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grande guerre

  • 26 août 1914 ... La responsabilité du vieux Habsbourg

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    Elle est magnifique la terre de nos provinces de l'Ouest. On y retrouve en ce moment l'état d'esprit de confiance absolue qui était celui de Paris voilà quinze jours. Les hommes ici sont partis d'assez bon cœur en déclarant que la guerre était inévitable, qu'il fallait en finir,, mais en couvrant de malédictions l'empereur François-Joseph...

    Pauvre Jacques Bonhomme, va te battre, ta carte d'électeur dans ta poche à côté de ta feuille de mobilisation, comme la notion de la guerre "inévitable" cohabite dans ton esprit avec l'idée de la responsabilité du vieux Habsbourg.

    Va te battre, pauvre dix-millionième de souverain, comme tu t'es toujours battu sous les monarchies, les empires et les républiques, en recherchant les raisons obscures des fatalités qui pèsent sur toi.   

     

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  • 25 août 1914 ... Le sang-froid est à l'ordre du jour

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    Un train bondé : l'exode commence, mais avec un grand calme. Un mot suffit pour apaiser les inquiétudes des femmes. Le sang-froid est à l'ordre du jour... Les voies sont gardées par des territoriaux armés d'un fusil Gras, sans uniforme. Un képi et un brassard : quelquefois le brassard seul sur la blouse ou le veston révèlent le militaire. Plus on avance vers l'Ouest, plus le relâchement s'accuse. Je comprends que ce spectacle ait alarmé de vieux soldats comme L...-S...

    A Bernay, nous précédons un train de blessés. Majors, infirmières, Croix-Rouge sont sur le quai de débarquement pour les recevoir. Beaucoup de bonne volonté, de dévouement, mais si peu d'organisation ! On sent l'improvisation, l'inachevé qui doit s'étendre à la pharmacie de l'ambulance. Quelques voyageurs, choqués de ce spectacle d'incurie en plein air disent : "C'est une foire." Mot dur, mais vrai : tout est en plein vent, avec des moyens de fortune. Je me représente ce que peut être en ce moment l'équivalent de Bernay à cent kilomètres à l'Ouest ou à l'Est de Berlin, la gare imposante, les quai monumentaux, l'ordre et l'alignement parfaits... les moindres détails prévus, la machine sanitaire fonctionnant aussi bien que la machine militaire. Peut-être avons-nous atteint en 1914 le degré d'organisation auquel les Allemands étaient parvenus en 1870. C'est bien juste et j'en doute encore. 

    A Lison, je cause avec le territorial qui garde le passage à niveau. Il n'est pas mécontent de son "fusil Gras transformé", et il en regarde le canon avec une certaine complaisance. Puis, dans le jargon du Cotentin, il répète presque inintelligiblement ce qu'il a lu dans son journal ou entendu de l'instituteur : que ce n'est pas le soldat prussien qui est un méchant homme, mais l'officier. Et il ajoute, après un moment de silence où est remontée une rancune : "P't'êt'ben l'sous-officier aussi."  

     

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  • 24 août 1914 ... Un vent de démoralisation souffle de tous côtés

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    Une journée dont on se souviendra : la première qui soit marquée par une mauvaise action. Le sénateur Gervais raconte au Matin qu'une division, en Lorraine, a refusé de combattre et laissé tomber Lunéville aux mains de l'ennemi : le sénateur Gervais, en spécifiant que cette division vient du Midi, jette la suspicion sur le courage  de la moitié de l'armée. Tout ce qui est méridional et tout ce qui est français s'indigne. La carrière de ce monsieur comme journaliste me paraît bien compromise. D'après une version qui m'est donnée, le sénateur Gervais, en jetant le blâme et la honte sur les contingents du Var, a servi une intrigue politique dirigée contre Clemenceau, sénateur de ce département, et dont l'influence, en ce moment, est redoutée. Le Parlement contre l'union nationale, c'est parfait (1) !

    D'autre part, on a renvoyé de nombreux territoriaux dans leurs foyers, et ils sont revenus en disant qu'on n'avait pas de fusils à leur donner, que beaucoup de réservistes n'avaient "touché" que des fusils Gras.

