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Rechercher : qu'est-ce que le Système

  • Éphéméride du 26 mai

    2003 : Lancement de Galileo

     

     

     

    1445 : Aux origines de l'Armée permanente  

    Le roi Charles VII crée les Compagnies d'Ordonnance : bien plus que d'une simple réforme dans le domaine militaire, il s'agit en réalité de la première Armée permanente en France. 

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    Avec cette nouvelle formation militaire ce sera en effet la première fois que le roi disposera, à tout instant, d'une troupe régulière, constamment à sa disposition : jusque là, celui-ci devait faire appel à ses vassaux pour réunir l'Ost (coutume féodale du ban).

    Mais les vassaux n'étaient tenus de répondre à l'appel que pendant une durée de quarante jours.

    CHARLES VII ARMEE PERMANENTE.jpg
    Charles VII, aux origines de l'Armée permanente...
     

    La réforme royale se fera en deux temps, pour commencer :

    le 26 mai 1445 est institué le système des "lances" (unités de combattants composant l'armée);

    puis, le 28 avril 1448, une autre ordonnance viendra instituer les "francs archers".

    C'est donc d'abord dans le domaine militaire que les ambitieuses réformes menées par Charles VII seront menées. Et la création de cette armée permanente conduira rapidement à d'importants succès, militaires et donc politiques, dès 1449 et jusqu'en 1453.

    Il ne faut cependant pas dissocier ces Ordonnances de Charles VII du plan d'ensemble nettement plus vaste du souverain, et de la vision globale qu'il avait des choses militaires. Le roi qui institutionnalisa en 1445 l'armée permanente est le même qui, six ans auparavant, dès 1439, avait lancé son vaste programme de réorganisation militaire.

    Dans ses Vigiles de Charles VII (écrites en 1439) Martial d'Auvergne écrit :

    "L'an mil quatre cent trente neuf / Le feu roi si fit les gens d'armes / Vêtir et habiller de neuf, / Car lors étoient en pauvres termes. / Les uns avoient habits usés / Allant par pièces et lambeaux / Et les autres tout déchirés / Ayant bon besoin de nouveau. / Si les monta et artilla, / Le feu roi selon son désir, / Et grandement les rhabilla / Car en cela prenoit plaisir."

     

    Le même Charles VII avait, cette même année 1439, donné tout pouvoir à Jean Bureau pour réorganiser de fond en comble l'artillerie royale...

    BUREAU (artillerie de charles VII).JPG

    Le cimetière des Saints-Innocents a disparu avant la Révolution et il n'en reste que la Fontaine des Saint-Innocents, située au coeur des Halles de Paris. Cette croix des Bureau, située devant la porte de l'église dite "porte des Bureau", portait l'épitaphe de Jeanne Hesselin, Simon Bureau et Hélène sa femme.         

     

    C'est grâce aux progrès fulgurants accomplis par Jean et son frère Gaspard (les fameux frères Bureau) que la victoire sera complète et rapide face aux anglais à Castillon (la bataille qui mit fin à la Guerre de Cent ans, en 1453).

    BUREAU RIBAUDEQUIN MULKTIUTUBE A TIR EN RAFALE.jpg
     
    Artillerie des Frères Bureau : Ribaudequin multitube à tir en rafale

     

    Toutes proportions gardées, le roi Charles VII, le Bien servi, disposera d'une machine de guerre impressionnante et, pour un temps, invincible, comme Napoléon Bonaparte disposera, trois siècles plus tard, du Gribrauval et de l'ossature de l'armée de Louis XVI (voir l'Éphéméride du 9 mai sur l'oeuvre de Vaquette de Gribeauval)...

    C'est pour une bonne part de là que vient à Charles ce surnom de Bien servi.

    Bureau veuglaire a chargement par la culasse.jpg
    Artillerie des Frères Bureau : Veuglaire à chargement par la culasse
     
     
     
     
     
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    1602 : Naissance de Philippe de Champaigne

     

     Ci dessous, son Richelieu :

    RICHELIEU PAR PH DE CHAMPAIGNE.JPG
     
     
     
     
     
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    1942 : Début de la bataille de Bir Hakeim
     
     
    koenig.jpg
     
    Maréchal de France Marie-Pierre Koenig, vainqueur de Bir Hakeim face à l'Africa Korps de Rommel, dix fois plus nombreuse...

    https://www.histoire-image.org/fr/etudes/bir-hakeim

     

     

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    2003 : Lancement de Galileo

     

    Avec des réalisations comme Airbus ou Arianespace, l'Europe - et, évidemment, la France - s'était déjà hissée au niveau des meilleurs - États-Unis et autres "grands" - acquérant par là-même son indépendance dans des domaines aussi stratégiques que l'espace ou le transport aérien.

    Il lui restait à acquérir son indépendance dans le domaine tout aussi stratégique de la Géolocalistaion par satellite (GPS), un domaine dans lequel trois pays seulement disposaient, jusque là, d'un véritable système fiable : les États-Unis avec leur GPS (Global positioning System), les Chinois avec leur Beidou 2 et les Russes avec leur Glonass.

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    https://galileo-mission.cnes.fr/

     

     

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    3 janvier,sainte geneviève,paris,pantheon,attila,gaule,puvis de chavannes,huns,saint etienne du mont,larousse,joffreCette Éphéméride vous a plu ? En cliquant simplement sur le lien suivant, vous pourrez consulter, en permanence :

    la Table des Matières des 366 jours de l'année (avec le 29 février des années bissextiles...),

    l'album L'Aventure France racontée par les cartes (211 photos),

    écouter 59 morceaux de musique,

    et découvrir pourquoi et dans quels buts lafautearousseau vous propose ses Éphémérides  :

     

     

    lafautearousseau

  • Une exclusivité lafautearousseau : les Éphémérides de chaque jour de l'année...

    lfar flamme.jpgAimer la France, la servir, c'est d'abord connaître son Histoire et ceux qui l'ont faite : artistes, savants, hommes de guerre et d'Église, inventeurs, architectes, maçons et jardiniers...

    "Re-franciser" les Français, que le Système a tout fait pour "dé-franciser", "dans leurs têtes" -si on nous passe l'expression - avec son École de la des-Éducation nationale : chaque jour, au milieu de notre série d'articles, vous trouvez l'Éphéméride quotidienne, qui vous permettra de vous "re-brancher" sur vos Racines, votre Culture, vos Traditions fondamentales; et vous pouvez retrouver ci-dessosu, d'un coup, toutes les Éphémérides de l'année, ainsi que la musique qui les accompagne souvent, et l'Album "L'aventure France racontée par les Cartes...", disponible également sous sa forme de Feuilleton : "L'aventure France en feuilleton..."

     

    Éphémérides de lafautearousseau

    LFAR FLEURS.jpg

    Nos Éphémérides :  non pas une millionième Histoire de France, mais bien plutôt une Balade dans notre Culture...

    1A.jpgOn parle souvent de "la France", au risque de finir par en faire justement une formule creuse, à la longue, vide de substance en quelque sorte, voire une sorte d'abstraction.

    Comment montrer "la" France, à travers toutes ces France(s) qui la constituent ? Comment la donner presque à voir, la rendre sensible et présente ?

    Ainsi que cette Culture, cette Civilisation, ces Traditions, ces us et coutumes pour lesquels nous nous battons et qui fondent et justifient notre combat...

    portrait-of-mme-alphonse-daudet-1876-artist-Pierre-Auguste-Renoir.jpgUne des façons possibles nous a semblé être, en se laissant mener par le hasard et la succession des dates et du calendrier, de suivre et de saisir au jour le jour, comme ils viennent, dans un joyeux désordre inattendu, les anniversaires de ce qui s'est passé, dit ou fait ce jour-là, en telle ou telle année. Ce qui permet, du premier au dernier jour de la dite année, de faire défiler personnages historiques, inventions et découvertes, artistes et faits marquants qui, tous, à leur façon et dans leur domaine, constituent et "font" justement "la France", comme les pierres constituent et font la cathédrale, qui sans elles n'existerait pas, pour reprendre l'image de Saint Exupéry...

    Ces Éphémérides se veulent ainsi une modeste bouteille à la mer, lancée sur Internet, au bon vouloir de quiconque voudrait donc découvrir, connaître et aimer cette France charnelle et sa Civilisation.

    Nous savons bien que la Civilisation est un Capital transmis : voici donc une façon de mesurer l'importance, la beauté, la grandeur de cet héritage, depuis ses paysages (que l'on verra dans les sites des Parcs nationaux) et ses monuments, jusqu'aux hommes et aux femmes qui l'ont créé, aux faits historiques qui ont jalonné sa route. Voici donc exaltées toutes ces Frances qui constituent la France : les artistes (peinture, musique, architecture, jardins….), les scientifiques (médecine, physique, inventeurs, Prix Nobel….), bien sûr les gouvernants et les hommes proches du pouvoir, mais aussi les monuments, les us et coutumes, les traditions et faits de société (qui font évidemment partie de la Culture)...

    VIADUC MILLAU 3.JPGNous avons souhaité montrer aussi que, si la France ne commence pas à la révolution, en 1789/1793, elle ne finit pas non plus avec la révolution ! Rien n’est terminé : nous sommes des pessimistes actifs et, comme l'écrivait Bainville, "...pour des Renaissances il est encore de la foi ". Et nous avons voulu ré-introduire dans notre Histoire ceux qui en avaient été exclus: les Vendéens, Maurras, Daudet, Bainville , toutes ces personnes, ces actes, ces faits qu’un régime né dans la violence mais aussi dans le mensonge, et se maintenant par le mensonge, a exclu de son histoire officielle. Parce que nous refusons, justement, cette amputation de la mémoire... 

    Nous avons enfin pensé à tous ces jeunes qui ont été privés de leurs Racines et tenus de fait dans l'ignorance de leur Histoire par la faillite d'un Ministère de la des-Éducation perverti jusqu'à la moelle par l'idéologie. Pour nous ce n'est pas un hasard, en effet, si tant et tant de jeunes ont été privés de Tradition, de la part d'un Ministère émanant d'un Régime qui s'est, précisément, construit contre notre Histoire, et en rupture radicale avec elle.

    Peut être sommes-nous naïfs, peut-être prenons-nous nos désirs pour des réalités, mais il nous a semblé qu'il fallait ré-ouvrir à ces jeunes les portes et fenêtres de cette grande demeure qui leur est fermée, et qui s'appelle, tout simplement, leur Histoire, leurs Racines, la France.

    Pour eux, ces Éphémérides pourront être ainsi, nous l'espérons, un moyen assez vivant et commode d’avoir un premier contact avec leurs origines, et nous avons donc tâché de jouer un rôle de facilitateur, en mettant à disposition un maximum de résumés assez courts sur le plus grand nombre de sujets possibles.

     

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    Une balade dans notre Culture, pour y retrouver les raisons - et la force - de prolonger l'aventure...

     

    Et nous avons décidé d'appeler ces Éphémérides Balades dans notre Culture car il ne s'agit bien sûr ni de passéisme ni de nostalgie dans cette démarche. Ni de proposer une millionième Histoire de France. Mais bien plutôt d'une affirmation -dans une forme inattendue, certes...- de notre Être profond, de ce pourquoi nous nous battons, et qui s'appelle la France, tout simplement.

    Nous avons voulu la montrer, la donner à voir, la rendre sensible, d'une façon qui tranche un peu avec les habituelles façons de l'évoquer, parfois un peu théoriques et abstraites, il faut bien le reconnaître : elle apparaît ici en chair et en os, pour ainsi dire, dans le joyeux désordre inattendu qui fait voisiner, au hasard du jour concerné, le découvreur de l'hélium avec les reliques de la Passion amenées à Notre-Dame par Saint Louis; la musique du Moyen-Âge de Thibaut IV et le lancement du satellite Spot; les Essais de Montaigne et la remise du Nobel de Médecine à Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier; l'inauguration du Canal du Midi et l'installation d'Iter à Cadarache etc... etc...

    MONTAGNIER BARRE SINOUSSI.jpgC'est tout cela, tous ceux-là, la France, notre France charnelle que nous aimons, que nous ne voulons pas voir diluée et disparaître, et dont nous voulons au contraire poursuivre et prolonger l'élan, en commençant d'abord par l'accepter et le connaître. Et le faire connaître (peut-être ces Ephémérides y aideront-elles...) à celles et ceux qui en ont été volontairement privés, par un système qui s'est construit en dehors de nos Racines profondes, sans elles et contre elles. Nous voulons parler de ces centaines de milliers de victimes de la (des)Éducation nationale, qui a privé, sinon toute la jeunesse, du moins la plus grande part qu'elle a pu, de son Héritage, de la connaissance même de ses origines, car elle n'aime pas cette Histoire, elle n'aime pas ces Racines: entre elles et elle, c'est un combat à mort.

    Voilà, dit très simplement, ce qui nous a guidé pour la rédaction de ces Éphémérides. A partir de maintenant, elles sont là -même si nous allons travailler à les améliorer encore- comme autant de bouteilles à la mer. A la disposition de qui voudra, de qui sentira l'envie ou le besoin de s'informer sur ces Racines dont nous parlons si souvent, parce qu'elles sont aujourd'hui tout simplement menacées de disparition pure et simple.

    Espérons qu'elles rendront le service pour lequel elles ont été conçues, et qu'à leur modeste niveau elles serviront à l'appropriation et au désir de perpétuation de cette belle aventure humaine qui s'appelle : la France.

    lafautearousseau

  • Le désastre d'une Ecole jadis performante, analysé par les spécialistes de SOS Education

     

    On conviendra que le sujet est suffisamment important pour que l'on s'y arrête quelques instants : voici donc une sorte de « page Education », aujourd'hui, sur Lafautearousseau, avec une étude fouillée des causes du désastre, pour commencer, suivie d'un sourire - mais bien vu, et profond, lui aussi - pour ne pas trop perdre le moral.

    Nos lecteurs connaissent bien SOS Education, que nous citons régulièrement ici, pour la pertinence et la justesse de ses analyses, ainsi que pour le courageux combat mené contre les démolisseurs de l'Ecole. Celles et ceux qui ne connaîtraient pas encore l'Association, ou qui souhaiteraient l'aider, trouveront tout ce qu'il faut en cliquant sur le lien hypertexte ci dessus.

    Voici l'un des derniers textes publiés par SOS Education (le 12 décembre), sur L'Eglise du pédagogisme, et les ravages de cette secte des pédagogistes.  LFAR

     

    Elle a son Pape émérite : Philippe Meirieu,
    Elle a sa Théologie : les « sciences de l’éducation »,
    Elle a ses Séminaires : les ESPÉ (ex-IUFM) ,
    Elle a son Saint-Office : les Inspecteurs généraux, relayés par une piétaille d'inquisiteurs subalternes dans les académies,

    Son dogmatisme et son intolérance ont déjà fait des millions de victimes parmi nos enfants...

    ... mais elle ne cesse d'étendre son emprise sur un nombre croissant de professeurs :

    l’Église du pédagogisme, la religion qui ruine depuis 40 ans l’Éducation nationale… et menace désormais l’avenir même de notre pays.

    Une secte coupée de la réalité

    Si l'enfant de vos voisins rencontre des difficultés à l'école, et si vous proposez de lui donner quelques cours de soutien, vous trouverez normal que ses parents souhaitent avoir une discussion avec vous sur votre programme et vos méthodes.

    Après quelques mois, si vos voisins s’aperçoivent que leur enfant ne s'améliore pas, mais rencontre au contraire encore plus de problèmes, qu’il éprouve des difficultés à faire des exercices simples, vous vous attendrez à ce qu’ils vous demandent de remettre en question vos pratiques.

    Vous-même, soucieux du bien-être de votre petit élève, et de conserver la confiance de ses parents, vous chercherez à ne pas les décevoir. Vous essaierez de leur expliquer le plus simplement possible vos choix d'enseignement. Vous les tiendrez informés de ce que vous faites, pour qu’ils comprennent votre façon de travailler et qu’ils soient au plus vite rassurés par les progrès de leur enfant.

    Ce n’est pas du tout comme ça que les membres de l’Église du pédagogisme voient l’éducation.

    L’Église du pédagogisme rassemble des personnes qui se croient investies d’une mission :« changer l’école pour faire changer la société » [1]. Enseignants, inspecteurs, formateurs, ils sont quelques milliers, mais ils tiennent toutes les clés de l’Éducation nationale.

    Les enfants sont le matériau brut sur lequel ils travaillent pour réaliser ce projet. Ils considèrent les familles comme leur principal obstacle, et les professeurs qui dispensent un enseignement en harmonie avec ce que désirent les parents comme des traîtres ou des hérétiques. Ils ont inventé un vocabulaire qui n’est compréhensible que par les initiés, pour mieux couper l'école du reste de la société.

    Tous les futurs enseignants passent par leurs séminaires, les ESPÉ. Là, ils apprennent le langage du pédagogisme. Ils intègrent les dogmes de l’Église du pédagogisme. Ces dogmes, qui ne sont fondés sur aucune démarche rationnelle, leur sont présentés sous la forme de paraboles. Par exemple : « Quand on va chez le boulanger, on ne lui explique pas comment faire le pain. De même, quand des parents mettent leur enfant à l’école, ils n’ont pas à savoir comment le professeur enseigne. »

    Avec ses quelques milliers d'adeptes militants, l’Église du pédagogisme est plus petite que les Témoins de Jéhovah en France, par exemple. Mais son influence sur la société est beaucoup plus puissante et dangereuse puisqu’ils occupent les postes de pouvoir de l’Éducation nationale, qu’ils ont carte blanche pour y faire à peu près ce qu’ils veulent, et qu’ils n’ont de comptes à rendre à personne.

    Ce sont eux qui rédigent les programmes scolaires et prescrivent discrètement les livres de classe de nos enfants. Ce sont encore eux qui mènent les expérimentations, les évaluent et qui inventent les nouvelles méthodes. Plus grave encore, ce sont eux qui inspectent les professeurs, et qui leur imposent leur manière de penser et d’enseigner, une manière dont les conséquences sont souvent, on le verra, désastreuses.

    Car en effet, grâce à ses réseaux dans certains grands syndicats de l’Éducation nationale, l’Église du pédagogisme a organisé un système redoutable pour filtrer l’accès aux postes influents. Plus on monte dans la hiérarchie de l’Éducation nationale, plus la foi dans les dogmes du pédagogisme est répandue et enracinée. Quand on arrive au niveau des inspecteurs et des formateurs en ESPÉ, on se trouve parfois face à de véritables ayatollahs.

    Instituer une nouvelle religion

    Les membres de l’Église du pédagogisme sont, comme tous les fanatiques, complètement indifférents à la réalité et aveuglés par leur foi. Si depuis les années 1970, date à laquelle ils ont commencé à se rassembler, ils ont promu d’innombrables réformes pédagogiques qui ont invariablement tourné au désastre, ils sont sincèrement convaincus que l’Éducation nationale marche de mieux en mieux. Et pour cause : apprendre à lire, écrire, compter et réfléchir aux enfants n'est pas du tout la mission qu'ils assignent à l'école.

    Citons l’expérience des « maths modernes » de 1973, celle du « collège unique » de 1975, les méthodes de lecture globales tout au long des années 70 puis « idéovisuelles »[2] dans les années 80, l’histoire « thématique », la Loi Jospin de 1989 mettant « l’enfant au centre du système éducatif »[3], la création des IUFM en 1990, le nouveau Bac en 1995, le remplacement du corps des instituteurs par celui des « professeurs des écoles », et surtout, les réformes successives des programmes tout au long de cette période, jusqu'à la création du Conseil Supérieur en 2013 par Vincent Peillon, qui prétendait instituer une « Refondation de l'école » afin d'« arracher l'élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel » [4] : si on prend ce projet au sérieux, cela suppose finalement de désapprendre aux enfants leur propre langue, ce que l'Éducation nationale s'emploie à réaliser par tous les moyens depuis 40 ans.

    Il est vrai que Vincent Peillon représente la frange la plus illuminée de l’Église du pédagogisme, n'hésitant pas à déclarer : « Toute l’opération consiste bien, avec la foi laïque, à changer la nature même de la religion » [5]. La ministre actuelle, Najat Vallaud-Belkacem, est incapable d'un tel degré d'élaboration théologique, mais elle est redoutablement douée pour la propagation du dogme, et aussi pour prononcer les excommunications.

    Quoiqu'il en soit, ces bouleversements ont bien sûr débouché sur un recul prodigieux des connaissances maîtrisées par les élèves à la fin de leur scolarité, malgré l’allongement du nombre d’années d’études et l’explosion des dépenses du système éducatif.

    En 2015, on a fait refaire à des élèves de CM2 une dictée de 5 ou 6 lignes qui avait été donnée en 1987. Il s’agissait d’un petit texte qui ne comptait aucune difficulté particulière. Déjà en 1987, le travail de sape avait considérablement affaibli le niveau des enfants, qui faisaient à cette dictée une dizaine d'erreurs. Mais en appliquant le même barème de notation en 2015, on a constaté que le nombre moyen de fautes était passé à 17,8 : soit une explosion de + 70% !

    Dans les années 90, les élèves français figuraient encore dans le groupe de tête des pays du monde en mathématiques. En novembre dernier, le comparatif international TIMSS (Trends in International Mathematics and Science Study) a attribué à la France, à partir de tests réalisés sur des élèves de CM1 et de Terminale S la dernière position en Europe, et de très loin.

    L'enquête internationale PISA, qui compare les systèmes éducatifs de nombreux pays du monde, vient par ailleurs de montrer que la France, qui ne cesse de sombrer dans les fonds du classement, est le seul pays développé où l'école amplifie les inégalités sociales et migratoires !

    Malgré ces faits accablants, les prélats de l’Église du pédagogisme expriment la plus grande satisfaction chaque fois qu’ils font le bilan de quarante années de réformes.

    Pour justifier les problèmes que tout le monde constate et qu’ils ne peuvent pas nier, sous peine de se ridiculiser – indiscipline, violence à l’école, illettrisme, chômage de masse des jeunes diplômés, pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans de nombreux secteurs – ils ont une réponse automatique : c’est parce qu’on n’est pas allé assez loin. Et si on n’est pas allé assez loin, c’est parce qu’on ne leur a pas donné les moyens.

    Les moyens, comprenez « des budgets et des postes supplémentaires ». En effet, l’Église du pédagogisme doit notamment son influence au soutien de certains syndicats d’enseignants, et cela fait partie du contrat qu’elle appuie leurs revendications. Une clause facile à observer d’ailleurs, puisque tous ses membres sont directement intéressés par les succès des syndicats pour augmenter le nombre de postes dans l’Éducation nationale. Chaque nouvelle hausse d’effectifs venant automatiquement remplir ses séminaires, les ESPÉ !

