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LAFAUTEAROUSSEAU - Page 1287

  • Sachons raison garder

     

    par Louis-Joseph Delanglade

     

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    Peu importent au fond les motivations qu’une presse forcément hostile et des politiques forcément impuissants prêtent à la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’Etat hébreu : peut-être M. Trump a-t-il cédé aux instances d’un entourage familial ultra-sioniste, peut-être a-t-il voulu complaire aux fondamentalistes protestants qui l’ont élu, peut-être tout simplement est-il ce président grotesque et imprévisible que tous ou presque se plaisent à dénoncer.

    Certains pensent pourtant, à rebours, que sa décision s’inscrit dans une politique proche-orientale des Etats-Unis qui, tirant volontairement à hue et à dia, contribue à plonger et maintenir toute la région dans un chaos indescriptible depuis quelques dizaines d’années, tactique leur permettant de ménager au mieux leurs intérêts. D’autres enfin font valoir que les instances de l’Etat d’Israël siègent de facto à Jérusalem (ouest) et qu’y installer une ambassade relève du réalisme le plus élémentaire. 

    Mais qu’importent donc toutes ces hypothèses et approches plus ou moins savantes avancées par nos géopoliticiens patentés. Les plus procéduriers des ennemis de M. Trump pourront bien lui opposer un prétendu « droit international » en se basant sur plusieurs déclarations de l’ONU (résolution 181 de 1947 stipulant que Jérusalem devrait bénéficier d’un statut sous tutelle internationale ; résolutions 252 de 1968 puis 476 et 478 de 1980 rappelant que Jérusalem devait bénéficier d’un statut spécifique interdisant toute présence d’ambassades) et sur les accords d’Oslo de 1993 stipulant que Jérusalem serait à terme la capitale de chacun des deux Etats, hébreu et palestinien : c’est oublier que tous ces bouts de papier ne valent rien sans la première puissance mondiale, principale contributrice au budget des Nations Unies et seule garante des accords d’Oslo. De même est-il vain de rappeler que les pères fondateurs d’Israël, M. Ben Gourion en tête, n’auraient sans doute pas souhaité que Jérusalem fût un jour leur capitale, refus réitéré par M. Rabin en 1995. Vain aussi de prédire qu’on risque d’assister à des mouvements d’humeur de foules islamiques fanatisées ou de subir quelques attentats supplémentaires perpétrés au nom d’Allah : tout cela est devenu banal. 

    A défaut de pouvoir régler un problème sans doute insoluble car lié à la création même de l’Etat d’Israël, tenons-nous en aux faits et manœuvrons en conséquence. Pour une période indéterminée, la décision de M. Trump pourrait bien ouvrir un boulevard à la diplomatie française. En effet, alors que Russes et Américains ont à l’évidence choisi leur camp, ce qui est tout à fait en accord avec leur stature militaire et internationale, la France doit adopter d’autres façons de faire. Puissance « moyenne » mais puissance tout de même, son atout spécifique dans la région lui vient d’un rôle historique - rappelons qu’elle continue de posséder ou de « protéger » officiellement, c’est-à-dire avec l’accord des autorités légales israélienne et/ou palestinienne, des dizaines d’établissements culturels et religieux ; rappelons aussi qu’un traité multiséculaire la lie aux populations du Liban - qui lui confère une sorte d’autorité morale que personne ne lui conteste, bien au contraire. Dans cette optique, même si M. Macron a « regretté » la décision de M. Trump (pouvait-il, fallait-il d’ailleurs, faire autrement ?), il a montré par des paroles et des actes qu’il entendait maintenir, voire renforcer, le rôle et l’influence de la France dans l’ensemble de la région : on savait déjà que, concernant la Syrie, et contrairement à ses prédécesseurs, il avait décidé de privilégier le réalisme et non l’idéologie ; on l’a vu récemment inaugurer le « Louvre Abou Dhabi », puis aller vendre armes et avions à Ryad et à Doha, qui sont en froid ; il doit se rendre bientôt à Téhéran, l’épouvantail régional ; il ne se désintéresse pas du Liban, épicentre de la présence française, dans la politique intérieure duquel il vient d’intervenir en « libérant » M. Hariri et en organisant vendredi dernier à Paris une réunion du « groupe international de soutien au Liban ». 

    Dans ces conditions, Israël, dont il vient de recevoir ce dimanche le Premier ministre pour lui renouveler notamment sa désapprobation concernant Jérusalem, peut bien rester la chasse gardée des Américains : la déclaration de principe du chef de l’Etat suffit.   

  • Les maux des universités et les mots pour les dire

    Edgar Faure, le ministre de la loi de 1968, le type même de la fausse décentralisation qui n'aboutit qu'au chaos

     

    PAR JEAN-BAPTISTE DONNIER

    TÉMOIGNAGE. Il est des choses que même les esprits les plus libres n'osent plus exprimer. C'est pourtant là que gît le mal.

     

    173284753.jpgSi l'on peut encore rencontrer des universitaires qui publient, qui enseignent et continuent même, à leurs risques et périls, à user de leur liberté pour tenter de dire quelque chose de la vérité du monde, il n'est pas sûr que les universités françaises aient survécu aux incessantes réformes qui leur ont été infligées depuis que l'État en a pris le contrôle. De « l'Université de France » recréée par Bonaparte sur les ruines des anciennes universités détruites par la Révolution aux « pôles de recherche et d'enseignement supérieur » commués en « ComUE » (sic) et autres « unités de formation et de recherche » imaginés par nos énarques, les maux des universités se sont accumulés au point d'étouffer sous une gangue administrative digne du Gosplan soviétique les quelques restes de vie qui pouvaient y subsister.

    UNE DÉCENTRALISATION DE CARNAVAL

    Ces maux affectent aussi bien les institutions que les hommes qui en constituaient l'âme. Sur le plan institutionnel, les universités sont devenues des administrations centralisées à outrance, « pilotées » (pour utiliser un jargon administratif très significatif) par un Ministère tout puissant selon un modèle unique et des indicateurs purement quantitatifs appliqués indifféremment à toutes les disciplines de l'esprit rassemblées comme à la parade dans les 87 sections du Conseil national des universités. Les libertés que prétend leur avoir octroyé la loi du 10 août 2007 ne sont qu'un leurre destiné à occulter une partie du déficit public. Plaisantes libertés que celles d'universités dont les membres sont des fonctionnaires d'État, qui délivrent des diplômes habilités par l'État à des étudiants qu'elles sont tenues d'accueillir sans pouvoir les choisir, si ce n'est par tirage au sort ! Cela fait rire, en dehors de nos frontières. Non seulement les universités françaises ne disposent d'aucune autonomie réelle mais, pis encore, la centralisation qui les asservit se répand en elles comme un cancer. Soumises à une administration centrale qui les considère comme de simples rouages d'exécution de sa propre politique, elles imposent à des facultés réduites au rang de « composantes » la même sujétion que celle qui leur est imposée, de manière à former, au rebours de toutes les traditions universitaires, une véritable chaîne de commandement qui aboutit à subordonner la modification de l'intitulé d'un cours à l'avis d'une demi-douzaine d'instances aussi incompétentes les unes que les autres et, au final, à une décision ministérielle ! Quant à la recherche, séparée de l'enseignement, elle relève d'une administration peut-être encore plus caricaturale regroupant des « enseignants-chercheurs mono-appartenant » dans des « laboratoires » constitués sur un modèle scientifique unique, totalement inadapté à des disciplines telles que le droit ou les lettres. Dans ces disciplines, qualifiées de « sciences humaines et sociales » pour les faire entrer dans les carcans de la « recherche » administrée, ces « laboratoires » formés selon des critères qui n'ont évidemment rien de scientifiques sont de véritables gouffres financiers dont l'utilité est absolument nulle et la « production » inexistante.

