UA-147560259-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : qu'est ce que le système ?

  • «L’Union européenne s’attaque à l’héritage culturel des sociétés qui la constituent», par Par Max-Erwann Gastineau.

    JOHN THYS/AFP

    Le 16 septembre, Ursula Von der Leyen, a prononcé un discours sur «l’état général de l’Union». La présidente de la Commission européenne a exposé sa volonté de construire une «société européenne», transcendée par des «valeurs» communes. Max-Erwann Gastineau y voit un danger pour la souveraineté des États-nations.

    6.jpgPrononcé le 16 septembre dernier dans un relatif anonymat, le discours de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, sur «l’état général de l’Union» acte une évolution majeure et non moins sous-jacente au grand dessein transnational européen: la volonté de construire plus qu’un marché, une «société européenne», transcendée par des «valeurs» communes.

    En témoigne la toute fin de ce discours, consacrée aux «droits des minorités». Nous devons «lutter contre les discriminations», s’attaquer aux «préjugés inconscients» et, dans cette perspective, promet Von der Leyen, mettre en œuvre une «stratégie visant (…) la reconnaissance mutuelle des relations familiales dans l’UE» (mariage homosexuel, homoparentalité, théorie du genre dans l’enseignement...). Dans une Europe où chacun doit pouvoir vivre conformément à son «identité», à l’intérieur de sociétés marquées par le «pluralisme» et le principe de «non-discrimination», les questions sociétales ne relèvent plus de la libre appréciation des États. Elles doivent devenir l’affaire des garants de l’Union, et donc de la Commission.

    Cette offensive «sociétale» ne vise pas uniquement certains États récalcitrants (Hongrie, Pologne). Elle concerne l’ensemble européen et doit, à ce titre, être resituée dans le contexte d’une mutation plus générale. Celle-ci se produit sous l’effet mécanique de deux tendances complémentaires, découlant l’une de l’autre. Une tendance «psycho-historique» et une tendance «juridico-politique».

    La prétention d’États ou de partis à défendre une vision de la famille inspirée de traditions nationales et spirituelles singulières, ou à faire primer la cohésion de la nation sur l’avènement d’une société « ouverte » et multiculturelle n’est-elle pas seulement jugée dépassée mais coupable de contrevenir aux termes du contrat que l’Europe post-hitlérienne s’est promise de ne jamais rompre.

    La première tendance fait écho à un axiome bien connu: «Le nationalisme, c’est la guerre!» Dans une Europe marquée par les horreurs du XXème siècle, le sacrifice de l’irréductible multiplicité des communautés humaines sur l’autel du salut collectif, le nationalisme - ou l’exaltation de particularités historiques et culturelles nationales - n’est plus une option. Il convient d’en déminer la charge explosive et, à cette fin, de bâtir les termes d’une citoyenneté post-culturelle, déliée de tout ancrage historique, fondée sur le strict attachement de ses titulaires aux valeurs universelles inscrites dans l’ordre constitutionnel. Cette proposition, théorisée dans les années 1970 par le philosophe Jürgen Habermas sous le nom de «patriotisme constitutionnel», a fait école et recomposé en profondeur la nature du lien qui relie le citoyen à son État. Ainsi la prétention d’États ou de partis à défendre une vision de la famille inspirée de traditions nationales et spirituelles singulières, ou à faire primer la cohésion de la nation sur l’avènement d’une société «ouverte» et multiculturelle n’est-elle pas seulement jugée dépassée mais coupable de contrevenir aux termes du contrat que l’Europe post-hitlérienne s’est promise de ne jamais rompre.

    La seconde tendance, juridico-politique, découle de la première. La délégitimation de la nation comme communauté politique reposant sur une identité spécifique n’a pas seulement accéléré l’ «ouverture» des sociétés européennes à l’appel d’autres valeurs, plus libérales, elle a instruit la légende noire de la souveraineté populaire. «Hitler n’a-t-il pas été élu?», ne se plait-on jamais à rappeler (au mépris, d’ailleurs, de la réalité historique la plus élémentaire)?

    La souveraineté populaire a perdu de sa légitimité et, avec elle, le pouvoir de prescription du politique. Un principe de précaution s’institue désormais contre tout parti ou régime prétendant correspondre aux aspirations majoritaires. Ainsi sommes-nous passés de la démocratie fondée sur l’idée répandue par la Révolution française de «souveraineté du peuple» - et son corolaire: la loi comme expression de la volonté générale - à une «idée juridique de la démocratie», résume Marcel Gauchet, qui met en son centre la sauvegarde et l’extension des droits et des libertés individuels jadis bafoués, désormais protégés par l’État de droit ; le développement de juridictions indépendantes.

