Saint Augustin actuel [5]
Les deux Cités
Par Rémi Hugues
A l'approche des Fêtes, Rémi Hugues propose une série de sept articles consacrés à l'actualité de la pensée de Saint Augustin, père de l'Eglise. Ils sont publiés chaque jour. Bonne lecture ! LFAR
Augustin dʼHippone, premier grand philosophe de lʼÉglise
Le politique, sʼil est pensé comme subordonné à lʼéconomique, perd de sa substance, voire de sa puissance, de son pouvoir, ce qui est pour le moins paradoxal. Il nʼest quʼun reflet, une superficialité. Karl Marx, en élaborant cette théorie du matérialisme historique (dialectique), a été inconsciemment guidé par la doctrine politique de saint Augustin.
Cʼest lʼaugustinisme politique qui a façonné de manière décisive lʼarchitecture du théologico-politique médiéval. Or, peut-on constater, la distinction fondamentale entre les deux Cités, qui est au cœur de la pensée augustinienne, provient de la réponse donnée par Jésus-Christ aux pharisiens, qui voulant le piéger, désignant une pièce de monnaie lui posèrent la question suivante : « à qui doit-on verser lʼimpôt ? »
La philosophie politique du Moyen Âge avait pour base, pour infrastructure devrait-on dire, une pièce de monnaie à lʼeffigie de César. (Tableau ci-contre de Philippe de Champaigne).Cʼest cet objet – économique par excellence – qui en a déterminé la nature. Si dénier son autonomie au politique relève de lʼaporie, il nʼy a pas lieu de voir dans lʼidée que cʼest la société civile qui détermine lʼÉtat (autrement dit lʼéconomique qui détermine le politique, un renversement de la thèse hégélienne sur la « bête sauvage » opéré par Marx) une ineptie totale.
Il y a une force des idées : elles nʼagissent pas seulement dans la conscience des hommes, mais aussi dans leur inconscient. À certains égards Karl Marx est un chrétien, un augustinien, qui sʼignore. Mais à la différence de l’évêque dʼHippone, il exalte le fanatisme, quand ce dernier, qui fut un modèle de piété, place la foi en Dieu au-dessus de tout. Le fanatisme pouvant être compris comme lʼusage dévoyé de la foi, une fétichisation, une idolâtrie, de la foi, qui devient alors presque divinisée, au détriment de lʼamour raisonnable de Dieu, et donc de son prochain.
COMPRENDRE DAECH AVEC SAINT AUGUSTIN
Si le fanatisme signifie le projet de destruction de la société civile, il sʼapplique autant au marxisme et à sa promesse du règne de la justice universelle à la suite du dépérissement de lʼÉtat et de la disparition des classes sociales quʼau takfirisme, lʼextrémisme islamiste sunnite dʼessence wahhabite, qui invoque le Coran et les hadiths (les paroles rapportées du prophète Mahomet, les évangiles musulmanes en quelque sorte) pour annoncer lʼimminence de ce même règne de la justice universelle, mais en présence de Dieu dans ce cas.
LʼÉtat islamique (Daech), qui apparut en 2014, prétendait être un royaume de pureté et de sainteté. La théocratie dʼAbu Bakr al-Baghdadi, calife autoproclamé de Daech, soutenait quʼelle mettrait un terme à lʼoppression, garantirait le bonheur authentique aux musulmans pieux. Daech se voulait Cité céleste, royaume de Dieu, sur terre, un nouvel Éden des temps de la fin, ceux qui sont précédés par les signes de lʼheure.
La première occurrence du takfirisme, al-Qaïda, insiste surtout pour lʼabolition dʼune société civile quʼelle associe à lʼAmérique, cʼest-à-dire aux États-Unis. En 1996 Oussama Ben Laden, depuis lʼHindou Kouch, le Khorasan, la région montagneuse de lʼAfghanistan oriental, annonce publiquement quʼil veut libérer la terre sacrée dʼArabie et lance un appel à la guerre sainte contre le « Grand Sheitan » américain.
Appel concrétisé par les attentats du 11 septembre 2001 visant New York, la putain babylonienne moderne, capitale symbolique dʼune nation qui se conçoit comme un nouvel Empire romain. Dans La Cité de Dieu, Augustin avance justement que Rome est une seconde Babylone. « Rome fut fondée comme une seconde Babylone, et comme une fille de Babylone, dont il plut à Dieu de se servir pour soumettre par les armes la terre entière[1].
Ben Laden, manipulé par la coterie mondialiste, voyait dans le World Trade Center une nouvelle tour de Babel à abattre, non cette fois par la volition de Dieu mais par la main de lʼhomme lui-même. Il nʼétait quʼun pion à la disposition des intérêts sionistes, au sens de mondialistes, puisque Sion désigne Jérusalem, qui pour certains a vocation à devenir la capitale dʼun monde rassemblé autour dʼun gouvernement unique[2].
Pour accomplir ce but messianique les sionistes ont décidé de sʼappuyer sur le takfirisme, dont la fonction est comparable à celle de Goldstein dans 1984 de George Orwell (photo).
Voici lʼapport décisif de saint Augustin pour comprendre notre époque troublée : on retrouve dans sa Cité de Dieu la définition du concept qui permet dʼexpliquer lʼémergence du takfirisme. Dans un passage qui commente lʼApocalypse, chapitre 20, versets 7 et 8 : « À la fin de mille ans le Satan sera délié de sa prison. Il sortira égarer les nations aux quatre coins de la terre, Gog et Magog, les rassemblera pour la guerre eux dont le nombre est comme le sable de la mer. » (A suivre) ■