    C'est dans ce « mammouth » institutionnel que sont déversés des masses d'étudiants, décérébrés par un catéchisme républicain dont la débilité intellectuelle n'a d'égal que l'inculture générale qui en découle, et qui sont, pour la plupart, totalement inaptes à suivre un enseignement universitaire digne de ce nom. Dans ces conditions, réclamer une sélection à l'entrée de l'université, comme s'obstinent à le faire certains, est malheureusement sans doute déjà dépassé. Sélectionner supposerait qu'il y ait de bons élèves, dotés d'une solide culture et de facultés de raisonnement appropriées, souhaitant intégrer l'université. Or, en réalité, les élèves issus des quelques établissements scolaires qui remplissent encore à peu près leur rôle, fuient massivement les études universitaires pour se précipiter vers les filières vraiment sélectives, celles qui n'examinent que les dossiers des candidats ayant obtenu une moyenne supérieure à 20 au baccalauréat ! Les modes de sélection pratiqués dans ces filières sélectives, habilement occultés par de savants algorithmes qui leur donnent une apparence de neutralité scientifique, prennent en considération, notamment, l'établissement d'origine des candidats ; un bachelier d'Henri IV ne « vaut » pas un bachelier du lycée Elsa Triolet de Marcq-en-Baroeul... Ces derniers, ainsi que tous ceux qui, pour M. Macron, « ne sont rien », échoueront (dans tous les sens du termes) à l'université. C'est ce qu'on appelle l'égalité républicaine.

    LA SEULE ET VRAIE LIBERTÉ DE PENSÉE

    Mais le plus grave n'est peut-être pas encore cet état de délitement général résultant d'une politique menée conjointement par tous les gouvernements successifs et leurs alter ego des organisations étudiantes et autres syndicats. Le plus grave est que cela s'accomplit de plus en plus avec la complicité active de beaucoup d'universitaires qui semblent se complaire dans une forme de servitude volontaire jusqu'alors inédite. Pendant plus de deux siècles, les universités furent le refuge de fortes personnalités qui surent maintenir, parfois à leur corps défendant, les traditions de liberté et l'esprit de corps des anciennes universités médiévales. Ces caractères ont quasiment disparu, comme si leurs modernes successeurs avaient intégré le modèle administratif que Bonaparte avait rêvé de leur imposer. Platon montre dans La République comment chaque régime produit un type d'homme qui en reproduit les traits caractéristiques ; le monde universitaire actuel en offre le triste exemple. La servilité, avec ses corolaires de vulgarité et de médiocrité, se répand partout grâce à des recrutements concoctés par quelque camarilla d'arrière-loge, de couloir ou d'alcôve, qui sait très bien écarter les candidats susceptibles de faire de l'ombre à ceux qui se sont incrustés dans l'université à la manière du bernard-l'hermite. Dans ces conditions, ceux qui, par leurs paroles et par leurs actes, voire par leurs moeurs ou leur pensée, ne se conforment pas au modèle dominant sont implacablement marginalisés, découragés, déconsidérés, afin que sans bruit et sans heurt s'efface de notre horizon cette Alma Mater décidément trop grande pour la plupart de ceux qui l'ont investie.

    Est-ce à dire qu'il est trop tard et que tout espoir de redressement serait par avance voué à l'échec ? Ce serait là sans doute une sottise absolue... Multa renascuntur ! Les maux des universités, aussi profonds soient-ils, ne sont pas irrémédiables ; mais il faut pour y remédier avoir d'abord le courage de les nommer.

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  • Grenoble : ce lundi 11 Décembre, conférence de Dolorine de Boschère au Centre Lesdiguières. A ne pas rater

     

    Tout le monde connait ce vieil adage qui sous-entend que l’histoire est pensée d’un seul point de vue et utilisée à des fins politiques voire idéologiques. A la suite de la longue tradition des chroniques hagiographiques du Moyen-âge, le XIXe siècle crée le Roman National, récit idéologisé de l'Histoire de France.

    En sommes-nous sortis? Un coup d’oeil sur les programmes d’Histoire de l’Education Nationale nous prouve une fois encore que l’enseignement de l’Histoire sert un but politique. Est-il possible d'envisager un enseignement de l'Histoire neutre? L'Histoire, clé de voûte de notre identité, doit elle forcément être instrumentalisée pour créer ou détruire le sentiment national ? Quelle est la frontière entre mythe et réalité en Histoire ? C'est à ces questions que nous tenterons de répondre.  

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  • Culture • Loisirs • Traditions

  • Livres • « Le retour du conservatisme correspond à une aspiration profonde des Français »

     

    XVM53737cb8-d6bc-11e7-8428-569ae9712d9b-180x250.jpgA l'occasion de la parution du Dictionnaire du conservatisme, qui regroupe plus d'une centaine de spécialistes de la question, Frédéric Rouvillois et Christophe Boutin ont accordé un entretien au Figarovox. Ils explorent la renaissance d'un courant politique et culturel souvent trop méconnu et caricaturé en France. Alors, conservatisme, pourquoi pas ? Mais pour conserver quoi ? Des éléments de réponse substantiels sont apportés ici.  LFAR  

     

    « Le conservatisme est à la mode », écrivez-vous dans votre introduction. Comment expliquer le renouveau des idées conservatrices, et le succès des essais en librairie ?

    Nous faisons effectivement le constat de la multiplication, dans les deux dernières années, d'ouvrages traitant du conservatisme, ou mettant en valeur des thématiques conservatrices. Mais le terme de « mode » est peut-être ambigu, en ce qu'il évoque quelque chose de manipulé, de secondaire et de passager. Or notre hypothèse est que ce retour du conservatisme, dont nous constatons la vigueur, correspond à une demande profonde des populations concernées, porte sur des valeurs et des éléments essentiels de leurs sociétés, et qu'il est donc certainement destiné à s'ancrer dans la durée. Derrière la diversité que peut recouvrir le terme de conservatisme, une diversité que notre Dictionnaire entend d'ailleurs traduire, on voit en effet se dessiner des lignes de force qui sont autant de réponses à des inquiétudes très profondément et largement ressenties. Tant que ces dernières persisteront, c'est-à-dire, tant que le problème de l'insécurité culturelle et identitaire ne sera pas résolu, il y aura une demande de réaffirmation d'un socle conservateur.

    Emmanuel Macron a installé pendant la présidentielle l'idée d'un nouveau clivage entre conservateurs et progressistes. Ce clivage vous paraît-il plus pertinent que le clivage gauche/droite ?

    Rappelons le contexte : Emmanuel Macron fait cette distinction dans le but de créer un vaste parti centriste qui évacuerait sur ses extrêmes droite et gauche des partis ou des groupes stigmatisés par le soi-disant « repli », repli sur une identité fantasmée à droite, repli sur des privilèges dépassés à gauche, tous incapables de déceler dans la marche en avant mondialiste l'unique futur sérieux de l'humanité. Mais cette manœuvre politicienne, dont nul ne niera l'efficacité spectaculaire, n'a que peu de réalité au regard de l'histoire des idées. L'extrême-gauche a en effet toujours communié dans le culte du Progrès, et ce n'est pas sa crispation sur quelques privilèges exorbitants accordés à son ultime potentiel électoral, les fonctionnaires et assimilés, qui la métamorphose miraculeusement en force conservatrice.

