Les discours, les interventions de quelque ordre qu’elles soient, d’Emmanuel Macron – et de ses ministres – n’y feront plus rien.
Il a trop tardé sans rien comprendre de ce qui se passait. La situation irrémédiablement dégradée, ne fera qu’empirer. Il ne s’agit plus au sommet de l’État que de parer au plus pressé, au mieux de colmater des brèches ; les décisions, prises dans l’urgence et à plus ou moins court terme, ne peuvent changer fondamentalement l’état des choses. Il y a désormais quelque chose de ridicule et d’inadapté dans la parole officielle. Les quelques mesures effectives pour aujourd’hui – en particulier la suppression déclarée comme définitive des taxes dites écologiques sur les produits pétroliers – en ont pris, en raison même de la tournure des évènements, l’allure de reculades simplement tactiques. C’est trop tard ! Pour compenser, il faudra grappiller des milliards, mais comment ? Les finances de la France sont maintenant déséquilibrées au risque du pire. Bruxelles ne manque pas de rappeler à l’ordre Macron !
Plus rien n’y fait
L’affichage de promesses pour demain, présentées comme de nouvelles orientations stratégiques en vue d’une solution globale, telles que Macron les a énoncées dans son discours du 10 décembre, n’a plus aucun effet sur une opinion publique lassée autant qu’irritée d’une parole politicienne qui n’est plus en lien avec l’intérêt national ni la vie populaire. 100 euros d’augmentation sur le smic, exonération des heures sup, appel à la générosité des employeurs pour des primes de fin d’année, annulation des hausses de CSG pour les petits retraités, voilà à quoi se résume le plan d’urgence sociale décrété par le chef de l’État. Soit 10 milliards à trouver, et où ? Pour des satisfactions que la plupart des gens jugeront insuffisantes. Le problème n’est pas là. Le président de la République l’a senti lui-même puisqu’il s’est cru obligé à une déclaration d’amour envers la France et les Français et qu’il s’est confessé d’y avoir manqué : ce qui est une évidence. Quand donc le chef de l’État parlera-t-il de la France aux Français ? De la France d’abord, qu’il doit rendre libre et prospère ! Les sous devraient venir après et ce n’est pas à lui à débiter d’un ton contrit et apitoyé ses listes de mesurettes.
L’engagement de l’autorité politique, alors même qu’elle s’arroge un magistère universel, aussi bien technique que moral, en charge tant du savoir social que du bien collectif, appuyé de tout un appareil d’explications à prétention pédagogique, apparaît de plus en plus comme une usurpation de commandement dont la légitimité est radicalement contestée ; et cette violente protestation qui frappe en premier la figure même du chef de l’État, atteint à travers sa personne l’État lui-même, ses services et tout ce qui relève, de près ou de loin, de la puissance publique. Le peuple en a assez d’être sous-payé et de devoir payer les inepties des politiques d’une classe dirigeante qui ne sait pas diriger. C’est très simple à dire et à comprendre. Les grandes consultations annoncées ne seront une fois encore que du verbiage !
Les appels réitérés et pathétiques à une sincère et compréhensive écoute réciproque ne sont plus guère entendus et compris que comme des appâts pour mieux prendre au piège la bonne volonté des Français. Ce qui n’a été, de fait, que trop souvent le cas. Telles sont les raisons de la colère – les Raisins de la colère, comme titrait Steinbeck – et, malgré la panique qu’on cherche à créer, cette colère est populairement partagée.
Les récupérations politiques ne sont pas significatives. Ça va au-delà ! Au tréfonds, il y a une réalité nationale qui exprime avec une force désespérée sa volonté de vivre. Et c’est ça qui fait peur aux tenants du cosmopolitisme qui tiennent les rênes du pays.
