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  • Mini dossier sur la Crise (IV): Espérance souveraine, par Hilaire de Crémiers.

    Espérance souveraine

    Bientôt vers un deuxième krach… C’est comme un sentiment général que tout se détraque… Que peut-il en advenir ?

     

                Non, les bilans généraux ne sont pas bons. Les bilans d’État. Ceux de la zone euro, ceux de l’Europe. Ceux de la France. Le fait que les États-Unis soient dans des situations comparables, n’en est pas pour autant réjouissant.

    Les 750 milliards – même encore aujourd’hui  virtuels – du plan de sauvetage européen, dont il était dit, il y a quinze jours à peine, que ce serait la digue  qui assurerait l’avenir de la construction européenne, sont déjà obsolètes, d’avance submergés, immédiatement inutiles, sauf à donner un court répit.

     

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                Les Allemands n’ont accepté et voté ce plan sous la pression américaine qu’à des conditions draconiennes, les leurs, qui le rendent pour ainsi dire impraticable, concrètement inexécutable. Et telle est bien leur volonté profonde ; tout l’art dans cette prétendue négociation consiste à imputer le défaut d’exécution aux autres partenaires pour dégager sa propre responsabilité.

    L’irréalisme du plan tout autant que les conditions qui y sont jointes dorénavant, en ont fait, à peine conçu, un replâtrage caduc.

    La spéculation est mise en cause par les États. Et, certes, ils n’ont pas tort. Ils auraient dû s’en rendre compte plus tôt, au lieu d’en jouer eux-mêmes, car ils en ont joué dans leur intérêt, par organismes financiers interposés, tant qu’elle leur était profitable ; et ils ont laissé aveuglément ou impunément les banques qui relevaient de leur souveraineté et éventuellement de leur contrôle, en user et en abuser. Quitte à demander à ces mêmes banques de les rembourser de leurs avances ! Vient un moment où tout – ou presque tout – se sait !

    Cependant la véritable raison de cet effondrement financier, demain monétaire, aux conséquences économiques, sociales et bientôt politiques, incalculables, ne tient pas d’abord et fondamentalement à la spéculation. Feindre de le croire est une excuse facile que les hommes politiques s’accordent pour ne pas assumer leur responsabilité.

     

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    Des états insolvables

     

                La crise s’explique tout uniment par la dette, les dettes, celles qui aujourd’hui grèvent les États, hypothèquent toutes leurs capacités, empêchent leur action, bouchent leurs horizons. Il y a quelques mois, quelques semaines encore, comme personne n’osait trop aborder le problème de face, les commentateurs officiels de cette crise en cours qui ne cessait, ne cesse toujours, de connaître de nouveaux rebondissements, parlaient d’un problème de liquidités. Il suffisait, disait-on, d’assurer des liquidités et le système serait sauvé ; le moteur financier, les moteurs économiques, continueraient à fonctionner. D’où des plans, encore des plans, toujours des plans pour injecter du crédit et finalement de la monnaie, qui partaient dans tous les trous qui se creusaient et que, du coup, on creusait partout ; autant d’argent, d’ailleurs, qui n’était pas mis dans les circuits où c’était nécessaire, ceux de l’activité économique réelle, capable d’engendrer de véritables plus-values.

                Cependant la vérité du problème a fini par s’imposer dans sa cruelle réalité. Ce n’est pas, ce n’est plus une question de liquidités, une affaire de trésoreries qu’il conviendrait d’assurer et qui subiraient des difficultés. C’est une question de solvabilité. C’est donc infiniment grave. Et c’est aussi, disons-le, ce qui fut et ce qui est écrit dans ces colonnes depuis déjà trois ans.

    La constatation vient pulvériser tous les raisonnements ; elle est implacable, et ses conséquences sont inéluctables. Les États concernés par la crise sont insolvables. Voilà, c’est dit ; ça commence à se dire. Comme la percée de Sedan en mai 1940 : tout était prévu, sauf ça. Qui survient précisément. Panique dans  les états-majors, aujourd’hui comme naguère. Les événements s’enchaînent sans retours-arrière possibles.

                Les Allemands qui sont les moins mal en point de tous, économiquement parlant, ne veulent pas devenir insolvables de l’insolvabilité des autres. C’est compréhensible. Ils prennent déjà les mesures pour empêcher la spéculation sur leurs dettes souveraines. L’idée de mettre les dettes en commun, de les « européaniser » ne leur sourit pas. Un fonds monétaire européen où ils seraient financièrement les plus engagés, au prétexte de soutenir un euro qui, dans leur esprit, commencerait à davantage ressembler à la drachme qu’au deutschmark, ne saurait leur agréer. Pas plus que ne leur plaît le fait – gravissime pour eux – que la BCE se mette tout à coup à acheter de la dette d’État, grecque en particulier. C’est évidemment contraire à tous les dogmes financiers sur lesquels, à leur demande, la Banque centrale de Francfort avait été instituée. Autant dire que cette dette est monétisée, vieux procédé de la planche à billets que les fabricateurs de l’Europe intégrée et de l’euro avaient voulu justement exorciser. À quoi sert donc l’euro, en pareil cas ? Nécessité oblige, répond-t-on d’un air gêné sans donner de vrais chiffres. Trichet tricherait-il ? Pour quelle bonne cause ? Pour maintenir des taux obligataires raisonnables ? Pour arracher des États à la banqueroute forcée ? Au final, pour sauver l’euro ?

                Mais les Allemands ne voient pas du tout cette nécessité. Angela Merkel, tiraillée entre des influences contradictoires tant extérieures qu’intérieures – sa coalition est émiettée – n’a pas manqué de signaler ouvertement que l’euro était en question. Les Allemands ont donc exigé des compensations et des engagements précis. La Commission européenne et la présidence de l’Union s’en sont emparé aussitôt pour en faire un programme qui leur donne l’illusion d’exister dans cette crise. Et les ministres des Finances font réunion sur réunion pour trouver des accords qui n’en sont pas, au motif de stabiliser la zone euro. Elle est instable par nature. Alors Merkel et Schäuble ont donné leurs ordres.

     

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    La Chancelière Angela Merkel et son Ministre des Finances, Wolfgang Schäuble

     

    La rigueur ou/et la mort de l’euro

     

                Les budgets nationaux devront être supervisés par la Commission européenne et – les Allemands ont réclamé en plus cette précision – par des organismes indépendants, avant même d’être votés par les parlements nationaux. Autant dire que les chambres de députés n’exercent plus les droits de leur prérogative souveraine de représentations nationales ; et autant dire, aussi et d’ailleurs, qu’elles les exercent fort mal ; ce qui est, évidemment, plus que vrai. Les Anglais ont tout de suite, conformément à leur histoire nationale, récusé cette instance supérieure.

                Des mesures concrètes et immédiates de baisse des dépenses d’État et d’amélioration des finances publiques doivent être prises par tous les États de la zone euro, et aussi par tous ceux de l’Union européenne qui bénéficient des fonds européens sous une forme ou sous une autre.

                Ne serait-ce que pour arrêter la dégradation de leurs propres finances et, en conséquence, des notes relatives à leurs dettes souveraines qui risquent d’affecter terriblement, peut-être irréversiblement, leurs emprunts obligataires, les États ont dû, non seulement annoncer, mais entamer des plans de rigueur et là, sans les vaines  fioritures que les responsables français se croient obligés d’employer. La Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Irlande, l’Italie, l’Allemagne elle-même et l’Angleterre de Cameron aussi, tous les pays concernés, quel que soit leur gouvernement, frappent fort : c’est drastique, la taille est de l’ordre de 5 %, voire de 10 % tant dans les budgets que dans les salaires ; les impôts augmentent d’autant. Cameron en particulier y va très fort et donne l’exemple en commençant par rogner dans les émoluments ministériels et politiciens ; ça donne envie de crier bravo, trois fois bravo !

                Quant à la France, ne touchant pratiquement à rien, – le peut-elle seulement ? – elle entend son président proclamer que les déficits seront proscrits pour l’avenir par voie constitutionnelle. Comment faire avec les chiffres effarants qui augmentent tous les jours ? Et d’abord il n’est pas dit que la réforme de la Constitution puisse passer, et puis n’y a-t-il pas quelque chose d’absurde et de ridicule dans tous ces grands engagements qui ne font que souligner davantage les effroyables sujétions d’habitudinaires invétérés ? Une Constitution organise le fonctionnement des pouvoirs publics et ne vise pas le comportement des hommes ! Et, pendant ce temps, le gouvernement français essaye de laisser penser que peut-être il faudra songer sans doute à allonger éventuellement le temps de vie au travail, si les Français ne veulent pas que le système de retraite par répartition que, bien sûr, il n’est pas même envisagé de changer, n’explose ! La France est en retard, prend chaque jour du retard. Dans tous les domaines. Comme les investisseurs ont besoin de placements, son crédit souverain pour le moment ne souffre pas ! Mais pour combien de temps ?

                Cependant l’Allemagne a aussi exigé des sanctions contre les États récalcitrants, ceux qui ne suivraient pas les normes qu’elle a fixées. Droit de vote supprimé dans les instances européennes et, renouvellement de la pensée maestrichienne, pénalités financières pour ceux qui ne sont pas bon financièrement : gravité de la faute, aggravation de la situation du coupable ! Jusqu’où ? Jusqu’à la sortie de l’euro ! Cela a été dit. Clairement.

     

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    Les fourmis en ont assez des cigales.....

     

    L’impossible dilemme

     

                S’il est permis de risquer quelques pronostics, toujours sujets à caution en ces matières, il est des directions générales qui se profilent suffisamment pour discerner quelques évolutions politiques futures. L’Allemagne se tirera, elle, de cette crise ; elle a refait son unité et ses assises et, sur son pourtour, toute sa zone d’influence ; reste son problème central qui est moral avant même d’être démographique. L’Angleterre a toujours un ressort nationaliste qui la sauve de son égoïsme et de sa sottise démocratique ; c’est le cas aujourd’hui. Elle se moque de l’euro, en dépit des discours, et maintiendra sa livre qui lui garantit son indépendance. Elle aussi, son problème est d’abord moral avant même d’être économique. Les États-Unis pragmatiques conservent la totale souveraineté de leur dollar ; ils rachètent leur dette, en s’appuyant sur leur puissance. Ils veulent sauver leur économie. Leur souci réel, c’est la Chine ; ils traitent donc avec la Chine, carte forcée. L’euro ne compte pour eux que dans leur jeu monétaire. Les États-Unis n’ont besoin que de retrouver leur foi et leur dynamisme.

                Et la France ? Il est dès à présent à craindre qu’elle ne suive le sort de la Grèce, de l’Espagne, du Portugal… Malgré tout ce que racontent les commentateurs officiels. Quelques esprits libres, comme Yves de Kerdrel, osent le pronostiquer. La France présidera le G20 du mois de juin : elle fera des discours sur une régulation financière qu’Obama a déjà fait entériner aux États-Unis !

                Le malheur veut que les peuples du sud de l’Europe, qui plus que d’autres auraient besoin de monarchies fortes, c’est-à-dire indépendantes et libres, garanties supérieures de toutes les libertés vraiment populaires, soient livrés à des politiciens démagogues et littéralement enchaînés à des institutions aussi inefficaces que corrompues où la surenchère électorale est la règle. Comment pourraient-ils s’en sortir ?  Le président de la République française n’est pas un roi, hélas ! Il faut être sot comme nos journalistes officiels pour se l’imaginer. N’est pas Ulysse qui veut.

                Le dilemme de nos peuples est simple : ou ils se lancent dans une politique de rigueur qu’ils ne peuvent supporter, qui ébranlera leur peu d’unité sociale, en tuant en même temps toute tentative de croissance… et, alors, tout explose, y compris vraisemblablement l’euro ; ou ils prétendent sauver leur indépendance, garder leurs habitudes, aménager leur situation économique sans en avoir vraiment les moyens… et la zone euro ne peut durer. Il leur faut dès maintenant songer à une solution de rechange. La vérité est que ces peuples et leurs responsables sont aujourd’hui incapables d’anticiper sur les événements : les deux branches du dilemme sont de toute façon périlleuses, voire catastrophiques, donc, dans l’état actuel des choses et des esprits, inimaginables ! Pour sortir d’un dilemme, il faut un esprit et une volonté. Le problème de la France, avant même que d’être moral, est politique ; politique d’abord. Un Henri IV, que la France a célébré en ce mois de mai, avait su en son temps sortir son pays d’un dilemme, lui aussi, apparemment insoluble. La solution était politique, c’était lui : le Roi.

     

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  • Mini dossier sur la Crise (5/5): Le dérapage, par François Reloujac.

    Le dérapage

    Réunions sur réunions pour annoncer en début de semaine que tout est sauvé et pour s’apercevoir en fin de semaine que tout est perdu.

     

     

                Début mai 2010, les dirigeants politiques de l’Europe ont fait prendre à la crise un nouveau tournant. Et ce virage semble ne pas avoir été contrôlé. Réunis à Bruxelles pendant le week-end du 8 mai, ils ont décidé de frapper un grand coup. Puisque toutes leurs déclarations précédentes en faveur d’un soutien à la Grèce n’avaient convaincu personne, et surtout pas les spéculateurs internationaux, ils ont décidé de provoquer un électrochoc en adoptant un nouveau « plan » hors de proportion avec tout ce sur quoi on discutait antérieurement. On chipotait pour accorder une aide de 40 milliards d’euros à la Grèce, on va mettre en place un plan de plus de 750 milliards ! La première réaction des marchés financiers a été spectaculaire : en une journée, ils ont gagné au total près de 10 %. Il faut dire que le signal était fort : les États membres qui ont adopté l’euro ne le laisseront pas tomber ; et cela, quoiqu’il pût en coûter.

     

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                Quand on a affaire à une spéculation généralisée dont le principe de base s’apparente à celui d’un jeu de poker, une telle stratégie s’appelle montrer  son jeu à l’adversaire. Celui-ci connaît désormais les atouts dont on dispose et les annonces que l’on va faire. Les médias, qui se focalisent sur l’instant qui passe avec fugacité, ont salué l’euphorie boursière et la confiance retrouvée ! Mme Lagarde a eu beau dire que les marchés avaient sur-réagi, elle ne pouvait pas aller jusqu’à expliquer que le plan qu’elle venait de cautionner était dangereux. Les jours qui ont immédiatement suivis la présentation de ce nouveau plan ont été marqués par des mouvements boursiers très exagérés et par une chute rapide de l’euro sans pour autant que celui-ci ne retombe à sa parité de pouvoir d’achat avec le dollar. En fait, la confiance semble avoir fui pour longtemps. Cela est normal dans la mesure où « quand les déficits filent et que les caisses publiques se vident, les investisseurs sont inquiets. Quand les gouvernements décident des mesures d’austérité, les investisseurs craignent alors qu’il n’y ait plus de croissance » (1).

                Avec cette décision du 8 mai 2010, comme l’a reconnu Angela Merkel, on a juste « gagné un peu de temps ». Comment, dans un monde où les liquidités sont trop importantes – et nourrissent la spéculation – peut-on penser calmer le jeu de cette spéculation en injectant de nouvelles liquidités dans le système ? Si quelqu’un en doutait encore, il est absolument évident que les États européens, tout comme les États-Unis, font de la cavalerie (2). C’est-à-dire que, rapidement, il apparaîtra inéluctablement que ces 750 milliards seront devenus insuffisants. On sera obligé de recommencer… jusqu’à quand ?

     

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    "...il est absolument évident que les États européens, tout comme les États-Unis, font de la cavalerie..."

     

    Un mécanisme de cavalerie

     

                Au bout de quelques jours, les Européens se sont aperçu qu’ils n’avaient pas la même interprétation de l’accord auquel ils étaient parvenus. Les Français et leurs partenaires – sauf les Allemands – avaient compris que tous les Parlements devraient se prononcer en une seule fois sur le plan. Les Allemands ont expliqué à partir du 18 mai que, non seulement le Bundestag devrait se prononcer sur l’ensemble du plan, mais que, de plus, il se prononcerait chaque fois qu’un pays en difficulté demanderait la mise en œuvre dudit plan. Ce qui équivaut à s’arroger un droit de veto sur tous les déblocages. Il est vrai que la solidarité mise en œuvre par le plan pourrait coûter cher aux Européens, ou du moins à certains d’entre eux. Si, au moment de l’appel des fonds par le pays en difficulté, un de ceux qui doit intervenir ne peut le faire, la charge correspondante sera répercutée sur les autres. C’est pourquoi, selon le ministre allemand de l’économie, Wolfgang Schäuble, tout État qui demanderait la mise en jeu à son profit du plan de solidarité devrait automatiquement être privé du droit de vote au sein du Conseil européen. En dehors des questions politiques que ces disparités ne manquent pas de susciter, les difficultés ne pourront que croître rapidement, pour deux raisons.

                Ce mécanisme de cavalerie a été décidé et mis en place pour permettre aux États les plus endettés de se « refaire ». Exactement comme le joueur qui a déjà perdu toute sa fortune au jeu et qui emprunte à nouveau pour pouvoir continuer de jouer et essayer de parvenir enfin à récupérer une partie de ce qu’il a perdu. Pour aider le joueur en question dans cette quête, pour aider tout Etat endetté à se désendetter, les autres joueurs lui imposent de nouvelles règles : une cure d’austérité drastique. Il faut tailler immédiatement dans les déficits publics. Ces nouvelles règles sont extrêmement dangereuses. En effet, alors que les États n’arrivent déjà pas à rembourser ce qu’ils doivent, on leur impose un mécanisme qui va conduire les populations à travailler deux fois plus en étant payés deux fois moins. Le risque d’une dépression sans précédent est grand. Mais c’est à ce seul prix que les États endettés auront droit à la manne bruxelloise qui leur fera gagner un peu de temps. Et comme il n’y en aura pas pour tout le monde, seuls les premiers à entrer dans le jeu seront servis. C’est ce qu’a compris le Premier ministre espagnol qui, dès le 12 mai a annoncé une baisse de 10 % du salaire de tous les fonctionnaires ; imité, dès le lendemain par le Premier ministre portugais. Il est vrai que les utopistes de l’Europe pensent avoir la solution : si la dépression continue à enfler en Grèce, au Portugal, en Espagne, en Italie ou en France, les populations de ces pays pourront toujours aller travailler en Allemagne ! Va-t-on devoir rendre demain les délocalisations obligatoires ? Un seul marché du travail à l’échelon européen – à moins que ce ne soit à l’échelle mondiale – et suspension des allocations de chômage à toute personne qui aura refusé un emploi, fut-il situé aux antipodes dans un État où les couvertures sociales n’existent pas ! Mme Lagarde ne s’y est pas trompée quand, dans une interview accordée aux Échos, le 11 mai, elle a reconnu que ce plan de sauvetage européen contenait « plus qu’une once de fédéralisme puisque le fonds européen fera des émissions pour acheter des titres ou proposer des prêts ». La prétention de la Commission européenne de contrôler les projets de budget des États avant de les soumettre aux parlements nationaux va bien dans le sens de ce fédéralisme accru.

     

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    Les deux Ministres des Finances, Christine Lagarde et Wolfgang Schäuble...