    En ce sens, le clivage gauche/droite perdure bien derrière la distinction conservateurs/progressistes, avec simplement une gauche qui retrouve une part d'elle-même qui s'était égarée à droite, c'est-à-dire un centre libéral et libertaire. Ce dernier, qui avait été décalé à droite par l'apparition de mouvements collectivistes à gauche, s'était imposé dans une alliance contre-nature avec la droite conservatrice dans des « rassemblements » supposés permettre une bipolarisation, mais qui ont en fait conduit à un terrible appauvrissement idéologique. Il retourne maintenant à sa vraie famille. D'où l'urgence, par contrecoup, d'une redéfinition du conservatisme.

    Y a-t-il une unité de la doctrine conservatrice ? ou bien le conservatisme est-il plutôt un tempérament qu'une doctrine ?

    Parler de doctrine est toujours délicat : on attend un corpus intangible bannissant toute voix dissidente. Or, la diversité de notre Dictionnaire le montre, dans ses collaborateurs comme dans ses entrées, on peut être un conservateur plus ou moins traditionaliste ou plus ou moins libéral. Pour autant, cette diversité n'est pas un éclatement, car sur bien des points tous se retrouvent spontanément. Ce qui renvoie à la seconde partie de votre question : que serait une doctrine sans un tempérament ? Les choix politiques relèvent-ils de la raison pure, ou n'y aurait-il pas toujours une part instinctive, et existentielle ? Notre hypothèse est que le conservatisme est avant tout une doctrine du réalisme politique, prenant en compte le monde et l'homme tels qu'ils sont, avec leurs qualités et leurs faiblesses, une doctrine qui écarte toute reconstruction d'un monde et d'un homme idéaux sur la base de théories supposant de faire au préalable table rase de cette réalité. C'est cette unité, autant de tempérament que de doctrine, qui fournit aux conservateurs la cohérence de leurs réflexes et de leurs réponses.

    Vous consacrez un article au « conservatisme de gauche ». A-t-il toujours existé ou bien est-il une réaction à la modernité technicienne ?

    La pensée de gauche, volontiers démiurgique, a toujours souhaité non pas faire évoluer mais transformer l'homme ou la société, pour qu'ils ressemblent enfin à des idéaux parfaits. C'est dire que le conservatisme de gauche - hormis le sens péjoratif macronien déjà évoqué - semble absent de l'histoire des idées. Par contre, on peut effectivement constater qu'autour des interrogations actuelles sur la croissance, sur le machinisme hier, sur le transhumanisme demain, et, de tout temps, sur les débordements du capitalisme, bref, autour de certaines inquiétudes face au Progrès, certains intellectuels de gauche se posent les mêmes questions que ceux de la droite conservatrice.

    Cela ne veut pas dire qu'ils aboutissent aux mêmes conclusions, mais ce débat ne peut qu'être fécond. La problématique de l'écologie et de l'environnement est ici un exemple significatif. Mais on remarquera qu'il s'agit plus d'un ralliement de certains intellectuels de gauche au réalisme conservateur que l'inverse. Seule en effet une droite libérale/libertaire, aux antipodes des valeurs conservatrices, entend permettre aux hommes de jouir sans entraves. La droite conservatrice, elle, a toujours plaidé pour l'existence des limites.

    Quel rôle a joué la Réforme dans la naissance de mouvements conservateurs ?

    Autant le rôle direct de la Réforme en la matière semble avoir été à peu près nul, autant son rôle indirect paraît immense. Sur un plan direct, la Réforme, qui elle-même se veut d'ailleurs un retour aux origines, ne suscite aucun conservatisme spécifique, ni dans la société, nous sommes en pleine Renaissance, ni dans l'Église, qui, loin de se crisper sur des positions acquises, va lancer la Contre-Réforme, un mouvement presque aussi novateur que celui auquel il répond. En revanche, sur un plan indirect, les conséquences de la Réforme sur l'émergence d'un sentiment conservateur s'avèrent considérables. Notamment dans la mesure où cette rupture démontre que les choses apparemment les mieux acquises, sont en réalité fragiles et menacées, et qu'il importe donc de réfléchir et de pourvoir à leur conservation. À ce propos, la manière dont Bossuet, à la fin du XVIIe siècle, va tenter de recoller les morceaux, en discutant avec les protestants puis avec Leibnitz, paraît marquée par ce souci proprement conservateur. À l'inverse, au début de la Révolution française, certains acteurs de premier plan, comme Brissot, affirment qu'il existe une liaison nécessaire avec la Réforme, et que ceux qui ont fait la « révolution religieuse » ne sauraient être hostiles à la « révolution politique ». Un thème que reprendront en sens inverse les grands penseurs conservateurs français du XIXe et du premier XXe siècle, estimant que les principes mêmes du protestantisme et du calvinisme, s'ils coïncident à beaucoup d'égards avec ceux du capitalisme libéral, se situent aux antipodes des valeurs conservatrices.

    La France a-t-elle une tradition conservatrice marquée ? Quel rôle a joué la Révolution française dans l'émergence de la pensée conservatrice ?

    En ce qui concerne le conservatisme, la tradition française paraît complexe, précisément en raison du poids de la Révolution. S'il existe bien des « proto conservatismes » avant celle-ci, c'est incontestablement la rupture radicale qu'elle représente, qui va entraîner l'émergence d'un courant conservateur. On l'a déjà noté, c'est lorsque l'on s'aperçoit que certaines choses, certaines valeurs, certaines habitudes, certaines coutumes essentielles sont menacées, que l'on prend conscience de leur fragilité, et donc de la nécessité de les protéger. La « table rase » que la Révolution entend réaliser, notamment à partir de l'avènement de la République, et la violence extrême avec laquelle elle y procède, vont faire émerger par contrecoup une pensée qui jusqu'alors était demeurée embryonnaire. Et qui s'appuie, dès 1790, sur le génial essai de l'anglais Edmund Burke, les Réflexions sur la révolution de France - qui demeure jusqu'à nos jours l'un des catéchismes du conservatisme. En ce sens, de même qu'elle a fondé la France moderne, la Révolution a fondé par contrecoup la pensée conservatrice.

    Le conservatisme est une valeur assumée dans le monde anglo-saxon, pourquoi est-il autant diabolisé en France ?

    C'est précisément en raison de sa naissance, qui contrairement à ce qui se passe en Angleterre, aux États-Unis ou en Allemagne, va s'effectuer en réaction à l'événement fondateur qu'est la Révolution française. Ce qui, comme on finira par s'en apercevoir à la fin du XIXe siècle, place le conservatisme en porte-à-faux avec les principales orientations découlant de cette crise majeure, que ce soit sur un plan institutionnel, politique, culturel ou religieux.

    En fait, sous la Seconde république puis au début de la Troisième, certains républicains osent se déclarer conservateurs ; mais ce n'est plus le cas à partir des années 1890, dans le cadre d'une radicalisation, d'une « gauchisation » de la république et d'une explosion de l'anticléricalisme : à partir de là, tout conservateur est réputé ennemi de la Révolution, donc antirépublicain, antidémocrate, réactionnaire, bref, intouchable et infréquentable. À la Chambre, les députés élus sous l'étiquette conservatrice vont jusqu'à changer de nom, pour se faire appeler « progressistes » ! Enfin, au XXe siècle, le mot conservateur, exclu du jeu politique, est souvent associé à une tare morale, synonyme d'immobilisme, d'inaction, de repli sur soi, etc.

    Qui sont les grands penseurs du conservatisme français ?

    Question redoutable, car à part Chateaubriand il y a au fond assez peu de penseurs majeurs qui, en France, se soient réclamés expressément du conservatisme. Ceux qui en relèvent d'une manière ou d'une autre, soit écrivaient avant l'invention du terme (Montaigne, Montesquieu, peut-être Voltaire), soit n'ont pas entendu s'en prévaloir (Balzac, Taine ou Flaubert), soit sont même allés jusqu'à le récuser, à l'instar de Charles Maurras, de Thierry Maulnier… ou du général De Gaulle.

