Élisabeth Vigée Le Brun, autoportrait
par Marc Froidefont
En cette « journée de la femme » du 8 mars, relire Joseph de Maistre nous éclaire. « Le moyen le plus efficace de perfectionner l’homme, c’est d’ennoblir et d’exalter la femme » écrivait l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg.
L’éducation des enfants est une conséquence essentielle de l’union de l’homme et de la femme. Chacun des deux parents a néanmoins une attitude envers les enfants qui lui est propre : le père incarne la rigueur et la sévérité, tandis que la mère est plus tendre et affective. Dans l’antiquité romaine, Sénèque, avec son style prompt aux contrastes, a fort bien décrit cette double attitude : « Ne vois-tu pas combien la bonté des pères est différente de celle des mères ? ».
Homme-femme mode d’emploi
Les pères font lever leurs enfants de bonne heure, pour qu’ils se mettent au travail ; ils n’admettent pas qu’ils restent oisifs même les jours de fête ; ils font couler leur sueur et parfois leurs larmes. Mais les mères veulent les réchauffer dans leur sein, les tenir dans leur ombre, ne jamais les laisser pleurer, s’attrister, ou faire un effort » . Joseph de Maistre, au début du XIXe siècle, insiste lui aussi sur les fonctions respectives de l’homme et de la femme dans l’éducation des enfants, tout en soulignant l’importance capitale du rôle de la mère.
Ce n’est pas que la place de la mère n’ait pas déjà été décrite avant lui, beaucoup s’en faut, il suffit, par exemple, outre Sénèque, de se souvenir des écrits de Fénelon à ce sujet. Selon l’évêque de Cambrai, la femme « est chargée de l’éducation de ses enfants » et doit veiller au bon ordre de la maison, ce qui implique un certain nombre de compétences et de qualités.
Fénelon, tout en rappelant que l’épouse doit « être pleinement instruite de la religion » , ne fait, somme toute, que continuer la tradition occidentale, puisque dans les Économiques, Aristote écrivait déjà que « l’honnête femme doit être maîtresse des affaires intérieures de sa maison » .
Joseph de Maistre fait l’éloge de la femme en magnifiant le rôle de cette dernière en tant qu’épouse et mère. En 1808, dans une lettre à sa plus jeune fille, Constance, laquelle n’est alors âgée que d’une quinzaine d’années, Joseph de Maistre fait la comparaison entre les mérites des hommes et des femmes. Les premiers ont réalisé de grandes choses, tant en littérature que dans les sciences, alors que les secondes n’ont fait aucun chef-d’œuvre dans aucun genre.
Mais si nombreuses et éclatantes que puissent être les productions des hommes, les femmes « font quelque chose de plus grand que tout cela : c’est sur leurs genoux que se forme ce qu’il y a de plus excellent dans le monde : un honnête homme, et une honnête femme » . Maistre ajoute : « Si une demoiselle s’est laissé bien élever, si elle est docile, modeste et pieuse, elle élève des enfants qui lui ressemblent, et c’est le plus grand chef-d’œuvre du monde ».
Maistre n’a donc flatté les hommes que pour les abaisser en comparaison de ce que font les femmes, car qu’est-ce que la production intellectuelle ou scientifique si elle n’est pas accompagnée de la morale, et qui donc peut mieux inculquer la morale à un enfant sinon sa propre mère ? On peut ici comparer Maistre à Sénèque quand le philosophe romain explique que la sagesse est une chose beaucoup plus importante que les arts libéraux et les sciences , mais plus encore qu’à Sénèque, c’est à saint Augustin que Maistre se réfère.