     

    Le cercle vicieux

     

                La deuxième raison qui va conduire à accroître les difficultés résulte de la question de savoir qui va prêter les sommes empruntées par l’Union européenne. Les États ? Ils n’ont pas d’argent. Ils devront eux-mêmes emprunter les sommes nécessaires. On va donc, faire appel aux banques pour souscrire… les obligeant à se refinancer elles-mêmes auprès de la Banque Centrale Européenne, dont le président va une nouvelle fois avaler son chapeau en inondant les marchés d’un argent quasi gratuit et en « achetant des dettes souveraines d’États toxiques » (3). Parallèlement, les banques risquent de commencer à se méfier les unes des autres, pour la même raison qu’elles ne se faisaient plus confiance au moment de la faillite de Lehman Brothers. En effet, elles vont mutuellement se soupçonner d’être plus exposées qu’elles ne le disent à une banqueroute de la Grèce, du Portugal, de l’Espagne, de l’Italie, de l’Irlande, du Royaume-Uni ou de la France. C’est pourquoi, afin que les banques puissent elles-mêmes prêter cet argent – qu’elles n’ont pas – elles vont devoir faire un effort pour expliquer aux agences de notation qu’elles sont solides. En particulier, conformément aux règles prudentielles internationales, elles vont devoir « mobiliser » des fonds propres, ce qui diminuera leur capacité à prêter aux entreprises pour investir et relancer l’économie. Il va donc y avoir un nouveau transfert des capacités de financement vers la seule charge de la dette financière antérieure. Comme les politiques ne pourront pas assister sans rien dire à cette désertion des banques, ils ne manqueront pas de ne pas remplir leur mission et décideront d’emprunter encore un peu plus pour réinjecter ces sommes empruntées aux banques dans le capital desdites banques pour leur permettre de prêter un peu plus aux autres agents économiques dans un processus de fuite en avant (faisant ainsi jouer un « effet de levier »). D’autant que, démagogie et keynésianisme obligent, on demandera aux banques de faire un effort tout particulier dans le crédit à la consommation, économiquement stérile.

     

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    Quel mécanisme ?

     

                Dès le 10 mai, l’éditorialiste du Monde expliquait pourquoi, selon lui, le plan ne pouvait qu’échouer. En focalisant son analyse sur le seul cas grec, mais son raisonnement peut être généralisé, il constatait que l’on ne pourrait jamais faire l’économie d’une « restructuration » de la dette, ce qui signifie que les prêteurs ne rentreront jamais intégralement dans leurs fonds. Peu importe le mécanisme que l’on mettra en place pour cela (l’inflation ? l’explosion de l’euro ? le changement de système monétaire international ?...), il arrive un moment où un retour à la santé ne peut pas se faire sans une opération chirurgicale. Après avoir constaté le coût proprement insupportable pour les populations de la purge qui leur est imposée, il concluait : « De plus, du fait que les créanciers sont aujourd’hui payés pour s’enfuir, qui les remplacera ? À coup sûr, ce plan échouera à réintégrer à des conditions gérables la Grèce sur le marché dans quelques années ». Si, les chefs d’État et de gouvernement ont donné leur accord à un tel plan c’est probablement qu’ils espèrent repousser la défaillance de la Grèce – et des autres États surendettés – jusqu’à une époque meilleure où le climat économique sera redevenu plus calme… À moins qu’ils n’aient voulu donner des gages au Président américain que la valeur de l’euro ne baissera pas au point de rendre impossible la réévaluation du yuan.

     

    1 Y.A. Noghès, La Tribune, 18 mai 2010.

    2 Faire de la cavalerie, c’est emprunter pour rembourser ou, comme le sapeur Camember, faire un trou pour en boucher un premier… sauf qu’il y a des « pertes en ligne » et que pour boucher le trou précédent  il faut faire un trou plus grand, et ainsi de suite.

    3 Cf. Isabelle Mouilleseaux, La Chronique Agora, 10 mai 2010.

     

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  • France - Allemagne : Relation de couple ou dangereuse compétition ?

                Dans le numéro d'octobre de Politique Magazine, François Reloujac, comme chaque mois, analyse la situation économique.

                Il y définit remarquablement les lignes de force des rapports France-Allemagne et de façon si précise, si fondamentale que nous publions, ici, cet article in extenso.

                Ses conclusions nous paraissant pérennes, du moins pour longtemps, nous l'incluons, aussi, dans nos "pages" (bas de la colonne de droite du blog) où l'on pourra toujours le consulter.

                Alors que les mouvements de capitaux étaient encore équivalents aux échanges de biens et de services au début des années 80 dans la quasi-totalité des pays européens, ils représentaient en 2008 un montant quatre fois plus élevé en Allemagne et dix fois plus en France. Cette évolution des statistiques financières n’est qu’une partie visible des divergences croissantes entre les économies des deux pays. 

                Si, eu égard à l’importance de son commerce international, le montant des échanges financiers internationaux est moins important en Allemagne qu’en France, l’industrie allemande est moins tributaire des investissements internationaux que l’industrie française. D’autant que ce que l’on range parmi les investissements étrangers en France représente en fait souvent des prises de contrôle des industries françaises par des intérêts étrangers. En France, plus de 46 % de la capitalisation boursière est entre les mains des fonds internationaux, ce qui n’est pas le cas outre-Rhin ; les entreprises françaises sont donc aujourd’hui beaucoup plus vulnérables que celles d’outre-Rhin aux opérations de délocalisation. Si le commerce extérieur de la France dépend largement du fonctionnement de l’économie allemande, de ses achats, celui de l’Allemagne est plus lié à la santé de l’économie des États-Unis et de la Chine. Si la France assure 3,5 % du commerce mondial, l’Allemagne en couvre 11 % ; les exportations allemandes représentent 50 % de son PIB alors que les françaises n’atteignent que 29 %. Enfin, quand la France délocalise ses usines de production en Afrique ou en Asie, l’Allemagne se tourne plus vers les anciens pays de l’Europe de l’Est. Ces quelques différences particulièrement visibles entre les deux partenaires affectent peu ou prou l’ensemble de l’Europe. 

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    Deux économies étroitement liées : l'Allemagne est désormais le premier investisseur étranger en France, surtout dans l'énergie, les activités commerciales et financières, les équipement électroniques, médicaux, les télécoms, l'automobile. Et ce sinvestissements se situent principalement en Île-de-France, en Rhône-Alpes et en Provence-Alpes-Côte d'Azur. La France, elle, est le quatrième investisseur étranger en Allemagne. Ses investissements vont dans les industries chimiques, automobiles, aéronautiques, les produits de luxe, et se concentrent plutôt sur l'ouest du territoire, à l'exception de Berlin....


     
    Incompatibilité d’intérêts 

                 Le système économique européen est, dans la pratique actuelle, un système qui recèle des déséquilibres tels qu’il est insoutenable à terme. Deux stratégies économiques opposées se révèlent particulièrement problématiques : la stratégie de désinflation compétitive pratiquée notamment par l’Allemagne et la stratégie de consommation inflationniste que suivent la Grèce et l’Espagne... et, dans une moindre mesure, la France. Ni l’une ni l’autre n’assure à long terme un régime équilibré de croissance tandis que leur confrontation affecte l’ensemble européen en pesant sur ses performances économiques et en y instaurant une instabilité potentiellement explosive. Les pays en excédent commercial, dont les autres pays européens assurent les principaux débouchés, connaissent en fait une croissance inférieure à la moyenne de la zone. La désinflation compétitive des premiers freine la croissance des seconds ; l’inflation augmentera demain les taux d’intérêt pour tous, y compris pour les pays « vertueux ». 
                La monnaie unique a rendu incompatibles les intérêts des divers pays européens. C’est ainsi, par exemple, que, quand on vend surtout des services à la personne ou de l’immobilier résidentiel, on ne peut capitaliser sur l’explosion de la demande chinoise comme le fait l’Allemagne. Dans un tel contexte, les politiques économiques de la France et de l’Allemagne s’éloignent de plus en plus et la divergence de leurs intérêts s’accroît. Plus l’euro est fort et le dollar faible plus l’industrie manufacturière spécialisée allemande gagne de l’argent tandis que le commerce extérieur de la France devient plus déficitaire. Si l’Allemagne peut exporter aux États-Unis des machines-outils vendues en euros, en dehors de l’aéronautique vendue en dollars, la France y exporte essentiellement des produits de luxe, des vins et des spiritueux. Quand le cours de l’euro s’envole par rapport à celui du dollar les Allemands conservent leur marge et obtiennent un pouvoir d’achat en dollar plus élevé tandis que les Français perdent des revenus nets. Lorsque la crise économique éclate aux États-Unis, les Allemands continuent à y vendre un peu plus longtemps que les Français. 
                Depuis la création de la zone euro, l’Allemagne a profité de la stabilité monétaire pour compenser « l’extrême faiblesse de sa demande intérieure par une demande extérieure vigoureuse » (Martin Wolf, Le Monde), notamment de la part de ses partenaires de la zone euro. En fait, les performances de l’économie allemande s’expliquent par des efforts pour être plus compétitifs que ses partenaires, en réalité considérés comme ses concurrents. Si, au lieu d’acheter les produits allemands, ses partenaires cherchaient eux-aussi à mettre en œuvre des gains de compétitivité, il en résulterait une spirale récessionniste auto-entretenue. Celui qui voudrait faire à nouveau la différence, devrait alors redoubler d’efforts, c’est-à-dire accroître les sacrifices demandés à la population active en comprimant les salaires et réduisant les diverses prestations sociales qui alourdissent les charges. Dans ce schéma déflationniste, il serait toujours possible de progresser « aussi longtemps que le zéro absolu socialement supportable » (Chronique Agora) ne serait pas atteint. 
     
    Des modèles opposés 

                Est-ce à dire que l’Allemagne a désormais acquis une position de domination que nul en Europe ne saurait lui contester ? Assurément non. Des statistiques publiées outre-Rhin au début du mois de septembre faisaient état d’une baisse de la population pour la sixième année consécutive (l’Allemagne aurait perdu 500 000 habitants au total depuis 2003) et une remontée du chômage dont le taux serait désormais de 7,4 % de la population active (Ce taux de chômage moyen cache mal une très forte disparité : entre 2,7 % aux Pays-Bas et 13,4 % en Espagne). Dans le même temps la population de la France continuait à croître. Certes, le taux de chômage est plus important en France mais, de 1998 à 2010, pendant que le nombre des emplois augmentait de 7 % en Allemagne il progressait de plus 11 % en France. Or, la différence entre les deux évolutions de la population globale n’est pas seulement due à la différence entre les soldes migratoires car les Allemands aussi connaissent une importante vague d’immigration ; la différence entre le nombre des emplois créés ne résulte pas uniquement des emplois du secteur industriel car, en France, la croissance s’est surtout faite dans le secteur tertiaire… difficilement délocalisable ! 

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                Que ce soit au regard de la recherche de compétitivité économique, de l’importance des mouvements financiers ou de la politique des retraites, le modèle économique de la France et celui de l’Allemagne sont diamétralement opposés : pour l’Allemagne, il faut favoriser l’emploi, fût-il à temps partiel et fût-ce au détriment de la consommation ; pour la France, il faut relancer la croissance par la consommation ! Les deux plans pourraient être complémentaires si les deux pays n’avaient pas la même monnaie et pouvaient donc, périodiquement, procéder à des ajustements de parité. Avec une monnaie unique, mais des fiscalités différentes et des politiques sociales divergentes, les tensions économiques graves sont inéluctables. 
     
    Des élites désarmées 

                Il ne faut cependant pas penser que l’Allemagne pourra à elle seule tirer l’économie européenne et la remettre sur le chemin de la croissance. En effet, si l’industrie allemande est encore puissante, la population ne bénéficie pas véritablement de cet avantage concurrentiel. Profitant de la relative faiblesse des syndicats dans la période qui a suivi la réunification, les grandes entreprises ont imposé à l’ensemble de la population des choix de plus en plus difficiles à assumer. Le développement du travail précaire, l’accroissement de la durée des « stages », la baisse relative des salaires (pour lutter contre l’inflation), la hausse de la TVA (pour augmenter la compétitivité), toutes les mesures prises dans l’intérêt de l’industrie allemande sont de plus en plus incompréhensibles pour une population qui a le sentiment d’être entrée dans une phase de paupérisation. Ce qu’il y a de dramatique dans cette évolution, alors que les médias amplifient les exigences, c’est que les Allemands, comme les autres Européens, finissent par constater que leurs élites politiques sont tout autant désarmées qu’eux devant l’évolution de la situation. Plus personne ne sait comment y faire face, soit que les élites dirigeantes soient empêtrées dans une analyse de type libéralo-keynésienne qui, pour être largement partagée, n’en est pas moins inadaptée, soit qu’elles ne se sentent pas assez fortes – ou légitimes – pour braver l’égoïsme superbe des Américains et la discrète ambition des Chinois. 
                Alors que la création d’une monnaie unique, plutôt que d’une monnaie commune européenne avait été dictée dans les années 1990 par le souci de permettre à tous les États de la zone d’emprunter au même taux avantageux (le taux allemand), avec la crise ces taux se sont éloignés les uns des autres… favorisant un peu plus l’économie allemande au détriment de celles des autres États membres. La France n’est pas épargnée, qui risque de perdre son « triple A » ! En période d’euphorie monétaire, les pays les moins développés avaient bénéficié d’un effet de rattrapage ; avec la crise les économies les plus puissants vampirisent les plus faibles. « Il est clair que si les divergences se creusent entre la France et l’Allemagne, les deux pays vont avoir des besoins symétriquement inverses sur le plan monétaire : l’Allemagne jouera la carte de la maîtrise des coûts, et de la lutte contre l’inflation, la France surendettée misera sur la relance par les salaires et aura intérêt à voir sa dette grignotée naturellement par un minimum d’inflation », analysait un haut fonctionnaire français au plus fort de la crise financière ». ■ 

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  • Mieux connaître, pour mieux comprendre et mieux évaluer... : Regards croisés sur l'Islam (IV)

                Aujourd'hui, la parole est à Claude Lévi-Strauss.

     

                Voici un extrait significatif de Tristes Tropiques, publié en 1955, l'auteur ayant, alors, 47 ans.

     

     

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    « Sans doute nous berçons-nous du rêve que l’égalité et la fraternité régneront un jour entre les hommes sans que soit compromise leur diversité» 

                 C’était surtout l’Islam dont la présence me tourmentait (…). Déjà l’Islam me déconcertait par une attitude envers l’histoire contradictoire à la nôtre et contradictoire en elle-même: le souci de fonder une tradition s’accompagnait d’un appétit destructeur de toutes les traditions antérieures. (…)

                 Dans les Hindous, je contemplais notre exotique image, renvoyée par ces frères indo-européens évolués sous un autre climat, au contact de civilisations différentes, mais dont les tentations intimes sont tellement identiques aux nôtres qu’à certaines périodes, comme l’époque 1900, elles remontent chez nous aussi en surface.

                 Rien de semblable à Agra, où règnent d’autres ombres: celles de la Perse médiévale, de l’Arabie savante, sous une forme que beaucoup jugent conventionnelle. Pourtant, je défie tout visiteur ayant encore gardé un peu de fraîcheur d’âme de ne pas se sentir bouleversé en franchissant, en même temps que l’enceinte du Taj, les distances et les âges, accédant de plain-pied à l’univers des Mille et une Nuits (…).

                Pourquoi l’art musulman s’effondre-t-il si complètement dès qu’il cesse d’être à son apogée ? Il passe sans transition du palais au bazar. N’est-ce pas une conséquence de la répudiation des images ? L’artiste, privé de tout contact avec le réel, perpétue une convention tellement exsangue qu’elle ne peut être rajeunie ni fécondée. Elle est soutenue par l’or, ou elle s’écroule. (…)

     

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    "N’est-ce pas une conséquence de la répudiation des images ? L’artiste, privé de tout contact avec le réel, perpétue une convention tellement exsangue qu’elle ne peut être rajeunie ni fécondée...."
     

                Si l’on excepte les forts, les musulmans n’ont construit dans l’Inde que des temples et des tombes. Mais les forts étaient des palais habités, tandis que les tombes et les temples sont des palais inoccupés. On éprouve, ici encore, la difficulté pour l’Islam de penser la solitude. Pour lui, la vie est d’abord communauté, et le mort s’installe toujours dans le cadre d’une communauté, dépourvue de participants. (…)

                N’est-ce pas l’image de la civilisation musulmane qui associe les raffinements les plus rares - palais de pierres précieuses, fontaines d’eau de rose, mets recouverts de feuilles d’or, tabac à fumer mêlé de perles pilées - servant de couverture à la rusticité des moeurs et à la bigoterie qui imprègne la pensée morale et religieuse? 

                Sur le plan esthétique, le puritanisme islamique, renonçant à abolir la sensualité, s’est contenté de la réduire à ses formes mineures: parfums, dentelles, broderies et jardins. Sur le plan moral, on se heurte à la même équivoque d’une tolérance affichée en dépit d’un prosélytisme dont le caractère compulsif est évident. En fait, le contact des non-musulmans les angoisse. Leur genre de vie provincial se perpétue sous la menace d’autres genres de vie, plus libres et plus souples que le leur, et qui risquent de l’altérer par la seule contiguïté.

                Plutôt que de parler de tolérance, il vaudrait mieux dire que cette tolérance, dans la mesure où elle existe, est une perpétuelle victoire sur eux-mêmes. En la préconisant, le Prophète les a placés dans une situation de crise permanente, qui résulte de la contradiction entre la portée universelle de la révélation et de la pluralité des fois religieuses. Il y a là une situation paradoxale au sens « pavlovien », génératrice d’anxiété d’une part et de complaisance en soi-même de l’autre, puisqu’on se croit capable, grâce à l’Islam, de surmonter un pareil conflit. En vain d’ailleurs: comme le remarquait un jour devant moi un philosophe indien, les musulmans tirent vanité de ce qu’ils professent la valeur universelle de grand principes - liberté, égalité, tolérance - et ils révoquent le crédit à quoi ils prétendent en affirmant du même jet qu’ils sont les seuls à les pratiquer.

                Un jour à Karachi, je me trouvais en compagnie de Sages musulmans, universitaires ou religieux. A les entendre vanter la supériorité de leur système, j’étais frappé de constater avec quelle insistance ils revenaient à un seul argument: sa simplicité. (…) Tout l’Islam semble être, en effet, une méthode pour développer dans l’esprit des croyants des conflits insurmontables, quitte à les sauver par la suite en leur proposant des solutions d’une très grande (mais trop grande) simplicité. D’une main on les précipite, de l’autre on les retient au bord de l’abîme. Vous inquiétez-vous de la vertu de vos épouses ou de vos filles pendant que vous êtes en campagne ? Rien de plus simple, voilez-les et cloîtrez-les. C’est ainsi qu’on en arrive au burkah moderne, semblable à un appareil orthopédique (…).

     

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    "...voilez-les et cloîtrez-les. C’est ainsi qu’on en arrive au burkah moderne, semblable à un appareil orthopédique..." 
     
     

                Chez les Musulmans, manger avec les doigts devient un système: nul ne saisit l’os de la viande pour en ronger la chair. De la seule main utilisable (la gauche étant impure, parce que réservée aux ablutions intimes) on pétrit, on arrache les lambeaux et quand on a soif, la main graisseuse empoigne le verre. En observant ces manières de table qui valent bien les autres, mais qui du point de vue occidental, semblent faire ostentation de sans-gêne, on se demande jusqu’à quel point la coutume, plutôt que vestige archaïque, ne résulte pas d’une réforme voulue par le Prophète – "ne faites pas comme les autres peuples, qui mangent avec un couteau"  - inspiré par le même souci, inconscient sans doute, d’infantilisation systématique, d’imposition homosexuelle de la communauté par la promiscuité qui ressort des rituels de propreté après le repas, quand tout le monde se lave les mains, se gargarise, éructe et crache dans la même cuvette, mettant en commun, dans une indifférence terriblement autiste, la même peur de l’impureté associée au même exhibitionnisme. (…)

                Si un corps de garde pouvait être religieux, l’Islam paraîtrait sa religion idéale: stricte observance du règlement (prières cinq fois par jour, chacune exigeant cinquante génuflexions; revues de détail et soins de propreté (les ablutions rituelles); promiscuité masculine dans la vie spirituelle comme dans l’accomplissement des fonctions religieuses; et pas de femmes.