    La grande attention portée à ces droits et à ces libertés parcourt l’ensemble du monde occidental. Mais elle se double en Europe d’un processus de «déterritorialisation» du droit, consubstantiel au projet européen d’ «union sans cesse plus étroite entre les peuples», qui favorise l’avènement d’un «État de droit supranational» d’où les citoyens sont pensés comme émancipés du cadre national. «Puisque les droits sont universels, comment pourrait-on leur opposer des barrières géographiques plus ou moins contingentes qui n’ont rien à voir avec leur essence? C’est le procès que véhicule implicitement la notion d’État de droit», note implacablement Gauchet. Procès de l’État, comme représentant légitime des intérêts d’une collectivité humaine unifiée sous sa bannière, et de la Nation, comme cadre historique de la démocratie.

    La CEDH joue le rôle de juge fédéral, dans la mesure où sa jurisprudence est aujourd’hui largement reprise par le juge constitutionnel national, qui l’impose ensuite au Législateur.

    Dans cette entreprise d’affirmation d’une citoyenneté post-culturelle, assise et confortée par l’État de droit, la Commission européenne dispose d’alliés de taille, tels que la Commission européenne pour la démocratie par le droit - dite «Commission de Venise» - ou la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Bien qu’extérieures à l’Union européenne (puisqu’elles dépendent du Conseil de l’Europe), ces instances participent à l’uniformisation des systèmes juridiques nationaux et à la réification des «valeurs» inscrites dans les traités. Dans son avis sur le degré de comptabilité de la Constitution hongroise - qui, rappelons-le, fait explicitement référence aux racines chrétiennes de la nation - avec la Convention européenne des droits de l’homme, la Commission de Venise affirme qu’ «une constitution doit éviter de définir ou de fixer une fois pour toute des valeurs.» Les États, poursuit-elle, doivent se déterminer «en fonction des circonstances et des besoins de leur population.» Un relativisme recommandé aux États et qui tranche avec la portée de ses avis, lorsqu’ils sont repris par la CEDH et obtiennent, par ce biais, une portée normative fort contraignante. On notera à ce titre que c’est à partir de l’avis de la Commission de Venise sur «la situation en Pologne» que la Commission européenne a décidé, en mars 2016, de placer sous surveillance le pays de Solidarnosc.

    Comme le montre le conseiller d’État Bertrand Mathieu, dans un ouvrage qu’il faut lire Le droit contre la démocratie?, la Commission de Venise n’exclut pas que, demain, le contrôle de constitutionnalité «devienne un élément du patrimoine commun constitutionnel à tout le continent». Après l’uniformisation des mœurs et des valeurs pour favoriser l’avènement d’une «société européenne», l’uniformisation des contrôles de constitutionnalité, afin que nul État ne puisse faire valoir les spécifiés de son ordre constitutionnel face au juge européen? La CEDH joue déjà, de fait, le rôle de juge fédéral, dans la mesure où sa jurisprudence est aujourd’hui largement reprise par le juge constitutionnel national, qui l’impose ensuite au Législateur. Un rôle de fait problématique, puisque la CEDH, qui n’est pas une instance démocratique, élue, se donne un pouvoir d’interprétation ne connaissant, lui, aucune limite. Pensons à la décision Marcks, du 13 juin 1979, à travers laquelle la CEDH estime que la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 doit s’interpréter «à la lumière des conditions d’aujourd’hui.» Pensons également à la décision Rees du 17 octobre 1986, depuis laquelle la CEDH se donne le pouvoir «d’adapter les droits reconnus par la Convention à l’évolution des mœurs et des mentalités, ou même de la science».

    L’affirmation de la Commission européenne sur le terrain des valeurs s’inscrit donc dans un paysage institutionnel européen sans cesse remodelé par des avis et des décisions rendus dans le vase clos des prétoires.

