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Actualité Monde - Page 104

  • Immigration : « De 2007 à 2016, le nombre d'admis au séjour a augmenté de près d'un tiers »

     

    Une analyse de Michèle Tribalat   - comme toujours pertinente et documentée. 

    Michèle Tribalat revient ici sur le chiffre de 200.000 entrées d'étrangers par an, brandi systématiquement dans le débat public. Derrière cette apparente stabilité se cache une envolée de l'immigration sous le quinquennat Hollande [Figarovox, 18.04].  Croit-on qu'un éventuel quinquennat Macron freinera la tendance ? Alors que la France n'a pas seulement besoin que l'expansion de l'immigration soit ralentie. Elle a besoin qu'elle soit stoppée et que soit organisé un mouvement inverse de retour de l'immigration vers ses terres d'origine.   LFAR  

     

    AVT_Michele-Tribalat_3638.jpgLe chiffre de 200 000 entrées d'étrangers en provenance des pays tiers est devenu une référence dans les discours politiques et parfois aussi dans les discours académiques. On invoque une stabilité de ce chiffre depuis le début des années 2000, l'immigration aurait ainsi tourné, dit-on, autour de 200 000 depuis. L'alternance politique n'y aurait rien changé. Bref, ce chiffre rond a du succès.

    Si l'on prend les statistiques du ministère de l'Intérieur qui produit tous les ans des tableaux sur les admissions au séjour des étrangers en provenance des pays tiers, on ne constate pas cette stabilité invoquée autour de 200 000 entrées par an. Ces statistiques portent sur les premiers titres de séjour délivrés. Force est de constater que le nombre d'entrées jusqu'en 2016 ne peut être qualifié de « stable ».

    De 2007 à 2016, le nombre d'admissions au séjour a augmenté de près d'un tiers. Si l'indicateur conjoncturel de fécondité passait de 2 enfants par femme à 2,64 enfants en neuf ans, parlerait-on de stabilité de la fécondité en France?

    Comme le graphique ci-dessous l'indique, le flux a augmenté fortement jusqu'en 2010 et a été nettement freiné ensuite. Tel est le bilan du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Avec le quinquennat de François Hollande le flux a repris de plus belle. On avait 172 000 entrées en 2007, on en a eu 193 000 en 2012, puis 228 000 en 2016 (chiffre estimé).

    Évolution des admissions au séjour des étrangers en provenance de pays tiers de 2007 à 2016 (base 1=2007) Source: Ministère de l'Intérieur
    Évolution des admissions au séjour des étrangers en provenance de pays tiers de 2007 à 2016 (base 1=2007) Source: Ministère de l'Intérieur

     

    Ceux qui tiennent à se fonder sur ces chiffres pour qualifier l'effet des politiques migratoires des deux quinquennats doivent avoir l'honnêteté minimale de présenter leur évolution réelle au fil de ces deux quinquennats.

    D'ailleurs, si l'on regarde comment a évolué la proportion d'immigrés en France métropolitaine au fil des enquêtes annuelles de recensement, on retrouve un résultat similaire, même si l'année 2016 manque encore. La proportion de population immigrée s'est accrue en moyenne annuelle de 1,15 % de 2007 à 2012, mais de 1,85 % de 2012 à 2015. Elle était de 8,35 % en 2007, de 8,84 en 2012, mais de 9,34 % en 2015.

    Au lieu d'aller répétant les mêmes bêtises à longueur d'antenne (et parfois de livres), revenons aux chiffres provenant de sources on ne peut plus officielles : Ministère de l'Intérieur et Insee. 

    Michèle Tribalat

    Michèle Tribalat a mené des recherches sur les questions de l'immigration en France, entendue au sens large, et aux problèmes liés à l'intégration et à l'assimilation des immigrés et de leurs enfants. Son dernier Statistiques ethniques une querelle bien française est paru aux éditions du Toucan.

  • Société • Nous sommes tous des migrants

     

    Par Edouard de Saint Blimont.

     

    Qu’on n’imagine surtout pas que j’invite le lecteur à rejoindre la foule inepte de ceux qui réclament à corps et à cris que nous ouvrions toujours plus nos frontières, nos villes et bientôt nos maisons aux errants qui déferlent sur l’Europe, parce que nous devrions secourir indistinctement tous ces êtres humains, au motif qu’ils partagent avec nous la même humanité.

    Je ne partage pas non plus le point de vue orwellien de François qui m’enjoint à retirer de mon vocabulaire le mot de « clandestins », au motif que certains mots, alors même qu’ils désignent trop précisément la réalité, doivent pour cela même ne plus être utilisés !

    Mais c’est quand même d’une autre manière que nous sommes des migrants, que nous connaissons la migration perpétuelle : nous sommes en permanence appelés à changer de « lieu », nous sommes perpétuellement dans la situation instable de ceux qui n’ont plus d’ancrage, qui vivent dans l’angoisse de ne plus savoir de quoi demain sera fait et qui se disent qu’ils pourraient même tomber de Charybde en Scylla.

    Nous sommes tous des migrants : je ne l’ai jamais ressenti aussi fortement que depuis qu’il nous est donné à nouveau de traverser les tempêtes électorales qui nous déposeront demain sur l’on ne sait quel rivage. Arriverons-nous sur l’île des lotophages avec Emmanuel Macron pour prendre le lotus, ce fruit si doux qu’il fait oublier aux étrangers leur patrie ? A moins que nous n’échouions sur l’île des Cyclopes en compagnie de Mélenchon pour y connaître le destin que l’on sait.  Les sondeurs s’en donnent à qui mieux mieux pour agiter le spectre de toutes les résolutions possibles, nourrissant encore, si c’était nécessaire, l’angoisse chez celui qui sait que par son vote seul, il ne contrariera pas les mouvements de fond.

    Nous sommes en principe habitués au jeu électoral ; la remise en cause permanente du destin politique d’une nation, d’une patrie, n’est-elle pas inhérente à la démocratie ? Dans Le pouvoir sur scènes, l’anthropologue Georges Balandier affirme même qu’en démocratie, le citoyen retrouve un certain sens de l’aventure : n’avons-nous pas là l’occasion d’introduire un peu plus de passion dans notre existence ? Mais si nous nous aventurons dans ce domaine, force est de constater que ce milieu est infiniment mouvant, la géographie des « îles » politiques qui émergent du fond de cet océan en perpétuel mouvement n’a pas encore de figure nette. Mais nous redoutons le pire.

     Et pour cause : la philosophie qui inspire ces nouveaux mondes -ou devrais-je dire de ces nouveaux monstres ? - procède de la remise en cause perpétuelle des théories qui leur donnait jusqu’ici des traits repérables. Interrogée par Figarovox (11.04.2017) voici comment Chantal Mouffe, philosophe belge, marraine de Podemos et véritable inspiratrice de la démarche de Mélenchon, considère sa propre démarche philosophique :

    « Je suis opposée à la philosophie normative. Les philosophes politiques ont tendance à faire de grandes élaborations pour expliquer comment le monde devrait être sans tenir compte du contexte. Pour ma part, j'essaie au contraire de fonder mes théories sur la réalité de l'époque. »

    Il ne s’agit plus de s’en tenir à une certaine vision de l’homme mais d’enregistrer les grandes « migrations » intellectuelles de notre temps, qu’elle définit comme la « réalité de l’époque ».

    Et la réalité de l’époque, pour elle, ce sont les mouvements sociaux qui se sont développés depuis Mai 68 : le féminisme, le mouvement écologiste, les luttes antiracistes, la lutte pour la reconnaissance des homosexuels. Ce sont des mouvements comme ceux-là, qui n’ont cessé de déstabiliser nos sociétés occidentales, auxquels Chantal Mouffe et à sa suite Jean-Luc Mélenchon, veulent reconnaître une spécificité dans la constitution d’un populisme de Gauche.

    Quel nouveau monde va naître, et quelle sera notre vie demain, si ces mouvements acquièrent, au sein d’un parti, au sein d’un gouvernement, une pleine et entière légitimité ? Une chose est sûre : ainsi se dessine peu à peu, sous nos yeux horrifiés, un monde dans les traits duquel nous ne saurons plus reconnaître nos légitimes aspirations de pères, d’époux, d’êtres humains cherchant à protéger l’ordre de la civilisation, soucieux de retrouver un ordre fondé sur les principes sains d’une philosophie qui s’emploie à reconnaître la nature et l’homme comme il est, sortant des mains de son Créateur. Mais qui nous rappellera la géographie d’un monde habitable ? Dans ce monde qui dérive, qui nous indiquera le point d’ancrage qui nous fait perpétuellement défaut ?