    Si les méthodes des pédagogistes sont, selon eux, mieux adaptées aux enfants, elles sont nettement plus coûteuses. De combien ? Ils ne nous ont jamais donné de chiffre. Tout ce qu’on sait aujourd’hui, c’est que nous sommes encore très loin d’avoir mis assez d’argent sur la table. La bonne volonté des Français n’est pourtant pas en cause. Depuis trente ans, ils acceptent chaque année de financer l’augmentation du coût de leur système scolaire. Le budget de l’Éducation nationale a plus que doublé, en euros constants, depuis les années 80. On pourrait demander à quoi sert tout cet argent, premier poste de la dépense publique ?

    Mais l'Église du pédagogisme a peu à peu réussi à imposer ses vaches à lait comme des vaches sacrées : par exemple les ZEP (ou REP). Les ZEP démontrent depuis des décennies par l’absurde que, si les méthodes d’enseignement sont mauvaises, dépenser plus ne sert à rien. Pourtant, des milliards y sont engloutis dedans chaque année, et pas un ministre n'osera y toucher, même si on n’y observe pas la moindre « réduction des inégalités », bien au contraire. Les ZEP n’ont jamais été aussi redoutées par les parents : n’y laissent leurs enfants que les familles qui n’ont strictement aucune autre possibilité, pendant que les membres de l'Église du pédagogisme regroupent leurs rejetons dans des écoles privées où l'on n'entre que sur recommandation. Qu'importe : à la moindre tentative de mettre un terme à ce gaspillage scandaleux, l’Église du pédagogisme lancera ses mots d’ordre, et ses adeptes emboîteront une nouvelle fois le pas de son clergé dans leur traditionnel pèlerinage de République à la Nation, avec chants, bannières, et grande ferveur apostolique.

    « Apprendre à apprendre »

    L’Église du pédagogisme se compose de toutes les personnes qui croient qu’éduquer un enfant ne consiste pas à lui apprendre des choses, mais à lui « apprendre à apprendre » pour lui permettre de « construire lui-même son savoir ». Elle vise donc à interrompre la chaîne de la transmission des connaissances, par laquelle la culture se transmet d’une génération à l’autre.
    Laissant les enfants « construire eux-mêmes leurs savoirs », elle espère ainsi qu’ils construiront un monde nouveau, radicalement différent de celui de leurs parents. C’est le sens de son slogan « Changer l’école pour changer la société ».

    Évidemment, cette démarche est parfaitement hypocrite car, derrière ce discours officiel neutre, il y a un projet précis. Il n’est absolument pas question de laisser les enfants construire le monde qu’ils veulent.

    S’ils se refusent à transmettre la culture classique aux enfants, ils ne se privent pas en revanche, de leur transmettre les « valeurs » qui, selon eux, devront façonner la nouvelle société. La tradition républicaine d’enseignement fondée par Jules Ferry voulait que les maîtres s’interdisent toute considération politique devant leurs élèves. Tous leurs efforts consistaient à leur transmettre un contenu factuel. Les pédagogistes au contraire ne veulent plus du contenu factuel. Et ils ont vigoureusement promu dans les écoles les matières et activités qui permettent d’influencer les valeurs des enfants. Ainsi, dès la grande section de maternelle, ils demandent aux enseignants d’organiser chaque semaine une demi-heure de débat sur des sujets de société. Officiellement, le but de ces débats est d’entraîner les enfants à l’exercice de leur liberté d’expression, pour faire « vivre la démocratie ». Dans les faits, les enfants étant incapables de prendre position, et encore plus d’argumenter, l’enseignant dirige lui-même le débat. Il énonce les arguments et récite, parfois inconsciemment, le catéchisme pédagogiste appris pendant son séminaire dans les ESPÉ. Les enfants manipulés s’approprient le raisonnement d’autant plus facilement qu’on leur fait croire qu’ils y sont arrivés tout seuls. Ces débats ont lieu tout au long de l’école primaire, l’Église du pédagogisme a inventé pour justifier ce genre d'activité destinée à remplacer l'instruction traditionnelle le concept de « vivre-ensemble ».

    L’éducation civique est une matière fortement exploitée par les pédagogistes pour influencer politiquement les élèves. Beaucoup de parents croient, à tort, que les cours d’éducation civique s’apparentent à « l’enseignement du civisme » : encourager les enfants à faire preuve de courage, de patience, de prudence, de générosité, de respect, de justice, etc. En fait, « l’ éducation civique » enseigne aux enfants leurs droits, et pas n’importe lesquels : la liberté d’expression dans les limites de la bien-pensance, le droit de contester une décision qu'ils trouvent injuste, le droit de se syndiquer, le droit de grève, les « droits sociaux » (RSA, logements sociaux, CMU, etc.) On y trouve désormais aussi de la propagande à caractère sexuel. Mais nulle part il n’est question d’enseigner aux enfants les vertus civiques.

    Les autres matières, comme la littérature, l’histoire et la géographie sont aussi fortement contaminées. Les enfants doivent « construire leurs propres savoirs » dans ces matières à partir de documents. C’est documents sont distribués en classe ou figurent dans leurs manuels. Ils doivent les observer et en tirer des conclusions. Ici, le prétexte est de leur ens

  • Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (12)

    lfar bleu.jpgNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFARNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFAR

     

    2235704335.jpg2ème partie : Une révolution copernicienne 

    L'ÂGE DU CHARBON ET DE L'ACIER

    La seconde révolution industrielle ne démarrera qu'à la fin du XVIle siècle. Elle se produira en Grande-Bretagne, pays qui possédait déjà, au Moyen-Age, une certaine avance technologique. Trois facteurs favorables se conjuguèrent : une révolution agricole, l'expansion coloniale, l'existence d'une main-d’œuvre abondante et peu qualifiée.

    a) Toute révolution industrielle, nous l'avons constaté au Moyen-Age, suppose au préalable une révolution agricole. Celle-ci se heurtait à la résistance des communautés villageoises qui ne fut brisée, en France, qu'en 1789. Elle l'avait été un siècle plus tôt en Angleterre. Les grands propriétaires, maîtres du Parlement, s'étaient emparés, grâce au système des enclosures, des biens communaux, condamnant à la mendicité les paysans pauvres qui furent parqués dans des workhouses, réserves de main-d’œuvre quasi gratuite. Afin de mettre leurs terres en valeur les grands propriétaires ont besoin d'outils en fer (charrues, herses, matériel de drainage, etc.…) ce qui stimule la métallurgie.

    b) Les Anglais arrachent aux Hollandais le marché chinois, l'indien aux Français. Ce qui procure des débouchés considérables aux cotonnades de mauvaise qualité. Paradoxalement, la misère des paysans anglais dépossédés, que l'on ne peut tout de même pas laisser nus, ouvre un autre marché. Il faut beaucoup de malheureux pour développer une production de masse. La France n'en a pas assez. La relative aisance de sa paysannerie, qui frappe les voyageurs anglais, retarde l'essor d'une grande industrie textile.

    c) Autre paradoxe : la France possède une classe ouvrière extrêmement qualifiée, qui profite du rayonnement culturel de la nation, puisque l'artisanat d'art travaille pour l'exportation. Par contre la Grande-Bretagne peut puiser dans les workhouses la main-d’œuvre médiocre mais bon marché, dont a besoin son industrie textile. En 1789, les deux pays sont également riches, mais la puissance économique de la France tient à la qualité de ses produits, celle de la Grande-Bretagne à la quantité des siens, vendus à faible prix. Notre pays n'en a pas moins amorcé sa révolution industrielle, surtout grâce à de grands seigneurs qui mettent en valeur leurs forêts en construisant des usines métallurgiques. La France manque de charbon. Par contre, elle dispose de beaucoup de bois. La Révolution française puis les guerres de l'Empire, se révèleront désastreuses, au plan économique, frappant le pays au moment où il commençait à combler son retard, grâce au débauchage de techniciens anglais. La ruine de notre artisanat d'art, la mort, sur les champs de bataille de l'Europe de notre jeunesse allaient ruiner la prépondérance de la France pour le seul profit de la Grande-Bretagne.

    Quoi qu'il en soit, la révolution industrielle ne devra rien, du moins dans sa période de démarrage, au capitalisme financier. Elle sera l'œuvre d'artisans qui tentent de satisfaire la demande d'outils en fer et de textiles de basse qualité. Il leur suffit de faibles capitaux, du moins au départ. Les premières entreprises de construction de machines rassemblent au plus une douzaine d'ouvriers. Un artisan a besoin pour s'installer d'un investissement de trente livres par travailleur dans la métallurgie, vingt-cinq seulement pour une filature. Un ménage réunit assez facilement trois cents livres en faisant appel à sa parentèle. Cependant la compétition est vive. Si les profits sont considérables, du moins dans les commencements, il faut pour développer l'entreprise acquérir un outillage de plus en plus coûteux. Seuls survivront les patrons impitoyables pour eux-mêmes comme pour leur personnel. Une gestion ascétique, au bout d'un certain temps, ne suffira plus. Il faudra emprunter. Le capitalisme financier pourra mettre la main sur les entreprises qui marchent, au besoin en les acculant à la faillite afin de racheter, à petit prix, les actifs.

    D'ailleurs le capitalisme financier ne s'intéresse guère à l'industrie. Il est remarquable qu'en 1872, quand un commis du « Crédit Lyonnais », Quisart, enquête à Grenoble pour monter une agence, il rencontre tous les notables à l'exception des industriels. En effet, l'industrie suppose des immobilisations de capitaux, et la banque exige qu'ils circulent rapidement pour augmenter ses profits. Le capitalisme financier draine l'argent des épargnants au profit d'emprunts d'Etat (les emprunts russes et ottomans furent les plus rentables pour les banquiers, les plus funestes pour les épargnants).

    Il ne s'engage qu'avec répugnance dans de grandes entreprises, comme la construction des chemins de fer et parfois — ce fut le cas pour les Rothschild — après avoir longtemps tergiversé. Il ne le fait qu'après s'être assuré que l'Etat prendrait les risques à sa charge et lui laisserait les profits.

    A la fin du XIXe siècle, la seconde révolution industrielle est à bout de souffle. Une crise très longue et dure commence en 1873, l'économie souffre d'une maladie de langueur, venue des Etats-Unis. Ainsi que l'écrit un observateur lucide, P. Leroy-Beaulieu dans « La Revue des deux mondes » du 15 mars 1879, les pays industrialisés sont entrés dans « une période plus difficile de richesse à peu près stationnaire, dans laquelle le mouvement progressif de la période précédente se ralentit au point de paraître complètement arrêté ». A un siècle de distance, que ce langage paraît actuel ! Un énorme krach bancaire, celui de la banque catholique et royaliste, « l'Union Générale » se produit en janvier 1882, ruinant la France traditionnelle — événement oublié mais finalement aussi grave que l'affaire Dreyfus, provoqué par certaines imprudences qu'exploitèrent les banques protestantes et juives. Le krach privera la droite des moyens financiers d'un combat politique efficace. En fait tout l'appareil bancaire est menacé par la banqueroute ottomane de 1875 et seules survivent les banques qui restreignent impitoyablement le crédit.

    L'essor industriel paraît bloqué. L'esprit « fin de siècle », marqué par le pessimisme des « décadents », exprime un sentiment général de désarroi. Cependant deux inventions, le « système Taylor », qui permet, grâce à une division du travail plus poussée d'accroître la productivité et surtout le moteur à explosion, qui valorise une forme d'énergie connue depuis longtemps, le pétrole. Au départ, les fabricants d'automobiles ou d'avions restent des artisans. Pas davantage que leurs prédécesseurs du XVIIIe siècle, ils n'ont besoin de concours bancaires. Les ressources financières d'une famille aisée, les Renault, ou d'une vieille entreprise familiale qui trouve l'occasion de diversifier sa production, Peugeot, suffisent. Les qualités de gestionnaire et la capacité d'innovation font le reste. Citroën, qui s'était placé sous la dépendance des banques, sera éliminé de son entreprise, Louis Renault, par contre conservera la quasi-totalité du capital entre ses mains. Il est vrai qu'on lui fera payer très cher, en 1944, son esprit d'indépendance. Quelques réussites ne sauraient faire oublier les échecs. Dans l'aviation comme dans l'automobile le nombre de faillites sera considérable.

    De nos jours, l'aventure de l'informatique renouvelle le processus. Quelques jeunes gens doués se lancent dans la création d'une entreprise. Les bénéfices, dans un premier temps, sont considérables mais la nécessité de trouver des capitaux, toujours plus importants, pour développer l'affaire, conduit soit à l'absorption par un concurrent plus puissant soit à la disparition pure et simple, au premier faux pas. Néanmoins les frais de recherche tendent à devenir si lourds qu'en dehors de quelques multinationales seuls les Etats ont les moyens de les consentir et encore, d'ordinaire, en fonction d'objectifs militaires plutôt qu'économiques. Sans la bombe atomique il n'y aurait jamais eu de nucléaire civil. Les Etats Unis, ce modèle du libéralisme, n'ont pu se lancer à la conquête de l'espace qu'en créant un organisme fédéral, la NASA.

    Les chocs pétroliers, qui auraient dû nous alerter, sur la nécessité de pousser les feux, afin de moderniser nos équipements furent l'occasion pour le capitalisme financier de « recycler » les pétrodollars. La suppression, à partir d'août 1981, des taux de changes fixes, lorsque Nixon eut mis fin à la convertibilité des dollars en or ainsi que la progression des taux d'intérêts fournissaient de trop belles occasions de profit. Des banques se mirent à prêter à tout va, surtout à partir de 1978. Des pays comme le Brésil, le Mexique, la Pologne s'endettèrent pour s'équiper à crédit. Politique suicidaire, encouragée par certains gouvernements et d'abord le nôtre. Il ne se passait pas de mois sans que M. Giscard d'Estaing ne se félicite des « abuleux contrats » que la France venait de signer. Bientôt le système bancaire sera conduit à prêter de l'argent aux Etats pour qu'ils remboursent non le capital mais les intérêts.

    Les divers pays, industrialisés ou en voie de développement, sont frappés du même mal. Tous vivent au-dessus de leurs moyens. Le manque de capitaux a été masqué, de 1969 à 1980, par la création, ex-nihilo, de signes monétaires. Les réserves monétaires mondiales furent multipliées par douze, plus en onze ans qu'elles ne le furent depuis Adam et Eve. D'où une inflation galopante, qui avait le mérite d'annuler les dettes des débiteurs. On ne pouvait en sortir que par la récession, avec les risques qu'elle comporte, montée rapide du chômage, baisse du niveau de vie, ralentissement de la croissance et, dans les pays en voie de développement, augmentation du prix des denrées de première nécessité, ce qui entraîne des révoltes populaires.

    Pour la première fois depuis 1914, les Etats-Unis se trouvent débiteurs. Les pays de l'O.P.E.P. voient fondre leurs pétrodollars, et déjà le Nigeria est en état de faillite. On doit se demander, d'ailleurs, quand on considère le cas du Mexique si la découverte de gisements de pétrole ne constitue pas, pour un pays, une malédiction. On a frôlé en 1982 la catastrophe. Le Fonds Monétaire International, la banque mondiale, les autorités monétaires américaines ont uni leurs efforts pour éviter des faillites cumulatives qui auraient cassé le système. N'empêche que le Brésil, qui, au prix d'une politique d'austérité devenue insupportable, parvint à rétablir l'équilibre de sa balance commerciale et même à dégager un excédent n'assure toujours pas le service d'une dette fabuleuse de 90 milliards de dollars. Evitera-t-on le krach comme le croit M. Barre ? Les raisons qu'il donne, pour justifier son optimisme, font froid dans le dos. Selon lui, nous vivrions dans « un monde keynésien » où les débiteurs exercent sur les prêteurs un chantage efficace. « La déflation n'est plus possible, les gens ne la supporteraient pas... On s'arrangera pour qu'il n'y ait pas de drame, quitte à faire plus d’inflation ». Autrement dit, pour M. Barre, les faux monnayeurs nous sauveront du krach. Et si le dollar s'effondrait brutalement ? Nous sommes à la merci d'un accident banal. Les boursiers jouent avec le feu, surtout ceux de Wall Street, où l'on spécule non sur des valeurs mais sur l'option que l'on prend sur elles en vue d'une O.P.A. L'on achète et l'on vend du vent.

    Les Japonais ont témoigné d'une louable prudence en maintenant le yen de façon artificielle au-dessous de son cours normal. Eux ne se laissent pas prendre au mythe de la monnaie forte alors que notre ministre des Finances se réjouit que le franc soit surévalué d'au moins 6 à 7 % par rapport au mark. Mais surtout le système bancaire japonais dépend des grands groupes industriels. Ils le contrôlent, avec l'aide discrète de l'Etat, afin que les investissements se dirigent, en priorité, vers les secteurs les plus favorables à la croissance économique. Au Japon, il est vrai les salaires restent faibles, même s'il arrive que les primes versées en fonction des résultats de l'entreprise, le doublent les bonnes années, l'on prend peu de vacances, les aides sociales sont distribuées avec parcimonie.   

     A suivre  (A venir : La machine contre l'homme - machine).

     

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    Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray     

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  • Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (12)

    lfar bleu.jpgNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFARNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFAR

     

    2235704335.jpg2ème partie : Une révolution copernicienne 

    L'ÂGE DU CHARBON ET DE L'ACIER

    La seconde révolution industrielle ne démarrera qu'à la fin du XVIle siècle. Elle se produira en Grande-Bretagne, pays qui possédait déjà, au Moyen-Age, une certaine avance technologique. Trois facteurs favorables se conjuguèrent : une révolution agricole, l'expansion coloniale, l'existence d'une main-d’œuvre abondante et peu qualifiée.

    a) Toute révolution industrielle, nous l'avons constaté au Moyen-Age, suppose au préalable une révolution agricole. Celle-ci se heurtait à la résistance des communautés villageoises qui ne fut brisée, en France, qu'en 1789. Elle l'avait été un siècle plus tôt en Angleterre. Les grands propriétaires, maîtres du Parlement, s'étaient emparés, grâce au système des enclosures, des biens communaux, condamnant à la mendicité les paysans pauvres qui furent parqués dans des workhouses, réserves de main-d’œuvre quasi gratuite. Afin de mettre leurs terres en valeur les grands propriétaires ont besoin d'outils en fer (charrues, herses, matériel de drainage, etc.…) ce qui stimule la métallurgie.

    b) Les Anglais arrachent aux Hollandais le marché chinois, l'indien aux Français. Ce qui procure des débouchés considérables aux cotonnades de mauvaise qualité. Paradoxalement, la misère des paysans anglais dépossédés, que l'on ne peut tout de même pas laisser nus, ouvre un autre marché. Il faut beaucoup de malheureux pour développer une production de masse. La France n'en a pas assez. La relative aisance de sa paysannerie, qui frappe les voyageurs anglais, retarde l'essor d'une grande industrie textile.

    c) Autre paradoxe : la France possède une classe ouvrière extrêmement qualifiée, qui profite du rayonnement culturel de la nation, puisque l'artisanat d'art travaille pour l'exportation. Par contre la Grande-Bretagne peut puiser dans les workhouses la main-d’œuvre médiocre mais bon marché, dont a besoin son industrie textile. En 1789, les deux pays sont également riches, mais la puissance économique de la France tient à la qualité de ses produits, celle de la Grande-Bretagne à la quantité des siens, vendus à faible prix. Notre pays n'en a pas moins amorcé sa révolution industrielle, surtout grâce à de grands seigneurs qui mettent en valeur leurs forêts en construisant des usines métallurgiques. La France manque de charbon. Par contre, elle dispose de beaucoup de bois. La Révolution française puis les guerres de l'Empire, se révèleront désastreuses, au plan économique, frappant le pays au moment où il commençait à combler son retard, grâce au débauchage de techniciens anglais. La ruine de notre artisanat d'art, la mort, sur les champs de bataille de l'Europe de notre jeunesse allaient ruiner la prépondérance de la France pour le seul profit de la Grande-Bretagne.

    Quoi qu'il en soit, la révolution industrielle ne devra rien, du moins dans sa période de démarrage, au capitalisme financier. Elle sera l'œuvre d'artisans qui tentent de satisfaire la demande d'outils en fer et de textiles de basse qualité. Il leur suffit de faibles capitaux, du moins au départ. Les premières entreprises de construction de machines rassemblent au plus une douzaine d'ouvriers. Un artisan a besoin pour s'installer d'un investissement de trente livres par travailleur dans la métallurgie, vingt-cinq seulement pour une filature. Un ménage réunit assez facilement trois cents livres en faisant appel à sa parentèle. Cependant la compétition est vive. Si les profits sont considérables, du moins dans les commencements, il faut pour développer l'entreprise acquérir un outillage de plus en plus coûteux. Seuls survivront les patrons impitoyables pour eux-mêmes comme pour leur personnel. Une gestion ascétique, au bout d'un certain temps, ne suffira plus. Il faudra emprunter. Le capitalisme financier pourra mettre la main sur les entreprises qui marchent, au besoin en les acculant à la faillite afin de racheter, à petit prix, les actifs.

    D'ailleurs le capitalisme financier ne s'intéresse guère à l'industrie. Il est remarquable qu'en 1872, quand un commis du « Crédit Lyonnais », Quisart, enquête à Grenoble pour monter une agence, il rencontre tous les notables à l'exception des industriels. En effet, l'industrie suppose des immobilisations de capitaux, et la banque exige qu'ils circulent rapidement pour augmenter ses profits. Le capitalisme financier draine l'argent des épargnants au profit d'emprunts d'Etat (les emprunts russes et ottomans furent les plus rentables pour les banquiers, les plus funestes pour les épargnants).

    Il ne s'engage qu'avec répugnance dans de grandes entreprises, comme la construction des chemins de fer et parfois — ce fut le cas pour les Rothschild — après avoir longtemps tergiversé. Il ne le fait qu'après s'être assuré que l'Etat prendrait les risques à sa charge et lui laisserait les profits.

    A la fin du XIXe siècle, la seconde révolution industrielle est à bout de souffle. Une crise très longue et dure commence en 1873, l'économie souffre d'une maladie de langueur, venue des Etats-Unis. Ainsi que l'écrit un observateur lucide, P. Leroy-Beaulieu dans « La Revue des deux mondes » du 15 mars 1879, les pays industrialisés sont entrés dans « une période plus difficile de richesse à peu près stationnaire, dans laquelle le mouvement progressif de la période précédente se ralentit au point de paraître complètement arrêté ». A un siècle de distance, que ce langage paraît actuel ! Un énorme krach bancaire, celui de la banque catholique et royaliste, « l'Union Générale » se produit en janvier 1882, ruinant la France traditionnelle — événement oublié mais finalement aussi grave que l'affaire Dreyfus, provoqué par certaines imprudences qu'exploitèrent les banques protestantes et juives. Le krach privera la droite des moyens financiers d'un combat politique efficace. En fait tout l'appareil bancaire est menacé par la banqueroute ottomane de 1875 et seules survivent les banques qui restreignent impitoyablement le crédit.