    L’affirmation de la Commission européenne sur le terrain des valeurs s’inscrit donc dans un paysage institutionnel européen sans cesse remodelé par des avis et des décisions rendus dans le vase clos des prétoires. Au gré de cette lente et constante mutation, l’État de droit a changé de nature. Il n’est plus simplement chargé de veiller à la sauvegarde des droits fondamentaux, il vise à les étendre, à «ouvrir l’espace le plus grand possible aux libertés individuelles», rappelle un rapport de l’Assemblée nationale consacré en 2018 à cette notion. Il ne donne plus simplement aux juges le soin de fixer le champ d’intervention légitime du politique, il étend le champ d’intervention légitime du juge… au point de donner à ce dernier un rôle décisif dans le processus d’édification des normes collectives. Formé à l’Université de Yale et professeur de droit et de science politique à l’Université de Toronto, Ran Hirschl estime que les régimes occidentaux, en transférant «un pouvoir sans précédent des institutions représentatives aux systèmes judiciaires», ont mis sur pied des régimes de nature «juristocratique», dominés par une «coalition d’innovateurs juridiques tournés sur eux-mêmes», déterminant «le calendrier, l’ampleur et la nature des réformes constitutionnelles» et qui, «tout en affirmant soutenir la démocratie (…), tentent d’isoler les décideurs politiques des vicissitudes de la politique démocratique». D’après l’auteur de Towards Juristocracy, le terrain des «valeurs» est particulièrement propice au déploiement des ces régimes, que l’on définira sobrement à l’aune du mouvement qu’ils augurent: le passage d’un pouvoir par le droit à un «pouvoir du droit», sur fond de montée en puissance des cours de justice.

    Prenons le cas de l’évolution du Conseil constitutionnel en France. Ce dernier n’est plus seulement chargé de censurer les lois jugées non-conformes à notre Constitution, il est à même de donner une «valeur constitutionnelle» à des principes abstraits, de convertir des idéaux en droits. Ce fut notamment le cas en 2018, où le principe de «fraternité» fut constitutionnalité suite à une «Question prioritaire de constitutionnalité» (QPC) déposée par des associations d’aide aux migrants et deux citoyens condamnés pour avoir aidé des personnes en situation irrégulière à séjourner en France. La constitutionnalisation du principe de «fraternité» protège l’individu qui s’en réclame, mais quid de la communauté nationale? Dans la mesure où le franchissement indu de sa frontière n’est plus fondamentalement passible de poursuites, n’en ressorte-elle pas fragilisée? La notion de «fraternité» ainsi étendue à l’humanité fait, sans le dire, du juge non plus le sourcilleux gardien de la lettre constitutionnelle mais une force créatrice de nouveaux droits individuels et de normes touchant à des domaines (comme ici sur l’immigration) autrefois réservés aux institutions représentatives du peuple souverain.

    La critique du «juristocratisme» - de l’affirmation en Occident (Canada, Nouvelle-Zélande, Israël, UE…) d’une conception plus idéologique que juridique de l’Etat de droit - devrait davantage retenir l’attention du politique, y compris en France. Lorsque l’ancienne présidente du Tribunal de Grande instance (TGI) de Paris déclare, comme en 2014, qu’il «appartient aux juges d’adapter le droit aux attentes du corps social», on aimerait lui répondre qu’en démocratie ce rôle revient au politique, aux représentants du peuple. Lorsque la Cour de Cassation déclare, comme en 2011, que les cours de justice doivent désormais suivre la jurisprudence de la CEDH, «de préférence aux lois nationales», une question s’impose: n’assistons-nous pas à l’affirmation subreptice d’un régime post-démocratique, où la production de la norme échappe au contrôle des citoyens? Lorsque la Commission de Venise affirme que «le bon fonctionnement d’un régime démocratique repose sur sa capacité d’évolution permanente», n’est-on pas tenté de paraphraser le philosophe José Ortega y Gasset, et de rappeler que «le droit à la continuité historique» est le premier des droits de l’homme ; que tout peuple repose sur un socle de mœurs et de valeurs stables?

    Le devenir de la démocratie comme régime de décision fondé sur le suffrage populaire est remis en question par l’avènement du « Léviathan judiciaire » européen.

    Le tour juristocratique que prend l’Europe lance un défi particulier aux partis conservateurs, traditionnellement attachés à l’autorité du politique, à la famille et à l’héritage culturel des sociétés. Il rappelle la nécessité pour ces partis de sortir d’une attitude bien souvent spectatrice, les condamnant à subir le «mouvement», l’«évolution», le «changement» que les minorités organisées (associations, ONG…) mettent à l’agenda du «Progrès».

    Plus fondamentalement, c’est le devenir de la démocratie comme régime de décision fondé sur le suffrage populaire que l’avènement du «Léviathan judiciaire» européen remet en question. Relisons à ce sujet les mots du père du contrôle de constitutionnalité en Europe, Hans Kelsen, pour qui le pouvoir constituant devait absolument éviter la «phraséologie», consistant à «écrire des valeurs et des principes vagues tels que liberté, égalité, justice ou équité qui pourraient conduire un tribunal constitutionnel à annuler une loi au motif qu’elle est simplement injuste ou inopportune.» Car dans ce cas, concluait-il, «la puissance du tribunal serait telle qu’elle devrait être considérée comme simplement insupportable».