    Nous espérions jusqu’ici que ce point d’ancrage, l’autorité intellectuelle la plus haute, celle du Pape, la fournirait aux chrétiens que nous voudrions continuer à être. Mais un article savant du Professeur Giovanni Turco, reproduit dans le Courrier de Rome de novembre 2016, nous oblige à déchanter. Nous ne pouvons pas, dans le cadre de cet article, entrer dans toutes les subtilités philosophiques de l’éminent professeur italien. Nous pouvons cependant dégager quelques axes forts, assez peu faits pour nous rassurer :

    Le pape considère-t-il encore que la Vérité divine, révélée par Dieu, transcende nos pauvres réalités humaines et qu’elle est comme telle une référence absolue, un point d’ancrage pour l’humanité ? Le professeur Turco rappelle ce propos du pape Bergoglio : « je ne parlerais pas, même pour les croyants, de vérité ‟absolue” dans le sens où ce qui est absolu est ce qui est détaché, ce qui est dépourvu de toute relation. Or la vérité, selon la foi chrétienne, c’est l’amour de Dieu pour nous en Jésus-Christ. Donc la vérité est une relation ! C’est si vrai que chacun de nous la saisit, la vérité, et l’exprime à partir de soi : de son histoire et de sa culture, de la situation dans laquelle il vit, etc. Cela […] signifie qu’elle se donne à nous toujours et seulement comme un chemin et une vie. »

    Cela doit-il nous étonner ? Le pape l’avait déjà déclaré dans Amoris Laetitia :

    « La Parole de Dieu ne se montre pas comme une séquence des thèses abstraites, mais comme une compagne de voyage »

    Nous y sommes : pour le pape, la Parole divine a une dimension elle aussi « migratoire ».

    Le professeur Turco montre d’ailleurs que la vision que le pape a du Saint Esprit présente une parfaite congruence avec le reste :

    « L’action même du Saint-Esprit serait qualifiable non par le contenu (ce qu’Il accomplit), mais par l’opérativité, ou mieux par la modalité opérative : « bouleverser », « remuer », « faire cheminer », étant donné qu’il y aurait en Lui de la « fantaisie » et de la « nouveauté ». Il s’agirait d’une activité non qualifiée par sa fin, mais par son devenir. En effet dans de telles actions il n’y a pas trace de finalité : on peut « remuer » pour le bien ou pour le mal, une « nouveauté » peut être fructueuse ou néfaste, on peut « cheminer » vers le meilleur ou vers le pire, de même qu’une « fantaisie » peut être innocente ou nocive. Autrement, tout « bouleversement », comme toute « nouveauté », serait nécessairement un bien. Ce qui est contredit par l’expérience la plus commune et par toute réflexion authentique. »

    Le professeur n’a aucune peine à nous montrer que nous sommes sortis d’un contexte philosophique où l’on considère que la vérité est définie à partir d’une adéquation entre l’intelligence et le réel, comme Saint Thomas le postule, à un contexte proprement moderniste, défini par le philosophe Maurice Blondel où la Vérité (si ce mot signifie encore quelque chose) est l’adéquation de l’intelligence et de la vie. Ce qui permet, conclut Turco, d’attribuer au jugement de conscience, et non plus à la Vérité, un caractère absolu.

    Nous sommes entrés dans un monde où s’impose comme vraie la situation concrète, où le « ce qui est comme ça », pour reprendre l’expression qu’utilise le Professeur Turco, a le dernier mot. Nous ne sommes donc toujours pas sortis de la réalité « migratoire », j’oserais même dire que nous y sommes en plein : une parole, « compagne de voyage », pour un cheminement, inspiré par un Saint Esprit fantaisiste…qui nous appelle au bouleversement…dans un moment où nous sommes menacés par le pire bouleversement de notre histoire ? Il n’y a décidément plus un domaine où nous ne soyons des migrants.

    Ulysse, je pense à vous, ballotté d’une île à l’autre, empêché pendant plus de dix ans de regagner votre patrie. Mais je pense à vous aussi car vous nous montriez le chemin. Car c’est la mentalité d’Ulysse que nous devrions aspirer à retrouver, tous tant que nous sommes. Ulysse ne se trompe jamais pour identifier où sont les barbares : ces derniers ne sont pas mangeurs de pain et le vin, ils ne le connaissent pas. Il sait ce qui caractérise le civilisé, notamment son respect des dieux. Il se garde de toutes les aventures sentimentales qui réintroduisent l’être dans l’aventure migratoire : Circé lui offre l’oubli dans les aventures de la chair, il le refuse. Il refuse la divinité, l’immortalité que lui offre Calypso… prélude déjà de l’aventure transhumaniste. Ulysse c’est l’homme ancré : son fils Télémaque s’inquiète de lui, sa femme, Pénélope, lui est restée fidèle, les retrouvailles avec sa mère aux Enfers et son père au palais, complètent l’image d’un bon fils. C’est aussi un bon roi que ses sujets veulent retrouver, comme le porcher Eumée.

    Quel Ulysse aura demain le cran, le courage, et pour tout dire le génie de nous ancrer sur le socle qui nous préserve de devenir des migrants perpétuels ? 

  • Trump, un nouveau Bush ?

     

    Par Antoine de Lacoste

     

    antoine_de_lacoste.pngPour la première fois depuis le début de la guerre en Syrie, l'armée américaine a frappé l'armée syrienne.

    Cinquante-neuf missiles Tomahawk ont été tirés depuis plusieurs navires américains stationnés en Méditerranée, tout près des navires russes. L'objectif visé, et maladroitement atteint, a été la base aérienne d'Al-Chaayrat, au sud de Homs, d'où seraient partis les avions responsables du bombardement chimique de la ville de Khan Cheikhoun.

    Dans la précipitation et l'émotion, devant les images d'enfants agonisants diffusées par les combattants islamistes et notamment les fameux casques blancs, Donald Trump a ordonné de faire le contraire de ce qu'il a prôné pendant toute sa campagne électorale : intervenir en Syrie.

    C'est le même homme qui, sur un ton martial et définitif, annonçait "la fin des aventures extérieures" et félicitait Obama de ne pas avoir suivi les Européens, François Hollande en tête, dans leur souhait de bombarder la Syrie après l'attaque au gaz sarin, jamais éclaircie, de La Ghouta en août 2013.

    On reste confondu par un revirement aussi rapide et imprévisible. Finis les appréciations positives sur Poutine, le pragmatisme sur la situation au Proche-Orient et le refus de se comporter comme ses prédécesseurs dont les interventions en Libye et en Irak n'ont engendré que le chaos.

    Du reste les premiers à féliciter Trump ont été Israël et Hillary Clinton. Tout un symbole.

    Au-delà du caractère sanguin du personnage et de son émotion face "aux magnifiques bébés morts" (combien de pays peut-il attaquer avec des raisonnements aussi puissants ?), il faut tout de même s'interroger sur le processus de décision qui a conduit à cette agression stupide, qui ne changera d'ailleurs rien au cours de la guerre.

    Dans un premier temps on peut se contenter d'une explication simple et rassurante : Trump veut montrer au monde qu'il n'est pas Obama, et que l'indécision ne sera pas sa marque de fabrique. Un raid terrestre américain a d'ailleurs eu lieu il y a peu au Yémen, ce qui avait donné le ton, malgré là-aussi un résultat militaire médiocre. En clair Poutine n'a qu'a bien se tenir, il trouvera à qui parler. Certes c'est tout à fait contraire au programme électoral du nouveau président mais celui-ci n'en est pas à une incohérence près.

    Cette explication est rassurante car elle implique que l'engagement en Syrie contre Bachar n'ira pas au-delà de ce bombardement symbolique, quoique fort coûteux : six morts syriens pour trente millions d'euros de missiles, ce n'est pas un ratio très brillant. D'autant que les missiles en question ont raté la piste d'atterrissage et que l'aviation syrienne a pris un malin plaisir à faire décoller un avion dès le lendemain.

    Une deuxième explication est possible et plus inquiétante : les hommes qui entourent Trump aujourd'hui ne sont pas du tout les mêmes que ceux qui l'ont accompagné vers la victoire.

    Exit les Bannon et autres Flynn qui avaient tant inquiété les occidentaux. Les pro-russes ne sont plus à la mode et ont laissé les places aux ténors de Goldman Sachs tel Gary Cohn et aux faucons rescapés de l'ère Bush.

    Le sénateur Mac Cain, l'homme qui rêve de faire du Proche-Orient un champ de ruines au profit d'Israël, s'est évidemment réjoui de l'attaque américaine et réclame maintenant d'aller plus loin et de livrer des armes aux rebelles. Lesquels, le Front al Nosra ou ceux qui sont à la solde des Turcs ?