    L'essor industriel paraît bloqué. L'esprit « fin de siècle », marqué par le pessimisme des « décadents », exprime un sentiment général de désarroi. Cependant deux inventions, le « système Taylor », qui permet, grâce à une division du travail plus poussée d'accroître la productivité et surtout le moteur à explosion, qui valorise une forme d'énergie connue depuis longtemps, le pétrole. Au départ, les fabricants d'automobiles ou d'avions restent des artisans. Pas davantage que leurs prédécesseurs du XVIIIe siècle, ils n'ont besoin de concours bancaires. Les ressources financières d'une famille aisée, les Renault, ou d'une vieille entreprise familiale qui trouve l'occasion de diversifier sa production, Peugeot, suffisent. Les qualités de gestionnaire et la capacité d'innovation font le reste. Citroën, qui s'était placé sous la dépendance des banques, sera éliminé de son entreprise, Louis Renault, par contre conservera la quasi-totalité du capital entre ses mains. Il est vrai qu'on lui fera payer très cher, en 1944, son esprit d'indépendance. Quelques réussites ne sauraient faire oublier les échecs. Dans l'aviation comme dans l'automobile le nombre de faillites sera considérable.

    De nos jours, l'aventure de l'informatique renouvelle le processus. Quelques jeunes gens doués se lancent dans la création d'une entreprise. Les bénéfices, dans un premier temps, sont considérables mais la nécessité de trouver des capitaux, toujours plus importants, pour développer l'affaire, conduit soit à l'absorption par un concurrent plus puissant soit à la disparition pure et simple, au premier faux pas. Néanmoins les frais de recherche tendent à devenir si lourds qu'en dehors de quelques multinationales seuls les Etats ont les moyens de les consentir et encore, d'ordinaire, en fonction d'objectifs militaires plutôt qu'économiques. Sans la bombe atomique il n'y aurait jamais eu de nucléaire civil. Les Etats Unis, ce modèle du libéralisme, n'ont pu se lancer à la conquête de l'espace qu'en créant un organisme fédéral, la NASA.

    Les chocs pétroliers, qui auraient dû nous alerter, sur la nécessité de pousser les feux, afin de moderniser nos équipements furent l'occasion pour le capitalisme financier de « recycler » les pétrodollars. La suppression, à partir d'août 1981, des taux de changes fixes, lorsque Nixon eut mis fin à la convertibilité des dollars en or ainsi que la progression des taux d'intérêts fournissaient de trop belles occasions de profit. Des banques se mirent à prêter à tout va, surtout à partir de 1978. Des pays comme le Brésil, le Mexique, la Pologne s'endettèrent pour s'équiper à crédit. Politique suicidaire, encouragée par certains gouvernements et d'abord le nôtre. Il ne se passait pas de mois sans que M. Giscard d'Estaing ne se félicite des « abuleux contrats » que la France venait de signer. Bientôt le système bancaire sera conduit à prêter de l'argent aux Etats pour qu'ils remboursent non le capital mais les intérêts.

    Les divers pays, industrialisés ou en voie de développement, sont frappés du même mal. Tous vivent au-dessus de leurs moyens. Le manque de capitaux a été masqué, de 1969 à 1980, par la création, ex-nihilo, de signes monétaires. Les réserves monétaires mondiales furent multipliées par douze, plus en onze ans qu'elles ne le furent depuis Adam et Eve. D'où une inflation galopante, qui avait le mérite d'annuler les dettes des débiteurs. On ne pouvait en sortir que par la récession, avec les risques qu'elle comporte, montée rapide du chômage, baisse du niveau de vie, ralentissement de la croissance et, dans les pays en voie de développement, augmentation du prix des denrées de première nécessité, ce qui entraîne des révoltes populaires.

    Pour la première fois depuis 1914, les Etats-Unis se trouvent débiteurs. Les pays de l'O.P.E.P. voient fondre leurs pétrodollars, et déjà le Nigeria est en état de faillite. On doit se demander, d'ailleurs, quand on considère le cas du Mexique si la découverte de gisements de pétrole ne constitue pas, pour un pays, une malédiction. On a frôlé en 1982 la catastrophe. Le Fonds Monétaire International, la banque mondiale, les autorités monétaires américaines ont uni leurs efforts pour éviter des faillites cumulatives qui auraient cassé le système. N'empêche que le Brésil, qui, au prix d'une politique d'austérité devenue insupportable, parvint à rétablir l'équilibre de sa balance commerciale et même à dégager un excédent n'assure toujours pas le service d'une dette fabuleuse de 90 milliards de dollars. Evitera-t-on le krach comme le croit M. Barre ? Les raisons qu'il donne, pour justifier son optimisme, font froid dans le dos. Selon lui, nous vivrions dans « un monde keynésien » où les débiteurs exercent sur les prêteurs un chantage efficace. « La déflation n'est plus possible, les gens ne la supporteraient pas... On s'arrangera pour qu'il n'y ait pas de drame, quitte à faire plus d’inflation ». Autrement dit, pour M. Barre, les faux monnayeurs nous sauveront du krach. Et si le dollar s'effondrait brutalement ? Nous sommes à la merci d'un accident banal. Les boursiers jouent avec le feu, surtout ceux de Wall Street, où l'on spécule non sur des valeurs mais sur l'option que l'on prend sur elles en vue d'une O.P.A. L'on achète et l'on vend du vent.

    Les Japonais ont témoigné d'une louable prudence en maintenant le yen de façon artificielle au-dessous de son cours normal. Eux ne se laissent pas prendre au mythe de la monnaie forte alors que notre ministre des Finances se réjouit que le franc soit surévalué d'au moins 6 à 7 % par rapport au mark. Mais surtout le système bancaire japonais dépend des grands groupes industriels. Ils le contrôlent, avec l'aide discrète de l'Etat, afin que les investissements se dirigent, en priorité, vers les secteurs les plus favorables à la croissance économique. Au Japon, il est vrai les salaires restent faibles, même s'il arrive que les primes versées en fonction des résultats de l'entreprise, le doublent les bonnes années, l'on prend peu de vacances, les aides sociales sont distribuées avec parcimonie.   

     A suivre  (A venir : La machine contre l'homme - machine).

     

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    Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray     

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    lafautearousseau

  • ACTIVITÉ : Le syndrome du Second Empire plane sur nos armées, par Patrice HUIBAN.

    Ancien offi­cier 
    Bre­ve­té de l’Ecole de guerre
    Source :
     l’Opinion

    Une tri­bune d’un ancien offi­cier de l’armée de terre, 150 ans après la défaite de 1871 (Reprise dans la lettre de l’ASAF)

    Depuis de nom­breuses années, nos forces armées inter­viennent plus qu’efficacement aux quatre coins du globe, fai­sant l’admiration de nos alliés, la France étant l’un des rares pays à pou­voir pro­je­ter un sys­tème de forces com­plet à des mil­liers de kilo­mètres de ses bases.

    9.jpgAvec moins de 5 000 hommes, notre pays contient les pous­sées isla­mistes au Sahel, fixe une par­tie de ses enne­mis et ceux de l’Occident loin de nos terres sur une super­fi­cie équi­va­lente à celle de l’Europe, soit un rap­port coût-effi­ca­ci­té exceptionnel.

    Mais ces actions admi­rables cachent une situa­tion cri­tique pour nos armées et laissent entre­voir le spectre inquié­tant du Second Empire où des forces expé­di­tion­naires aguer­ries n’ont pu faire face à la résur­gence d’une menace majeure néces­si­tant de mobi­li­ser des moyens en masse.

    A l’heure du retour des Etats-puis­sance, la France n’est en effet pas prête à un conflit d’ampleur face à une armée conven­tion­nelle clas­sique bien équi­pée, ce que les spé­cia­listes appellent un conflit « symétrique ».

    Aujourd’hui, si notre force opé­ra­tion­nelle ter­restre (FOT) de 77 000 hommes, ren­for­cée suite aux atten­tats de 2015, est sur le papier capable de tenir la dra­gée haute aux 100 000 hommes véri­ta­ble­ment opé­ra­tion­nels de l’armée de terre russe, Mos­cou dépen­sant autant que Paris pour sa défense avec des effec­tifs au moins trois fois supé­rieurs, il n’en est rien dans les faits.

    Tout d’abord par la fai­blesse du niveau de pré­pa­ra­tion opé­ra­tion­nelle de nos armées qui sont mar­quées par un sur­em­ploi et un sous entraî­ne­ment, embo­li­sées, notam­ment, par les déploie­ments de Sen­ti­nelle au rap­port coût-effi­ca­ci­té dis­cu­table. Depuis le lan­ce­ment de cette opé­ra­tion dite « inté­rieure », mobi­li­sant jusqu’à 10 000 mili­taires quo­ti­dien­ne­ment, la cible de 90 jours de pré­pa­ra­tion opé­ra­tion­nelle par sol­dat de l’armée de Terre n’a plus été atteinte, stag­nant à 80 jours. De même, les nou­velles normes d’entraînement pré­vues, des­ti­nées à éva­luer la capa­ci­té des équi­pages sur cinq maté­riels majeurs en ser­vice dans les forces ter­restres – Leclerc, AMX 10RCR, VBCI, VAB et CAESAR – n’ont été réa­li­sées qu’à 57 % en 2019. Or, l’efficacité d’une armée en opé­ra­tions, qui plus est dans un conflit majeur, est d’abord le fruit de la rési­lience de ses petites uni­tés, des groupes pri­maires au sens socio­lo­gique, là où tout le monde se connaît et par­tage le même quo­ti­dien. Or, cette rési­lience ne se décrète pas le jour du péril venu, quels que soient le sou­tien de la popu­la­tion et la moti­va­tion ini­tiale des troupes. Elle se forge à tra­vers des entraî­ne­ments exi­geants qui per­mettent aux indi­vi­dus de se connaître indi­vi­duel­le­ment et col­lec­ti­ve­ment comme de déve­lop­per leur confiance en eux, en leur uni­té, à tra­vers la maî­trise par­faite de sys­tèmes d’armes de plus en plus com­plexes néces­si­tant un haut niveau de coor­di­na­tion. N’oublions jamais cette cita­tion de Napo­léon rap­pe­lant qu’ « À la guerre les trois quarts sont des affaires morales ; la balance des forces réelles n’est que pour un autre quart. », la sueur lors des entraî­ne­ments épar­gnant le sang et le défai­tisme lors des combats.

    Ce sous entraî­ne­ment chro­nique est aggra­vé par le manque de dis­po­ni­bi­li­té des maté­riels, notam­ment les héli­co­ptères de manœuvre et les avions de trans­port dont à peine plus d’un sur deux est en état de voler ou les véhi­cules blin­dés de trans­port de troupes et de com­bat d’infanterie dont un sur trois ne peut sor­tir des hangars.

    Cette situa­tion est le fruit d’un sous-inves­tis­se­ment récur­rent du pays dans sa défense, pour­tant assu­rance-vie de la Nation. Cette situa­tion est d’autant plus incom­pré­hen­sible que tous les éco­no­mistes s’accordent sur le fait qu’un euro inves­ti dans les forces armées rap­porte à l’économie natio­nale entre un et deux euro(s), à court comme à long termes, grâce à une base indus­trielle et tech­no­lo­gique de défense (BITD) per­for­mante, aux emplois très peu délo­ca­li­sés et à forte inten­si­té tech­no­lo­gique, ce qui irri­gué en aval beau­coup de sec­teurs d’activité dans une logique key­né­sienne tou­jours ici opé­rante. Nous sommes ain­si pas­sés d’un effort de 5 % du pro­duit inté­rieur brut (PIB) au début des années 60 à 1,8 % aujourd’hui.

    Si des décla­ra­tions ambi­tieuses sont régu­liè­re­ment effec­tuées par les gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs, notam­ment lors de la défi­ni­tion des lois de pro­gram­ma­tion mili­taire (LPM) quin­quen­nales, lais­sant à pen­ser aux citoyens que les efforts sont consen­tis et qu’ils sont bien défen­dus, le compte n’y est pas. Les lois de finances annuelles rabotent sys­té­ma­ti­que­ment les tra­jec­toires pré­vues à tel point qu’aucune loi de pro­gram­ma­tion n’a été res­pec­tée depuis 1985 ! Et celle en cours 2019 – 2025 n’échappera vrai­sem­bla­ble­ment pas à la règle, l’essentiel des res­sources addi­tion­nelles étant pré­vues à comp­ter de… 2023. Tous les 5 ans, c’est ain­si une année d’investissement en équi­pe­ments qui est per­due, soit une dizaine de mil­liards d’euros. Non seule­ment nos armées dis­posent de maté­riels vieillis­sants dont le coût d’entretien explose, mais les déca­lages suc­ces­sifs dans les livrai­sons de maté­riels neufs aug­mentent le coût uni­taire de cha­cun, les coûts fixes des chaînes de mon­tage des indus­triels per­du­rant, ces deux phé­no­mènes ne fai­sant qu’accentuer la pres­sion bud­gé­taire. Ain­si, le coût uni­taire des fré­gates mul­ti­mis­sions (FREMM) de la Marine natio­nale a‑t-il aug­men­té de 67 % entre la com­mande ini­tiale et aujourd’hui, le volume étant pas­sé de 17 exem­plaires à 8 à coups d’étalements suc­ces­sifs des livraisons.

    Si la ten­dance actuelle se pour­suit, nous pas­se­rons d’une baisse conjonc­tu­relle de l’effort de défense, récur­rente dans l’Histoire au gré des ten­sions géo­po­li­tiques, à un déclin struc­tu­rel qui met en péril notre sou­ve­rai­ne­té dans son essence même, soit notre liber­té en tant que peuple. La dif­fé­rence entre ces deux notions ? Dans un pre­mier cas, on limite le volume et/ou l’engagement de nos forces sans com­pro­mettre nos capa­ci­tés à les régé­né­rer sur court pré­avis, soit le main­tien de capa­ci­tés indus­trielles et de com­pé­tences tech­ni­co-tac­tiques, dans l’autre, on renonce à des pans entiers de notre assu­rance-vie qui ne peut être que tous risques, nos adver­saires pro­fi­tant de toutes les failles d’une police d’assurance au tiers. Pour­quoi ? Parce que, n’ayant plus la maî­trise tech­no­lo­gique pour conce­voir et pro­duire toute la palette des sys­tèmes d’armes néces­saires pour faire face à l’éventail des menaces, nous deve­nons dépen­dants d’éventuels alliés de circonstance.

    Aujourd’hui, alors que la branche éner­gie d’Alstom, qui fabrique les tur­bines de nos sous-marins nucléaires et du porte-avions Charles de Gaulle, est pas­sée sous pavillon amé­ri­cain, pour­rions-nous encore nous oppo­ser à Washing­ton comme en 2003 alors que notre effort de défense était indé­pen­dant de la bonne volon­té des Etats-Unis ? Si quelques années de négli­gence suf­fisent à remettre en cause une défense auto­nome et cré­dible, il faut au moins une géné­ra­tion pour retrou­ver les com­pé­tences et les capa­ci­tés pour conce­voir puis pro­duire des sys­tèmes d’armes de pointe. Ain­si, 30 ans après la chute de l’Union sovié­tique, la Rus­sie de Pou­tine ne par­vient tou­jours pas à recou­vrer son auto­no­mie stra­té­gique en dépit des dis­cours natio­na­listes et d’efforts finan­ciers colos­saux, le bud­get de la défense russe ayant aug­men­té de plus de 200 % depuis 2000. Pour preuve, la mort dans l’âme, Mos­cou a dû consen­tir à l’achat de deux bâti­ments de pro­jec­tion et de com­man­de­ment (BPC) à la France, membre de l’OTAN, en 2010, avant que cette vente ne soit annu­lée en 2015 par Paris suite à l’invasion de la Cri­mée par les forces russes. La Rus­sie paie encore les consé­quences de dix ans de relâ­che­ment de son effort de défense.

    La France entame ain­si aujourd’hui de funestes choix qui remettent en cause notre capa­ci­té de défense « tous azi­muts » pen­dant que les périls montent et qu’il n’y a plus de fron­tières aux menaces. Alors qu’un effort salu­taire a été consen­ti pour doter les armées fran­çaises de capa­ci­tés offen­sives dans ce nou­veau champ de bataille qu’est le cybe­res­pace, effort qui reste à décli­ner sur le ter­rain tant les sys­tèmes d’armes sont aujourd’hui digi­ta­li­sés au plus bas niveau tac­tique, nos forces conven­tion­nelles pâtissent tou­jours de trous capa­ci­taires en cas d’engagement majeur. Si nos mili­taires sont enfin équi­pés en drones armés et de sur­veillance, ils dépendent tou­jours du bon vou­loir de Washing­ton au Sahel, notam­ment en matière de trans­port aérien tant stra­té­gique que tac­tique, tout cela pour un déploie­ment, rap­pe­lons-le, de moins de 5 000 hommes. Si la livrai­son des der­nières FREMM est pré­vue à l’horizon 2025, à sup­po­ser qu’aucun coup de rabot n’intervienne dans l’intervalle, notre Marine manque cruel­le­ment de moyens pour contrô­ler notre zone éco­no­mique exclu­sive (ZEE) de 11 mil­lions de km2, la deuxième au monde, soit de patrouilleurs hau­tu­riers, le pro­gramme qui figu­rait dans la LPM 2014 – 2019 ayant été repor­té faute de moyens. Or, les enjeux sont colos­saux, tant géo­po­li­tiques qu’économiques, nos fonds marins abri­tant des res­sources consi­dé­rables et stra­té­giques au XXIe siècle, aigui­sant les convoi­tises, comme les fameuses « terres rares » néces­saires à notre monde de plus en plus digi­ta­li­sé, mais aus­si envi­ron­ne­men­taux, la France abri­tant, en grande par­tie grâce à cette ZEE, 10 % de la bio­di­ver­si­té mondiale.

    Face au tra­gique du monde et aux ensei­gne­ments de notre pas­sé, gar­dons en mémoire qu’un relâ­che­ment de notre effort de défense se paie tôt ou tard très cher, par un asser­vis­se­ment et tant de sueur, de sang et de larmes pour ten­ter de recou­vrer notre indé­pen­dance. La res­pon­sa­bi­li­té d’hommes et de femmes d’Etat qui pensent à la pro­chaine géné­ra­tion avant la pro­chaine élec­tion est de pré­pa­rer en per­ma­nence l’imprévu comme l’impensable, soit de pré­pa­rer un « conflit de sur­vie » enga­geant toutes les forces vives du pays à com­men­cer par nos forces mili­taires. Notre liber­té n’a pas de prix. « La défense ! C’est la pre­mière rai­son d’être de l’État. Il n’y peut man­quer sans se détruire lui-même. » affir­mait Charles De Gaulle.

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    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • La modernité, une hérésie chrétienne*, par Paul Ducay.

    Sous le titre Le recours à la tra­di­tion, le socio­logue catho­lique Michel Michel, maître de confé­rences à l’Université des Sciences Sociales de Gre­noble, a réuni un ensemble de réflexions for­mant une cri­tique « théo­lo­gi­co-poli­tique » de la moder­ni­té : si celle-ci est bien issue du chris­tia­nisme, c’est sous la forme d’une héré­sie, à laquelle l’Église catho­lique doit répondre en recon­nais­sant son fond tra­di­tion­nel com­mun aux autres religions.

    3.jpegComme l’indique expres­sé­ment le sous-titre du livre de Michel Michel, le diag­nos­tic que l’auteur pro­pose de la socié­té moderne consti­tue une exé­gèse d’une célèbre cita­tion de G. K. Ches­ter­ton en 1908 : « Le monde moderne est plein d’anciennes ver­tus chré­tiennes deve­nues folles. » Que « tout dans le monde moderne est d’origine chré­tienne », comme l’affirme encore l’écrivain anglais, qu’est-ce que cela signi­fie exac­te­ment et que faut-il y voir ? Les chré­tiens « moder­nistes » auraient-ils rai­son d’embrasser les valeurs, les mœurs et les repré­sen­ta­tions du monde moderne, parce que celui-ci est issu du chris­tia­nisme ? Ou bien, à l’inverse, les « néo­païens » auraient-ils rai­son d’être anti-chré­tiens par rejet de la moder­ni­té ? Michel Michel consi­dère ces deux atti­tudes de louange et de blâme comme deux oppo­sés gémel­laires, soli­daires d’une même erreur : celle d’envisager la moder­ni­té comme fille légi­time du chris­tia­nisme, alors qu’elle en est une fille illé­gi­time. La moder­ni­té, pour Michel, n’est ni une époque, ni une œuvre fidèle du chris­tia­nisme, mais une héré­sie, comme le chris­tia­nisme en a connu d’autres dans son his­toire. 

    L’hérésie moder­niste

    Michel déve­loppe et étend le point de vue adop­té par Ches­ter­ton dans ses Héré­tiques pour résoudre ce sérieux pro­blème de généa­lo­gie, dont l’irrésolution en a entraî­né plus d’un dans les errances du moder­nisme ou dans celles du néo-paga­nisme : com­ment se peut-il que la moder­ni­té pré­sente, sous les rap­ports de la pen­sée et de l’action, une franche oppo­si­tion à l’Église catho­lique, tout en uti­li­sant les idées du chris­tia­nisme de manière sécu­la­ri­sée ? La notion qui, en fait, per­met de rendre compte de ce double carac­tère de tra­hi­son et d’héritage du chris­tia­nisme dans la moder­ni­té est celle d’hérésie.  Comme l’explique le phi­lo­sophe Fabrice Had­jadj dans sa pré­face au livre de son beau-père Michel Michel, « “héré­sie” [vient] du mot grec qui signi­fie “choix” [haí­re­sis]. Ce choix, qu’on pour­rait prendre pour un accom­plis­se­ment de la liber­té, accueille une par­tie du vrai afin de mieux reje­ter l’autre. […] Comme de bien enten­du, ces héré­sies dépendent de l’héritage, mais c’est un héri­tage sans tes­ta­ment, qu’on dila­pide loin de la mai­son du Père. » Tan­dis que l’héritier fait l’effort de trans­mettre l’essence entière du dépôt reçu, l’hérétique, au contraire, mutile cette trans­mis­sion en sélec­tion­nant et arran­geant à sa guise une par­tie de ce dépôt. C’est pour­quoi, remarque Michel, « il ne faut pas […] confondre le chris­tia­nisme et les héré­sies dont il est por­teur » mal­gré lui. Une telle confu­sion est pour­tant une ten­ta­tion d’une par­tie de l’Église elle-même, ce que Pie IX a appe­lé le « moder­nisme ». Pour­quoi ? Si « l’Église est si faible devant les idéo­lo­gies modernes », c’est parce qu’« elle se recon­naît dans l’attente d’un Monde Nou­veau ». L’eschatologie chré­tienne se recon­naît en par­tie dans la croyance moderne au Pro­grès historique.