    Par peur de la puissance historique du politique, nous avons érigé la puissance nouvelle du tribunal. Pas sûr que cela constitue un progrès, surtout dans un contexte européen où les peuples pressent leurs dirigeants de «reprendre le contrôle» («to take the control back», disaient les Britanniques au moment du Brexit), y compris sur le terrain culturel, pour préserver la cohésion de ces diverses modalités de l’existence européenne que sont nos nations.

     

    Diplômé de l’Institut des hautes européennes (IHEE) de Strasbourg, Max-Erwann Gastineau est l’auteur d’un premier essai remarqué, Le Nouveau Procès de l’Est, publié l’an dernier aux éditions du Cerf

    Source : https://www.lefigaro.fr/vox/

  • “Tsunami de preuves” : synthèse des procédures pour fraude électorale en cours aux États-Unis, par Steve Mosher.

    Voi­ci la tra­duc­tion inté­grale de l’article de Steve Mosher publié ven­dre­di par Life­Si­te­News, où vous trou­ve­rez la syn­thèse des pro­cé­dures en cours pour fraude élec­to­rale. L’auteur, est le pré­sident du « Popu­la­tion Research Ins­ti­tute », pre­mier socio­logue amé­ri­cain à visi­ter la Chine com­mu­niste où il décou­vrit l’horreur des avor­te­ments for­cés.

    8.jpgL’avocate Sid­ney Powell, de son côté, estime que Joe Biden a béné­fi­cié de 10 mil­lions de votes illégaux. –

    Il est inté­res­sant de noter que l’ensemble des états ain­si que la presse inter­na­tio­nale qui ont accueilli avec enthou­siasme et sans la moindre réserve l’élection de Joe Biden se font aujourd’hui plus dis­crets sur le scru­tin états-unien.

    Après un lent démar­rage, l’équipe juri­dique de Trump est main­te­nant bel et bien lan­cée, et elle entend démon­trer que l’élection du 3 novembre a vrai­ment été rem­por­tée par son homme.

    En Penn­syl­va­nie, une juge cou­ra­geuse a stop­pé la cer­ti­fi­ca­tion des résul­tats tant qu’elle exa­mi­ne­ra les preuves de la fraude. Elle vou­dra peut-être poser cette ques­tion au secré­taire d’État démo­crate : si seule­ment 1,8 mil­lion de bul­le­tins de vote par voie pos­tale ont été deman­dés, com­ment est-il pos­sible que vous en ayez reçu 2,5 mil­lions par la poste ?

    Dans le Wis­con­sin, un juge exa­mine une requête visant à reje­ter 150 000 bul­le­tins de vote poten­tiel­le­ment frau­du­leux. Cet effort est mené par Phil Kline du pro­jet Amis­tad. Les pro-vie se sou­vien­dront des efforts déployés depuis des années par le pro­cu­reur géné­ral du Kan­sas, Phil Kline, pour dénon­cer les avor­te­ments tar­difs et pour­suivre le Plan­ning fami­lial dans cet État il y a quelques années.

    En Géor­gie et au Michi­gan, le pro­cu­reur pré­fé­ré des Amé­ri­cains, Sid­ney Powell, a lâché le Kra­ken. Ses deux pour­suites sont rem­plies d’exemples cho­quants de fraude élec­to­rale sur plus de cent pages cha­cune, et elles s’accompagnent d’une plé­thore de décla­ra­tions sous serment.

    Quelques-unes de mes escro­que­ries « préférées » :

    En Géor­gie, au moins 96.600 bul­le­tins de vote par cor­res­pon­dance ont été deman­dés et comp­tés, mais rien n’indique qu’ils aient été effec­ti­ve­ment ren­voyés aux com­mis­sions élec­to­rales des com­tés par l’électeur. Ont-ils été créés en interne par des agents démocrates ?

    Tou­jours en Géor­gie, « les 900 bul­le­tins de vote mili­taires du com­té de Ful­ton étaient à 100 % pour Joe Biden ». Essayez donc de tirer à pile ou face et d’avoir « pile » 900 fois de suite.

    À Detroit, il y a eu plus de votes que de per­sonnes en âge de voter, ce qui semble peu pro­bable à pre­mière vue. De plus, des témoins ocu­laires ont rap­por­té que les comp­teurs de votes avaient pour ins­truc­tion de « dater » les bul­le­tins de vote par cor­res­pon­dance et qu’ils « réécri­vaient » les votes Trump pour en faire des votes pour Joe Biden.