    Plusieurs généraux bellicistes sont depuis peu très en cours à la Maison Blanche et semblent avoir eu une influence décisive sur la décision de Trump. La CIA elle-même fait de nouveau entendre sa voix, ce qui est particulièrement inquiétant compte tenu de son brillant palmarès : financement de Ben Laden, création de fausses preuves contre Sadam Hussein, livraison de missiles anti-chars aux islamistes contre l'armée de Bachar pour ne citer que ses principaux faits d'armes.

    Surtout, le gendre de Trump, Jared Kushner, militant sioniste convaincu, semble jouer un rôle de plus en plus important. Israël n'a pas renoncé à son objectif majeur de faire tomber Bachar et peut se frotter les mains du revirement spectaculaire de la politique américaine.

    Heureusement que tout cela n'arrive qu'après la chute d'Alep, tournant militaire de la guerre. De plus, les rebelles islamistes sont profondément divisés et affaiblis et on ne voit pas comment ils pourraient l'emporter même en cas d'aide clandestine massive de la CIA.

    Et puis il y a la Russie et l'Iran qui n'accepteront pas que l'Amérique détruise la Syrie comme elle a détruit l'Irak.

    Mais tout de même, Trump n'aura pas mis longtemps à rentrer dans le rang. 

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  • Syrie : Débats dans les « commentaires », les analyses d'Antiquus et Richard Portier

    Une image parmi d'autres sur l'action des forces syriennes, telles que l'agence SANA les diffuse ... 

     

    823330531.jpgLes articles et vidéos que nous avons publiés dès après les frappes américaines en Syrie [Eric Zemmour et Mathieu Slama], ont suscité des commentaires fort intéressants dans les colonnes de Lafautearousseau. Antiquus partage en quelque sorte la perplexité initiale de Zemmour. Lequel, depuis lors, considère que « Trump a dynamité sa propre campagne électorale ». Mathieu Slama est sur cette même ligne. Richard Portier propose une analyse subtile, en apparence divergente. Tandis que l'article d'Antoine de Lacoste que nous avons mis en ligne ce matin, toujours très documenté, conclut que Donald Trump est rentré dans le rang. Est-ce un point de vue définitif ? Probablement. Les mois à venir nous le diront.  LFAR

     

    Antiquus - Le 11.04.2017

    C'est effectivement une affaire bizarre.

    D'abord, il faut se poser la question de savoir si le bombardement au sarin a bien été le fait de l'armée syrienne. Bachar avait en effet donné sa parole à Poutine qu'il n'avait plus un gramme de ce gaz neurotoxique. S'il en avait conservé, Poutine perdrait la face. On ne voit pas très bien l'intérêt de chacun. La lecture des infos dans l'agence SANA, source unique du côté de Damas depuis la fermeture d’ « infosyrie « , SANA nous dit : « les USA n'ont tenu aucun compte de ce qui s'est réellement passé » . Autrement dit, il y a là un « coup tordu ». Qui peut avoir fait une opération aussi bien montée, aussi cynique aussi (car il y a 67 morts) ? Je ne répondrai pas à la question, mais un simple regard sur les services secrets à l'œuvre permet d'envisager une hypothèse que je préfère garder pour moi. Un autre élément doit attirer notre attention. Il s'agit d'une base aérienne qui a été bombardée par l'USAF. Or ce bombardement de 70 missiles tomahawk a fait … 6 morts, et apparemment aucun avion ni hélico détruit, seulement des bâtiments et hangars. Ce qui laisserait penser que cette action militaire américaine aurait « fuité » comme par hasard. Enfin, côté Trump, cette « frappe » (j'utilise le mot dans son sens journalistique, pas d'équivoque) a des effets intérieurs aux Etats- Unis très positifs : elle désarme les ennemis et fait plaisir au lobby pro-israélien. Bref, un numéro d'illusionnistes.

    Richard Portier - Le 12.04.2017

    Trump s'est inscrit dans le cadre du consensus bien-pensant !

    L'actualité va trop vite et on voudrait répondre « à chaud » chaque jour, à tous les articles et commentaires très intéressants de LFAR. D’un autre coté, les réactions dans l'urgence ont aussi leurs inconvénients... Je suis de moins en moins perplexe face à la réaction de Trump en Syrie. Elle a deux ordres de causes qui, réunies, l’éclairent à mon sens très bien. L'une de politique intérieure et l'autre de politique étrangère. Je ne comprends par contre pas bien la perplexité de Zemmour qui a bien vu que Trump avait pris ses adversaires (La « médiacratie vociférante » attachée à ses basques) à contre-pied et n'en tire pas la conclusion qui s'impose : pour la première fois depuis son élection, Trump s'est inscrit dans le cadre du consensus bien-pensant ! Domenach, un de ses représentants français, en étant réduit, pour ne pas l'approuver, à invoquer la grotesque « stratégie de l'homme fou ».

    L'électorat de Trump était globalement d’accord, par lassitude et souci d'économie avec l'idée d'un relatif désengagement du guêpier syrien. Mais l'intervention armée lui a parue juste moralement (Les Américains croient dur comme fer qu'ils sont les garants du Bien dans le Monde...) et Trump a bien pris soin de lui donner un caractère punitif ,mais limité : je n'ai pas vu les enquêtes d'opinion US sur la question mais je suis sûr que l'approbation a été massive, à l'évidence...

    Par ailleurs il est également évident que Trump a envoyé un message clair à Poutine (Et a contré au passage les accusations de connivence avec lui de ses adversaires).

    Poutine pousse ses pions dans le monde musulman : réunion des pays sunnites au Kazakhstan, confluence d'intérêt avec l'Iran chiite et avec la Turquie, percée au Maroc etc.... Il est incontestable que l'année écoulée a vu le retour de la Russie au premier plan de la politique mondiale. Même si Trump a paru admettre le fait que le monde était devenu multipolaire, il est trop un patriote américain pour accepter que les USA ne soient qu'un des partenaires autour du grand échiquier mondial : « America First » a un double sens. Le rôle d'un Président US est de défendre la prospérité américaine, mais aussi son leadership mondial (Et accessoirement de montrer au peuple qu'il le fait ...) Il me semble que l'intervention US en Syrie a rempli tous ces objectifs...

    […] La politique internationale comme nationale est brutale,cruelle, et ne connait que les rapports de force, et Poutine était en train de trop monter en puissance, ou en tout cas d'y prétendre... (Plutôt du poker que des échecs, si on y pense....).Tout en prenant à contre-pied ses adversaires intérieurs et de la bien-pensance internationale, Trump a montré les crocs à un rival pour le remettre à son rang .On voit ça tous les jours dans les documentaires animaliers. Donc Trump qui est un bien étrange personnage à notre point de vue « vieux-continental »  ,mais au fond un américain bien normal, n'est ni le fou ni l'idiot qu'on nous présentait mais un bon tacticien. L'incertitude demeure sur ce que sera vraiment son (mandat). Pour le moment avantage à lui sur ses adversaires. 

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  • Syrie : Zemmour estime que « Trump a dynamité sa propre campagne électorale »

     

    Pour Eric Zemmour, le président américain est « soumis au diktat émotionnel et compassionnel de ces photos d’enfants morts qu’on arbore à chaque fois qu’on veut manipuler l’opinion. » On n'est pas forcément d'accord sur cette interprétation univoque comme l'ont montré certains commentaires intéressants reçus sur Lafautearousseau [D'Antiquus et Richard Portier, notamment]. Sans-doute faudra-t-il attendre quelques temps pour avoir une vue plus claire des choses. Sur le revirement inattendu de Donald Trump, nous publierons incessamment une analyse d'Antoine de Lacoste. Mais d'ores et déjà, il y a lieu d'être inquiets pour la paix et la tranquillité du monde. Les nôtres, en particulier.  LFAR 

     

     

    Le résumé RTL de ce billet ...

    Le président Trump frappe la Syrie, se brouille avec la Russie mais est aimable avec son homologue chinois. Une politique qui tranche avec sa campagne électorale. Pour Éric Zemmour, signature RTL, "en quelques jours, le président américain a dynamité sa propre campagne électorale." 

    Selon lui, Donald Trump "a agi comme aurait agi Hillary Clinton, qui l’a d’ailleurs félicité. Le candidat de 'l’Amérique d’abord' a rejoué au gendarme du monde", juge l'auteur du Suicide français avant de poursuivre : "Le républicain iconoclaste a remis les bottes de Bush junior et des néo-conservateurs. Le pourfendeur des médias s’est soumis au diktat émotionnel et compassionnel de ces photos d’enfants morts qu’on arbore à chaque fois qu’on veut manipuler l’opinion". Pour conclure que le président des États-Unis devrait "se méfier du baiser qui tue". 