                Ces anxieux sont aussi des hommes d’action; pris entre des sentiments incompatibles, ils compensent l’infériorité qu’ils ressentent par des formes traditionnelles de sublimations qu’on associe depuis toujours à l’âme arabe: jalousie, fierté, héroïsme. Mais cette volonté d’être entre soi, cet esprit de clocher allié à un déracinement chronique (…) qui sont à l’origine de la formation du Pakistan (…). C’est un fait social actuel, et qui doit être interprété comme tel: drame de conscience collectif qui a contraint des millions d’individus à un choix irrévocable (…) pour rester entre musulmans, et parce que qu’ils ne se sentent à l’aise qu’entre musulmans.

                Grande religion qui se fonde moins sur l’évidence d’une révélation que sur l’impuissance à nouer des liens au-dehors. En face de la bienveillance universelle du bouddhisme, du désir chrétien de dialogue, l’intolérance musulmane adopte une forme inconsciente chez ceux qui s’en rendent coupables; car s’ils ne cherchent pas toujours, de façon brutale, à amener autrui à partager leur vérité, ils sont pourtant (et c’est plus grave) incapables de supporter l’existence d’autrui comme autrui. Le seul moyen pour eux de se mettre à l’abri du doute et de l’humiliation consiste dans une« néantisation » d’autrui, considéré comme témoin d’une autre foi et d’une autre conduite. La fraternité islamique est la converse d’une exclusive contre les infidèles qui ne peut pas s’avouer, puisque, en se reconnaissant comme telle, elle équivaudrait à les reconnaître eux-mêmes comme existants....

                Ce malaise ressenti au voisinage de l’Islam, je n’en connais que trop les raisons: je retrouve en lui l’univers d’où je viens; l’Islam, c’est l’Occident de l’Orient. Plus précisément encore, il m’a fallu rencontrer l’Islam pour mesurer le péril qui menace aujourd’hui la pensée française. Je pardonne mal au premier de me présenter notre image, de m’obliger à constater combien la France est en train de devenir musulmane. (…) Si, pourtant, une France de quarante-cinq millions d’habitants s’ouvrait largement sur la base de l’égalité des droits, pour admettre vingt-cinq millions de ci

  • Trois textes de Maurras sur l'Enseignement : I : L'École laïque contre la France.

                Le site Maurras.net ( http://maurras.net/ ) a ressorti récemment deux textes de Maurras, portant sur l'Enseignement. Le premier est de 1928 et il nous a paru intéressant de le relire, accompagné d'une déclaration du Ministre de l'Education nationale faite en... 2010, et mis en note, plus bas, en fin d'article (1). Car si, dans l'article de Maurras, on voit apparaître un précurseur du chèque scolaire, on verra que l'idéologie dénoncée par lui en 1928 reste bien installée aujourd'hui dans le Pays Légal, qui n'entend pas, sur ce point, reculer d'un pouce.

                La comparaison des deux textes est donc éclairante, et pleine d'enseignements....

                L'article de Maurras est paru dans l’Almanach de l’Action française pour 1928, et s'intitule L'Ecole laïque contre la France.

                Le site l'accompagne d'un petit commentaire, dont voici quelques extraits : « ...On pourrait négliger ce fait, d’ailleurs patent, que cette école est une très mauvaise école. Du point de vue de la justice, il suffit pour condamner cette école que, enseignant la doctrine de quelques-uns, elle soit payée par tous et obligatoire pour tous, en particulier pour ceux qui n’ont aucun moyen de se défendre contre ses inventions, ses conjectures, ses frénésies et ses fanatismes. »

                Sans doute les insuffisances morales ou simplement intellectuelles de l’école de Jules Ferry sont présentées avant tout par Maurras : sa fausse neutralité qui en fait l’église ou du moins la salle paroissiale du culte républicain, sa vision de l’histoire qui est anti-nationale jusqu’à l’incohérence, et jusqu’à son élitisme masqué derrière la gratuité puisque seuls les enfants des bourgeois assez riches pour prendre soin par ailleurs de l’éducation de leur progéniture peuvent prétendre échapper à son influence.

                C’est en politique justement qu’il tire la seule leçon qui vaille, et pense à frapper cette école au seul endroit qui lui serait douloureux : cette école républicaine, républicaine militante, n’a pas à être payé par ceux qui ne sont pas républicains".

                L’article est accompagné dans l’Almanach du portrait de Charles Maurras reproduit ci dessous, et d’un fac-similé de sa signature, reproduit en fin d'article.

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    L'École laïque contre la France

    Un système d'abêtissement

     

    Il faut en finir avec le carnaval de la liberté de l'esprit.

    Il faut en finir avec la plus sournoise mais la plus odieuse oppression intellectuelle qui ait pesé sur un pays.

    Il faut en finir avec la théocratie kantienne et roussienne qui accable écoliers et contribuables français.

    Il y avait autrefois, en France, deux livres de classe, très inégalement respectables, d'une antiquité inégale, d'une popularité inégale aussi en fait comme en droit, mais qui représentaient ensemble la somme de l'esprit national. C'étaient le Catéchisme diocésain et (l'adjonction est de Nisard ) les Fables de La Fontaine.

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    Le catéchisme propageait tout l'essentiel de la morale et de la religion, il apprenait aux bambins ce qu'il faut faire et ce qu'il faut éviter, et comment et pourquoi ; le pourquoi naturel et le pourquoi surnaturel, la raison du devoir, la sanction du devoir, et ces précisions réalistes n'empêchaient pas d'entrouvrir à l'intention des âmes les plus fines, ou peut-être, en vue des moments les plus heureux des âmes communes, le royaume supérieur de la grâce et du pur amour. Le curé de village qui enseignait ainsi la morale et la foi philosophait pour toute l'âme. Il en intéressait toutes les parties basses, moyennes ou sublimes. Ainsi agissait-il. Ainsi obtenait-il des résultats spirituels et moraux dont toute la vie de notre France témoigne. Mais l'école laïque a supprimé le catéchisme. Elle l'a remplacé. Elle a substitué au catéchisme le manuel de morale laïque. Elle a substitué à la morale catholique ce stoïcisme germanique de Rousseau et de Kant, qu'il est bien permis d'appeler le dégoût solide et durable de toute raison, l'écœurement fondamental de toute intelligence claire et de tout esprit bien constitué, le haut-le-cœur essentiel du simple bon sens. Le bien pur pour le bien sec ! Le devoir de croire au devoir ! L'absolu désintéressement « sur la terre comme aux cieux » à la racine de tous les actes méritoires ! La vertu si cruellement escarpée qu'il n'y ait d'autre accès vers elle que l'hypocrisie. Et, par bonheur, trop de pathos et de charabia pour être assimilé même en surface non seulement par les enfants, mais par leurs maîtres ! Au total, une fois sur dix, éducation pervertie, neuf fois sur dix, néant d'éducation, d'où il résulte que le « petit sauvage » demeure inéduqué et qu'il se produit un formidable développement de criminalité dans l'enfance et dans la jeunesse.

    Il est vrai que l'école laïque ne s'est pas contentée de détourner au profit du manuel le catéchisme, elle lui a sacrifié aussi les Fables, elle a écarté aussi le répertoire exquis du bon sens national. Toute cette sagesse, toute cette malice, toute cette réflexion matoise et profonde a dû céder à des sentences utopiques, dans lesquelles le monde se conçoit renversé sens dessus dessous.

    De là, un prodigieux abêtissement.

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    Le paysan et le pâtre d'il y a septante-sept ans voyaient peut-être voler dans la nuit de Noël des angelots joufflus et des étoiles surnaturelles, mais ils savaient parfaitement à quelle catégorie particulière appartenaient ces êtres d'élite et d'exception : ils n'en concluaient pas au bouleversement des rapports naturels ni des rapports sociaux, ils ne croyaient pas au pouvoir international d'un programme de député, et l'idée que la guerre ou tout autre fléau pût être terminé par le tribunal à Genève n'entrait pas dans leur imagination. Ni la foi ni la poésie n'y faisait de tort au bon sens.

    Il n'en est plus de même, le Manuel a mêlé le Ciel et la Terre. Les fables vraies, les justes fables de La Fontaine qui gardaient et qui défendaient, ont cédé aux fables menteuses et niaises, aux fables qui livrent et trahissent, les fables de Léon Bourgeois et d'Édouard Herriot. Et le pis est que ce malheur n'est pas, comme pourrait le croire l'historien de l'an 3000, un résultat involontaire et inconscient d'une aveugle dégénérescence de race. Il est voulu. Il est visé. Il est systématiquement poursuivi. Nous payons pour qu'il soit touché. Une part de nos contributions annuelles est portée à l'État pour que, à chaque petit Français qui atteint l'âge d'aller à l'école, des sommes soient versées, des frais soient faits pour lui ôter des mains le catéchisme, lui rendre les Fables suspectes et lui imposer, avec toutes les marques et estampilles de l'État, le stupide petit Manuel qui lui enseignera de véritables billevesées sur la nature essentielle du réel et du possible, du bien et du mal !

     

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    Une religion d'État

     

    Tout le régime d'enseignement désigné sous le nom de laïcité représente un système complet d'embrigadement et de domestication des intelligences et des consciences populaires. Hors du peuple, dans les classes aisées, moyennes et supérieures, il y a des voies ouvertes toutes grandes pour échapper à cette trituration administrative des cervelles et des cœurs selon le procédé de Rousseau et de Kant qu'imposa la bande des huguenots sectaires et des kantistes bismarckiens qui entouraient Jules Ferry vers 1880 ! Un fils de famille bourgeoise a chance d'apprendre une autre morale que la prétendue éthique indépendante et ses burlesques fariboles : un enfant du peuple, non. Le pauvre petit avalera Rousseau et digérera Kant mis en pilules de la marque Buisson-Pécaut-Monod et Cie. Il n'aura pas le moyen de recevoir une autre éducation, ces sottises lui seront imposées par la loi de l'État, et avec l'argent de l'État, c'est-à-dire notre argent à tous. La secte kantienne et roussienne ne paye pas des établissements pour propager ses chimères anticatholiques et anticritiques, lesquelles sont aussi, par-dessus le marché, tout à fait anarchiques. Ce groupe s'est emparé de l'État, il s'y est installé, et c'est de là, par là, que sa marchandise anti-intellectuelle s'écoule.
                                                                     Sous la laïcité, le laïcisme..., haine du catholicisme.

     "...Jules Ferry dit vouloir "organiser l'humanité sans roi et sans Dieu". C'est d'abord sur le terrain de l'école que les Républicains engagent le combat...." ("Un Prince français", Chapitre 6, Foi, page 118).

    Que mon lecteur ne se fâche point des épithètes un peu rudes. Elles sont au-dessous de la vérité. Toute la France finira par savoir quel mécanisme d'abrutissement (et aussi quel instrument de démoralisation), constitue la morale rousso-kantienne dans l'enseignement primaire. Cela tue le pays. Cela tue l'esprit du pays. L'Université le sait bien, et tout ce qui pense dans l'Université, enseignement secondaire et supérieur. Mais cette haute Université est bâillonnée. Elle ne peut parler. Elle est d'État. L'État la tient et il la tue, comme il est en train de tuer, cet État républicain, toute bonne chose française.

    On le voit, c'est à un point de vue national, au point de vue de l'intelligence non confessionnelle, comme à un point de vue de simple moralité effective, que je me place pour éclairer le pays sur la véritable réalité du laïcisme : ce régime, cet État, est un régime de théocratie ou de sacristie, tous les mots d'ordre secret y sont d'ordre religieux et une dogmatique implicite y est imposée à ses adhérents de cœur et d'esprit, à ceux, qui ont véritablement reçu l'initiation aux derniers mystères, ou qui doivent voir, comme ils disent, la lumière du trente-troisième appartement .

    On me dira :

    — Quelle dogmatique ? Quelle idée enfermée dans ce dogme ?

    Je réponds :

  • Homélie de la messe de requiem pour le Roi Louis XVI, par le père Xavier Manzano

                Une basilique pleine de fidèles, à Marseille, comme en bien d’autres villes de France, en ce soir du 21 janvier 2009, pour la messe de 19h célébrée à la mémoire du Roi Louis XVI et des défunts de sa famille.

                Avec la participation de nombreux élus de la ville de Marseille, dont M. André Malrait, représentant M. Jean-Claude Gaudin, les Chevaliers et Dames du St Sépulcre, et les Chevaliers de l'Ordre de Malte.

                La cérémonie est présidée par Mgr Jean-Pierre ELLUL, recteur de la basilique du Sacré-Coeur, en présence de Mgr Matthieu Aquilina et du Père Xavier Manzano qui donna l'homélie reproduite ci-dessous.

              

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                « J'ai été appelé deux fois au conseil de celui qui fut mon maître, dans un temps où cette fonction était ambitionnée de tout le monde : je lui dois le même service lorsque c'est une fonction que bien des gens trouvent dangereuse. » C’est en ces termes que M. de Malesherbes s’explique lorsque, contre toute attente, il rentre d’émigration et vient proposer ses services au Roi Louis XVI, mis en accusation devant la représentation nationale. Derrière ces quelques mots, nous pouvons voir une conscience en action. Et peut-être pouvons-nous conjecturer que le vieux ministre avait été touché par l’attitude de son Roi.  

                   Car Louis XVI ne se faisait aucune illusion sur son sort. Il le dira très clairement à M. de Malesherbes : « Votre sacrifice est d'autant plus généreux que vous exposez votre vie et que vous ne sauverez pas la mienne. » Dès lors, la question n’est plus de savoir s’il peut sauver sa vie mais comment et pourquoi il doit mourir. C’est en ce sens qu’il veut faire de sa vie et de sa mort un sacrifice et, osons le mot, un martyre. Il est possible, certains commentateurs n’ont pas hésité à le faire, à se gausser de termes aussi peu dans le vent et d’y voir la résurgence d’un christianisme bien noir. D’autant plus que le mot « martyre », hélas, a récemment été confisqué ou employé pour qualifier de sombres terroristes qui sont pourtant au rebours de ce que ce terme signifie réellement. Le vrai martyre est toujours en fait une question de conscience. Il s’agit en effet de savoir si l’on préfère perdre son âme plutôt que sa vie. Il s’agit de se décider lorsque l’on met en balance la sauvegarde de sa vie et la fidélité à la mission reçue. Il s’agit en somme si la vie vaut la peine d’être continuée, à partir du moment où l’on devrait abandonner et piétiner ce que l’on a de plus cher et de plus précieux au monde, sa conscience, ce qui nous fait être homme, ce qui nous rend image et ressemblance de Dieu.

                 C’est bien cela qui est en jeu dans la vie entière de Louis XVI, mais plus singulièrement encore dans ses derniers jours terrestres. Il a reçu sa mission politique comme une vocation qui engage tout son être. Une vocation qu’il sait difficile et dangereuse puisqu’il n’hésitera pas à la qualifier de « malheur » dans son testament. Mais une vocation que, dans sa conscience de chrétien, il conçoit comme une donation de lui-même, une donation qui doit aller jusqu’au bout. Et c’est sans doute ainsi que nous pouvons comprendre qu’il a pu donner une dimension « politique », au sens noble du terme, à son procès et à sa mort. Déjà, dans la Déclaration que Louis XVI rédige le 20 juin 1791 à l’adresse de tous les Français, au moment de la fuite à Varennes, il fait un bilan très sombre mais très lucide de l’état du pays, nous peignant un système constitutionnel très élaboré, sans doute, mais impuissant à empêcher les pressions exercées sur les consciences par des groupes privés, on dirait aujourd’hui des lobbies, pratiquant avec un art consommé l’intimidation et la désinformation. Lorsque la cité et les consciences sont livrés en pâture à ce genre d’actions, lorsque la vie politique ne joue plus son rôle de défense et de promotion des consciences personnelles, lorsque la formalité juridique, fût-elle démocratique, n’est plus qu’un jeu et un masque, la question vient immédiatement, je la tire des Psaumes : « que peut faire l’homme juste ? »

                 Quand le Pape Jean-Paul II proclama Saint Thomas More, le chancelier du roi d’Angleterre Henri VIII, patron des hommes politiques, il n’avait, je pense, pas d’autre question en tête. Il entendait montrer que la conscience, entendue comme « le centre le plus secret de l’homme et le sanctuaire où il est seul avec Dieu dont la voix se fait entendre dans ce lieu le plus intime »[1][1][1], est la voie ultime par laquelle l’homme reste homme et témoigne « de la primauté de la vérité sur le pouvoir »[2][2][2]. Le grand Pape, qui avait affronté jeune la persécution du nazisme et qui avait vécu dans ces démocraties dites « populaires », de sinistre mémoire, savait que la conscience personnelle est ce qui unit les hommes entre eux et les empêchent de devenir des bêtes. Il savait que des institutions politiques peuvent considérer, dans leur délire tyrannique et idéologique, l’existence de cette instance comme une menace à leur propre domination. Il savait qu’il existe au fond de l’être humain une voix que l’on ne peut dompter et qui est celle du bien. Il savait surtout que la meilleure résistance à toute forme d’oppression et d’arbitraire vient de la fidélité inébranlable à cette conscience où Dieu réside et parle.

     

                C’est peut-être ainsi que nous pouvons comprendre le « sacrifice » consenti par Louis XVI. Sa seule indignation, au cours d’un procès pourtant inique, fut lorsqu’on l’accusa d’avoir répandu le sang du peuple. C’est-à-dire lorsqu’on chercha à salir sa conscience. C’est par fidélité au lourd fardeau qu’il avait reçu et à l’idée qu’il en avait qu’il a souhaité aller jusqu’au bout et en assumer toutes les conséquences. Son testament d’homme, sa fidélité à sa famille et à la foi, tout cela n’est pas à séparer de sa mission politique : c’est plutôt le combat d’une conscience qui clame, « au nom de la primauté de la conscience, de la liberté de la personne par rapport au pouvoir politique »[3][3][3]. Il met sa conscience au-dessus même de la conservation de son pouvoir et cela a une intense signification « politique ». Oui, frères et sœurs, ce n’est pas parce qu’un système constitutionnel fonctionne formellement qu’il est légitime au regard de l’être humain qu’il prétend servir. Pour cela, il doit se faire le serviteur de la conscience personnelle et y chercher ce « supplément d’âme » qui lui permettra de vraiment chercher le bien commun qui est aussi le bien de chacun.

                 Chers amis, nous savons bien que la mission politique, si elle a besoin de principes forts, ne les invente pas et ne s’y résume pas. C’est un art de la sagesse et de la nuance qui exige, non pas les compromissions ou les manipulations, mais un engagement de conscience que Benoît XVI n’hésitait pas à qualifier de « charité politique ». Autrement dit, c’est une question d’amour, oui, et Louis XVI peut nous montrer, à la suite de beaucoup d’autres, que cet amour, qui sait ce que c’est qu’un être humain et le respecte jusqu’au bout, peut aller jusqu’à l’effusion du sang. C’est cela qu’on peut attendre d’un homme vraiment juste. C’est la route que le Christ nous a ouverte.

                 Lorsque Louis XVI retourna au Temple après sa mise en accusation devant la Convention Nationale, il eut faim. Il demande un morceau de pain au procureur-syndic de la Commune de Paris, Chaumette, peu connu pour sa modération. Celui-ci le lui donna. « Louis XVI mange lentement la croûte de son pain. Comme la mie l'embarrasse, le greffier du maire la prend et la jette sur la chaussée.

    - Oh, c'est mal de jeter ainsi le pain, dit le roi, surtout dans un moment où il est rare.

    - Comment savez-vous qu'il est rare? demande Chaumette.

    - Parce que celui que je mange sent un peu la terre.

    Chaumette observe gravement.

    - Ma grand'mère me disait toujours: «Petit garçon, on ne doit pas perdre une mie de pain, vous ne pourriez en faire venir autant. »

    - Monsieur Chaumette, murmure Louis XVI, votre grand'mère était, à ce qu'il paraît, une femme de grand sens. »

                 Derrière ce dialogue apparemment banal et pourtant d’un grande profondeur, on sent que Chaumette, en regardant Louis XVI et devant cet élément si symbolique du pain, est, pour un moment, arraché à l’idéologie et rendu à son humanité. C’est lorsque les regards se croisent et que les consciences se rencontrent que les hommes sont rendus à eux-mêmes. Etre fidèle à la mémoire de Louis XVI, c’est peut-être se souvenir de cela et en vivre pour Dieu puisse reconnaître en nous les fils qu’il s’est choisis. 