Une récusation générale
Les retournements, les aménagements envisagés de dispositifs politiques, économiques, fiscaux, légaux, administratifs, policiers, voire judiciaires, au prétexte de rebâtir une maison commune et dans le souci d’atténuer la révolte populaire, mais en réalité pour mieux la brider, vont fournir dorénavant, en raison des circonstances et à chaque occasion, la matière à d’autres exaspérations ; elles entraîneront, par conséquent, d’autres débordements, imprévisibles, d’un corps électoral exacerbé, divisé, tiraillé, méprisé et, en outre, gangrené depuis trop longtemps par des ennemis intérieurs que la République complice a laissé envahir tous les pourtours de la vie sociale. Quelque idée, quelque action proposée que ce soit servira, de tous les côtés, à des argumentaires de récusation générale ; on supplie le chef de l’État de parler et, dès qu’il parle, ses propos enflamment la rébellion. Des logiques contradictoires aboutissent au même résultat de dislocation de ce qui reste de l’union nationale ; elles alimentent de griefs supplémentaires les réquisitoires de chacun et de tous contre un régime accusé de mensonge, de spoliation, de prévarication, d’iniquité et d’abus de pouvoir : redoutable convergence des luttes, absurde en elle-même, mais fatale au bout du compte, faute pour le pouvoir en place d’avoir su incarner l’intérêt éminent de la nation souveraine, d’avoir manifesté son souci primordial de la France et des Français, ses compatriotes. D’abord ! Ainsi signer à Marrakech sous le couvert de l’ONU le « Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières » qui n’est que l’approbation et l’organisation juridiques de l’immigration de masse, relève du crime contre la patrie, surtout dans les circonstances actuelles. Il n’y a rien à faire : Macron a beau dire, il ignore la France ; malgré ses dernières protestations, il n’aime pas la France historique et souveraine. Il l’a dit et cent fois répété : il ne croit que dans l’Europe, celle de ses plans et de ses rêves, et dans la solution globale d’un monde unifié et multilatéral. Alors, ce qu’il raconte aux Français n’est que pour les jouer. À force, lesdits Français s’en rendent compte.
Cependant le procès ainsi intenté est sans issue, chacun ayant son point de vue, et l’État étant lui-même la principale partie en cause, sans qu’aucun acte de justice supérieure n’en émane expressément : il est l’accusé ; comment pourrait-il être juge dans cette affaire ? C’est une très grave question où se sont engloutis bien des régimes. C’est le problème de Macron aujourd’hui. Ce fut jadis celui d’un Louis XVI ou d’un Nicolas II. Le mécanisme est infernal. La nécessité vitale de l’ordre public, rappelée par lui, risque d’en perdre son caractère obligatoire ; son injonction, jusqu’ici impérative, ne pourra se contenter d’un rappel péremptoire : préfets, maires, responsables publics en savent déjà quelque chose. Comme en 1789 la Grande Peur ! Entretenue, d’ailleurs. Peut-être de même aujourd’hui ? Que faire ? La question peut devenir de plus en plus dramatique.
Le désarroi est tel que le principe d’obéissance civique n’est plus ressenti comme tel. Au mieux, il est admis comme une résignation impuissante devant la brutalité de la vie ; au pire, il est subi comme l’injuste tribut dû à un contrat social dénaturé. Les professions, du camionneur à l’agriculteur, les familles, tous les pauvres gens, les retraités se sentent trahis et délaissés.
La situation est telle qu’il n’est plus loisible à la puissance publique d’exercer ses prérogatives, sans être aussitôt taxée d’un vouloir pervers d’appropriation et de récupération du pouvoir. Entraîné dans un tel processus d’autodestruction, il n’est plus possible à l’État ni aux dépositaires des plus hautes fonctions publiques d’élaborer et d’assumer une bonne décision. Toutes les décisions, quelles qu’elles soient, du simple fait que ce sont des décisions, deviennent comme nécessairement mauvaises, soit en elles-mêmes, soit en raison de leurs conséquences ; et, comme l’absence de décision est encore pire, l’homme politique est mis au rouet. Un Taine, un Gaxotte, un Furet, un Soljénitsyne ont admirablement démonté la terrible machinerie politique qui jadis a broyé nos sociétés civilisées. Macron en sait-il quelque chose, bien qu’il prétende avoir lu Ricœur ?
Comment restaurer la paix civile, comment calmer les esprits ? N’y suffiront pas les mots de démagogie facile, les homélies sur le retour au bon sens, les apparences de fermeté mais toujours à sens unique où une ultra-droite, plus ou moins fantasmée, est censée équivaloir une ultra-gauche et des bandes de voyous organisées et fort bien repérées. Les annonces d’ouverture pour les gentils parmi les Gilets jaunes – autrement dit, ceux qui sont considérés comme pas très malins dans leur bonne foi – et qui doivent en contrepartie, bien sûr, s’assagir, supposeraient de toute façon de pouvoir disposer d’une souveraineté, politique et budgétaire, telle que l’a revendiquée l’Angleterre ou comme la réclame précisément l’Italie tellement vilipendée. De Gaulle et Pompidou en 1968 savaient qu’après les accords de Grenelle ils pourraient disposer de la monnaie nationale et jouer d’un budget à leur convenance. Macron n’est maître ni de l’euro ni des directions de Bruxelles. Le regrette-t-il ? Trump, Poutine, Erdogan, Salvini et tutti quanti rient de ses mésaventures plus ou moins méchamment. Comprend-il la leçon ?