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  • Mathieu Slama : en Syrie, pour la première fois, Trump a trahi ses promesses de campagne

     

    Analyse par Mathieu Slama         

    En décidant de frapper la Syrie, Donald Trump semble avoir renoué avec un interventionnisme qu'il condamnait pourtant pendant sa campagne. Mathieu Slama expose [Figarovox, 10.04] comment le président américain retombe dans les mauvais travers d'un Occident qui prétend imposer ses valeurs dans le monde entier. On pourra lire [cf. liens en fin d'article] d'autres analyses de Mathieu Slama sur des sujets voisins, nous ayant amenés à signaler l'importance de ses travaux.  Lafautearousseau 

     

    3724_2016-06-22_16-49-56_Slama .jpg - Copie.pngPour la première fois depuis son intronisation, Trump a trahi ses promesses de campagne. Les échecs successifs du « muslim ban » et de la réforme de l'Obamacare étaient le fait des juges et du Congrès et non d'une quelconque trahison de ses électeurs. En revanche, son attaque soudaine visant des bases militaires syriennes est le résultat de sa propre volonté. Voici comment Trump a conclu sa déclaration après l'attaque : « Nous espérons que tant que l'Amérique se dressera en défense de la justice, la paix et l'harmonie finiront par prévaloir ». Conclusion qui succédait à un appel à toutes les « nations civilisées » à s'unir contre Assad.

    Pendant sa campagne présidentielle, Trump avait pourtant tenu une toute autre ligne. Son diagnostic tranchait de façon radicale avec la ligne des néoconservateurs ainsi qu'avec celle de l'administration Obama : « Tout a commencé avec cette idée dangereuse selon laquelle nous pouvions convertir à la démocratie libérale des pays qui n'ont ni l'expérience ni l'intérêt de devenir une démocratie libérale ». Les guerres d'ingérence, la volonté d'imposer son système de valeurs (la démocratie libérale) par la force, l'universalisme belliqueux des néoconservateurs: Trump promettait d'en finir avec une philosophie non seulement dangereuse mais aussi profondément discutable du point de vue moral et philosophique. Sur le plan politique, Trump réveillait l'espoir d'un rapprochement possible (et ô combien souhaitable) avec la Russie et de la naissance d'un monde réellement multipolaire.

    En quelques jours, ces espoirs se sont effondrés - au moins provisoirement. Et on assiste, circonspects, au retour de ce concept clef de la pensée libérale et néoconservatrice, la « guerre juste ».

    Le grand juriste allemand Carl Schmitt a longuement médité cette question dans plusieurs ouvrages majeurs, dont Le nomos de la Terre (1950). Conciliant le commentaire de grands poètes grecs comme Pindare et Homère avec des réflexions juridiques et historiques d'une grande érudition, Schmitt examine dans cet ouvrage l'évolution du droit public européen et l'émergence d'une nouvelle conception de la guerre qui n'a plus rien à voir avec le sens qu'on lui prêtait auparavant. Alors que la notion chrétienne de « guerre juste » (telle que l'a développée le théologien espagnol Francisco de Vitoria) reconnaissait à l'adversaire sa respectabilité et son statut, il en va tout autrement de l'acception moderne du terme, selon Schmitt. « Dans la conception moderne et discriminatoire de la guerre, la distinction entre la justice et l'injustice de la guerre sert précisément à traiter l'ennemi non plus en justus hostis [ennemi respectable] mais en délinquant criminel. » Schmitt précise sa pensée un peu plus loin: « Si la guerre devient d'un côté une action punitive au sens du droit criminel moderne, l'adversaire de l'autre côté ne peut plus être un justus hostis. L'action menée contre lui n'est donc pas davantage une guerre que ne l'est l'action de la police étatique contre un gangster (…). La guerre est abolie, mais seulement parce que les ennemis ne se reconnaissent plus mutuellement comme égaux sur le plan moral et juridique.».

    Ce que dit Carl Schmitt ici résume, de façon prophétique, toutes les guerres d'ingérence menées par l'Amérique et l'Occident depuis des décennies. Schmitt a préfiguré, dès 1950, le concept d' « Etat voyou » né sous la présidence Reagan dans les années 80 et qui connaîtra son heure de gloire sous l'administration Bush, en particulier aux lendemains des attentats du World Trade Center de 2001.

    Il ne s'agit pas ici de défendre le président Assad qui, manifestement, fait lui-même peu de cas des règles de droit international et même du droit de la guerre. Il s'agit de remettre en cause l'action unilatérale et non-concertée du président Trump qui retombe dans les mauvais travers d'une Amérique « gendarme du monde » qui déstabilise des régions entières au nom des droits-de-l'homme et d'une conception purement occidentale de la liberté..

    Beaucoup d'observateurs, y compris aux Etats-Unis, semblent estimer que l'action de Trump n'était qu'un coup de semonce, une manière d'affirmer son autorité et de se démarquer de l'attentisme de son prédécesseur face à une situation similaire en 2013. Il s'agit là d'une hypothèse rassurante, quoique fragile. Il a fallu Vladimir Poutine pour rappeler à Trump cette vérité essentielle : la Syrie est un Etat souverain. A cet égard, on ne peut chercher à trouver une solution politique favorable au peuple syrien en considérant son chef actuel, aussi détestable soit-il, comme un criminel à éliminer, dans un conflit où tous les belligérants ont du sang sur les mains. Ajoutons que ce ne sont pas aux pays occidentaux de décider du régime politique qui sied au peuple syrien. C'est à ce dernier qu'il revient de décider de son propre destin, et c'est à l'ONU qu'il revient de reprendre en main ce dossier et de fixer les conditions de possibilité d'une solution politique à cette crise.

    Dans un ouvrage antérieur au Nomos de la Terre (La notion de politique, 1932), Schmitt explorait déjà cette difficulté essentielle de la guerre menée au nom de l'humanité : « Le concept d'humanité est un instrument idéologique particulièrement utile aux expansions impérialistes, et sous sa forme éthique et humanitaire, il est un véhicule spécifique de l'impérialisme économique. On peut appliquer à ce cas, avec la modification qui s'impose, le mot de Proudhon : ‘Qui dit humanité veut tromper'». Aucune action ne sera légitime tant qu'elle sera menée unilatéralement par des pays occidentaux qui brandissent leurs valeurs comme des vérités universelles - ce qu'elles ne sont nullement.   

    Mathieu Slama        

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    Syrie : Perplexité après les frappes U.S. Retour au « monde d'avant » ?

  • La bataille de Damas n'est pas terminée

    Daraya, au sud-ouest de Damas

     

    Par Antoine de Lacoste

     

    antoine_de_lacoste.pngDepuis le début du conflit syrien, une large partie de la banlieue de Damas est occupée par différentes factions islamistes. Les loyalistes ne sont jamais parvenus à les en déloger hormis à Daraya, au sud-ouest de la capitale. C'est en effet la seule localité où des moyens conséquents ont été déployés pour vaincre la rébellion.

    Pourquoi à Daraya et pas ailleurs ? Parce qu'elle se trouve au sud-ouest et qu'elle était la seule. Toutes les autres villes aux mains des islamistes se situent à l'est. Il était donc logique de s'attaquer sérieusement à cette verrue d'autant qu'elle se situait à proximité de la route menant au Liban, axe stratégique, ainsi qu'à la grande station d'eau potable alimentant Damas.

    La reprise de Daraya a tout de même duré plusieurs mois et s'est soldée par la toute première négociation entre l'armée et les islamistes, sous l'égide des Russes. Plusieurs centaines de combattants islamistes ont cessé le combat et ont été autorisés à conserver leurs armes. Ils ont ensuite été acheminés avec leurs familles en car jusqu'à la province d'Idlib, occupée par de nombreuses factions islamistes. Ils ont depuis été rejoints par les vaincus de la grande et décisive bataille d'Alep.

    Cette dernière ayant monopolisé le gros de l'armée syrienne et de ses alliées chiites, un certain statu quo prévalait à Damas et sa banlieue jusqu'à la semaine dernière.

    Mais l'histoire s'est brutalement accélérée. L'armée syrienne a mis la pression, sans véritablement attaquer, sur la ville de Qaboun située au nord-est de la capitale. C'était en effet une cible intéressante car isolée; mais surtout cet isolement avait entraîné de la part des islamistes la construction de nombreux tunnels permettant son ravitaillement depuis leurs places fortes de la Ghouta,Saqba, Irbine et Jobar, toutes situées à l'ouest de Damas.

    La prise de Qaboun aurait permis à l'armée d'accéder au réseau des tunnels ce  qui représentait un danger mortel pour la rébellion.

    Les islamistes ont alors osé une stratégie particulièrement audacieuse : tout en envoyant des combattants vers Qaboun pour rompre son encerclement, ils ont dans le même temps directement attaqué le centre de Damas pour essayer d'atteindre la prestigieuse place des Abbassides, celle-là même qui est restée tout au long de la guerre le centre de la vie des Damascènes.