    Un vent de démoralisation souffle de tous côtés. J'appends que, dans les sphères officielles, et en particulier au ministère de l'Intérieur, on broie du noir. Au Crédit Lyonnais un commis et le caissier m'interrogent avec anxiété. C'est un Paris nouveau... Les articles des journaux officieux destinés à rassurer sont si maladroitement conçus qu'ils répandent l'alarme, en somme qu'on commence à ne plus savoir qu'inventer. Ainsi, à 5 heures du soir, on signale de l'effervescence à Montmartre et dans quelques faubourgs où la misère grandit : renseignements pris, il s'agit de quelques plaintes, tout de suite apaisées, de femmes de mobilisés sur la manière dont était distribuée l'allocation journalière. Les imaginations ont un peu de fièvre...   

    Dom Besse sait de source sûre qu'il s'en est fallu de peu que la Belgique ne laissât passer l'invasion allemande. Le gouvernement de M. de Broqueville ne se souciait pas du tout de prendre une aussi lourde responsabilité. C'est le roi, appuyé par le général Léman, qui a triomphé de la résistance de ses ministres et même de certains généraux. 

    Allé voir Mme D..., qui est toujours infirmière à l'hôpital Saint-Martin. Elle soigne un adjudant, vieux briscard qui va perdre une jambe horriblement mutilée par une balle explosive. "On devrait bien répondre à ces procédés de sauvages par des procédés pareils" lui disait Mme D... Et l'autre, avec une conviction profonde : "Oh ! non, madame ! Il y a la Convention !" Il voulait parler de la Convention de Genève qu'il n'a certes jamais lue. Mais ce respect, quasi mystique, des traités, c'est une manifestation magnifique de ce sentiment de l'honneur si puissant chez les Français...

    La mobilisation est terminée : les communications sont rétablies au moins pour quelques jours avec la province. J'en profite pour aller régler quelques affaires en Normandie, voir ce qu'on pense dans les départements; mais rentrer à Paris sera-t-il possible ?... 

     

    (1) André Bellessort, qui revenait d'Extrême-Orient, eut connaissance, en escale à Ceylan, de l'article du Matin; cette diffamation de la France par un Français avait fait immédiatement le tour du monde. Voici ce que Bellessort a écrit à ce sujet dans la Revue des Deux Mondes du 1er janvier 1915 : "Des détails précis, ou qui semblaient l'être, il ne nous en arriva qu'un seul, et je ne sais comment... Je n'en dirais rien, s'il n'était bon de rappeler au sentiment de leur responsabilité ceux qui, dans des heures aussi graves, tiennent une plume de journaliste. Un article publié par un journal français et autorisé par la censure dénonçait je ne sais quelle défaillance de je ne sais quel régiment, une misère qui, en admettant qu'elle fût vraie, n'atteignait pas plus l'héroïsme de nos troupes que les ordures qu'elle roule à Bénarès ne corrompent l'eau du Gange. L'écho de cet article était venu jusqu'à Ceylan; un de nos compatriotes en fut insulté dans un hôtel de Kandy."

     

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  • 23 août 1914 ... Léon Daudet : Je vis dans une mortelle angoisse en attendant l'issue de la bataille

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    D'une lettre à Léon Daudet : "...Pour tout vous dire, mon cher ami, je vis dans une mortelle angoisse en attendant l'issue de la bataille. Nous avons eu raison sur tant de points que j'ai peur que nous n'ayons raison jusqu'au bout, - et ce bout je n'ose même pas écrire le nom qu'il porte à la guerre... En somme, n'est-ce pas, c'est Viviani et LLoyd George, deux avocats radicaux-socialistes, qui font campagne contre un Etat dont la guerre est "l'industrie nationale". La situation, en dernière analyse se réduit à cela. Et nous voici à l'heure du grand jugement pour les hommes et pour les idées, pour les caractères et pour les institutions. Tuba mirum spargens sonum. Seulement, c'est le canon qui est la trompette formidable.

    Vous ne pouvez vous représenter l'aspect de Paris depuis trois semaines. Dans l'espace d'un jour, toutes les nuances se succèdent : espérance, inquiétude, colère, abattement, retour à la confiance. C'est la mobilité d'un visage de femme..."

    Aujourd'hui, c'est une crispation qui se voyait sur ce visage. L'entrée des Allemands à Bruxelles a introduit le peuple de Paris dans des pensées graves. On comprend que l'ennemi marche vers la frontière du Nord. On commence à s'étonner un peu que nous l'ayons laissé descendre si bas...