    François Fillon a été défini comme étant libéral-conservateur pendant la campagne présidentielle, ces deux doctrines sont-elles complémentaires ? Ou peut-on penser, comme Jean-Claude Michéa, que conservatisme et libéralisme sont incompatibles ?

    Derrière la question s'en pose une autre : quel libéralisme? La question du libéralisme tourne en fait - et un auteur comme Benjamin Constant l'a bien montré - autour de la place accordée à l'individu. Il y a un libéralisme qui demande que l'individu puisse devenir ce qu'il est, et, pour cela, qu'il ne soit pas ligoté par un monde figé de castes et de codes dont il ne puisse s'affranchir. Qui irait à l'encontre de cette liberté ? Pour autant, une société a besoin de structures, famille, commune, région ou nation pour assurer sa survie, des structures dont l'individu qui s'en voudrait totalement émancipé ne doit jamais perdre de vue que, sans elles, il n'aurait aucune chance de survivre. Un libéralisme équilibré, respectant à la fois les légitimes aspirations des personnes et la nécessaire défense des structures sociales, peut parfaitement être conservateur. Par contre, un libéralisme qui impose les désirs d'un homme à toute une société, qui fait éclater pour satisfaire les bien piètres désirs de quelques-uns les cadres pérennes qui protégeaient les autres, ce libéralisme de la jouissance narcissique où tout se réduit aux quelques années d'une vie humaine, est radicalement incompatible avec tout conservatisme.  

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    Le dictionnaire du conservatisme, sous la direction de Frédéric Rouvillois, d'Olivier Dard et de Christophe Boutin, publié aux éditions du Cerf.

    Entretien réalisé par Aziliz Le Corre.

  • Société • La cigarette maudite : D'accord avec Mathieu Bock-Côté !

    Martin Luther King

    Par  Mathieu Bock-Côté

    Cette tribune roborative et jubilatoire de Mathieu Bock-Côté sur son blogue du Journal de Montréal traite d'un nouveau fanatisme. Oui, Mathieu Bock-Côté a raison d'avoir envie - et nous avec lui - de crier : « Bande de fanatiques ! »   LFAR  

     

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    Ville de Québec, automne 2017. Au théâtre du Trident, on joue une pièce. Dans cette pièce, un personnage fume. Et puisqu’il doit fumer, il s’allume une cigarette. Normal, non ?

    Non ! Pas aux yeux des maniaques qui sont en croisade contre la cigarette et veulent l’éradiquer non seulement de nos vies, mais même de la fiction.

    Cigarette

    Un spectateur a dénoncé la cigarette maudite aux autorités gouvernementales qui ne se sont pas fait prier pour envoyer une contravention au théâtre. Ce dernier l’a payée, pour éviter les problèmes, on le devine. 

    Quels termes utiliser pour parler de cet épisode ? Loufoque ? Grotesque ? Débile ? Autoritaire ? Je propose : toutes ces réponses. 

    Nous sommes devant une manifestation de puritanisme qui donne froid dans le dos. C’est le triomphe de la société hygiénique, propre propre propre, aseptisée, ennuyante à en mourir.

    Quelle sera la prochaine étape ? Devra-t-on proscrire sur scène les banquets où on mange trop ? Pourra-t-on y manger du saucisson ? Et des frites ? Et que faire des gros buveurs ? Faudra-t-il même censurer les personnages d’alcooliques ? Cette contravention n’a rien d’anecdotique.

    Elle est symptomatique d’une tentation hygiénique qui veut purifier la culture pour la soumettre à l’idéologie. On veut mettre la vie dans un bocal.

    Censure

    Allons plus loin.

    Faut-il soumettre l’art aux bonnes mœurs ? Mais qui décidera des bonnes mœurs et des mauvaises ? Devrons-nous revenir sur les grandes œuvres du cinéma pour les conformer à ce nouveau catéchisme qui se réclame de la santé publique ?

    Faudra-t-il se soumettre aux exigences idéologiques du nationalisme, du fédéralisme, du féminisme ou du multiculturalisme, selon l’idéologie à la mode du moment ?

    Il faut dire que c’est déjà le cas. Pour éviter la polémique, bien des créateurs font le choix de l’autocensure. Ils intériorisent les nouveaux interdits.

    On a envie de crier aux minables petits flics officiels et volontaires de la brigade puritaine 2017 : bande de fanatiques.  

    Mathieu Bock-Côté

    Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).

  • Culture • Loisirs • Traditions

  • Famille de France • Prince Jean : une prestigieuse illustration du patrimoine français

       

    TRAVAUX DIVERS - Largeur +.jpg« Le domaine national de Rambouillet »

    Il fut la propriété en son temps du duc de Penthièvre, petit-fils de Louis XIV et grand-père de Louis-Philippe. Il le céda à Louis XVI qui venait y chasser et en échange récupéra le domaine de Dreux pour y transférer les restes de sa famille.

    Propriété de l’Etat affectée au président de la République jusqu’en 2007, ce domaine conserve aujourd’hui un patrimoine exceptionnel notamment sa faune et sa flore, inscrit dans l’histoire des plus belles chasses d’Europe. On y préserve encore les « tirés ». Ce sont des parcelles avec des rangées de haies de petites tailles les unes à coté des autres qui apportent le gite et le couvert aux faisans. Les arbres qui les bordent permettent de contenir les oiseaux afin que ceux-ci puissent passer très haut au dessus des têtes.

    Des aménagements successifs ont permis à une forêt variée de se développer en alternance avec des plaines cultivées et une grande variété de paysages : chênaies, alignement de bouleaux, saules ou peupliers, landes de bruyères, prairies, mares. Cette biodiversité est un réservoir exceptionnel d’insectes, un conservatoire des espèces notamment le faisan commun et le cerf sika. A coté on trouve des moutons mérinos. Cet équilibre agro-sylvo-cygénétique est rare.

    Le parc est accessible. Outre le personnel agricole et forestier affecté à l’entretien, des chasseurs y sont conviés pour la régulation du gibier ou la destruction des nuisibles, des scientifiques y sont invités pour mener des études, et d’avril à octobre y sont organisés des tours en calèches pour le grand public. Cet accès contrôlé permet de préserver ce site exceptionnel.

    Un modèle du genre très rare dans le contexte d’aujourd’hui pour qu’il soit souligné. »   

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    Jean de France, duc de Vendôme
    Domaine Royal de Dreux le 1er décembre 2017

    Le site officiel du Prince Jean de France

  • Société • Où Éric Zemmour évoque « La mort de Hallyday et d'Ormesson, comme Cocteau et Piaf »

     

    BILLET - La mort de Jean d'Ormesson a précédé de quelques heures celle de Johnny Hallyday. Deux monstres sacrés de notre époque dont le décès concomitant en rappelle d'autres. Ce sont, en octobre 1963,  ceux de Piaf et de Cocteau (dans l'ordre) que Lafautearousseau avait aussi rapprochés, quelques heures plus tôt, de l'événement que tous les médias célèbrent en ce moment. A l'envi. Comme toujours, quelques mots brefs et lucides, suffisent à Eric Zemmour [RTL 7.12] pour caractériser les illustres disparus, leur époque et les évolutions intervenues au fil des cinquante et quelques dernières années ...  LFAR 

     

     

    Résumé RTL par Éric Zemmour et Loïc Farge

    L'Histoire bégaie. Il y a plus de cinquante ans, le 11 octobre 1963, Jean Cocteau et Edith Piaf mouraient à quelques heures d'intervalle. Le poète et la chanteuse, l'homme des salons et la femme des rues, le créateur mondain et l'artiste populaire. C'était la France des années 40 et 50 (...) qui disparaissait avec eux. Tout recommence avec les décès de Jean d'Ormesson et de Johnny Hallyday. L'écrivain et le chanteur, le fils de la haute et celui des faubourgs, l'homme qui murmurait à l'oreille des présidents et celui qui beuglait dans des stades.