    Fort heureusement, l'armée ne s'est pas laissée surprendre malgré plusieurs attaques suicides parfaitement organisées par le Front Fatah al Cham (le nouveau nom du Front al Nosra) et les islamistes ont été repoussés vers Jobar, leur principale place forte.

    L'aviation russe n'est pas intervenue et cette fois c'est bien l'armée syrienne qui a assumé l'organisation des opérations bien aidée toutefois par les hommes du Hezbollah libanais.

    Aujourd'hui, l'éradication de ces bastions islamistes aux portes de Damas est une nécessité absolue pour les Syriens. Mais ce sera long et difficile d'autant que les Russes sont militairement nettement moins actifs en Syrie depuis la reprise d'Alep et privilégient pour l'instant les discussions avec les Turcs, les Américains et les Iraniens. 

  • Syrie : Perplexité après les frappes U.S. Retour au « monde d'avant » ?

    Illustration : Action française Provence 

     

    DÉBAT - Éric Zemmour et Nicolas Domenach reviennent sur la réponse des États-Unis après l'attaque chimique imputée au régime syrien [RTL 7.04].

    On ne sera pas étonné si nous disons que c'est dans les réflexions d'Eric Zemmour que nous trouvons les vraies réponses.  LFAR 

     

     

    Version RTL du débat ...

    Quelques heures après les mots, Donald Trump est passé aux actes. Jeudi 6 avril, les États-Unis ont envoyé 59 missiles sur la base syrienne, en réponse à l'attaque chimique perpétrée par le régime, à l'origine de la mort d'au moins 86 personnes, dont 27 enfants. La veille, le Président américain avait dénoncé "un affront pour l'humanité", tout en affirmant que sa position "sur la Syrie et Assad avait beaucoup changé". Mais rien ne laissait présager une riposte aussi rapide. Du côté de la Russie, alliée de Bachar al-Assad, on condamne ces frappes, qui auraient fait 6 victimes, selon l'armée syrienne. Vladimir Poutine a dénoncé une "agression" contre la Syrie, "en violation des normes du droit international, (se fondant) sur des prétextes inventés". 

    "Avec Donald Trump il y a deux lectures", estime Nicolas Domenach. "Soit vous pensez qu'il rend le monde encore plus dangereux, ou alors vous évoquez la "stratégie de l'homme fou", un terme qu'avait employé Kissinger à propos de Nixon pendant la guerre du Vietnam. Il disait que la violence imprévisible de Nixon était une garantie de paix, parce qu'il imposait le respect aux autres, mais aussi la peur, la peur de l'apocalypse", raconte l'éditorialiste. 

    Pour Éric Zemmour, cette stratégie s'applique également au dictateur syrien. "Je ne comprends pas pourquoi Assad a fait cela, il n'a aucun intérêt. Il était en train d'être reconnu par les Américains. L'explication pourrait être qu'il veuille en imposer par son hyper violence pour être irrévocable, mais la stratégie est bizarre", poursuit-il. 

    La stratégie américaine "prend tout le monde à contre-emploi"

    Cette intervention des États-Unis en Syrie, "elle prend à contre-emploi tout le monde", continue Éric Zemmour. "Moi qui était plutôt favorable à Donald Trump et à son idéologie non-interventionniste, je suis pris à contre-pied, et les gens qui sont contre lui au nom des droits de l'Homme sont pris eux aussi à contre-pied puisqu'il fait exactement ce que Barack Obama n'a pas osé faire. C'est un moment étrange qui défie les analyses".

    Les deux éditorialistes sont ensuite revenus sur le rôle de la communauté internationale. "Elle n'existe pas", tranche Éric Zemmour. "Il y a des nations qui défendent leurs intérêts, et on a inventé un mythe qui a pour nom la communauté internationale". Si Nicolas Domenach reconnaît qu'elle "est trop souvent impuissante", il estime de son côté qu'il "va se passer quelque chose". "Ils se réunissent, ils parlent, ils peuvent agir, je pense que ça va bouger", conclut-il.  

     

  • La reprise de Palmyre

    « Concert organisé par les Russes dans le même amphithéâtre qui vit la mise en scène macabre des islamistes. Le plus grand orchestre de Moscou y joua Chostakovitch »  

     

    Par Antoine de Lacoste

                  

    antoine_de_lacoste.pngPour la deuxième fois en moins d'un an, l'armée syrienne a repris Palmyre.

    Conquise par l'Etat islamique en mai 2015, la perle du désert avait été reprise une première fois en mars 2016 par les troupes loyalistes aidées de l'aviation et des forces spéciales russes.

    Dans l'intervalle, des dizaines de soldats et de civils avaient été égorgés dans les ruines majestueuses de l'amphithéâtre romain. Parmi eux, Khaled el-Assad, 82 ans, responsable des antiquités de Palmyre depuis quarante ans. Une sommité mondiale qui avait refusé de quitter les lieux. De plus, deux temples, parmi les plus beaux au monde, avaient été détruits par des charges explosives.

    La reconquête de mars 2016 avait laissé beaucoup d'espoir : Daech ne reviendrait jamais et la restauration du site allait pouvoir être étudiée.

    Pour parachever ce succès, les Russes organisèrent un concert dans le même amphithéâtre qui vit la mise en scène macabre des islamistes. Le plus grand orchestre de Moscou y joua Chostakovitch et l'Unesco remercia la Russie pour son action décisive. La France, tout à son soutien des islamistes « modérés » et sa condamnation purement idéologique de l'intervention russe, fut un des seuls pays occidentaux à garder un silence hostile.

    Mais Palmyre n'est pas Damas : son intérêt stratégique est nul et sa position isolée en plein désert, à quelques dizaines de kilomètres de Raqua, capitale de l'Etat islamique, en fait une proie facile. Pour la protéger efficacement, il aurait fallu laisser sur place des milliers d'hommes aguerris, prêts à résister à une offensive éclair des islamistes.

    Cette éventualité n'était pas possible alors que l'armée syrienne souffre cruellement de manques d'effectifs. Surtout, la grande bataille d'Alep allait commencer. Son issue allait décider du sort de la guerre et, bien évidemment, ni les Russes ni les Syriens n'ont envisagé de laisser dans l'inaction des effectifs importants dans une garde statique en plein désert.

    Daech n'étant pas concerné par la bataille d'Alep où d'autres factions islamistes étaient opposées aux troupes loyalistes, il a n'a pas laissé passer l'occasion de lancer une offensive massive en décembre dernier et de bousculer les maigres effectifs syriens laissés sur place.

    Ces derniers n'ont que peu résisté et certains d'entre eux, après leur capture, ont connu le sort qui attend ceux qui ont le malheur de tomber entre les mains des barbares de l'Etat islamique.

    Symboliquement, les islamistes ont détruit la façade de l'amphithéâtre romain où avait eu lieu le concert ainsi que le tétrapyle construit en 270 après Jésus-Christ où seules quatre des seize colonnes sont encore debout.

    Ils comptaient d'ailleurs cette fois tout détruire mais la rapidité de l'offensive syrienne les en a empêchés. En revanche, ils n'ont pas manqué l'occasion d'incendier le site gazier de Hayan, situé à quelques kilomètres de là.

    Le Général russe Sergueï Roudskoï a donc tenu parole. Après la chute de Palmyre en décembre dernier, il avait affirmé la reconquérir d'ici quelques semaines. Mais la situation reste fragile : les chars de Daech (pris à l'armée syrienne dans les premiers mois de la guerre) ne sont qu'à quelques kilomètres et une contre-offensive est toujours possible.

    Un point très positif doit toutefois être souligné : l'essentiel de l'effort au sol a, cette fois, été accompli par l'armée syrienne et non par les forces spéciales russes. C'est une unité d'élite, récemment formée par les Russes, qui a notamment repris la centrale électrique de Palmyre, début de l'offensive victorieuse. Cette unité, qui s'est baptisée « les tueurs de Daech », est la première du genre. D'autres suivront certainement et cela augure bien de la suite du conflit pour, enfin, vaincre les islamistes. 

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  • DÉFENSE : D'INQUIÉTANTES NOMINATIONS

     

    PAR MATHIEU ÉPINAY

    Il se passe des choses très inquiétantes à Washington », écrivait, fin janvier, Dominique Merchet de L'Opinion où il tient le blog « Secret Défense » encore assez lu dans les Armées.

    Dans une courte vidéo, avec la mine grave et le ton angoissé qui conviendraient à l'annonce d'une guerre nucléaire, Merchet nous alerte du pire. Trump a nommé Steve Bannon au conseil de sécurité nationale : un « idéologue d'extrême droite » dont « la qualification pour occuper le poste est égale à zéro ». C'est « comme si Sarkozy avait nommé Buisson au conseil national du renseignement », poursuit-il. Nous voilà rassurés.

