde est tissue de ces victoires des hommes sur les faits. Est-il je ne dis pas d'un esprit informé, mais d'un esprit raisonnable, de méconnaître ou d'oublier ce primat ?

                 La brusque anticipation du cardinal-archevêque de Paris est fondée tout entière sur l'ensemble des intérêts matériels qu'il appelle le commerce, l'industrie, la finance ("et donc la politique", comme si la politique n'était que leur somme !)  : ces faisceaux d'intérêts matériels offrent des caractères de solidarité qu'il lui plaît d'appeler universels. Mais d'abord, répondrait le vieux Brunetière, c'est la solidarité de la gazelle et du lion. De plus, cette solidarité n'est pas d'hier, elle ne date ni de la grande guerre, ni de l'avènement du monde moderne, elle a été, dans tous les temps, exercée dans des cercles plus ou moins vastes, toujours fort étendus, débordant toujours, et de beaucoup,  les frontières des nations. Enfin, les intérêts industriels et commerciaux n'ont pas la seule vertu d'unir, ils séparent aussi : ils partagent, parce qu'ils se partagent, ils divisent parce qu'ils sont divisibles, et c'est justement leur aptitude à la division qui engendre inévitablement les conflits. On se bat pour eux, à cause d'eux, comme on s'embrasse et comme on s'aime également pour eux. Comment le Cardinal ne le voit-il pas ? Il y a là plus qu'une erreur de raisonnement, c'est l'erreur de jugement qui est flagrante, mais d'autant plus surprenante que nous la trouvons sous la plume d'un membre élevé de la hiérarchie catholique. Comment dix évêques, cent prêtres, mille séminaristes n'ont-ils pas déjà répondu à Son Éminence par le magnifique chant de la Divine Comédie où se trouve expliquée la distinction scolastique entre ces biens matériels, si essentiellement divisibles (et diviseurs), et les biens spirituels qui, au rebours du pain quand on le coupe, se multiplient quand on les partage ?

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    Domenico di Michelino, cathédrale de Florence
    Dante présente son ouvrage ouvert et se tientdevant le paysage symbolique de la divine comédie.
    A gauche, il y a
    l'Enfer, au fond, le Paradis à droite, la ville de Florence

                 Ce sont précisément les biens de l'unité spirituelle qui sont en baisse dans le monde moderne. Ils ont baissé avec Photius au IXème siècle, ils ont baissé encore avec Henri VII, Luther et Calvin, ils ont diminué encore avec la Révolution française et la propagande de la maçonnerie universelle, si vive, si profonde, que le sens des mots du langage, ce dernier lien des hommes, est allé s'obscurcissant, à peu près comme aux jours de Babel, - et c'est devant l'immense diminution de tout ce qui est lien spirituel qu'un prince de l'Église nous propose, non comme un désir, non pas même comme un espoir, mais comme certaine et prochaine la perspective de l'unité du genre humain !

                 Encore une fois, libre à lui ! Ce dont il ne me semble pas qu'il puisse âtre libre, c'est d'user d'autorité pour imposer de telles offenses aux plus sanglants résultats de l'expérience, aux plus amers retours de la réflexion désintéressée. Les intérêts publics les plus sacrés doivent en souffrir.

                 Je repense souvent à un petit livret d'histoire de l'Église qui me fut remis entre les mains il y a plus de cinquante ans. Je vois encore la page où l'épiscopat du XVIIIème siècle est blâmé d'avoir substitué, dans l'œuvre pastorale, aux instructions sur le dogme et sur la morale, les développements physiocratiques sur l'agriculture et sur l'économie. L'auteur, un jésuite, déplorait comme une déchéance cette fâcheuse transposition des fonctions et louait même un archevêque de Paris de s'être soustrait à la mode. Il s'appelait Christophe de Beaumont, si je ne me trompe.

    (Action française, 21 octobre 1932).

    MAURRASALMANACHAF1928.jpg
  • Echéances sans surprise

    (Voici l'analyse politique d'Hilaire de Crémiers, parue dans le numéro d'été de Politique Magazine - juillet/août 2011, n°98)

     

     

    La vie politique française a l’art de créer des « suspenses » dérisoires. Martine Aubry va-t-elle présenter sa candidature ? Et Jean-Louis Borloo ? Etc… À quand la vraie, la divine surprise ?

     

     

            Les échéances républicaines se succèdent. Elles revêtent l’apparente consistance d’attentes qui en réalité n’en sont pas. Faux suspenses ! Il se crée ainsi des angoisses collectives fictives qui provoquent des halètements journalistiques dont le rythme saccadé suggère une plénitude de vie et d’action chez les héros de ces imaginaires décisions. Le monde politique et médiatique s’enivre de cette effervescence artificielle que lui- même suscite et qui n’est qu’agitation dans le néant.

     

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            Ainsi Martine Aubry. Elle ne pouvait faire autrement que de se présenter aux primaires du Parti socialiste. Si c’est Hollande qui les gagne et qui l’emporte lors des élections présidentielles dans moins d’un an, elle sera au moins ministre. Tel est le jeu. Dans le cas inverse, eh bien, ce sera tout simplement l’inverse. Hollande aura sa place toute trouvée dans le gouvernement désigné par Aubry ! Quelle attente dans cette comédie de pouvoir ? Aucune. Et qu’est-ce qui changera dans la vie politique ? Assurément rien.

            Il est probable que Martine Aubry, malgré ses airs résolus et tragiques, ne sait même plus si elle désire la présidence, ni même si elle souhaite vraiment un haut poste dans une fonction gouvernementale. Elle est assez intelligente et informée pour, en dépit de sa violence idéologique, savoir que le programme de son parti, concocté par elle-même, n’est qu’une théorie qui n’aura rien à voir avec la réalité de la faillite certaine qui s’annonce dès aujourd’hui, qu’il faudra bien « gérer » et que l’application dudit programme socialiste ne ferait, en tout état de cause, qu’aggraver.

     

    Où est la surprise ?

     

            Tous les socialistes d’Europe, les Grecs en premier, ont été condamnés à programmer eux-mêmes la rigueur économique la plus draconienne et à brader les richesses nationales au « gros argent » international et, encore, au prix bas du marché dans un contexte de liquidation générale. C’est là qu’ils se révèlent être ce qu’ils ont toujours été depuis presque deux siècles dans toute l’Europe : de médiocres bourgeois qui, pour eux-mêmes, n’ont jamais connu la misère ni cette privation du nécessaire qui est le lot de la classe populaire et des pauvres gens sans feu ni lieu. La politique n’est pour eux qu’un enjeu de carrière où la démagogie est la règle. Cette démagogie politicienne a toujours été le prélude à des désastres inéluctables, financiers, économiques, politiques, militaires et finalement sociaux, qu’elle entraîne immanquablement. Faut-il, pour le passé, rappeler les faits et les dates ? Et, pour l’avenir, faut-il imaginer le prévisible enchaînement des terribles conséquences des fautes accumulées depuis tant d’années ?

            Mais rien ne sert de rien : ils ne tirent même pas les leçons de l’histoire que l’Éducation nationale a réécrite à leur intention et à leur gloire. Ils sont tellement convaincus que, par principe et par nécessité, en vertu du dogme central de leur doctrine, ils sont les vainqueurs de l’histoire ! Avec pareille conviction, il leur est facile d’oublier qu’ils furent très concrètement les artisans des catastrophes.

            Aubry, Hollande, deux bourgeois, fils et fille de bourgeois – privilégiés de la nature, de l’éducation et même au départ de la grâce, comme tant d’autres de leurs « pareils » –, pourraient-ils échapper à leur sort ? La « normalité » recherchée de Hollande, si caractéristique de l’extraordinaire banalité de sa vie personnelle, ne fera que le jeter avec plus d’imprévoyance et de sottise dans le drame fatal. Mais, il est vrai, ce Chirac au petit-pied pourrait, tel un Albert Sarraut de la Ve République, traverser les pires crises sans même les voir venir et s’en sortir toujours indemne… Cependant, Chirac et Sarraut étaient des habitués des gouvernements républicains, expérience qu’Hollande n’a pas et qui peut lui faire défaut pour surnager à tout. Là où des Sarraut, des Chirac et tant de leurs congénères s’en sortent en flottant entre deux eaux, un Hollande se noiera ! 

    Pari pris.

     

     

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     "...Le drame financier qui se noue de plus en plus nettement et qu’aucune astuce de rééchelonnement réel, artificiel ou supposé, ne saura dissimuler longtemps, se doublera en 2012 d’une crise institutionnelle...."

     

     

            Et le reste à gauche ? C’est du même tabac. Chacun revendique sa place, même et surtout dans l’Écologie. Il n’y a là que des politiciens qui tous raisonnent en politiciens avec des mots de politiciens, y compris les Montebourg et les Mélenchon. Gagner des voix, voilà le but, et les voix seront ensuite monnayées et à bon prix ! Que de vains discours, que d’attitudes inconséquentes qui ne trouvent leur raison que dans ces marchandages pitoyables. Le malheur français peut être propice, n’est-ce-pas, aux avancées électorales…. Alors, pas de scrupule, politique politicienne oblige : le régime commande. Personne n’en est maître, surtout pas ceux qui en vivent et qui, de plus, s’imaginent gouverner. Ils jouent une partition. Grotesque. Et, plus elle approche de la fin qui s’annonce, de plus en plus grotesque. Et, eux, plus ils se prennent au jeu, plus ils perdent conscience de la sinistre réalité de ce jeu dérisoire. Et si l’intérêt du jeu faiblit, les voilà les premiers à dénoncer ces ridicules chansons politiciennes qui leur sont si familières.

            Qu’aurait pu être la bonne surprise ? S’il y avait eu surprise ! Eh bien, que Martine Aubry, ou l’un quelconque de ses autres camarades, expliquât la dure réalité française, avec des sentiments de gauche si c’était son tempérament, mais qu’elle ou qu’il eût aussitôt le courage de dire que la situation était si grave qu’aucune formule politicienne, même de gauche, ne pourrait y pourvoir. Qu’en conséquence elle ou lui prenait le risque de n’annoncer sa candidature que pour mieux dire aux Français qu’il n’y avait plus de solution dans le régime tel qu’il fonctionnait. Qu’il convenait, dans l’intérêt de tous, de remettre la charge suprême de l’État dans les seules mains légitimes de celui qui n’a d’autre finalité dans son être, sa nature, sa famille, son avenir, que de continuer l’histoire parce qu’il s’identifie à l’histoire elle-même. Et il serait facile d’ajouter, pour rassurer les esprits incertains, que non seulement la représentation nationale n’en souffrirait pas, mais que, sortie de l’ornière de la lutte stérile des partis, elle pourrait enfin trouver dans les réalités précises des populations, des territoires et des intérêts concrets des Français avec qui elle est censée être en adéquation, une nouvelle et heureuse légitimité. Dans son ordre à elle ! Ce serait si simple, ce serait si clair.

            Et à droite ? Il en est de même. Nicolas Sarkozy réfléchit-il ? Perpétuel acteur du rôle qu’il s’est lui-même créé ! Tant d’énergie dépensée pour quoi ? Finalement pour quoi ? Il va nous expliquer à partir de maintenant qu’il a sauvé la situation en

    2008 et qu’il ne peut y avoir que lui pour la sauver encore en 2011-2012. Que les réformes sont à moitié faites et qu’il faut donc les finir et qu’il sait, lui, où il convient de porter les efforts et de placer l’argent public. A aucun moment il ne conçoit que les finances qu’il croit sauver, ne s’en portent que plus mal par la suite par un effet mécanique dont aucun volontarisme – même le sien – n’est le maître. Ni, non plus, il ne comprend que, par les mêmes effets mécaniques, le régime qu’il essaye d’améliorer ne connaîtra, en fait, de ces prétendues améliorations qu’un état empiré de fonctionnement. Même avec les meilleures réformes et les meilleures intentions ! C’est le constat que tous les esprits libres portent aujourd’hui. Y compris dans la majorité présidentielle… Mais, de là à le dire… Eh bien, là aussi, ce serait la vraie surprise : un discours de vérité qui irait enfin à l’essentiel et non plus ces boniments de foire électorale où Jeanne d’Arc invoquée, comme il se doit, pour rallier les voix de droite viendrait sauver… la République ! La chose publique en France, répond la vraie Jeanne d’Arc, l’éternelle Française, a besoin du Roi. Et, elle, elle l’a fait ; c’est même l’essentiel politique qu’elle a fait…. Alors, la surprise ? …Ce serait enfin d’entendre sa vraie, son unique leçon !

            Et le centre introuvable ? Les centristes sans centre de gravité ? Tous ceux qui ne se veulent ni de droite ni de gauche mais qui, pourtant, par esprit partisan impénitent, ne sont capables que de concevoir un parti de plus ! Tout ça pour satisfaire leur envie qui n’est jamais, pour eux tous, qu’ils le veuillent ou non, qu’une ambition personnelle. Comme les autres. Ni de droite, ni de gauche, soit, mais alors qu’ils fassent le Roi ! Chiche ! Ça, ça serait la vraie surprise… Sinon, c’est d’une effroyable banalité. Et l’échec est assuré.

            Reste Marine Le Pen. Ça ne sert à rien de la traiter de « populiste ». Elle engrange des voix, beaucoup plus que les officiels ne le disent. Elle seule, avec le pugnace Dupont-Aignan, s’offre le plaisir et offre le plaisir aux Français de dire aux journalistes du monde officiel leurs quatre vérités. Elle décrit la crise. Et les autres, en ce domaine, ne font que la répéter. Mais pas plus que les autres, elle n’a de solution. Entendons : de solution de fond. La vivacité de la répartie ne saurait combler le défaut institutionnel. Ah, la vraie, l’heureuse surprise serait d’entendre un jour dans un discours électoral l’aveu simple et honnête de l’inefficacité du régime et, à la vérité, de son imposture et de sa malfaisance.

            Quel que soit le vainqueur de l’élection présidentielle, il ne pourra pas gouverner. Il n’en aura ni les moyens ni la possibilité. 

    Que seront les législatives qui suivront ?

            Le drame financier qui se noue de plus en plus nettement et qu’aucune astuce de rééchelonnement réel, artificiel ou supposé, ne saura dissimuler longtemps, se doublera en 2012 d’une crise institutionnelle. C’est écrit dans ces colonnes de manière précise et régulière depuis quatre ans et même depuis huit ans. 

            Cette crise sera telle que le pouvoir en sera ébranlé. Avenir, justice, unité, sûreté, voilà les mots-clefs de leur campagne électorale à tous – quel qu’il soit –, déjà commencée. Or, ces mots qui répondent à un besoin pressant, appellent autre chose que le régime actuel. Dans leur arrière-cortex, tous ces futurs candidats doivent bien en avoir quelque idée !

            Ah, si une heureuse surprise, une « divine surprise », comme disait le poète… Est-ce trop demander ? ■

  • UN ENTRETIEN D’AXEL TISSERAND AVEC LE PRINCE JEAN DE France : « CONSOLIDER LE TISSU SOCIAL »

            Le blog du CRAF a publié, hier, un intéressant entretien, paru dans AF 2000, entre Alex TISSERAND et le Prince Jean de France. Nous le reproduisons intégralement.

     

    Monseigneur, quel bilan tirez-vous de la publication d’Un Prince français, quinze mois après sa parution ? ?


    prince jean couverture.pngLe livre s’est vendu à quelque 10 000 exemplaires. Comme toujours, les ventes ont été très fortes dans les six premiers mois. La couverture médiatique a été bonne et un quart des ventes s’est effectué dans le cadre des conférences que j’ai données à Paris, en province ou à l’étranger (j’ai fait deux conférences en Belgique). Pour un premier livre, je suis content, d’autant qu’on peut multiplier ce chiffre par deux ou trois pour avoir le nombre de lecteurs. Après mon mariage et la naissance de Gaston, ce livre m’a permis de rester présent en posant un cadre intellectuel à mon action. Loin de tout extrémisme, il reflète ce que doit être la position d’un prince : équilibrée, au service du pays. C’est ce qu’ont retenu, à mon sens, aussi bien les Français que les journalistes, comme l’ont montré deux émissions récentes, sur France 2 («Prise directe») et sur Canal Plus. J’ai en quelque sorte planté le décor. Réflexion et action sont intimement liées, d’autant que le livre est le fruit de dix ans de déplacements. Il ne s’agit pas d’une réflexion éthérée : une matière concrète a servi de base à son élaboration. Il convient désormais d’engager une action dans un domaine où le prince est à sa place.

    Que vous ont apporté vos rencontres avec les Français ?

     

    J’ai cherché tout d’abord à délivrer des messages précis sur un certain nombre de sujets. Ces messages devenaient de plus en plus clairs au fur et à mesure que je les exposais et que je recueillais les réactions des Français.

     

    Ces rencontres m’ont également permis de mieux connaître le public qui s’intéresse à la monarchie. Durant mes dix années de déplacements dans le pays, j’ai pu établir de nombreux contacts qui ont eu prince jean paris rossini.jpgun effet démultiplicateur. A Bordeaux, comme à Paris (photo ci contre, ndlr), j’ai parlé devant plus de quatre cents personnes. Certaines étaient convaincues, d’autres moins. J’ai rencontré la France dans toute sa diversité. J’ai pu engager un vrai dialogue avec des Français de toutes conditions socioprofessionnelles et culturelles, de toutes origines aussi. Ils sont de plus en plus nombreux à réfléchir non seulement à l’avenir du pays, mais également au rôle d’un prince, éventuellement d’un roi, parce que le monde politique a du mal à répondre à leurs attentes, faute de leur donner des perspectives enracinées dans un véritable projet. Il y a de moins en moins de liant : pensons à l’isolement des personnes âgées, au sort des exclus. Chacun vit dans sa bulle : il suffit de voir les personnes dans les transports en commun. Un prince peut être ce liant que recherchent les Français : d’une part, l’histoire de ma famille rejoint notre histoire commune ; d’autre part, mes orientations visent à consolider le tissu social.

     

    Votre expérience vous a permis d’approcher tous les milieux sociaux. De plus, la question sociale est une tradition de la Famille de France (Lettre aux Ouvriers du comte de Chambord en 1865, Le Prolétariat, écrit en 1936, par votre grand-père) : quels sont les grands axes de votre réflexion en ce domaine ? Vous inscrivez-vous dans une tradition et laquelle ?


    La question sociale était la grande préoccupation de mon grand-père : la Fondation Condé, qu’il a créée pour les personnes âgées, en est l’illustration. Personnellement, je me suis toujours engagé auprès des personnes handicapées, le handicap, à travers ma sœur et mon frère, faisant partie de mon quotidien. De plus avant mon mariage, j’allais régulièrement à Lourdes comme brancardier.