    Au Neva­da, un juge vient d’autoriser l’équipe Trump à pré­sen­ter des preuves de fraude élec­to­rale géné­ra­li­sée ; l’audience aura lieu le 3 décembre. Il s’agira notam­ment d’éléments ten­dant à prou­ver que 13.372 « élec­teurs fan­tômes » qui ne connais­saient pas leur date de nais­sance ni même leur sexe lorsqu’ils se sont ins­crits, et qui ont sou­vent indi­qué les casi­nos et les parcs de loi­sirs comme adresse de rési­dence. C’est pour le moins douteux.

    Enfin, pour ce qui est de la fraude élec­to­rale élec­tro­nique, voi­ci ce que dit l’un des plus grands experts amé­ri­cains en matière de cyber­sé­cu­ri­té, cité dans le pro­cès mené par Powell en Géorgie :

    L’expert Navid Kesha­va­rez-Nia explique que les ser­vices de ren­sei­gne­ments amé­ri­cains ont déve­lop­pé des outils pour infil­trer les sys­tèmes de vote étran­gers, dont Domi­nion. Il déclare que le logi­ciel de Domi­nion est vul­né­rable à la mani­pu­la­tion de don­nées par des moyens non auto­ri­sés et a per­mis de modi­fier les don­nées élec­to­rales dans tous les États clefs. Il en conclut que des cen­taines de mil­liers de votes qui ont été expri­més pour le pré­sident Trump lors de l’élection géné­rale de 2020 ont été trans­fé­rés à l’ancien vice-pré­sident Biden. (Pièce 26).

    Tout cela signi­fie que la mas­ca­rade post-élec­to­rale vou­lant que le can­di­dat démo­crate ait rem­por­té l’élection est sur le point d’être balayée par un tsu­na­mi mas­sif de preuves de fraude élec­to­rale. Je crains tou­te­fois que de larges pans de la popu­la­tion amé­ri­caine ne soient pris au dépour­vu lorsque les États com­men­ce­ront à bas­cu­ler dans l’autre camp.

    La rai­son en est qu’un rideau de fer de cen­sure s’est abat­tu sur les États-Unis. Les médias, Twit­ter et Face­book font de leur mieux pour main­te­nir les Amé­ri­cains dans l’ignorance de la cor­rup­tion et de la contro­verse. Comme Trump l’a lui-même noté, « la grande tech­no­lo­gie et les faux médias se sont asso­ciés en vue de la suppression ».

    Mal­gré cela, deux tiers des Amé­ri­cains disent main­te­nant qu’ils veulent aller au fond de cette affaire de fraude.

    Il semble que les actions du « pré­sident élu » Biden aient quelque chose d’étrangement irréel. Il conti­nue d’annoncer ses choix en vue de son futur cabi­net, et les grands médias rap­portent cha­cun de ses gestes, mais de moins en moins de gens semblent y prê­ter atten­tion. Son dis­cours de Thanks­gi­ving n’a été sui­vi que par 1.000 per­sonnes, ce qui semble bien déri­soire pour quelqu’un qui, selon les médias, a obte­nu 80 mil­lions de voix.

    Même sa propre « vice-pré­si­dente élue », Kama­la Har­ris, n’a pas encore démis­sion­né de son siège au Sénat : ce n’est pas le com­por­te­ment de quelqu’un qui croit que, le 20 jan­vier pro­chain, elle prê­te­ra effec­ti­ve­ment ser­ment en tant que vice-présidente.

    Mal­gré les preuves abon­dantes de fraude dans le domaine de la haute et de la basse tech­no­lo­gie, quelques répu­bli­cains conseillent encore la capi­tu­la­tion. Mitt Rom­ney, sans sur­prise, a été l’un des pre­miers. Ben Sasse et quelques autres ont sui­vi, en disant au pré­sident qu’il devrait sim­ple­ment s’en aller sans se battre. (Il sera inté­res­sant de voir s’ils ont un lien quel­conque avec les sys­tèmes de vote Dominion).

    Tout le monde doit com­prendre, même si quelques séna­teurs ne le font pas, qu’il n’y a pas moyen de se déro­ber à ce com­bat. Il ne s’agit pas seule­ment de l’élection de 2020. La fraude élec­to­rale élec­tro­nique a com­men­cé peu après l’entrée en fonc­tion d’Obama, et dure désor­mais depuis une décennie.