    La vérité est, paraît-il, que les Anglais ont retardé l'action. Leur débarquement a été lent. Ils marchent, encombrés d'un nombreux bagage : ils ont jusqu'à de tables à thé et de la glace pilée pour le whisky, me disait quelqu'un tantôt. 

    Le même, bien informé des choses maritimes, ajoutait que la marche de l'escadre anglaise était entravée par le nombre prodigieux de mines que les Allemands ont semées dans la mer du Nord. En outre Heligoland est devenue une île de feu et de flamme dont on ne peut approcher et qui menace les plus puissants dreadnoughts. Les Anglais regrettent amèrement aujourd'hui d'avoir cédé cette île aux Allemands contre je en sais plus quel morceau de Zanzibar... En réalité, l'Anglais a usurpé sa réputation. Il est imprévoyant et impolitique. Il vit au jour le jour, sans grand dessein, sans idées générales. Il nous a laissé battre en 1870 et il doit faire la guerre à nos côtés aujourd'hui, ce n'est pas économique. Il a laissé venir le moment de cette guerre sans s'être créé l'armée qu'il lui eût fallu pour la soutenir dans de bonnes conditions. L'histoire n'admirera pas cela non plus.

    Les blessés soignés à la Croix-Rouge, nous dit Mme de Mac-Mahon, racontent l'impression d'horreur et d'angoisse qu'ils ont ressentie en se voyant tomber sur le champ de bataille, redoutant d'être achevés sinon torturés par les Allemands. Cette guerre prend un caractère si atroce de peuples et de races que les républicains eux-mêmes s'en aperçoivent. Messimy a déclaré qu'il ne s'agissait plus de la "guerre en dentelles". Nous n'avons donc pas fait de progrès, et l'humanité non plus, depuis Fontenoy ?

    On parle d'une invention terrible de Turpin, un explosif incomparable que les avions jetteraient du haut des airs et qui serait capable d'anéantir des milliers d'hommes d'un coup. Mais de quoi ne parle-t-on pas ? Et quelle fable ne trouverait créance parmi deux millions de Parisiens qui attendent  l'issue d'une terrible bataille ? 

     

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  • 22 août 1914 ... Guerre des nations, guerre des peuples

    Les Allemands sont entrés à Bruxelles et ont exigé le paiement immédiat d'une contribution de guerre de 200 millions. On dit que Guillaume II s'apprête à prononcer l'annexion de la Belgique à l'Empire allemand... Toutes les choses dont on avait dit qu'elles étaient imaginaires ou impossibles se réalisent l'une après l'autre; le programme pangermaniste, roman d'hier, s'accomplit aujourd'hui.

    Les X... arrivent de Hongrie après un voyage de huit jours en troisième classe, - haute faveur due à ce qu'ils étaient dans le même train que l'ambassadeur d'Angleterre et le consul de France à Vienne. Ils ont croisé chemin faisant plus de cent trains de soldats austro-hongrois et disent qu'il leur a paru que la mobilisation autrichienne s'effectuait avec ordre et promptitude. 

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    A Buda-Pest, ils ont vu le comte Tisza, l'homme à poigne calviniste qui est président du conseil et pour autant dire dictateur en Hongrie, et même un peu à Vienne. Tisza prend sur lui toutes les responsabilités du conflit austro-serbe. Il ne se cache pas d'avoir poussé le comte Berchtold - un hésitant -  et l'empereur François-Joseph à envoyer la note comminatoire à la Serbie. Mais il avoue qu'il ne prévoyait pas qu'en voulant "mater" les Serbes, il déclencherait tout le système des alliances. Il avait cru que la Russie laisserait les Serbes en tête à tête avec l'Autriche comme en 1909. Il se dit sincèrement désolé que l'Autriche-Hongrie soit entrée en guerre avec la France... Bref, le comte Tisza fait penser à l'apprenti sorcier de Goethe, qui connaissait bien le mot par lequel les éléments se déchaînent, mais qui ne savait pas celui par lequel on les fait rentrer dans l'ordre.   

    Dans un article du 20 août intitulé la "Guerre des Nations", j'ai essayé d'expliquer le "pourquoi" et le "comment" que le comte Tisza paraît ne pas avoir compris. J'en ai vu, non sans surprise, des fragments importants reproduits dans plusieurs journaux. On me dit qu'il a été aussi très commenté dans divers milieux. Je le reproduis ici, - pour prendre date :

    "Il importe de comprendre à fond et de saisir avec force les causes du conflit européen si l'on en veut pas que la politique française soit exposée à des erreurs, le public à des déceptions. Déjà, de divers côtés, on a fait fausse route, on a tiré des interprétations excessives de certaines paroles comme celle de ce prisonnier allemand qui aurait dit : "Cette guerre est une guerre d'officiers." Méfions-nous des anecdotes et essayons de pénétrer au centre des réalités.