     

    Abbé Xavier Manzano,

    Vicaire à la basilique du Sacré-Coeur,

    Directeur des Etudes à l'ISTR et à l'ICM de Marseille.

  • HISTOIRE • Pierre Nora : « Vers une sorte de réaction conservatrice »

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    Pierre Nora appartient à ce que Régis Debray appelle la « haute intelligentsia », qui tend aujourd'hui, sinon vers la droite politique, du moins, selon ses propres termes, vers une sorte de réaction conservatrice. Il convient, à travers un ensemble d'intellectuels somme toute assez différents, d'en saisir toutes les nuances. Pierre Nora en est l'un des acteurs importants. Il est l'un des protagonistes de cet avenir de l'intelligence française dont parlait Maurras et dont, nous savons l'influence qu'il peut exercer sur le destin national. National et au delà. LFAR.   

    L'académicien Pierre Nora revient sur la polémique autour des nouveaux programmes d'histoire. Une controverse qui traduit, selon lui, une profonde crise identitaire.   

    LE FIGARO: Le débat sur la réforme du collège a été très tendu. Que révèle-t-il de notre société ?

    Pierre NORA: Ce qui frappe, c'est l'emballement progressif à partir d'une mesure qui paraissait un simple ajustement à la société déjà décidé de longue date. En fait, cette réforme du collège a été une étincelle qui a mis le feu aux poudres. Un peu comme la décision du mariage pour tous (qui paraissait aussi une mesure « évidente ») a réveillé un volcan dans les profondeurs de la société. Entre ces deux épisodes du quinquennat de François Hollande, il y a quelque chose de semblable. Le mariage pour tous concerne la famille, la réforme du collège a fait prendre conscience aux Français du naufrage où plongeaient l'école et l'enseignement depuis vingt ou trente ans. Or la famille et l'école sont ce qui reste quand il n'y a plus rien. Malgré la décision d'application destinée à couper court, le problème demeure. C'est la grande vertu de cette réforme du collège et de la polémique qu'elle a déclenchée : une prise de conscience collective.

    Vous êtes depuis longtemps l'un des acteurs et observateurs de la vie intellectuelle en France. Considérez-vous qu'elle s'est détériorée ces dernières années ?

    Peut-être le débat s'est-il déplacé des enjeux idéologiques et politiques vers des enjeux biologiques, scientifiques, et climatiques, mais pour ce qui est de la vie intellectuelle en général, on ne peut malheureusement que constater un rétrécissement des horizons et des curiosités. Depuis le déclin et la fin des grandes idéologies rassembleuses. Il y a aussi certainement une atomisation de la vie de l'esprit, où chacun travaille dans sa discipline, sans qu'aucun courant ne réunisse les milieux de pensées isolés. Il y a aussi, à coup sûr, une provincialisation nationale, qui résulte du recul de la langue française à travers le monde, comme en témoigne le nombre très faible des traductions à l'étranger.

    Ma discipline, l'histoire, qui, il y a trente ans, était la curiosité du monde entier, est devenue la cinquième roue de la charrette internationale. Nous payons l'effondrement du système universitaire, qui était le terreau de la vie intellectuelle. Cela nous ramène à la question du collège. C'est-à-dire la grande incertitude sur le message éducatif. Cela étant, s'il n'y a plus de grands courants unificateurs, il me semble que l'on observe deux orientations principales de la vie intellectuelle. Une radicalisation à gauche, dans ce que Régis Debray appelait « la basse intelligentsia », et une orientation de la « haute intelligentsia », sinon vers la droite politique, du moins vers une sorte de réaction conservatrice. 

    Le culte de l'instant est le contrairede la mémoire. Sommes-nous en train de perdre la mémoire ?

    Je dirais tout l'inverse. Nous vivons au contraire sous l'empire de la mémoire et même la tyrannie de la mémoire. Ce phénomène est lié à la dictature du présent. À quoi est-ce dû ? Essentiellement à ce qu'on a appelé « l'accélération de l'histoire ». Le changement va de plus en plus vite dans tous les domaines et nous coupe de tout notre passé. Cela ressemble à ce qui s'est passé au lendemain de la Révolution française, le basculement qui a fait baptiser tout le passé de la France sous le nom d'« Ancien Régime ». La coupure du monde contemporain dans les années 1970-1980 a été plus sourde, mais plus radicale encore. L'arrivée d'un monde nouveau nous a brutalement arrachés au passé, aux traditions, au sentiment de la continuité, à une histoire avec laquelle nous étions de plain-pied, dont on héritait et qu'on cherchait à transmettre. Ce régime a disparu au profit du couple présent-mémoire. Nous sommes dans tous les domaines sollicités, pour ne pas dire condamnés à la mémoire. Un exemple entre mille : ces chefs d'entreprise qui ne voulaient entendre parler que de l'avenir se sont mis à engager des archivistes, à collectionner leurs produits anciens. Les archives elles-mêmes sont moins fréquentées par les historiens que par les familles en quête de leur généalogie. Toutes les institutions de mémoire se multiplient, à commencer par les musées. Les expositions temporaires débordent de visiteurs. Et nous vivons une inflation de commémorations, qui sont l'expression ultime de cette transformation de l'histoire en mémoire.

    Les « panthéonisations » de grandes figures (comme celles qui ont eu lieu mercredi 27 mai) participent-elles de l'histoire ou de la mémoire ?

    De la mémoire, bien sûr, et typiquement, puisqu'elles relèvent de la décision politique. Mais la panthéonisation charrie en général beaucoup d'histoire dans son contenu. Du reste, une fois que l'on a établi la différence entre les deux instances, l'histoire et la mémoire, il faut inversement montrer comment elles se nourrissent l'une de l'autre.

    Pourtant, l'histoire attire les foules (parcs d'attractions, émissions de radio et de télévision, livres, séries télévisées, patrimoine), comment expliquez-vous ce paradoxe ?

    Justement, ce qui se met en place et surtout chez les jeunes, c'est un rapport tout nouveau au passé. L'histoire se cherche et même se perd, mais le passé est partout, écrasant. Dans la littérature, Les Bienveillantes, de Jonathan Littell, en sont un exemple majeur, suivi par beaucoup d'autres. Au cinéma, de Gladiator, par exemple, à Marie-Antoinette, et jusque dans les séries télévisées sur Rome, les Borgia ou bientôt sur Versailles. L'histoire, qui était un lien collectif, se transforme en une mémoire individuelle, affective. Elle subit une appropriation par chacun d'entre nous qui entretient avec le passé un rapport parfois accusateur (dans le culte de la repentance), parfois imaginatif et merveilleux (comme en témoigne l'explosion de la fantasy, qui va du Seigneur des anneaux à Game of Thrones). Le passé est appréhendé comme le merveilleux ou le diabolique de nos sociétés démocratiques. Peut-être même que ce rapport ludique et subjectif au passé est l'une des marques de l'infantilisation du monde. Le passé épouse chaque jour un peu plus les caractéristiques du jeu vidéo.

    « La France traverse une crise identitaire profonde, une des plus graves de son histoire » avez-vous affirmé. Pourquoi ?  

    Cette crise est grave, justement, parce qu'elle n'apparaît pas à l'œil nu. C'était, en revanche, le cas des guerres de Religion, de la Révolution, des autres phénomènes bruyants de notre histoire. La crise contemporaine va plus loin. Quelques éléments très simples en témoignent. La France a été pendant des siècles un pays profondément paysan et chrétien. Le taux de la population active dans l'agriculture est aujourd'hui de moins de 2 %. Vatican II a signalé et accéléré une déchristianisation évidente.

    La France était un pays attaché à sa souveraineté. Elle a éclaté depuis une trentaine d'années vers le haut et vers le bas : insertion difficile dans un ensemble européen, forte poussée décentralisatrice. La fin de la guerre d'Algérie a mis un terme à la projection mondiale de notre pays. La faiblesse de l'État central a fait le reste. En outre, la pression migratoire alimente l'inquiétude de nos concitoyens. Ce n'est pas en soi l'immigration qui fait problème, mais l'arrivée massive d'une population pour la première fois difficile à soumettre aux critères de la francité traditionnelle. Enfin, la France a constamment été en guerre, c'était une nation militaire ; elle est peut-être aujourd'hui « en danger de paix ». Bref, nous vivons le passage d'un modèle de nation à un autre.

    Nostalgie du récit national, de la chronologie, des grands hommes, un peuple a-t-il besoin de mythes ?

    Le système d'information dont la dialectique binaire interdit toute nuance réduit le partage des historiens entre, d'un côté, les partisans du roman national à restaurer et, de l'autre, l'ouverture à une histoire que la pression de la mémoire coloniale a rendue culpabilisatrice. Je ne me reconnais dans aucun de ces deux camps. On assiste aujourd'hui, c'est un fait, à une offensive des avocats d'une restauration du « roman national ». Ce « roman national », dont on m'attribue généreusement la paternité de l'expression, est mort, et ce ne sont pas des incantations qui le ressusciteront. Il exprime une histoire qui ne se fait plus depuis trois quarts de siècle, depuis les Annales. Si roman il y a, il lui faut une belle fin, un happy end. Or, si l'on suit Lavisse, « le maître » du roman national, ce dernier s'achève après la victoire de 1918. Depuis, l'histoire de France a connu nombre de défaites militaires, une baisse d'influence à travers le monde, un chômage envahissant, un avenir d'inquiétude. Inversement, l'histoire globalisée est nécessaire à l'heure de la mondialisation, mais elle dissimule le plus souvent la revendication d'une histoire écrite seulement du point des vues des victimes, et purement moralisatrice, puisqu'elle déchiffre le passé à travers la grille des critères moraux du présent. Ce qu'illustrent les mots choisis dans le programme d'histoire en 4e et 3e « Un monde dominé par l'Europe : empires coloniaux, échanges commerciaux et traites négrières.» La « domination », condamnable, a remplacé l'« expansion », dont la domination n'est que l'un des effets. Les empires coloniaux sont nés des rivalités entre nations européennes ; quant aux traites négrières, si atroces qu'elles aient été, elles ne sont pas le trait principal des XVIIe et XVIIIe siècles ; mais leur étude est un des effets de la loi Taubira… Nous sommes face au péché de moralisme et d'anachronisme où Marc Bloch voyait la pire dérive du métier d'historien.

    Que répondre à un jeune de 20 ans qui considère que l'histoire ne sert à rien ?

    Lui dire que l'histoire a l'air de ne servir à rien parce qu'elle sert à tout. Qu'elle est au collectif ce que la mémoire est aux individus. Si vous perdez la mémoire, vous savez ce qui arrive. L'Alzheimer historique ne vaut pas mieux que l'Alzheimer cérébral. 

     

    Pierre Nora est un historien français, membre de l'Académie française, connu pour ses travaux sur le « sentiment national » et sa composante mémorielle. Il a notamment dirigé l'ouvrage collectif: Les lieux de mémoire.

    Entretien par Vincent Tremolet de Villers - Figarovox    

     

  • Société • Gilles Kepel : « L'attentat de Westminster sonne le glas du rêve communautariste britannique »

     

    Répondant ici aux questions d'Alexandre Devecchio pour Figarovox [25.03] Gilles Keppel revient sur l'attentat de Londres. Pour lui, les attentats qui frappent le sol européen pourraient être annonciateurs d'une fracture sociale à grande échelle. On en retiendra l'aggravation des problèmes que pose la présence de fortes communautés musulmanes sur le sol français et européen. Et leur traduction du point de vue des nations et des Etats. Aurons-nous affaire à une reféodalisation de l'espace européen ? LFAR 

     

    1630167502.jpgUn attentat terroriste revendiqué par l'État islamique a fait trois morts à Londres ce mercredi. Après la France et l'Allemagne, c'est donc l'Angleterre qui est visée par Daech. Que cela dit-il de l'évolution du terrorisme islamiste en Europe ?

    Les Britanniques se sont un peu endormis sur leurs lauriers depuis les attentats de Londres de juillet 2005. À l'époque, les terroristes étaient passés par les camps de formation du Pakistan, mais étaient nés et avaient grandi en Angleterre. Cela marquait une rupture par rapport aux attentats du 11 septembre ou de Madrid commis par des étrangers ou des immigrés de passage. C'était le début de la transition entre la phase pyramidale du djihad et la phase indigène européenne. Bien qu'Ayman al-Zawahiri, le chef d'al-Qaïda, s'était réclamé de cette opération, elle s'était produite alors qu' Abou Moussab al-Souri venait de théoriser cette année-là le djihad de troisième génération à bas coût. Dans son « appel à la résistance islamique mondiale », ce dernier prévoyait de faire de l'Europe le ventre mou de l'Occident et la cible par excellence des attaques terroristes. Depuis lors, le Royaume-Uni a mené une politique de prévention, mais aussi de dévolution de quartiers entiers aux islamistes, tolérant notamment les tribunaux islamiques, dans le but d'acheter la paix sociale. Birmingham où vivait l'auteur de l'attentat de Wesminster, Khalid Masood, est l'illustration de cette politique.

    deux-tchadors.jpgLe fameux quartier de Small Heath, où près de 95% de la population est musulmane, se voulait le contraire absolu du modèle français laïque et universaliste. En confiant à des salafistes la gestion de l'ordre public et de la communauté, les autorités britanniques espéraient ne pas avoir à affronter un djihadisme qui en France serait, selon eux, exacerbé par une gestion laïque de la société. L'attentat de Wesminster sonne le glas de cette illusion comme les attentats de 2005 avaient sonné le glas de ce qui était à l'époque le Londonistan, c'est-à-dire la politique de refuge systématique à Londres de tous les dirigeants de la mouvance islamiste internationale arabe. La différence, c'est qu'à Birmingham, il y a peu d'arabes, mais essentiellement des Indo-Pakistanais. Khalid Masood lui était un jamaïcain converti à l'islam. L'âge de ce dernier, 52 ans, est frappant. Cela indique que son acte n'est pas le rite de passage par la violence d'un jeune non intégré, mais le geste de quelqu'un qui a été socialisé très longtemps par une contre-société. Khalid Masood s'est probablement construit contre la société britannique et a choisi de passer à l'acte. Ce qui frappe également, c'est le mode opératoire qui rappelle celui des attentats de Nice et Berlin : un véhicule à vive allure qui fauche des piétons. Il s'agit d'un djihadisme low-cost absolu qui peut passer sous les radars de la police. On remarque enfin que l'attentat visait le parlement symbole par excellence de la démocratie européenne. Ironie volontaire ou involontaire pendant la cession où le parlement discutait du Brexit. L'agenda terroriste est ainsi venu percuter l'agenda politique institutionnel contraignant le processus à s'interrompre, les députés à être enfermés et le Premier ministre à être évacué en urgence.

    Le fait que Londres soit dirigé par un maire musulman a-t-il joué un rôle dans cet dérive communautariste ?

    Les autorités britanniques ont considéré que le fait d'avoir un maire musulman, qui de surcroît a été proche par le passé d'organisations islamistes dans la mouvance des Frères musulmans, permettrait de mieux contrôler les réseaux et d'éviter la violence. Cependant Sadiq Khan apparaît comme un traître pour les plus radicaux. De manière générale, c'est une illusion que de penser que les accommodements raisonnables peuvent apaiser une société. Au contraire, ils favorisent la fracture. Le cas de la Hollande est paradigmatique puisqu'aux Pays-Bas l'exacerbation multiculturaliste s'est traduite en une xénophobie tout aussi virulente.

    La France n'a donc pas été visée spécifiquement à cause de son modèle universaliste et laïc…

    La laïcité, le passé colonial et le chômage de masse en France sont des facteurs aggravants, mais en aucun cas structurants. Et l'Allemagne, qui n'a pas de passé colonial, un modèle où la religion est reconnue, et le plein-emploi, pouvait sembler à l'abri, elle ne l'est plus, notamment parce que le modèle a changé du fait de l'afflux de migrants. On peut aussi penser qu'à l'avenir l'immigration turque, qui est bien intégrée depuis longtemps en Allemagne, ne pourra pas rester à l'abri des soubresauts que connaît son pays d'origine avec la politique d'Erdogan qui tente de mobiliser les foules en Europe.

    Il faut aussi noter qu'en France depuis le 26 juillet 2016 et l'assassinat du père Jacques Hamel, les services de renseignements ont fait des progrès considérables en cassant le réseau Télégramme, en arrêtant préventivement les gens susceptibles de passer à l'acte, en tuant le « contremaître des attentats » de 2016 Rachid Kassim abattu par un drone américain il y a deux mois. Cela a rendu plus difficile aujourd'hui la perpétration d'attentats sur le territoire français.

    La France est une cible plus difficile aujourd'hui comme on peut le voir sur les réseaux en ligne où les djihadistes français considèrent qu'ils subissent aujourd'hui une épreuve. Beaucoup décident ainsi de se renfermer dans l'étude en attendant que la situation soit meilleure. C'est ce qu'on appelle dans la stratégie islamique théorisée à l'époque du prophète: la phase de faiblesse par rapport à la phase de force pendant laquelle il faut se ressourcer et ne pas se lancer dans des opérations suicidaires qui se retournent contre elles. C'est ainsi que le bilan des attentats de 2016 a été fait par un certain nombre de dirigeants de l'État islamique comme le montre le testament très amer de Rachid Kassim qui incrimine la hiérarchie de l'État islamique pour ne pas l'avoir soutenu. De ce fait, Allemagne, Belgique, Hollande, Angleterre ou peut-être demain Italie où les services de renseignements sont beaucoup moins aguerris, car ils n'ont pas été confrontés aux attentats depuis 2012, apparaissent comme des cibles plus aisées aujourd'hui.

    Quid de l'attaque d'Orly ou de celle du Louvre ?

    L'attaque d'Orly n'a pas été revendiquée par Daech. Elle est symptomatique d'un terrorisme low-cost qui n'est même plus contrôlé par des réseaux. L'individu avait déjà été arrêté pour braquage et trafic de stupéfiants et a fréquenté des islamistes en prison. Ces derniers expliquent aux délinquants que leurs crimes crapuleux sont en réalité un combat contre l'impiété, un djihad. Ziyed Ben Belgacem, l'auteur de l'attentat raté d'Orly, a habillé de références religieuses son banditisme. Il agresse au nom d' Allah, se réclame de l'islam lorsqu'il passe à l'acte, a un Coran dans son sac à dos, mais aussi des cigarettes, est sous l'emprise de l'alcool et consomme de la cocaïne. Ziyed Ben Belgacem peut ainsi être considéré comme «un mélange individuel détonnant», le «produit dérivé» d'un djihadisme plus structuré. Ce type de djihadisme est d'autant plus dangereux pour la société qu'il est difficile à déceler, mais fait généralement moins de dégâts. Son attaque a été un échec. Il a été abattu comme le djihadiste du Louvre il y a quelque semaines.

    En outre ce type de terrorisme est inefficace politiquement car il ne permet pas la mobilisation des masses. Les défaites que subit «le califat» sur son territoire sont un facteur anxiogène et dépressif pour les djihadistes. Nous ne sommes plus dans la logique triomphaliste d'autrefois, dans la mascarade d'otages torturés, décapités, et qui donnait le sentiment que l'État islamique était dans une «marche triomphale» pour conquérir l'humanité, mais dans l'intériorisation d'une défaite inéluctable, perçue comme une épreuve envoyée par Allah. En conséquence, les djihadistes n'ont plus le temps pour planifier soigneusement des attentats en Europe et tente de mûrir leur réflexion pour après. Nous sommes entrés dans une phase transitoire. Les djihadistes sont en train de réfléchir à la phase suivante.

