par Yves Morel
Invitée de l’émission de Laurent Ruquier, On n’est pas couché, le samedi 26 septembre dernier, Nadine Morano, définit la France comme un pays judéo-chrétien et de race blanche.
Aussitôt, toute la classe politique poussa des cris d’orfraie, et les très vertueux Républicains retirèrent à la « coupable » son investiture sur la liste du « Grand Est » ( lol ) aux prochaines régionales. NKM, égérie de la droite parisienne bobo, qualifia d’ « exécrables » les propos de l’eurodéputé et rappela que « la République ne fonctionne pas sur les bases idéologiques de l’apartheid », pas moins. Sarkozy, lui, affirma qu’il ne laisserait « jamais dire que la France est une race ».
Une évidence
Or, Mme Morano n’a fait, en l’occurrence, que proférer ce qui apparaît à tout esprit censé et de bonne foi, comme une évidence. « Les Français sont un peuple de race blanche » : les très républicains et très laïques instituteurs, et leurs manuels scolaires de géographie rédigés par des inspecteurs primaires tout aussi laïques et républicains l’ont enseigné expressément et sous cette forme textuelle aux élèves depuis Jules Ferry jusqu’au seuil des années 1980, voire plus. Et nul ne les a jamais taxés de racisme, tant cela paraissait indubitable.
Des contradicteurs qui ont de qui tenir
Nadine Morano coupable d’avoir parlé de « race blanche »…
Il est vrai que tout a changé depuis les années Mitterrand. Rappelons que Mitterrand, ce président mégalomane et irresponsable dont on ne dénoncera jamais assez la responsabilité dans la décrépitude de notre pays, déclarait, au milieu des années 1980 : « Je veux qu’on bouscule les habitudes et les usages français » et, en conséquence, se prononçait pour une immigration massive, le refus de l’intégration, et le multiculturalisme fondé sur l’encouragement donné aux immigrés de cultiver leurs spécificités culturelles. Visitant une école de Maisons-Alfort, dont la majorité des élèves était d’origine arménienne, il déclarait aux instituteurs : « Faites de ces élèves des garçons et des filles fiers d’être arméniens » (pas français, au grand jamais). Et il galvanisait le prosélytisme immigrationniste de SOS-Racisme, cependant que son épouse se déclarait favorable à la liberté des jeunes musulmanes de porter le foulard à l’école. Etonnons-nous que trente ans après, les musulmans de France s’enhardissent jusqu’à prétendre nous imposer leurs coutumes, et qu’un Yann Moix, un des contradicteurs de Mme Morano, âgé de treize ans en 1981, objecte à celle-ci qu’il est conforme aux lois de l’évolution que la France perde son identité judéo-chrétienne pour devenir musulmane, et qu’il est aussi vain qu’immoral de prétendre s’y opposer.
Le fatal mouvement de l’histoire selon Yann Moix
Moix asséna en effet à Mme Morano que « demain, la France sera peut-être musulmane », qu’il s’agira là du « mouvement de l’histoire». Selon Moix, en effet, « la France dont vous parlez, la France éternelle, elle a été inventée au XIXe siècle, elle n’existait pas avant ». Moix use ici d’une tactique héristique tout à fait caractéristique de notre intelligentsia, qui consiste à prendre prétexte du caractère relativement récent de la représentation conceptuelle d’une réalité historique, pour affirmer qu’il s’agit d’une pure construction intellectuelle, sans existence réelle, et donc spécieuse. Et ainsi, au motif que l’identité culturelle de la France s’est élaborée très progressivement tout au long de notre histoire, et n’a été intellectuellement appréhendée dans sa globalité qu’au XIXe siècle, Moix la réduit à un fantasme. N’ayant donc jamais été judéo-chrétienne, la France peut alors très bien devenir musulmane, de par un « mouvement de l’histoire » que nous sommes condamnés à subir.
Une conception délibérément perverse de la laïcité
Et chercher à enrayer cette islamisation est attentatoire à la laïcité.
Ici, Yann Moix confond scandaleusement (car intentionnellement) l’Etat et la nation, et Mme Morano lui a judicieusement rappelé qu’il fallait distinguer le premier de la seconde. C’est l’Etat, en effet, qui est laïque, a précisé le député, non la nation. Un Etat laïque se veut confessionnellement neutre, et cela peut se concevoir. Mais une nation laïque, qu’est-ce que cela veut dire ? Rien. Cela n’a aucun sens. Une nation a une âme, des croyances, des valeurs fondatrices, des traditions, une manière de penser, une tournure d’esprit, et tout cela n’est pas neutre et ne peut pas l’être. Une nation n’est pas une pure abstraction constituée d’êtres de raison anonymes, indifférenciés, interchangeables, sans âme. Précisons de surcroît que si le mot laïque (ou laïc) vient du grec laos, autrement dit le peuple, il ne signifie pas populaire. En cela, un « peuple laïc », cela n’a pas plus de sens qu’une « nation laïque ». La notion de laïcité se rapporte exclusivement à l’Etat, en aucun cas au peuple ou à la nation. La référer au peuple ou à la nation est, intellectuellement, un non-sens, et, moralement, une tromperie (pour ne pas dire une escroquerie) utilisée par ceux qui, comme Moix, veulent donner à croire à nos concitoyens que les notions de nation, de peuple, d’identité culturelle, sont de pures constructions de l’esprit, dénuées de toute réalité, lourdes de dérives perverses, et, en tout cas, obsolètes et contraires à la vérité (qui n’admet censément qu’un Homme universel et abstrait réduit à sa seule raison) et au sens de l’Histoire (lequel nous mène à l’indifférenciation clonique d’une humanité mondialisée s’acheminant vers le meilleur des mondes).