    C'est la France des années 60-70 qui faisait des heures sup'. Ceux qui n'avaient pas fait la guerre et ceux qui étaient nés pendant la guerre. D'Ormesson, c'était Françoise Sagan au masculin ; Johnny, c'était Elvis Presley en tricolore.

    Les deux hommes étaient des inventions de la télévision. S’ils étaient de magnifiques têtes de gondole médiatiques, c'est qu'ils appartenaient à une époque où les êtres n'avaient pas encore été entièrement façonnés par l'écran-roi : le livre pour d'Ormesson, la salle de concert pour Johnny. Mais Johnny n'avait plus envie d'avoir envie. Tandis qu'on croit entendre la voix fluette de « Jean d'O s'égosiller » : « Mourir en même temps que Johnny, mais c'est épatant ! »  

    Éric Zemmour

    A lire dans Lafautearousseau ...

    La France est une nation littéraire

  • Fresque musicale • Jésus De Nazareth A Jérusalem

     

    Par Bruno Stéphane-Chambon

     

    On peut ne pas apprécier les spectacles dits Comédies Musicales, les prouesses des vidéos sur toile de fond ou tulle en avant-scène et illuminations hollywoodiennes, on peut aussi ne pas être séduit par les vocalises modernes chantées par le biais de micros et amplificateurs bruyants, enfin on peut rester dubitatif sur ce type de spectacle où la technique audio-visuelle prend le pas sur l’authenticité du théâtre dans son art pur. Et pourtant si ces différents artifices sont traités avec discernement, goût et au service de la plus belle Histoire du Monde, on pourra se rendre au Palais des Sports pour assister à la Fresque Musicale de JESUS de Nazareth à Jérusalem. 

    Certes la vulgarisation des textes sacrés pour les rendre accessibles peut être sujet à caution, mais le respect de l’essence du message y est intact. Aucune inexactitude si ce n’est le parallèle entre la trahison de Juda et de Saint Pierre, et une tendance à confondre l’amour charnel et la rédemption de Marie-Madeleine. Afin d’éviter l’outrance et la représentation de la cruauté la plus absolue, le tableau de la crucifixion est illustré en plan fixe. La résurrection, elle, est évoquée par le récit des disciples.

    L’ensemble de ce spectacle est fort honorable, avec en point d’orgue, l’évocation du Chemin de Croix qui s’effectue au milieu du public. Un acte de foi profane certes, mais animé par une mise en scène et un Livret de Christophe Barratier, qui au cinéma, nous avait livré l’émouvant film des Choristes et soutenu par une musique de Pascal Obispo toute en intensité.

    Ce spectacle est remarquablement interprété par des artistes aux talents multiples avec entre autres la voix d’Anne Sila, bouleversante dans le rôle de Marie, qui souligne sa féminité au travers de sa maternité miraculeuse, la personnalité et la présence de Solal dans celui de l’ambigu Ponce Pilate. Quant à Marie-Madeleine, incarnée par Crys Nammour, et Mike Messy (Michael El Massih) transfiguré en Jésus Christ, au-delà de leur immense talent, il est à rappeler qu’ils sont tous deux Libanais. La tragédie du Pays du Cèdre rejoint l’histoire Christique.

    A la fin de la représentation, c’est l’ovation d’un public debout. Public de familles, de très nombreux jeunes, de frères humains qui viennent d’Afrique et des Antilles, d’handicapés accompagnés par des Bonnes Sœurs, de croyants et d’athées qui soudainement voient poindre la lumière.

    L’universalité en Jésus.   

    Le Dôme de Paris – Palais des Sports. Porte de Versailles dans le 15ᵉ arrondissement de Paris.

    Adresse : 34 Boulevard Victor, 75015 Paris

    Téléphone : 08 25 03 80 39 - 01 49 97 51 91 - 01 48 28 40 10

    Horaires des représentations

    Mardi, Jeudi, Vendredi : 20h00, Samedi : 15h00 et 21h00 – à partir du 16 décembre séance à 15h00 et 20h00, Dimanche : 15h00

    Relâche : 20, 21, 22, 23 novembre

    Du 24 novembre au 24 décembre séances uniquement sur les vendredi-samedi et dimanche

    Les séances sont à 20h00 les samedis à partir du 16 décembre

    Du 26 au 31 décembre séance à 20h00 : mardi-mercredi-jeudi-vendredi-samedi

    Matinée à 15h00 le mercredi-samedi-dimanche

    Places : 25€ - 79€

    JESUS sera en 2018 au :

    Zenith Nantes Metropole, Zac D’ar Mor, St Herblain

    Le Dome 48, Av St Just, Marseille 04

    Zenith Toulouse Metropole 11, Avenue Raymond Badiou, Toulouse

    Galaxie Parc de Coulanges, Amneville 57360

    Zenith de Dijon Rue de Colchide, Dijon

    Zenith Sud Domaine de Grammont, Montpellier

    Zenith Arena 1 Bld des Cités Unies, Lille

    Zenith de Forest National – Avenue Victor Rousseaulaan 208, Bruxelles

    Bruno Stéphane-Chambon

  • Cinéma • Tous les rêves du monde

     

    Par Guilhem de Tarlé 

    Tous les rêves du monde, un film de Laurence Ferreira Barbosa, avec Pamela Constantion-Ramos 

    Non on ne rêve pas en contemplant Pamela. C’est plutôt Claudia qui retient davantage mon attention.

    Je m'interroge à vrai dire sur ces rêves, sauf à imaginer un endormissement bien légitime des spectateurs dans la salle.  Pour une fois ce ne fut pas mon cas, même si  mon épouse aurait pu « ne pas voir » ce film. Personnellement j'ai éprouvé un certain plaisir devant ce joli documentaire sur l'immigration portugaise en France. Joli par cette famille bien assimilée, devenue française de cœur tout en restant attachée à ses racines dans lesquelles elle va se ressourcer au moins une fois l'an. Joli aussi par ces paysages arides du Portugal et cette vie bucolique qui n'existe plus ici. Joli enfin par cette fête patronale au village et sa procession religieuse à faire hurler La Libre Pensée et autres laïcistes qui veulent en France interdire les crèches, démolir les croix, supprimer les saints du calendrier, paganiser les jours fériés et faire taire les cloches.

    Deux tributs ont été payés à la police de la pensée à savoir l'IVG d'une jeune fille, et aussi, modestement, une pique contre Salazar dont le nom est cité brièvement, un « minimum syndical » que peu de spectateurs ont dû remarquer, et que j’ai prise au vol parce que j’attendais depuis le début une charge contre ce « dictateur maurrassien et catholique »… Cela n’a même pas été dit... Tout se perd !    

  • MAIS OÙ VA-T-IL ?

    11 novembre. Macron - Clemenceau : de l'art de s'approprier l'Histoire

     

    PAR HILAIRE DE CRÉMIERS

     

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    Sauf imprévu, il est à craindre que Macron ne s'isole dans un rêve prétendument politique qui n'a plus rien à voir avec la politique.

    Emmanuel Macron caresse son imagination. Il y met sa volupté. Sua cuique voluptas. Son rêve était de faire de la politique et la politique n'est pour lui rien d'autre que la réalisation de son rêve. C'est ainsi qu'il la conçoit. Rien pour l'instant n'ar­rête le rêve macronien. Autour de lui, pas d'obstacle, des serviteurs zélés ou insignifiants.