    « Comment peut-on éviter la partition ?» s'interrogeait Hollande dans un incroyable aveu rapporté par Gérard Davet et Fabrice Lhomme dans leur livre, Un président ne devrait pas dire ça. Plus que le risque terroriste, à terme le risque majeur est-il celui de la partition?

    C'est ce que j'explique dans mon livre La Fracture, (Gallimard 2016). Si rien n'est fait, la société française sera de plus en plus sujette à des rétractions identitaires que ce soit autour du salafisme ou autour de l'idéologie de l'extrême droite. L'acceptation d'une forme de séparatisme, d' « apartheid » comme c'est le cas à Birmingham avec des juges chariatiques qui prononcent des sentences, pose le problème beaucoup plus profond des valeurs. Doit-on insister sur le partage d'un bien commun ou sur nos différences comme c'est le cas au Royaume-Uni où le Brexit est une sorte d'exacerbation de ce phénomène ?

    Le Royaume apparaît plus désuni que jamais comme le montrent les velléités d'indépendance de l'Écosse ou de l'Irlande du Nord, mais aussi la sécession culturelle de certains quartiers ou le sentiment d'abandon de l'Angleterre périphérique. Cet enjeu se pose aussi en France : l'effondrement social et l'échec de l'école font que le processus est en cours. Malheureusement le sujet est tabou aujourd'hui et largement esquivé du débat de la présidentielle. D'un côté le FN dénonce le communautarisme sans voir qu'il exacerbe lui-même la question identitaire. De l'autre côté, la plupart des candidats cachent la tête dans le sable sans que le problème soit analysé comme il le devrait et sans qu'aucune mesure ne soit prise pour enrayer le phénomène. Personne ne veut avouer que la situation dans un certain nombre de quartiers n'est plus maîtrisée. Pourtant, celui qui sera élu devra nécessairement se confronter à cet enjeu. Il faudra poser le problème de l'éducation, de l'apprentissage et de l'emploi. Ce sont des causes structurantes de la désaffection aussi bien d'un grand nombre d'enfants d'immigrés que d'enfants de paysans ou d'ouvriers dits de souche envers ce qu'ils appellent « le système». La superficialité du débat présidentiel s'explique par l'explosion du clivage droite/gauche et l'émergence d'un clivage système/antisystème. C'est une recomposition très profonde dans notre paysage politique derrière laquelle se profile la fracture. 

     
    XVM3e9f2b06-10b6-11e7-9ba8-d43cdbef99cb-120x154.jpgProfesseur à l'Institut d'études politiques de Paris, spécialiste internationalement reconnu du monde arabe et de l'islam, l'auteur de Terreur dans l'Hexagone (Gallimard, 2015) et de La Fracture (Gallimard, 2016) est aussi l'un des meilleurs connaisseurs des banlieues françaises, qu'il a arpentées durant de longues années. En 2010, avec une équipe de chercheurs, Gilles Kepel s'installe à Clichy-Montfermeil où sont nées les émeutes urbaines qui ont embrasé la France cinq ans plus tôt. Il en tire deux livres prophétiques, Banlieue de la République et Quatre-vingt-treize (Gallimard 2012), dans lesquels il montre la montée en puissance de l'islam politique dans les cités difficiles.
     
     
    Alexandre Devecchio           

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    Al.exandre Devecchio est journaliste au Figaro, en charge du FigaroVox. Il vient de publier Les Nouveaux enfants du siècle, enquête sur une génération fracturée (éd. du Cerf, 2016) et est coauteur de Bienvenue dans le pire des mondes (éd. Plon, 2016)

  • Chronique d'une tragédie annoncée

     

    Par le Général (2s) Antoine MARTINEZ

    Le général Antoine Martinez nous a transmis les fort intéressantes réflexions qui suivent, datées du 10 août 2017. Nous en partageons l'esprit et le souci au regard de l'actualité et de l'urgence. Et nous les reprenons in extenso. On ne s'étonnera pas que nous divergions cependant d'avec cette analyse sur trois questions de principe : primo sur les progrès que l'Occident aurait accomplis en tous domaines, au cours des derniers siècles, car si tel était le cas il ne se trouverait pas aujourd'hui dans l'état de faiblesse extrême qui est le sien face à l'invasion démographique et culturelle qui le frappe. Le désordre social, politique et moral qu'il connaît depuis deux ou trois siècles ne peut, selon nous, être considéré comme un progrès. Secondement, nous mettons en doute que les printemps arabes - largement orchestrés de l'extérieur et dont il ne reste presque plus rien aujourd'hui - aient correspondu à un réel désir de démocratie, du moins sous sa forme européenne ou occidentale, de la part des peuples arabes dans leurs profondeurs. Enfin, sur la question des droits de l'homme, aussi, nous divergeons. Non pas que nous niions leur existence en tant que tels, mais parce que sous leur forme idéologique, le droit-de-l'hommisme dominant, ils deviennent un puissant levier contre la cohésion et la capacité de résistance de nos sociétés.  De quoi débattre ! Lafautearousseau    

     

    Quand la Grande Muette prendra la            parole 001 - Copie.jpgIl y a quelques jours, le général italien Vincenzo Santo, interrogé par un journaliste sur la submersion migratoire actuelle, affirmait : « il suffit d'utiliser l'armée pour la mission qui est à l'origine de sa création, celle de défendre nos frontières. Il est tout à fait possible de mettre le holà à cette immigration désordonnée et massive. En quelques jours, l'armée italienne pourrait y mettre fin ».

    Il a parfaitement raison, mais ces propos sont tenus par un officier général, donc un militaire qui comme tout militaire, qu'il soit Italien, Français, Allemand, Espagnol, Belge, Néerlandais, Polonais, Danois, ou Suédois s'est engagé au service de sa patrie pour laquelle il est prêt à se battre. Et il la voit aujourd'hui, pour le plus grand malheur de son peuple, sombrer vers le chaos orchestré par l'irresponsabilité de ses dirigeants politiques inaptes à commander en situation de crise majeure. Car ces dirigeants politiques, et pour nous Français, NOS dirigeants politiques, ne peuvent pas ne pas reconnaître que les propos tenus par ce général italien sont des propos réalistes et de bon-sens. Il suffit, en effet, de vouloir et d'ordonner. Un chef d'Etat responsable doit savoir que l'histoire est tragique mais que gouverner c'est prévoir, anticiper et non pas être soumis à l'événement. En ne sachant pas décider ou en refusant de se déterminer face à l'événement, il ne fait que précipiter la tragédie en marche. Cette catastrophe aurait pu être évitée si, après l'éclatement en décembre 2010 de ce qu'on a appelé « le printemps arabe », des mesures préventives avaient été décidées dès le début de l'année 2011, avec la mise en place d'un « cordon sanitaire naval » face aux côtes libyennes élargi ensuite en Mer Egée, face à la Turquie. Et un général français – au moins un – analysait les conséquences possibles de ce « printemps arabe » et formulait ses inquiétudes dans un éditorial daté du 28 février 2011 (!) qui était transmis à nos parlementaires, députés et sénateurs ! Quelques extraits de ce document prémonitoire sur certains points méritent d'être rappelés ici. La totalité du document est disponible dans l'essai récemment publié aux éditions Apopsix « Quand la Grande Muette prendra la parole » (général A. Martinez), préfacé par Ivan Rioufol. Avec le recul de six années, on constate la faute impardonnable des responsables politiques européens et notamment français qui devraient rendre des comptes. 

    Face à cette révolution du monde arabo-musulman, une nécessité pour les Européens : anticiper ses effets et protéger leurs frontières (Extraits) 

    Une grande partie du monde musulman semble aujourd’hui ébranlée et bousculée dans ses certitudes. Alors que les islamistes proclament que l’islam dominera le monde et qu’ils élèvent le Coran au rang de constitution et la charia à celui de code de justice, un vent de révolte se lève progressivement dans cette frange territoriale qui s’étend du Maroc au Proche et Moyen-Orient. Inattendue, cette révolte qu’aucun expert n’avait prévue ou imaginée peut être qualifiée de véritable révolution qui marquera sans nul doute le XXIe siècle, non seulement à l’intérieur même du monde musulman mais surtout dans ses rapports avec l’Occident et donc avec le monde aux racines chrétiennes.

    … Reconnaissons que l’islam en tant que système politique – car il n’est pas seulement une religion – a prouvé son incapacité à procurer le progrès et le bien-être à ses sujets, maintenant la majorité de ces peuples dans l’ignorance, la pauvreté et le fanatisme. Ce système qui refuse les droits de l’homme au profit des seuls droits de Dieu a des siècles de retard sur le monde réel ce qui a créé un décalage considérable que le citoyen musulman moyen peut aujourd’hui découvrir enfin grâce au développement des moyens de diffusion de l’information et notamment de l’internet. Le résultat ne peut être qu’explosif. Car rejeter pendant des siècles la modernité, les progrès de la science, l’accès à l’éducation et à l’instruction a contribué à instaurer un retard colossal dans le développement de ces peuples et, par voie de conséquence, à entretenir un ressentiment à l’égard de l’Occident qui n’a cessé, lui, de progresser dans tous les domaines.

    ... En réclamant aujourd’hui la liberté et la démocratie, ces peuples révoltés aspirent en fait au bien-être, comme tout être humain libre, et finalement aux valeurs et principes défendus par l’Occident. Ils reconnaissent de fait l’universalité de ces valeurs. On assiste ainsi paradoxalement mais objectivement au triomphe des valeurs portées par la pensée chrétienne à l’origine des droits de l’homme.

    ...Il convient toutefois de rester prudent sur l’évolution du processus en cours et sur ses conséquences impossibles à cerner pour l’instant. Et si cette révolte a surpris tout le monde, les responsables politiques occidentaux, et particulièrement européens, se doivent à présent d’anticiper. Il y a urgence...  il faut être lucide et ne pas accepter de suivre et subir les événements mais les précéder.

    ...L’origine de la révolte est d’ordre social, provoquée par la misère et le chômage, et elle se produit dans des pays conduits par des régimes dictatoriaux ou des monarchies qui n’ont rien à voir avec la démocratie. Cela amène ces derniers à réprimer cette aspiration à plus de liberté avec une violence inouïe pour certains. Ces dictateurs ont maintenu leur peuple dans la pauvreté en stigmatisant l’Occident forcément responsable de leur situation alors que la plupart de ces pays disposent de richesses confisquées par leurs dirigeants. Incompétents, corrompus et irresponsables, ils n’ont rien appris de l’Histoire et leur refus d’accepter l’évidence laisse augurer des lendemains douloureux avec peut-être la mort au bout pour certains d’entre eux ...Mais si les situations des pays concernés sont différentes, des points communs les rassemblent: ces peuples ont été maintenus, pour la plupart, dans la misère et la précarité, sont frappés par des taux de chômage ahurissants et ont été privés jusqu’ici de liberté, notamment d’expression. Le réveil sera donc violent. D’autant plus qu’un autre point commun les caractérise, la démographie, incontrôlée, facteur aggravant et véritable bombe à retardement. L’ensemble de ces points communs doivent rapidement être pris en compte par nos gouvernants, car, alors qu’on aurait pu s’attendre logiquement à ce qu’une partie des Tunisiens installés en Europe et notamment en France rentre au pays après le départ de leur président, c’est un flot de milliers de clandestins tunisiens, poussés par la misère, qu’on a laissé débarquer en deux jours en Europe....Le citoyen européen ne peut pas accepter cela. Imaginons la suite, lorsque les régimes libyen ou algérien auront été balayés. L’Union européenne doit condamner ces dictateurs et aider ces pays mais elle doit vite adopter des mesures concrètes et non pas, comme elle vient de le décider, la création d'un groupe de travail  pour “prendre toute mesure urgente que la situation imposerait”. Des mesures fermes sont justifiées tout de suite par un état d’urgence à décréter en provoquant la réunion d’un Conseil européen extraordinaire. Il convient de coordonner nos moyens et les déployer immédiatement dans des actions préventives et dissuasives de surveillance et de contrôle au plus près des côtes du sud de la Méditerranée et, si nécessaire, d’intervention et de refoulement systématique des clandestins. Renforcer les moyens de contrôle et de refoulement à la frontière entre la Turquie et la Grèce, véritable passoire, est également impératif. Il faut empêcher que ne se réalise le scénario cauchemardesque du “ Camp des saints ” de Jean Raspail. Faire preuve d’attentisme dans ces circonstances serait non seulement coupable mais suicidaire pour nos pays ce qui faciliterait en outre la tâche des islamistes.

    ...De plus, ces organisations islamistes, bien conscientes de l’évolution du monde, ont probablement bien compris que la révolution à laquelle nous assistons aujourd’hui dans les pays musulmans à la périphérie de l’Europe devrait provoquer des changements...ces organisations pourraient donc se radicaliser encore plus et tenter de provoquer le chaos là où elles le peuvent. Et le territoire européen ne sera pas épargné car ces islamistes y sont bien implantés et ils pourraient être beaucoup plus actifs et dangereux...On le voit donc, la situation est volatile et il est impossible pour l’instant de prédire non pas le futur mais le simple avenir immédiat. On sent bien que plus rien ne sera dorénavant comme avant et que ce XXIème siècle marquera l’Histoire...

    A court terme, il faut, de toute façon, prévenir l’envahissement du territoire européen par des hordes de clandestins. C’est pour l’instant une priorité vitale que les gouvernants européens ne peuvent pas ignorer.      

    Six années après la rédaction de cet éditorial, on constate non seulement la confirmation de cette tragédie annoncée pour les peuples européens et concrétisée par cette invasion migratoire – amorcée dès le début de l'année 2011 mais amplifiée par l'Etat islamique à un niveau qui a largement dépassé ses promesses faites à la fin de l'année 2014 – mais on mesure également la lâcheté et la culpabilité impardonnables et condamnables des dirigeants européens et donc français. Non seulement ils ont manqué à leurs devoirs à l'égard des peuples dont ils ont la responsabilité et qu'ils doivent protéger, mais, en étant incapables d'anticiper ce qui était pourtant prévisible, ils aggravent la situation. Alors, devant les drames qui se préparent, la réponse ne réside-t-elle pas dans la révolte des peuples européens qui doivent à présent réagir et forcer leurs dirigeants à inverser le cours funeste des choses ?  •

    Quand la Grande Muette prendra la            parole 001 et 002.jpg

    Général (2s) Antoine MARTINEZ

    Coprésident des Volontaires Pour la France

    Volontaires Pour la France

  • 22 août 1914 ... Guerre des nations, guerre des peuples

    Les Allemands sont entrés à Bruxelles et ont exigé le paiement immédiat d'une contribution de guerre de 200 millions. On dit que Guillaume II s'apprête à prononcer l'annexion de la Belgique à l'Empire allemand... Toutes les choses dont on avait dit qu'elles étaient imaginaires ou impossibles se réalisent l'une après l'autre; le programme pangermaniste, roman d'hier, s'accomplit aujourd'hui.

    Les X... arrivent de Hongrie après un voyage de huit jours en troisième classe, - haute faveur due à ce qu'ils étaient dans le même train que l'ambassadeur d'Angleterre et le consul de France à Vienne. Ils ont croisé chemin faisant plus de cent trains de soldats austro-hongrois et disent qu'il leur a paru que la mobilisation autrichienne s'effectuait avec ordre et promptitude. 

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    A Buda-Pest, ils ont vu le comte Tisza, l'homme à poigne calviniste qui est président du conseil et pour autant dire dictateur en Hongrie, et même un peu à Vienne. Tisza prend sur lui toutes les responsabilités du conflit austro-serbe. Il ne se cache pas d'avoir poussé le comte Berchtold - un hésitant -  et l'empereur François-Joseph à envoyer la note comminatoire à la Serbie. Mais il avoue qu'il ne prévoyait pas qu'en voulant "mater" les Serbes, il déclencherait tout le système des alliances. Il avait cru que la Russie laisserait les Serbes en tête à tête avec l'Autriche comme en 1909. Il se dit sincèrement désolé que l'Autriche-Hongrie soit entrée en guerre avec la France... Bref, le comte Tisza fait penser à l'apprenti sorcier de Goethe, qui connaissait bien le mot par lequel les éléments se déchaînent, mais qui ne savait pas celui par lequel on les fait rentrer dans l'ordre.   

    Dans un article du 20 août intitulé la "Guerre des Nations", j'ai essayé d'expliquer le "pourquoi" et le "comment" que le comte Tisza paraît ne pas avoir compris. J'en ai vu, non sans surprise, des fragments importants reproduits dans plusieurs journaux. On me dit qu'il a été aussi très commenté dans divers milieux. Je le reproduis ici, - pour prendre date :

    "Il importe de comprendre à fond et de saisir avec force les causes du conflit européen si l'on en veut pas que la politique française soit exposée à des erreurs, le public à des déceptions. Déjà, de divers côtés, on a fait fausse route, on a tiré des interprétations excessives de certaines paroles comme celle de ce prisonnier allemand qui aurait dit : "Cette guerre est une guerre d'officiers." Méfions-nous des anecdotes et essayons de pénétrer au centre des réalités.

    Si nous remontons à trois mois en arrière, - un peu de temps avant l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand, - nous découvrons que la situation diplomatique était la suivante.

    L'Europe se trouvait divisée en deux groupes antagonistes, Triple-Alliance et Triple-Entente, dont l'opposition, en temps normal, avait pour résultante un équilibre, relatif sans doute, mais qui, tel quel, était considéré comme une garantie de paix. Garantie extrêmement précaire, ainsi que l'évènement l'a prouvé. En fait, les deux grands systèmes d'alliance renouvelaient, avec une frappante similitude, les plus célèbres combinaisons de la diplomatie historique, celles qui s'étaient incessamment formées, dissoutes et reformées au XVIIIème siècle et qui avaient causé les interminables conflits de ce temps-là, continués et aggravés par les grandes guerres de la Révolution. Triple-Alliance et Triple-Entente eussent été des conceptions immédiatement familières à Choiseul, Kaunitz ou Frédéric II revenant parmi nous. Cent fois nous avons dit ici que la République française faisait, sans s'en rendre compte, de la diplomatie d'ancien régime dans les conditions d'existence de la démocratie.  

    Quelque dangereux que pût être l'antagonisme de deux groupes de puissance rivalisant d'armements, on pouvait cependant estimer que la paix européenne qui s'était maintenue, à travers des circonstances si défavorables, pendant de longues années, pourrait se maintenir encore.

    Certes, la politique d'intimidation, à laquelle l'Allemagne se livrait sans trêve depuis le coup de Tanger, était dangereuse et risquait à chaque fois d'entraîner la guerre. Chaque fois l'état d'esprit sincèrement pacifique de la Triple-Entente écartait ou différait le danger. La prudence dont on faisait preuve à Paris et à Londres et à Saint-Pétersbourg était telle qu'il était évident qu'il faudrait à Berlin et à Vienne une volonté nettement provocatrice pour troubler la paix.

    C'est à Berlin et à Vienne que cette volonté s'est rencontrée en effet. Mais pourquoi s'est-elle rencontrée en 1914 et non dans les années antérieures ? Pourquoi l'Allemagne a-t-elle, le mois dernier, franchi le large pas  qui sépare la menace de guerre, moyen de chantage diplomatique, de la guerre elle-même avec tous ses risques ? Nous voici au cœur du problème.

    On s'aperçoit, en effet, en évoquant l'origine du conflit, c'est-à-dire l'ultimatum de l'Autriche à la Serbie, que, pour la première fois cette année, depuis la fondation de l'Empire allemand, on aura vu le monde slave résister à la pression germanique. En 1878, au congrès de Berlin, comme en 1912-1913, à la conférence de Londres, le bloc austro-allemand avait fait reculer le slavisme, en avait tenu pour nulles les aspirations. Cette fois le slavisme ne s'est pas laissé faire, et aussitôt l'Allemagne a tenté de le briser.  