    Cette recon­nais­sance a cepen­dant le défaut de négli­ger l’opposition essen­tielle des points de vue : spi­ri­tuel et éter­nel pour le chris­tia­nisme, maté­riel et tem­po­rel pour la moder­ni­té. Au point de vue tra­di­tion­nel en effet, la rédemp­tion du monde doit se réa­li­ser au-delà de l’Histoire, puisque l’Histoire n’est que le récit de l’éloignement de l’Homme à l’égard de son Prin­cipe. Nier le carac­tère néga­tif du deve­nir his­to­rique revien­drait à nier la Chute dont il est l’effet exclu­sif. En effet, comme l’explique phi­lo­so­phi­que­ment Michel à par­tir des ana­lyses lit­té­raires de Vla­di­mir Propp sur les contes, « il n’y a pas d’histoire pos­sible sans acci­dent, sans rup­ture de la norme. Toute his­toire est d’abord l’histoire d’un mal­heur. […] La chute est la condi­tion même de l’histoire. […] Le car­di­nal Danié­lou le remar­quait : à par­tir du cha­pitre 3 de la Genèse, l’histoire, c’est l’histoire du pro­grès du mal dans ce monde, et ce fut semble-t-il la concep­tion domi­nante des chré­tiens jusqu’à la fin du Moyen Âge. »

    À l’inverse, l’idéologie moderne du Pro­grès consiste à pen­ser que l’histoire est une chance, qu’elle suit une ten­dance imma­nente d’amélioration pro­gres­sive des condi­tions de la vie maté­rielle, morale et spi­ri­tuelle de l’Homme. De cette théo­rie résultent les idées contra­dic­toires d’une fin de l’histoire dans l’histoire, d’un affran­chis­se­ment de la misère humaine par les condi­tions mêmes de la vie maté­rielle. Là-dedans, le moder­niste chré­tien hésite, car il hérite de la ver­sion du mil­lé­na­risme pro­po­sée par Joa­chim de Flore (1135 – 1202), « ce moine cala­brais qui ima­gi­na trois âges dans l’histoire du monde : l’âge du Père, l’âge du Fils et l’âge de l’Esprit Saint. Il est le modèle de toutes ces héré­sies post-chré­tiennes que sont les phi­lo­so­phies pro­gres­sistes de l’histoire à trois temps, qui dominent l’imaginaire occi­den­tal depuis la grande rup­ture de la fin du Moyen Âge. »

    Deux œcu­mé­nismes

    Michel iden­ti­fie ain­si dans l’histoire du chris­tia­nisme deux fonc­tions anta­go­nistes : « celle de reli­gion du salut et celle d’idéologie cor­rup­trice de la socié­té. L’une est por­tée par l’Église, l’autre par les héré­sies qui trouvent leur source dans cette même Église ». L’hérésie moderne retient du chris­tia­nisme sa puis­sance de désor­ga­ni­sa­tion en sépa­rant ses idées prin­ci­pales de leur hori­zon théo­lo­gique ou sur­na­tu­rel : l’Homme devient objet de foi à la place de Dieu, son his­toire imma­nente devient le motif de l’espérance à la place de l’éternité, la lutte poli­tique et les œuvres huma­ni­taires se sub­sti­tuent à l’amour du pro­chain en vue de sa sanc­ti­fi­ca­tion.

    Dans ces condi­tions, la com­po­si­tion de l’Église avec le monde moderne n’est pas une nou­velle forme de rela­tion avec des « païens » d’un genre nou­veau, mais une com­po­si­tion de l’Église « avec sa propre héré­sie ». Cela est bien dif­fé­rent, car l’hérésie moderne sépare le chris­tia­nisme des autres reli­gions en fon­dant sa supé­rio­ri­té et son ori­gi­na­li­té sur ce qui ferait du chris­tia­nisme la « reli­gion de la sor­tie de la reli­gion », en rai­son de son carac­tère sup­po­sé­ment laïque et révo­lu­tion­naire. Or en adhé­rant à la men­ta­li­té moderne, des repré­sen­tants de l’Église catho­lique ont, mal­gré leurs récentes pré­ten­tions favo­rables aux dia­logue inter­re­li­gieux, engen­dré une perte géné­rale du sens du sacré. Ce sens du sacré, c’est-à-dire la (re)connaissance des hié­rar­chies natu­relles, de l’ordre sur­na­tu­rel et de la fidé­li­té rituelle à celui-ci, consti­tue pour­tant le ciment com­mun des reli­gions, la condi­tion sine qua non d’un fruc­tueux dia­logue entre elles. Au contraire, l’abandon de la connais­sance sacrée est la cause d’une désaf­fec­tion du sacer­doce et d’une incom­pré­hen­sion mas­sive des sym­boles et des sacre­ments chré­tiens, à tel point que, par exemple, « deux tiers des catho­liques amé­ri­cains ne croient plus en la pré­sence réelle [du Christ dans les espèces du pain et du vin eucha­ris­tiques] : c’est ce qui res­sort d’une étude publiée par le Pew Research Cen­ter, le 5 août 2019. »

    C’est pour­quoi, quels que soient les reproches que l’Église peut adres­ser aux autres reli­gions tra­di­tion­nelles, il faut bien consta­ter qu’elles recon­naissent, comme elle, « la supé­rio­ri­té et l’autorité de prin­cipes trans­cen­dants, toutes se sou­mettent – ou du moins l’affirment – à une “loi non écrite” d’origine supra-humaine, toutes savent que l’homme n’est ni sa propre ori­gine, ni sa propre fin. » Michel s’indigne que les ini­tia­tives œcu­mé­niques ne concentrent pas, dès lors, toute leur atten­tion sur cette uni­té trans­cen­dan­tale des reli­gions. Il déplore qu’« en pra­tique, l’œcuménisme consiste […] à rap­pro­cher l’aile moder­niste du catho­li­cisme avec l’aile pro­gres­siste du pro­tes­tan­tisme » et à mêler, dans un dia­logue rela­ti­viste par défaut de cri­tère méta­phy­sique défi­ni, les croyances reli­gieuses et irré­li­gieuses dans un but très insuf­fi­sant et vague d’amitié sociale. Au lieu de cela, un œcu­mé­nisme bien com­pris, c’est-à-dire un œcu­mé­nisme tra­di­tion­nel pro­cé­dant « par le haut » et non un œcu­mé­nisme moder­niste pro­cé­dant « par le bas », devrait plu­tôt « retrou­ver les tra­di­tions com­munes des Églises apos­to­liques » et, à plus forte rai­son, « mon­trer les admi­rables cor­res­pon­dances du catho­li­cisme avec les croyances et les rites des autres reli­gions, comme le fai­saient les théo­lo­giens de la Renais­sance ou les tra­di­tio­na­listes du début du XIXe siècle, au lieu de s’ingénier comme les mau­vais apo­lo­gistes “modernes” naï­ve­ment eth­no­cen­tristes à inven­ter des dif­fé­rences ou des supériorités. »

    Le recours à la Tradition 

    L’ambition affi­chée de Michel est donc celle du péren­nia­lisme, c’est-à-dire de « ce tra­di­tio­na­lisme [attri­buable] à S. Augus­tin, à S. Vincent de Lérins, [au car­di­nal] Nico­las de Cues ou Joseph de Maistre ». Le pro­blème, faute d’une méthode œcu­mé­nique adap­tée aux condi­tions d’une véri­table anthro­po­lo­gie reli­gieuse, est que « les théo­lo­giens catho­liques se sont détour­nés de ces pers­pec­tives ; si bien qu’on est obli­gé de cher­cher hors de l’Église ces concep­tions qui pour­tant sont aus­si les siennes. Hors de l’Église et tout par­ti­cu­liè­re­ment chez René Gué­non », ce grand nom fran­çais du sou­fisme et de la méta­phy­sique orientale.

    Dans cette pers­pec­tive gué­no­nienne, recou­rir à la Tra­di­tion, c’est entre­prendre la connais­sance des nom­breuses cor­res­pon­dances mythiques, sym­bo­liques et rituelles qui démontrent l’existence de cette « tra­di­tion per­pé­tuelle et una­nime » (Gué­non) d’où le chris­tia­nisme lui-même est issu, de cette tra­di­tion que S. Vincent de Lérins défi­nit comme étant « ce qui a été cru par tous, par­tout et tou­jours ». En effet, les inter­prètes du chris­tia­nisme affec­tés par le point de vue moderne (l’auteur cite René Girard) n’ont pas su recon­naître, avec Joseph de Maistre au XIXe siècle et René Gué­non au XXe siècle, que « l’universalité d’une croyance ou d’un rite – les sacri­fices, par exemple – attes­tait de la véri­té des pra­tiques de l’Église catho­lique. » Pour­tant, la connais­sance d’un sens uni­ver­sel et unique sous-jacent au conte­nu doc­tri­nal et rituel des reli­gions entraîne a mini­ma la confir­ma­tion du carac­tère sacré des Écri­tures, de la sym­bo­lique et de la ritua­li­té chré­tiennes, contre les entre­prises démys­ti­fiantes et maté­ria­listes de la modernité. 

    La décou­verte par l’Église de l’œuvre de René Gué­non et de ses héri­tiers est donc capi­tale pour satis­faire cette ambi­tion, pour­vu que l’exercice intel­li­gent de dis­cer­ne­ment soit effec­tué. Mais ce qui est vrai au niveau du culte doit for­cé­ment l’être aus­si au niveau de la culture, car, explique Michel, « si la Tra­di­tion se trans­met, c’est habi­tuel­le­ment par les tra­di­tions et sin­gu­liè­re­ment le lan­gage et tout ce qui hété­ro­gé­néise l’espace (les hauts lieux), le temps (les fêtes), les hommes (les “voca­tions” par­ti­cu­lières) et ordonne le monde ». C’est pour­quoi, par exemple, « si un eth­no­logue venu de Sirius débar­quait dans nos contrées, il consta­te­rait que par leurs struc­tures, elles sont mas­si­ve­ment chré­tiennes ou roma­no-hel­lé­no-judéo-chré­tiennes : semaine de sept jours, clo­chers qui dominent les agglo­mé­ra­tions, pré­noms se réfé­rant à des saints, valeurs morales lar­ge­ment ins­pi­rées du Déca­logue, etc ». En renouant avec la connais­sance sacrée des mys­tères de la reli­gion chré­tienne, l’enjeu est donc, plus lar­ge­ment encore, de rendre intel­li­gible le lan­gage de toute la culture occi­den­tale. Et mor­tui resurgent.

    *Article paru sur le blog :

    https://philitt.fr/contact/

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    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • Une société en pleine décadence, par Michel Maf­fe­so­li (Pro­fes­seur émé­rite à la Sorbonne).

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    Michel Maf­fe­so­li , bien connu par le public d’AF, nous livre un texte direct et pano­ra­mique sur la déca­dence de notre socié­té que sus­citent nos élites. A force d’être obsé­dées par la morale et par une éti­quette de cour, ces élites se sont détour­nées de flux du vivant et entre­tiennent une vision arti­fi­cielle de la socié­té dont le seul des­tin est de disparaître.

    S’accorder au cycle même du monde, voi­là ce qui est la pro­fonde sagesse des socié­tés équi­li­brées. Tout comme, d’ailleurs, de tout un cha­cun. C’est cela même qui fonde le sens de la mesure. Le « bon sens » qui, selon Des­cartes, est la chose du monde la mieux par­ta­gée. Bon sens qui semble per­du de nos jours. Tout sim­ple­ment parce que l’opinion publiée est tota­le­ment décon­nec­tée de l’opinion publique.

    Mais pour un temps, sera-t-il long ? cette décon­nexion est quelque peu mas­quée. C’est la consé­quence d’une struc­ture anthro­po­lo­gique fort ancienne : la stra­té­gie de la peur.

    La stra­té­gie de la peur pour se main­te­nir au pouvoir

    D’antique mémoire, c’est en mena­çant des sup­plices éter­nels de l’enfer que le pou­voir clé­ri­cal s’est impo­sé tout au long du Moyen-Âge. Le pro­tes­tan­tisme a, par après, fait repo­ser « l’esprit du capi­ta­lisme » (Max Weber) sur la théo­lo­gie de la « pré­des­ti­na­tion ». Véri­fier le choix de dieu : être élu ou dam­né abou­tit à consa­crer la « valeur tra­vail ». L’économie du salut abou­tit ain­si à l’économie stric­to sen­su !

    Dans la déca­dence en cours des valeurs modernes, dont celle du tra­vail et d’une concep­tion sim­ple­ment quan­ti­ta­ti­viste de la vie, c’est en sur­jouant la peur de la mala­die que l’oligarchie média­ti­co-poli­tique entend se main­te­nir au pou­voir. La peur de la pan­dé­mie abou­tis­sant à une psy­cho-pan­dé­mie d’inquiétante allure.

    Comme ceux étant cen­sés gérer l’Enfer ou le Salut, la mise en place d’un « Haut com­mis­sa­riat au Bon­heur » n’a, de fait, pour seul but que l’asservissement du peuple. C’est cela la « vio­lence tota­li­taire » du pou­voir : la pro­tec­tion demande la sou­mis­sion ; la san­té de l’âme ou du corps n’étant dès lors qu’un simple prétexte.

    Le spectre eugé­niste, l’asepsie de la socié­té, le risque zéro sont des bons moyens pour empê­cher de ris­quer sa vie. C’est-à-dire tout sim­ple­ment de vivre ! Mais vivre, n’est-ce pas accep­ter la fini­tude ? Voi­là bien ce que ne veulent pas admettre ceux qui sont atteints par le « virus du bien ». Pour uti­li­ser une judi­cieuse méta­phore de Nietzsche, leur « mora­line » est dès lors on ne peut plus dan­ge­reuse pour la vie sociale, pour la vie tout court !

    La morale comme ins­tru­ment de domination

    Étant enten­du, mais cela on le savait de longue date, que la morale est de pure forme. C’est un ins­tru­ment de domi­na­tion. Quelques faits divers contem­po­rains, ani­mant le Lan­der­neau ger­ma­no­pra­tin montrent, à loi­sir que tout comme le disait le vieux Marx, à pro­pos de la bour­geoi­sie, l’oligarchie « n’a pas de morale, elle se sert de la morale ».

    Le mora­lisme fonc­tionne tou­jours selon une logique du « devoir-être », ce que doivent être le monde, la socié­té, l’individu et non selon ce que ces enti­tés sont en réa­li­té, dans leur vie quo­ti­dienne. C’est cela même qui fait que dans les « nuées » qui sont les leurs, les élites dépha­sées ne savent pas, ne veulent pas voir l’aspect arché­ty­pal de la fini­tude humaine. Fini­tude que les socié­tés équi­li­brées ont su gérer.

    C’est cela le « cycle du monde ». Mors et vita ! Le cycle même de la nature : si le grain ne meurt… Qu’est-ce à dire, sinon que la beau­té du monde naît, jus­te­ment, de l’humus ; du fumier sur lequel poussent les plus belles fleurs. Règle uni­ver­selle fai­sant de la souf­france et de la mort des gages d’avenir.

    En bref, les pen­sées et les actions de la vie vivante sont celles sachant inté­grer la fini­tude consub­stan­tielle à l’humaine nature. À la nature tout court, mais cela nous oblige à admettre qu’à l’opposé d’une his­toire « pro­gres­siste » dépas­sant, dia­lec­ti­que­ment, le mal, la dys­fonc­tion et pour­quoi pas la mort, il faut s’accommoder d’un des­tin autre­ment tra­gique, où l’aléa, l’aventure le risque occupent une place de choix.

    Pour une phi­lo­so­phie progressive

    Et au-delà du ratio­na­lisme pro­gres­siste, c’est bien de cette phi­lo­so­phie pro­gres­sive dont est pétrie la sagesse popu­laire. Sagesse que la stra­té­gie de la peur du micro­cosme ne cesse de s’employer à dénier. Et ce en met­tant en œuvre ce que Berg­son nom­mait « l’intelligence cor­rom­pue », c’est-à-dire pure­ment et sim­ple­ment rationaliste.

    Ain­si le funam­bu­lisme du micro­cosme s’emploie-t-il pour per­du­rer à créer une masse infi­nie de zom­bies. Des morts-vivants, per­dant, peu à peu, le goût doux et âcre à la fois de l’existence . Par la mas­ca­rade géné­ra­li­sée, le fait de se per­ce­voir comme un fan­tôme devient réel. Dès lors, c’est le réel qui, à son tour, devient fantomatique.

    Monde fan­to­ma­tique que l’on va s’employer à ana­ly­ser d’une manière non moins fan­to­ma­tique. Ain­si, à défaut de savoir « déchif­frer » le sens pro­fond d’une époque, la moder­ni­té, qui s’achève, et à défaut de com­prendre la post­mo­der­ni­té en ges­ta­tion, l’on com­pose des dis­cours on ne peut plus fri­voles. Fri­vo­li­tés far­cies de chiffres ano­dins  et abstraits

    Il est, à cet égard, frap­pant de voir fleu­rir une quan­to­phré­nie ayant l’indubitabilité de la Véri­té ! Carl Schmidt ou Karl Löwith ont, cha­cun à leur manière, rap­pe­lé que les concepts dont se servent les ana­lyses poli­tiques ne sont que des concepts théo­lo­giques sécularisés.

    La dog­ma­tique théo­lo­gique propre à la ges­tion de l’Enfer ou la dog­ma­tique pro­gres­siste théo­ri­sant la « valeur tra­vail » s’inversent en « scien­tisme » pré­ten­dant dire ce qu’est la véri­té d’une crise civi­li­sa­tion­nelle réduite en crise sani­taire. « Scien­tisme » car le culte de la science est omni­pré­sent dans les divers dis­cours propres à la bien-pensance.

    Cet étrange culte de la science

    Il est frap­pant d’observer que les mots ou expres­sions, science, scien­ti­fique, comi­té scien­ti­fique, faire confiance à la Science et autres de la même eau sont comme autant de sésames ouvrant au savoir uni­ver­sel. La Science est la for­mule magique par laquelle les pou­voirs bureau­cra­tiques et média­tiques sont garants de l’organisation posi­tive de l’ordre social. Il n’est jusqu’aux réseaux sociaux, Face­book, Twee­ter, Lin­ke­dIn, qui cen­surent les inter­nautes qui « ne res­pectent pas les règles scien­ti­fiques », c’est-à-dire qui ont une inter­pré­ta­tion dif­fé­rente de la réa­li­té. Doute et ori­gi­na­li­té qui sont les racines de tout « pro­grès » scientifique !

    Oubliant, comme l’avait bien mon­tré Gas­ton Bache­lard que les para­doxes d’aujourd’hui deviennent les para­digmes de demain, ce qui est le propre d’une science authen­tique alliant l’intuition et l’argumentation, le sen­sible et la rai­son, le micro­cosme se contente d’un « décor » scien­tiste propre à l’affairement désor­don­né qui est le sien.

    Démo­crates, peut-être, mais démo­philes, cer­tai­ne­ment pas

    Poli­tiques, jour­na­listes, experts péro­rant jusqu’à plus soif sont en effet, à leur « affaire » : ins­truire et diri­ger le peuple, fût-ce contre le peuple lui-même. Tant il est vrai que les démo­crates auto-pro­cla­més sont très peu démo­philes. Au nom de ce qu’ils nomment la Science, ils vont taxer de popu­listes, ras­su­ristes voire de com­plo­tistes tous ceux qui n’adhèrent pas à leurs lieux communs.

    On peut d’ailleurs leur retour­ner le com­pli­ment. Il suf­fit d’entendre, pour ceux qui en ont encore le cou­rage, leur lan­ci­nante logor­rhée, pour se deman­der si ce ne sont pas eux, les chas­seurs de fake news, qui sont les pro­ta­go­nistes essen­tiels d’une authen­tique « com­plo­sphère »[1]. Très pré­ci­sé­ment parce qu’ils se contentent de mettre le monde en spectacle.

    Pour reprendre le mot de Pla­ton, décri­vant la dégé­né­res­cence de la démo­cra­tie, la « Théâ­tro­cra­tie » est leur lot com­mun. Poli­tique spec­tacle des divers poli­ti­ciens, simu­lacre intel­lec­tuel des experts de paco­tille et innom­brables bana­li­tés des jour­na­listes ser­vant la soupe aux pre­miers, tels sont les élé­ments majeurs consti­tuant le tin­ta­marre propre à ce que l’on peut nom­mer la médio­cri­té de la médiacratie.

    Face à l’inquisition de l’infosphère

    J’ai qua­li­fié ce tin­ta­marre « d’infosphère ». Nou­velle inqui­si­tion, celle d’une élite dépha­sée regar­dant « de tra­vers » tout à la fois le peuple mal­séant et tous ceux n’adhérant pas au caté­chisme de la bien­pen­sance. « Regar­der de tra­vers », c’est consi­dé­rer ceux et ce que l’on regarde en coin comme étant par­ti­cu­liè­re­ment dan­ge­reux. Et, en effet, le peuple est dan­ge­reux. Ils ne sont pas moins dan­ge­reux tous ceux n’arrivant pas à prendre au sérieux la farce sani­taire mise en scène par les théâ­tro­crates au pouvoir.

    Il fau­drait la plume d’un Molière pour décrire, avec finesse, leurs arro­gantes tar­tuf­fe­ries. Leur pha­ri­sia­nisme visant à confor­ter la peur, peut aller jusqu’à sus­ci­ter la déla­tion, la dénon­cia­tion de ceux ne res­pec­tant pas la mise à dis­tance de l’autre, ou de ceux refu­sant de par­ti­ci­per au bal mas­qué domi­nant. Leur jésui­tisme peut éga­le­ment favo­ri­ser la conspi­ra­tion du silence vis-à-vis du mécréant. (celui qui met en doute La Science). Et par­fois même aller jusqu’à leur évic­tion pure et simple des réseaux sociaux.

    Dans tous ces cas, il s’agit bien de la revi­vis­cence inqui­si­to­riale. La mise à l’Index : Index libro­rum pro­hi­bi­to­rum. Déla­tion et inter­dic­tion selon l’habituelle manière de l’inquisition : au moyen de pro­cé­dures secrètes. L’entre-soi est l’élément déter­mi­nant de la tar­tuf­fe­rie média­ti­co-poli­tique. L’omerta mafieuse : loi du silence, faux témoi­gnages, infor­ma­tions tron­quées, demi-véri­tés, sour­noi­se­ries etc. Voi­là bien le modus ope­ran­di de la four­be­rie en cours. Et tout un cha­cun peut com­plé­ter la liste de ces parades théâtrales.