    Je souhaite désormais aller plus loin, c’est du reste un des objectifs de l’association Gens de France cette année.

    A Toulon (photo ci dessous, parue dans le JDD, ndlr)., lors de la présentation de mon livre, j’ai eu l’occasion de visiter un quartier «difficile» et d’y observer l’action de l’association Le Rocher, qui vise à rétablir une verticalité et une horizontalité. Lapjjdd.jpg verticalité, c’est la difficulté qu’éprouvent ces populations, installées depuis peu de temps et touchées par le chômage, à s’enraciner. L’horizontalité, c’est surtout le mal-être des jeunes et le divorce des générations, particulièrement sensibles dans ces quartiers. Or un prince a toute capacité à agir sur ces questions.

            En effet qui, mieux qu’un prince, qui incarne l’histoire de France dans toute sa continuité vivante – mon père comme chef de Maison et moi comme dauphin – peut expliquer à ces populations ce qu’est l’enracinement et leur proposer des perspectives de sortie, en faisant de la question éducative au sens large (les relations avec la famille et l’enseignement) et de l’accès au travail des priorités ? Il convient de leur redonner espoir. Ces quartiers, où vivent des populations diverses tant sur les plans culturel que religieux, sont un vivier naturel de réflexion et d’action pour un prince, apte, de par sa position, à leur faire partager un destin commun. Les politiques ne le peuvent pas parce qu’ils défendent des intérêts particuliers. Lui, au contraire, défend le seul bien commun, il est au service exclusif du pays : c’est tout l’intérêt d’avoir des rois et des reines.

     

    Pourtant la situation sociale et économique, aggravée par la crise, semble inciter la jeunesse à perdre confiance dans le pays…


    La situation est difficile, en effet, mais nous restons la cinquième puissance économique mondiale. Dans ces conditions, pourquoi cette morosité ambiante ?

    J’ai la conviction que nous n’avons pas fait les bons choix structurels. Seule une société d’équilibre, dont le centre de gravité est le plus bas possible, peut fonctionner. La clef de la réussite d’un pays comme la France, c’est sa classe moyenne. Plus celle-ci est forte et a la faculté de produire au travers de ses PME, plus le pays a de chances de s’en sortir. Or, dans les années précédentes, on a commis une double erreur : sur le plan économique, on a favorisé les plus riches et, sur le plan social, on ne s’est préoccupé que des plus pauvres. Il faut évidemment conserver nos fleurons économiques : mais n’oublions pas les entreprises familiales, qui sont de vrais gisements d’emplois. Il faut évidemment s’occuper des plus pauvres mais en développant le tissu social à partir des structures petites et moyennes, qu’il s’agisse des entreprises, des quartiers, des paroisses ou des associations, ce qui permettra de donner une forte impulsion au pays. Malheureusement, ce ne sont pas les choix qui sont faits aujourd’hui. Et le secteur productif est insuffisamment encouragé, face à une administration trop souvent paralysante.

    De plus, par clientélisme, les politiques visent à contenter certaines catégories de l’électorat, ce qui leur interdit de prendre les problèmes à bras-le-corps et de les résoudre. Je le répète, il faut faire des structures petites et moyennes, familles, quartiers et PME, ce sont là des priorités pour parvenir à régénérer le tissu social.

     

    Monseigneur, vous avez écrit que «l’impératif humain rejoint l’impératif social» : on parle des suicides à France Télécom, beaucoup moins des suicides de paysans ou de policiers : la souffrance au travail, non seulement physique, mais également psychologique et morale, ne vous paraît-elle pas un véritable phénomène social ?

    Effectivement, mais outre les difficultés particulières vécues par les catégories que vous avez citées, la relation de travail est devenue trop tendue : les patrons cherchent à satisfaire les actionnaires qui cherchent à se remplir les poches. Dans les entreprises, les comportements ne sont plus tournés vers le bien commun, sauf à de rares exceptions près : or les entreprises qui ont fait ce choix sont à la prine jean fields.pngpointe de leur activité tout simplement parce qu’elles ont compris qu’être bien dans son cadre de travail incite à donner le meilleur de soi-même (ci contre, reçu par Michel Fields, ndlr). L’entreprise est souvent à l’image de son patron. Si le patron ne pense qu’à son profit, il en sera de même des salariés. C’est la même chose en politique : si le chef de l’Etat agresse verbalement les citoyens, ces derniers perdront tout respect pour l’autorité publique.

    La notion de service a déserté l’entreprise : on ne pense qu’à son profit personnel. Il appartient aux chefs d’entreprise de poser des règles saines et de montrer l’exemple.

    Il faut par ailleurs assouplir les règles d’embauche, mais dans un cadre juridique strict, pour permettre aux entreprises, notamment aux PME, d’épouser la vie économique. Il convient également de rétablir un climat de confiance : les petits patrons, les artisans et les commerçants ne sont pas tous des exploiteurs ! C’est dans le cadre de ces structures à taille humaine que le respect de l’autre peut le mieux être pris en compte.

     

    Monseigneur, l’immigration, notamment de travail, est encouragée par Bruxelles : n’est-ce pas le type même de la fausse bonne idée du fait que cette immigration pèse sur les salaires, vide les pays émergents de leurs cerveaux et de leur jeunesse, incite les pays développés à la paresse en termes de formation et de débouchés pour leur propre jeunesse, qui s’exile à son tour ? Enfin, elle aggrave les problèmes liés au communautarisme…


    Vous avez raison. Un pays a besoin d’un socle commun. Comme le montrent les banlieues, la France n’est plus un modèle d’intégration, contrairement au sortir de la guerre, où des Français de toutes origines avaient partagé un destin commun. Il faudrait déjà que les diverses composantes de notre pays réussissent à partager des valeurs communes avant que nous ne pensions à en faire venir d’autres. En l’absence de socle intégrateur, il n’y a pas d’immigration réaliste possible. La priorité, c’est de travailler à ce socle intégrateur.

    Alors que 10 % de la population active n’a plus de travail, est-ce en favorisant l’immigration que nous résoudrons le problème du chômage ? Donnons d’abord du travail aux chômeurs. Attention, le vase pourrait déborder ! Absorbons et intégrons les immigrés présents sur notre sol avant d’en faire venir d’autres !

    Quant à Bruxelles, c’est une administration qui se contente de poser des additions sans rien connaître des réalités concrètes des nations qui composent l’Europe.

     

    Qu’en est-il à vos yeux de la représentativité et de l’action syndicales ? Les syndicats ne se contentent-ils pas trop souvent de canaliser les mécontentements ou de servir une clientèle sans être de véritables forces de proposition ?


    Les syndicats sont nécessaires : le monde du travail a besoin de représentants. Le problème, c’est qu’ils sont politiques. L’existence de grandes centrales syndicales au plan national est légitime mais à condition qu’elles orientent leur action en direction des branches et des entreprises. Le rôle des syndicats est de défendre les salariés face à la direction en manifestant des besoins particuliers.

     

    Vous souhaitez une simplification du droit du travail. N’est-ce pas la porte ouverte à de possibles dérives ? C’est souvent au nom de la simplification qu’on dérégule pour, prétend-on, adapter le droit du travail à l’évolution de la société…


    L’homme est sur terre pour travailler : c’est un fait. Parce qu’on n’a pas le courage de traiter les problèmes au fond, on ne cesse de multiplier les aménagements ou les niches, que ce soit dans le domaine social avec les 35 heures qu’on n’a pas osé abroger, ou fiscal avec le «bouclier». Je suis patron de deux entreprises et je dirige une association : les seules questions administratives occupent quasiment un plein-temps. Plus aucun patron, même d’une TPE, ne peut s’en sortir sans comptable ni avocat. Les Français étaient des entrepreneurs, mais comme on ne leur facilite pas la tâche, ils n’osent prince jean tchat provence.jpgplus s’engager dans des projets. Nos structures manquent de souplesse, elles sont figées. Une plus grande fluidité du marché du travail serait également nécessaire (ci contre, tchat avec les lecteurs du quotidien La Provence, ndlr). Certes, l’opinion publique ne sera pas rassurée car depuis trente ans l’assistance l’a emporté sur la prise de risque, mais comme l’Etat est endetté, les mentalités vont devoir changer.

    Personnellement, j’aurais bien voulu créer un emploi, mais, si je le faisais, compte tenu des charges, je mettrais en péril mon entreprise. D’ailleurs, ce qui est en cause, ce n’est pas tant le droit du travail que l’état d’esprit. On accumule de la législation en perdant de vue les principes, ce qui est contraire à notre tradition du droit. La loi devrait se contenter de poser les grands principes gouvernant le droit du travail et de l’encadrer. Cela permettrait notamment de faciliter l’embauche et la prise de risque, d’autant que les entreprises détournent la difficulté en recourant à tous les artifices juridiques pour reculer la signature des contrats d’embauche.

    Dans le cadre de l’association Gens de France, nous travaillons à dégager les conditions de recréation du tissu social et économique français, en portant une attention toute particulière au rôle que doivent jouer les petites et moyennes entreprises dans cette reconstruction : une fois repérées une dizaine de problématiques, nous dégagerons les solutions concrètes permettant au pays de recouvrer son dynamisme.

    Je le répète : la législation doit d’autant plus viser avec simplicité les grands principes qui président à la vie sociale et économique, que l’Europe ajoute aux difficultés en créant de nouveaux étages réglementaires qui ne tiennent aucun compte de la réalité.

  • Sevran, violence(s) : des Casques bleus ? l'armée ? l'analyse fausse - parce qu'incomplète - du Maire.....

            .... mais aussi du Député, et de tous ceux qui crient "au loup !", mais refusent obstinément de voir, et ne veulent pas avouer, qu'on récolte aujourd'hui les fruits mauvais de leur politique insensée. "Les parents ont mangé des raisins verts, et les enfants ont eu les dents agacées..."

            Pour vivre en paix, les Casques bleus ?  Et, après Sevran, où déployer Armée et Casques bleus : dans la France entière ? On est aux limites de l'absurde : va-t-on engager la moitié de la France pour protéger l'autre moitié ?.....     

     

                                               Guerre des Gangs : Sevran au bord de l'implosion...

          Voir la page du site TF1 News du vendredi 3 juin : http://lci.tf1.fr/france/faits-divers/2011-06/violences-a-sevran-le-maire-en-appelle-a-l-armee-6516930.html avec la demande du maire Stéphane Gatignon(EELV) : "Je demande au ministre de l'Intérieur d'envisager une présence de l'armée 24 heures sur 24 avec une fonction de force d'interposition afin de faire cesser les règlements de compte et d'éviter les risques de balles perdues et de tragédies" a déclaré le maire. "Malgré son implication et son professionnalisme, la police ne semble plus à même d'assurer cette présence, je demande donc à ce que l'armée puisse prendre le relais". Et celle, qui va dans le même sens, du député PCF de la circonscription "pour démanteler les réseaux mafieux liés à la drogue".  

            Ainsi donc, Stéphane Gatignon, maire EELV (Europe Écologie Les Verts) de Sevran, veut des Casques bleus pour sa ville ! Ou l'armée ! Et François Asensi, député PCF de la circonscription, est d'accord avec lui. Mais, la demande est curieuse : si on en est arrivé là, c'est bien parce qu'il y a un problème, et grave, mais lequel ? Maire et député disent, certes, qu'il y a "de la violence", et même beaucoup, et même trop, mais restent dans le vague sur les causes profondes de cette violence. Serait-elle une sorte de phénomène extra-terrestre, surgi de nulle part, par génération spontanée ? N'est-ce pas bizarre ?.....     

            En effet, cela fait tout de même des siècles que Sevran est en France, et des siècles qu'on y vit normalement, et en tout cas, du moins, sans qu'il ait été besoin d'y envoyer l'armée (pas plus que dans les autres agglomérations de France...). Il y a certainement toujours eu, à Sevran comme ailleurs, les habituels problèmes inhérents à toute concentration urbaines, mais, malgré tout, on en était toujours resté, jusqu'à présent, au registre habituel des problèmes de toute agglomération, sous toutes les latitudes et sous tous les climats.

             En clair, la violence, qui a toujours existé, et qui existera toujours et partout, à Sevran comme ailleurs, restait jusqu'ici à son seuil incompressible, ou pas très loin; elle a explosé, d'une façon exponentielle : pourquoi ? Que se passe-t-il donc, tout d'un coup, pour que Maire et Député demandent, assez théatralement, des Casques bleus, ou l'armée ?

             Leur justification, sur "la violence", en général - on dirait qu'ils parlent d'une notion abstraite... - ne tient pas : ils en disent trop, ou pas assez. Quelle(s) violence(s) ? Et faite(s) par qui ? Voilà ce qu'il faudrait savoir, afin de règler le problème, et avant même d'avancer des solutions, afin qu'on puisse, justement, proposer des solutions efficaces.

            Mais, en réalité, tout le monde sait très bien de quoi il s'agit, de quelle(s) violence(s) il s'agit, et faite(s) par qui. Y compris le Maire et le Député, puisqu'ils sont, peut-on dire, aux premières loges. Mais ils préfèrent faire semblant de ne pas savoir, parce que, s'ils disaient ce qu'ils savent, s'ils disaient la vérité, tout simplement, cela reviendrait à officialiser ce que le peuple français dans ses profondeurs a admis et reconnu depuis longtemps : l'échec d'une politique insensée, menée depuis plusieurs décennies par l'ensemble du Pays Légal, Droite, Gauche et Centre confondus et complices.

            Cette politique, c'est celle de la délocalisation de masse(s), consistant à faire venir en France des quantités astronomiques de personnes - qui vont manquer à leurs pays d'origine... - et à qui l'on n'a, de toutes les façons, rien de vraiment sérieux à offrir ici : qui peut justifier, et par quel argument, cet octroi annuel de la naturalisation à environ 200.000 personnes par an ? Des populations qui, de plus, et comme pour créer un déséquilibre supplémentaire, ne viennent pas - harmonieusement réparties entre elles - des cinq parties du monde mais viennent quasi exclusivement d'Afrique - Afrique noire ou Afrique du Nord. Et ont une tendance de fait à se concentrer et à se regrouper sur certains territoires, ce qui est, bien sûr, un frein supplémentaire à une intégration - ne parlons même pas d'assimilation... - que leur nombre excessif, sur une durée de temps aussi courte, rend de toutes façons illusoire...

            On a ainsi créé - ou voulu créer, ou laissé se créer, peu importe... - une balkanisation de territoires, en se réjouissant même, parfois, de la quantité de nationalités différentes vivant sur une même commune : jusqu'à quarante, et plus.... Dans un monde, évidemment utopique, de richesse pour tous et de développement partagé - c'est-à-dire, en fait, dans les rêves les plus optimistes - cela pourrait, peut-être, marcher. Mais "la" politique, et le rôles "des" politiques, ne consiste pas à rêver, ni à prendre un désir pour une réalité.

            Et la seule chose qui compte, c'est ce qui se passe réellement sur le terrain, ce qui se vit vraiment au quotidien. Et, là, que voit-on, lorsqu'on observe froidement la réalité, sans lunettes roses ? On voit qu'on a libanisé des portions nombreuses du pays, dans lesquelles  une partie importante de ces populations nouvelles vit en l'absence de toute perspective d'avenir réelles, et de toute politique d'intégration sérieuse : comment s'étonner, dès lors, que, dans ces conditions, l'irruption massive - et, redisons-le, sur un temps très court - de ces populations nouvelles ait destabilisé fondamentalement - et, maintenant, structurellement... - la vie en société, en créant des situations intenables, ingérables, invivables ? Et que, ceux qui se tiennent mal prenant toujours le pas, dans ces conditions, sur ceux qui se tiennent bien, les trafics en tous genres, les réseaux mafieux, les activités (!) souterraines et l'économie parallèle (!), bref la violence, sous toutes ses formes, explose ? 

            C'est être bien naïf, ou volontairement aveugle. Ou, encore plus simple, ne pas vouloir reconnaître ses torts, ne pas vouloir admettre que l'on s'est trompé, ne pas accepter de dire que la politique menée n'a pas été la bonne (doux euphémisme !).....

            Le problème n'est pas la violence : on sait évidemment très bien qu'il y en avait avant, et qu'il y en aura après; et on sait évidemment très bien que nul ne peut imaginer éradiquer la violence en soi, ni à Sevran, ni ailleurs. Le problème vient de cette nouveauté qu'est cette violence exponentielle inédite, que l'on voit croître et grandir, pour ainsi dire, à vue d'oeil dans ces banlieues et zones de non-droit qui sont une nouveauté dans notre pays, ceci expliquant cela; qui empoisonne notre pays, et l'empoisonnera de plus en plus. C'est d'abord et avant tout un problème politique, dont les causes - qui sont, maintenant, structurelles... - sont archiconnues, et ont été archidites et archiredites.

            Plutôt que de se donner le ridicule de demander à l'armée d'aller accompagner les ménagères pour faire leur courses ou les enfants pour aller à l'école etc.. etc... il faut avoir le bon sens et le courage d'affirmer qu'il faut rompre avec ce qui se fait depuis 1975, et mener non pas la même politique en sens contraire, mais le contraire de cette politique....

            Au Sud, il faut relocaliser les populations déracinées, et développer les pays d'origine de l'émigration, afin de traiter enfin, dignement et comme des êtres humains, ces masses de gens qui doivent pouvoir vivre et travailler au pays, et êtreheureux chez eux; ces populations qui sont, parce que pauvres, les enjeux sordides de calculs qui les dépassent...

            Et, au Nord, il faut cesser de piller les ressources humaines des autres - de l'Afrique, en particulier... -, forme moderne du néocolonialisme, dont deux des résultats les plus évidents sont la dilution des vieilles Nations historiques d'accueil, et la fourniture de chair à profit pour les Mafias de toutes sorte.....

  • Autour du Prince Jean ! Le Prince à la rencontre du monde: Entretien avec Jean Gugliotta.

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     Jean Gugliotta est le principal responsable et organisateur des voyages du Prince à l'étranger. 

    Lafautearousseau : Depuis une dizaine d’années, le Prince est très présent dans la vie publique. Au sein de l’équipe qui l’entoure, vous êtes plus particulièrement chargé de l’organisation de ses voyages, notamment de ses voyages à l’étranger. Quels sont les pays qu’il a visités ?