    Si nous remontons à trois mois en arrière, - un peu de temps avant l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand, - nous découvrons que la situation diplomatique était la suivante.

    L'Europe se trouvait divisée en deux groupes antagonistes, Triple-Alliance et Triple-Entente, dont l'opposition, en temps normal, avait pour résultante un équilibre, relatif sans doute, mais qui, tel quel, était considéré comme une garantie de paix. Garantie extrêmement précaire, ainsi que l'évènement l'a prouvé. En fait, les deux grands systèmes d'alliance renouvelaient, avec une frappante similitude, les plus célèbres combinaisons de la diplomatie historique, celles qui s'étaient incessamment formées, dissoutes et reformées au XVIIIème siècle et qui avaient causé les interminables conflits de ce temps-là, continués et aggravés par les grandes guerres de la Révolution. Triple-Alliance et Triple-Entente eussent été des conceptions immédiatement familières à Choiseul, Kaunitz ou Frédéric II revenant parmi nous. Cent fois nous avons dit ici que la République française faisait, sans s'en rendre compte, de la diplomatie d'ancien régime dans les conditions d'existence de la démocratie.  

    Quelque dangereux que pût être l'antagonisme de deux groupes de puissance rivalisant d'armements, on pouvait cependant estimer que la paix européenne qui s'était maintenue, à travers des circonstances si défavorables, pendant de longues années, pourrait se maintenir encore.

    Certes, la politique d'intimidation, à laquelle l'Allemagne se livrait sans trêve depuis le coup de Tanger, était dangereuse et risquait à chaque fois d'entraîner la guerre. Chaque fois l'état d'esprit sincèrement pacifique de la Triple-Entente écartait ou différait le danger. La prudence dont on faisait preuve à Paris et à Londres et à Saint-Pétersbourg était telle qu'il était évident qu'il faudrait à Berlin et à Vienne une volonté nettement provocatrice pour troubler la paix.

    C'est à Berlin et à Vienne que cette volonté s'est rencontrée en effet. Mais pourquoi s'est-elle rencontrée en 1914 et non dans les années antérieures ? Pourquoi l'Allemagne a-t-elle, le mois dernier, franchi le large pas  qui sépare la menace de guerre, moyen de chantage diplomatique, de la guerre elle-même avec tous ses risques ? Nous voici au cœur du problème.

    On s'aperçoit, en effet, en évoquant l'origine du conflit, c'est-à-dire l'ultimatum de l'Autriche à la Serbie, que, pour la première fois cette année, depuis la fondation de l'Empire allemand, on aura vu le monde slave résister à la pression germanique. En 1878, au congrès de Berlin, comme en 1912-1913, à la conférence de Londres, le bloc austro-allemand avait fait reculer le slavisme, en avait tenu pour nulles les aspirations. Cette fois le slavisme ne s'est pas laissé faire, et aussitôt l'Allemagne a tenté de le briser.  

    Ainsi, dans son principe, cette guerre était une guerre de Germains contre les Salves. On a pu espérer, à Berlin, que la France l'interpréterait ainsi, se dégagerait de l'alliance russe au moment où l'alliance l'exposait à être attaquée elle-même : la procédure dont s'est servie M. de Schoen prouve bien qu'on a essayé, toujours par l'intimidation et la menace, d'obtenir notre neutralité. Ainsi l'Allemagne eût détruit l'alliance franco-russe et tenu la Russie à sa discrétion : d'une pierre deux coups. Ce calcul, - qui nous réservait de cruels lendemains, - a été déjoué et la guerre est devenue générale. Mais il reste toujours que c'est la résistance du monde slave aux prétentions de l'Allemagne et de l'Autriche dans l'affaire Serbe qui a servi au moins de prétexte aux deux gouvernements germaniques pour se lancer dans la guerre. Imaginez, en effet, la Russie se désintéressant de la Serbie, laissant ce petit peuple aux prises avec l'Autriche, - comme précédemment il était arrivé maintes fois à la Russie de le faire, - et le prétexte cherché par l'Allemagne tombait. Quel que fût son désir mauvais d'ensanglanter le monde, elle devait se contenter d'un "succès diplomatique", comme après l'ultimatum présenté à Saint-Pétersbourg en 1909 par l'ambassadeur de Guillaume II.