    Les adversaires se disputent, s'entretuent, se perdent dans les luttes picrocholines si chères à l'esprit partisan. Pour l'heure aucune réaction nationale n'est pour lui à redouter ; non pas qu'elle n'existe pas dans une partie de l'opinion française, mais tout est fait - et depuis longtemps - pour réduire à néant ses velléités d'expression politique. La machine à broyer ne cesse pas de remplir son office. Ainsi Macron était-il sûr de gagner l'élection présidentielle. Comme il se croit aujourd'hui sûr de l’avenir..., ce qui, en revanche, est moins assuré. Les réalités du monde viennent à sa rencontre ou plutôt il va les heurter ; la confrontation comporte des risques pour lui. Il ne peut sortir du rêve qu'à son détriment. Pour paraphraser Mitterrand et, au-delà, le Cardinal de Retz, c'est son ambiguïté à lui. Il croit posséder son rêve, mais c'est son rêve qui le possède. Il doit le poursuivre dans la recherche continuelle de sa consistance en espé­rant trouver la même facilité et le même bonheur qu'à ses débuts. Ne faut-il pas que le peuple français marche sur ses pas ? N'est-il pas forcé de s'assurer la maîtrise du calendrier politique et électoral sur lequel il travaille et fait travailler ?

    Il sait ramasser les mises. Mais ramasser les mises ne suffit pas. Que faire ? Où aller ? Mieux gérer les fonds pu­blics ? Est-ce si certain ? Les derniers budgets de la nation et de la Sécurité sociale montrent les limites de l'exercice : c'est toujours et encore chercher des recettes dans les poches des honnêtes gens pour combler les facilités du laxisme. Les déficits ne diminuent pas - ou si peu - et la dette continue à s'alourdir inexorablement et maintenant dangereusement : les chiffres, eux, ne mentent pas.

    Macron, dit-on, redonne du lustre à la fonction prési­dentielle, ce qui n'est pas très difficile après ses prédéces­seurs ; mais il y a beaucoup d'esbroufe et d'inconscience dans son comportement. Visiblement il ne sait pas commander ; il n'a jamais obéi. Il fâchera les gens. Il a le prestige de la mise en scène ; il n'a pas l'autorité de la vraie compétence. Sa parole ne crée rien ; elle se fait plaisir a elle-même ; elle n’a pas d'efficacité dans l'ordre des choses malgré toutes ses prétentions à l'efficience. Beaucoup de mots, de semblants d'idées ne font pas un redressement politique et économique, sinon en ima­gination. « Son progressisme » affiché n'est que flatus vocis.

    Macron pense pareillement se pousser sur la scène internationale en jouant des coudes. Il y a une ridicule enflure qui se dégage de ses attitudes et qui gêne. Il est faiseur de leçons, encore pire que son prédécesseur ; il distribue des points ; ses appréciations sont toutes marquées par la même idéologie républicaine d'une grotesque simplicité qui sépare le monde en bons et en méchants. Ses propositions stratosphériques de recom­position de l'Europe et du monde ne tiennent aucun compte de la vérité des choses de la terre. Il ne voit pas que l'Europe et le monde changent. De sorte qu'il ne cesse d'être surpris par l'actualité à laquelle il répond par à-coups saccadés, comme dernièrement au Moyen-Orient. Dans ses visions, rien n'est jamais prévu de ce qui se passe vraiment.

    Il se plaint, dit-on, de ses collaborateurs qui l'as­saillent de fiches insanes, inutiles, verbeuses ; mais c'est à son image et à l'image de notre République qui ne fonctionne que dans la vanité des carrières et la frivolité des opinions.

    La question est donc de savoir où « le marcheur Macron » emmène la France. Personne ne le sait et lui vraisemblablement moins que personne : de vastes considérations qui affectent des allures philosophiques ne font pas un but. Ni des jugements péremptoires n'indiquent une direction.

    DE FAUSSES IDÉES

    Ce garçon, pour qui l'écoute et l'étudie attentivement est sans profondeur d'esprit, sans grandeur d'âme, sans épaisseur de caractère. Intelligent, doué incontestablement, il lui a manqué une formation ; il est privé d’une doctrine juste et vraie. Il n'a pas de repère pour s'orienter dans les difficultés du monde ; il n'a à son usage que le baratin de la post-modernité qui ne lui donne aucune maîtrise ni des événements ni des évolutions du monde.

    Tout son art consiste à masquer par l'apparence de la fermeté sa fragilité existentielle, par la brillance de sa parole sa vacuité essentielle. Rien que la manière de reprendre à son compte tous les « tics » des vulgaires usages qui nous viennent du monde anglo-saxon et qui encombrent notre vieil univers civilisé, ces « celles et ceux », ces « toutes et tous » qui se veulent de la galan­terie et qui ne sont que de la goujaterie, manifestent une méconnaissance grave de notre génie national ; toutes ces manies sont d'un ridicule achevé. Il est constam­ment dans la faute de goût. S'imaginer que la France devient « moderne » en se complaisant dans les théories absurdes « du genre », en avalisant toutes les sottises pseudo-scientifiques qui envahissent les boniments des journalistes et des faiseurs d'opinion, révèle une médio­crité d'esprit inquiétante. Il ne saura résister à rien, ni à la PMA, ni à la GPA, ni à tout ce qui s'en suivra. Le ralliement de Juppé est un signe qui ne trompe pas.

    Il n'a, pour ainsi dire, rien retenu des leçons de Paul Ricoeur qu'il a, pourtant, fréquenté. Il ne s'est approprié que l'importance de la symbolique pour la tourner à son avantage, sans même en percevoir le sens essentielle­ment religieux et la portée eschatologique. Sa philoso­phie est de quatre sous, sa phénoménologie narcissique.

    En fait il a ramassé ses idées en se frottant de culture au gré de sa scolarité et de ses accointances ; il a assimilé la vulgate et la dogmatique de Science-Po et de l'ENA. Rien au-delà. D'où cette impression qu'il récite toujours des cours. Comme Hollande ! Il est entré avec aisance dans les milieux financiers - et pas n'importe lesquels - dont il a épousé les intérêts, les manières, les conceptions. Il est leur homme. D'où ce regard froid qui juge de haut, sans complaisance, qui acquiesce ou qui rejette, qui ne connaît que le rapport à l'argent, à la réussite, à l'utile, à ces fameuses « masses critiques » selon le jargon, celles qui justifient la décision économique et la détermination financière. Il ignore - et cette ignorance est un mépris - le petit, le faible, l'insignifiant dans le domaine de la quan­tité, de la valeur marchande, l'histoire, la géographie, le milieu humain, la force de la tradition, le respect du passé, l'engagement moral, le souci de la vérité. D'où ses tromperies et ses astuces sur le patrimoine, sur l'écologie, sur les territoires. Pour lui, ce qui compte, c'est d'être ga­gnant. Notre président est un Rastignac qui ne se conten­tera pas de la France : il vise l'Europe ; il l'a suffisamment fait entendre. Il est prêt à sacrifier les intérêts français à sa divinité. Ainsi, a-t-il déjà annoncé qu'il renoncerait unilatéralement et spontanément au Commissaire français pour mieux avancer dans l'intégration fédérale.

    Le 11 novembre n'a mérité d'être célébré par lui que comme une leçon de philosophie et d'éthique républi­caines. Ce n'est plus la célébration de la lutte et de la vic­toire d'un peuple français qui voulait rester français sur une terre française et à jamais française ; c'est la victoire dont ne sait quel Droit désincarné, quelle Démocratie universelle dont la France - ou plutôt la république française - aurait été l'héroïne. D'où l'idée de ne plus je­ter de lumière jusqu'au 11 novembre 2018 que sur le seul Clemenceau, ce qui évite de parler des militaires et ce qui permet d'insister sur la manière dont les gouvernements républicains ont récupéré à leur profit cette si coûteuse et noble victoire. Tout Français quelque peu cultivé sait en quelle paix stupide ces gouvernements incapables ont transformé cette victoire pour aboutir vingt après au plus grand désastre de notre histoire. Macron qui se croit no­vateur, n'est que notre Briand d'aujourd'hui. Il est encore des Français pour savoir ce que ce nom signifie.