    Jean Gugliotta : Effectivement, depuis 1998, année de la mort du précédent comte de Paris, le Prince a entamé une série de voyages, en France et à l’étranger. Il s’agissait, pour lui, personnellement, de poursuivre l’œuvre de son grand-père et de prolonger la présence de la Maison de France, dans l’espace public, national et international. Je vous rappelle que le prince Jean, à plusieurs reprises, a accompagné les déplacements de son grand-père, en particulier au Québec, à l’initiative du gouvernement français. Durant les dix années écoulées, le Prince s’est rendu, dans l’ordre, en Louisiane, au Québec, au Liban, au Maroc, en Tunisie, en Pologne, en Roumanie et, en 2008, à l’invitation du gouvernement québécois, à Montréal et à Québec, dans le cadre des célébrations du quatre-centième anniversaire de la fondation de Québec, par Champlain, au nom du roi de France.   

     

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    lfar : Au cours de ses voyages à l’étranger, est-ce qu’il a rencontré des chefs d’état ou de gouvernement ? Lesquels ?

    JG : La plupart de ces voyages ont pour origine une invitation des Etats. Souvent à l’occasion d’une célébration qui tenait à l’identité ou à l’histoire de la « puissance invitante ». D’autres voyages ont été plutôt à l’initiative du Prince et pour des raisons personnelles ou familiales. C’est particulièrement le cas pour le Maroc, où le Prince a voulu se rendre pour « mettre ses pas dans les pas de ses ancêtres ». Je vous rappelle que le comte de Paris y a passé sa jeunesse et que le duc de Guise y a été enterré, au cimetière de Larache. Mais quelle qu’ait été l’origine de ces voyages, le Prince a toujours fait l’objet d’un accueil au plus haut niveau. C’est ainsi qu’au Maroc, il a été reçu par le roi Mohamed VI, avec qui il s’est entretenu, au palais royal de Tétouan (ci dessus).  Mohamed VI lui a raconté un souvenir d’enfance : lors d’une réception à Paris, voyant arriver une personnalité qu’il ne connaissait pas, il avait questionné son père, le roi Hassan II. Et le roi lui avait répondu : « c’est le comte de Paris ; si la France était une monarchie, c’est lui qui serait le roi. ». Au Liban, le Prince a été reçu par le président de la république libanaise, Emile Lahoud, dans son palais de Baabda. Au Québec, il a rencontré tout le staff gouvernemental, et, en plus, le Premier Ministre du Canada et Madame Michaëlle Jean, Gouverneur-Général du Canada, représentant la reine d’Angleterre. En Pologne, il a aussi rencontré le président de la Diète, en Tunisie et au Maroc plusieurs ministres, et en Louisiane, il a été reçu par Madame le Gouverneur et le président du Congrès.

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    lfar : Est-ce qu’il a rencontré d’autres personnalités marquantes ? Lesquelles ?

    JG : Des personnalités marquantes, à différents points de vue. Permettez-moi d’évoquer la rencontre en Louisiane, avec les indiens Houmas, les enfants rouges de la France, qui ont rappelé au Prince, documents à l’appui, la visite à leur tribu, au XVIIIème siècle, du fils du duc d’Orléans, le futur Louis-Philippe (ci dessus). Cette même tribu, aujourd’hui, se bat, malgré les difficultés, pour conserver l’usage du français. Au Liban, il s’est entretenu longuement avec le patriarche maronite, Monseigneur Sfeir, et, dans sa forteresse du Chouf, avec le chef Druze Walid Joumblatt. Au Liban, il a aussi rencontré le père  Mansour Labaki, dont l’œuvre, en faveur des enfants, est universellement appréciée. En Pologne, il a rencontré deux personnalités particulièrement marquantes, qui ont été l’une et l’autre, très proches de Jean-Paul II  : Lech Walesa, prix Nobel de la Paix, venu, tout exprès, de Gdansk à Varsovie (ci dessous), et le cardinal Dziwisz, primat de Pologne … L’épouse du président de la république polonaise a aussi tenu à saluer le Prince. Mais au-delà de ces personnalités marquantes, il ne faut pas oublier que le Prince, attaché à la présence de la France, dans ces différents pays, y rencontre aussi un grand nombre de décideurs en matière économique, culturelle ou scientifique.

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    lfar : Quel est le rôle du Quai d’Orsay et des représentations diplomatiques françaises, dans les pays où le Prince s’est rendu ?

    JG : Lors du premier déplacement du Prince, à l’étranger, qui était en Louisiane, le Quai d’Orsay a souhaité être informé des raisons de ce voyage. Le Prince a considéré comme normal que le Ministère des Affaires Etrangères soit tenu au courant. Par la suite, dans tous les voyages, le Quai d’Orsay, pour ce qui le concernait, a toujours facilité les rencontres avec les ambassadeurs en poste. Ces derniers reçoivent le Prince, dès son arrivée, et font, avec lui, un tour d’horizon de la situation locale. A son retour, le Prince tient informé le Quai de ses conversations. Une anecdote : lors de son voyage au Maroc, l’ambassadeur de France, en déplacement, n’a pas pu recevoir le Prince mais il a tenu à lui téléphoner personnellement pour l’informer du décès de sa grand-mère, la comtesse de Paris et l’assurer de sa sympathie. Des représentants de la France à l’étranger, le Prince reçoit toujours un parfait accueil.      

    lfar : Lui est-il arrivé, lors de ces voyages, de rencontrer des personnalités gouvernementales ou politiques françaises ? Et, si oui, comment ces rencontres se passent-elles ?   

     

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    JG : A ce propos, c’est le dernier voyage a Québec qui me permet le mieux de répondre à votre question. Le Prince y a rencontré l’ensemble de la délégation française présente aux cérémonies. En particulier, Alain Juppé qui a regretté de n’avoir pu le recevoir à Bordeaux lors de son dernier voyage et a souhaité une nouvelle occasion. Jean-Pierre Raffarin a témoigné beaucoup de chaleur au Prince. Une autre anecdote à ce sujet. Jean-Pierre Raffarin regrettait qu’en raison de la pluie battante, les participants aux cérémonies dussent se réunir, à l’abri, dans une même enceinte. Le Prince lui a répondu que finalement ce n’était pas plus mal et que cela permettait, au moins, de se rassembler. Avec esprit et répartie, le premier Ministre a répliqué : « Rassembler les gens, c’est bien là votre vocation, Monseigneur. On reconnaît-là votre éducation capétienne ». A cette même occasion, le Prince s’est entretenu également avec Jean-Paul Huchon qui l’a invité à visiter l’exécutif du Conseil Régional d’Ile de France. Il a salué aussi Bernard Accoyer qui préside l’Assemblée Nationale et Ségolène Royal. Tout le monde a vu la photographie de la rencontre entre François Fillon et le Prince (ci dessus, tirée de Gens de France, ndlr), qui lui a présenté les personnes qui l’accompagnaient. Il faut dire, pour finir, que lors de ce genre de dîner officiel, c’est vers la table du Prince que convergent les regards et le mouvement de tous ceux qui veulent venir le saluer.        

    lfar : Vous avez accompagné le Prince, à Rome, pour une visite au Vatican. A-t-il rencontré le Pape ?

    JG : En fait, le Prince souhaitait aller à Rome pour visiter, en compagnie de Monsieur Didier Repellin, architecte, les Pieux Etablissements. Effectivement, au cours de ce voyage, le Prince s’est rendu au Vatican. Mais Benoît XVI venait à peine d’être élu et ne recevait pas, à ce moment-là. 

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    Au Liban, avec l'ambassadeur de France....

     

    lfar : Quelle a été l’atmosphère et la teneur des entretiens que le Prince a eus avec les responsables de la Curie ?  

    JG : Le Prince était impressionné par la noblesse des lieux et la qualité des personnes qui l’ont reçu. Mais ces dernières étaient aussi, manifestement, conscientes de ce qu’il représentait, qui est issu de l’histoire de la Chrétienté. Notamment, lors de la rencontre avec le cardinal Poupard. Le voyage a eu lieu à quelques jours du referendum de rejet par la France du traité de constitution européenne. Le cardinal Ruini demande au Prince s’il est apparenté et quels rapports il entretient avec les familles royales européennes. Le Prince répond en énumérant ses nombreux liens de parenté avec ces familles et les relations qu’il entretient avec elles. Le cardinal s’exclame alors : « Mais, vous êtes à vous seul toute l’Europe, dans ce qu’elle a de plus noble ! ».  Et s’adressant à l’ambassadeur de France, présent pour l’occasion, et lui-même surpris par l’étendue des liens de parenté du Prince, il l’interroge : « qu’en pensez-vous, Monsieur l’ambassadeur ? ». 

    Le cardinal conclue à l’intention du Prince : « ce sont des familles comme les vôtres qu’il faudrait à l’Europe, Monseigneur. Dans vos familles, nous le savons, il y a la durée, il y a de la sagesse, il y a même de la sainteté, parfois, Monseigneur ».    

    lfar : Au fait, en quelle langue ces entretiens, à l’étranger, se déroulent-ils ? Le Prince parle-t-il des langues étrangères ?

    JG : Le Prince parle, effectivement plusieurs langues, en particulier, couramment, l’anglais et l’allemand. Il faut d’ailleurs rappeler que, par sa mère, l’allemand est aussi, pour lui, une langue maternelle. Quant à l’anglais, il l’a étudié aux Etats-Unis, où il a passé plusieurs années, dans une université californienne.  

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    Ci dessus et ci dessous : en Pologne...

     

    lfar : Comment le Prince est-il perçu en général ? Par exemple : Comme une personnalité people ? Comme un vestige de l’Histoire ? Ou comment ?

    JG : Je répondrai encore une fois par une anecdote. Lors d’une réception par la chambre de commerce franco-louisianaise, je me trouvais, à table, auprès d’une jeune femme qui effectuait un post-doctorat, à l’université de la Louisiane. Elle ne semblait pas s’intéresser au débat politique traditionnel. Au cours de la conversation, elle a dit à toute la table, comme un sentiment profond, en même temps qu’une découverte : « c’est bizarre, quand je regarde cet homme, j’ai l’impression que je vois la France ». Nous sommes loin d’une image people ou vestige !

    lfar : Que lui apportent tous ces voyages ? Lors de la dernière assemblée générale de l’association Gens de France que le Prince préside, vous avez développé l’idée que ces voyages constituent « une double pédagogie ? ». Pouvez-vous expliquer ?

    JG : A l’origine, l’objectif du Prince est de s’informer et même, simplement, de se former aux réalités françaises et internationales. Il s’agit, pour lui, d’aller sur le terrain, de rencontrer les gens, de connaître leurs problèmes. Pour lui, ces voyages ont un intérêt pédagogique. Le phénomène de « double pédagogie » que j’ai évoqué réside en ceci qu’au fur et à mesure des voyages, et de l’expérience que le prince en retirait, les personnes qui le recevaient ou qui l’approchaient découvraient elles aussi ce qu’est un Prince et ce qui le différencie radicalement d’un homme politique traditionnel. Je puis vous assurer que cette différence est très perceptible et très vite ressentie lorsque le Prince voyage …

    lfar : Y-a-t-il d’autres projets de voyage ?

    JG : Le Prince fait toujours l’objet de plusieurs invitations, à l’étranger. En particulier, de la part du Japon et de la Hongrie. L’Afrique et la défense de la langue française font partie de ses préoccupations. Le prochain mariage du Prince suspend, pour l’instant ces projets mais sa nouvelle situation, familiale et professionnelle, l’amènera, sans-doute, à affirmer encore davantage son action. 

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  • L'identité française, par Mgr Guy Bagnard, évêque de Belley-Ars (texte intégral, non censuré.....).

               Golias s'est déchaîné contre le texte que Mgr Bagnard a publié sur le site de l'évêché de Belley-Ars. Le qualifiant de "propos scandaleux" la revue renvoie ses lecteurs à son n° 107, dans lequel un petit billet traitait de l'identité nationale. Dans le-dit billet on retrouve tous les poncifs les plus éculés d'une gauche et d'une extrême-gauche qui n'inventent plus rien depuis bien longtemps, et qui vivent sur la rente de situation qu'elles ont hérité en 1945: d'un côté, c'est rassurant....

               Dans ce billet fourre-tout, on tape sur "les centres de rétention et expulsions par charter", la "vision utilitariste de l’immigration, version relookée de l’esclavage, et le recul du droit d’asile", on prétend que les écoles sont "en danger" et qu'avec "son"débat le président Sarkozy "abolit la République et les principes qui la fondent"! Rien que ça ! Bref, du grand délire et du grand n'importe quoi, qui devient carrément du grand Barnum lorsque la revue ose écrire Et si l’histoire se répétait sous une autre forme ?, en évoquant Vichy et la collaboration, référence passéiste obligée de ceux dont les horloges mentales se sont arrêtées en 1945.

                Dans son innommable fourre-tout, chef d'oeuvre de mauvaise foi et de mauvais esprit, Golias feint évidemment de ne pas savoir ce que tout le monde sait: qu'il y a eu autant, voire plus, de collabos à gauche qu'ailleurs, et qu'il y a eu autant, voire plus, de résistants -et plus tôt...- ailleurs qu'à gauche.... Mais bon, on ne va pas chercher à convaincre ceux qui vivent depuis si longtemps sur le mensonge et du mensonge.

                Par contre, puisque Golias qualifie de "scandaleux" l'article de Mgr Bagnard, il est juste et honnête de lui donner la parole, et de laisser les lecteurs juges: qui est scandaleux ?.... 

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    L'identité française, par Mgr Guy Bagnard, évêque de Belley-Ars

     

    Si l’on s’interroge sur l’identité nationale, c’est que l’on ne sait plus ce que l’expression recouvre exactement. La cause en est due d’abord à l’impact de l’Europe sur notre pays ! En devenant membres de l’Union européenne, les Français voient plus ou moins s’effacer le sentiment de leur appartenance à la nation. De ce fait, la notion de nationalité, sans vraiment disparaître, passe au second plan. On se dit facilement citoyen de l’Europe et même parfois, plus radicalement encore, « citoyen du monde ». Que devient alors le lien qui unit à son propre pays ?

    L’une des autres causes qui entoure d’un brouillard l’identité nationale, c’est l’arrivée dans notre pays d’un grand nombre d’« étrangers ». Un seul exemple : quand l’équipe de football qui défend les couleurs de la France se présente avec une majorité de joueurs d’origine africaine dans ses rangs — ce qui n’est en rien critiquable, bien entendu ! — on se pose la question : « Que veut dire exactement l’expression : “équipe de France” ? »

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    On "appréciera" l'obligatoire réserve/précaution indispensable face au conformisme ambiant et à la police de la pensée, qui veille:

    "ce qui n’est en rien critiquable, bien entendu !"

     

    Or c’est au moment où se brouille la conscience de ce que l’on croyait être jusqu’alors, que l’on s’interroge sur la réalité de ce que l’on était vraiment ! Qu’est-ce qui fait que l’on est français ?

    L’histoire se reçoit

    À n’en pas douter, l’un des chemins qui ouvre à l’identité nationale passe par l’histoire. C’est dans l’héritage reçu des siècles que se reflète le visage d’une nation. « Qu’avons-nous que nous n’ayons reçu ? » Que pourrions-nous dire de nous-mêmes et de notre pays si, faute de mémoire, nous ne parvenions pas à nous situer dans le prolongement d’une histoire ? Ce serait le silence ou l’arbitraire d’une parole tirée de l’immédiat !

    Ainsi, comme évêque de Belley-Ars, je ne peux pas ignorer que la présence d’un évêque, identifiée avec certitude par l’histoire dans la ville de Belley, remonte à l’an 412. Il s’appelait Audax. L’évêque actuel est le centième d’une lignée qui en compte quatre-vingt-dix-neuf avant lui. Ainsi, depuis seize siècles, le christianisme est présent — de façon organisée — sur notre région. Comment, sur une aussi longue durée, l’Évangile n’aurait-il pas façonné le comportement de ses habitants, leur mode de pensée, leur culture, leur vision de l’existence ?

    Une donnée de fait

    On peut discuter sur le bien fondé de cet impact, mais on ne peut contester les données objectives de l’histoire. Les traces de cet héritage sont là sous nos yeux. Il suffit de voir « ce long manteau d’églises et de cathédrales qui recouvre notre pays pour comprendre que les valeurs chrétiennes ont dû quand même y jouer un rôle », déclarait Nicolas Sarkozy, le 13 décembre 2007. Pourquoi s’en excuser ? Pourquoi s’en défendre puisque nous sommes tout simplement devant une donnée de fait ?

    La culture issue de cette imprégnation des siècles est si profondément enracinée qu’elle est devenue comme une seconde nature ; elle fait si bien corps avec chacun d’entre nous qu’elle a ce grave inconvénient de ne plus s’interroger sur les origines où elle a puisé sa sève.

    Jean-Paul II avait justement osé dire au Bourget, le 1er juin 1980 : « On sait la place que l’idée de liberté, d’égalité et de fraternité tient dans votre culture, dans votre histoire. Au fond, ce sont là des idées chrétiennes. » S’interroger sur l’identité nationale, c’est donc retrouver le chemin des origines et les assumer comme un creuset qui, au fil des siècles, a forgé l’identité de notre pays.

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    Double CD contenant les discours des 6 Voyages Pastoraux de Jean-Paul II en France,
    entre 1980 (Le Bourget) et 1997 (JMJ)


    Cette interrogation conduit à reconnaître que l’un des facteurs majeurs de cette identité, c’est bien le christianisme. Nicolas Sarkozy avait dit au Latran : « Les racines de la France sont essentiellement chrétiennes... Une nation qui ignore l’héritage éthique, spirituel, religieux, de son histoire commet un crime contre sa culture. Arracher la racine, c’est perdre la signification, c’est affaiblir le ciment de l’identité nationale et dessécher davantage encore les rapports sociaux qui ont tant besoin de symboles de mémoire. »

    Un référentiel fondamental

    Il est vrai que le siècle des Lumières a contesté cet héritage, mais il en est resté, malgré lui, profondément imprégné. Le cadre mental dans lequel il exprimait ses « idées nouvelles » continuait à s’alimenter souterrainement à la Source qu’en surface il rejetait !

    Sans ce référentiel fondamental, il n’aurait pas pu élaborer la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont l’un des principes fondamentaux est le respect dû à tout être humain. Car tous les hommes sont égaux en dignité. Chacun a donc le droit d’être reconnu pour lui-même, qu’il soit croyant, non croyant, libre penseur, etc.

    Et justement, l’esprit de la laïcité s’engage à réunir les conditions permettant aux croyants et aux incroyants de vivre ensemble, la base de cette convivialité étant le respect de la conscience de chacun. Nous sommes typiquement devant la version séculière du message évangélique !