    Voi­là les carac­té­ris­tiques essen­tielles de « l’infosphère », véri­table com­plo­sphère domi­nante. Mafia, selon la défi­ni­tion que j’ai pro­po­sée des élites, ras­sem­blant « ceux qui ont le pou­voir de dire et de faire ». Puis-je ici rap­pe­ler,  à nou­veau,  une rude expres­sion de Joseph de Maistre pour décrire ceux qui sont abs­traits de la vie réelle : « la canaille mon­daine ».

    Peut-être fau­drait-il même dire « demi-mon­daine ». Ce qui désigne, selon Alexandre Dumas, une « cocotte » riche­ment entre­te­nue et se mani­fes­tant bruyam­ment dans la sphère média­tique, le théâtre et la vie publique ou poli­tique. Demi-monde on ne peut plus nébu­leux dont les prin­ci­pales actions sont de défor­mer la réa­li­té afin de la faire ren­trer en congruence avec leur propre dis­cours. Demi-mon­daines entre­te­nues par l’État ou les puis­sances finan­cières de la démo­cra­tie afin de faire per­du­rer un état de choses désuet et rétrograde.

    Mais cette défor­ma­tion de la réa­li­té a, peu à peu, conta­mi­né l’espace public.

    C’est cela le cœur bat­tant du com­plo­tisme de « l’infosphère » : entre­te­nir « mon­dai­ne­ment » la peur de l’enfer contem­po­rain. Anxié­té, res­tric­tion des liber­tés accep­tée, couar­dise, angoisse dif­fuse et tout à l’avenant au nom du « tout sani­taire ». Forme contem­po­raine du « tout à l’égout » !

    Une vraie psycho-pandémie

    Sans nier la réa­li­té et l’importance du virus stric­to sen­su, sans négli­ger le fait qu’il ait pu pro­vo­quer un nombre non négli­geable de décès, ce qui n’est pas de ma com­pé­tence, il faut noter que le « virus » s’est intro­duit de manière essen­tielle dans nos têtes. Ce qui devrait nous conduite à par­ler d’une « psy­cho-pan­dé­mie » sus­ci­tée et entre­te­nue par l’oligarchie médiatico-politique.

    Psy­cho-pan­dé­mie comme étant la consé­quence logique de ce que Hei­deg­ger nomme la « pen­sée cal­cu­lante » qui, obnu­bi­lée par le chiffre et le quan­ti­ta­tif et fas­ci­née par une  logique abs­traite du « devoir être », oublie la longue rumi­na­tion de la « pen­sée médi­tante » qui, elle, sait s’accorder, tant bien que mal à la néces­si­té de la finitude.

    Voi­là ce qui, pour l’immédiat sus­cite une sorte d’auto-anéantissement ou d’auto-aliénation condui­sant à ce que ce bel esprit qu’était La Boé­tie nom­mait la « ser­vi­tude volon­taire ». Ce qui est, sur la longue durée des his­toires humaines, un phé­no­mène récur­rent. Cause et effet de la stra­té­gie de la peur qui est l’instrument pri­vi­lé­gié de tout pou­voir, quel qu’il soit.

    Stra­té­g

  • Un point de vue de sociologue sur le motu proprio du pape François, par Michel Michel.

    Voi­ci une ana­lyse ori­gi­nale à pro­pos du nou­veau motu pro­prio du pape Fran­çois. Michel Michel est un acteur bien connu de la réflexion poli­tique à l’Action Fran­çaise, mais comme beau­coup de nos intel­lec­tuels il inter­roge aus­si depuis long­temps la ques­tion reli­gieuse et nous sommes heu­reux de lui don­ner la parole sur un sujet qui pour­rait avoir des inci­dences déter­mi­nantes sur la civi­li­sa­tion occi­den­tale. (NDLR)

    6.jpgLe motu pro­prio du Pape Fran­çois Tra­di­tio­nis cus­to­dis a jeté le trouble dans ce qu’il reste de la Chré­tien­té. Les théo­lo­giens ont fait de longues ana­lyses sur le sujet ; c’est en socio­logue des repré­sen­ta­tions que je vou­drais consa­crer les quelques pages suivantes.

    POUR RELATIVISER LA QUERELLE DES RITES

    Il me semble que le Motu Pro­prio du Pape Fran­çois s’inscrit dans la pas­sion homo­gé­néi­sante qui est une des com­po­santes du ratio­na­lisme et fina­le­ment a don­né le jaco­bi­nisme.
    L’unité n’est pas l’uniformité ; au contraire, la volon­té d’uniformiser se déve­loppe quand la cénes­thé­sie sociale (le sen­ti­ment de ne for­mer qu’un seul corps) est mena­cée.
    Le capo­ra­lisme clé­ri­cal de Fran­çois est aux anti­podes de la concep­tion de l’Eglise par saint Paul comme un corps com­po­sé d’organes divers et com­plé­men­taires.
    (Je sou­hai­te­rais que Eric Zem­mour, qui a par­tiel­le­ment com­pris la logique maur­ras­sienne, mais qui garde encore les réflexes jaco­bins de la bande à Pas­qua, sai­sisse que le recours à la dic­ta­ture cen­tra­li­sa­trice n’est pas un signe de bonne san­té. La chi­rur­gie est par­fois néces­saire, qui n’est jus­ti­fiée que si elle est indis­pen­sable).
    La réa­li­té sociale est diver­si­fiante, comme dans la vie dans la nature, les cultures eth­niques, pro­vin­ciales, fami­liales qui se mul­ti­plient au grand déses­poir des bureau­crates de France comme du Vatican.

    La sage stra­té­gie, me semble-t-il, serait de mettre l’accent sur la mul­ti­tude des rites plu­tôt que de vou­loir en impo­ser un seul (à la grande crainte des catho­liques orien­taux). En effet dès que le dilemme se réduit à deux élé­ments, inévi­ta­ble­ment l’esprit humain va en faire la com­pa­rai­son (l’ancien et le nou­veau, de droite ou de gauche, jeune ou vieux, le meilleur et le moins bon). Les Eglises d’Orient nous montrent que dans la mul­ti­pli­ci­té des formes la tolé­rance est pos­sible (pas tou­jours hélas).

    La réa­li­té de la diver­si­té des rites est don­née dans le tableau suivant :

    RITES DE L’EGLISE CATHOLIQUE

    Rite orien­tal  (Églises catho­liques orientales)

    Rite alexan­drin
    Rite copte
    Église catho­lique copte
    Rite guèze
    Église catho­lique éthio­pienne,  Église catho­lique éry­thréenne
    Rite armé­nien
    Église catho­lique armé­nienne
    Rite chal­déen
    Église catho­lique chal­déenne
    Rite syriaque orien­tal
    Église catho­lique syro-mala­bare
    Rite antio­chien
    Rite maro­nite
    Église maro­nite
    Rite syriaque occi­den­tal
    Église catho­lique syriaque · Église catho­lique syro-malan­kare
    Rite byzan­tin
    mel­kite · ukrai­nienne · rou­maine · ruthène · slo­vaque · hon­groise · bul­gare · croate · macé­do­nienne · croate · russe · bié­lo­russe · alba­naise · ita­lo-alba­naise · hel­lène · ser­bo-mon­té­né­grine · tchèque · géorgienne

    Rite latin (Église catho­lique latine)

    Rite romain
    Messe de Vati­can II (forme ordi­naire)
    Messe tri­den­tine (forme extra­or­di­naire)
    Variantes du rite romain
    Rite zaï­rois · Rite béné­dic­tin · Usage angli­can
    Autres rites latins
    Rite moza­rabe · Rite ambro­sien · Rite de Bra­ga · Rite domi­ni­cain · Rite car­tu­sien · Rite cis­ter­cien
    Rites litur­giques his­to­riques
    Rite gal­li­can · Rite cel­tique · Rite lyon­nais · Rite pré­mon­tré · Rite de Sarum · Rite carmélite

    Tou­cher à la litur­gie exige beau­coup de pré­cau­tions sous peine de man­quer gra­ve­ment à la Cha­ri­té. La men­ta­li­té nomi­na­liste nous fait croire que les formes du culte sont « neutres » et peuvent aisé­ment être sub­sti­tuées l’une à l’autre. L’arbitraire de l’autorité peut-il s’exercer sans déli­ca­tesse ?  Chan­ger de litur­gie est aus­si trau­ma­ti­sant que de décré­ter (comme Atatürk et au fond tous les révo­lu­tion­naires) le chan­ge­ment d’une langue, celle de la parole comme celle des mœurs.

    Le rite, c’est le Bien Com­mun à toute l’Eglise, on ne change pas comme ça de façon capo­ra­liste. Le fait de dépo­ser le saint Sacre­ment dans le bas-côté de la Nef a pro­vo­qué la déso­rien­ta­tion des fidèles qui ne savent plus de quel côté s’agenouiller et du coup, ils ne s’agenouillent plus (d’autant plus qu’on a reti­ré les age­nouilloirs). On prie aus­si avec son corps remar­quait Pas­cal. Des géné­ra­tions de pay­sans spé­cu­laient sur le temps à venir avec les « Saints de glace », les saints Mamet, Pan­crace et Ser­vais ; les intel­lec­tuels du Vati­can les ont mis à la trappe, contri­buant à la déchris­tia­ni­sa­tion de la société.

    On sait com­bien de schismes ont été sus­ci­tés par les réformes litur­giques comme celle de Pierre le Grand dans l’orthodoxie russe.

    Le Pape est au ser­vice de l’Eglise corps mys­tique du Christ comme l’Etat est au ser­vice du corps social. Comme les lois ne sont pas faite pour « construire » la socié­té civile telle quelle devrait être pour l’idéologue, la litur­gie n’est pas faite d’abord pour chan­ger auto­ri­tai­re­ment la men­ta­li­té des fidèles, mais pour offrir un culte à Dieu. La litur­gie est « signi­fiante » et non « instrumentale ».

    Il faut donc dans ce domaine être très prudent.

    On aurait pu dans quelques ban­lieues déshé­ri­tées expé­ri­men­ter de « nou­velles messes » pour s’adapter à l’indigence cultu­relle des popu­la­tions les plus frustes ; après tout on a bien fait des tra­duc­tions de la Bible en fran­çais basique, tra­duc­tions si plates… Peut-être dans cette mul­ti­pli­ci­té d’expériences dont la plu­part n’auraient été que tran­si­toires (les messes pour les enfants ne peuvent durer quand l’enfant gran­dit ; c’est mépri­ser les gens de pen­ser qu’ils ne sont pas capables d’intelligence). On aurait pro­ba­ble­ment sus­ci­té un grand nombre d’échecs mais peut-être quelques réussites.

    On a vou­lu au contraire tout chan­ger en une seule fois, trau­ma­ti­sant ce qu’il res­tait de Chré­tien­té. Il fal­lait mettre à mort l’ancien rite de la messe sous peine de voir se consti­tuer deux Eglises comme dans l’anglicanisme où la « Haute Eglise » (ou « Eglise catho­lique d’Angleterre ») n’a plus grand-chose à voir avec le culte de la « Basse Eglise » où les formes sont emprun­tées aux pro­tes­tan­tismes. C’est inévi­table, la diver­si­té des cultes sus­cite des men­ta­li­tés dif­fé­rentes (et vice versa).

    Or le « coup d’Etat », je veux dire l’opération auto­ri­taire, hié­rar­chique et clé­ri­cale, un demi-siècle après, a échoué.

    D’une part parce que l’ancien rite s’est main­te­nu et mal­gré la sourde per­sé­cu­tion de la hié­rar­chie clé­ri­cale, il s’est fort bien main­te­nu (20 % des voca­tions, pro­viennent des dif­fé­rentes com­mu­nau­tés « tradis »).

    D’autre part parce que la plus grande par­tie des fidèles (envi­ron 9 sur 10) ont comme on dit « voté avec leurs pieds », c’est-à-dire qu’ils ne se sont pas ral­liés aux rites que leur pro­po­saient les paroisses. Déser­tant les églises, mal ins­truits de la doc­trine par une caté­chèses indi­gente ils ne trans­mettent plus la Foi si bien que leurs petits enfants ne sont même plus baptisés.

    Certes, il reste encore un petit trou­peau com­po­sé de per­sonnes qui par­viennent à trou­ver la messe à tra­vers cette nou­velle messe ; ou de per­sonnes qui n’ont pas trou­vé étant don­né la fai­blesse (et la dis­tance) de « l’offre » des cultes tra­dis et cha­ris­ma­tiques d’autres formes pour célé­brer. Dans la plu­part des dio­cèses, c’est la limi­ta­tion arti­fi­cielle des paroisses « tra­dis » qui empêchent les 17 % de fidèles qui le sou­haitent de fré­quen­ter les lieux de culte où est pra­ti­quée la messe « extraordinaire ».

    Enfin il reste sur­tout dans la vieille géné­ra­tion des gens qui ont cru à la « nou­velle pen­te­côte » qui devait suc­cé­der au Concile Vati­can II. Mal­gré les dés­illu­sions, cer­tains ont le plus grand mal à se déju­ger, et par­fois héroï­que­ment, c’est sou­vent eux qui font vivre les struc­tures de ce qu’il reste aux paroisses.

    Le grand Pape Benoit XVI a vou­lu, en affir­mant qu’il n’y a qu’un seul rite sous la forme ordi­naire ou extra­or­di­naire, réta­blir la paix litur­gique. Le Pape Fran­çois cet ancien péro­niste auto­ri­taire (dit-on) casse l’œuvre de son pré­dé­ces­seur encore vivant. Com­ment l’Eglise pour­rait-elle pré­tendre à l’œcuménisme ou au dia­logue des reli­gions si elle ne tolère même pas les moda­li­tés d’une messe qui a tra­ver­sé une grande par­tie de son histoire ?

    UNE « NOUVELLE » MESSE ?

    Com­ment ai-je res­sen­ti la sub­sti­tu­tion du nou­vel Ordo Mis­sae de Paul VI à la messe de Pie V ?  Tout d’a­bord je veux affir­mer que tout peut être sacra­li­sé et que le pro­fane n’est qu’un point de vue illu­soire sur les choses qui sont réel­le­ment sacrées. D’ailleurs le mot même de pro­fane relève du voca­bu­laire sacré, puisque pro­fa­num veut dire « devant le temple ».

    Cela dit, dans la mesure où nous vivons dans un état de conscience déchu, nous avons besoin de média­tions. Puisque nous ne vivons pas la tota­li­té de notre exis­tence avec une pleine conscience de la réa­li­té sacrée, nous avons besoin de mettre à part cer­tains espaces, (« déchausse-toi car ceci est une terre sacrée »), cer­tains temps, (le dimanche, les fêtes, le Carême), cer­taines per­sonnes (« consa­crées »), pour qu’à par­tir des liens qu’elle tisse avec ces par­celles sacra­li­sées, notre vie bana­li­sée puisse retrou­ver un sens.

    Aus­si n’est-ce pas sans rai­son que dans la plu­part des socié­tés, la langue sacrée ne coïn­cide pas avec le lan­gage ordi­naire. L’a­ra­méen du temps du Christ n’é­tait pas l’hé­breu de la Bible, les Russes célèbrent la litur­gie en vieux sla­von, et le sans­crit des grands textes hin­dous n’est cer­tai­ne­ment pas la langue ver­na­cu­laire. Le latin, ancienne langue véhi­cu­laire était deve­nue la langue litur­gique, qua­si-sacrée (la « révé­la­tion » de INRI « Jésus de Naza­reth Roi des Juifs » n’a­vait-elle pas été ins­crite en latin en même temps qu’en Grec et en Hébreu sur l’ins­crip­tion que Pilate avait fait appo­ser sur la Croix ?) Est-ce pour cela, parce que les mots latins expri­maient dans nos consciences un autre niveau de réa­li­té, qu’on a cher­ché à les sup­pri­mer de la liturgie ?

    Pour­tant rien n’est plus insup­por­table dans les dis­cus­sions concer­nant les rites de la messe que cet oubli de l’es­sen­tiel. Jean Ous­set disait : « Est-ce que le Christ vient à la consé­cra­tion ? Si c’est le cas, pour­quoi ne vien­drais-je pas ? » Je sup­pose que la crèche où Jésus est né devait sen­tir le purin…

    La messe n’est pas d’abord, une péda­go­gie pour la « conscien­ti­sa­tion » des fidèles.

    Qu’est-ce qui est néces­saire à la messe ?

    • Que soit res­pec­té un mini­mum de formes rituelles afin que le sacre­ment trans­mis par les pou­voirs don­nés aux apôtres soit effec­tué et actua­lise pour nous le seul sacri­fice du cal­vaire, sans bri­co­lage litur­gique qui rende l’ac­tion douteuse.

    Sous cet angle-là, il n’est pas dou­teux que la nou­velle messe – celle qui a été amen­dée par l’intervention pro­vi­den­tielle des car­di­naux Siri et Otta­via­ni –, au moins quand on en res­pecte les formes, soit la messe.

    • Acces­soi­re­ment, il faut sou­hai­ter que le rite soit « priant » ; et là, les cri­tères sont bien relatifs.

    Pour en reve­nir à la messe de Paul VI, ce qui me paraît scan­da­leux, ce n’est pas la créa­tion d’un nou­veau rite. Les mots « créa­tion »

  • Si le coup de « farce » est possible.

    Le billet colo­ré d’Amaury de Perros

    Le 22 jan­vier 2021, un trou­vère (certes, du genre pénible) publiait un billet dans France-Soir, dont nous repro­dui­sons ici la par­tie la plus explo­sive : « De même, et si de besoin, il est du devoir de l’ar­mée fran­çaise pour assu­rer la sûre­té du peuple fran­çais […] de pro­cé­der à la mise à pied des auteurs du coup d’É­tat – c’est-à-dire de l’ac­tuel gou­ver­ne­ment ; et ce, afin de réta­blir le droit répu­bli­cain. ».

    Aux armes, baladins !

    Plu­tôt bien tour­née, cette dia­tribe relève davan­tage de l’inconscience et de la bêtise crasse (j’entends déjà des « même pas éton­né… »). Nous sommes ici forts éloi­gnés d’un Dérou­lède, d’un Roche­fort ou d’un Maur­ras.

    Ceux qui connaissent l’Action fran­çaise, savent que ses par­ti­sans ont une cer­taine appé­tence pour les offi­ciers put­schistes, ces der­niers étant en effet tout indi­qués pour net­toyer les écu­ries d’Augias, à savoir débar­ras­ser la France des sco­ries de 200 années de répu­blique mor­ti­fère (tra­duc­tion : virer la gueuse). Une bonne dic­ta­ture en somme, mais, atten­tion, toute pro­vi­soire. L’objectif étant, in fine, de res­tau­rer la monar­chie et nos liber­tés (Monck, ça vous parle, rassurez-moi ?).

    On se sou­viens qu’il y a 60 ans, un « quar­te­ron » de géné­raux (trop répu­bli­cains, pour le coup) aura pro­vo­qué un réveil pénible au loca­taire étoi­lé de l’Elysée… S’en sui­virent quelques purges au sein de l’institution, à la suite de ces évè­ne­ments d’Algé­rie. L’esprit réac­tion­naire, pour ne pas dire natio­na­liste, n’étant pas tout à fait expur­gé chez les « milis », nous pour­rions tou­jours trou­ver quelques galon­nés ayant la capa­ci­té de don­ner de grands coups de ran­gers dans la pétau­dière répu­bli­caine le jour du « Grand Soir » (ou le soir du « Grand Jour », au choix).

    Reste à choi­sir le bon moment et sur­tout le bon che­val. Car il faut une volon­té de fer et un sens du sacri­fice assez pro­non­cé pour réus­sir un coup d’état. Point déli­cat pour nous, roya­listes, l’insurgé devra impé­ra­ti­ve­ment une fois le sale bou­lot effec­tué, ren­trer dans sa caserne et lais­ser la place à celui qui, légi­ti­me­ment, repren­dra les rênes du pou­voir1. Le dan­ger encou­ru par notre pays étant immense, nous ferions aisé­ment l’économie d’un nou­veau Bou­lan­ger ou de tout autre ambi­tieux gar­dant le pou­voir pour lui-seul.

    Le putsch qui fait pschitt

    Ceci posé, avouons très hon­nê­te­ment que ce coup de semonce de la part d’un sal­tim­banque éner­vé mais musi­ca­le­ment mort, nous ne l’avions pas vu venir.

    Dans cet appel aux cen­tu­rions, notre zapa­tiste Fran­ci­so Lalan­nos, appelle à la « mobi­li­sa­tion géné­rale du peuple fran­çais contre la tyran­nie », vu que « Le chef de l’É­tat et son gou­ver­ne­ment s’es­suient les pieds sur le droit répu­bli­cain comme sur un paillas­son. ». Si nous par­ta­geons ce constat, comme pro­ba­ble­ment nombre de Fran­çais, nous res­tons scep­tiques quant à la méthode employée. De fait, nos rues sont res­tées déses­pé­ré­ment vides de bérets ama­rantes, de treillis F3 bien repas­sés et de chars Leclerc. La capi­tale n’aura pas été non plus sur­vo­lée par des Rafales ou des Tigres2. « Caram­ba, encore raté ! » se désole une fois de plus Ramon, le tueur mal­adroit de l’Oreille cassée.

    Que faut-il rete­nir de ce brû­lot ? Pas grand-chose, en fait. Ques­tion lit­té­ra­ture, la prose employée pour­ra éven­tuel­le­ment pro­cu­rer quelques fris­sons à un lieu­te­nant-colo­nel Teje­ro lisant ce fac­tum 40 ans après sa pres­ta­tion remar­quée aux Cor­tès. D’An­nun­zio peut éga­le­ment dor­mir tran­quille, la lit­té­ra­ture fac­tieuse oublie­ra bien vite ces quelques lignes.

    Sur le fond, le « Grand Livre des Sédi­tions » ne gar­de­ra sans doute pas non plus de traces du rebelle bayon­nais et de son appel aux armes. Il est vrai que faute d’un Fidel Cas­tro gau­lois, nous héri­tons d’une ver­sion beat­nik du Líder Máxi­mo, un bar­bu­dos sans AK47, affu­blé non pas d’un six coups, mais d’une six cordes. Et sur­tout, n’ayant aucun géné­ral Tapio­ca à nous pré­sen­ter pour don­ner un sem­blant de cré­dit à ce pro­nun­cia­mien­to. Le bilan est miti­gé, cher Beni­to Lalan­ni. Com­bien de divi­sions à dis­po­si­tion ? Com­bien de paras ? Où sont les artilleurs ? Com­bien de réser­vistes ven­trus pour au moins faire illu­sion ? Niente. Nada. Pas un gazier. Une gui­tare, une natte bien tres­sée, des bottes de che­val bien cirées et un Opi­nel ne font pas d’un barde, un put­schiste. Sur­tout que ques­tion cré­di­bi­li­té, il y a encore des efforts à faire si on se remé­more son échec pour deve­nir réser­viste de la Gen­dar­me­rie. Gilet jaune et képis ne font pas bon ménage.