Lea Salame, donneuse de leçons plates…
La laïcité, selon Yann Moix, n’est donc pas une simple caractéristique de l’Etat, consistant en une neutralité confessionnelle délibérée, mais la pièce maîtresse d’une conception de l’homme et de l’histoire et le fondement irréfragable de la morale. En cela, elle interdit toute pensée et toute politique fondée sur les notions de peuple, de nation et d’identité culturelle. Par là, elle nous interdit de considérer comme dangereuse une immigration massive, lors même que ses effets nocifs sont d’ores et déjà avérés. Mme Morano peut bien déplorer (et avec elle, des millions de Français qui ne vivent pas dans le même quartier que M. Moix) l’islamisation effective de nombreuses communes et l’islamisation rampante de nos mœurs, M. Moix lui réplique (avec l’approbation de Ruquier et les applaudissements serviles de sa claque complice) que c’est le « mouvement de l’histoire » et qu’il convient de s’y résigner. A défaut, on bascule dans l’horreur et la malédiction. On doit se résigner à l’islamisation de la France, à l’altération de son identité culturelle, qui, d’ailleurs, n’a jamais été une réalité et est une construction théorique du XIXè siècle qui a alimenté tous les fantasmes nationalistes et racistes contemporains. Toute action politique tendant à enrayer cette altération de notre identité nous ramène au temps honni de Vichy et de l’Occupation nazie. On doit donc y renoncer. Mieux (ou plutôt pire), il n’y faut même pas songer, ne fût-ce qu’une seconde. A l’inquiétude de Mme Morano quant à l’islamisation graduelle de la nation française, Yann Moix répond que « la laïcité c’est de ne pas se poser cette question », que se tourmenter à ce sujet et vouloir que l’islam « soit une religion minoritaire » revient à violer le parti pris de neutralité inhérent à cette laïcité, laquelle est, de toute nécessité, « indifférence » et « incompétence » (sic).
Autrement dit, selon Moix, au nom de la laïcité, l’Etat doit se montrer absolument indifférent au sort de la nation, fermer les yeux sur ce qui menace son identité culturelle, et aller jusqu’à nier l’existence même du problème. Nier le danger, c’est bien, ne pas même y songer, c’est encore mieux. Voilà à quelle conclusion aussi suicidaire qu’aberrante mène cette conception dévoyée de la laïcité. Telle que la conçoivent Yann Moix, Laurent Ruquier, les médias et toute notre classe politique, la laïcité ligote l’Etat, le rend sourd, aveugle, muet et impuissant, et lui interdit même de penser, le privant de toute lucidité. Elle n’est pas une simple règle de neutralité confessionnelle, mais une valeur ogresse ou cancéreuse qui dévore toutes les autres, se substitue à elles et constitue le tout de la morale politique et de la morale tout court. Ce que Moix et tous les contradicteurs de Mme Morano défendent, c’est une conception sidaïque et mortifère de la laïcité, qui prive la nation de tout moyen de prévention et de défense contre le danger migratoire qui la menace. La laïcité ainsi conçue devient une arme contre l’identité de la France. Léa Salamé, lors de l’émission de Ruquier, somma Mme Morano de choisir entre « la France laïque » et « la France judéo-chrétienne », affirmant que les deux notions s’excluaient réciproquement. C’est faux et malhonnête. Redisons-le : c’est l’Etat qui est laïque, pas la France, qui, elle, est une nation aux fondements spirituels et éthiques judéo-chrétiens. Et un Etat, pour être laïque, n’est pas tenu de méconnaître et de nier l’identité culturelle de la nation qu’il gouverne et dont il a la responsabilité de la sauvegarde, tout au contraire. La même Léa Salamé reprochait à Mme Morano d’exclure implicitement les Antillais de la France au motif de leur couleur de peau. Mais, autant que l’on sache, la France peut très bien comporter des citoyens noirs sans cesser pour cela d’être in essentia une nation de race blanche. Et cela vaut pour la religion : Senghor, le plus illustre des Sénégalais, catholique pratiquant, a dirigé durant 20 ans le Sénégal, et ce dernier n’en est pas moins demeuré un « pays musulman » pour la simple raison que les musulmans représentent 94% de sa population. Et s’il existe des Sénégalais blancs, cela n’empêche nullement le Sénégal de rester une nation de race noire.