    Interroger l’islam

     

     

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    Aussi quand, sur l’horizon qui nous est familier, surgissent d’autres cultures — issues d’autres religions — nous nous interrogeons légitimement sur leur compatibilité avec notre propre identité nationale. Et c’est aussi l’occasion d’avoir une plus claire conscience de ce que veut dire être français. Au nom de cette identité, nous interrogeons l’islam. Accepte-t-il, dans les faits, la liberté de conscience ? Intègre-t-il, dans le champ social, l’égalité entre l’homme et la femme ? Le respect des consciences va-t-il jusqu’à accueillir le changement de religion sans crainte de représailles ? Peut-on être tranquillement adepte d’une autre religion dans un pays musulman ? Si la réponse est « oui » pour tel pays, et « non » pour tel autre, alors y a-t-il un organisme officiel qui définit la juste pensée de l’islam ? Où se trouve la véritable interprétation ? Le Français a besoin de le savoir au moment où son pays accueille cette culture sur son territoire et cela au nom de l’identité nationale.

    Car voici, par exemple, ce que je lis sous la plume d’un père jésuite égyptien, le Père Boulad, bon connaisseur de l’islam : « Quand un musulman me dit : l’islam est la religion de la tolérance, je lui réponds : parmi les 57 pays musulmans de la planète, cite m’en un seul où la liberté religieuse existe. Si bien que le non-musulman n’a pas sa place. Il est toléré, tout juste, comme dhimmi, mais à part ça, non. La tolérance, pour l’islam, c’est que vous êtes toléré comme citoyen de deuxième zone en tant que chrétien ou juif. Mais en dehors de ça, si vous êtes bouddhiste ou hindouiste, vous n’êtes plus toléré. Vous êtes un kafir, c’est-à-dire carrément un apostat, un impie. [...] »

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    N’est-ce pas le rappel de l’exigence d’un dialogue en vérité, au moment où l’on s’interroge sur l’identité nationale ? Et cette exigence dépasse largement la discussion sur la hauteur des minarets, même si celle-ci est à prendre aussi en considération.

    + Guy-Marie Bagnard,
    évêque de Belley-Ars

     

     

     

    17 décembre 2009.

  • « Le procès de l’Europe » de Jean-François Mattéi, par Pierre de Meuse

    PdM AG DREUX 026.jpgJean-François Mattéi nous a donné il y a déjà trente mois un nouveau sujet de réflexion avec un livre intitulé « le procès de l’Europe ». La lecture de cet ouvrage est, comme toujours, pleine d’enseignements et même dispensatrice de plaisir. Jamais, en effet, on n’y trouve d’austères périodes, ni surtout de langage obscur ou ampoulé comme malheureusement de nombreux philosophes nous en infligent trop souvent le déchiffrement. Non, Mattéi parle en clair, dans un français hellénique, nous donnant sans cesse à penser avec le jeu des étymologies, un exercice que nous ont transmis les grecs, et qui révèle le sens des mots cachés sous l’acception commune. Parler avec élégance et naturel des choses graves et essentielles est le propre des grands esprits. Ils ne sont pas très nombreux par les temps qui courent. A l’érudition et la clarté, Mattéi ajoute le courage, puisque le sujet de son livre est  la culpabilisation de l’Europe et sa mise en accusation par la pensée dominante. A-t-on le droit de vouloir que l’Europe soit autre chose qu’un marché ou une expression géographique ? Peut-on être fier de son identité européenne alors que tant de penseurs, de Julien Benda à Bédarida, en passant par Frantz Fanon, pointent du doigt les crimes qui jalonnent l’Histoire de notre vieux continent, simple excroissance à l’extrémité de l’Asie ? Mattéi, non seulement se refuse à plaider coupable, mais réclame le non-lieu.  

    Avec sa connaissance exceptionnelle de la philosophie, notamment celle de Platon, mais aussi des sciences et de la musique, le philosophe montre comment la connaissance et la mesure du monde ont été possibles, non seulement par l’expérience de la main, comme l’ont fait toutes les cultures humaines, mais par deux inventions des grecs : la logique et l’abstraction, qui procèdent par généralisation et progression dialectique. Ainsi les Européens ont accumulé des inventions permettant de dominer la nature comme personne ne l’avait fait avant eux. Grâce à eux, selon Mattéi, le monde est devenu intelligible. De sorte qu’aujourd’hui, s’il existe encore des sciences et des musiques propres à certaines cultures, personne ne conteste que LA science et LA musique sont celles que les Européens ont conçues. Les fils de l’Europe ont créé un modèle universel de la raison et l’ont offert à l’humanité. Leur société, ouverte sur les autres et sur l’extérieur, a permis l’invention de l’humanisme. En effet, c’est l’Europe et l’Europe seule, éclairée par la pensée grecque et le christianisme, qui a imaginé que l’homme, l’homme en soi, pouvait exister. Et Mattéi d’égrener les étapes de cette naissance : de la Magna Carta à la controverse de Valladolid et aux bills of Rights, jusqu’à la déclaration des Droits de l’homme de 1948.mattei en attente.jpg

     

    Bien sûr, l’Europe a déraciné des cultures, au cours de ses conquêtes, mais elle ne fut pas la seule à le faire, ce qui est indiscutable, car toutes les cultures ont prospéré sur la ruine de celles qu’elles avaient dominées. De plus, ces cultures ne pouvaient pas survivre à  l’irruption d’une abstraction qu’elles n’étaient pas en mesure d’assimiler : « La vie de l’anthropologie européenne signe, quoi qu’on fasse, la mort des cultures indigènes. La voix de la nature s’éteint quand les signes de l’écriture apparaissent : le monde ne résiste pas à la prise du concept » (p.91). D’autre part, l'auteur estime que beaucoup ne méritaient pas de se perpétuer, à cause de leur cruauté ou leur brutalité, comme les Aztèques ou les Incas. Mattéi écarte donc l’accusation, qu’elle concerne la colonisation ou la traite, dont il souligne que ce n’est pas l’Europe qui a inventé l’esclavage, mais que c’est elle qui l’a aboli. Enfin, il montre que c’est aussi l’Europe qui a fait des autres cultures les objets d’un regard neutre et attentif, grâce à la distanciation, le « regard éloigné » dont parle Lévi-Strauss. A mesure que les langues et les légendes des pays conquis disparaissaient, les savants, plus tard les ethnologues les recueillaient pieusement et même amicalement.                                              

    Reste la question ultime, et la seule à notre avis, qui mérite qu’on la pose, car elle concerne notre survie : nous reste-t-il, à nous Européens, une identité qui nous soit propre ? Pouvons-nous espérer transmettre à nos enfants quelque chose qui n’appartienne à personne d’autre qu’à nous ? Mattéi répond, formellement oui, mais son argumentation attend encore quelques précisions pour être vraiment convaincante.  

    Le philosophe passe en revue les critiques de ceux qui refusent d’admettre que l’Europe possède une identité exprimée par une culture propre, qui la distinguerait radicalement des autres cultures. Ainsi, il donne l’exemple d’Alain Badiou, pour qui « l’Europe vide ou évide la pensée », Denis Guenoun : « le vide est son avenir positif » ; Ulrich Beck : « vacuité substantielle et ouverture absolue ». En bref, tous proclament que l’identité de l’Europe est impossible et que le seul destin de l’Europe est de devenir étranger à soi. On pense immanquablement à Lévi-Strauss qui se demandait ironiquement « comment nous métisser nous-mêmes ? ». Citant  Pierre Manent, Mattéi constate la permanence et la nocivité de cet interdit jeté sur l’identité de l’Europe.   

    Pourtant, on ne peut pas vouloir une chose et son contraire. Si, comme le dit Mattéi, « la raison européenne s’est toujours identifiée à son ouverture vers l’Universel » (p.182), si la culture européenne n’est pas une culture mais une métaculture, alors elles ne nous appartiennent pas, et c’est à bon droit que les philosophes précités, quelle que soit parfois leur médiocrité, nous emprisonnent dans nos promesses inconsidérées. Si l’Europe est une Idée offerte aux autres hommes, de quel droit voulons nous l’accaparer dans notre chair ? En somme, le modèle universel de la rationalité peut il encore avoir une identité ? L’universalité du droit édifiée sur les modèles des Lumières est-elle compatible avec l’affirmation de ce qui nous est propre ? Et pour finir : peut-on encore se considérer comme une culture si l’on s’affirme comme une « culture supérieure », surtout si cette affirmation est acceptée par les autres cultures ? Les historiens savent que le peuple qui impose sa vision à l’empire qu’il a conquis perd toujours son particularisme.  

    Afin de répondre à cette question restée sans réponse valable, quelle que soit la forme sous laquelle on l’énonce, il convient de se demander si l’Europe ne s’est pas empoisonnée avec ses propres concepts. Elle a, nous dit l’auteur, créé le modèle d’une « société ouverte ». Peut-être trop ouverte, au point de détruire toutes les légitimes différences ? Elle a, poursuit-il, osé l’ouverture à l’ « homme ». Mais qu’est-ce que l’homme ? Croit-on qu’après avoir fabriqué un tel concept, il va rester sagement limité aux passions humaines communes, à la littérature ou aux fins dernières ? Et laisser intacts traditions, langues, religions et particularismes ? Et les Droits de l’Homme dont le Pape Pie IX disait qu’ils étaient « une monstruosité », non pas parce qu’ils sont des droits, mais parce qu’ils se prétendent attachés à l’homme. Souvenons nous enfin de ce fameux quolibet de Maistre : « l’homme, je ne l’ai jamais rencontré ! » 

    Osons nous demander, en espérant que notre éminent ami ne nous en tiendra pas rigueur, s’il ne conviendrait pas, au lieu d’accepter sans réserve tout l’héritage accumulé depuis l’École  de Salamanque jusqu’aux Lumières, de faire sécession de cette Europe mentale, incompatible avec notre survie, et de nous demander à quel moment les choses ont commencé à déraper. Une telle démarche nous permettrait, comme disent les juristes, d’accepter la succession « sous bénéfice d’inventaire ». Après tout avons-nous toutes les raisons de nous glorifier de notre cadeau de la raison universelle offert au monde ? Le voyageur peut constater aisément en visitant les pays de tous les continents,  que  le monde s’enlaidit à mesure et à proportion de son européanisation. C’est le visage hideux de la modernité, certes, mais comme le montre Mattéi, c’est notre œuvre.                      

    Or, de Vico à Herder, à Maistre, Donoso Cortès et Spengler, nombreux furent les penseurs qui contestèrent et rejetèrent « l’idée d’une intelligibilité qui régirait aussi bien le monde que l’homme », refusèrent «  l’idée de raison universelle » et espérèrent « en finir avec l’idée linéaire menant l’humanité vers le progrès » (p.121). Avaient-ils tort, ou n’étaient-ils pas européens ?  

    mattei,europe,moderniteOsons aussi regretter que notre Europe contemporaine n’ait pas conservé comme les grecs classiques, à côté de leur philosophie, une poésie épique, qui façonnait les esprits et les volontés vers les vertus vitales. Osons déplorer encore que notre société ait perdu le sens du tragique, dont Mattéi nous dit qu’il « s’enracine dans le théâtre des Grecs plus que dans leur philosophie », ajoutant que «  c’est toujours cette dernière qui donne le la ».  

    N’allons pas jusqu’à souhaiter, comme Platon qui exigeait que les poètes restassent en dehors de la cité, réserver le même sort aux philosophes, afin que l’Europe, telle Ulysse « abandonne son nom de « Personne », Ουτις, lorsque le fils de Laërte aura retrouvé, avec la terre natale, son identité (p.93). 

    ___________________

    Jean-François Mattéi, Procès de l’Europe, Grandeur et misère de la culture européenne, PUF, 22 €, 264 p.

  • Le Prince à la rencontre du monde : Entretien avec Jean Gugliotta.

    Palais royal de Tétouan, juillet 2003 - le roi Mahamed VI, le prince Jean de France, Jean Gugliotta
     
    La note qui précède (« Le miracle marocain : Un roi, sinon rien »), est illustrée par une photographie de l'entretien qui eut lieu début juillet 2003 au palais royal de Tétouan entre le roi Mohamed VI et le prince Jean de France. Dans quel cadre s'est faite cette rencontre ? Qu'en a-t-il été des voyages du Prince à l'étranger dans cette période ? De leur objet, de leur importance ? Jean Gugliotta - qui en a été l'un des principaux organisateurs - nous avait donné à cet égard de substantielles explications en avril 2009, pour les années 1998-2009. Ainsi, d'ailleurs, que différents exemples vécus, à l'appui de son propos. Nous trouvons opportun de les donner à lire, aujourd'hui, où, s'agissant de l'exemple marocain, l'on constate aisément les bienfaits d’un roi « stabilisateur ». Lesquels manquent si évidemment et cruellement à la France actuelle.         
     
    Lafautearousseau : Depuis une dizaine d’années, le Prince est très présent dans la vie publique. Au sein de l’équipe qui l’entoure, vous êtes plus particulièrement chargé de l’organisation de ses voyages, notamment de ses voyages à l’étranger. Quels sont les pays qu’il a visités ?

    Jean Gugliotta : Effectivement, depuis 1998, année de la mort du précédent comte de Paris, le Prince a entamé une série de voyages, en France et à l’étranger. Il s’agissait, pour lui, personnellement, de poursuivre l’œuvre de son grand-père et de prolonger la présence de la Maison de France, dans l’espace public, national et international. Je vous rappelle que le prince Jean, à plusieurs reprises, a accompagné les déplacements de son grand-père, en particulier au Québec, à l’initiative du gouvernement français. Durant les dix années écoulées, le Prince s’est rendu, dans l’ordre, en Louisiane, au Québec, au Liban, au Maroc, en Tunisie, en Pologne, en Roumanie et, en 2008, à l’invitation du gouvernement québécois, à Montréal et à Québec, dans le cadre des célébrations du quatre-centième anniversaire de la fondation de Québec, par Champlain, au nom du roi de France.      

    lfar : Au cours de ses voyages à l’étranger, est-ce qu’il a rencontré des chefs d’état ou de gouvernement ? Lesquels ?

    JG : La plupart de ces voyages ont eu pour origine une invitation des Etats. Souvent à l’occasion d’une célébration qui tenait à l’identité ou à l’histoire de la « puissance invitante ». D’autres voyages ont été plutôt à l’initiative du Prince et pour des raisons personnelles ou familiales. C’est particulièrement le cas pour le Maroc, où le Prince a voulu se rendre pour « mettre ses pas dans les pas de ses ancêtres ». Je vous rappelle que le comte de Paris y a passé sa jeunesse et que le duc de Guise y a été enterré, au cimetière de Larache. Mais quelle qu’ait été l’origine de ces voyages, le Prince a toujours fait l’objet d’un accueil au plus haut niveau. C’est ainsi qu’au Maroc, il a été reçu par le roi Mohamed VI, avec qui il s’est entretenu, au palais royal de Tétouan (ci dessus).  Mohamed VI lui a raconté un souvenir d’enfance : lors d’une réception à Paris, voyant arriver une personnalité qu’il ne connaissait pas, il avait questionné son père, le roi Hassan II. Et le roi lui avait répondu : « c’est le comte de Paris ; si la France était une monarchie, c’est lui qui serait le roi. ». Au Liban, le Prince a été reçu par le président de la république libanaise, Emile Lahoud, dans son palais de Baabda. Au Québec, il a rencontré tout le staff gouvernemental, et, en plus, le Premier Ministre du Canada et Madame Michaëlle Jean, Gouverneur-Général du Canada, représentant la reine d’Angleterre. En Pologne, il a aussi rencontré le président de la Diète, en Tunisie et au Maroc plusieurs ministres, et en Louisiane, il a été reçu par Madame le Gouverneur et le président du Congrès. 

    lfar : Est-ce qu’il a rencontré d’autres personnalités marquantes ? Lesquelles ?

    JG : Des personnalités marquantes, à différents points de vue. Permettez-moi d’évoquer la rencontre en Louisiane, avec les indiens Houmas, les enfants rouges de la France, qui ont rappelé au Prince, documents à l’appui, la visite à leur tribu, au XVIIIème siècle, du fils du duc d’Orléans, le futur Louis-Philippe. Cette même tribu, aujourd’hui, se bat, malgré les difficultés, pour conserver l’usage du français. Au Liban, il s’est entretenu longuement avec le patriarche maronite, Monseigneur Sfeir, et, dans sa forteresse du Chouf, avec le chef Druze Walid Joumblatt. Au Liban, il a aussi rencontré le père  Mansour Labaki, dont l’œuvre, en faveur des enfants, est universellement appréciée. En Pologne, il a rencontré deux personnalités particulièrement marquantes, qui ont été l’une et l’autre, très proches de Jean-Paul II  : Lech Walesa, prix Nobel de la Paix, venu, tout exprès, de Gdansk à Varsovie et le cardinal Dziwisz, primat de Pologne … L’épouse du président de la république polonaise a aussi tenu à saluer le Prince. Mais au-delà de ces personnalités marquantes, il ne faut pas oublier que le Prince, attaché à la présence de la France, dans ces différents pays, y a rencontré aussi un grand nombre de décideurs en matière économique, culturelle ou scientifique. 

    lfar : Quel est le rôle du Quai d’Orsay et des représentations diplomatiques françaises, dans les pays où le Prince s’est rendu ?

    JG : Lors du premier déplacement du Prince, à l’étranger, qui était en Louisiane, le Quai d’Orsay a souhaité être informé des raisons de ce voyage. Le Prince a considéré comme normal que le Ministère des Affaires Etrangères soit tenu au courant. Par la suite, dans tous les voyages, le Quai d’Orsay, pour ce qui le concernait, a toujours facilité les rencontres avec les ambassadeurs en poste. Ces derniers reçoivent le Prince, dès son arrivée, et font, avec lui, un tour d’horizon de la situation locale. A son retour, le Prince tient informé le Quai de ses conversations. Une anecdote : lors de son voyage au Maroc, l’ambassadeur de France, en déplacement, n’a pas pu recevoir le Prince mais il a tenu à lui téléphoner personnellement pour l’informer du décès de sa grand-mère, la comtesse de Paris et l’assurer de sa sympathie. Des représentants de la France à l’étranger, le Prince a toujours reçu un parfait accueil.      

    lfar : Lui est-il arrivé, lors de ces voyages, de rencontrer des personnalités gouvernementales ou politiques françaises ? Et, si oui, comment ces rencontres se passent-elles ?     