    Que s'est-il donc passé entre 1909 et 1914 pour que l'attitude de la Russie ait à ce point changé ? Il s'est passé ceci que la Russie a évolué de l'autocratie pure à un régime où l'opinion fait entendre sa voix. Naguère le tsar autocrate n'avait - pour adopter le vocabulaire républicain - que des sujets : il y a aujourd'hui - toujours pour parler le même langage - un peuple russe. Et ce peuple a ses passions, ses visées. Il a une haute idée de ses droits, dont il a pris conscience, et le droit de vivre, de se développer comme nation, est le premier de tous. Souvenez-vous des séances orageuses de la Douma, où, depuis un an et demi, la politique de prudence, de temporisation et même d'effacement, que la Russie officielle a pratiquée depuis l'annexion de la Bosnie par l'Autriche, a été blâmée avec tant de véhémence. La fin de l'amitié traditionnelle qui régnait entre la cour de Saint-Pétersbourg et la cour de Berlin, c'est, pour la plus large part, à la Douma, c'est à la naissance d'une opinion publique russe qu'il faut l'attribuer.   

    Qu'en devenant un nation, au sens que le mot avait chez nous en 1792, la Russie dût faire une grande poussée de nationalisme, c'est d'ailleurs ce que l'on pouvait annoncer par l'expérience de l'histoire. Comme la Révolution française, l' "évolution russe" aura posé les problèmes de nationalités et de races dans les termes et avec la passion qui déchaînent les vastes chocs des peuples entre eux. Voilà ce qui a servi à faire rompre le fragile équilibre de la Triple-Entente et de la Triplice...    

    A mesure que les idées de libéralisme et de démocratie repassent de l'Occident à l'Orient, ce sont les mêmes incendies qu'elles allument. Guerres de notre Révolution, guerres pour l'unité de l'Allemagne et de l'Italie au milieu du XIXème siècle, guerres pour l'affranchissement et la croissance des peuples slaves aujourd'hui, les unes se sont engendrées des autres avec une implacable régularité. Quelle erreur, quelle hérésie de voir dans le vaste choc  qui met en ce moment les nations aux prises le seul crime des empereurs et des rois : la vague vient de plus loin que les trônes, et parfois c'est la même qui les a emportés. Et quelle imprudence chez ces socialistes français qui croient encore que la République allemande assurerait la paix de l'Europe ! Plusieurs républiques allemandes, et aussi petites que possible, peut-être...  Mais une grande République allemande, qui se battrait avec toutes les ressources accumulées par les Hohenzollern en y mettant l'énergie d'une fureur nouvelle, - celle des républicains de 1793, - une République allemande qui, pour le coup, ne ferait plus une "guerre d'officiers", mais une guerre du peuple, et qui défendrait farouchement son unité... Si les socialistes français croient que cette République-là arrangerait les affaires de la paix, c'est qu'ils ont oublié tout ce que disait Bebel, c''est qu'ils n'ont pas compris pourquoi le camarade Liebknecht, fusillé, avait-on dit, pour refus d'obéissance, a pris le sac et le fusil."

    Des millions d'hommes qui se battent en ce moment en Europe, combien y en a-t-il au fond qui comprennent pourquoi, en vertu de quelles raisons, de quelles idées ? C'est toujours le même mystère de l'histoire, la même complexité de forces, de courants, de nisus, qui président à la destinée du genre humain. Et le peuple souverain, le socialiste conscient se fait casser la tête pour un ensemble de causes si lointaines qu'il pourrait dire au principe des choses comme l'apôtre à la divinité : "Tu es vraiment un dieu caché !"

    Si nous sommes vainqueurs, Viviani sera un grand homme. Si nous sommes battus, il passera au rang d'Emile Ollivier, et son mot à M. de Schoen, - mot qui, en somme, voulait dire : nous choisissons la guerre, - "la France est calme et résolue", ce mot-là pourrait bien prendre place dans l'histoire à côté du "cœur léger".  

     

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  • 21 août 1914 ... Tout le monde veut bien le croire, même si c'est une pieuse fable...