    L'Opinion, de Nicolas Beytout, c'est Bernard Arnaud, les Bettancourt et « quelques autres mililardaires », indique Mediapart. La rumeur signale Pierre Bergé et Xavier Niel qui démentent. Quoi qu'il en soit, L'Opinion est bien de cette presse au service de « l'Argent » qui n'en finit plus de s'étrangler depuis l'élection de Trump.

    On lira ailleurs que Steve Bannon est un « idéologue très structuré » avec une « immense culture » et une capacité reconnue à « écouter, absorber et tirer des conclusions stratégiques ». Il dit de l'establishement : « Ces gens nous haïssent mais nous avons le peuple, c'est le pays légal contre le pays réel et moi je suis avec le pays réel ». À un responsable français : « Nous sommes à la fin des Lumières, vous avez lu Maurras ? » Steve Bannon a probablement lu L'avenir de l'intelligence...

    Un peu plus tôt, Merchet avait déjà perdu son sang-froid à l'occasion de la nomination du général Mattis au poste de secrétaire à la Défense. Sans nier les éminentes et incontestables qualités de cet ancien des Marines aux allures de général Patton, il n'avait pu s'empêcher de signaler « ses propos d'adjudant-chef qui ont toujours du succès dans les casernes, moins dans les cercles diplomatiques ». Les adjudants-chefs qui lisent Secret Défense apprécieront. Ce mépris des cadres de maîtrise militaires, dont les colonels savent bien le rôle primordial, est emblématique.

    Le général Flynn, ancien patron du renseignement, avait rallié Trump après avoir été mis à la retraite. Controversé dans l'armée, il se disait victime politique d'Obama. Sa nomination par Trump au conseil de sécurité a inquiété L'Opinion : « Un dingue », selon le général français que cite Merchet, ajoutant qu'il « n'est pas le plus brillant des intellectuels » et fustigeant ses « jugements sans nuances » sur l'Islam. Pire, Flynn est partisan d'un rapprochement avec la Russie. Une cible idéale pour l'establishment. Il a été contraint de démissionner.

    La CIA a des comptes à régler avec Trump qui s'en méfie au point de l'avoir sortie du conseil de sécurité nationale. Elle a livré au Washington Post un entretien téléphonique où Flynn, avant l'investiture de Trump, aurait rassuré l'ambassadeur russe sur l'expulsion de ses diplomates par Obama qui les accusait de cyber-attaques contre Clinton. Cet entretien est inutile, il n'apprend rien aux Russes ; d'un professionnel du renseignement qui devrait se douter qu'on l'écoute, c'est une faute, mais une aubaine pour ceux qui veulent gêner Trump sur le dossier russe. Autre faute de Flynn, il nie avoir tenu ces propos au vice-président Pence, mis ainsi en difficulté devant la presse. Merchet peut être rassuré, Flynn n'aura pas duré 3 semaines au conseil de sécurité nationale d'où Trump l'a viré.

    À Paris, tout cela donne des idées à Emmanuel Macron, candidat de l'Argent, qui s'invente une théorie du complot russe par cyber-attaques contre sa candidature. Mais attention monsieur Macron, malgré le zèle de la CIA, la ficelle, un peu grosse, n'a pas réussi à madame Clinton.

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  • Histoire & Monde • Vers une réhabilitation des Pahlavi ?

    L'impératrice Farah et Andy Warhol 

    Par Péroncel-Hugoz

    Près de 40 ans après la Révolution iranienne, notre confrère revient sur la politique d’ouverture culturelle de l’Iran jadis et essaie de décrypter des signes actuels de réouverture.

     

    peroncel-hugoz 2.jpgDes années avant que le mouvement des mollahs ne chasse d’Iran la dynastie nationale des Pahlavi, le roi Hassan II avait conseillé au chah Mohamed-Réza de ménager traditions et susceptibilités musulmanes dans sa vaste entreprise de modernisation de l’Empire perse islamisé. 

    Le monarque iranien, l’épée dans les reins tenue par des « progressistes » du monde entier, en fait des marxistes poussés par les Soviétiques, n’en continue pas moins sa fuite réformatrice  en avant, allant, au nom de sa « Révolution blanche » jusqu’à soumettre à la réforme agraire les immenses propriétés du clergé chiite iranien. Dès lors le chah ne sortirait plus que broyé, avec son régime modernisateur, de sa confrontation avec l’ayatollah Khomeiny, intraitable religieux originaire des Indes. 

    Occidentalisation ?

    Parmi les reproches adressés par les mollahs aux Pahlavi, figurait au premier rang leur « tentative d’occidentalisation du peuple musulman de l’Iran », et de citer «l es sommes fabuleuses données à l’impératrice Farah par le chah pour l’achat de tableaux impies en Occident ».

    En effet, Mohamed-Réza avait chargé son épouse de constituer une collection d’Etat d’œuvres d’art moderne du monde entier, Iran compris. La chahbanou avait été initiée à la culture universelle lors de ses études d’architecture à Paris, avant ses fiançailles inattendues avec le chahinchah, comme on disait alors.

    Au cours de la décennie 1970, en particulier, période qui devait se terminer par la Révolution islamique, ce fut, de la part de l’impératrice et de ses conseillers artistiques, une véritable frénésie d’achats. Je citerai en vrac Van Gogh, Picasso, Faridah Lachaï, Hopper, Magritte, Pollock, Bacon, Moore, Calder, Miro, Léger, Rouault, Derain, Monet, Ensor, Vuillard, Giacometti, Gauguin, etc., etc. Un ensemble unique dans les pays du Sud.

    Le président Rafsandjani

    Une collection estimée aujourd’hui à 2 ou 3 milliards d’euros et qui, après le départ forcé des Pahlahi en 1979 (pour un exil en Egypte puis au Maroc, enfin aux Amériques et en France), ne fut pas détruite mais cachée.

    Lorsque je fus reçu par le président Rafsandjani après la mort de Khomeiny, pour un entretien publié dans Le Monde, j’osai demander à ce haut dignitaire politico-religieux la faveur exceptionnelle de voir la fameuse collection. Non seulement cela me fut accordé mais en plus les autorités iraniennes me firent voir jusqu’aux appartements privés des Majestés impériales déchues, avec les uniformes du chah et les manteaux de l’impératrice laissés dans les penderies…

    De Boucher à Bacon

    Parmi les tableaux je notai un Boucher très nu, très coquin ayant appartenu, selon mon guide, à la mère du chah, alors exilée en Californie et aussi un Francis Bacon, de la collection d’Etat, figurant un homme nu se contorsionnant…  Si le Boucher n’a pas réapparu lors de la réouverture du Musée d’Art moderne de Téhéran, conçu jadis sur les instructions de Farah, en revanche, à ma grande surprise, j’ai pu voir sur internet que le nu de Bacon était bien actuellement montré aux Iraniens et aux étrangers à Téhéran. Il y a quelque chose de changé dans la République des mollahs et des pasdarans…

    La « collection Farah »

    Jusqu’où cela ira-t-il ? Jusqu’à une réhabilitation au moins culturelle des Pahlavi ? Pas tout de suite sans doute mais il y a des prémices sous nos yeux : des échanges provisoires d’œuvres d’art de la sulfureuse « collection Farah » ont lieu ou vont avoir lieu avec l’Allemagne, la France, etc.

    Un membre de la famille Khomeiny, qui avait rencontré un Pahlavi à l’étranger, a seulement été assigné à résidence à son retour au pays. Tout récemment, une manifestation royaliste en Iran, près du mausolée de Cyrus le Grand, empereur perse avant l’Islam, que les Pahlavi érigèrent en modèle, a été dispersée sans poigne excessive.

    Le portrait de la chahbanou qu’elle avait commandé à Andy Warhol n’est évidemment pas encore montré sur les cimaises téhéranaises… mais les portraits de Mao l’athée ou de Marilyn Monroe la scandaleuse ont, en revanche parait-il, été tirés du placard où ils étaient remisés depuis la Révolution et les Iraniens peuvent voir derechef ces exemples de l’« art décadent de l’Ouest »… Soit 60 œuvres des 300 du « Fonds Pahlavi ». 

    Attendons la suite. Une élection présidentielle aura lieu ce printemps en Iran. 

    Péroncel-Hugoz

    Repris du journal en ligne marocain le360 du 31.03.2017

  • Que de monde sur le front nord syrien !