    Les mêmes néfastes idées produiront les mêmes ef­fets. Les discours pacifistes et européistes de Macron prêt à abandonner tous les intérêts français ne satisfont qu'aux exigences d'un rêve égotique. Ni l'Europe ni le monde n'obéiront à Macron. Il ne fera qu'affaiblir, désarmer et détruire un peu plus la France.  ■ 

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  • En 2017, le taux réel du chômage en France n’est pas de 10 %, mais d’au minimum 20 % !

     

    Par Marc Rousset 

     

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    En France, il y a cinq catégories de personnes à Pôle emploi :

    les chômeurs de la catégorie A, des demandeurs d’emploi sans aucune activité ;
     les chômeurs de la catégorie B, des personnes exerçant une activité réduite courte de 78 h ou moins dans le mois ;
     les chômeurs de la catégorie C, des personnes en activité réduite longue (plus de 78 h dans le mois) ;
     les personnes de la catégorie D, des personnes sans emploi et non immédiatement disponibles car en formation, stage, contrat de sécurisation professionnelle, maladie ;
     les personnes de la catégorie E, des personnes non tenues de chercher un emploi car, par exemple, créations d’entreprises ou contrats aidés.

    Fin octobre 2017, selon Pôle emploi, le nombre de demandeurs d’emploi (y compris les départements d’outre-mer) s’élevait à 3.742.000 personnes pour la catégorie A. Si l’on ajoute simplement les catégories A, B et C, ce nombre s’établit déjà à 5.923.200 personnes !

    La population active, selon l’INSEE, en âge de travailler étant de 28,4 millions de personnes, cela donne déjà un taux de chômage minimum de 20 %, soit le double du taux annoncé et généralement retenu par les Français de 10 %.

    Mais la situation est bien plus dramatique, car incorporer les 6,9 millions de fonctionnaires et agents publics dans la population concernée par le chômage minimise le taux réel du chômage. En effet, les fonctionnaires évitent le risque du chômage puisque le statut de fonctionnaire procure un emploi à vie. Ce serait comme si on rapportait le taux de cancer du sein à la population hommes et femmes. Si l’on exclut le nombre de fonctionnaires et d’agents publics, le taux réel de chômage du secteur privé salarié en France, sans même tenir compte des personnes catégories D et E, peut donc être estimé à 28 %. Et ne parlons pas du rôle d’éponge à chômeurs que joue, en France, une fonction publique pléthorique, notamment avec l’explosion des embauches dans les collectivités territoriales ces dernières années. Si l’on retire, enfin, les indépendants et professions libérales qui n’ont pas droit au chômage, on se retrouve même avec un taux de chômage du secteur privé salarié atteignant 30 % de la population active. 

    Bref, un salarié sur trois du secteur privé serait aujourd’hui effectivement au chômage.

    Il importe, aussi, d’être conscient du « chômage camouflé », ce qu’ont toujours compris la plupart des gouvernements, et tout particulièrement ceux de François Hollande, qui consiste à faire passer des chômeurs de catégorie A dans les catégories D et E (stages, formations, contrats aidés). 

    Enfin, si l’on tient compte des auto-entrepreneurs, du grand nombre de précaires tels que les bénéficiaires du Revenu de solidarité active (RSA), de l’allocation adulte handicapé (AAH), des bénéficiaires de certaines allocations qui dépassent un certain seuil (pensions alimentaires) non inscrits à Pôle emploi, on prend encore mieux conscience du très grand nombre de personnes inactives sans que ces personnes dans un état précaire, handicapé ou inoccupé soient des chômeurs pour autant.

    Il nous parait donc possible d’affirmer que le taux de chômage réel en France n’est pas de 10 % mais d’au minimum 20 % !

    Or, ce déni sur les chiffres du chômage explique que certains économistes, relayés par exemple par Jean-Pierre Robin dans sa dernière chronique du Figaro du 28 novembre, ne comprennent pas pourquoi l’inflation ne repart pas. Pour eux, la courbe de Phillips, qui voudrait que l’inflation reprenne avec la diminution du chômage, ne joue plus. Elle se serait par miracle soudainement et bizarrement aplatie ! En fait, la courbe de Phillips est toujours bien là, inchangée dans sa forme courbée jouant parfaitement son rôle explicatif car le taux de chômage à regarder sur l’axe des abscisses est 20 % et non pas le taux de chômage officiel annoncé de 4,7 % aux États-Unis, de 10 % en France.

    Enfin, si 42 % des chefs d’entreprise ont, dans certains secteurs, des difficultés à embaucher, ce n’est pas parce que le taux de chômage est bas, mais parce qu’il manque du personnel qualifié et compétent pour les technologies anciennes et nouvelles. En Allemagne, sur le million d’immigrés entrés par effraction, suite à la trahison de madame Merkel, un très faible pourcentage seulement a trouvé un emploi effectif, car ils sont inadaptés aux emplois proposés.   

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    Économiste

    Ancien haut dirigeant d'entreprise

  • Le libéralisme est-il un totalitarisme ?

     

    Par Elie Collin

    Cette intéressante réflexion est parue sur le site de l'excellente revue Limite -  revue de combat culturel et politique, d’inspiration chrétienne - que nous ne voudrions pas manquer de signaler aux lecteurs de Lafautearousseau. Cette revue nous paraît contribuer utilement au combat politique et culturel en cours parmi les intellectuels français, dans une direction qui est, au sens noble, celle de la Tradition. En outre la revue indique qu'« en sa qualité de lycéen, Elie est le cadet de [ses] contributeurs... mais n'en est pas moins talentueux. » On le lira avec d'autant plus d'empathie.  LFAR 

    Le libéralisme qui avait promis de libérer l’individu semble, en fait, ne rien faire d’autre que de le soumettre toujours davantage à la logique du marché. Cette promesse mensongère tout comme son ambition de créer un homme nouveau, adapté à ses exigences, soulignent sa proximité avec la logique totalitaire.

    Probablement y a-t-il plusieurs types de libéralisme. Par exemple, Jean-Claude Michéa, philosophe et historien des idées, établit un développement de la pensée libérale en trois étapes, trois « vagues », correspondant à trois expériences historiques douloureuses sur lesquelles se sont interrogés les philosophes libéraux : les guerres de religion pour les premiers libéraux, la Révolution française pour Constant et Tocqueville, les totalitarismes nazi et communiste pour Hayek et Friedman. Il est alors intéressant de constater que ce développement historique est surtout un déploiement idéologique : les penseurs successifs tirent progressivement les conclusions des axiomes des précédents et approfondissent la logique de départ. Étudier le libéralisme tel qu’il est aujourd’hui, c’est donc essentiellement se reporter aux derniers développements de cette logique, en l’occurrence ceux du philosophe autrichien Friedrich Hayek (1899-1992). Le libéralisme tel que l’a conçu Hayek, non ex nihilo mais en héritant d’une longue tradition, n’est sans doute pas le seul possible, mais il est celui qui a le plus influencé notre époque.