Une entreprise d’aliénation en faveur de l’édification d’un monde de clones indifférencié
Il est vrai que, aux yeux de Yann Moix, « race » est un mot « indécent » qu’il faut « ne plus jamais utiliser ». Il est d’ailleurs devenu fréquent d’entendre dire que « les races n’existent pas ». Un professeur d’histoire-géographie, membre du Modem, rappelle d’ailleurs à Mme Morano, sur le site de Metro News, que « la race blanche n’existe pas et [que] plus personne n’en parle depuis que les derniers théoriciens nationaux-socialistes ont été pendus à Nuremberg » (sic). Les races n’existent pas, donc, non plus que les sexes, depuis la théorie du gender, au nom de laquelle on nous assène que le sexe d’un individu relève d’une situation, et non pas de sa nature, moins encore de son identité, et que d’ailleurs la notion de sexe est une construction mentale (une de plus) élaborée et imposée par une société archaïque dont il convient de s’émanciper.
Laurent Ruquier accuse Morano de favoriser le racisme.
Pas de race, donc, ni de sexe, ni d’identité culturelle secrétée par l’histoire ; rien de tout cela n’est réel ; ce sont là autant de fantasmes oppressifs qu’il faut détruire ; il n’existe, il ne doit exister que des clones anonymes, interchangeables, évoluant en un meilleur des mondes planétarisé, sans frontières, ni nations, ni peuples, ni cultures particulières, dont la « laïcité » interprétée par les Moix, les Ruquier, les Salamé, est l’instrument de l’édification.
Il est assurément dommage que les musulmans, eux, ne partagent pas cette vision « républicaine », « laïque » et universaliste du monde et prétendent nous imposer leur religion, leur culture, leurs traditions et leur mode de vie. Mais M.Moix n’en a cure, puisqu’on n’a pas le droit de contrarier ce « mouvement de l’histoire ».
Yann Moix et consorts illustrent au plus haut degré l’immense entreprise d’aliénation de nos concitoyens, à l’œuvre depuis des décennies. Aliénation, oui, car elle vise à nous déposséder de notre identité pour nous faire devenir autres que ce que nous sommes, que ce que notre histoire, notre civilisation, ont fait de nous.
Laurent Ruquier, lors de son émission du 26 septembre, a reproché à Mme Morano de favoriser le racisme en prétendant que la France était un pays blanc et judéo-chrétien. Tragique (et volontaire) erreur : ce qui stimule le racisme, c’est le refoulement permanent des identités culturelles et nationales, lesquelles finissent alors par ressurgir sous de violentes formes éruptives ; les musulmans de France le prouvent, eux qui, aujourd’hui, refusent notre société et le modèle républicain et laïque que les Moix, les Ruquier, les Hollande et les Sarkozy veulent leur imposer.
La faillite de la laïcité républicaine
Ce modèle prouve aujourd’hui tragiquement sa faillite. Cette dernière tient à la nature idéologique et à la propension totalitaire de la laïcité à la française. Celle-ci ne se présente pas comme une simple neutralité confessionnelle de l’Etat et de la loi qui protège la liberté de conscience, mais comme la manifestation éthique, politique et juridique d’un parti-pris antireligieux découlant d’une vision athée de l’Homme conçu comme un être de pure raison, identique en tous lieux et en tous temps. Une telle conception de l’homme détruit tout sentiment d’appartenance à une nation et à une civilisation données, et empêche l’intégration des immigrés, lesquels refusent instinctivement de se départir de leur spécificité culturelle pour se fondre dans une masse indifférenciée. Des immigrés peuvent accepter de s’intégrer à une communauté soudée par une identité culturelle forte, mais refuseront toujours de devenir les clones d’un magma sans âme, et les passants d’une zone de transit. A quoi l’on peut ajouter que s’ils peuvent souhaiter s’intégrer à un pays fort comme l’Allemagne, ou dynamique comme le Royaume-Uni, ils n’ont guère envie de s’intégrer à un pays faible et en plein déclin comme la France actuelle.
La virulence des réactions aux propos de Mme Morano, de Moix à Sarkozy en passant par NKM, Valls et Hollande, révèle à quel point nos « élites » (?) refusent ces simples mais essentielles vérités et sont déterminées, en toute connaissance de cause, à nous mener à l’abîme de par leur aliénation idéologique. C’est proprement affligeant. •
Yves Morel Docteur ès-lettres, écrivain, spécialiste de l'histoire de l'enseignement en France, collaborateur de Politique magazine et la Nouvelle Revue universelle.