    De fait, le Sys­tème qui était la cible de cet atten­tat, n’aura pas trem­blé. Il s’est même pro­ba­ble­ment tapé une sacrée mar­rade à la lec­ture de cet appel à l’insurrection. Ayant bien ri, il aura pris le temps de pré­pa­rer une réplique judi­ciaire, his­toire de remettre en place l’imprudent voca­liste. C’est qu’il ne fau­drait pas adres­ser ce genre de signal aux Fran­çais et leur don­ner le goût du com­plot. Le Par­quet de Paris a donc logi­que­ment ouvert une enquête pré­li­mi­naire pour « faits de pro­vo­ca­tion publique non sui­vie d’ef­fet, à la com­mis­sion d’un crime ou d’un délit por­tant atteinte aux inté­rêts fon­da­men­taux de la nation ». Des faits quand même pas­sibles de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’a­mende. La peine de mort étant abo­lie, c’est un moindre mal (sou­ve­nons-nous que le fort d’Ivry résonne encore de salves qui assas­si­nèrent il y a peu de grands Français).

    La gueuse vient donc de sif­fler la fin du jeu pour notre Cas­ta­fiore du Béarn. Cou­couche panier et retour à la case départ (sans pas­ser par la case Sacem, mais en pas­sant par la case pri­son, donc ?). « La répu­blique gou­verne mal, mais elle se défend bien » et le gugusse chan­tant va l’apprendre à ses dépens. On peut néan­moins comp­ter sur une cer­taine man­sué­tude la part de l’institution judi­caire pour ne pas en faire un mar­tyr. Et les psy­chiatres nous expli­que­ront sûre­ment pour­quoi Lalanne eu un gros manque de dis­cer­ne­ment dans sa cri­tique du macronisme…

    Faut-il pour autant jeter Lalanne et ses bottes de che­val avec l’eau du bain ?

    Pour n’importe quel Fran­çais sou­cieux de sa Patrie, se débar­ras­ser du géron­to­phile ély­séen est un impé­ra­tif, une mesure de salu­bri­té publique et une néces­si­té vitale. Accor­dons-nous là-des­sus. Reste la méthode à employer.

    Les régi­mistes de la (vraie) droite répu­bli­caine espèrent uti­li­ser les pro­chaines échéances élec­to­rales pour ren­ver­ser la clique LREM. Le salut pour­rait venir d’une alliance allant d’un Ciot­ti par exemple, jusqu’à une Marion Maré­chal (l’espérance des déçus de tan­tine). L’union des droites est un ser­pent de mer qui res­sur­git régu­liè­re­ment… Sauf que rien de tel n’est pré­vu à 400 jours du 22 avril 2022, date de la pro­chaine gui­gno­lade pré­si­den­tielle. A ce compte-là, Macron sera en poste jusqu’en 2027 (à moins que tan­tine Marine com­prenne enfin pour­quoi elle est en tête des son­dages et qu’elle agisse en consé­quence. Sinon, ce sera 2032 et Marion). J’évacue évi­de­ment l’hypothèse Zem­mour qui agite en ce moment le lan­der­neau droi­tard, car je n’y crois pas. Qu’irait-il faire dans cette galère, à part ser­vir d’aiguillon droi­tier pour MLP ?

    A gauche, une alter­na­tive poli­tique der­rière un lea­der com­mun reste du domaine du pos­sible et pour­rait mena­cer sérieu­se­ment Macron. Mais vu les égos déme­su­rés chez La France Insou­mise, les éco­los et les sur­vi­vants du PS et vu la qua­li­té du per­son­nel, cette pers­pec­tive semble aus­si tar­ti­gnole que l’union des droites. Res­tons tout de même pru­dents. Après tout, Mit­ter­rand a bien été élu en 1981 avec les com­mu­nistes et les Radi­caux de gauche. Le grand écart chez les pro­gres­sistes est tou­jours pos­sible quand une élec­tion poten­tiel­le­ment gagnable se pro­file à l’horizon. Cer­tains socia­listes conver­tis oppor­tu­né­ment au macro­nisme, pour­raient même faire un retour à la mai­son-mère. Les légis­la­tives quant à elles, devraient être moins à l’avantage de LREM et pour­raient pro­vo­quer une cer­taine para­ly­sie poli­tique, les macro­nistes devant s’y trou­ver logi­que­ment en minorité.

    Une macro­nie pour­sui­vant en 2027 son tra­gique bon­homme de che­min semble l’hypothèse la plus pro­bable. Cette pers­pec­tive ne peut qu’inquiéter ceux qui se déso­lent de la situa­tion de notre pays. Entre muse­lage des oppo­si­tions, res­tric­tion de nos liber­tés, aban­don de nos sou­ve­rai­ne­tés, lais­ser-aller socié­tal, insé­cu­ri­té galo­pante, ghet­toï­sa­tion des ter­ri­toires per­dus, pas­si­vi­té devant l’islamisme et plus glo­ba­le­ment, haine chro­nique de ce qui fait la France par ceux qui n’ont rien à y faire, il y a lar­ge­ment de quoi alar­mer ceux qui se déso­lent devant notre pays livré à l’anarchie et à l’oligarchie libé­rale euro­péiste, monstre qui déman­tèle notre éco­no­mie. Voir sa Patrie se déli­ter et consta­ter que ceux qui devraient lui assu­rer gran­deur et pros­pé­ri­té, sont les acteurs de ce démem­bre­ment, n’autorise pas la pas­si­vi­té. La cote­rie en place ver­rouillant le sys­tème élec­to­ral, il reste peu d’options pour libé­rer la France de ces malfaisants.

    Le putsch : y pen­ser, sou­vent. N’en par­ler, jamais

    Que vou­lons-nous à l’Action fran­çaise ? Un pou­voir fort dans ses aspects réga­liens, mais sou­cieux du bien com­mun, qui rende aux Fran­çais leur fier­té, qui leur redonne le sen­ti­ment d’appartenir à la plus belle des nations, celle qui sera crainte et res­pec­tée. Nous vou­lons un régime qui garan­ti­ra nos liber­tés, qui res­pec­te­ra les valeurs et les tra­di­tions qui ont bâti la France. Nous vou­lons donc un roi.

    Com­ment y par­ve­nir ? Cet objec­tif ne sera évi­dem­ment pas atteint par la voie démo­cra­tique. Si le sys­tème est à bout de souffle, il n’est pas deve­nu sui­ci­daire pour autant. Bien des scé­na­rios res­tent ima­gi­nables et la plu­part sont mal­heu­reu­se­ment tra­giques. Face de graves évè­ne­ments et devant l’atonie du Sys­tème, un appel au roi par les dépu­tés n’est pas tota­le­ment chi­mé­rique pour refaire l’unité du pays. Ces mêmes poli­tiques n’ont-ils pas fait appel à un vieux maré­chal en 1940, pour se sor­tir d’un pétrin où ils avaient mis le pays ?

    Dans une situa­tion d’anarchie, l’hypothèse d’un coup d’état mili­taire n’est donc plus à éva­cuer. Notre pays pos­sède encore suf­fi­sam­ment de res­sources morales, pour que des hommes déci­dés se chargent de virer une équipe qui envoie sciem­ment le navire France vers un ice­berg mor­tel. Il va de soi, que le galon­né en ques­tion n’est pas encore connu et que ce ne sera sur­ement pas un de ceux que cer­tains droi­tards exhibent sur les réseaux sociaux (je rap­pelle que dans ces deux scé­na­rii, le roi nou­vel­le­ment ins­tal­lé devra se rendre indé­pen­dant des fac­tions qui l’auront por­té au pou­voir, affir­mer son auto­ri­té et mettre en place un sys­tème poli­tique qui se péren­ni­se­ra. En somme, s’affranchir de la repré­sen­ta­tion par­le­men­taire et remettre à sa vraie place l’autorité mili­taire. Un tra­vail de longue haleine et déli­cat, qui néces­si­te­ra intel­li­gence et prag­ma­tisme).

    Cette hypo­thèse mili­taire ayant donc les faveurs de notre mélo­diste dégui­sé en his­trion, si ce der­nier réclame l’intervention de la Grande Muette, c’est hélas pour res­tau­rer une répu­blique fan­tas­mée, alors qu’elle est le vrai poi­son. De quoi démon­trer une fois de plus, l’immaturité du per­son­nage en matière politique.

    Autre incon­grui­té : crier haut et fort sur les toits qu’il faut abattre le sys­tème en place par la force. A‑t-on déjà vu un putsch s’annoncer à grands ren­forts d’annonces dans les médias et les réseaux ? Et pour­quoi pas un flash­mob en treillis… dans la longue his­toire des coups d’états, il y eu rare­ment d’avertissements clai­ron­nés. Ragin­pert et son fils Ari­pert, n’ont pas envoyé d’émissaires au roi des lom­bards Liut­pert, pour l’avertir que ses jours étaient comp­tés (encore qu’il dût bien s’en dou­ter, vu les mœurs de l’époque). Fran­co n’a jamais envoyé de télé­gramme pour pré­ve­nir le Frente Cra­pu­lar qu’il allait débar­quer en Anda­lou­sie. John Scul­ley n’a pas envoyé de SMS à Steve Jobs avant de le virer d’Apple. Il me semble donc inutile de pré­ci­ser que le pre­mier gage de réus­site d’un putsch, était de res­ter secret. Lalanne passe donc une fois de plus pour ce qu’il est, une buse, un idiot, un fac­tieux d’opérette, un agi­té inca­pable de réflé­chir avant de par­ler. S’insurger, c’est bien, c’est même plu­tôt sain3, mais il n’est pas néces­saire de s’imaginer com­plo­teur et crier sur les toits « Viva la Revo­lu­ción ! » pour pro­vo­quer un sou­lè­ve­ment. Un com­plot se trame dans des caves vou­tées et humides, flingues et cya­nure à por­tée de main.

    Gar­dons-nous de prendre de haut, ce qui res­semble tout de même à un sui­cide social. Car ce coup de sang, cette sor­tie de route non contrô­lée d’un put­schiste en herbe, est peut-être un signal avant-cou­reur. Une sorte d’éruption cuta­née illus­trant l’exaspération des Fran­çais face au sys­tème macro­nien. Il existe en France une cris­pa­tion, une irri­ta­tion, une colère encore conte­nue chez les gau­lois réfrac­taires. La Covid et sa ges­tion cala­mi­teuse, les pri­va­tions de liber­té, la crise éco­no­mique qui pointe son museau, sont-ils les fer­ments de la révolte à venir ? Si on amal­game à cette crise, les autres graves pro­blèmes ren­con­trés par les Fran­çais, insé­cu­ri­té et chô­mage pour ne citer qu’eux, nous nous diri­geons cer­tai­ne­ment vers une période pré-anar­chique, dont la meilleure illus­tra­tion est la qua­si-impu­ni­té des racailles dans leurs quar­tiers (Blois, hier soir encore). Nos com­pa­triotes pour­raient alors s’insurger et deman­der des comptes aux édiles en place, dans l’hypothèse opti­miste, où ils se déta­che­raient de Net­flix et du « Meilleur pâtis­sier » … (le scru­tin de 2022 sera peut-être la tra­duc­tion paci­fique de ce ras-le-bol).

    Devant une situa­tion insur­rec­tion­nelle, les élé­ments les plus avi­sés devront savoir se struc­tu­rer pour réus­sir. De cette troupe, devra émer­ger un chef qui sau­ra remettre le pays sur de bons rails. Et qui aura l’intelligence de se reti­rer une fois la mis­sion effec­tuée, répon­dant ain­si à nos sou­haits de monarchistes.

  • François Hollande, la rose ou l'épine, par Hilaire de Crémiers

    (Voici l'analyse politique d'Hilaire de Crémiers, parue dans le numéro 104 de Politique magazine, février 2012)

     

    Jamais le système politique français n’a paru plus extravagant que dans ces temps d’échéances électorales. François Hollande peint l’avenir au couleur de sa rose, mais ce qui s’annonce, c’est un paquet d’épines.

            François Hollande s’est déclaré à la nation française : il veut l’épouser. Il l’a dit solennellement au Bourget, le dimanche 22 janvier, devant un parterre socialiste savamment rassemblé. Il a affirmé vigoureusement qu’il se montrerait apte à remplir sa fonction. Il a décliné son pédigree ; il a affiché son passé ; il a su convaincre qu’en dépit de l’envie, dans la conduite de sa vie, se lisait clairement la ligne de son destin : oui, son destin ! 

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            Maintenant quel doute serait permis ? Depuis l’origine, c’était prévu. Est-il besoin de préciser que ce qui était prévu, c’était que François Hollande était prévu ? Exactement comme naguère apparut François Mitterrand, cette figure exemplaire, à jamais tutélaire, dont il recueille aujourd’hui l’esprit, emprunte l’itinéraire, imite les formules et jusqu’aux gestes et jusqu’à la voix. Il en a les accents épiques qui étonnent le monde et qui cependant détonnent dans cette bouche aux nonchalances bourgeoises qu’on croyait plus habituée aux bons restaurants et aux bons mots des discours de compromis. Après tant de mois de luttes fraternelles, c’est acquis : François Hollande qui était pris pour un benêt diplômé, un mou sans envergure, est l’homme que les circonstances imposent, que la République veut, qui va s’unir à elle. C’est une révélation : le mot a été employé.

     

    La gauche éternelle

            Son éloquence en a gagné une violence virile qui effarouche et enthousiasme, le but recherché ! Comme Mitterrand. Il se dresse face à l’histoire dans une posture à la fois protectrice et vengeresse. 

            Comme Mitterrand. Il invective ce qu’il dénonce comme son seul ennemi personnel, la finance, l’argent, « le gros argent ». Sa véhémence alors touche à cette indignation presque sincère où excellait le vieux Mitterrand. Les compagnons et anciens concurrents interloqués en sont venus, au pied du tréteau, à se regarder : l’art du disciple l’égalerait-il au maître ?

            Lui qui a toujours vécu à son aise et sans scrupule en se pliant d’instinct à toutes les roublardises du politicien, et qui par principe ne connaît pas de principes puisqu’il s’est plu à transgresser les mœurs bourgeoises, se hausse ainsi par la parole jusqu’à cette vertu rhétorique qui a toujours fait le succès des agitateurs d’opinion. Lui aussi, toujours comme Mitterrand et comme tant d’autres hiérarques du socialisme à la française, il vient d’une bonne famille où lui ont été inculqués et le souci de la vérité et les règles de l’honnêteté. Un aiguillon intime l’a poussé à la rupture. Ce fut avec détermination qu’il a résolu de se façonner une personnalité de gauche. Il l’a confessé au Bourget : il l’a fait contre son père. Comme d’autres, bien connus, de tout ce petit monde des hauts dignitaires socialistes. Qui ne compâtirait ? Ce n’est ni la faim, ni la soif, ni la misère, ni la vue du dénuement, ni le dévouement aux misérables, ni la dureté de la vie, ni le besoin d’amour et de solidarité qui l’ont rendu socialiste. Non, c’est l’épreuve d’une conviction personnelle qui a su très vite repérer que la voie socialiste était celle de sa réussite politique et qui s’est heurtée – avec quel courage – à la tradition de ses pères ! Douloureuse épreuve et qui mérite sa récompense.

             Des journalistes émus ont su noter qu’il a évoqué cette souffrance avec pudeur et discrétion. Comment ne pas être sous le charme d’une telle vergogne qui interdit le moindre sourire ? Il n’est pas douteux que, de telles épreuves, ne peuvent sortir que des personnalités trempées.

    Le projet

            Aussi l’homme adhère-t-il au « projet ». Il ne fait qu’un avec lui. Le « projet » ! Répété à l’infini, ce mot est sacré. 

            Voici qu’il l’endosse comme un ornement sacerdotal ! Oui, « le projet » investit toute sa personne et l’élève à une dignité inviolable. Cependant il a précisé à l’entourage que ce « projet » était sien, même, bien sûr, et pourtant autre que le « projet » confectionné par le parti et les partisans. L’ambivalence du propos embrasse toutes les nuances du programme, de la rigueur la plus nette au laxisme le plus coulant. La conception générale, d’une générosité débordante, englobe tout le système qu’il ne s’agit que de régénérer, ce bon vieux système républicain qu’il a appris à aimer lors de son ambitieuse jeunesse, mis à mal aujourd’hui non par l’usure du temps, ni par la vieillerie de ses rouages trop compliqués, ni par la tempête actuelle qui secoue sa carcasse démantibulée, mais uniquement, exclusivement – il le répète – par les agissements irresponsables et criminels du président en exercice. Aussi se fait-il fort de le remettre en état et en marche, de lui redonner brillant et dynamisme. Il a certifié avec ce sourire qui lui est si caractéristique et qui se veut finaud, que ce serait tâche facile.

            Il résoudra tous les problèmes existants ; mieux encore : il les résoudra sans problème. Dans cette aisance se reconnaît cette force tranquille qui revendique « la normalité » et devant laquelle toutes les difficultés s’aplanissent. Il y a du prophétisme dans pareille assurance : égaliser les chemins, tous les chemins, c’est bien ce à quoi appelle cette voix qui crie son message de salut. Et aussitôt qui ne sent que le désert va fleurir ? Aucun roman d’anticipation n’a fait rêver pour la société à venir d’une plus parfaite platitude : tout sera raboté ; pas le moindre monticule sera épargné. Le nouveau messie peut passer. Cette égalité universelle à laquelle la France et l’Europe et le monde sont appelés par la voix exigeante de l’homme qui a su s’identifier à cette suprême loi morale, est devenue la norme absolue qui uniformise et harmonise toutes ses fameuses propositions aussi longues que larges : les deux barres du signe « égal » deviennent son logo de campagne. Il a même décidé, d’avance, de rabaisser sa rémunération de président. Qui fait mieux ?

     

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     l’art du disciple l’égalerait-il au maître ?

     

    L’avenir en rose

            Aucun obstacle ne saurait résister à pareille détermination. 

            C’est déjà tout vu, tout dit, tout chiffré. La crise de la dette sera résorbée en cinq ans, calcul à l’appui. Toute la question de l’Éducation nationale sera traitée d’un seul coup en y mettant les moyens et les emplois qu’il faut et sans coûter un sou de plus. 

            Il n’y aura plus de problème de logement : l’offre sera multipliée, les prix encadrés, les mairies des « riches » contraintes à bâtir sous peine d’amendes. Travail, chômage, tout sera réglé par de nouvelles lois qui donneront au code du travail ce poids supplémentaire qui lui permettra d’écraser définitivement les problèmes sociaux. La Sécurité sociale trouvera naturellement les recettes suffisantes pour que ses avantages soient garantis indéfiniment et étendus, même au-delà de nos frontières, le modèle français ayant une vocation à l’universalité. Mais en même temps les PME seront soutenues : des fonds seront créés à cet effet. L’immigration sera conçue comme le régime normal d’accès à la citoyenneté, ce qui enlèvera tout prétexte de se manifester aux émeutiers et aux incendiaires.

            Il est certes reconnu que les chefs socialistes qui n’ont pas le privilège de vivre dans les zones de non-droit et de goûter les plaisirs raffinés qui s’y pratiquent, n’ont pas su évaluer l’importance de la sécurité pour « les petites gens ». Pour eux, par condescendance, il est admis que la sécurité doit aussi avoir la séduction d’une certaine rigueur. Cette audace du candidat n’a pas manqué d’être saluée. 150 000 emplois-jeunes viendront dynamiser les zones de pauvreté. L’argent sera pris sur les familles françaises qui sont toutes soupçonnées à fort juste titre d’être riches. Impôts, taxes, prix des services, tout sera établi au prorata des revenus et des patrimoines qui seront par conséquent constamment vérifiés, inspectés, contrôlés, pesés.

            Nicolas Sarkozy ayant disparu et François Hollande étant au gouvernail, la croissance sera immédiatement au rendez-vous. Evidence incontestable et qu’il n’est pas besoin de démontrer. L’Europe subjuguée se convertira aux recettes hollandaises ; les traités seront révisés pour enregistrer ces merveilleuses trouvailles dans une unanimité telle que les sommets ne seront plus que de convention. 

            L’Amérique, la Chine, les pays émergents dont le masochisme est bien connu, se mettront avidement à l’école du nouveau président de la République française qui les flagellera de ses règles dont le nombre incalculable les fera gémir de volupté. Les islamistes n’auront pour la France que des sourires : ils n’auront plus à conquérir ce qui leur sera gracieusement offert. Par anticipation, l’islam sera reconnu comme la religion majoritaire en France. Il n’y aura donc plus de terrorisme et de guerre. La France retirera ses troupes d’à peu près partout et le budget de la Défense, déplacé vers l’Éducation nationale, ne sera maintenu que pour le minimum du défilé du 14 juillet. Les réformes sociétales, dans une conception hardie de l’écologie, favoriseront tout ce qui est contre nature, et comme il convient, au nom d’une implacable liberté, interdiront non seulement d’encourager mais même de penser le contraire !

     

    L'épine

            Toute la presse soutenue, payée par « le gros argent » de gauche – inutile de donner les noms – et pour qui curieusement Hollande n’éprouve que de la sympathie, fera campagne pour lui ouvertement.

            À l’heure actuelle, sauf, renversement de tendances, c’est le candidat qui est donné vainqueur. Mélenchon, malgré ses coups de gueule, lui donnera ses voix, quitte à les monnayer pour les législatives. Dans cette hypothèse, la France se retrouvera intégralement à gauche, de haut en bas, alors qu’elle n’est pas de gauche ; elle l’est artificiellement, les vrais politologues le savent bien.

            Nicolas Sarkozy, dimanche soir 29 janvier, après que ces lignes seront écrites, expliquera les réformes qu’il propose pour essayer de sortir de la crise mais dont les effets ne pourraient que s’étaler dans le temps. Et le temps lui manque ! Et son bilan, c’est ainsi en France, ne plaidera pas pour lui. Il est mal pris dans une mécanique institutionnelle qui le broie : plus il en fera pour se montrer actif jusqu’au dernier moment, plus l’opinion le critiquera, et s’il n’en fait pas assez – et cette même opinion jugera que, vu les circonstances, il n’en fait pas assez ! – il sera tenu pour responsable de tous les échecs. À quoi s’ajoute l’écrasement impitoyable d’un étau électoral : François Bayrou qui joue maintenant le patriote, lui rafle le centre droit, avec des airs de juge et de maître, et Marine Le Pen ramasse à pleines pelletées un électorat populaire qui n’en peut plus d’une situation dont la classe politique est considérée comme responsable.