    Nous savons qu’en 2012 au plus tard, Trump en était conscient. En fait, peu après l’élection du 3 novembre de cette année-là, il twee­tait un aver­tis­se­ment à Mitt Rom­ney affir­mant que les machines de vote élec­tro­niques étaient uti­li­sées pour com­mettre des fraudes élec­to­rales. Rom­ney a cepen­dant choi­si de ne pas contes­ter les résul­tats et a rapi­de­ment recon­nu Oba­ma comme le vainqueur.

    Donald Trump, comme tout le monde le sait main­te­nant, est plus solide. Dans la qua­si tota­li­té de ses dis­cours élec­to­raux pro­non­cés avant l’élection de cette année, il a mis en garde contre les dan­gers des bul­le­tins de vote pos­taux et la pos­si­bi­li­té d’une fraude élec­to­rale mas­sive. Il a éga­le­ment lais­sé entendre que lui et son équipe sur­veille­raient la situa­tion, décla­rant à plu­sieurs reprises : « Nous les avons tous ! » et « Nous savons tout ! »

    Par­lait-il de la sur­veillance élec­tro­nique des résul­tats des élec­tions en temps réel, ou au moins d’avoir accès à des ser­veurs qui l’assurent ? Il faut l’espérer, car il ne s’agit plus de cette seule course à la pré­si­dence. Il s’agit de la sur­vie des États-Unis d’Amérique en tant que répu­blique constitutionnelle.

    Si la cabale de gauche der­rière l’actuel hold-up élec­to­ral devait réus­sir, elle ne ferait qu’encourager ses membres à tri­cher encore plus effron­té­ment la pro­chaine fois. Une minus­cule oli­gar­chie serait effec­ti­ve­ment à la tête des États-Unis, la Consti­tu­tion devien­drait lettre morte et le gou­ver­ne­ment par la loi plu­tôt que l’état de droit serait à l’ordre du jour.

    Dans son dis­cours inau­gu­ral, le pré­sident Ronald Rea­gan rap­pe­lait aux Amé­ri­cains que « la liber­té n’est jamais à plus d’une géné­ra­tion de l’extinction ». Son aver­tis­se­ment résonne aujourd’hui de manière frap­pante. Nous sommes confron­tés à une menace unique de haute tech­no­lo­gie sur nos élec­tions, à la fois de l’intérieur et de l’extérieur des États-Unis.

    Nous devons prier pour que Trump ne soit pas seule­ment réélu, mais qu’il « les ait tous ». Et ensuite, nous devons adop­ter des normes élec­to­rales natio­nales com­plètes pour garan­tir des élec­tions libres et équi­tables à l’avenir, même dans des villes gérées par des démo­crates cor­rom­pus comme Philadelphie.

    Si nous ne gué­ris­sons pas main­te­nant notre corps poli­tique du poi­son qui l’a infec­té, nous cou­rons le risque, selon la mise en garde du pré­sident Rea­gan, de « pas­ser nos der­nières années à racon­ter à nos enfants et aux enfants de nos enfants ce qu’était la vie aux États-Unis du temps où les hommes étaient libres ».

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • Frédéric Rouvillois : « La menace du politiquement correct pèse sur l’université ».

    2.jpg

    Frédéric Rouvillois nous recevant à l'occasion de la parution de son dernier roman

    © Photo : Cercle Droit&Liberté

    Le commissaire Lohmann mène l'enquête dans le monde feutré des agrégés des facultés de droit. Un club sélect où l'on n'entre pas sans peine, pour n'en jamais plus ressortir, sauf les deux pieds devant.

    - Entretien sans langue de bois avec le Professeur Frédéric Rouvillois qui signe avec "Un mauvais maître" (La Nouvelle Librairie) son premier polar dans lequel il croque efficacement les travers d'un milieu qu'il connait bien : l'Université.

    Entretien d'Alcyde Le Poser pour le Cercle Droit&Liberté.

    CERCLE DROIT&LIBERTÉ : Le recours à la fiction permet une plus grande liberté dans l’écriture, est-ce la raison pour laquelle vous avez décidé de vous essayer au genre du roman policier pour parler de l’université ?

    FRÉDÉRIC ROUVILLOIS. Oui bien entendu. Avec un roman, tout le monde l’a compris depuis toujours et notamment Voltaire, on peut dire de nombreuses choses que l’on ne pourrait pas énoncer dans la vie et qui d’ailleurs ne présenteraient pas forcément d’intérêt. Imaginer un personnage qui a plus ou moins les traits d’une personne réelle et s’amuser à le faire vivre dans son milieu, ou dans quelque chose qui s’y apparente, avec des personnages qui ressemblent aux personnes qu’il pourrait croiser et lui faire faire des choses dont on imagine qu’il pourrait les faire, là c’est absolument jouissif et cela permet d’avoir un regard lucide sur un milieu particulier.