    JG : A ce propos, c’est le voyage à Québec qui me permet le mieux de répondre à votre question. Le Prince y a rencontré l’ensemble de la délégation française présente aux cérémonies. En particulier, Alain Juppé qui a regretté de n’avoir pu le recevoir à Bordeaux lors de son dernier voyage et a souhaité une nouvelle occasion. Jean-Pierre Raffarin a témoigné beaucoup de chaleur au Prince. Une autre anecdote à ce sujet. Jean-Pierre Raffarin regrettait qu’en raison de la pluie battante, les participants aux cérémonies dussent se réunir, à l’abri, dans une même enceinte. Le Prince lui a répondu que finalement ce n’était pas plus mal et que cela permettait, au moins, de se rassembler. Avec esprit et répartie, le premier Ministre a répliqué : « Rassembler les gens, c’est bien là votre vocation, Monseigneur. On reconnaît-là votre éducation capétienne ». A cette même occasion, le Prince s’est entretenu également avec Jean-Paul Huchon qui l’a invité à visiter l’exécutif du Conseil Régional d’Ile de France. Il a salué aussi Bernard Accoyer qui préside l’Assemblée Nationale et Ségolène Royal. Tout le monde a pu voir la photographie de la rencontre entre François Fillon et le Prince, qui lui a présenté les personnes qui l’accompagnaient. Il faut dire, pour finir, que lors de ce genre de dîner officiel, c’est vers la table du Prince que convergent les regards et le mouvement de tous ceux qui veulent venir le saluer.        

    lfar : Vous avez accompagné le Prince, à Rome, pour une visite au Vatican. A-t-il rencontré le Pape ?

    JG : En fait, le Prince souhaitait aller à Rome pour visiter, en compagnie de Monsieur Didier Repellin, architecte, les Pieux Etablissements. Effectivement, au cours de ce voyage, le Prince s’est rendu au Vatican. Mais Benoît XVI venait à peine d’être élu et ne recevait pas, à ce moment-là.  

    lfar : Quelle a été l’atmosphère et la teneur des entretiens que le Prince a eus avec les responsables de la Curie ?  

    JG : Le Prince était impressionné par la noblesse des lieux et la qualité des personnes qui l’ont reçu. Mais ces dernières étaient aussi, manifestement, conscientes de ce qu’il représentait, qui est issu de l’histoire de la Chrétienté. Notamment, lors de la rencontre avec le cardinal Poupard. Le voyage a eu lieu à quelques jours du referendum de rejet par la France du traité de constitution européenne. Le cardinal Ruini demande au Prince s’il est apparenté et quels rapports il entretient avec les familles royales européennes. Le Prince répond en énumérant ses nombreux liens de parenté avec ces familles et les relations qu’il entretient avec elles. Le cardinal s’exclame alors : « Mais, vous êtes à vous seul toute l’Europe, dans ce qu’elle a de plus noble ! ».  Et s’adressant à l’ambassadeur de France, présent pour l’occasion, et lui-même surpris par l’étendue des liens de parenté du Prince, il l’interroge : « qu’en pensez-vous, Monsieur l’ambassadeur ? ». 

    Le cardinal conclut à l’intention du Prince : « ce sont des familles comme les vôtres qu’il faudrait à l’Europe, Monseigneur. Dans vos familles, nous le savons, il y a la durée, il y a de la sagesse, il y a même de la sainteté, parfois, Monseigneur ».    

    lfar : Au fait, en quelle langue ces entretiens, à l’étranger, se déroulent-ils ? Le Prince parle-t-il des langues étrangères ?

    JG : Le Prince parle, effectivement plusieurs langues, en particulier, couramment, l’anglais et l’allemand. Il faut d’ailleurs rappeler que, par sa mère, l’allemand est aussi, pour lui, une langue maternelle. Quant à l’anglais, il l’a étudié aux Etats-Unis, où il a passé plusieurs années, dans une université californienne.   

    lfar : Comment le Prince est-il perçu en général ? Par exemple : Comme une personnalité people ? Comme un vestige de l’Histoire ? Ou comment ?

    JG : Je répondrai encore une fois par une anecdote. Lors d’une réception par la chambre de commerce franco-louisianaise, je me trouvais, à table, auprès d’une jeune femme qui effectuait un post-doctorat, à l’université de la Louisiane. Elle ne semblait pas s’intéresser au débat politique traditionnel. Au cours de la conversation, elle a dit à toute la table, comme un sentiment profond, en même temps qu’une découverte : « c’est bizarre, quand je regarde cet homme, j’ai l’impression que je vois la France ». Nous sommes loin d’une image people ou vestige !

    lfar : Que lui apportent tous ces voyages ? (...) Vous avez développé l’idée que ces voyages constituent « une double pédagogie ? ». Pouvez-vous expliquer ?

    JG : A l’origine, l’objectif du Prince a été de s’informer et même, simplement, de se former aux réalités françaises et internationales. Il s’est agi, pour lui, d’aller sur le terrain, de rencontrer les gens, de connaître leurs problèmes. Pour lui, ces voyages ont eu un intérêt pédagogique. Le phénomène de « double pédagogie » que j’ai évoqué réside en ceci qu’au fur et à mesure des voyages, et de l’expérience que le prince en retirait, les personnes qui le recevaient ou qui l’approchaient découvraient elles aussi ce qu’est un Prince et ce qui le différencie radicalement d’un homme politique traditionnel. Je puis vous assurer que cette différence est très perceptible et très vite ressentie lorsque le Prince voyage … 

     

  • Retour sur le dernier livre de Pierre Manent : apprendre à vivre avec l'islam ?

     

    Nul ne conteste la qualité, l'intelligence des travaux de Pierre Manent. Nous en traiterons avec respect. Toutefois son dernier petit livre, Situation de la France, soulève, comme il l'avait lui-même prévu, de nombreuses et fortes réserves. La courte recension qu'en a fait Anne Bernet, publiée dans Lafautearousseau le 8 novembre dernier, a été suivie de substantiels commentaires, desquels nous dégageons celui de Jean-Louis Faure qui a été, à juste titre, qualifié de remarquable et réjouissant de lucidité. Qu'en pensons-nous, nous-mêmes ? Comme nombre d'intellectuels catholiques, avec différentes nuances (Frédéric Rouvillois, François Huguenin...), Pierre Manent tente ce qui nous apparaît comme une improbable et périlleuse conciliation entre identité française et accueil de l'Islam. Y croit-il vraiment lui-même ? En tout cas, il ne (se) cache pas la difficulté de l'entreprise, cette sorte de ligne idéale qu'il définit et qu'il propose. « ... Dans un pays de marque chrétienne… c’est un chef d’œuvre d’imagination et de modération qu’il est demandé aux uns et aux autres de réaliser … c’est cette opération suprêmement délicate que nous avons à conduire ensemble … ».  Nous craignons simplement que la recherche d'un idéal si improbable fasse surtout courir au pays un risque supplémentaire, n'accrédite des illusions sans lendemain mais non sans conséquences et n'affaiblisse notre volonté identitaire. Dirons simplement que nous partageons sur l'essentiel l'analyse de Jean-Louis Faure, reproduite ci-après. LFAR    

    Le commentaire de Jean-Louis Faure 

    Donc Mme Bernet est tombée sous le charme. Une phrase pour dire qu’il n’existe pas encore de peson pour mesurer l’intelligence …

    Ce que je lis chez Pierre Manent :

    L’explication-valise d’une Europe intellectuellement diminuée par l’assassinat industriel des juifs. Ce qui est à peine excusable chez le pseudo historien Paxton au café du commerce, est inacceptable sous la plume d’un grand historien des idées politiques tel que Manent. L’assassinat industriel de populations fut une méthode de gouvernance du léninisme et du stalinisme, dans des proportions jamais vues dans l’Histoire, sauf en Vendée sous la terreur jacobine (voir Nicolas Werth, « la route de Kolyma » ; et « l’ivrogne et la marchande de fleurs »).

    La colonne vertébrale de ce petit travail est toute dans cette remarque: « … nous observons l’extension et la consolidation du domaine des mœurs musulmanes plutôt que son rétrécissement ou son attiédissement dans notre pays. Ce fait social est aussi le fait politique majeur que nous avons à prendre en compte. Le prendre en compte, c’est d’abord consentir à admettre que sur ce fait nous n’avons que très peu de pouvoir. Nos concitoyens musulmans sont désormais trop nombreux, l’islam a trop d’autorité, et la République, ou la France, ou l’Europe trop peu d’autorité pour qu’il en soit autrement. Je soutiens donc que notre régime doit céder, et accepter franchement leurs moeurs puisque les musulmans sont nos concitoyens. Nous n’avons pas posé de conditions à leur installation, ils ne les ont donc pas enfreintes … ».

    Tout est dit, À HURLER. « … compromis avec les musulmans français en vue de leur intégration complète dans notre société politique … ». Comment peut on se bercer d’une telle utopie ? De Lois, point de mention. Quant à appeler les catholiques à l’aide, c’est un gag que malheureusement plusieurs évêques dispensent volontiers.

    Intérêt de cet opuscule ? Alimenter un débat lâchement passé sous le tapis par un personnel politique qui a trahi sa mission, représenter le peuple.

    Michèle Tribalat a longuement détaillé pourquoi l’intégration à la française est un échec. Les musulmans n’ont que faire du respect des lois, tout en s’enfermant dans leur communauté par un réflexe endogame. Partant, tout parallèle avec un Français de souche est une pure provocation, comme les musulmans en usent dans un État faible, devenu évanescent. Ceux qui préfèrent se coucher ne manquent pas, et n’ont jamais manqué, hélas, parmi nos évêques. La dhimitude a de beaux jours devant elle.

    Quant à la raison au pays de l’islam, le pape Benoit XVI a dit à Ratisbonne ce qu’il fallait en penser. Manent cultive la posture intellectuelle de l’école de Raymond Aron, merveilleuse pour passer des diplômes de philosophie mais souvent loin du réel. C’est le cas ici. Le summum de l’obscurantisme est quand la discussion sur le sujet dérape en opposition droite – gauche. Comme s’il s’agissait d’une question politique. En dernière analyse, c’est le ressenti du peuple qui s’impose, ce fut toujours le cas dans l’Histoire.

    Pierre Manent écrit dans le cadre de sa fonction, analyse philosophique de la politique et de la société. Pure théorie donc, qui a un intérêt intellectuel patent, indéniable. Mais totalement coupé de la réalité, avec une construction de ce que pourraient être les temps futurs. C’est charmant mais réservé à ses agrégatifs. 

    Je persiste à croire et à savoir que l’on ne négocie pas avec l’islam. Ce corpus n’est pas intégrable dans la liturgie judéo-chrétienne de l’Europe. En suivant Manent nous partons vers des contresens qui vont nous couter cher. Dans une conférence récente, Bernard Lugan mettait en garde contre le contresens autour du mot «réforme». Chez les adeptes de l’islam, il s’agit d’un retour à la pureté des textes du Coran, des hadiths, et non d’une remise en cause comme purent la conduire Luther et Calvin. Manent n’est pas orientaliste.

    Quant à la laïcité est il nécessaire de revenir sur le sujet ? Les analyses sur ce que fut cette démarche strictement française et strictement politique, sont copieuses, didactiques et complètes. Rien à ajouter aujourd’hui, sinon que la situation de 1900 était sans rapport avec celle des années 2000 …

    Le Figaro des 13 et 14 octobre nous a proposé en deux parties un échange de haute tenue entre Manent et Finkielkraut. A l’instar de plusieurs autres critiques de ce petit travail AF pointe plusieurs assertions totalement inacceptables. A vrai dire on termine ces 170 pages en ressortant frustrés, l’impression d’être trompés sur la marchandise. Manent use (et abuse ?) de sa position de grand intellectuel français reconnu de l’école de Raymond Aron pour embrasser beaucoup de notions tel un inventaire à la Prévert en trop peu de pages, sous le titre ambitieux «Situation de la France». Avec selon nous de nombreuses approximations, sinon erreurs. Mais le plus sidérant est de parler de l’islam en Europe et en France tout au long du livre, sans jamais venir à ce qu’est l’islam. Son histoire, son corpus, ses dogmes, son organisation, et en définitive le totalitarisme consubstantiel à cette doctrine. Il revient à plusieurs reprises sur la séparation de César et de Dieu, en oubliant que cette préoccupation est très ancienne dans l’histoire de l’Humanité. L’illumination du Gautama Boudha, 500 ans avant notre ère fut d’écarter les Bramanes de la gestion de la cité. Ce conflit permanent entre deux des trois fonctions identifiées par Dumézil se régla autant dans un calme relatif (cas du boudhisme) que par le feu et le fer. Il ne se pose pas en islam car la doctrine religieuse dirige toute la société, sa structure, sa morale, ses tribunaux, la cellule familiale, l’obligation du patronyme. Et donc disserter sur l’islam en France sans convoquer dans la discussion, le principal intéressé est surréaliste.
    Les dizaines d’ouvrages d’exégètes sur la nature de la doctrine rendent vaine la tentative de l’assimiler. C’est l’islam qui donne le tempo et qui à terme règnera en maitre. Naïveté ou dangereuse rêverie ? Ce sont nos églises que l’on démolit, et c’est Boubakeur qui réclame 2.000 mosquées. C’est la totalité du corps médical qui est confronté au mépris de la Loi et de l’hygiène. C’est la provocation permanente qui s’est installé dans l’éducation dite nationale, c’est le Code Civil qui est en permanence foulé aux pieds. C’est une société en totale régression qui prospère désormais sous nos yeux. Nous partageons la réserve de Manent sur la laïcité, et l’évidence de son inutilité. Notion « à la française » qui n’a aucune signification dans aucun autre pays, et dont les fondements avaient éventuellement un sens à la fin du XIXème siècle au Palais Bourbon. Imagine-t-on aujourd’hui la lettre de Jules Ferry aux instituteurs ? Dans un débat organisé par Finkielkraut chez France Culture, la réponse que firent les deux invités, d’abord Jacques Julliard, ensuite Dominique Reynié, est un modèle du genre. Pas une seule fois le mot islam ou musulman n’est prononcé tout au long de leur absconse logorrhée.

    A vrai dire, cette lecture inspire les pires inquiétudes. Dans une première partie Pierre Manent décrit la rencontre entre un pays faible et l’islam fort. Une langue riche mais compliquée pour nous parler d’un islam rigoriste et dominateur, ce que savent tous les orientalistes. Les ouvrages savants sur l’islam ne manquent pas dans les bibliothèques françaises.. Où l’on y découvre très vite que les cinq piliers (jamais cités) ne se discutent pas. Et plus loin Pierre Manent poursuit, toujours dans une langue tarabiscotée pour nous dire que la laïcité ne règle rien, ce que sait tout orientaliste ayant vécu en pays arabo-musulman, dès lors que religion et séculier sont indissociables, et que la première dirige le second.

    Nous partageons son analyse que cette religion très sectaire (c’est moi qui le dis) s’implante dans une Europe qui est devenue un désert spirituel, et la France en particulier. Pierre manent nous décrit une 3ème République comme un état fort, mais à aucun moment ne fait mention de la Loi et du Droit. Ne regarder la place de l’islam dans notre société que sous un angle philosophique ou sociologique sans évoquer l’obligation d’entrer dans le corps des Lois, nous expose au minimum à un développement séparé, à supposer que les autochtones, les Français de souche, l’acceptent. Loin de l’assimilation, plutôt une vague intégration (la nuance est faite par Michèle Tribalat). Dans une incantation qui nous laisse sans voix, Manent termine par « … Trouver leur place dans un pays de marque chrétienne … c’est un chef d’œuvre d’imagination et de modération qu’il est demandé aux uns et aux autres de réaliser … c’est cette opération suprêmement délicate que nous avons à conduire ensemble … ».

    Ce qui s’appelle rêver éveillés ! 
     

    Quelques liens critiques sur le travail de Pierre Manent

    http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2015/10/05/31003-20151005ARTFIG00304-pierre-manent-islam-de-france-mode-d-emploi.php

    http://www.wukali.com/Situation-de-la-France-l-essai-non-marque-de-Pierre-Manent-2235#.Vhk0c_-hfIU

    http://www.slate.fr/story/107855/compromis-musulmans-france-manent

    Et une analyse du livre très intéressante, car simple et claire de Pierre Le Vigan publiée dans Polemia.

    http://www.polemia.com/situation-de-la-france-de-pierre-manent/?utm_source=La+Lettre+de+Pol%C3%A9mia&utm_campaign=444b2e572c-lettre_de_polemia&utm_medium=email&utm_term=0_e536e3990e-444b2e572c-57836697

  • Comment  « Le Monde » expose sur une pleine pagne signée Jean Birnbaum que « Boutang reprend le pouvoir »

      

    Par Jean Birnbaum

    Le Monde du 31.03.2017

    TRAVAUX DIVERS - Largeur + - Copie - Copie.jpgAu printemps 2016, alors qu’il dîne avec François Hollande à l’Élysée, l’acteur Fabrice Luchini évoque ses lectures du moment. Le comédien confie qu’il est plongé dans un livre de Pierre Boutang (1916-1998), poète éruptif, philosophe difficile et journaliste ­cogneur, en son temps pétainiste et disciple favori de Charles Maurras à l’Action française (AF). « Vous lisez Boutang ! C’est l’écrivain préféré de mon père ! », répond Hollande, au grand étonnement de son hôte.

    Mais, en l’occurrence, le président se révélait simplement normal. Car Boutang, depuis l’origine, c’est l’histoire d’un père qui revient sans cesse harponner les fils, faisant retour depuis les lieux les plus divers : un dossier du « Figaro littéraire » et un souvenir de Bernard-Henri Lévy, un ­livre de Patrick Buisson, mais aussi un dialogue télévisé avec le philosophe George Steiner, une réunion de La ­Manif pour tous ou une revue de chrétiens pro-israéliens.

    Relation au père

    Bien sûr, on doit commencer par mentionner l’enjeu biographique. Rappeler la relation de Boutang à son propre père, ingénieur déclassé, camelot du roi et grand lecteur du pamphlétaire antisémite Edouard Drumont : « Un jour, j’étais chez Boutang à Saint-Germain-en-Laye, se souvient Rémi Soulié, auteur de Pour saluer Pierre Boutang (Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2016). Il a ouvert une commode, en a sorti une photo de son père, il avait les larmes aux yeux ».

    Mais Boutang le fils est à son tour ­devenu père, père biologique, père symbolique aussi, et l’aura qui est la sienne aujourd’hui reste largement liée à l’accueil protecteur que cet ogre normalien réserva aux jeunes gens venus frapper à sa porte. À ces fils adoptifs, Boutang parlait de Maurras, mais aussi de littérature et même du chanteur Renaud…

    Comme Rémi Soulié, Jean-François Colosimo, patron des Éditions du Cerf, fut de ceux-là : « J’avais 17 ans. Ce fut ­l’irruption du génie à l’état brut. Par la suite, quand je suis parti en Grèce, sans moyens, avec l’idée de vivre dans un ­monastère du mont Athos, Boutang me demandait au téléphone : “Où êtes-vous ? Donnez-moi votre adresse pour que je vous envoie de l’argent”. »

    Boutang a fait du lien paternel le fil rouge de sa vie mais aussi de sa pensée, et c’est ce choix qui lui confère aujourd’hui une influence renouvelée, au moment où une frange de la droite française renoue avec ce que l’écrivain hussard Antoine Blondin nommait « l’âge de Pierre »… Aux femmes et aux hommes qui cherchent à réarmer ­intellectuellement la famille réactionnaire, sa philosophie du père fournit des réponses dans au moins trois ­domaines : ceux de la filiation, du pouvoir et de la civilisation

    La filiation, d’abord. Plutôt qu’un territoire charnel, la France selon Boutang est une culture qui vous tombe dessus, une langue qui vous élit. Pour lui, l’héritage forme le seul horizon digne de ce nom ; c’est la gratitude qui nous jette en avant. « Dès le berceau, nous naissons avec une dette que nous n’avons pas contractée et qui est impayable : voilà l’idée anthropologique de Boutang », note la philosophe Chantal Delsol.