    Ainsi, dans son principe, cette guerre était une guerre de Germains contre les Salves. On a pu espérer, à Berlin, que la France l'interpréterait ainsi, se dégagerait de l'alliance russe au moment où l'alliance l'exposait à être attaquée elle-même : la procédure dont s'est servie M. de Schoen prouve bien qu'on a essayé, toujours par l'intimidation et la menace, d'obtenir notre neutralité. Ainsi l'Allemagne eût détruit l'alliance franco-russe et tenu la Russie à sa discrétion : d'une pierre deux coups. Ce calcul, - qui nous réservait de cruels lendemains, - a été déjoué et la guerre est devenue générale. Mais il reste toujours que c'est la résistance du monde slave aux prétentions de l'Allemagne et de l'Autriche dans l'affaire Serbe qui a servi au moins de prétexte aux deux gouvernements germaniques pour se lancer dans la guerre. Imaginez, en effet, la Russie se désintéressant de la Serbie, laissant ce petit peuple aux prises avec l'Autriche, - comme précédemment il était arrivé maintes fois à la Russie de le faire, - et le prétexte cherché par l'Allemagne tombait. Quel que fût son désir mauvais d'ensanglanter le monde, elle devait se contenter d'un "succès diplomatique", comme après l'ultimatum présenté à Saint-Pétersbourg en 1909 par l'ambassadeur de Guillaume II.

    Que s'est-il donc passé entre 1909 et 1914 pour que l'attitude de la Russie ait à ce point changé ? Il s'est passé ceci que la Russie a évolué de l'autocratie pure à un régime où l'opinion fait entendre sa voix. Naguère le tsar autocrate n'avait - pour adopter le vocabulaire républicain - que des sujets : il y a aujourd'hui - toujours pour parler le même langage - un peuple russe. Et ce peuple a ses passions, ses visées. Il a une haute idée de ses droits, dont il a pris conscience, et le droit de vivre, de se développer comme nation, est le premier de tous. Souvenez-vous des séances orageuses de la Douma, où, depuis un an et demi, la politique de prudence, de temporisation et même d'effacement, que la Russie officielle a pratiquée depuis l'annexion de la Bosnie par l'Autriche, a été blâmée avec tant de véhémence. La fin de l'amitié traditionnelle qui régnait entre la cour de Saint-Pétersbourg et la cour de Berlin, c'est, pour la plus large part, à la Douma, c'est à la naissance d'une opinion publique russe qu'il faut l'attribuer.   

    Qu'en devenant un nation, au sens que le mot avait chez nous en 1792, la Russie dût faire une grande poussée de nationalisme, c'est d'ailleurs ce que l'on pouvait annoncer par l'expérience de l'histoire. Comme la Révolution française, l' "évolution russe" aura posé les problèmes de nationalités et de races dans les termes et avec la passion qui déchaînent les vastes chocs des peuples entre eux. Voilà ce qui a servi à faire rompre le fragile équilibre de la Triple-Entente et de la Triplice...    

    A mesure que les idées de libéralisme et de démocratie repassent de l'Occident à l'Orient, ce sont les mêmes incendies qu'elles allument. Guerres de notre Révolution, guerres pour l'unité de l'Allemagne et de l'Italie au milieu du XIXème siècle, guerres pour l'affranchissement et la croissance des peuples slaves aujourd'hui, les unes se sont engendrées des autres avec une implacable régularité. Quelle erreur, quelle hérésie de voir dans le vaste choc  qui met en ce moment les nations aux prises le seul crime des empereurs et des rois : la vague vient de plus loin que les trônes, et parfois c'est la même qui les a emportés. Et quelle imprudence chez ces socialistes français qui croient encore que la République allemande assurerait la paix de l'Europe ! Plusieurs républiques allemandes, et aussi petites que possible, peut-être...  Mais une grande République allemande, qui se battrait avec toutes les ressources accumulées par les Hohenzollern en y mettant l'énergie d'une fureur nouvelle, - celle des républicains de 1793, - une République allemande qui, pour le coup, ne ferait plus une "guerre d'officiers", mais une guerre du peuple, et qui défendrait farouchement son unité... Si les socialistes français croient que cette République-là arrangerait les affaires de la paix, c'est qu'ils ont oublié tout ce que disait Bebel, c''est qu'ils n'ont pas compris pourquoi le camarade Liebknecht, fusillé, avait-on dit, pour refus d'obéissance, a pris le sac et le fusil."

    Des millions d'hommes qui se battent en ce moment en Europe, combien y en a-t-il au fond qui comprennent pourquoi, en vertu de quelles raisons, de quelles idées ? C'est toujours le même mystère de l'histoire, la même complexité de forces, de courants, de nisus, qui président à la destinée du genre humain. Et le peuple souverain, le socialiste conscient se fait casser la tête pour un ensemble de causes si lointaines qu'il pourrait dire au principe des choses comme l'apôtre à la divinité : "Tu es vraiment un dieu caché !"

    Si nous sommes vainqueurs, Viviani sera un grand homme. Si nous sommes battus, il passera au rang d'Emile Ollivier, et son mot à M. de Schoen, - mot qui, en somme, voulait dire : nous choisissons la guerre, - "la France est calme et résolue", ce mot-là pourrait bien prendre place dans l'histoire à côté du "cœur léger".  

     

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  • Marion Maréchal-Lepen dénonce l’obsession républicaine, par Yves Morel*

     

    La récente critique de l’obsession de la République, caractéristique de la classe politique française, par Marion Maréchal Le Pen a déclenché un signal d’alarme dans la presse.
    De quoi s’agit-il exactement ? La jeune femme, député du Vaucluse, a accordé un entretien au trimestriel Charles (numéro 14, été 2015) en lequel elle s’exprimait sur ses relations avec sa tante, Marine Le Pen, et donnait son avis sur une prise de position de son père adoptif, Samuel Maréchal. Elle n’envisageait pas, initialement, d’émettre un jugement sur la République. C’est son explication d’une recommandation de Samuel Maréchal au FN (au cours des années 1990) de mieux prendre en compte l’islam qui l’ y a amenée.

    Une mise au point salutaire

    Marion Maréchal affirme que son père adoptif invitait simplement son parti à intégrer l’importance de l’islam dans son discours, par souci de réalisme. Elle déclare se ranger à son point de vue. Mais, afin de prévenir toute conclusion hâtive, elle précise que, pour autant, elle ne souscrit pas aux idées de ceux qui entendent placer toutes les religions sur un même plan d’indifférence ; elle vise tout particulièrement le politologue Thomas Guénolé qui préconise la laïcisation des jours fériés liés à des fêtes religieuses. Elle affirme, fort justement : « Il (Guénolé) représente bien la tendance de notre classe politique qui voudrait que la république efface la France ». Et, en effet, les gens comme Guénolé font remonter la naissance de notre nation à 1789 (ou à 1792), et la conçoivent comme étant in essentia, et donc in aeternum (mille pardons, Mme Vallaud-Belkacem), une République absolument laïque fondée sur les « Lumières », la raison et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (merveilleusement complétée par le droit inconditionnel à l’avortement et le mariage homosexuel, en attendant la légalisation de la GPA) .

    Marion Maréchal prend donc le contrepied de cette funeste tendance en ajoutant sans barguigner : « Mais la France n’est pas que la République ». On ne peut qu’acquiescer : la France fut fondée plus de mille ans avant la Révolution, vécut sous une monarchie dès Clovis et sous la dynastie capétienne de 987 à 1792. Elle est donc très antérieure à la République et ne se confond pas avec elle. Les valeurs, principes et institutions de la République ne constituent pas le tout, ni même l’essence ou la quintessence de l’identité de la France, de son peuple, de son ethos, de sa civilisation. Notre nation n’est pas née à Valmy le 20 septembre 1792, ni le 14 juillet 1789, ni dans les salons des « Lumières » du XVIIIè siècle ou les locaux de l’Encyclopédie. Avant cela, elle a été spirituellement, intellectuellement et institutionnellement édifiée par le christianisme, l’Eglise et la monarchie (les « quarante rois qui ont fait la France »).

    Du reste, la république française n’a même pas le monopole de cette démocratie dont elle se targue constamment. Marion Maréchal précise qu’ « il y a des monarchies qui sont plus démocratiques que certaines républiques ». On songe évidemment aux monarchies scandinaves et à la monarchie britannique, laquelle a abouti à une démocratie qui ne doit rien, mais alors rien du tout, à nos « Lumières », à notre « grande » Révolution, à 1848, à notre IIIè République. Au contraire, la Révolution est tenue, en Angleterre et dans tous les pays anglo-saxons, pour la manifestation éclatante de la plus criminelle des barbaries, largement à l’origine des totalitarismes du siècle dernier, et notre tradition jacobine y est tenue pour tyrannique.

    Il convient également de rappeler qu’aux Pays-Bas, l’un des principaux partis politiques fut, de 1879 à 1980, le parti antirévolutionnaire (centriste et non extrémiste) appelé ainsi dans la mesure, où quoique libéral et parlementaire, il tenait la Révolution Française comme un anti-modèle, cause de toutes les aberrations politiques contemporaines. Rappelons enfin que la démocratie américaine ne doit rien, tant au niveau de ses valeurs et principes qu’à celui de ses institutions, à la république française, regardée, là aussi, avec méfiance. Voilà qui devrait rendre modestes notre classe politique et une grande partie de notre intelligentsia, qui s’imaginent (ou feignent de s’imaginer) que la France républicaine est le flambeau des nations, guidant celles-ci vers la liberté et un avenir démocratique parfait.

    Une obsession à visée dissimulatrice et conjuratoire

    Il s’agit bien là d’une obsession, comme le dit Marion Maréchal, qui déclare : « Je ne comprends pas cette obsession pour la République ». Une obsession toujours plus envahissante à mesure que notre modèle républicain s’effondre, en un univers mondialisé largement opposé à ses valeurs, ses principes, sa vision de l’homme et de l’histoire, son idéal égalitaire et socialisant et ses lubies. Quand le paquebot sombre, l’orchestre joue à pleine puissance afin de redonner courage aux passagers qui sentent approcher l’heure fatale.

    Et, aujourd’hui, dans notre pauvre pays qui tombe dans la déchéance politique, morale, économique et sociale, nos dirigeants et nos médias s’efforcent de conjurer la « morosité » ambiante en exaltant à qui mieux mieux la république, ses valeurs et son idéal : les partis politiques et leurs ténors se veulent tous plus républicains les uns que les autres ; et, pour faire bonne mesure, on multiplie les célébrations et les commémorations à propos de tous les événements historiques jugés emblématiques du régime (la Révolution, l’abolition de l’esclavage, la laïcité, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la Résistance) ; et on donne dans la manie de la « mémoire », le culte des « lieux de mémoire » et la confection de lois mémorielles.

    En résumé, la France, c’est la République, et la République, c’est la France, point final. Or, la république, censément consubstantielle à la France, est en réalité le cache-misère d’un système politique et social exsangue et en voie de décomposition.

    Voilà pourquoi la déclaration de Marion Maréchal Le Pen a jeté dans les transes les journalistes « républicains ». Les journaux de gauche, comme Marianne ont évidemment donné de la voix et de la plume ; et ceux de droite, comme Le Parisien, n’ont pas voulu être en reste, zèle républicain oblige.

    Une réaction significative

    Mais l’article le plus instructif sur la déclaration du jeune député est encore celui de Bruno Roger-Petit, du 23 juin, sur le site de Challenges, l’hebdomadaire économique bien connu du groupe Perdriel. Son titre en dit long : « Marion Maréchal Le Pen, la sombre tentation catho-royaliste ».

    Nous ne pouvons pas en commenter ici l’intégralité. Bornons-nous donc aux passages les plus significatifs.

    A l’évidence, Bruno Roger-Petit ne peut admettre l’idée, pourtant évidente, suivant laquelle l’identité de la France ne se réduit pas à la République. Selon lui, – et il n’a pas tort – « la députée du Vaucluse renoue avec la tradition classique de l’extrême-droite française », alors que le Front national oscille entre nationalisme cocardier, exaspération poujadiste et souverainisme gaulliste. Elle se rattache « à l’extrême-droite royaliste » et catholique. Elle « est plus proche de l’Action française que de Pierre Poujade »… lequel avait au moins le mérite de base d’être républicain, doit-on comprendre. Pour M. Roger-Petit, toute mouvance politique, fût-elle nationaliste et autoritaire, vaut mieux que le royalisme.

    Notre journaliste voit, dans la crainte de Marion Maréchal que « la république efface la France », la résurgence de « la frayeur de l’extrême droite royaliste qui juge que 1789 (et ses prolongements, 1848, 1905, 1936, 1945 et 1981) est le pire fléau qui se soit jamais abattu sur la France ». Ainsi s’expliquent, à l’en croire, les propos de la petite-fille de Le Pen suivant lesquels la République ne prime pas sur la France et n’est pas toute la France, suivant lesquels l’islam ne doit pas occulter le christianisme, défini par elle comme une « dimension encore vivante » de notre nation, et suivant lesquels enfin, la république n’est qu’un régime politique parmi d’autres, dans le temps et l’espace, ni meilleur ni pire que d’autres, et qui, de surcroît, n’a pas l’exclusivité de la démocratie.

    Sur le second point (la question religieuse), Bruno Roger-Petit discerne, dans les propos de Marion Maréchal, «le regret d’une France qui ne se vit plus comme la fille aînée de l’Eglise de Rome » et « la revendication d’une transcendance nationale reposant sur le fait religieux catholique », ce qui, on en conviendra, est une interprétation abusive des paroles du jeune député. Interprétation qui confirme ce que nous savions déjà de l’idée de la France que se font nombre de journalistes et toute la classe politique : la seule France qui vaille est la France républicaine, fille de la Révolution, égalitariste, athée et anticléricale.

    La critique de la référence systématique à la République, le simple parti pris de refuser à la République un culte et de la considérer comme un régime politique comme un autre, est une infamie qui met au ban de l’Agora tous ceux qui ne font pas preuve de républicanisme affirmé (et mille fois réaffirmé).

    Marion Maréchal manifeste avec une évidence criante son rattachement à la droite monarchiste et catholique dont Bruno Roger-Petit rappelle (horresco referens, encore pardon Najat) les sources doctrinales : « adhésion à la philosophie réaliste héritée d’Aristote et de saint-Thomas, rejet du contractualisme rousseauiste au profit (sic) d’une soumission au droit naturel, déférence envers l’Histoire et l’héritage de nos pères, référence à la pensée contre-révolutionnaire de Maistre, Burke, Bonald ».

    Et de conclure : « Avec Marion Maréchal Le Pen, on est bel et bien de retour dans le salon de Maurras, bien loin de la librairie-papeterie de Poujade [un fils du peuple, lui, produit de l’école républicaine ferryste, sans doute descendant des volontaires de l’an II] ou de la tombe du général de Gaulle [dont se réclament Marine Le Pen et Philippot]». Bref, elle « démasque d’un coup, à l’évidence sans le réaliser [peu galant, M. Bruno], la vérité du Front national », réduisant à néant tous les efforts de dédiabolisation de sa tante.

    Affaire de génération, pense Bruno Roger-Petit :Marion Maréchal incarne la « jeunesse réactionnaire » d’aujourd’hui, apparue au grand jour lors de la Manif pour tous de 2013, et qui « n’aime pas la République ». Et, la jeune femme ayant appelé au dépassement du clivage « droite-gauche », il voit là une réminiscence de ceux qui, dans les années 1930, en faisaient autant, les situant tous à droite, alors que nombre d’entre eux (la Jeune République, Dandieu, Mounier et l’équipe d’Esprit ) venaient du catholicisme libéral et social et se posaient en ennemis résolus de la droite nationale. S’appuyant sur Zeev Sternhell, il nous avertit qu’une telle attitude nous amène à « Pétain à Vichy », occultant le fait que nombre des membres des divers gouvernements de Vichy demeurèrent des républicains coulés dans le moule (Laval, Darlan), et que le Maréchal ne fut jamais monarchiste.

    Nous ne savons si Marion Maréchal « démasque la vérité du Front national ». Mais, assurément, Bruno Roger-Petit, lui, révèle la vérité du régime. Selon cette « vérité », la vraie France a été mise au monde par la Révolution (elle-même fille des « Lumières »), et tout le millénaire antérieur est une période effroyable d’ignorance, d’erreur, d’obscurantisme, d’intolérance, d’injustice(s), de tyrannie dont seuls de fanatiques intégristes catholiques et monarchistes souhaitent le retour, suivant une conception de l’homme et du monde médiévale et inquisitoriale mille fois pire que celle, républicaine, plébiscitaire et cocardière, du libraire-papetier de Saint-Céré (au départ un bon fils de la république).

    Il faut choisir : la république ou l’acceptation de « ce que l’extrême droite a toujours produit de pire depuis deux siècles ». Si vous ne voulez pas être assimilé à ce « pire », vous devez accepter sans sourciller que l’on vous serve la république matin, midi et soir.

    Ambiguïté du Front national

    Pour notre part, nous nous réjouissons de ce qu’enfin, une personnalité politique ait osé critiquer sans précaution oratoire cette référence systématique à la république, qui ressemble à un réflexe conditionné produit par un totalitarisme moral d’autant plus insistant que le système qu’il défend s’effondre chaque jour un peu plus. Les propos de la petite-fille de Le Pen ne révèlent pas l’essence même du Front national.

    Le Front national, – c’est sa force et sa faiblesse – a toujours rassemblé des gens de sensibilité diverses voire opposées, et les républicains cocardiers, jacobins et libre penseurs y ont constamment prévalu sur les catholiques monarchistes. Jean-Marie Le Pen n’a jamais fait partie de ces derniers.

    Son souci d’accroître l’audience de son parti en caressant les électeurs dans le sens du poil l’a même conduit à exalter toujours davantage la République ; on se souvient de son discours commémoratif de Valmy du 20 septembre 2006. Et sa fille s’est toujours présentée comme le meilleur défenseur de la République ; elle a d’ailleurs inauguré son entrée en fonction à la tête de son parti, en 2011, par un discours en lequel elle se réclamait de Gambetta.

    Un début ?

    Il reste que, pour une fois la référence sempiternelle, lancinante, à la république a été critiquée et qualifiée d’obsession, et que la jeune (cela revêt une grande importance) élue qui a osé le faire, a rappelé que la France ne s’identifiait pas à la république et prévalait sur elle. Espérons qu’il s’agit d’un début. 

     - Docteur ès-lettres, écrivain, spécialiste de l'histoire de l'enseignement en France, collaborateur de Politique magazine et la Nouvelle Revue universelle.

     

  • Le chaos des référentiels

     

    par Michel MICHEL, sociologue

    Sur l'instabilité structurelle du paysage idéologique en France 

     

    mm.jpgUne société ne se caractérise pas seulement par ce qu’elle est, mais aussi par ce qu’elle vise. L’homme est un être normatif et chaque société est caractérisée par des « utopies » qui constituent son armature morale et lui donnent une échelle commune de valeurs.

    Gramsci avait montré que les idéologies n’étaient pas seulement une « superstructure » passive mais qu’au contraire, elles jouaient un rôle déterminant dans la conquête et l’exercice du pouvoir. 

    Feu le système Don Camillo/Peppone

    Depuis la « philosophie des lumières », la France était traversée par une tension entre le catholicisme et  une religion du « Progrès » (« réforme », « révolution », « changement », « modernité », etc.). Demain avait remplacé le Ciel comme ce qui polarise l’Espérance.

    Aujourd’hui, la croyance au « Progrès » s’est effondrée (les gens ne croient plus que leurs enfants auront une vie meilleure que la leur). Avec la chute du mur de Berlin, la croyance aux « lendemains qui chantent » a perdu ses adeptes. Avec le communisme qui était hégémonique après la guerre de 40, les différentes formes de « progressisme » se sont dissipées.