            Que peut-il sortir d’un pareil imbroglio, alors que l’affaire grecque pourrit la finance européenne, que malgré les 400 milliards avancés par la BCE aux banques, en attendant l’équivalent bientôt, ni le problème portugais, ni le problème italien, ni le problème espagnol ne sont réglés, loin s’en faut ? Quant à la France, elle a beau protester contre les dégradations de ses finances et de ses institutions financières, elle est dans une situation qui la livre au bon vouloir allemand, lui-même, malgré les apparences, fort fragile.

            Les élections présidentielles et législatives ne résoudront rien. 

            S’il est une solution, elle est ailleurs. C’est d’abord d’une autre conception politique que la France a besoin. À quand un État qui soit capable de dominer les évènements ? ■

  • La révolution copernicienne de l'enseignement par Jean-François Mattéi (V/V)

    3 L’ouverture de l’école

     

            Si l’on veut comprendre la spécificité de l’institution scolaire, dans son rapport aux impératifs de la connaissance et à la vocation de l’homme à réaliser son humanité, on doit abandonner ce que les théoriciens des sciences de l’éducation appellent le « triangle didactique ». Ses trois angles seraient, dans le langage convenu de la pédagogie nouvelle, le « savoir », « l’apprenant », et le « formateur », ou, mieux encore, selon la logomachie prétentieuse des pédagogues actuels, « l’épistémologie de référence de la discipline considérée », « la psychologie cognitive » et « les contraintes de la situation de formation » (18). On voit mal d’ailleurs comment l’élève pourrait occuper le centre du système éducatif dès lors qu’on confine l’apprenant à l’un des angles de ce triangle pédagogique.

            Si l’on veut opérer cette révolution copernicienne de l’éducation qui consiste à revenir à la réalité elle-même, il faut comprendre l’originalité de l’école en tant qu’institution spécifique afin de saisir ce qu’il y a en elle de permanent et de légitime pour offrir aux hommes une ouverture vers la culture véritable.

            Si l’étymologie du grec skholé est obscure, on sait que le premier sens de ce terme est l’« arrêt » dans le cours du temps, d’où les sens de « repos » et de « loisir », comme on le voit chez Pindare dans les Néméennes (10, 85). Les expressions skholen echein ou skholen labein signifient couramment « faire une pause » ou « se donner du loisir ». Platon prendra ce terme dans le sens plus large de l’occupation propre à un homme de loisir, celui qui suspend un temps les processus vitaux et sociaux pour se consacrer à la discussion et à l’étude. À la différence des hommes qui traînent dans les tribunaux et les lieux publics, toujours à l’affût d’une méchante plaidoirie, les philosophes « ont toujours présent ce bien, le loisir (skholé), et les propos qu’ils tiennent, ils les tiennent dans la paix et à loisir (en eiréné epi skholês) » (19). Aussi doit-on distinguer deux types d’hommes, celui qui vaque aux affaires courantes, contraint par la nécessité, et celui « dont l’éducation s’est faite dans une liberté et un loisir réels (en eleuthería te kaì skholé) » (20), le philosophe ami du savoir, c’est-à-dire l’homme cultivé.

            La skholé est donc, grâce à cette pause dans l’urgence de la vie quotidienne, la plénitude d’une réflexion studieuse menée avec d’autres hommes dans un lieu spécifique que l’on nommera bientôt « école », et dont l’Académie de Platon est le premier exemple connu. Il n’y a de culture possible, de paideia – et l’on sait que ce terme est formé, au même titre que paidia, le « jeu », sur paîs, l’« enfant » – que grâce à ce moment de « repos », skholé, où l’esprit de l’homme se confronte aux grandes questions de l’existence en acceptant la discussion avec les autres. La véritable éducation, dont Platon expose la nature dans l’allégorie de la caverne, ne revient donc pas à se refermer sur ses propres ombres ; elle consiste à sortir de soi et de son absence initiale d’éducation, l’apaideusia, à la suite d’une contrainte tout extérieure, pour s’ouvrir au monde et s’orienter vers la lumière de la connaissance. La skholé est bien l’origine de cette « ouverture » de l’âme en laquelle Comenius, et, à notre époque, Jan Patocka (21), décèleront la marque de l’humanisation véritable.

            Ce que l’on appelle l’éducation traditionnelle, cette éducation libérale que l’éducation progressiste cherche à supprimer sous le prétexte de souscrire aux intérêts de la société, à défaut de satisfaire aux exigences de l’élève, a toujours conservé cet héritage philosophique dont est issu le courant humaniste. Aussi avait-elle davantage le souci de la culture de l’âme, la cultura animi de Cicéron (22), que celui de la condition sociale ou de la situation économique.
    En abandonnant la sphère de l’humanisation, qui est celle de la liberté, pour se vouer à la sphère de la socialisation, qui est celle de la nécessité, notre culture démocratique, héritière de la culture classique et « censée être le rempart de la civilisation contre la barbarie », selon la formule de Léo Strauss, « est de plus en plus pervertie en instrument de retour à la barbarie » (23). Il y a barbarie, en effet, dès que l’on renonce à reconnaître l’humanité dans l’homme ou dans ses œuvres, et à conduire le mouvement d’hominisation en fonction de sa propre fin, pour mieux activer les processus sociaux.




            Or, l’humanisation n’est possible qu’à la condition que la société, et le pouvoir politique qui la commande, distingue clairement ce que Hannah Arendt appelait la « relation au monde » et la « relation à la vie ».
    Pour que l’enfant, quelles que soient ses origines familiales et sociales, puisse s’arracher aux déterminations qui sont les siennes et entre dans le monde public où il deviendra un citoyen, il faut laisser à l’école ce statut intermédiaire entre le domaine de la famille, tissé de processus vitaux, et le domaine de la cité, tissé de processus sociaux. Il faut interrompre un temps – le temps de la connaissance – le mouvement cyclique de la vie et de la société pour laisser sa place à cette pause originale de la skholé dans laquelle l’enfant va se confronter à l’extériorité de la culture. Cette notion d’extériorité, combattue par le pédocentrisme de la pédagogie moderne depuis John Dewey, est pourtant depuis toujours la marque de la culture et de l’éducation.

            Giorgio Colli écrivait en ce sens dans ses Cahiers posthumes :

            « Fondements de la civilisation : reconnaître ce qui est au-dehors de nous, ce qui est différent de nous. Ce qui s’appelle religion, nature, société, culture. Le signe de la décadence, c’est l’intériorisation, le fait de tout rapporter à nous : philosophie et science moderne » (24).

            Il convient donc de séparer l’éducation de la vie familiale et de la vie publique et de distinguer soigneusement les deux axes, horizontal et vertical, qui gravitent autour de l’école. Sur le premier, l’axe de la vie, on reconnaît les pôles complémentaires de la famille, refermée sur l’intimité de la vie privée et la nécessité de la reproduction biologique, et de la société, exposée à la lumière de la vie publique et à la nécessité de la production économique. En ce sens, on peut admettre que l’école est un lieu de vie, au même titre que les autres lieux, sur cet axe de socialisation où l’institution scolaire tient le milieu entre l’institution familiale et l’institution sociale.
            Mais cet axe institutionnel ne concerne que la socialisation formelle de l’enfant, considéré ici comme un sujet. Un second axe, celui de son humanisation substantielle, met en présence autour de l’école deux nouveaux pôles, le pôle de la politique qui permettra à l’enfant, devenu citoyen, d’accomplir son action dans la cité, et le pôle de la science qui autorisera l’élève à se hausser au niveau de la connaissance. Sur cet axe de la pensée, qui recoupe verticalement le précédent, l’école n’est plus un lieu de vie, mais un lieu de réflexion où l’élève, excentré de lui-même, peut devenir à la fois un homme et un citoyen.

            Entre ces quatre pôles, famille et société, politique et science, l’école est le lieu ouvert, mais autonome, où s’enracine et se développe la pensée. L’enfant ne pourra connaître et agir s’il ne commence par apprendre à penser afin de réussir ensuite à penser ce qu’il a appris. Et si la fin de la connaissance, dans l’ordre de la science, est la vérité, la fin de l’action, dans l’ordre de la politique, est la justice. C’est l’institution scolaire, comprise en ce sens, qui peut offrir à l’enfant la possibilité de s’ouvrir à la vérité et à la justice.
            Mais ce n’est pas l’élève, ni d’ailleurs le maître, moins encore l’État, qui se trouve au centre du système éducatif : l’école elle-même, comprise comme école de pensée, est seule habilitée à occuper son propre centre.

            Telle est la source légitime et inconditionnelle de sa liberté et de son autorité. Tant que le débat sur le système scolaire ne reviendra pas sur la stratégie de rupture envers l’autorité légitime du savoir, dans le sens défini plus haut, nous ne pourrons pas rectifier les échecs endémiques de l’éducation, ni édifier une pédagogie qui permette à tous les enfants d’accéder à leur humanité.

    Hélas ! Il est à craindre, si nous n’entreprenons pas cette révolution copernicienne de l’école, que l’illusion politique de demain ne vienne renforcer l’illusion pédagogique d’aujourd’hui. En renonçant à sa vocation de libération, l’État n’aura alors pas osé accomplir ce que Bachelard appelait, en conclusion de La Formation de l’esprit scientifique, l’inversion des « intérêts sociaux » : faire la Société pour l’École et non pas l’École pour la Société. (25) 




    Notes


    18 : P. Meirieux, Qui a peur des sciences de l’éducation ?, Se former +. Pratiques et apprentissages de l’éducation, bimestriel, n° 9, 1991, p. 11-12.

    19 : Platon, Théétète, 172 d 4-5, trad. L. Robin légèrement modifiée.

    20: Platon, Théétète, 175 e, trad. L. Robin.

    21 : J. Patocka, « Comenius et l’âme ouverte » (1970), l’Écrivain, son objet, Paris, Presses Pocket, 1992.

    22 : Cicéron, Tusculanes, II, 5, 13 : « cultura animi philosophia est ».

    23 : L. Strauss, le Libéralisme antique et moderne, op. cit., p. 100.

    24 : G. Colli, Philosophie de la distance. Cahiers posthumes I, Paris, Éditions de l’Éclat, 1999, p. 31.

    25 : G. Bachelard, la Formation de l’esprit scientifique



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  • Gravité de la Crise : L'heure de la politique... par Hilaire de Crémiers.

                Toutes les solutions possibles et imaginables pour sortir de la crise sont mauvaises. Et, de toutes façons, ne résoudront pas cette crise, au fond.

                La solution est donc politique, au sens fort et premier du terme, donc institutionnelle...

                C'est ce que pense Hilaire de Crémiers, qui l'écrit dans son article paru dans Politique Magazine - Juillet/Août 2010 (n° 87) :

                L’heure de la politique - Il n’est pas sûr que les Français sachent ce qui les attend, ni ce que devrait être une politique française....

    L’heure de la politique

    Il n’est pas sûr que les Français sachent ce qui les attend, ni ce que devrait être une politique française.

                Nul ne peut plus y échapper : la rigueur est maintenant …de rigueur. C’est un changement de mentalité qui va devoir s’imposer. Pendant des décennies, une, puis deux générations d’hommes de nos pays occidentaux, essentiellement dans les classes dirigeantes, ont cru au progrès indéfini que rendait possible le prodigieux développement des sciences et des techniques. Et ils pensaient que la croissance économique qui en était le fruit, serait également indéfinie. Dans leur esprit, il suffisait de toujours la doper par des procédés habiles pour obtenir les résultats escomptés.

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    Le mythe

                Et comme, dans leurs croyances, cette croissance était la fin de toutes choses, le seul but recherché de l’activité humaine, l’unique conclusion de tous leurs raisonnements, en quelque domaine que ce fût, la politique elle-même n’était plus qu’un outil subordonné. Les hommes politique, en somme, n’étaient plus chargés que d’organiser la société des loisirs, de l’abondance, du bonheur, au fond d’assurer la répartition des richesses. C’était les thèmes des campagnes électorales. Certes, il était reconnu que cette machinerie économique provoquait des dégâts sociaux et environnementaux ; il était même concédé que ces dégâts pouvaient être dramatiques, mais il suffisait d’intégrer un souci écologique, une préoccupation sociale dans les programmes électoraux pour justifier l’utilité de l’action politique. Le devoir de l’homme politique était, en fait, d’atténuer les inconvénients du système,  d’améliorer la qualité de vie, de créer des filets sociaux pour rattraper les laissés-pour-compte de la merveilleuse croissance, de la mirifique mondialisation.

                Les regards étaient détournés de la dégradation morale et sociale de quartiers entiers, de zones de plus en plus nombreuses et lépreuses, des effroyables conséquences humaines d’une immigration incontrôlée, mais aussi bien, et sans doute encore plus gravement, des fractures profondes d’une société qui ne se reconnaissait plus dans les principes qui l’avaient constituée. Peu importait : il fallait avancer toujours dans la même direction.

                Les disputes sérieuses n’éclataient que sur des questions de pilotage de la société, la plus essentielle étant de savoir qui la piloterait ! Lui, elle, ou moi ! Question primordiale !

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    Une classe politqiue qui, insensiblement mais inexorablement, s'éloigne de plus en plus des préoccupations immédiates des Français...
    Qui pilotera : lui, elle ou moi ?...

                En France, les 35 heures, la retraite à 60 ans participaient de cette croyance. L’Etat pourvoyait et continuerait à pourvoir à tout. Pour tous.

                La gauche faisait son beurre des progrès économiques et les transformait en acquis sociaux. La droite ne revenait jamais sur ces avancées ; elle ne faisait que les aménager. Le slogan de Nicolas Sarkozy en 2007 était « travailler plus » : c’était « pour gagner plus ». Il n’était jamais dit que c’était tout simplement nécessaire.

                L’essentiel des débats de fonds portaient sur les choix dits sociétaux : affirmation indéfiniment répétée du droit imprescriptible de dire et de faire n’importe quoi, de sa vie, de la vie des autres, avec pour seule norme morale et politique de ne jamais enfreindre les règles du « politiquement correct » qui servent d’armature à cette société politique en déliquescence.

                Tout cela a été admirablement dit et décrit par quelques philosophes sociaux, insuffisamment écoutés parce que leurs propos dérangeaient : des Jean-François Mattéi, des Chantal Delsol, pour ne citer qu’eux.

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     "...avec pour seule norme morale et politique de ne jamais enfreindre les règles du « politiquement correct » qui servent d’armature à cette société politique en déliquescence..."

    …et la réalité

     

                Et puis voilà que la réalité aujourd’hui, explose. Et cette réalité ne correspond plus au schéma habituel. Il est instructif de voir l’attitude des gouvernants français. Ils voient…et ils ne voient pas ; ils savent…et ils ne savent pas. C’est comme un refus d’examiner la réalité qu’ils sont cependant dans l’obligation d’examiner.

                Qui ne se souvient de Nicolas Sarkozy qui, au début de cette année 2010 si tragique, voulut rencontrer des Français sur un plateau de télévision pour répondre publiquement à leurs questions : oui, disait-il, « ça » allait mal ; mais « ça » irait mieux, question de volontarisme. La croissance allait reprendre, la chère croissance, et le chômage baisser et tout s’arranger ; l’épreuve serait de courte durée !

                Impossible de tenir pareil discours aujourd’hui ! Et pourtant, en ce début d’été, les calculs gouvernementaux s’accrochent encore à des hypothèses de croissance de 2,5 % pour les années à venir. C’est que le gouvernement a besoin de ce chiffre pour que son compte soit bon : rentrées de recettes fiscales, amélioration des comptes sociaux ; 35 milliards, grâce à cette prévision, arriveraient dans les caisses de l’Etat, lesquels s’ajouteraient à 65 milliards récupérés sur les restrictions budgétaires, les niches fiscales, l’arrêt des crédits de relance. Et voilà, croit-on, les 100 milliards atteints qui sont nécessaires au rééquilibrage des comptes de la nation et à la réduction des déficits qui est exigée tant par les marchés que par les instances européennes et mondiales !

                Mais si…Oui, si…si « ça » ne se passe pas ainsi, comme, étant donné la crise, c’est plus que prévisible…Si les manettes qu’on s’imagine tenir, ne fonctionnent plus, si la croissance se dérobe, si la baisse des recettes fiscales se poursuit, si les déficits du coup s’aggravent, si la dette devient de plus en plus chère, ce qu’elle est en passe de devenir, si les taux s’élèvent dangereusement, si la situation n’est plus tenable, si…

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     "Mais si…Oui, si…si « ça » ne se passe pas ainsi, comme, étant donné la crise, c’est plus que prévisible…Si... si... si..."

                La France a cru échapper à la rigueur ! Ne pas employer le mot, ne pas imaginer la chose est tout à fait caractéristique d’un certain état d’esprit. Mais voici que le spectre de cette rigueur abhorrée se profile à l’horizon de la rentrée : elle s’annonce en même temps que la réforme des retraites, car les déficits sociaux de 35 milliards qui ne peuvent aller, eux aussi, qu’en augmentant, ne permettent plus d’atermoyer ou de tergiverser. En même temps, le gel des dépenses frappera tous les ministères. Il a été question du gel des salaires des fonctionnaires. L’Etat n’assurera plus – et de loin – les dotations dont les collectivités territoriales ont besoin pour assumer toutes les charges dont les compétences leur ont été transférées, surtout en matière sociale. Ces mêmes collectivités territoriales sont endettées et, pour beaucoup, chargées de mauvaises dettes aux taux qui ne font qu’empirer, impossibles à gérer, que l’imprévoyance politicienne a laissé s’accumuler.

                Tout arrive en même temps : c’est dit, c’est  non dit. Quelques hauts fonctionnaires voient… quelques hommes politiques, extrêmement rares… Claude Guéant a voulu signifier à la communauté financière dans un entretien au Financial Times à la mi-juin que la France avait quelque conscience du drame qui se jouait.

                La Commission européenne dans ses recommandations du mois de juin souligne l’insuffisance des ajustements français qui sont fondés, dit-elle, « sur un scénario macro-économique beaucoup trop optimiste » ; la croissance ne sera pas à 2,5 %, mais au mieux à 1,5 %. Et le commissaire Olli Rehn, chargé des affaires économiques et monétaires, d’insister sur les risques relatifs à de fausses hypothèses de croissance et de rentrées fiscales.  Les conséquences de la crise et les décisions prises vont peser sur l’endettement français qui atteindra les 88 ou 89 % du PIB en 2011, et sans doute plus en 2012, si des corrections ne sont pas apportées. Plus de 100 % ?

                Autant dire que le plan Fillon, comme la plupart des plans, ne correspond déjà plus à la situation.

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     "...le commissaire Olli Rehn "voit" des prévisions françaises basées "sur un scénario macro-économique beaucoup trop optimiste ; la croissance ne sera pas à 2,5 %, mais au mieux à 1,5 %..."

     La politique à l’heure de vérité

     

                Au mois d’avril dernier, Papandréou avait tenu aux Grecs un discours d’union nationale. Il affirmait gravement que c’était l’avenir même de la Grèce qui était en jeu. Mais ce discours était tenu trop tard : la tempête due à l’irresponsabilité démocratique et à l’endettement massif ne pouvait plus être détournée.

                La crise sonne l’heure de la politique responsable. L’économie et les finances, aussi importantes soient-elles, sont subordonnées à la décision politique. C’est ce à quoi s’essaye Barak Obama, malgré ses propres préjugés, en affirmant, autant qu’il le peut, une autorité souveraine face au défis du monde : sauver les Etats-Unis, sauver la nation, voilà la règle. À l’heure de la marée noire et des risques financiers majeurs, c’est une évidence. La Chine dans sa volonté de puissance ne connaît que ce seul but national et c’est la raison de toutes ses décisions, y compris d’ajustement monétaire.

                La chancelière allemande, malgré sa situation politique difficile, s’est fixé pour objectif, comme toute son équipe gouvernementale, de tirer l’Allemagne de la crise, de défendre ses intérêts. Elle sera implacable. Elle a imposé sa loi à l’Europe sur les budgets, sur les règles, sur les plans, sur les sanctions. L’Allemagne ne garde, ne gardera l’euro qu’à ces conditions. Elle a décrété son propre plan d’économies de 80 milliards sans prévenir personne. Nicolas Sarkozy se trouve refait sur ses prétentions à une gouvernance économique européenne dont l’Allemagne ne veut pas plomber son redressement. Elle sait où sont ses intérêts et ses zones d’influence. N’a-t-elle pas la suprématie en Europe, même dans l’agro-alimentaire où, maintenant, elle efface la France ?

                David Cameron et son chancelier de l’Echiquier, George Osborne, ont présenté leur projet de « budget d’urgence » qui est le plan d’austérité le plus stricte qu’ait connu la Grande-Bretagne depuis la Seconde Guerre mondiale : 88 milliards de livres (106 Mds d’euros) sur les quatre ans qui viennent, dont 34 milliards de livres (41 Mds d’euros) dès la première année. Réduction drastique de toutes les dépenses , augmentation de tous les impôts…C’est qu’il faut absolument éviter une dégradation de la notation de la dette souveraine. L’Angleterre en est là, mais elle le sait. Et l’Angleterre ne pense qu’à l’Angleterre et tant pis, même pour les Etats-Unis qui ne s’y retrouveront pas.

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    Au G 20 de Toronto.
    Anglais, Chinois, Allemands, Etats-Uniens... pensent à eux, et à eux seuls.
    Et la France ?
    "Ce qu’elle semble vouloir sauver, c’est l’euro, la zone euro, la gouvernance européenne…la gouvernance mondiale…et son système de retraite par répartition !"

                L’Espagne, l’Italie, le Portugal n’arrivent pas à donner la même impression d’énergie. L’Espagne est terriblement grevée par l’état de ses banques et par les actifs douteux du secteur immobilier. Les taux de ses obligations d’Etat à 10 ou 30 ans ne cessent d’augmenter ; la barre des 5 % est ou est sur le point d’être franchie ; et il lui faut trouver 110 milliards d’ici la fin de l’année.

                Et la France ? Terrible question. Ce qu’elle semble vouloir sauver, c’est l’euro, la zone euro, la gouvernance européenne…la gouvernance mondiale…et son système de retraite par répartition !

                Au G20, à Toronto les 26 et 27 juin, elle prétend briller et imposer ses vues. Mais ses partenaires décideront sans elle, y compris sur les taxes bancaires et les régulations financières, en fonction de leurs intérêts : ce sera déjà fait quand ce magazine paraîtra.