En réalité, la France est malade d’un mal trop profond qui atteint jusqu’à la racine de l’être français dans sa permanence que Macron nie, ce qu’on appelle justement son identité. L’exhortation à la vigilance républicaine, au motif que la République est notre bien à tous, n’a plus que la valeur momentanée d’un cri de détresse d’une classe politique déconsidérée. Une sorte d’appel de la Veuve ! Et, d’ailleurs, comme les lycéens et les étudiants, formés à l’idéal démocratique révolutionnaire si à la mode chez nous et qui est la doxa de l’Éducation, se mettent à entrer dans la danse, la caution de gauche qui couvre l’appareil d’État, peut être rapidement remise en cause. Il est des logiques imparables.
Souverain d’abord
Tout dans la tragédie actuelle se ramène à une question de souveraineté. Quand Louis XVI a donné le simple sentiment qu’il abandonnait une partie de sa souveraineté aux états généraux, il avait perdu la partie. Les factions l’ont emporté, les partis, les clubs, les rhéteurs, les ambitions forcenées ; et la France s’est entredéchirée pour son plus grand malheur. L’ordre est revenu avec une autorité souveraine nationale qui fit en partie les réformes que la monarchie avait préparées : le code Napoléon, pour tout juriste qui a tant soit peu étudié, devrait techniquement s’appeler le code Louis XV, sauf évidemment pour sa philosophie révolutionnaire. Mais le despotisme n’est pas la monarchie : sa propre logique de recherche permanente de légitimité l’entraîne toujours à sa perte. Qui l’a mieux expliqué que Bainville ?
À défaut d’avoir un vrai roi, il faudrait à la France une autorité nationale forte qui saurait écouter le besoin d’ordre et de justice qui soulève la nation. C’est le fond de la question qu’on essaye de cacher. Le problème de Macron n’est pas qu’il joue au roi, c’est qu’il est un faux roi. Et qui se prive lui-même par idéologie de sa souveraineté ; il n’est plus qu’un autocrate dont la légitimité s’effondre. Au mieux, un petit despote qui a cru tout changer par la seule vertu de sa personne. Il est tout à fait vrai que les événements révèlent une crise gouvernementale gravissime en même temps qu’une incapacité institutionnelle, en dépit des prétentions du parti macronien, de la démocratie dite représentative, de justement représenter les Français dans leur intérêts et leurs territoires. Ce n’est pas la première fois qu’un tel constat est établi dans ces colonnes. Les meilleurs esprits le partagent parfaitement. La France n’est ni gouvernée ni représentée en tant que telle, c’est-à-dire en tant que France. La Ve République se heurte à cette difficulté majeure.
Le chef de l’État, qui sait bien ce que c’est que l’absence de roi – il l’a avoué –, comme tous ses prédécesseurs, d’ailleurs, a tout reporté et remis, dans la ligne de sa formation et de sa pensée, à une utopie de souveraineté européenne et mondialisée qui l’empêche de considérer la question d’aujourd’hui dans sa réalité concrète, très proprement française. Il semble dire le contraire maintenant, mais comment pourrait-il revenir sur ses discours délirants de la Sorbonne et de Davos, effarants de crédulité narcissique ? Et de stupidité morale ! À quoi sert de plaire toujours aux mêmes, qu’ils s’appellent Attali, Moscovici, Minc ou Niel ou Soros ou Juncker… ?
Oui ou non, est-il le chef de l’État français ? Et pendant qu’il cherche vainement une issue dans les nuage de sa gnose, son Castaner, à l’imitation de son Benalla, se met à jouer les durs en poursuivant non pas les casseurs et les voyous, mais les Français qu’il tente d’assimiler à la pègre qui, elle, prospère et détruit en toute impunité, par une exploitation éhontée de la chienlit. On a les Fouché, les Morny, les Persigny, les Foccart que l’on peut. Castaner, à la Maison du Roi, à Beauvau, au milieu des fleurs de lys, il fallait le faire ! Heureusement la France a encore des forces de l’ordre, des fonctionnaires, des préfets, des militaires de haute qualité. Elle en a toujours eu et c’est ainsi qu’elle a tenu sous tous les régimes. Mais comment travailler dans de telles conditions ? La crise est d’abord politique.
Y a-t-il quelqu’un ? ■
PS. Et quoi que disent à court terme les sondages, rendez-vous pour commencer aux Européennes…