Supériorité à l’homme
L’auteur des Confessions ne dit-il pas que c’est grâce à sa mère que, tout jeune, il connut le nom de Jésus Christ ? Dans Les Soirées de Saint-Pétersbourg, Maistre met fortement en avant le rôle éducatif de la mère, tant en morale qu’en religion : « […] ce qu’on appelle l’homme, c’est-à-dire l’homme moral, est peut-être formé à dix ans ; et s’il ne l’a pas été sur les genoux de sa mère, ce sera toujours un grand malheur. Rien ne peut remplacer cette éducation. Si la mère surtout s’est fait un devoir d’imprimer profondément sur le front de son fils le caractère divin, on peut être à peu près sûr que la main du vice ne l’effacera jamais. Le jeune homme pourra s’écarter sans doute ; mais il décrira, si vous voulez me permettre cette expression, une courbe rentrante qui le ramènera au point dont il était parti » .
La femme a donc un rôle éminent dans l’éducation des enfants, notamment dans l’éveil de leur sensibilité religieuse. Serait-ce à dire que la femme ne puisse faire ce que font les hommes, à savoir se lancer dans n’importe quelle activité, littéraire, scientifique, voire politique ? Il s’en faut de beaucoup que la femme ne puisse pas faire ce que font les hommes.
Maistre a une vive admiration pour les écrits de Mme de Sévigné, il admire l’esprit de Mme de Staël, dont il réprouve pourtant les idées politiques. Maistre reconnaît qu’une femme peut gouverner un pays, comme le prouve l’exemple de la Russie . Selon Maistre, cependant, l’homme et la femme sont différents. « Chaque être doit se tenir à sa place, et ne pas affecter d’autres perfections que celles qui lui appartiennent » .
Il suit de là que « les femmes ne sont nullement condamnées à la médiocrité, elles peuvent même prétendre au sublime, mais au sublime féminin » . Il est vain de vouloir comparer les hommes et les femmes, chacun a sa vocation propre et peut y exceller. Maistre condense son propos par une image : « en un mot, la femme ne peut être supérieure que comme femme, mais dès qu’elle veut émuler l’homme, ce n’est qu’un singe » .
Si Maistre met tant en avant la différence entre l’homme et la femme, c’est pour une raison à la fois anthropologique et religieuse. Anthropologique car la femme suscite le désir, et religieuse car l’anthropologie est elle-même à comprendre en raison du péché originel. Que la féminité soit liée à l’idée de désir, et que le désir soit à son tour souvent attaché aux idées de séduction, de désordre ou de vice, c’est là un fait que Maistre trouve attesté dans toutes les cultures. Certes Aristote a écrit que la femme peut avoir un rôle important dans la maison, mais le plus souvent, il y a une défiance, voire une hostilité, envers le sexe féminin.
« Exalter la femme »
Dans l’Éclaircissement sur les sacrifices, Maistre rappelle les jugements défavorables de Platon et d’Hippocrate envers les femmes, il souligne aussi que « de nos jours encore, elles sont esclaves sous l’Alcoran » . Un discrédit pèse de tout temps sur la femme. La religion chrétienne elle-même reconnaît dans la Genèse que la femme a été créée après l’homme, et comme l’écrit saint Paul, que la femme « est tombée dans la désobéissance » .
Contrairement aux autres religions, le christianisme cependant élève la femme, et cette élévation se fait par la maternité et l’éducation des enfants. Saint Paul, lui-même, juste après avoir évoqué la désobéissance d’Ève, ajoute que la femme « se sauvera néanmoins par les enfants qu’elle aura mis au monde, s’ils persévèrent dans la foi, dans la charité, dans la sainteté, et dans une vie bien réglée » .
Grâce au christianisme, la femme acquiert une considération qu’elle n’avait pas avant lui, et qu’elle n’a pas hors de lui. Il en résulte, selon Maistre, que « la femme est plus que l’homme redevable au christianisme. C’est de lui qu’elle tient toute sa dignité » .
Cette dignité c’est précisément la reconnaissance de son excellence, puisque sans elle, sans la tendresse, sans l’affection qu’elle porte à son époux et à ses enfants, nulle famille ne pourrait être, et sans famille nul ne peut être vraiment lui-même. Il suit de là, dit magnifiquement Maistre, que « le moyen le plus efficace de perfectionner l’homme, c’est d’ennoblir et d’exalter la femme » . •
Marc Froidefont
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