    Pendant Mai 68, Boutang enseigne au lycée Turgot, à Paris, et il sent d’emblée que l’insurrection en cours produira cette révolution du désir dont il combat certaines figures tutélaires : ­« Althusser à rien, Lacan à pas grand-chose », fredonne celui qui signera un essai intitulé Apocalypse du désir (Grasset, 1979). Au slogan soixante-huitard, « Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi ! », Boutang semble rétorquer : « Marche, compagnon, l’origine est devant toi ! » Cette origine détermine toute vie humaine, dit-il, et elle est indissociable de la différence des sexes telle que la Bible l’a fondée (un héritage peu présent chez Maurras,­davantage travaillé par la mort que tourné vers la vie).

    « Une vraie influence sur le mouvement royaliste »

    Ainsi n’est-il guère étonnant que la pensée politique de Boutang ait inspiré une partie de La Manif pour tous. Certes, celle-ci est souvent « boutangienne sans le savoir », précise Gérard Leclerc, éditorialiste au journal Royaliste et à Radio Notre-Dame. Mais le lien existe, et il n’est pas que théorique : « Boutang a une vraie influence sur le mouvement royaliste, qui a lui-même plus d’influence sur les droites qu’on ne le croit. Un certain nombre de gens liés à La ­Manif pour tous viennent de là, et même quand il n’est pas explicitement cité, Boutang pèse », ajoute Chantal Delsol.

    « L’Action française est un peu la ­franc-maçonnerie des réactionnaires, ­confirme Francis Venciton, jeune militant de l’AF Provence. Parmi les fondateurs de La Manif pour tous, pas mal de gens sont issus de l’AF ou l’ont fréquentée, et nous avons contribué à orienter son argumentaire. » Or pour ces royalistes qui nourrissent les nouvelles mobilisations de droite, la voix de Boutang compte à nouveau. Après avoir longtemps été effacé pour raison de querelles internes, son visage est réapparu sur les autocollants de ­l’Action française. « Boutang revient en force à l’AF, constate Axel Tisserand, auteur d’essais sur le royalisme. Il permet de penser au moins deux questions qui ont été remises au centre par La Manif pour tous : celle de la filiation et celle du consentement populaire. »

    Après la filiation, donc, le pouvoir. Là encore, il y va d’un déplacement par rapport à la figure paternelle de Maurras. Quand celui-ci refusait toute souveraineté populaire et ancrait le pouvoir du prince sur l’autorité et la légitimité, son disciple indocile insiste sur un troisième pôle : celui du consentement. Dès lors, les monarchistes peuvent sortir de l’impasse émeutière et devenir non plus les démolisseurs de la démocratie, mais ses veilleurs impitoyables. Acceptant désormais le fait républicain, ils exigent que le pouvoir soit incarné par un père populaire.

    Antisémite de ­culture

    Voilà pourquoi Boutang finira par soutenir la Ve République gaullienne : « Pour Boutang, de Gaulle réunit les fils de l’histoire de France en coiffant la ­monarchie d’un bonnet de Marianne », résume Jean-François Colosimo. Voilà aussi pourquoi Boutang peut inspirer une partie de la droite contemporaine, comme en témoigne Jérôme Besnard, essayiste et membre de l’équipe de campagne de François Fillon : « Boutang a compris que la crise de légitimité produite par 1789 était toujours ouverte. Quand on l’a lu, on sait que pour retrouver cette légitimité il ne faut pas avoir peur d’aller au peuple. Après tout, de Gaulle a réalisé son coup d’État sans qu’un seul coup de feu soit tiré… » Et en dernière instance, là encore, toute légitimité d’avenir exige de renouer avec l’héritage spirituel de la France.

    Pourtant, cet héritage est-il exclusivement chrétien ? Après la filiation et le pouvoir, nous voici venus au troisième enjeu, celui de la civilisation. Par rapport à Maurras, Boutang a peu à peu ­accompli, ici, un déplacement encore plus douloureux. Antisémite de ­culture, auteur de textes et de gestes où suintait la haine des juifs, Boutang a fini par considérer que le nouvel esprit du sionisme prenait le relais d’une chrétienté défaillante.

    Alors que l’Europe politique devenait une construction supranationale, Boutang regardait Israël avec tendresse, car à ses yeux cette nation perpétuait les formes que l’Europe abandonnait : un État souverain, un peuple en armes, une identité millénaire. « L’homme européen ne se trouve pas éminemment en Europe, ou n’y est pas éveillé. Il est, paradoxe et scandale, en ­Israël », écrivait Boutang dans son journal, La Nation française, en juin 1967, à la veille de la guerre des Six-Jours. 

    Une nouvelle alliance judéo-chrétienne 

    Cinquante ans plus tard, alors que des figures de droite, comme l’ancien ­ministre de la défense Hervé Morin, appellent à « israéliser » la France en termes sécuritaires, les textes de Boutang nourrissent les arguments de [ceux qui prônent une nouvelle alliance judéo-chrétienne : « Le lien de Boutang avec Israël, c’est le lien non seulement avec l’origine du christianisme, mais aussi avec l’origine comme telle, qu’il faut sans cesse reconquérir, assure ­Olivier Véron, le patron des provinciales, qui republie des classiques de Boutang, dont Reprendre le pouvoir (1978). Quand on prétend faire face au terrorisme islamiste, on ne peut pas se contenter d’invoquer la République, il faut remonter aux sources de la civilisation occidentale, à ses sources juives et chrétiennes, qui fondent l’idée d’une société. Pour Boutang, cela impliquait de désobéir à Maurras, qui défendait l’héritage catholique sans prendre au sérieux la spiritualité. »

    Et de fait, qu’il ait pensé la filiation, le pouvoir ou la civilisation, à chaque fois Boutang a relancé l’héritage de Maurras dans une forme d’infidélité fidèle qui ne pouvait le laisser en paix : « Boutang n’a jamais vraiment trahi Maurras, note François Huguenin, spécialiste de l’Action française. En 1942, il a rejoint Giraud en Algérie, pas de Gaulle. De même, il n’a jamais rompu radicalement avec l’antisémitisme, comme l’ont fait les chrétiens après Vatican II. Dans les deux cas, pour lui, cela aurait été tuer le père ­publiquement. Or si Boutang a bien tué le père, c’est souterrainement. Un jour, il a failli me foutre dehors parce que je lui avais demandé s’il entretenait un rapport filial avec Maurras. Il hurlait : “Vous ne savez pas ce qu’est la ­paternité !” J’avais touché juste… »

    En 1958, dans un article important ­publié par la revue Esprit, l’historien Jacques Julliard affirmait que la pensée de Maurras avait constitué le seul grand effort tenté, au XXe siècle, « pour donner à la droite française une doctrine ferme et cohérente ». Aujourd’hui, alors que les idées de cette famille politique ont à nouveau le vent en poupe, certains de ses enfants sont tentés de ­renouer avec Maurras.

    Mais son nom est définitivement ­associé à l’aventurisme impuissant et à la collaboration sanglante. Désireux de se rebrancher sur cette tradition sans avoir à en assumer les erreurs et les compromissions, les nouveaux réactionnaires se tournent parfois vers Boutang, ce fils qui a mis à mort un père aimé et défaillant… pour mieux maintenir en vie sa famille.

    Le Monde n°22462 du 31 mars 2017.

     

    Reprendre le pouvoir, de Pierre Boutang, introduction de Olivier Véron, Les provinciales, 2016.

    La Politique, la politique considérée comme souci, de Pierre Boutang, postface de Michaël Bar-Zvi, Les provinciales, 2014.

    Le petit boutang des philosophes, introduction à la philosophie de Pierre Boutang, par Henri Du Buit, Les provinciales, 2016

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    Notre premier commentaire de l'article de Jean Birnbaum

  • Société • « La grille idéologique des nouvelles féministes les empêche de se saisir des vrais combats »

     

    Par Eugénie Bastié 

    Le 8 mars a été célébré la « journée de la femme ». Trente ans après la mort de Simone de Beauvoir, le féminisme a-t-il encore un sens ? La philosophe Bérénice Levet déplore - dans un fort intéressant entretien donné à Figarovox [08.03] - qu'il soit devenu aveugle aux nouveaux dangers qui guettent la femme, et notamment le communautarisme islamique.      

     

    2960413950.jpgNous célébrons le 8 mars la « journée de la femme ». Trente ans après la mort de Beauvoir, le féminisme a-t-il encore un sens, ou a-t-il au contraire accompli ses promesses ?

    Si le féminisme a encore un sens, ce n'est surtout pas celui que lui attachent les néo-féministes, tributaires d'une grille idéologique qui les empêche de se saisir des seuls vrais combats qu'il y aurait encore à mener. L'égalité et la liberté sont acquises pour les femmes en France. Comment peut-on encore parler, ainsi que le font certains, d'un fondement patriarcal de notre société ? Qu'est-ce qu'une société patriarcale ? Une société où la femme dépend entièrement de l'homme, une société où la femme est assignée à résidence et vouée aux tâches domestiques. Or, si ce monde n'est pas tout à fait derrière nous, si patriarcat il y a encore en France, il se rencontre exclusivement dans les territoires perdus de la République. Là, en effet, les principes d'égalité, de liberté, d'émancipation des femmes sont foulés au pied par les hommes. Là, en effet, certaines femmes sont maintenues dans un état de minorité. Mais ce ne sont pas nos mœurs qui sont coupables mais bien l'importation, sur notre sol, de mœurs étrangères aux nôtres. En sorte que si le féminisme a encore un sens, c'est en ces territoires qu'il doit porter le fer or les femmes qui ont le courage de se dresser contre le patriarcat, contre les interdits prescrits par les autorités religieuses, et dont les frères, les fils se font les implacables sentinelles, se retrouvent bien seules.

    En dehors d'Elisabeth Badinter, qui sait faire prévaloir l'exigence de vérité et le principe de réalité sur toute idéologie, qui ose nommer les seuls ennemis des femmes aujourd'hui en France ?

    Les statistiques sont là pour nous montrer que les inégalités salariales subsistent entre hommes et femmes. La lutte contre les stéréotypes permet-elle selon vous de réduire les inégalités réelles ?

    Ne nous laissons pas intimider par le discours ambiant et ces statistiques qu'on ne manque jamais d'exhiber - la seule arme capable d'impressionner à notre époque, disait Hannah Arendt - qui voudraient nous faire croire que les femmes restent d'éternelles victimes de la domination masculine. Vous parlez des inégalités réelles, mais en dehors des inégalités salariales qui en effet persistent, mais dont les femmes triompheront sans tarder et sans qu'il soit nécessaire qu'une quelconque loi intervienne, quels autres exemples pourriez-vous invoquer ? Aucun. Les dernières élections municipales à Paris mettaient aux prises trois femmes et c'est Anne Hidalgo qui dirige la capitale. Qui a été élu à la tête de l'île de France lors des élections départementales de décembre 2015 ? Valérie Pécresse. Le seul parti politique qui puisse s'enorgueillir de gagner des électeurs est dirigé par une femme, Marine Le Pen et a pour figure montante sa nièce, Marion Maréchal Le Pen. Qui préside à la destinée de France-Culture, de France 2 télévision ou de la Ratp ? Respectivement, Sandrine Treiner, Delphine Ernotte, Elisabeth Borne. Qui vient d'être nommé à la direction du Centre Européen de Recherche Nucléaire ? Fabiola Gianotti. Il faut donc en finir avec cette rhétorique féministe de l'assujettissement.

    L'expression « inégalités réelles » que vous avez employée m'évoque la dernière trouvaille sémantique de notre président de la République qui excelle en ce domaine. A la faveur du dernier remaniement ministériel, le chef de l'Etat a ainsi créé un secrétariat d'Etat à l'égalité réelle - on se croit revenu au temps du marxisme et du combat contre l'égalité formelle, il est vrai que François Hollande doit donner des gages à l'aile gauche de son parti et à ses satellites.

    Il semble que l'objectif primordial des féministes soit de « mettre la femme au travail » et de lui faire réussir sa carrière. La femme qui n'exerce pas de profession pour éduquer ses enfants appartient elle au passé ?

    Tout porte à le croire tant la femme au foyer est aujourd'hui dévalorisée socialement. Les femmes y ont-elles gagné en troquant une injonction contre une autre ? Hier, assignées au foyer, aujourd'hui sommées de travailler…Qu'on me comprenne bien, je ne milite en aucune façon pour un retour des femmes dans la sphère domestique, l'indépendance économique est une immense conquête, elle est la condition même de la liberté. Mais cela ne doit pas nous interdire de nous interroger sur les conséquences quant à l'éducation des enfants, de ce désinvestissement par les deux sexes de l'espace familial.

    Avec la naissance, les parents ne donnent pas seulement la vie, ils font entrer l'enfant dans un monde, c'est-à-dire dans un monde vieux, qui le précède, un monde de significations qu'il faut lui transmettre, lui donner à aimer. Il convient donc de l'y escorter, or, requis par leur carrière, leur épanouissement personnel, les parents se sont délestés de cette tâche. « Les parents modernes, écrit le grand sociologue Christopher Lasch, tentent de faire en sorte que leurs enfants se sentent aimés et voulus ; mais cela ne cache guère une froideur sous-jacente, éloignement typique de ceux qui ont peu à transmettre à la génération suivante et qui ont décidé, de toute façon, de donner priorité à leur droit de s'accomplir eux-mêmes ».

    La crise de la transmission est telle et la déréliction d'une jeunesse abandonnée à elle-même devient si éclatante, que peut-être y aura-t-il un retour de bâton. Que les parents renoueront avec leur responsabilité de parents. Sinon mieux vaut renoncer à mettre au monde des enfants.

    Sous l'impulsion de l'idéologie du genre, il semble que désormais l'horizon du féminisme ne soit plus l'égalité mais l'interchangeabilité…

    Le féminisme s'est égaré en adoptant les postulats du Genre. En ratifiant ce petit vocable, en apparence inoffensif, qui s'est imposé afin de marquer une scission parfaite entre le donné biologique et anatomique (que prend en charge le mot sexe) et l'identité sexuée et sexuelle, qui serait purement culturelle (que désigne le mot Genre), le féminisme s'est littéralement désincarné. Rappelons en un mot l'enjeu de cette théorie. « On ne naît pas femme, on le devient » disait Simone de Beauvoir. Le Genre considère que l'auteur du Deuxième sexe est demeurée comme en retrait de sa propre intuition et en poursuit la logique à son terme : si l'on ne naît pas femme, pourquoi le deviendrait-on ? Si l'identité sexuée et sexuelle est sans étayage dans la nature, dans le corps, dans l'incarnation, bref si tout est culturel, pourquoi ne pas s'essayer à tous les codes, jouer de toutes les identités. Les partisans du Genre se grisent ainsi de l'obsolescence de l'identité ou de la « flexibilité sexuelle » (le Gender fluid) dont les grandes marques de luxe seraient les promoteurs au travers de leur collection de mode.

    Partant, éduquer différemment son enfant selon qu'il naît dans un corps féminin ou un corps masculin, transmettre les normes, les codes que notre civilisation attache à chacun des deux sexes est assimilée à de l'assignation identitaire, du « formatage ». Que l'humanisation de l'homme ait partie liée avec l'inscription dans une humanité particulière nous est devenu inintelligible, que ces codes, ces significations partagées cimentent une société, nous est indifférent. Le Genre travaille assurément à l'interchangeabilité des deux sexes mais plus énergiquement encore, à la désidentification. La nov-éducation, acquise aux postulats du Genre et promue par notre ministre de l'Education nationale, entend parachever un processus commencé dans les années 1970. Après la désidentification religieuse et la désidentification nationale, il s'agit désormais d'accomplir la désidentification sexuée et sexuelle.

    Les féministes ont tardé à s'indigner pour le scandale de Cologne. Au moment où éclatait l'affaire en Allemagne, elles se mobilisaient contre l'absence de femmes dans la sélection du festival d'Angoulême. Que révèle selon-vous ce deux-poids deux mesures ?

    Elles ont plus que tardé, elles sont demeurées muettes et quand elles sont sorties de leur silence, elles ont pris le parti de ne pas s'indigner, comme Clémentine Autain, ou alors à front renversé, à l'instar de Caroline de Haas qui a rageusement invité ceux qui avait l'outrecuidance de rendre publics les faits, à aller « déverser leur merde raciste ailleurs ». Ce deux-poids deux-mesures - qu'on se souvienne également du traitement réservé à Dominique Strauss-Kahn - révèle la déroute du féminisme, son incapacité à être au rendez-vous, son inutilité et son irresponsabilité. Une chasse ouverte aux femmes se produit au cœur de l'Europe, - 766 plaintes sont déposées à la police, dont 497 pour agression sexuelle - et les égéries du néo-féminisme restent impassibles.

    Leur mutisme tient d'abord, mais la chose a suffisamment été dite, au fait que les prédateurs étaient musulmans et qu'entre deux maux - la violence faite aux femmes et le risque d'alimenter le racisme, de « faire le jeu du Front National », - les néo-féministes n'hésitent pas un instant. Elles sacrifient les femmes. La barbarie peut croître, leur conscience est sauve : elles restent du côté de ceux qu'elles ont définitivement rangés dans le camp des opprimés, des réprouvés, des damnés de la terre.

    Leur résistance vient aussi, et ce point me semble décisif bien qu'il ait été peu ou pas relevé, de ce que ces faits les obligeraient à se désavouer elles-mêmes. De quel récit vivent-elles ? De celui de l'éternelle domination des femmes par les hommes. A les suivre, tout resterait à faire, l'égalité, la liberté ne seraient que formelles. Lorsque Kamel Daoud écrit: « Ce que je jalouse dans l'Occident, la seule avance qu'il a comparé à nous, c'est dans le rapport des femmes », elles doivent s'étrangler. Or, si ces événements nous révoltent, c'est pour leur sauvagerie, naturellement, mais non moins pour l'offense faite à nos mœurs en matière de relation homme/femme, des mœurs taillées dans l'étoffe de l'égalité et de la liberté, et notre art de la mixité des sexes : les femmes habitent l'espace public sans hantise de voir les hommes se jeter sur elles comme de proies.