    Antalya : Sommet russo-turco-américain sur la Syrie 

     

    Par Antoine de Lacoste

     

    antoine_de_lacoste.pngIl y a quelques semaines nous nous interrogions sur le fait de savoir qui entrerait le premier dans Al Bab entre l'armée turque et l'armée syrienne. Un compromis a été trouvé sous le contrôle de la Russie et ce sont donc les Turcs qui ont libéré cette ville de l'Etat islamique (non sans mal d'ailleurs malgré le peu de combattants islamistes restés sur place).

    L'armée syrienne a dû laisser faire à la demande de Moscou qui ne voulait surtout pas voir les deux armées s'affronter. En revanche, les Syriens se sont positionnés juste au sud de la ville, sur la route de Raqqa, capitale de Daech. Le but est d'empêcher l'armée turque de s'aventurer plus loin en Syrie, ce dont Damas ne veut évidemment pas. La situation est très tendue, d'autant que les Turcs sont accompagnés de rebelles syriens à leur solde. Damas enrage de voir ces islamistes devenus pro turcs par nécessité se pavaner dans les rue d'Al Bab sans pouvoir intervenir.

    Mais même si Erdogan exige des Russes de participer à la future bataille de Raqqa, prévue d'ici quelques semaines, son principal souci n'est pas là. En effet, on se rappelle que si l'entrée de l'armée turque en Syrie avait pour prétexte de lutter contre l'Etat islamique, en réalité ce sont surtout les Kurdes qui étaient visés. Ankara ne veut pas d'un territoire autonome kurde dans le nord de la Syrie et a donc installé son armée de la frontière à Al Bab, empêchant ainsi les deux territoires kurdes à l'est et à l'ouest de faire leur jonction.

    Le nouvel enjeu crucial pour Erdogan est la ville de Manbij, tenue par les Kurdes et qui se situe à quelques dizaines de kilomètres au nord-est d'Al Bab. Pour éviter un assaut turc qui semblait tenter le sultan d'Ankara, les Kurdes ont solennellement remis une vingtaine de villages à l'armée syrienne tout en conservant le contrôle de Manbij, principale ville de la région.

    Il est évident qu'Erdogan ne peut pas donner l'ordre d'attaquer frontalement l'armée syrienne au risque de voir les Russes intervenir directement.

    Mais au-delà de cet accord kurdo-syrien, qui marque tout de même une évolution intéressante, l'enjeu de Manbij permet aux Américains de revenir au premier plan.

    Actif soutien des Kurdes depuis le début du conflit, les Américains leur ont adjoint quelques milliers de rebelles syriens, soi-disant non islamistes, armés et entraînés par eux. Plusieurs dizaines de membres des forces spéciales américaines sont présents depuis des mois dans la région pour accomplir cette tâche. On dit aussi que quelques militaires français sont sur place...

    Sous leur contrôle, cette force kurdo-rebelles syriens, appelée FDS (Front Démocratique Syrien, on a le droit de sourire...), progresse au sud vers Raqua que Washington aimerait voir libérer par cette coalition à sa solde, empêchant ainsi Damas de reconquérir son territoire. Pour bien marquer leurs intentions, les Américains viennent d'envoyer 400 hommes supplémentaires à Manbij. Les choses avancent d'ailleurs assez rapidement et la route reliant Raqqa à Deir ez Zor a été coupée, isolant donc la capitale de l'Etat islamique.

    Bachar a qualifié ce renforcement des effectifs américains d'invasion (il est vrai que contrairement aux Russes, il ne leur a rien demandé) mais on se doute que Washington n'en a cure.

    Pour prévenir tout risque de dérapage, une réunion vient de se tenir à Antalya, en Turquie, réunissant de hauts gradés russes, turcs et américains. Parallèlement Erdogan et Poutine se sont rencontrés et nous verrons probablement dans les prochains jours ce qui a été décidé.

    La grande confusion qui règne sur ce front nord permet d'envisager toutes les hypothèses pour la suite des opérations.

    Une chose importante semble toutefois se dessiner, c'est que Trump s'intéresse davantage à la Syrie qu'Obama et, compte tenu des options américaines habituelles dans cette région, ce n'est pas forcément une bonne nouvelle. 

  • Printemps à Baden

    G20 à Baden-Baden - Lichtentaler Allee

     

     

    par Louis-Joseph Delanglade

     

     

    Moins de trente ans après la disparition de l’empire soviétique, ce qui reste du bloc occidental est peut-être en train d’imploser. Il aura suffi que M. Trump, par l’entremise de son représentant au dernier G20 réuni à Baden-Baden, s’oppose à ce que soient réitérées conjointement l’opposition à « toute forme de protectionnisme » et la sacro-sainte profession de foi libre-échangiste et multilatéraliste. M. Sapin, croyant peut-être faire un bon mot mais surtout assuré de ne pas participer au prochain G20, a parlé de « désaccords […] entre un pays et tous les autres » - feignant ainsi d’oublier que le « pays » en question reste quand même la première puissance mondiale, tout à fait capable d’imposer la plupart de ses vues. M. Sapin eût donc  été mieux inspiré de profiter de l’occasion pour en appeler à un commerce plus « juste », en l’occurrence un commerce dont les règles ne joueraient pas à sens unique en faveur de certains dont nous ne sommes pas.

     

    P170316-06-770x470.jpgSon pays non plus pour M. Trump qui rappelle que « les échanges internationaux sont un jeu à somme nulle dont les Etats-Unis ont été les grands perdants ». Le grand gagnant en Europe est l’Allemagne, les autres pays de l’Union étant bien incapables de faire autrement que de suivre, y compris à leur détriment. M. Perri, ancien journaliste devenu chef d’entreprise, répète volontiers que, tout étant affaire de bonne gestion, il est bien naturel que les excédents allemands ne cessent de s’accroître. Raisonnement d’économiste pour qui le facteur humain reste secondaire.

     

    Rappelons à M. Perri que la France n’est pas l’Allemagne et que les Français ne sont pas des Allemands : à chacun son tempérament et ses atouts. Il serait plus vrai de dire que l’U.E., parce qu’elle est historiquement et essentiellement fondée sur l’économie, le commerce, la monnaie, profite à une Allemagne laborieuse, tirée du néant après 1945 par les Etats-Unis qui en ont fait, notamment avec le dogme du libre-échange, leur plus fervent soutien et leur allié inconditionnel. On comprend bien, dès lors, pourquoi Mme Merkel affichait une mine si déconfite lors de son entretien à Washington avec M. Trump,  rencontre qualifiée de « glaciale » entre la femme de foi et l’entrepreneur pragmatique.

     

    Dans l’intérêt de la France, ni libre-échangisme ni protectionnisme ne devraient constituer une position de principe. C’est affaire de nécessité, d’opportunité et de choix politique. En l’état actuel, nul besoin d’être un grand spécialiste pour se convaincre que des pans entiers de notre tissu industriel et agricole ont été victimes d’une mondialisation sauvage dont il est impératif de nous protéger pour simplement continuer d’exister. Il n’est sans doute pas trop tard pour revitaliser les grands secteurs de notre économie, au prix bien évidemment de mesures protectrices susceptibles d’entraîner, pour un temps difficile à évaluer, une diminution conjuguée de nos importations et de nos exportations. Ce serait en tout cas profiter au mieux de la nouvelle donne économique voulue par les Etats-Unis de M. Trump. 

     

  • Google, ou la révolution transhumaniste via le Big Data

     

    Par Eric Delbecque           

    A l'occasion de la sortie du livre de Christine Kerdellant Dans la Google du loup, Éric Delbecque décrypte dans cette tribune [Figarovox, 13.03], le projet de « fusion » entre le vivant et le digital porté par le géant de l'informatique américain. Ne nous y trompons pas : l'entreprise est - volens nolens - une révolution anthropologique menée par ce qu'Eric Delbecque nomme à juste titre un capitalisme sauvage darwinien et froid qui pourrait se révéler terriblement destructeur.  LFAR 

    Christine Kerdellant a relevé un beau défi Dans la Google du loup (Plon)! Elle met le doigt là où Google pose véritablement problème, à savoir sur la révolution anthropologique du transhumanisme… Pour ce qui concerne sa participation à la société de surveillance globale que fabriquent un certain nombre d'acteurs publics et privés, l'affaire est entendue depuis des années… Sous l'administration Obama, les dirigeants de Google se rendirent à la Maison-Blanche 230 fois! Ils confirmèrent en 2013 que les agences gouvernementales de l'Oncle Sam les sollicitaient annuellement - dans le cadre du Patriot Act - pour surveiller 1000 à 2000 comptes. En janvier 2015, la firme vedette du Web a reconnu avoir fourni au Ministère de la Justice américain l'intégralité des comptes Google de trois membres de Wikileaks.