                La BCE, dans son bulletin mensuel de juin, a signalé le risque d’une insolvabilité de plusieurs grosses banques européennes : « La probabilité d’un défaut simultané d’au moins deux groupes bancaires importants et complexes de la zone euro a fortement augmenté le 7 mai à des valeurs plus hautes qu’au lendemain de l’effondrement de Lehman Brothers… ». Autant dire que la crise est devant nous. A bon entendeur, salut.

                Dans de telles circonstances il faudrait un gouvernement français qui ne pensât qu’à la France. La politique française retrouverait quelque grandeur.

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  • Une guerre des monnaies ? Non, la guerre économique ! par François Reloujac

            Depuis qu’en août 1971 le président Nixon a décidé de rompre le lien qui unissait le dollar à l’or, toutes les monnaies du monde « flottent ». 
     
           Elles flottent les unes par rapport aux autres, mais aussi par rapport à toute valeur externe intrinsèque. C’est ainsi que le but a été atteint : les États ont pu continuer à faire croître, comme jamais auparavant, leur masse monétaire nationale sans risquer de relancer l’inflation. Cette croissance de la masse monétaire a essentiellement bénéficié à l’envol de la valeur des actifs financiers détenus par les grandes entreprises multinationales qui ont ainsi pu devenir plus riches et plus puissantes que bien des États. Grâce au libre échange et à l’activisme de l’Organisation mondiale du commerce, l’accès libre aux produits en provenance des pays où la protection sociale et les retraites sont inexistants ont permis de contenir les salaires. Mais on a aussi rompu le lien entre la croissance de la masse monétaire et l’envol généralisé des prix et salaires. On n’a pas pour autant changé les lois économiques.

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    Christien Lagarde au sommet des Grands argentiers, à Séoul : "La guerre des monnaies n'aura pas lieu...". A voir !

            L’augmentation de la masse monétaire a conduit à une dévalorisation généralisée des monnaies qui se traduit par un envol de la valeur des produits financiers, par une augmentation sans fin des prix de l’immobilier et par un gonflement sans précédent des prix des matières premières. Comme on a dévalué le prix du travail (par un maintien de la pression du chômage grâce à l’abolition des frontières) en même temps que la valeur de la monnaie (par une augmentation sans précédent de la masse monétaire), on a donné l’illusion d’une disparition de l’inflation. Du coup, la valeur des biens qui n’étaient pas atteints par cette dégradation générale, a paru s’envoler dans un phénomène de bulles. Désormais, il existe apparemment deux sortes de bulles : celles qui résultent d’une véritable spéculation et celles des produits rares mais indispensables. Seules les premières peuvent exploser à tout moment. Les secondes ne font que traduire le gonflement artificiel de la masse monétaire et donc la dévalorisation continue de toutes les monnaies. 

      

            Comme il n’y a plus de monnaie de référence ni de véritable monnaie internationale indépendante, toute baisse intrinsèque de la valeur d’une monnaie passe dans un premier temps totalement inaperçue. Dans un monde ouvert, une monnaie faible – par rapport aux autres – favorise les exportations et défavorise les importations ; elle devient donc une arme qui remplace les anciennes barrières douanières. Le « franc fort », autrefois cher à Monsieur Trichet, favorisait les importations et permettait ainsi de peser sur le marché du travail, ce qui, par contre coup, permettait de freiner l’inflation affichée en limitant la hausse des salaires… mais favorisait aussi la hausse de la valeur des actifs financiers spéculatifs.  

     

    Le meneur de jeu 
     

            Puis la crise est arrivée. Les montants de crédit non remboursés dans l’affaire des subprimes étaient très largement supportables, sauf que, du fait de la titrisation, on ne savait plus quel établissement financier allait y perdre. Dès lors, les banques ne se sont plus fait confiance entre elles et la circulation financière s’est arrêtée… ce qui n’a pas fait l’affaire des États qui comptaient sur celle-ci pour continuer à dépenser plus que n’y autorisaient les impôts prélevés. La machine à s’endetter s’est alors emballée tandis que l’effondrement des valeurs financières a produit ce que l’on appelle un « effet pauvreté ». Les ménages, se voyant moins riches, ont commencé à freiner leurs dépenses. Le commerce s’est enrayé. Or, comme les populations des pays qui se croyaient riches ne consomment plus, que le taux de chômage augmente et que l’envol de la dette publique ne permet plus aucun plan de relance et risque même de conduire à un effondrement des subventions et autres prestations sociales, il ne reste plus qu’une voie : relancer le commerce international. Pour cela il faut faire baisser la valeur de sa monnaie par rapport à celle des autres. 

            Dans ce modèle économique ce qui compte le plus ce n’est pas véritablement la production de richesses nouvelles mais le commerce et surtout les échanges monétaires et financiers. Or, comment mieux stimuler ce commerce qu’en incitant à la consommation, fut-ce au prix d’un endettement toujours plus important ? Peu importe que des ménages surendettés ne puissent plus rembourser leurs emprunts, pourvu que la masse monétaire en circulation soit devenue telle que la valeur des actifs financiers soit incomparablement supérieure à celle des biens réels. Pour tenir l’équilibre, il suffit d’autoriser les banques à spéculer pour leur propre compte. Avec l’affaire Kerviel, la Société Générale a perdu en une seule fois la valeur de plus de 20 000 crédits immobiliers accordés à des clients qui n’auraient pas commencé à rembourser un centime de capital. 

             L’inconvénient pour les Américains est que leur principal partenaire commercial, la Chine, a arrimé la valeur de sa monnaie à celle du dollar, comme Dupond s’était accroché à Dupont dans la fusée qui les emmenait vers la lune… jusqu’à ce que Tintin réussisse à y rétablir la pesanteur ! Mais la Chine n’a pas l’intention de laisser le yuan tomber tout seul. « Les États-Unis ne peuvent pas, pour des raisons intérieures, faire supporter à d’autres pays leurs problèmes économiques et d’emploi », a ainsi déclaré le porte-parole du ministère chinois du Commerce, Yao-Jian. Dans la chute, la Chine sait que les États-Unis seront toujours en dessous et qu’ils amortiront le choc. Mais elle s’emploie aussi à desserrer l’étreinte. Depuis quelques temps déjà, elle se défait des Bons du Trésor américain pour acheter des yens, acculant ainsi les autorités nippones à ramener à zéro leur taux directeur ! La Chine sait qu’au-delà des incantations politiques américaines, les réactions psychologiques des agents économiques sont plus complexes et les conséquences économiques moins assurées. Elle vient d’ailleurs d’en administrer la démonstration le 19 octobre 2010 en décidant unilatéralement, et par surprise, de relever de 0,25 % les taux des dépôts et crédits en banque. Cela aurait dû faire monter le cours du yuan ; cela a fait monter le cours du dollar, chuter le cours du baril de pétrole et le cours des Bourses européennes et australiennes. Il semblerait que les programmes informatiques qui déclenchent automatiquement les opérations sur les marchés financiers sont tels que lorsque le yuan s’apprécie, ils anticipent un risque de ralentissement de l’économie chinoise conduisant à une diminution des exportations allemandes et à une baisse des exportations australiennes de matières premières. 
     
    On a toujours les conséquences 

             En fait, ce sont les États-Unis qui continuent à mener le jeu comme l’a expliqué Martin Wolf dans Le Monde du 19 octobre : « Les États-Unis voudraient pousser le reste du monde à l’inflation tandis que le monde cherche à engager l’Amérique dans la déflation ». Cela tient au rôle exorbitant que joue le dollar dans l’économie mondiale. Dans une politique qui oblige les Américains à ne pas pomper la richesse des autres États par une « dévaluation concurrentielle », le G 20 réuni à Gyengju en Corée du Sud, n’a pu que « suggérer » aux États de « s’abstenir de toute dévaluation compétitive » ! Quant au ministre brésilien des finances, Guido Mantega, il n’a pu que dénoncer cette « guerre des monnaies » ! Non, Monsieur le Ministre, il ne s’agit pas simplement d’une « guerre des monnaies », mais d’une « guerre économique » totale ; les monnaies ne sont que l’arme actuellement la plus utilisée. Cependant, elle paraît tellement inefficace qu’Ulrich Leuchtmann considère que la situation actuelle « crée l’impression que la Fed est impuissante et prise de panique au lieu d’instiller la confiance sur sa politique monétaire ». Cette utilisation de l’arme monétaire n’a de raison d’être que dans la mesure où elle permet de gagner du temps pour préparer une véritable contre-attaque économique. Mais pour cela il faut faire un bon diagnostic. Pascal Lamy vient de se féliciter du fait que, depuis le début de la crise, les États n’ont pas succombé aux sirènes protectionnistes telles que le relèvement des barrières tarifaires ou, pire, la lutte contre le dumping social (sic). Dans la mesure où ses États reconnaissent que leur première priorité est de donner à leurs populations les conditions qui leur permettent de vivre dignement de leur travail, alors que l’idéologie du moment leur interdit toute mesure qualifiée de protectionniste, il ne leur reste plus que l’arme monétaire. La consommation domestique de populations surendettées dans des pays où la dette publique explose, ne permet plus de soutenir la « croissance ». Celle-ci ne peut plus venir que des exportations et donc des « dévaluations compétitives ». Or cette arme n’est utilisable que si la production globale du moment est adaptée aux besoins réels de la population, à l’exploitation non prédatrice des ressources naturelles et à la répartition harmonieuse des fruits de l’activité économique entre les producteurs et les consommateurs. 

     

            Le professeur Hülsmann n’a-t-il pas raison, lui qui pense que ce qui est en cause, c’est d’abord notre actuelle structure de production ? Pour lui, nos industries « qui sont aujourd’hui en difficulté ont fait des investissements qui ne se rentabilisent que dans le monde des richesses imaginaires » de la spéculation financière. Ils ne se rentabilisent pas dans le monde de l’économie réelle. Donc, lorsque les États soutiennent par des mesures financières artificielles ces industries en difficulté, ils ne font qu’aggraver la crise au lieu de permettre d’en sortir. Cette vision peu optimiste des choses devrait pousser les Européens à s’interroger sur les conséquences inéluctables du système mis en place avec le Traité de Maastricht et conforté par celui de Lisbonne. Car ce système conduit inexorablement à une surévaluation relative de l’euro par rapport aux autres monnaies du monde, au prix d’une rigueur interne sans précédent. Cela fragilise les exportations des États européens vers les autres pays (et pèse donc sur l’emploi intérieur) et, en même temps, freine considérablement la demande interne. Tous les ingrédients d’une récession durable sont réunis. Le président Sarkozy, qui doit prendre ce mois-ci la direction du G 20, va-t-il réussir à réformer le système monétaire international, ainsi qu’il l’avait promis voici maintenant deux ans ?

    Publié dans le numéro 90 - novembre 2010 - de Politique Magazine.

  • Livres • Bienvenue dans le pire des mondes ... Plongée dans les abysses de la pensée dominante

     

    Par Jean-Paul Brighelli 

    Du Brighelli comme on l'aime : plume alerte, directe, détendue; analyses sans concession, percutantes, justes; intelligence en éveil au sens critique redoutable; et, volens nolens, ici résolument antimoderne. Instructif et délectable.  LFAR

     

    2304514035.2.jpgLe 23 ou 24 novembre dernier, j’ai acheté le Monde — je me souviens à peu près de la date, parce que l’événement est tellement rare qu’il fait tache : je n’ai pas trop à cœur de financer l’un des journaux officiels (avec Libé) de la mondialisation décomplexée.
    Gaïdz Minassian y étalait sa bêtise et sa collaboration à la pensée unique dans une critique du livre tout frais sorti, signé du Comité Orwell, Bienvenue dans le pire des mondes (chez Plon, qui a cru vendeur de mettre Natacha Polony sur la couverture : du coup, elle est l’invité préférentielle, et même quand elle est à l’antenne avec Jean-Michel Quatrepoint, c’est elle que Ruquier fait parler, alors même qu’elle n’a pas, dit-elle, « écrit les meilleures parties du livre »).

    Le Comité Orwell est composé de journalistes de tendance souverainiste — entendons qu’ils revendiquent la souveraineté de la pensée, au service de la souveraineté de la France.
    (Et déjà, j’ai bien conscience de ce qu’a d’incongru une telle phrase, à une époque où parler de « la France » est une offense à la diversité, aux communautés, aux indigènes de la République et au libre droit des individus à cracher à la figure de Marianne — et à choisir la servitude volontaire).
    Ils ont souvent côtoyé, justement, Marianne — le magazine, du temps où il n’était pas patronné par cette cornegidouille de Renaud Dély, qui y a ramené tout ce que l’Obs, où il sévissait auparavant, a de boboïsme vendu. Tant pis pour les amis que j’y ai encore, et qui font le gros dos en attendant que…
    Le Comité Orwell, qui compte donc quelques belles intelligences, a rassemblé ses idées en un corps de doctrine, et balaye en 200 pages serrées les questions d’éducation (louanges à un livre qui explique benoîtement aux politiques aveugles que c’est la pierre fondamentale, et que Najat Vallaud-Belkacem est le bon petit soldat de l’apocalypse molle dans laquelle nous entraîne le « soft totalitarisme » — c’est le sous-titre de l’ouvrage — mis en place par la mondialisation, l’Europe bruxelloise, et l’empire américain), d’économie — analyse tout à fait lumineuse —, la démocratie, « nouvel habit de la tyrannie », et de « l’art de dissoudre les peuples » dès qu’ils ne votent pas comme vous voulez. 

    Revue de détail.

    Orwell est convoqué — c’est bien la moindre des choses — dès les premières lignes : « Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre ». C’est que le radical de liberté a été pas mal galvaudé ces derniers temps, comme s’amuse à le faire (c’est un ouvrage très bien écrit, par des gens cultivés à l’ancienne, autant en profiter) la troisième phrase du livre : « Face à une idéologie dominante « libérale-libertaire », qui fait du libre-échange mondialisé un horizon indépassable et du primat de l’individu sur tout projet commun la condition de l’émancipation… »
    Disons tout de suite que c’est là la ligne de force du livre : l’atomisation du bien commun en appétits individuels, l’exaltation de l’individu afin de mieux l’asservir à ces appétits qui ne sont plus même les siens, mais ceux des firmes qui les concoctent et les leur vendent, et la combinatoire létale du néo-libéralisme (rien à voir avec le libéralisme tel qu’on le trouve par exemple chez Stendhal, où c’est essentiellement un refus de la monarchie constipée de la restauration : le néolibéralisme est « un modèle de libre-échange total et global »), et de cette pensée libertaire, nourrie de déconstruction, de « relativisme culturel » et de pédagogisme, qui s’est infiltrée dans ce qui fut jadis la Gauche et qui est aujourd’hui l’idiot utile de la dissolution nationale et du communautarisme (un gouvernement sensé commencerait par dissoudre le Parti des Indigènes de la république, dont le livre souligne assez qu’il tient un discours raciste). De la vraie liberté, plus de nouvelles. D’où « le sentiment que, par bien des aspects, nous ne sommes plus tout à fait dans ce qu’on peut appeler un régime démocratique ». Bref, la liberté, c’est l’esclavage — mais qui a lu 1984 était au courant.
    Comment ? Vous n’êtes pas pour l’ouverture ? Vous êtes donc pour la fermeture ? Le repli sur soi ? Le pouvoir a le pouvoir de manipuler les mots, il a tout ce qu’il faut de journalistes aux ordres et d’intellectuels auto-proclamés pour ça. Et ceux d’en face, ceux qui ne lèchent pas les cols de chemise de Bernard-Henry Levy, ne sauraient être que des « pseudo-z-intellectuels », comme dit l’autre.

    Pourquoi « soft totalitarisme » ? Par extension sémantique du « soft power » qui a pris le pouvoir dans notre monde sans guerre (sans guerre chez nous, quoique…) en diffusant un modèle culturel unique afin de mieux vendre un système économique unique. La grande réconciliation de Marx et de Gramsci. Le « It’s the economy, stupid » de Bill Clinton nappé d’une sauce TF1 / M6, afin que vous ne réalisiez pas que ce que vous mangez vous mange. Et de convoquer cette fois Huxley : « Un état totalitaire vraiment efficient serait celui dans lequel le tout-puissant comité exécutif des chefs politiques et de leur armée de directeurs aurait la haute main sur une population d’esclaves qu’il serait inutile de contraindre, parce qu’ils auraient l’amour de leur servitude. La leur faire aimer — telle est la tâche assignée dans les Etats totalitaires d’aujourd’hui aux ministères de la Propagande, aux rédacteurs en chefs des journaux et aux maîtres d’école. » C’est dans le Meilleur des mondes, et ça date de 1932. Avant même que le Propagandaministerium donne sa pleine puissance. Le soft totalitarisme est la revanche de Goebbels. La Boétie, je t’entends ricaner dans ta tombe !
    Bien sûr, c’est l’imminence de l’élection présidentielle qui a rendu urgentes la rédaction et la parution de ce livre. « Parce que la France ne peut se permettre de jouer une élection pour rien. Parce qu’elle est au bord de l’implosion, prise en tenailles entre le totalitarisme islamique et le soft totalitarisme dont la première caractéristique est qu’il ne se soucie nullement de cette barbarie qui n’entrave en rien sa progression. » Citoyen, si en avril prochain tu ne fais pas de ton bulletin de vote un pavé à lancer au visage de l’oligarchie qui ronronne aux manettes, il ne te restera plus qu’à te noyer dans le sirop d’oubli que te déversent le GAFA — Google / Apple / Facebook / Amazon — et Microsoft, qui n’entre pas dans l’acronyme, mais qui a su s’offrir l’Education Nationale française pour une poignée de cacahouètes.

    « L’Ecole fut le lieu de baptême de la démocratie ; elle en sonnera le glas ».
    L’accent mis sur l’oral (qui remonte quand même aux années 1960, sous la férule, à la DGESCO, d’un certain René Haby), la répudiation de toute culture autre que le fast food pour neurones atrophiés, et jusqu’à la réforme du collège et son cortège d’EPI, tout concourt à « la destruction des barrières culturelles freinant le déploiement généralisé du néolibéralisme et de son corollaire, la globalisation », et au « formatage des individus pour qu’ils adhèrent avec ferveur au modèle qui leur est proposé dans une insistance toute bienveillante ». Voilà comment en trois décennies ont a transformé en cancre un système éducatif qui fut le meilleur du monde — mais l’élitisme, c’est mal. L’éducation, rappelle les auteurs, fut jadis libérale — rien à voir avec les abus ultérieurs du terme : « Cette expression désigne une conception humaniste de la transmission des savoirs à travers l’étude des grandes disciplines » — voir la lettre de Gargantua à Pantagruel : « Maintenant toutes les disciplines sont restituées, les langues instaurées, le grec sans lequel il est honteux qu’une personne se dise savante, l’hébreu, le chaldéen, le latin. Des impressions fort élégantes et correctes sont utilisées partout, qui ont été inventées à mon époque par inspiration divine, comme inversement l’artillerie l’a été par suggestion du diable. Tout le monde est plein de gens savants, de précepteurs très doctes, de librairies très amples, tant et si bien que je crois que ni à l’époque de Platon, de Cicéron ou de Papinien, il n’y avait de telle commodité d’étude qu’il s’en rencontre aujourd’hui. » Du XVIème au XIXème siècle, magnifique progression. Du XXème au XXIème siècle, remarquable régression. Voici que l’éducation, via les « compétences » imposées par la Stratégie de Lisbonne en 2000 (« les compétences sont la version moderne et technocratique des ces « savoir-faire » et « savoir-être » que des pédagogues bienveillants ont voulu substituer aux savoirs jugés élitistes et discriminants »), n’a plus pour but que de développer l’employabilité des futurs consommateurs — un mot qui commence mal. L’employabilité, mais pas l’emploi effectif. Dans le cauchemar climatisé des transhumanistes, l’espèce humaine se robotisera ou disparaîtra. Déjà Lactalis ne fabrique plus l’infâme truc plâtreux et pasteurisé appelé « camembert Président » qu’avec deux employés. Le reste, c’est le tour de main de la machine.
    Et contrairement à ce que nous serinent la plupart des politiques, « la globalisation n’a pas oublié l’éducation, c’est même son terrain de jeux prioritaire ». Parce qu’il est de toute première urgence de fabriquer les citoyens modèles d’un monde où la volonté des multinationales s’est substituée déjà au pouvoir des Etats — et que c’est l’un des enjeux centraux des échéances à venir : soit vous votez pour des partis qui veulent restaurer l’Etat et la Nation, soit vous êtes morts en croyant être vivants.
    La cible de choix de ses processus déstructurants, ce sont les classes moyennes, dont la lente émergence avait constitué l’histoire du XVIIIème au XXème siècle. Parce que c’est l’envie de culture, associée à l’envie de mieux-être de ces classes mouvantes qu’il faut éradiquer — et qui est le noyau dur de la résistance à la mondialisation. Se cultiver, c’est entrer dans le champ illimité du libre-arbitre. Déculturer le peuple, c’est ce à quoi se sont ingéniées toutes les politiques éducatives depuis trente ans ou quarante ans : le livre analyse en détail ces trois temps forts que furent la renonciation à la convertibilité du dollar en 1971, le tournant de la rigueur en 1983 et la célébration du bicentenaire en 1989, coïncidant avec les premières tergiversations sur le voile islamique et à trois mois près avec la chute de la maison Russie. La méritocratie permettait à quelques fractions du peuple d’accéder à l’élite — qui n’entend plus aujourd’hui laisser la moindre part de gâteau à des enfants exogènes à l’oligarchie dominante. Voter pour les mêmes, c’est se condamner, et condamner vos enfants, à stagner à tout jamais — en fait, à régresser sans cesse jusqu’à ce qu’un salaire universel minimum — les Romains faisaient déjà ça très bien dans les cirques où étaient célébrés les jeux du cirque et de TF1, avec distributions de blé afin de nourrir les (télé)spectateurs — leur permette de végéter sur les mages d’un système qui se goinfrera sur leur dos. On y est presque — la Finlande, ce modèle des anti-modèles qu’on nous sert depuis quinze ans que PISA décide de nos destinées, vient de s’y mettre.
    J’avais pris une foule de notes supplémentaires — c’est un livre très dense, dont chaque phrase fait mouche et ouvre la pensée sur les abysses de la pensée dominante. Jamais Cassandre n’a parlé avec tant d’éloquence. Mais je vais en rester là — vous n’avez qu’à l’acheter, vous ne serez pas déçus. 

    Jean-Paul Brighelli
    Enseignant et essayiste, anime le blog « Bonnet d'âne » hébergé par Causeur.

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    Comité Orwell