    D'aucuns, comme Kamel Daoud ou Claude Habib, ont vu dans le réveillon cauchemardesque de Cologne le symbole d'un choc des civilisations. Partagez-vous ce constat ?

    Il faut le dire, ces pratiques barbares ne sont pas même d'un autre âge. L'Occident n'a jamais connu de telles mœurs. Jusqu'au XXe siècle, les femmes étaient certes en état de minorité juridique par rapport à leur époux, mais elles n'étaient pas de la chair livrée à l'hallali des hommes. Les hommes ont été « polis » par les femmes, ils ont appris à dompter le désir que l'autre sexe leur inspire, à emprunter tours et détours. Ils n'ont pas exigé que l'objet de leur concupiscence se voile de la tête au pied pour ne pas céder sans délai à la tentation, ils ont appris les règles de la galanterie. Et dans notre imaginaire, il n'est rien qui évoque les scènes décrites par les victimes de Cologne sinon L'Enlèvement des Sabines tel que peint par Poussin qui a su rendre magistralement les sentiments que les femmes allemandes ont dû éprouver le soir de la Saint-Sylvestre, cette peur panique qui s'empare des femmes prises au piège, dans un guet-apens. Bref, ces actes portent atteinte à l'un des biens les plus précieux de notre civilisation, la condition des femmes.

    Nos féministes ne veulent y voir qu'une version, paroxystique certes, d'une menace qui pèserait en permanence sur les femmes. Autrement dit la différence ne serait que de degré, nullement de nature. Or, si ces actes nous terrorisent au sens fort, c'est parce que nous savons qu'ils ne sont pas le fait de quelques hommes particulièrement brutaux et/ou avinés en cette nuit de Saint-Sylvestre, mais qu'ils sont pratiques communes dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient dont ces hommes sont originaires. Ce type d'agression sexuelle de masse a un nom en arabe, Taharrush gamea .Le procès en islamophobie intenté à Kamel Daoud pour avoir eu le courage d'établir un lien entre les agressions sexuelles de Cologne et les mœurs dans lesquelles les agresseurs ont grandi est hautement significatif de la cécité et de l'irresponsabilité à laquelle l'idéologie confine.

    Oui il s'agit bien d'un choc des civilisations, et, ce qui me semble capital, rappel de ce que nous sommes une civilisation et une civilisation qui, après avoir été accablée de tous les maux, accusée de tous les péchés, n'a guère à rougir d'elle-même. Rappel également et spécialement sur ce chapitre des relations entre les hommes et les femmes, de ce que toutes les civilisations ne se valent pas.   

    Eugénie Bastié   

    Bérénice Levet est docteur en philosophie et professeur de philosophie à l'Ecole Polytechnique et au Centre Sèvres. Son essai La Théorie du genre, ou le monde rêvé des anges, préfacé par Michel Onfray, vient de paraître en livre de poche.         

  • Mémoire • Homélie de la messe de requiem pour le roi Louis XVI, à Saint-Germain-l'Auxerrois

     

    Prône de la messe de Requiem pour le roi Louis XVI, le samedi 21 janvier 2017, il y a exactement deux semaines, en l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, par le P. Jean-François Thomas s.j. 

    Monseigneur, Madame, mes chers Frères,

    Si le Roi des rois a connu une telle déréliction et une telle solitude lors de son passage parmi nous, il ne faut point être surpris qu’un roi terrestre digne de sa mission doive connaître une souffrance identique par imitation du Maître. Les succès humains sont toujours entachés d’une certaine prosternation devant les règles du monde et ceux qui les inspirent. Un fils de saint Louis, par son sacre, plie la nuque sous les insignes royaux et devient un serviteur du Christ, et donc de ses frères, se condamnant à ne pas être compris ou aimé s’il demeure fidèle.

    Les deux sceptres

    Le 11 juin 1775, dans la cathédrale Notre Dame de Reims, Louis XVI reçoit les deux sceptres : la main de justice, symbole de vertu et d’équité, ornée de la dextre divine bénissant, aide le roi à guider les égarés, à relever ceux qui sont tombés, à récompenser l’humilité et à confondre l’orgueil ; le sceptre royal, marque de puissance, rappelle au roi ses devoirs de mener une vie droite, de lutter contre le mal pour le bien de son peuple chrétien et d’aider chacun à demeurer sur un chemin de justice. Le Roi était pieux et il comprit la symbolique de tous les rites de son couronnement, désirant restaurer l’élan religieux brisé dans le royaume par la décadence et l’immoralité du siècle des Lumières. Il accepta le poids de la couronne et avec elle les épines qui le rendraient de plus en plus conforme à Celui qui l’avait revêtu de son autorité. Il entra ainsi, seul, dans sa fonction, entouré par la médiocrité tintamarresque de son époque. Dieu allait permettre que ce roi, le plus vertueux de tous depuis bien des règnes, connût l’abjection la plus complète, le dénuement, la trahison, la mort ignominieuse.

    L’homme seul

    Cette solitude vécue par le Roi, il ne la subit pas mais il l’embrassa, chaque jour davantage, alors qu’il avançait vers le sacrifice et vers le martyre. C’est là que réside son héroïsme et, osons le dire, sa sainteté. Un parcours identique fut suivi, cent trente ans plus tard, par Nicolas II et sa famille. Seulement la Russie moderne, de nouveau orthodoxe, a eu l’humilité de reconnaître son crime et de canoniser ces victimes de la violence diabolique. La France, elle, n’a pas eu le courage de confesser son péché, de courber la tête et l’Eglise catholique se désintéresse des vertus de ce Roi. La solitude consentie du Roi nous renvoie à la solitude qui est la nôtre depuis que nous l’avons assassiné en commettant ce parricide. Ce qui surgit du bain de sang de la révolution, et qui nous poursuit comme un spectre, est l’homme que nous sommes, dans toute sa faible nature, se condamnant à errer seul dans le monde par orgueil car il repousse désormais toute dépendance et toute servitude vis-à-vis du transcendant. De tout temps, cet homme a aimé la rhétorique, qu’elle tombât de la tribune ou de la chaire, du comptoir de bar ou d’un fauteuil d’académie. Cependant, la rhétorique révolutionnaire, mijotée par les soins pernicieux des philosophes de ce siècle enténébré, poussa l’homme dans un gouffre dont il ne remonta jamais. Les rhéteurs et les orateurs de Quatre-vingt-treize ont tous été engloutis par leur propre fureur, laissant l’homme, c’est-à-dire nous, leurs fils hélas, tout pantelants et pataugeant dans notre bourbier, ceci jusqu’à ce jour, puisque nous avons refusé de crier notre solitude de damnés et d’implorer le pardon. Léon Bloy écrit dans La Chevalière de la Mort : « Une rhétorique telle qu’on en avait jamais vu chez aucun peuple, apparut en ces temps, comme un météore prodigieux, annonciateur désorbité de la débâcle universelle. (…) Sous le masque sanglant d’une rhétorique transcendante poussée jusqu’à l’égorgement et jusqu’à la terreur suprême, l’homme immuable, le misérable Homme de la Chute, suait et haletait dans son éternelle lamentation. »

    Les consolations spirituelles

    Louis XVI fut privé de tous les dictames humains à partir de 1789 et il ne mit plus son espérance que dans les consolations spirituelles. Le 11 mars 1791, il écrivait dans une lettre adressée à un des précepteurs du Dauphin : « Parlez-lui et toujours avec respect de Dieu, de ses attributs et de son culte : prouvez-lui que l’autorité des rois vient de Dieu ; et que s’il ne croit pas à la puissance du Maître des rois, il sera bientôt la victime de ces hommes qui ne croient rien, méprisent l’autorité, et s’imaginent être les égaux des rois. Qu’il apprenne dès à présent, que la religion est digne de tous ses hommages ; que l’incrédulité et la fausse philosophie minent sourdement les trônes, et que l’autel est le rempart des rois religieux. Méfiez-vous de tous ces principes erronés, enfants perdus de la nouveauté, de l’esprit du siècle, et du poison de l’incrédulité. Loin de lui tous les ouvrages où la philosophie prétend juger Dieu, son culte, son église et sa loi divine. »

    « Mon frère, bientôt je ne serai plus… »

    Au fur et à mesure qu’il perdit de son pouvoir, il gagna en autorité naturelle car il s’en remit sans crainte entre les mains du Créateur. Ce que Bossuet souligna dans son oraison funèbre du grand Condé, pourrait s’appliquer à Louis XVI : « Lorsque Dieu forma le cœur et les entrailles de l’homme, il y mit premièrement la bonté comme le premier caractère de la nature divine, et pour être comme la marque de cette main bienfaisante dont nous sortons. » Cette bonté du Roi est éclatante dans les pires jours de son asservissement, de son emprisonnement, de son accusation, de sa condamnation. Il écrit du Temple, à Monsieur de Malesherbes, un de ses avocats : « Je ne me fais pas illusion sur mon sort ; les ingrats qui m’ont détrôné ne s’arrêteront pas au milieu de leur carrière ; ils auraient trop à rougir de voir sans cesse, sous leurs yeux, leurs victimes. Je subirai le sort de Charles I, et mon sang coulera pour me punir de n’en avoir jamais versé. » Et à Monsieur, son frère, il avoue dans une missive du 28 avril 1792 : « Lorsque la tempête brise le vaisseau, il ne reste au passager que le courage de la résignation ; c’est à peu près ma position. Les périls qu’on me fait appréhender, n’altéreront jamais ce que je me dois comme Roi, et comme chef d’une des premières nations du monde. » Le 11 août 1792, n’ayant plus d’illusion sur l’issue de son sort, il lui demande : « Mon frère, bientôt je ne serai plus, songez à venger ma mémoire, en publiant combien j’aimais ce peuple ingrat. Un jour rappelez-lui ses torts, et dites-lui que je lui ai pardonné. »

    1759951582.jpgExemple immortel…

    Extraordinaire vengeance que celle qui avoue son amour et qui répond à l’offense par le pardon ! Il s’agit là de la solitude et de l’horreur de la Croix. L’imitation est parfaite, et ceci sans ostentation et sans faux semblant car il ne s’agit pas d’une de ces déclarations grandiloquentes, ne prêtant pas à conséquence, dont sont familières les personnalités civiles et religieuses de notre époque. Nous connaissons trop, depuis deux siècles, ce qu’est la miséricorde républicaine qui écrase sans pitié ses ennemis comme lors de l’épuration de la Libération ou les événements de 1962, ou la mansuétude religieuse des autorités qui n’hésitent pas à rejeter ou à persécuter ceux qui n’ont pas l’heur de leur plaire. La déclaration d’amour et de pardon de Louis XVI n’est pas sournoise ou politique. Elle jaillit du cœur car elle y était enracinée depuis longtemps. Louis XVI est devenu grand dans cette solitude, dépassant la gloire de François Ier ou de Louis XIV. Le chaos révolutionnaire a fait émerger, malgré lui, ce que la monarchie de droit divin possédait de plus précieux, et que nul autre régime ne pourra jamais atteindre : une communion profonde et inaltérable avec Dieu duquel toute autorité légitime découle. Les révolutionnaires, dans leur cruauté satanique, ont rendu l’exemple de Louis XVI immortel et inégalé.

    … et fructueuse infortune

    Notre pays, plus que jamais, devrait méditer sur la fructueuse infortune solitaire du Roi qu’il a décapité. Tous les candidats possibles pour occuper la plus haute charge dans notre terre ancestrale ne seront jamais capables d’atteindre une telle altitude car leur ambition ne repose pas sur cet amour et ce pardon uniquement reçus dans le sacre par le souverain. Dieu ne permettra de restaurer le trône qu’à un homme habité par cette passion pour son peuple, ceci jusqu’à accepter de verser son sang malgré l’ingratitude.

    Ecoutons ces vers profonds du grand poète catholique oublié, Armand Godoy, dans Ite Missa est : 

    « Ce n’est pas pour moi que je demande ta miséricorde.

    Ce n’est pas pour moi : c’est pour les autres, pour mes pauvres frères.

    J’attends à genoux que ta clémence, Agneau de Dieu, m’accorde

    La fin de tous leurs désespoirs et de toutes leurs colères.

    J’attends à genoux que le souffle infernal de la Discorde

    Devienne azuré baiser de violettes printanières

    Et que l’Angoisse aux voix multiples et l’Ennui monocorde

    Se taisent à jamais sous le chant lumineux des rosaires.

    J’attends à genoux que la sinistre et ténébreuse horde

    Des crimes soit le clair essaim des caresses tutélaires.

    J’attends à genoux que ta clémence, Agneau de Dieu, m’accorde

    La fin de tous les tourments, la fin de toutes les misères.

    Ce n’est pas pour moi que je demande ta miséricorde.

    Ce n’est pas pour moi : c’est pour les autres, pour mes pauvres frères. »

     

    Nous attendons nous aussi que la divine Providence redonne à notre royaume orphelin le père que nous ne méritons plus. Des pages douloureuses de notre histoire vont s’ouvrir devant nous. Qui saura résister ? Qui saura demeurer fidèle aux dons insignes accordés jadis à cette terre ? Qui saura aimer et pardonner dans une solitude accablante ? Qui saura offrir sa tête pour le salut des autres ? Qui saura monter les marches de l’échafaud en regardant le ciel où le soleil commencera de se lever ? Il nous faut implorer et nous convertir, et ne jamais cesser d’espérer.   

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    Par Vincent Trémolet de Villers    

    ENTRETIEN - Fabrice Luchini pose sur notre époque [Figaro - 31.01] le regard ébahi d'un exilé dans son propre monde. Tout l'accable, tout l'amuse et, quand il joint aux bonheurs de l'esprit l'acuité du moraliste, notre langue retrouve, comme par miracle, sa pureté cristalline et son propos nous captive. Luchini est un membre éminent de la cohorte grandissante des antimodernes. Et cela n'est pas indifférent pour l'évolution des idées, des esprits de la France contemporaine en crise aigüe. Quant au sujet de son prochain spectacle qui tourne autour de l'argent, est-il utile d'en souligner l'actualité ?  LFAR  

    Est-ce du théâtre, un spectacle, une conversation ? C'est une forme unique : la sienne. Depuis vingt-cinq ans, Fabrice Luchini monte en scène avec pour seule troupe les ombres de nos grands écrivains. Elles lui tiennent compagnie pour une profonde et jubilatoire polyphonie. Poésie ? *, son spectacle construit autour du Bateau ivre, triomphe depuis deux ans et vient d'être récompensé par un Globe de cristal. Au Théâtre du Montparnasse, ils sont près de huit cents, chaque soir, à venir l'écouter dire Rimbaud, Labiche et Céline.

    À la fin du mois de mars, en parallèle de ce spectacle, il débute une lecture autour de l'argent. Péguy, Zola, Marx, Bruckner tracent le profil de l'âme humaine sur le revers d'une pièce de monnaie. Ce sera au Théâtre des Déchargeurs**. Nommé aux César (catégorie meilleur acteur) pour son rôle de bourgeois burlesque dans Ma loute, le film de Bruno Dumont, le comédien poursuit inlassablement son travail sur la puissance du verbe.

     

    Vous entamez à la fin du mois de mars une lecture de textes autour de l'argent. Pourquoi l’argent ?

    La crise des subprimes est à la base de cette lecture. C'était en 2008. J'étais totalement traumatisé par cette crise financière. Je regardais C dans l'air quatre fois par semaine : on nous disait que c'était la guerre, qu'on était en 1929. Dans ce désastre, on voyait apparaître les économistes. On ne les avait jamais vus avant. Depuis, ils sont devenus des stars sublimes : Élie Cohen, Philippe Dessertine, Christian Saint-Étienne, Michel Didier, Bernard Maris. Ils disaient des mots incompréhensibles : « Fonds toxiques », « effet dominos » … Je voulais comprendre.

    Êtes-vous parvenu à comprendre ?

    Pas vraiment. J'appelle Philippe Dessertine, je l'invite à déjeuner. C'était rue de l'Abbaye. Dessertine me dit : « Tout se joue ce week-end » puis, il ajoute : « Heureusement, on a Musca. » Musca ? Je lui demande qui est Musca. C'est un génie, me dit-il, le secrétaire général de l'Élysée, il vole entre Berlin, Londres, Hongkong. Hongkong ! Je le relance sur les fonds toxiques. Il me dit : « Prenons un exemple, la Société générale. » Je blêmis. Je lui demande pourquoi il choisit cette banque. Il me répond que c'est un exemple. Je m'inquiète. Je sors de table pour appeler ma banque, la Société générale. Mon envie de compréhension de la macroéconomie disparaît : je ne pense plus qu'à mon assurance-vie. Je veux vider mon compte tout de suite, maintenant ! Si tous les Français avaient réagi comme moi, nous aurions eu une émeute. « L’argent rend fous les gens », c'est par ces mots de Jules Romains que je commence ma lecture. C'est une vérité indiscutable.

    Comment avez-vous construit cette lecture ?

    Pendant ces année-là, j'ai passé du temps avec Dominique Reynié et d'autres économistes à parler de ces sujets. Je voulais résolument faire un spectacle sur l'argent mais je ne savais pas par quel bout l'aborder.

    Pourquoi ?

    Un spectacle sur l'argent, c'est la fausse bonne idée. On ne peut pas circonscrire le problème. J'ai abandonné le projet. Je l'ai repris il y a quelques mois, en sélectionnant des écrivains qui abordent la question : Péguy, Guitry, Pagnol, Bruckner, Jean Cau… Il y a aussi un texte de Marx qui explique que l'argent vient compenser les impuissances. « Je suis laid », dit Marx, mais je peux avoir la plus belle dans mon lit, donc je ne suis pas laid. Ce qui est terrifiant pour Marx dans l'argent, c'est qu'il réconcilie tous les contraires et donc il déréalise toutes les vraies substances de la personnalité, de l'identité.

    Quel est votre rapport à l’argent ?

    Je n'arrête pas d'essayer d'objectiver ce que gagnent les gens que je vois. Ce qu'ils ont en TVA, en masse salariale. « Masse salariale » : c'est un mot que j'adore. « T’en es où au niveau de la masse salariale ?» Ça crée un contact, ça enclenche une conversation. On manque souvent de sujet de conversation. Si je déjeune avec Finkielkraut et qu'il me renseigne sur Heidegger, je ne lui parle pas « masse salariale ».