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    Service à Notre-Dame-des-Victoires à la mémoire de Jules Lemaître : une simple messe basse, sans musique ni tentures. Du recueillement de l'émotion dans l'assistance la plus composite du monde. Le public d'un enterrement, c'est un peu toute la vie d'un homme, c'est l'image des berges entre lesquelles a coulé le fleuve de sa vie. La Sorbonne, le théâtre, le boulevard, le journalisme, l'Institut, la Patrie française et l'Action française, voilà ce qui est venu rendre un dernier hommage au pauvre "parrain". Le duc et la duchesse  de Vendôme s'étaient fait représenter et la marquise de Mac-Mahon avait fait célébrer la messe. Et Lemaître, qui avait si longtemps vécu dans les sentiments d'un pur "libertin", d'un disciple de Renan et même beaucoup plus sincèrement - ou naïvement, il en convenait volontiers, - que Renan, dans le sentiments d'un républicain libéral. 

    La messe célébrée, tout le monde parle de la guerre, de l'entrée des Allemands à Bruxelles. Grosclaude sort du ministère des Affaires étrangères. On continue, au Quai d'Orsay, à se réjouir de la situation pour les raisons suivantes. On estime que les Allemands sont allés à Bruxelles parce qu'ils avaient besoin de quelque chose qui fît impression sur les masses allemandes et qu'on pût présenter comme un succès. Mais, à ce besoin-là, ils ont sacrifié leur sécurité, ils se sont exposés dangereusement, en sorte que l'on ne doute pas du succès des armées alliées. Tout le monde veut bien le croire, même si c'est une pieuse fable...     

     

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  • 2O août 1914 ... Le Pape est mort cette nuit à 1h2O

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     Le Pape est mort cette nuit à 1h2O.

    - C'est une victime de la guerre, me dit Camille Bellaigue, qui est peut-être un des hommes auxquels Pie X aura le mieux aimé confier sa pensée, - un des Français, en tout cas, qui auront le plus approché ce pontife plébéien et réformateur.

    Déjà, il y a trois mois, au consistoire où il avait nommé une informata des cardinaux qui éliront son successeur, le Pape, en des paroles vraiment prophétiques, avait dit le souci amer que lui causait l'antagonisme des peuples. Quand la guerre eût éclaté, il disait à Camille Bellaigue, en reprenant le mot du cardinal Antonelli : "C'est maintenant qu'il faut dire plus que jamais qu'il n'y a plus d'Europe." On me raconte encore que, l'ambassadeur de l'empereur François-Joseph au Vatican ayant demandé à Pie X de bénir les armées de l'Autriche, le Pape aurait répondu : "Je ne bénis que la paix."

    La presse de gauche est très gênée pour parler de ce Pape dont l' "entêtement" n'a pas du tout entraîné pour l'Eglise les catastrophes qu'on avait annoncées. Cette gêne devient un embarras extraordinaire pour les journaux socialistes, qui ne peuvent expliquer à leur clientèle comment "Sarto", enfant du peuple, prolétaire, fils d'une couturière et frère d'un facteur, a été profondément réactionnaire, tandis que Léon XIII, des comtes Pecci, grand seigneur jusqu'au bout des ongles, a pu passer pour libéral...   

     

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  • Jean Raspail présente le dernier Jean Sévillia...

                 Sous le titre L'incroyable destin de Charles de Habsbourg, Jean Raspail consacre dans Le Figaro Magazine (1) un bel article au dernier ouvrage de Jean Sévillia, Le dernier empereur.

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    Perrin, 358 pages, 21,80 euros

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  • Au dernier Poilu de la Grande Guerre...

              A l'annonce de son décès, Max Gallo a rendu dans " Le Figaro " un bel et émouvant hommage à Lazare Ponticelli :

                "... Il est le fils de la misère. Entre 1880 et 1914, des millions d'Italiens quittent leur pays et se répandent dans le monde entier, et d'abord en France et aux États-Unis. La vie de Lazare Ponticelli est ainsi exemplaire de cette fin du XIXe siècle. Pas de pain. Pas de chaussures. Pas d'école. Pas de travail. La mère dans les rizières de la vallée du Pô. Riz amer. Les sept enfants faméliques.. Puis le départ de la mère pour la France, "ce paradis où l'on mange".... Lazare, enfant presque abandonné, se met seul en route pour la France et débarque à 9 ans à la Gare de Lyon...

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