    Il paraît dès lors compliqué de penser qu'une idéologie sécuritaire explique à elle seule l'extension de l'ombre de Big Brother sur le monde. Les géants du numérique du secteur privé (les GAFA : Google, Amazon, Facebook, Apple) participent largement à la manœuvre, plus ou moins volontairement (pas pour des raisons politiques, mais économiques). Nous assistons à l'émergence d'une société de surveillance de masse dont l'État n'est pas le centre mais l'un des maillons. Sa stratégie en matière de renseignement doit se lire comme un fragment d'un système cybernétique (au sens de science du contrôle) beaucoup plus vaste, où le capitalisme financier californien et numérique occupe une place décisive. Séparer ce dernier du complexe militaro-sécuritaro-industriel de l'Oncle Sam devient de plus en plus difficile, voire hasardeux.

    L'intérêt plus décisif du livre de Christine Kerdellant est ailleurs. Il explore de manière très accessible et percutante le cœur du projet Google, ou plutôt sa signification philosophique profonde. Derrière les joyeux Geeks de la Silicon Valley s'exprime la volonté de réifier l'humanité, de l'enchaîner à une raison calculante. Cette dernière va nous émanciper nous répète-t-on, nous libérer - via le Big Data - des limites de notre condition, nous délivrer de la mort et transformer notre existence en un jardin de fleurs. Mais lorsqu'on choisit d'examiner de plus près les conséquences des propositions de Google, on découvre une perspective d'avenir moins réjouissante.

    En réalité, c'est l'infiltration du capitalisme sauvage, darwinien et froid comme l'acier qui se laisse apercevoir dans le dessein clairement transhumaniste de Google. Derrière le slogan de « l'homme augmenté », on discerne une posthumanité clivée entre une hyperclasse, capable de se payer l'immortalité (la filiale du géant de Mountain View, Calico, veut « tuer la mort ») et la « surhumanité », et le reste de la population mondiale, qualifiable de « chimpanzés du futur » pour reprendre la formule du cybernéticien britannique Kevin Warwick.

    Tout cela est alimenté par le storytelling sur la « singularité » technologique (ou simplement la singularité). Ce dernier est un concept se définissant de la manière suivante : à partir d'un certain point de son évolution, la civilisation humaine pourrait franchir un seuil conduisant à une accélération inédite de la dynamique technologique. De nombreux spécialistes pensent que ce bond est lié à l'intelligence artificielle. Une fois cette étape franchie, le progrès sera l'œuvre d'intelligences artificielles en constante progression autonome. Un film a matérialisé cette abstraction : Transcendance, de Wally Pfister (2014), avec Johnny Depp. Ce dernier y incarne un scientifique génial spécialisé sur l'intelligence artificielle. Mais une organisation extrémiste, le RIFT (groupe révolutionnaire d'indépendance vis-à-vis de la technologie), tire sur lui avec une balle radioactive, qui ne lui laisse pas plus d'un mois à vivre. Pour survivre, il choisit de télécharger sa conscience dans un ordinateur.

    La singularité induirait des changements tels sur la société que l'individu humain d'avant la singularité pourrait difficilement les appréhender ou les anticiper. Les hommes risqueraient alors de perdre la maîtrise de leur destin (on rejoint là des scénarii mille fois envisagés par la science-fiction). En 2008, Ray Kurzweil (embauché depuis par Google) a fondé aux États-Unis l'université de la Singularité (dans la Silicon Valley). Le concept trouve ses sources dans les travaux sur la cybernétique de John von Neumann. La singularité acquit une certaine popularité dans les années 1990 grâce à Vernor Vinge. La possibilité même et la date de cet événement hypothétique soulèvent des débats. Plusieurs futurologues et transhumanistes l'attendent pour la troisième décennie du XXIe siècle. Mais ces hypothèses sont régulièrement critiquées pour leur manque de solidité scientifique. On comprend bien en revanche pourquoi Google et quelques autres ont tout intérêt à promouvoir ce thème ! Il fait signe vers nos rêves de puissance et d'éternité, matérialisés par le cyborg.

    Le cyborg est une fusion de l'homme et de la machine, et l'intelligence artificielle une tentative de reproduction du fonctionnement du cerveau humain à l'intérieur d'un ordinateur. Dans ces deux cas, il s'agit d'une véritable intrusion de l'univers mécanique et numérique à l'intérieur de la chair et de l'esprit. Ils représentent une menace sur la nature même de l'humanité dans la mesure où ils pourraient modifier notre rapport aux autres et au monde. Nos perceptions, nos sentiments, notre expérience charnelle de la réalité à travers nos sens seraient susceptibles d'être profondément transformés, voire annihilés. Si cet interfaçage homme/machine semble enthousiasmer les partisans les plus radicaux de l'ère digitale, il suscite l'appréhension d'une très grande part de nos contemporains.

    Au bout du compte, Christine Kerdellant fournit un dossier bien documenté permettant de se construire une opinion. Elle explique clairement qu'îl ne s'agit pas de formaliser une quelconque technophobie, mais de lire derrière le storytelling avantageux de Google une application au monde du vivant en général, et à l'être humain en particulier, d'une conception agressivement marchande du monde et de l'esprit. Cette dernière menace d'élaborer lentement une Big Mother au sourire figé et numérique qui ne rendra pas présent le rêve émancipateur prométhéen des Lumières mais risque de nous faire perdre le sens de l'humanité.   

    « C'est l'infiltration du capitalisme sauvage, darwinien et froid comme l'acier qui se laisse apercevoir dans le dessein clairement transhumaniste de Google. » 

    Eric Delbecque 

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    Éric Delbecque est président de l'ACSE et Directeur du département intelligence stratégique de SIFARIS, auteur de: Le bluff sécuritaire. Essai sur l'impuissance française (Éditions du Cerf, 2017)

  • « Boutef », du beau gosse à la momie…

    « Boutef » jadis avec des Algériennes

     

    Par Péroncel-Hugoz 

    Notre confrère puise une fois de plus dans ses carnets d’Alger, quand il y était correspondant du journal Le Monde, sous la dictature du colonel Boumediène, pour relier le président actuel en fauteuil roulant à ses « glorieuses années » passées…

     

    peroncel-hugoz 2.jpgLes observateurs qui s’interrogent sur la façon dont l’Algérie peut être gouvernée par un homme que paralyse la maladie, ignorent ou feignent d’ignorer que, de toutes façons, depuis le coup d’Etat de 1965, ce pays est régi par une camarilla de quelques militaires quasi invisibles et une police politique omniprésente. Dans ce système, le chef de l’Etat et le gouvernement ne sont qu’une façade et ne font qu’appliquer ce que décident une poignée d’officiers vétérans et les patrons des services secrets. Seul l’éphémère président Ahmed Boudiaf, en 1992, peut-être influencé par ses 28 ans d’exil au Maroc, après l’indépendance algérienne, tenta de secouer le joug kaki mais il fut presque aussitôt abattu par un… militaire. 

    Un natif d’Oujda

    Sous le régime du colonel Boumediène, Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères fut, quoique civil, le n°2 de facto du système algérien. Ce furent les belles années du natif d’Oujda, resté volontairement célibataire. Chaque fin de semaine ou presque les Algérois informés, voyant des avions filer vers Nice ou Genève, murmuraient: «C’est Boutef qui va rejoindre ses bonnes amies!». Liens de cœur ou aventures tarifées ; ou un peu des deux, peu importe, le jeune dirigeant séduisait avec sa moustache conquérante et faisait oublier sa petite taille grâce à d’épais talons. Des espions occidentaux enregistraient méthodiquement ses escapades coquines…

    Cependant ses cheveux donnaient déjà du souci au ministre séducteur qui faisait mentir le proverbe méditerranéen selon lequel : « un vrai homme n’a pas honte de sa calvitie ! ». Un demi-siècle plus tard, de pathétiques photos du président immobilisé et hagard, avec ses derniers cheveux collés sur le crâne, font terriblement penser à la momie du pharaon Ramsès II dont les embaumeurs durent batailler avec les ultimes mèches du monarque antique comme tel coiffeur algérois avec celles du président algérien…

    L’ex « beau gosse » des chancelleries et des palaces, pour lequel d’irrespectueux gamins d’Alger forgèrent jadis le verbe « beaugosser » est à présent un mort-vivant auquel des docteurs-miracle de France ou de Suisse (cruelle ironie de l’histoire, les territoires des exploits masculins passés d’Abdelaziz Bouteflika) permettent de se dire encore de ce monde. D’où le sinistre canular récurrent, ces dernières années, sur la Toile, de l’annonce du décès du président algérien, suivie de réactions lapidaires d’intervenants du type : « mais il est déjà mort depuis belle lurette…». Il paraît que même une branche des agences d’espionnage américaines a apporté de l’eau à ce moulin de mauvais goût, pour tester le régime d’Alger…   

    Péroncel-Hugoz

    Repris du journal en ligne marocain le360 du 17.03.2017