    Vous gagnez beaucoup d'argent…

    Je gagne très bien ma vie. J'ai certainement dû être très inquiet jusqu'à 35 ans. Pas tellement généreux. Je viens d'un milieu où le soir mon père terminait ses quinze heures de travail en comptant la caisse. C'était un acte ritualisé. Tout était éteint, il était 9 heures du soir et mon père comptait les pièces que lui avaient rapportées les salades, les pommes de terre, les carottes et les fruits. La caisse était au centre de notre vie. Je ne suis pas du tout né dans une famille de professeurs qui voteraient à gauche et qui trouveraient que l'argent est sale. Pour mon père, l'argent n'était pas sale. Nous habitions rue Bachelet et le soir il lisait en se collant à la fenêtre pour avoir la lumière du lampadaire de la rue, ce qui lui évitait d'allumer nos lampes. Ça faisait des économies.

    Et vous ?

    Je n'ai aucun mythe de l'abondance, du généreux qui invite. En revanche, je ne suis absolument pas avare. J'aimais énormément mon père, il avait tous les droits, mais aujourd'hui je suis allergique à l'avarice. C'est trop violent. Mon père avait une vraie cohérence dans l'avarice. Il ne voyait personne. Il n'avait aucun ami. Une fois, je lui montre deux personnes dans la rue et je lui dis : « Évidemment, vous ne vous invitez pas, mais tu leur parles au square, quand même ?» Il me répond : « Oh oui, c'est les seuls », et arrive cette phrase : « Ils sont aussi cons que nous. » Un silence. Il poursuit : « Ou disons qu'on est aussi cons qu'eux. » C'est du Schopenhauer !

    Au cœur de cette lecture, il y a un long extrait de L'Argent, de Charles Péguy…

    Péguy est la matrice de cette lecture. Pourtant, il était très loin de moi, Péguy. À tort. Je le plaçais à côté de Léon Bloy : le chrétien exalté complètement dément. J'avais une vague référence qui me revenait et qui disait que sa maman empaillait des chaises. Mon professeur Jean-Laurent Cochet répétait : « La paille en dessous était faite comme les cathédrales. » À part cela, je n'avais pas de rapport à Péguy.

    Alors pourquoi Péguy ?

    Pourquoi Péguy ? Parce que dans l'écriture de Péguy, il y a des ressemblances avec Bach. Pourquoi Péguy ? Parce qu'il y a chez lui une haine de la modernité et j'y suis toujours assez sensible. Il y a une langue, de la répétition : il faut aller dans le secret. Dans la tête de quelques-uns, Péguy, c'est poussiéreux, c'est la France moisie. Pour d'autres, c'est le socialiste, le catholique, l'héroïque défenseur de Dreyfus. Mais moi, je me fous des commentaires. L'écume, c'est le travail des intellectuels. Le mien consiste à rejoindre les courants profonds. J'essaye de remonter à l'origine. Comment on arrive à cette écume ? L'acteur doit être dans une innocence qui frise la bêtise. Avant de chercher à commenter Péguy, je cherche à retrouver ses rythmes, son humeur.

    Mais il y a une vision du monde chez Péguy…

    Disons qu'il n'est pas très « revenu universel », le Péguy. C'est même l'anti-Benoît Hamon puisqu'il ne cesse de dire que « travailler, c'est prier ». Alors que je n'ai ni la grâce ni la joie d'avoir la foi, je continue, par Nietzsche, de tourner autour du christianisme ; mais avec Péguy je reconnais qu'on entre dans quelque chose qui est de l'ordre du mystère. Écoutons cette voix qui remonte du fond des âges : « Nos vieux maîtres, nos bons maîtres n'étaient pas seulement des hommes de l'ancienne France. Ils nous enseignaient au fond la morale, je dirai même l'être de l'ancienne France. » Il continue : « Ils nous enseignaient la même chose que les curés et les curés nous enseignaient la même chose qu'eux. » Quand il décrit Paris, on dirait de la sociologie contemporaine : « La population est coupée en deux classes si parfaitement séparées que jamais on n'avait vu tant d'argent rouler pour le plaisir, et l'argent se refuser à ce point au travail. Et tant d'argent rouler pour le luxe et l'argent se refuser à ce point à la pauvreté. » En 1910, Péguy voit l'horreur de la financiarisation du réel !

    Qu'est-ce qui distingue une lecture d'un spectacle ?

    Une lecture n'impose aucune obligation de représentation théâtrale. L'exercice que je vais commencer sera un exercice austère, dans une salle minuscule, à peine 70 personnes. C'est une lecture écologique. Je minimise les émissions de CO2, je réduis mon bilan carbone.

    Vous en êtes à près de 300 représentations pour Poésie ? Comptez-vous arrêter le spectacle ?

    Je ne vais pas arrêter Poésie ? pour une raison simple : depuis une vingtaine de jours, je crois être un peu moins incorrect sur Le Bateau ivre. Tant qu'il y a de la demande, je n'arrête pas, et la demande continue. Manifestement, un certain public a encore le goût des textes de Molière, Rimbaud ou Céline. Et j'éprouve une grande joie à aller au Théâtre du Montparnasse.

    Comment expliquez-vous ce succès phénoménal ?

    Qui sait ce qui motive celui qui réserve son billet pour Poésie ? Si je suis optimiste, je songe à la belle formule de Yasmina Reza, qui me confiait à la fin du spectacle : « J’ai compris pourquoi je suis française. » Si je suis pessimiste, j'imagine que les spectateurs se disent : « Bon, il y a de la culture mais on ne s'ennuie pas. » Pourquoi les gens adhèrent-ils ? C'est un mystère. Dans le spectacle, j'essaye simplement de mêler ma petite vie à la grandeur de nos textes. Le miracle, c'est de faire un spectacle qui a de la drôlerie sans céder au fascisme de l'obligation du divertissement.

    Les spectateurs sortent enthousiasmés !

    Peut-être avaient-ils besoin de se retrouver dans notre langue…

    N'êtes-vous pas lassé ?

    Pas du tout. J'ai la chance de servir Rimbaud, Nietzsche, Molière. Est-ce qu'un interprète se lasse de jouer les Partitas de Bach ?

    Les politiques viennent vous voir. Comment jugez-vous la parole politique ?

    Délicat, comme question. Devenir orateur ou maîtriser l'art du récit demande des décennies. Cela fait trente-cinq ans que j'y travaille. La restitution d'un texte englobe une obsession quasiment mystique. Ce n'est pas avec quatre séances qu'un homme politique peut trouver son médium (qu'il m'arrive moi-même de perdre). Les rythmes, les sons, l’amplitude : là sont les vrais problèmes. Comment être ample sans être grandiloquent ? Comment être entendu pour produire l'écoute et comment ne pas crier pour ne pas produire l’inconfortable ?

    Vous lirez aussi du Jean Cau…

    Les portraits écrits par Jean Cau, ça frôle le Saint-Simon.

    Toujours antimoderne ?

    Toujours aussi insensible au concept de progrès. Quand il y a des discours merveilleusement emphatiques sur l'horreur de cette cochonnerie de société, j'y souscris. Notre société est absurde. L'Amérique a fait gagner un président simplement parce qu'il a fait le buzz sur une coupe de cheveux. Moi, en tant que coiffeur, la présence de Trump, avec sa mèche, ses cheveux qu'il a piqués à des singes en voie d'extinction, cela me pétrifie. Comment voulez-vous croire à la société ?

    Êtes-vous inquiet ?

    Entre le Chinois qu'a pas l'air marrant, Trump et ses cheveux délirants, Poutine et ses airs impénétrables, disons que je ne suis pas optimiste. Mais je ne l'ai jamais été. La seule question, dit Cioran, est la suivante : « Est-ce que l'homme était utile ?» Il raconte que dans les dîners mondains il partait toujours le dernier « parce que celui qui partait en premier, tout le monde le massacrait ». Ce n'était pas des gens méchants, c'était des gens gentils. Mais c'est comme ça, dès que quelqu'un part, « on se le fait ».

    C'est sombre…

    Il faut se méfier du pessimisme aussi. Il peut devenir une convention et un autre conformisme comme l'enthousiasme mécanique. Le pessimisme des écrivains que j'aime tourne parfois à la posture. C'est une autre doxa, un politiquement correct inversé.

    Il vaut donc mieux être Philinte qu'Alceste…

    Mon éthique de 2017 ? C'est pas la faute des autres et je ne juge personne

  • Michel Déon, le jeune homme vert, s'en est allé

     

    Par Nicolas d'Estienne d'Orves   

    DISPARITION - Michel Déon avait connu un immense succès avec des livres écrits sous le signe de Stendhal. Grand voyageur, esprit libre, le plus irlandais des romanciers français s'est éteint hier mercredi à l'âge de 97 ans. Et Nicolas d'Estienne d'Orves a écrit sur lui, dès hier soir, dans Figarovox, le bel article que nous reprenons ici. Il y retrace sa brillante carrière littéraire. Et n'oublie pas que Michel Déon était de notre famille d'esprit. D'esprit et de cœur car Déon a toujours conservé pour Maurras , dont très jeune, il avait été le secrétaire à Lyon, durant l'Occupation, une sorte d'affection, d'attachement, qui ne se sont jamais démentis. Il s'est toujours activement intéressé avec Jacques et Nicole Maurras à la défense de la mémoire du maître de sa jeunesse, à la préservation de cette maison du Chemin de Paradis à Martigues dont il savait combien elle avait compté pour Maurras. Il avait donné à Pierre Builly et François Davin, vers 1980, un entretien pour Je Suis Français, mensuel d'Action française d'alors, en quelque façon l'ancêtre déjà lointain de notre quotidien. Il avait aussi accepté, dans les mêmes années, d'assister au rassemblement royaliste des Baux de Provence et d'y prendre la parole. De cette journée aux Baux il est d'ailleurs question dans l'un de ses livres ... Il avait encore récemment redit les raisons de sa fidélité à Maurras dans le Cahier de l'Herne qui lui a été consacré. Sans nul doute, Michel Déon était des nôtres. Sa mort est pour nous tous une peine et un deuil.  Lafautearousseau    

     

    PHOa6c99df2-2d3c-11e4-9abe-2885da635d83-805x453.jpgÉdouard Michel naquit à Paris le 4 août 1919. Et Michel Déon quelque vingt ans plus tard, quand le jeune homme choisit ce nom de plume pour signer ses premiers articles dans la presse, puis ses romans.

    Les images de son enfance sont celles de la Côte d’Azur : son père y est alors conseiller du prince de Monaco. Le petit Édouard va donc au lycée sur le Rocher, puis à Nice. Remontant à Paris, il poursuit sa scolarité à Janson-de-Sailly. Enfin, bac en poche, il attaque son droit. Mais le coup de foudre a lieu dans la bibliothèque paternelle quelques années plus tôt : à 13 ans, l'adolescent découvre Charles Maurras. Le poète de Martigues, animateur de l'Action française, va exercer sur lui une influence considérable. Il restera fidèle à sa mémoire, qu'il estime injustement caricaturée, réduite à des slogans. Interrogé, bien des années plus tard, Déon déclarera : « Lorsqu’on me demande pour qui je vote, je réponds que je suis de toute façon monarchiste depuis ma jeunesse et que je n'en démordrai pas. » « Je suis un écrivain réactionnaire, je le dis tout haut », proclamera même ce stendhalien, avouant pencher « pour une société aristocratique ». En politique, tous le savaient, Déon avançait courageusement, et sans masque…

    Mobilisé en 1939, il rejoint la capitale des Gaules en 1942, car c'est à Lyon qu'est repliée la presse parisienne, parmi laquelle L'Action française. Une aubaine pour Déon, qui, confessant ne s'être jamais remis de la défaite de 1940 - « Peut-on oublier la honte ?» - va côtoyer chaque jour le vieux Maurras dont il devient le secrétaire. Dès cette époque, il s'essaie à la littérature.

    Après-guerre vient le temps des voyages. Il se sent comme en exil dans la France de la Libération. De 1946 à 1948 : Allemagne, Suisse, Italie, Portugal. En 1944 paraît un premier livre, Adieux à Sheila, qu'il réécrira en 1990, sous le titre Un souvenir. Les années d'apprentissage sont achevées, voici celles de l'amitié, de la littérature, des Hussards : Laurent, Blondin. Tandis que ce dernier écrit L'Europe buissonnière, Déon rédige son premier vrai roman, publié en 1950 : Je ne veux jamais l'oublier. « Blondin me disait toujours : “Toi, t'écris pour les gonzesses.” » Chez Déon, c'est vrai, peu de soûleries prodigieuses, d'amitiés poivrotes, même s'il déclarait : « Les buveurs d'eau me sont suspects. Son monde est plus secret, plus diffus ; l'humour et la charge y sont présents, mais l'analyse psychologique des sentiments, la délicatesse des teintes marquent avant tout.

    Il se lie à André Fraigneau, Roland Laudenbach, Kléber Haedens… Du beau monde. Mais les jambes le démangent et, comme Paul Morand, il guette toujours les départs. En 1951, le voici boursier de la Fondation Rockefeller, partant pour les États-Unis. Il n'en continue pas moins de publier régulièrement : La Corrida en 1952, Le Dieu pâle en 1954, Lettre à un jeune Rastignac (libelle), Les Trompeuses Espérances en 1956.

    De 1958 à 1961, Déon voyage presque constamment. C'est au cours de ces périples qu'il découvre Spetsai, une île grecque. Michel Déon et les îles : une histoire d'amour. « L’insomnie est peut-être une maladie inguérissable, expliquera-t-il. Elle impose l'immobilité, c'est-à-dire, en un sens, la condition essentielle de la paix intérieure. En 1964, il s'installe à Spetsai. Ce départ pour la Grèce change ses perspectives : « J'ai trouvé la pacification intérieure dès que j'ai quitté la France.» De ces années, il tirera des souvenirs : Le Balcon de Spetsai puis Le Rendez-vous de Patmos.

    Mais on enferme trop Déon dans l'image du romancier nostalgique, raffiné, décrivant couchers de soleil et fantasques amours. Il fut également un redoutable pamphlétaire, véritable empêcheur de penser en rond. Sa Lettre à un jeune Rastignac est un modèle de libelle à l'adresse des jeunes ambitieux qu'il voyait se pousser avec ironie.

    En 1967, ce maurrassien resté antigaulliste publia un texte furieux contre la France du Général : Mégalonose. Saisi par les services de police, le livre mourra au berceau, mais justifiera - si besoin était - l'éloignement de Déon.

    Pourtant, des années plus tard, il conservera un regret de ce temps : « Il est permis d'avoir la nostalgie d'une époque où régnait une esthétique de vie, une esthétique politique, un pragmatisme politique, disparus au nom d'un moralisme tout à fait idéaliste. De Gaulle, c'était Sisyphe taillant sa route dans le roc, insensible et vaniteux, vexé à mort parce que son rocher lui retombait sur la tête. »

    Prix Interallié et grand prix du roman de l'Académie française

    Quelque temps plus tard, les honneurs lui arrivent coup sur coup. En 1970, ses Poneys sauvages obtiennent le prix Interallié. Roman de tous les engagements, Seconde Guerre mondiale, Algérie, guerre des Six-Jours - ce livre n'effraie pas le jury dans une France post-soixante-huitarde ; pas plus que les déclarations de son auteur ne choquent… « Je suis un homme de droite et je n'ai pas honte de l'avouer. Je sais que j'ai été écarté de deux prix à cause de quelques lignes. »

    Et la consécration se poursuit : Un taxi mauve reçoit le grand prix du roman de l'Académie française, puis Le Jeune Homme vert (1975) obtient un grand succès public ; enfin, en 1978, Déon rejoint la Coupole, élu au fauteuil de Jean Rostand, en même temps qu'Edgar Faure. « Moi qui ai si longtemps cultivé mes différences, je vais enfin tenter de cultiver mes ressemblances avec des gens qui me sont parfois opposés », remarque-t-il alors.

    Il y avait été poussé par ses amis Félicien Marceau, Jean d'Ormesson et Maurice Rheims. Avant eux, Paul Morand le lui avait aussi conseillé. Même en habit vert, Déon n'en revendique pas moins un « certain anarchisme de droite, un pessimisme qui vise à la lucidité ». Mais l'Académie n'est pas un enterrement de première classe. Déon continue à écrire, explorant des régions qui lui sont inconnues, comme le théâtre. Déjà, il avait écrit des pièces radiophoniques : une adaptation du Claire de Chardonne, de la Colette Baudoche de Barrès… et même un opéra-bouffe avec Pierre Petit : Furia italiana. Mais il tenait beaucoup à ses pièces, Ma vie n'est plus un roman (1987) et Ariane, ou l'Oubli (1993).

    Dans sa maison d'Old Rectory, en Irlande (une autre île…), il vit avec sa femme, Chantal, élève des chevaux, vient en France signer ses livres, en acheter d'autres, recevoir à l'Académie ses amis Jacques Laurent, Hélène Carrère d'Encausse ou Frédéric Vitoux. Mais il sait encore être mordant quand il doit y faire l'éloge de Jacques de Bourbon Busset, si éloigné de lui.

    Avec générosité, une ouverture d'esprit jamais en défaut, il encourage des écrivains débutants nommés Emmanuel Carrère, Jean Rolin, Brina Svit. Il héberge Michel Houellebecq dans sa retraite de Tinagh, intrigué, séduit puis irrité par l'auteur des Particules élémentaires qui se révèle un hôte encombrant.

    L'élève est devenu un maître, et un ami ; de nombreux auteurs se reconnaissent en lui : Stéphane Denis, Éric Neuhoff, qui lui consacre une monographie. Et Patrick Besson, lequel écrit : « Déon est un romancier pour une certaine jeunesse, celle qui préfère les femmes mûres aux catamarans et les voyages aux expéditions. Il s'adresse avant tout aux rêveurs de 20 ans et aux rêveuses de 17. »

    Déon ne se fait pourtant guère d'illusion sur la littérature de son temps. « Entre 1920 et 1940, il y avait une réelle qualité d'écrivains. L'après-guerre n'a produit aucun chef-d’œuvre. Et de citer Larbaud, Montherlant, Morand, Drieu la Rochelle, Aragon, ces « écrivains qui caressent des secrets, dont l'ombre passe entre les lignes de leurs livres ». Il s'inscrit incontestablement dans leur lignée : « Si j'ai écrit des livres, confessait-il, c'est peut-être pour répondre au besoin de vivre les histoires que d'autres n'ont pas toujours su me raconter. »   

    « Lorsqu’on me demande pour qui je vote, je réponds que je suis de toute façon monarchiste depuis ma jeunesse et que je n'en démordrai pas. »  « Je suis un écrivain réactionnaire, je le dis tout haut » Michel Déon

    Nicolas d'Estienne d'Orves