    Selon Gilles Lipoveski, la « modernité » consistait à jouir de l’avenir, la « post-modernité » à jouir du présent (« nous voulons tout et tout de suite » proclamaient les soixante-huitards). Il est probable que ce déclin du « Progrès » comme valeur se prolongera dans les prochaines années, sauf succès idéologique du « transhumanisme » (mais il me semble que si les gens sont prêts à bénéficier des techniques, ils ne sont pas prêts à en faire une pierre d’angle sur laquelle bâtir leur vie).

    Pendant longtemps, la France a vécu dans une diarchie idéologique de type Don Camillo/Peppone : les conflits avaient été rudes (surtout vers le début du 20e siècle : séparation de l’Eglise et de l’Etat, expulsion des moines, affaire des fiches, etc.) ; mais, après la guerre de 14 – 18 ils s’étaient assoupis, à peine réveillés par la « guerre scolaire » au début du septennat de F. Mitterand.

    L’irruption d’une grosse immigration musulmane est venue modifier cette guerre de tranchée presque ritualisée. 

    Masse amorphe et minorité structurantes

    Sans doute les populations qui composent la France, dans leur immense majorité,  se contentent de vivre « habituellement » avec une conscience limitée des enjeux idéologiques qui n’affectent pas directement leur activité de producteurs, consommateurs, spectateurs.  Comme la limaille dans un champ magnétique, elles s’orientent en fonction des pôles  qui leurs sont les plus proches. Mais aujourd’hui, d’autant plus qu’il n’y a plus de modèle dominant, et que les acteurs sont atomisés sans échelle de valeurs communes, la régulation par le marché reste souvent seule pour orienter les comportements. C’était le destin que promettaient à la fin du XXe siècle – pour s’en réjouir ou pour le déplorer- ceux qui, devant la décrépitude des « grands récits » (religieux et idéologiques) annonçaient « la fin de l’histoire » dans une société confortable insignifiante, régie par une « démocratie procédurale » dépourvue de toute dimension tragique. Depuis pourtant, la prophétie attribuée à André Malraux (personne n’en connaît la source) : « le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas » semble être justifiée. Par ailleurs le consensus « à gauche » des intellectuels semble mis à mal (cf. Eric Zemmour, Michel Houellebecq, Maurice Dantec,  Philippe Muray,  Alain Finkielkraut, Michel Onfray,  etc.). Cette tendance se confirmera-t-elle les prochaines décennies ? C’est possible. 

    Trois pôles idéologiques

    Aujourd’hui et dans les prochaines années, trois pôles sont susceptibles de proposer un système cohérent de valeurs et un projet de société susceptible de structurer notre société : le pôle « catholique et français toujours », le pôle des « valeurs républicaines » et le pôle « islamiste ».

    - Le pôle « catholique et Français toujours ». Le vieux courant contre-révolutionnaire en est le noyau dur autour duquel se regroupent tous ceux pour qui la France est une réalité charnelle qui n’a pas commencé en 1789.  Ce courant est largement réactivé par les jeunes générations qui ont conservé une pratique religieuse (de la génération Jean-Paul II à La Manif pour tous).   Dans les années 60 à 80 les « progressistes chrétiens » avaient choisi l’enfouissement dans le monde et déconfessionalisaient les structures cléricales produisant la CFDT, la JOC et le deuxième gauche. Mais ce courant, encore largement représenté dans les structures officielles de l’institution ecclésiastiques, n’est pas parvenu à se reproduire. Le poisson dans l’eau a fondu laissant l’Eglise à ceux qu’ils nomment « les chrétiens identitaires » ou « décomplexés ».S’agglomèrent autour de ce mouvement de gros courants qualifiés de « populistes » qui peuvent regrouper des non-pratiquants, voire des athées, mais qui sont particulièrement sensibles à ce qu’on a appelé « la crise d’identité » (« on est chez nous »). 

    - Le pôle des « valeurs républicaines »  réactualise le vieux courant du « contrat social ». Il s’agit d’émanciper l’individu des déterminations qu’il n’a pas choisies : déterminations sociales, culturelles familiales voir « naturelles » (cf. la dénonciation des « stéréotypes de genre »).

    La nationalité française a pour fondement non pas l’appartenance à un groupe humain déterminé, mais l’adhésion aux grands principes du mouvement révolutionnaire : universalisme, égalitarisme, laïcisme… La France est moins la patrie des Français que celle des « droits de l’Homme » (avec un H majuscule).

    En théorie, toutes les institutions de la république sont fondées sur ces principes ; ses promoteurs sont regroupés dans un certain nombre de sociétés de pensée (comme le Grand Orient, La Libre pensée, l’Union Rationaliste ou quelque syndicat d’instituteurs). Toute les « clientèles » qui bénéficient des largesses de l’appareil d’Etat se doivent de tenir ce discours « politiquement correct » (ou « langue de bois »).

    Pendant quelques décennies on a voulu « achever » la révolution française par une « république sociale » qui traduirait dans la vie réelle les principes formels du régime (ce qui est loin d’être évident, cf. les travaux de Jean-Claude Michéa). Mais étant donné l’effondrement de la religion du Progrès et face aux échecs soviétique, maoïste ou cubain, « 1789 » est devenu le dernier bastion du mythe révolutionnaire (cf. par exemple les propos de Vincent Peillon). 

    Cette philosophie contractualiste s’accorde assez facilement avec l’externalisation des fonctions souveraines de l’Etat vers des instances supranationales (Union Européenne, OTAN, TAFTA , etc.). Elle sert aussi de fondement justificatif au libéralisme/libertaire. 

    - Le pôle islamiste : L’immigration de masse a amené en France des populations qui loin de leur cadre de vie coutumier se retrouvent en situation d’anomie. Les cités sont tout sauf des ghettos (par exemple : 56 nationalités au Val Fourré et plus encore d’ethnies différentes). L’Islam est le seul point commun à ces populations maghrébines, subsaharienne ou turques, la seule référence pour dépasser l’identité de la cage d’escalier. La confrontation à l’offre d’intégration par les « valeurs républicaines » et  la société « libérale/libertaire » a suscité une réaction identitaire qui se traduit par un renforcement de la pratiques religieuse (ou plutôt des pratiques puisque dans le sunnisme, il n’y a pas de clergé susceptible d’homogénéiser ces pratiques).

    Ce pôle est dominé par des influences étrangères (heureusement diverses : saoudiennes, qataries, marocaines, turques…) qui subventionnent les mosquées et fournissent les imams suivant des logiques qui n’ont pas grand-chose à voir avec le bien commun de la nation française. D’autre part, il est normal que les adeptes d’une religion de la Loi espèrent établir une société conforme à la chariah.  

    Naturellement, on trouvera de nombreux exemples qui échappent à cette typologie (serviteurs de l’Etat souverainistes, catholiques bretons militants au PS, ou maghrébins convertis au christianisme ou au laïcisme, aussi il faut comprendre ces trois pôles comme des « idéal-types » qui, à la façon de Max Weber, sélectionnent les traits les plus pertinents pour permettre un raisonnement qui dépasse  une vision atomisée et « nominaliste » de la société française.

    Les enjeux de ces affrontements  idéologiques sont surtout symboliques : voile dans les lieux publics, mariage gay, déchéance nationale…  Mais chaque pôle pourra se prévaloir d’une légitimité qui pourra entrer en concurrence avec les deux autres :

    • celle de l’identité et des traditions coutumières françaises,
    • celle des institutions légales,
    • celle de la jeunesse et d’un accroissement exponentiel.

    Il y a donc, à présent, non plus deux, mais trois projets de société, provoquant le durcissement de chaque « camp », une radicalisation réactionnelle. 

    Deux contre un…

    Quelles alliances sont possibles pour établir une hégémonie ?

    Cependant, aucun de ces trois pôles ne semble – à présent en tout cas -  en capacité de soumettre les deux autres.  Pour construire un socle hégémonique susceptible de fonder un consensus, il est donc nécessaire de suivre une stratégie d’alliance. Trois combinaisons sont possibles :

    1. La stratégie du « think tank » socialiste terra nova. Les « clientèles » suscitées par le contrôle des administrations ne suffisent pas à assurer l’avenir du PS. Il faut donc s’appuyer sur  les groupes  libertaires (minorités de « genre », anciens soixante huitards devenus « bobos »…) -d’où l’ouverture du front des « réformes sociétales »- et pourquoi pas libéral/libertaire( Emmanuel Macron) et d’autre part, il importe aussi de capter les voies des immigrés.  Le thème un peu usé de l’anti-racisme n’y suffit pas. D’où la ralliement au modéle d’une société multi-culturelle, quitte à faire quelques entorses aux principes de « laïcité » au grand dam des intégristes des « valeurs républicaines ».

    Dans cette optique, l’adversaire idéologique principal, le « fédérateur externe », c’est le courant « catholique et français toujours » qu’il faut diaboliser (fascisme, populisme, « guerre civile »…) et écarter des médias contrôlables (en attendant de trouver les moyens de contrôler les réseaux sociaux d’internet). Le roman de Michel Houellebecq Soumission donne une idée du scénario  auquel cette stratégie pourrait aboutir.

    2. La stratégie de la résistance identitaire.  Il s’agit de défendre la France « coutumière »  (« on est chez nous ») particulièrement contre l’immigration de masse. Mais cette position suscite dans le spectacle de médias dominants l’accusation infamante de xénophobie voire de racisme. Il s’agit donc de contrer la diabolisation en  se « justifiant » par le vocabulaire du « consensus légal » de l’idéologie des « valeurs républicaines (d’où par exemple la surenchère laïque et républicaine du Front National).  En outre, comme s’opposer à l’immigration de masse vous fera considérer comme « raciste », il est plus « correct » de tenir un discours contre l‘Islam analogue à celui du « petit père Combe » contre le catholicisme. Bien entendu, ce compromis stratégique soulève l’inquiétude des catholiques les plus traditionnalistes qui comprennent qu’avec

  • Dans la revue Politique Magazine : Cet homme n’est pas à sa place !, par Hilaire de Crémiers

    De discours en discours, Macron révèle une personnalité inquiétante et qui explique le désaveu de la grande majorité des Français.

     

    Le Premier des Français, le Chef de l’État, celui qui représente la France et en qui les Français devraient se reconnaître, le chef des Armées de la France, le patron des administrations françaises, le premier des magistrats, le représentant suprême des territoires et des communes de France où sa photographie est affichée, le garant des institutions de la France, le titulaire de la totalité de la puissance publique, le souverain qui assume la permanence de la nation entre son passé et son avenir, cet homme qui plus qu’aucun autre devrait veiller à la dignité de sa parole et de sa conduite, passe littéralement son temps, depuis deux ans et plus, à insulter la France et les Français. À croire que c’est un jeu chez lui et qui le fait jouir. Braver la France ! Outrager les Français. C’est son truc. Il tient là son originalité. C’est le seul chef d’État au monde qui se permette de bafouer publiquement et continûment son propre pays. Le seul ! Imaginez les Poutine, les Trump, les Johnson, les Xi Jinping qui cracheraient sur leur pays !

    Annotation 2020-02-04 035744.jpgVoilà que récemment encore, fin janvier, revenant d’Israël, il a comparé la guerre d’Algérie à la Shoah. Entendons bien : la France aurait commis en Algérie un crime contre l’humanité, un génocide, la plus épouvantable et la plus programmée des horreurs. Tel fut le sens des paroles présidentielles. Ce n’est pas la première fois que Macron prononce une telle sentence. Il a osé même l’édicter en Algérie, en rompant avec la réserve à laquelle il se devait à l’époque. Il a tenu les mêmes formulations à plusieurs reprises à propos de la colonisation en Afrique noire. Ce misérable petit sciencespotard ne sait rien de ce qu’il débite à longueur de journées, répétant, en toute question, des phrases toutes faites, reprises de lectures mal digérées et de cours tous orientés vers le dénigrement de la France dont la récitation est malheureusement la condition première du succès aux examens. Qui ne connaît ça ? C’est la règle en France : vilipender son pays. Ce qui nous donne aujourd’hui les dirigeants les plus pitoyables de la planète.

    Des militaires, des historiens, des économistes lui ont apporté la réplique, en particulier notre ami Bernard Lugan. Mais rien n’y fait. Ce n’est que devant la protestation des autorités juives que Macron a consenti à préciser sa phrase d’une manière aussi fausse qu’alambiquée, en reconnaissant l’unicité de la shoah : il fallait entendre les exégèses ridicules à force d’être lamentables de la parole présidentielle. Car le foutriquet, comme aurait dit Boutang, comme dit fort bien aujourd’hui Onfray, se garde bien de revenir sur son infamie qui stigmatise la France aux yeux du monde entier. Il se dit prêt, en revendiquant l’autorité de Chirac, à affronter ce qu’il appelle « le défi mémoriel » ! Ah, que c’est beau, ce souci psychanalytique ! Il pense par sa thérapie libérer la France de ses horrifiques fantasmes, lui faire expulser les immondices de son innommable histoire.

    La France coupable

    Son propos est net : la France, tous les Français doivent se sentir coupables, et, cela doit être spécifié, en tant que Français. Il convient d’aller plus loin que Chirac. Les deux mots doivent être définitivement associés devant le Tribunal de l’histoire et du monde : France coupable, Français salauds. En proférant son arrêt, Macron préside avec la haute conscience de son devoir. Il est le maître de la Justice ; il dit le Bien et le Mal, ce qui suppose une supériorité de nature. Tel est le Grand Juge que la France a à sa tête.

    Dans sa fatuité où la superbe le dispute à l’ignorance, l’insupportable gamin s’invente une intégrité qui surplombe tous les soupçons. Lui qui a passé sa vie à transgresser toutes les lois divines et humaines, édicte la norme. Il est des gens comme ça : des transgresseurs qui se fixent pour tâche de déterminer la règle. Car cette prétendue intégrité n’est elle-même en fait qu’une transgression ; il y transgresse la plus élémentaire honnêteté intellectuelle et morale, comme il l’a, d’ailleurs, toujours fait, dans la suite innombrable de ses transgressions, à quoi se résume sa vie, bafouant jusqu’à l’honneur des familles, jusqu’à la simple décence, singulièrement dans les honteuses fêtes de la Musique. Il bafoue tout, il ne respecte rien, et quand il fait semblant de respecter en paroles convenues, c’est qu’il prétend utiliser le protocole pour se mettre à l’honneur.

    Le citoyen comprend bien que chez lui tout est toujours calculé, y compris dans cette dernière assertion sur la culpabilité française ; il cherche à l’évidence l’électorat arabo-musulman dont il a besoin pour dresser les Français les uns contre les autres : c’est sa tactique pour gagner depuis le début. Il n’en tirera que le plus juste des mépris, comme il ne peut pareillement que s’attirer le dédain des juifs que des mots ne pourront satisfaire. Les gens ne sont pas dupes de tels calculs qui déshonorent la France.

    Comment un tel homme peut-il représenter et défendre les intérêts français ? Il est insensible à l’histoire de France, à sa réalité d’hier, d’aujourd’hui et de demain à laquelle il ne croit pas.

    Pas d’intérêt français, pas de diplomatie française

    Son discours à la Conférence des Ambassadeurs à la fin août porte la marque de cette nullité faussement savante qui le caractérise et qui le gonfle de la plus vaine des suffisances.

    Deux heures d’affilée, soixante pages de texte, des phrases confuses, une pensée chaotique et qui se croit géniale dans l’accumulation de considérations aussi vastes que creuses. À chaque phrase, ce ne sont que « réflexions profondes » qui amènent « à réfléchir profondément » sur les « profonds bouleversements » du monde. Dans le texte ! Cent fois répétés. Comment des ambassadeurs, comment des officiers généraux, comment des gens sérieux peuvent-ils endurer pareille logorrhée ? Ce prétentieux grimaud de collège ne fait pas de la diplomatie, ce qui amènerait à considérer concrètement les intérêts français. Non, il fait de « la géostraétégie », ça pose ! « La géostratégie, ça me passionne », a-t-il déclaré ingénument, comme un benêt. Et voilà notre géostratège qui définit des priorités : aucune n’est française ; elles sont toutes mondiales. « Dans la recomposition géopolitique », « notre place est à trouver dans le système qui n’est pas un système français mais européen et mondial ». C’est là que se jouent « la sécurité, la souveraineté, l’influence ». Tout cela, y compris la souveraineté, ne peut donc être qu’européen et mondial ! Car « tout se tient » ! Admirable aphorisme, n’est-ce pas ? « Pour bâtir l’ordre nouveau », « l’esprit français » qui n’est autre que « l’esprit des Lumières », doit « animer le projet humaniste » qui orientera « la stratégie européenne » en vue de l’« ordre international ». N’est-ce pas sublime ? Il s’agit de faire « des avancées », c’est son mot, c’est même sa théorie : « il faut avancer vers l’avenir ». Evidemment, c’est un but !

    Pas un mot des intérêts français ! Ce verbiage indéfini se situe dans la suite de tous ses discours aux allures prophétiques avec les mêmes dialectiques ressassées d’ouverture et de fermeture, d’universalisme et de nationalisme. À stigmatiser à tout bout de champ le nationalisme, il n’atteint en réalité que la seule nation française qui est, de fait, son unique ennemi. Il hait la France qui l’empêche « d’avancer » ! Il s’est juré de la faire « autre ». Comment serait-il possible avec de telles nuées de concevoir une honnête diplomatie et une politique nationale française ?

    Plus de politique française au Proche-Orient. Macron sait-il seulement qu’Alep et Beyrouth étaient des villes où l’on se flattait de parler français ?

    Et l’Afrique ? Y-a-t-il rien de plus outrageant que la manière dont il en parle, dont il convoque les chefs d’État ? Sait-il que cette Afrique profonde aime en réalité la France sous la souveraineté de laquelle elle a connu la paix, la sécurité, le développement spirituel et économique ?

    En Europe, dans le monde, à force de chimères, il n’a plus d’amis. Même Merkel l’abandonne. Désormais chacun s’inquiète de ses discours et de ses plans.

    Il se croit habile en rencontrant ses plus hauts homologues : Poutine, Trump, Merkel et les autres. À chaque fois il ne peut s’empêcher de donner à penser que, grâce à son génie lumineux, c’est lui qui va rendre son partenaire enfin intelligent. Qu’on se souvienne comme il s’est félicité lui-même après son sommet de Biarritz fin août ! À l’entendre, il avait réconcilié Trump et l’Iran, Poutine et l’Europe, l’Angleterre et la Commission européenne, les Gafa et le monde, l’écologie et l’économie. Même Pinault y était allé de son « Fashion Pact », bien dit en anglais pour donner une dimension globale à pareil engagement. Macron ne tarissait pas de louanges sur lui-même et, bien sûr, sur « ses équipes ». Que reste-t-il cinq mois après ? Ce serait grotesque si ce n’était tragique. La France entre ses mains est en péril.

    Ivan Rioufol intitule son dernier essai qui vient de paraître aux éditions Pierre Guillaume de Roux, Les traîtres. Le qualificatif est juste. Macron n’est pas digne de la fonction qu’il exerce.

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  • Transformer les municipalités en coopératives ?, par Philippe Kaminski.

    Comment sortir du dualisme castrateur entre un État devant lequel on se prosterne et un Marché, qui certes peut être parfois bénéfique mais qui serait toujours dangereux ? Telle est la réflexion entamée par Philippe Kaminski depuis deux semaines. Aujourd’hui, retour sur une « Troisième voie » esquissée au lendemain des événements de Mai 1968.

    Actualités de l’économie sociale

    Co-fondateur avec Charles Gide en 1921 de la Revue des études coopératives, de nos jours connue sous le nom de RECMA, Bernard Lavergne est aujourd’hui bien oublié. Et il ne faut hélas guère compter sur votre serviteur pour vous le faire mieux connaître. Je n’ai en effet trouvé que fort peu de références tant sur sa vie que sur son œuvre. Sa notice Wikipédia est quasiment vide, ce qui laisse entendre que personne ne s’est senti assez motivé, ou assez autorisé, pour l’alimenter.