    «L’université est en effet un milieu où coexistent (notamment) des gens véritablement admirables et des crapules stupéfiantes.»

    Dans ce roman, je pense que cela permettra de faire comprendre clairement beaucoup de choses qui ne sont jamais dites mais qui intriguent beaucoup, notamment dans le milieu des étudiants qui préparent des thèses, et qui ignorent à quelle sauce on va les dévorer. En effet, on a l’impression qu’il s’agit d’un monde à part, caché par une sorte de rideau sacré comme le rideau du Temple de Jérusalem. Dans ce roman, ce qui m’est apparu amusant, ça a été, sinon de déchirer le rideau en question – parce qu’il est tout de même sacré -, au moins de le tirer un peu pour voir ce qu’il y a derrière et comprendre que la réalité est assez complexe. L’université est en effet un milieu où coexistent (notamment) des gens véritablement admirables et des crapules stupéfiantes.

    Bref, ce tout petit monde est une reproduction microcosmique du monde normal dans lequel, à côté des gens ordinaires, il y a des saints et des salauds, avec la particularité qu’ici les salauds sont souvent des salauds de haut-vol…

    CERCLE DROIT&LIBERTÉOn sent en filigrane de votre roman une critique du milieu universitaire, ce tout petit monde des professeurs de droit, avec son entrisme, sa déconnexion du réel mais surtout sa cruauté. Quel regard portez-vous sur l’état de l’université ?

    FRÉDÉRIC ROUVILLOIS. Ce que je décris en 2020 aurait pu être décrit en 1950, 1900 ou en 1700, plutôt qu’« Un mauvais maître » on aurait écrit « Un grand seigneur méchant homme » ou « Un salaud philosophe ». C’est un type de milieu particulier, peu importe les époques, dans lequel on peut trouver des gens très bien comme des individus épouvantables et excessivement intelligents, qui prendront leur plaisir à faire du mal autour d’eux, parfois gratuitement, d’autre fois pour éliminer ceux qui pourraient leur faire de l’ombre : vous vous souvenez peut-être de l’excellent film de Patrice Leconte, Ridicule, et en particulier du personnage joué par Bernard Giraudeau, l’abbé de Villecourt, « Un mauvais Prêtre », qui d’ailleurs, comme celui de mon roman, ne l’emporte pas au paradis…

    Dans cet ordre-là, le monde des professeurs de droit, dans son homogénéité, avec son caractère clos, composé de personnes qui se voient en permanence et ont oublié qu’il y a un monde à l’extérieur, me semble effectivement un milieu où la cruauté, la jalousie, la méchanceté dissimulée sous la plus exquise urbanité, sont souvent très fortes.

    «C’est un microcosme d’anciens premiers de la classe (..) ils ont de ce fait souvent, un "ego surdimensionné"»

    Au fond, c’est un microcosme d’anciens premiers de la classe : ils ont raflé toutes les premières places au cours de leur cursus, et ils ont de ce fait souvent, pas toujours, mais souvent, un « ego surdimensionné », comme on dit dans les médias. Cela créé psychologiquement quelque chose de bien particulier. Et dans certains cas, cela donne des résultats épouvantables. Mon personnage principal, François Desnard, est en quelque sorte l’incarnation, le soleil noir, le concentré imaginaire de ce que ce milieu peut produire à la fois de plus brillant et de plus pervers, bref, de pire…

    CERCLE DROIT&LIBERTÉ : Vous dites à un moment de votre roman que certains professeurs « se rallièrent au politiquement correct et en furent largement récompensés (…) ». Faut-il abandonner toute forme d’esprit critique pour briller à l’université et a fortiori en société ?

    FRÉDÉRIC ROUVILLOIS. De mon point de vue, le grand intérêt d’être universitaire, c’est la liberté ! C’est un peu la fable de La Fontaine, « Le chien et le loup », dans laquelle ce dernier est celui qui a accepté d’être pauvre pour être libre, tandis que le premier a accepté de renoncer à sa liberté pour avoir une pâté abondante et quotidienne, « os de poulets, os de pigeons, sans parler de maintes caresses » … Si le loup, qui a renoncé à l’argent et à un bien-être matériel élevé pour demeurer libre, renonce également à sa liberté, on peut dire qu’au final il n’a rien compris.

    «Le grand intérêt d’être universitaire, c’est la liberté !»