    L’exemple le plus significatif de cette influence est l’étude de sa pensée qu’a menée Michel Foucault à partir de la fin des années 1970, alors que le libéralisme économique connaissait un regain d’intérêt intellectuel. Foucault pense une rupture entre le libéralisme classique et le néolibéralisme, rupture qui semble en réalité plus un déploiement logique et une radicalisation du libéralisme classique qu’une refondation théorique complète. Le plus petit dénominateur commun des deux libéralismes est la volonté de réduire l’État. Mais, alors que le libéralisme d’un Locke combattait l’État, institué, au nom d’un ordre antépolitique et naturel et d’une loi divine, le libéralisme de Hayek oppose à l’État l’ordre du marché et la loi économique. Le néolibéralisme pose que le marché est la seule instance régulatrice de la société ou que, dit avec les termes de Hayek dans Droit, législation et liberté, « c’est l’ordre du marché qui rend possible la conciliation pacifique des projets divergents ». Ainsi le néolibéralisme prétend-t-il résoudre le problème politique… par sa dilution.

    Foucault remarque que l’ennemi principal du néolibéralisme est la philosophie politique traditionnelle en tant qu’elle cherche le commun. Mais les néolibéraux refusent justement la recherche de commun et se refusent à ce qui leur paraît « limiter la multiplicité des modes d’existence pour produire de l’ordre, de l’unité, du collectif », ainsi que l’écrit le philosophe foulcadien, Geoffroy de Lagasnerie dans La dernière leçon de Michel Foucault. Ce dernier met en évidence une opposition centrale dans la pensée hayekienne, celle entre conservatisme et néolibéralisme : le premier se caractérise par une « prédilection pour l’autorité » et une « hantise du spontané », quand le second prône le désordre, l’immanence, le pluralisme et l’hétérogénéité. « Le néolibéralisme impose l’image d’un monde par essence désorganisé, d’un monde sans centre, sans unité, sans cohérence, sans sens », affirme Lagasnerie dans son explicitation de la pensée de Foucault. Radicalisant le slogan plaintif des libéraux « On gouverne toujours trop », Foucault demande malicieusement : « Pourquoi gouverner ? ». Il n’est dès lors pas étonnant qu’il voit dans le néolibéralisme de Hayek l’instrument d’une critique, en tant qu’il est « l’art de n’être pas tellement gouverné ». L’intérêt de Foucault pour ce système de pensée nouveau doit se comprendre dans la rupture qu’il induit avec la philosophie politique, en ce sens qu’il crée « des instruments critiques extrêmement puissants, permettant de disqualifier le modèle du droit, de la Loi, du Contrat, de la Volonté générale ». Foucault étudie ensuite les théories de l’homo oeconomicus, « être ingouvernable », en remplacement du sujet de droit, de l’homo juridicus, lequel est « un homme qui accepte la négativité, la transcendance, la limitation, l’obéissance ». En somme, Foucault trouve dans le néolibéralisme, qu’il comprend comme une théorie de la pluralité, un outil redoutable contre le politique.

    Il apparaît que le néolibéralisme peut en fin de compte être assimilé à un anarchisme, si on entend par ce terme un refus – et un combat – de tout pouvoir politique. Mais il n’est pas un refus de toute norme, une littérale an-archie, en ce qu’il est soumission au marché. On peut même aller jusqu’à affirmer, avec le philosophe contemporain Jean Vioulac, que le libéralisme est un totalitarisme.

    Il est vrai qu’historiquement, comme nous le soulignons en début d’article, le libéralisme hayekien est apparu comme alternative aux totalitarisme nazi, fasciste et communiste. Le fascisme italien revendiqua même ce terme de totalitarisme et le théoricien fasciste Giovani Gentile pouvait souligner l’écart entre libéralisme et totalitarisme : « Le libéralisme met l’État au service de l’individu ; le fascisme réaffirme l’État comme la véritable réalité de l’individu. […] Dans ce sens, le fascisme est totalitaire. » Mais une telle acception de la notion de totalitarisme semble trop étriquée et ne permet pas de rendre compte de la diversité de ses formes. Tâchons avec Jean Vioulac, auteur de La Logique totalitaire, de penser l’essence du totalitarisme.

    Philosophiquement, le concept de totalitarisme désigne « le pouvoir de la Totalité ». « Il y a totalitarisme quand une Idée à prétention universelle dispose d’une puissance totale lui permettant de se produire elle-même par l’intégration en elle de toute particularité », écrit le philosophe. Le libéralisme est-il une idéologie totalisante capable de s’auto-réaliser ? Pour Hayek, le marché est un ordre certes non-naturel, mais auto-généré, autonome, dit « spontané », « résultat de l’action d’hommes nombreux mais pas le résultat d’un dessein humain ». Même s’il n’est pas élaboré par la raison, le marché est rationnel, mais d’une rationalité immanente, résultat d’une évolution, d’une sélection des pratiques efficientes et rationnelles, c’est-à-dire de la concurrence. Vioulac peut écrire : « la doctrine du marché procède d’une conception de l’évolution humaine comme avènement du marché universel, par le biais d’un processus inconscient et involontaire de la part des individus ». Alors que la philosophie de l’Histoire hégélienne se basait sur une théorie de la ruse de la raison historique, celle de Hayek pense l’Histoire comme avènement du marché, fondé sur une « ruse de la raison économique ». Mais alors, il n’y a plus de liberté individuelle, mais seulement une apparence de liberté. L’individu se croit libre mais n’est qu’indépendant des autres, parce déterminé et soumis aux mécanismes du marché. Le libéralisme est une idéologie de la soumission, non de la liberté. D’ailleurs, Hayek note effectivement dans La Route de la servitude : « C’est la soumission de l’homme aux forces impersonnelles du marché qui, dans le passé, a rendu possible le développement d’une civilisation qui sans cela n’aurait pu se développer ; c’est par cette soumission quotidienne que nous contribuons à construire quelque chose qui est plus grand que nous pouvons le comprendre. » Ce système est « un totalitarisme volontaire, un totalitarisme autogéré, où chacun se soumet à la Totalité avec d’autant plus d’enthousiasme qu’il est persuadé de ne servir que ses propres intérêts ».

    Il est logique que le néolibéralisme s’attaque au pouvoir politique, lequel ne peut qu’entraver les mécanismes marchands. Mais il n’est pas un laissez-faire passif pour autant : il est d’abord un transfert de souveraineté de l’État au marché, en cours de réalisation sous la forme des politiques de privatisation et de libéralisation. Plus profondément et dès 1938, Walter Lippmann écrit que le libéralisme est « une logique de réajustement social rendue nécessaire par la révolution industrielle ». Le but ultime de l’action néolibérale est ici explicite : créer un homme nouveau, un homo œconomicus, parfaitement adapté au marché. Pour ce faire, et Vioulac l’expose méthodiquement, les instruments sont nombreux, de la publicité au « pouvoir de la Norme » (Michel Foucault) en passant par la libération des pulsions sexuelles, savamment étudiée par Dany-Robert Dufour dans La Cité perverse. Le néolibéralisme « soumet chaque individu à la discipline managériale qui lui impose l’entreprise comme modèle de réalisation d’un soi préalablement défini comme producteur-consommateur », continue Vioulac. « Il contribue ainsi à l’institution du marché comme Totalité et s’emploie à détruire tout ce qui viendrait entraver sa puissance de totalisation ».

    On finira sur un fragment posthume de 1880 de Nietzsche que Vioulac met en exergue au début de son chapitre sur le totalitarisme capitaliste qui résume ce nouveau type d’aliénation, dénoncé sans relâche, dans des styles différents, par des Pasolini ou des Michéa : « La grande tâche de l’esprit mercantile est d’enraciner chez les gens incapables d’élévation une passion qui leur offre de vastes buts et un emploi rationnel de leur journée, mais qui les épuise en même temps, si bien qu’elle nivelle toutes les différences individuelles et protège de l’esprit comme d’un dérèglement. Il façonne une nouvelle espèce d’hommes qui ont la même signification que les esclaves de l’Antiquité. »  

    Elie Collin

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