    Il est mort en 1975, dans sa 91e année. Aucun des dirigeants ou des connaisseurs du paysage coopératif français qui l’ont fréquenté et que j’ai pu rencontrer par la suite n’est encore de ce monde et ne peut donc m’éclairer. En 1921, Bernard Lavergne a 37 ans, alors que son maître Charles Gide en a le double. Il a soutenu sa thèse en 1908, sur le Régime coopératif, et publia ensuite de nombreux ouvrages sur le même thème, en plus de sa direction de la Revue ; pourquoi donc cite-t-on toujours autant Gide, et jamais Lavergne ? Peut-être l’an prochain, à l’occasion du centenaire de la RECMA, se trouvera-t-il un chercheur un peu curieux pour se pencher sur la question.

    À vrai dire, ce n’est pas Lavergne qui m’intéressait, c’était Mai 1968. Je cherchais ce qu’avaient pu écrire à l’époque les représentants, non de l’Économie Sociale qui n’allait re-naître que dix ans plus tard, mais de ses composantes, et en particulier du mouvement coopératif. Et je suis tombé sur un article de Lavergne, qui vaut la peine d’être exhumé et commenté à la lumière des enjeux actuels.

    Il ne s’agit que d’un point de vue, un seul. D’autres, plus ou moins contingents, plus ou moins prospectifs, pourront être collectés, au hasard des bulletins des fédérations ou des publications des mutuelles, et lui être opposés. Je ne veux donc pas en tirer de conclusion générale.

    Bernard Lavergne écrit à l’automne 1968, alors que la France reprend son souffle et que l’économie repart vigoureusement. Il écrit dans sa revue, c’est à dire qu’aucun comité de lecture ne s’est mis en travers de lui pour le forcer à arrondir ses angles ou à se sortir de ses anciennes marottes. Il a 84 ans passés, et je ne sais s’il est perçu par son entourage comme un Sage respecté ou comme un vieux radoteur. Son texte tient en tous cas de ces deux réalités.

     

    Lavergne place résolument ce qu’il nomme le socialisme coopératif, et que je traduis d’emblée par Économie Sociale, dans la position d’une Troisième Voie :

    « [Il nous faut…] briser le dilemme qui consiste à dire : ou le capitalisme privé avec sa haute productivité, mais son injuste répartition du revenu national, ou le socialisme d’État avec sa lourdeur bureaucratique et son improductivité, mais son équité dans la répartition du revenu national. Un troisième type économique tout à fait original existe : le socialisme coopératif , qui possède la productivité de l’ordre capitaliste et autant d’équité sociale, sinon plus, que le socialisme d’État. »

    Autre intuition juste, qui n’allait pas de soi : Lavergne tire comme principale leçon des événements de mai-juin que l’on a assisté à la naissance d’un courant durable d’idées s’opposant à la « société de consommation ». Certes, ces termes ont été souvent mis en avant par les mouvements contestataires, mais d’autres l’ont été tout autant. Et on aurait pu s’attendre, compte tenu des rapports équivoques que le monde coopératif était alors contraint d’entretenir avec l’Union Soviétique, que Lavergne s’attardât davantage sur les accords de Grenelle (ce n’était pas rien !) ou sur la question gauchiste.

    Mais ces deux lignes directrices porteuses d’avenir sont contrebalancées par des archaïsmes qui font frissonner. Bernard Lavergne fut dans le civil un universitaire, professeur d’économie. Or les thèses économiques qu’il développe ne semblent guère avoir évolué depuis les leçons de Charles Gide qu’il suivait soixante ans auparavant. Lavergne constate l’emprise croissante de l’État, mais il feint de n’avoir jamais entendu parler de Keynes, ni du planisme, ni de la comptabilité nationale. Il constate le progrès technique, mais il le voit comme on le voyait avant Schumpeter. Il parle du travail comme on en parlait avant Ford, de la consommation comme on en parlait avant la publicité, et surtout de l’industrie comme on la décrivait avant Léontief. C’en est déstabilisant :

    « Nos pouvoirs publics fixent souverainement le destin de nos entreprises capitalistes, le montant de leurs gains et de leurs pertes. C’est par pieuse habitude […] qu’on dira […] que nos sociétés sont à économie dirigée, alors qu’elles sont déjà plus qu’à moitié socialisées. Cette mutation est une grande nouveauté car, au siècle précédent, si faible était l’emprise de l’État et si stable était le niveau des prix que les gains et les pertes des entrepreneurs ne dépendait que de leur habileté ou de leur incapacité à gérer leurs entreprises. Voici que tout a changé. Les fluctuations des prix sont devenues si amples que […] gagner ou perdre de l’argent est maintenant plus fonction des décisions étatiques et de la conjoncture que du mérite intrinsèque des entrepreneurs. Gains et pertes ont été socialisés, et les chefs d’entreprise ne sont plus que des gérants d’affaires pour le compte de la puissance publique. Cette socialisation, camouflée mais réelle, des grandes industries, s’observe dans la France gaulliste comme en Allemagne et en Italie. »

    Lavergne appelle dès lors « régies d’État » l’ensemble des entreprises françaises en qui il ne voit que des clones de Renault, et affirme que ce système ne pourra être en mesure de répondre aux aspirations des étudiants de 1968 qu’il résume en trois chapitres : diminuer la durée du travail, assurer aux individus plus de liberté effective dans leur vie de tous les jours, enfin réduire l’éventail des inégalités de revenus. Reprenant à son compte ces revendications, il admet qu’elles ne permettront qu’une croissance faible et suggère que l’hédonisme et la liberté de conscience puissent compenser une limitation de fait de la quête de biens matériels, cette « société de consommation » à peine née et qu’il faut déjà combattre.

     

    Tout ceci participe certes de la confusion des esprits qui était commune à l’époque. On ne peut exiger de chacun clairvoyance et prémonition. Mais on attend de Lavergne, cinquante ans après, non pas d’avoir esquissé un projet de société qui nous séduise, mais de préciser ce qu’il entendait par socialisme coopératif et de nous expliquer comment ça pourrait marcher. Et sur ce point, il se montre parfois convaincant, mais le plus souvent décevant.

    Aux régies d’État, Lavergne oppose les « régies coopératives » dont il voit un modèle dans le Crédit communal de Belgique. Cette institution créée en 1860 fonctionnait comme une coopérative de crédit, autrement dit une banque, dont les sociétaires sont des collectivités locales, une formule hybride qui subsista jusqu’à sa fusion en 1996 avec le Crédit Local français pour former le conglomérat financier Dexia. L’aventure tourna court, car ni la tradition coopérative belge, ni les habitudes prises en France au sein de la Caisse des Dépôts et Consignations n’empêchèrent Dexia de se plonger avec délectation dans la spéculation financière et boursière la plus effrénée, comme si les nouveaux venus dans ce monde douteux avaient tenu à prouver qu’ils pouvaient d’emblée se porter au niveau de cynisme des Lehmann Brothers et autres Goldman Sachs. De malversation en malversation, Dexia fut acculé à une faillite retentissante en 2011, que les États français et belge durent éteindre en urgence avec les milliards des contribuables des deux pays.

    Pendant toute sa vie, Lavergne avait fait l’éloge du Crédit Communal de Belgique, dont la longue et sage histoire ne mérite certes pas d’être ternie par la lamentable déconfiture de Dexia. Il n’en demeure pas moins que ce modèle ne saurait se prévaloir d’un caractère universel. Tout au plus se rapproche-t-il des puissantes régies municipales germaniques, qui certes polarisent une part non négligeable de l’économie allemande, mais qui ont sans doute aussi contribué à ce que l’idée d’Économie Sociale n’y ait toujours pas pénétré. Par ce tropisme, Lavergne se rapproche plus d’Edgar Milhaud, père du concept d’économie collective, que de Charles Gide (et je m’amuse à constater que sur ces trois personnages, deux sont nés à Nîmes, et le troisième à Uzès).

    Ceci dit, on voit mal comment une transposition de ce système coopératif de communes aurait pu s’acclimater en France et surtout y devenir assez puissante pour constituer la colonne vertébrale d’une Troisième Voie crédible et conquérante. Lavergne pouvait bien se persuader que c’est par un semblable truchement que s’établira de proche en proche un transfert des pouvoirs aux citoyens consommateurs pour former un jour la République coopérative, cette Jérusalem terrestre qu’il appelle de ses vœux ; plus il vieillira, et moins ces élucubrations auront de crédit. En 1968, il n’en restait plus rien.

    Aujourd’hui, l’intérêt porté aux « territoires » peut redonner une chance à cette idée, à condition de tout reprendre à zéro. Il ne s’agira ni des grandes villes, ni même des moyennes, mais de cette France interstitielle, périphérique, qui se sent déclassée, et où les municipalités élues ont vu leurs principaux pouvoirs transférés aux EPCI (communautés de communes). L’espace y est libre pour l’organisation de solidarités économiques de proximité, l’Économie Sociale y est présente, c’est même là qu’elle est le plus innovante, le plus dynamique. Sans parler de réhabilitation, certains combats de Bernard Lavergne pourraient y trouver comme un parfum de précurseur.

    Philippe KAMINSKI

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    * Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, afin d’ouvrir les lecteurs à une compréhension plus vaste des implications de l’ESS dans la vie quotidienne.

  • Comment en est-on arrivé là ? (Partie 1), par Frederic Poretti-Winkler.

    En relisant Marie Madeleine Martin...
    " Toutes les révolutions ont été faites par des livres » Bonald

    On ne peut distinguer le social du politique. C’est une grave erreur (XVIIIe siècle) et une utopie d’imaginer une distinction entre les deux. De tous temps il y eut des idées « subversives » voir destructrices, nommées idées nouvelles. Nous voulons dire des idées qui, selon l’étude attentive du passé, bref l’empirisme, entraînent les sociétés vers le chaos et finalement l’abime…Ces idées sont souvent sortis d’esprits tourmentés et chimériques, essayant d’imposer leurs idées, souvent égoïstes et mues par des cerveaux dérangés, à une société, qui selon eux, devrait être construite à leur image…En général et l’histoire, le montre continuellement, les utopies finissent vite dans le chaos, le sang et les charniers.

    frédéric winkler.jpgCertaines sociétés arrivent mieux à endiguer de tels déviances mais d’autres, plus fragiles, y succombent. Les arguments de ces fauteurs de trouble sont souvent les mêmes : « progrès, liberté, égalité, modernisme, vertu » Lorsque ceux-ci arrivent au pouvoir, les belles idées sont vite oubliés pour que les vainqueurs se servent. Ces expériences amènent régression, guerres (civiles ou extérieures) et massacres. Une caste plus « égalitaire » que les autres, devient privilégiée et entraînera dans ses chimères le peuple vers le néant…

    Il n’y a pas d’idée nouvelle qui n’est déjà été pensé par les antiques grecs. La monarchie lutta sans cesse contre la subversion, guerre de religions, Renaissance et libre examen. Sous Louis XIV, Bayle préparait déjà la venue de Rousseau et Voltaire. Dans les temps médiévaux, les hommes d’Eglise pouvaient critiquer le monarque en secret ou ouvertement quelquefois, mais cela restait local et ne portait pas à conséquence. Lors des rencontres entre peuple et roi, certains n’hésitaient pas à faire des remarques au souverain. Cela faisait partie de la vie dans l’ancienne France, même si quelquefois, l’esprit « frondeur » du peuple choquait les visiteurs étrangers. Lors des repas royaux, où le peuple était convié, on parlait ouvertement au roi et certaines anecdotes sont restées…La société de l’époque, organisations de village, communautés de métier, etc… étaient fortes, structurées et représentées dans des conseils. Les parlements refusaient ouvertement certains Edits du roi et c’était comme cela, même sous Louis XIV… Louis XV doit affronter une nouvelle force : « l’opinion publique »
    Bien que les pamphlets existaient avant, ils n’avaient pas la même audience : « Jamais il n’avait existé, comme au XVIIIe siècle, une organisation puissante, ramifiée à l’infini, reliant tous les manieurs de plume d’un bout à l’autre du territoire et couvrant la France d’un réseau serré, propre à fortifier partout l’union des principes pour une œuvre commune. L’action des intellectuels devint alors une véritable machine de guerre…» (M.M.Martin) En 1789, la France est monarchiste. L’opinion sera orientée par l’Education Nationale, Préfets, Préfectures et les puissances d’argent qui détiendront les journaux au XIXe siècle. Tout cela dans le but de changer l’esprit français. « Ce qui avait été, au temps de Voltaire, le triomphe de l’esprit dénigrant et ironique, attaquant néanmoins toujours sur le terrain des idées, devient désormais une organisation mécanique et froidement calculée pour servir des intérêts.»
    Pierre de la Gorce rajoutait : « La vraie puissance ne réside alors ni aux Tuileries, ni au Luxembourg, ni au Palais-Bourbon ; elle n’appartient ni à l’armée, ni aux fonctionnaires, ni aux nobles, ni aux bourgeois, ni au menu peuple. Dans le corps social, un seul organe, le journalisme, l’a accaparée toute entière » Ce qui sous la plume d’Henri Heine (vers 1835) donnait : « L’argent est le dieu de l’époque et Rotschild est son prophète » et Sainte-Beuve « Toujours et au fond de tout, l’argent, le dieu caché, Crésus ». C’est ainsi que l’édifice monarchique multiséculaire tomba malgré un peuple profondément royaliste…
    « Il est frappant que, pendant plusieurs siècles, les doctrines subversives s’étaient heurtées chez nous à la monumentale solidité de la société de l’Ancien Régime, avec ses familles centrées sur la maison, bien quasi immortel dominant les passions fluctuantes des individus ; avec ses profes¬sions organisées à partir de la notion d’intérêt commun entre employeurs et employés, du respect, aussi, d’idéal professionnel transcendant la notion de bas profit ; avec son organisation poli¬tique, héritière à la fois de Rome, gardienne du Droit, et de la chevalerie médiévale exaltant les notions de service et de fidélité... ».

    Marie Madeleine rajoute plus loin : « Après 1789, la société se désagrège, de façon très peu apparente d’abord, puis à partir de 1860 de manière frappante... Les doc¬trines ne se heurteront donc plus au rempart d’un ordre quasi intangible, mais viendront accélérer une anarchie qui aboutira à la véritable dissolution étalée aujourd’hui sous nos yeux. » La monarchie fut toujours contre le pouvoir des féodalités. Même si l’argent représentait un pouvoir, il n’était pas le seul. Alors qu’il détiendra l’entier pouvoir et deviendra roi avec la Révolution et la République. « Le processus de cette dissolution aura été de pair avec l’influence de plus en plus importante de la bourgeoisie d’affaires, grande triomphatrice de 1789, à la fois contre le pouvoir royal, contre la noblesse terrienne et contre le peuple lui-même. Au lendemain de la Grande Révolution, seule une certaine partie de la classe bourgeoise vit restaurer et même accroître ses privilèges : la noblesse et le clergé avaient perdu les leurs ; le peuple était blessé à mort par la suppression des corporations et des autonomies locales ou provinciales. La haute bourgeoisie, au contraire, a conquis en 1789 cette place qu’elle avait cherché pendant si longtemps à arracher aux autres privilégiés ; de plus, elle a institué dans les assemblées révolutionnaires, un système électoral donnant prépondérance au pouvoir de l’argent (elle affirmera ce système, dans toutes les Assemblées de la Restauration, où le suffrage censitaire consacrera la suprématie des détenteurs de biens). Grisée par son pouvoir grandissant, la bourgeoisie d’argent voit bientôt dans la monarchie le seul ennemi qui défende l’intérêt général contre ses intérêts particuliers ; les débuts du XIXe siècle sont remplis par ce conflit entre le monde de la finance et une autorité royale héroïquement accrochée pour la dernière fois à la grande tâche capétienne : la défense de la nation contre les excès des féodalités. »

    Ce nouveau pouvoir allait changer peu à peu les mentalités, la bourgeoisie venait de triompher du roi et du peuple : « La question d’argent était devenue la préoccupation dominante d’une société transformée. L’accès aux affaires de la bourgeoisie, gestionnaire d’intérêts matériels, avait amené ce changement. Les questions de finance et leur importance avaient pénétré dans l’esprit d’un public beaucoup plus vaste. La notion de l’argent et de son pouvoir dans l’Etat, les facilités ou les obstacles qu’il pouvait rencontrer, selon la forme et l’esprit d’un régime, étaient des notions toutes nouvelles mais qui retenaient déjà l’attention de certains milieux »( Marcel Chaminade).

    Marie Madeleine Martin parlant d’Emmanuel Beau de Loménie rajoute : « Ce fait est la persistance du pouvoir de certaines familles, à travers toutes les révolutions et changements de régime, au cours des XIXe et XXe siècle. En consultant les annuaires et almanachs où figurent les noms, les titres et les emplois des fonctionnaires publics ainsi que les membres des corps constitués…Certaines familles de la haute bourgeoisie ont maintenu leur pouvoir à travers tous les régimes. Or, ce pouvoir, né au cours de la Grande Révolution, est le plus éclatant démenti que l’on puisse donner aux historiens qui datent de 1789 la fin du règne des privilégiés. En réalité jamais la monarchie capétienne française, au cours des dix siècles de son histoire, n’avait connu une semblable persistance d’un pouvoir dynastique des Grands maintenu à ses côtés avec un tel succès » Un partie de la noblesse se pervertira et la Gauche dénoncera dans les années 30, les « 200 familles » : « Et c’est l’argent, prenant une place primordiale dans la vie du pays, qui va pervertir une partie de l’aristocratie, après avoir fait, de la haute bourgeoisie d’Ancien Régime, une caste plus implacable que celle des tyrans de la société antique : c’est l’argent qui enfin, un jour, arrachera le peuple lui-même à ses traditions séculaires de respect du travail et de l’économie, à sa désinvolture moqueuse, à son mépris joyeux envers les forces matérielles, pour faire naître un troupeau sans réaction devant la mainmise de l’Etat parce qu’il aura été préalablement annihilé par le goût du confort. ». Charles Péguy qu’il faut aussi citer : « Tout le monde devient bourgeois : les seigneurs sont devenus bourgeois, le peuple est en train de devenir bourgeois ». Honoré de Balzac sera d’ailleurs aussi clairvoyant…

    « C’est pourquoi, lorsque les premiers textes des socialistes et surtout ceux de Karl Marx verront le jour, au milieu du XIXe siècle ils présenteront une justesse certaine dans leur partie critique : en dénonçant le Capital comme le grand responsable des maux de l’époque, Marx ne commet pas une erreur, puisqu’on ne peut nier l’influence néfaste de l’argent en son temps. Les thèses socialistes s’avéreront fausses seulement parce qu’elles ne distingueront pas une société bouleversée jusqu’en ses bases par le libéralisme du XVIIIe siècle, et la société normale, telle qu’elle existait par exemple en France pendant des centaines d’années et dans laquelle les féodaux de l’argent étaient solidement maintenus en place par un Etat indépendant, au même titre que les féodaux du sang. Dans cette société ancienne, le capital familial, transmissible, avec ses accompagnements de responsabilité et de service rendu, de travail et d’effort, n’était pas un dissolvant, mais bien au contraire un élément vital de la nation. »

    Le règne de l’argent installera de nouveaux privilégiés comme les fonctionnaires, que l’histoire avait déjà connu dans la Rome déclinante. Parmi ceux-ci les Universitaires : « entièrement reliés au régime par le mono¬pole établi sous le Premier Empire, constituant une véritable Eglise dont l’influence sur le peuple français se développera avec les progrès de la République, aura fourni au triomphe de certaines doctrines un corps dévoué, parfois inconscient du rôle néfaste qu’il joue, fermé à la critique des idées générales par la spécialisation outrancière de l’enseignement officiel, mais disposé ainsi à servir les doctrines de l’Etat avec une obéissance dont les ecclésiastiques de l’Ancien Régime auraient pu railler le caractère absolu ! »
    Frederic PORETTI-Winkler (Histoire Social, à suivre)