    Qu’il est le dindon de la farce, pour ne pas dire pire. D’autant que cette liberté, il l’échangera au plus contre presque rien, la vague direction d’une section ou d’un centre de recherche, les charges de doyen, de président de son université, au mieux, de recteur… L’universitaire qui, par ambition, est prêt à échanger sa liberté contre ces babioles institutionnelles et ces colifichets administratifs, n’a en réalité rien gagné, mais tout perdu…

    CERCLE DROIT&LIBERTÉ : Vous savez peut-être que le Cercle Droit et Liberté a été fondé pour encourager l’esprit critique après que nous avons fait le constat qu’un certain politiquement correct se développait dans l’Université française, favorisant ainsi le développement d’une pensée unique progressiste. Partagez-vous ce constat ? Pensez-vous que les « Mauvais maîtres » y ont leur part de responsabilité ?

    FRÉDÉRIC ROUVILLOIS. Le fait que cette doxa progressiste se développe et s’ancre de plus en plus dans l’université est malheureusement une évidence.

    Heureusement il reste quelques facultés de droit qui, telles des villages gaulois entourés par les camps romains, parviennent à résister un peu- et je suis très fier de faire partie de l’une d’elles, même si elle vient de fusionner dans un agrégat gigantesque et un peu inquiétant rebaptisé « Université de Paris ». On a su jusqu’ici y conserver l’ADN initial de l’Université Paris Descartes. Pour rappel, c’est une faculté de droit qui est née dans les années 1970, dans un contexte très particulier, lorsque des professeurs de droit de Nanterre dégoutés de la situation de cette université pourrie par Mai 68 ont obtenu de la ministre de l’enseignement supérieur de l’époque d’être exfiltrés et de créer, dans le cadre de l’Université Paris 5, une petite faculté de droit. Autrement dit, il y avait un ADN singulier, une tendance conservatrice, méfiante à l’égard des billevesées du politiquement correct, libre et critique, que nous avons réussi assez largement à maintenir, notamment chez les publicistes.

    Ce particularisme est pourtant de plus en plus rare, puisque même la célèbre Paris 2 Panthéon-Assas, qui jadis fut le temple de la résistance, a pris le tournant, il y a une trentaine d’années, des « gens de droite qui ont honte d’être de droite » faisant entrer les loups dans la bergerie, qui à leur tour ont su faire entrer d’autres proches… Et « dédroitiser » cette université à marches forcées.

    «La menace du politiquement correct pèse sur l’Université, d’autant que la tendance générale l'incite à suivre l’exemple des campus américains»

    Pour en revenir à votre question, il est certain que la menace du politiquement correct pèse sur l’Université, d’autant que la tendance générale l’incite à suivre l’exemple des campus américains [1]…

    CERCLE DROIT&LIBERTÉ : A l’opposé de ce « mauvais maître », vous dédicacez également votre roman aux bons maîtres et à « Jean-Luc », qui semblerait être Jean-Luc Coronel de Boissezon. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette figure du bon maître ?

    FRÉDÉRIC ROUVILLOIS. Le bon maître c’est celui qui accepte cette situation du loup par rapport au chien, celui qui assume cette liberté et qui va se consacrer aux deux fonctions de l’enseignant-chercheur. C’est le bon roi de la typologie d’Aristote, celui qui agit non pas pour lui ni pour se faire plaisir mais qui, d’une part, enseigne et se voue à apprendre à ses étudiants l’esprit critique et la rigueur et qui, d’autre part, recherche, écrit, produit, fait produire, de façon libre et désintéressée, le côté un peu Jüngerien du professeur de droit.

    «Le bon maître agit non pas pour lui mais pour le bien commun.»

    A l’inverse, le mauvais maître dans mon roman est quelqu’un d’extrêmement doué sur tous les plans, mais qui utilise ses dons à mauvais escient : pour lui-même, son narcissisme, son désir frénétique de domination ou encore son goût du luxe. Au fond, c’est le despote, celui qui gouverne pour son plaisir propre et non le bien commun.

    Dieu merci, de bons maîtres existent mais malheureusement se brûlent parfois les ailes, comme Jean-Luc Coronel de Boissezon, qui a agi de la manière qui lui a été reprochée car il ne supportait pas de voir humilié et détruit l’idéal universitaire. Sa réaction paraissait pourtant tout à fait légitime et modérée à une situation qui devenait hors de contrôle et surréaliste. Mais parce que c’était lui, parce qu’il s’appelait comme il s’appelait, parce qu’il a un look qui ne plait pas, il a été condamné d’une manière complètement injuste par des injustes. Un blâme aurait déjà été disproportionné, mais la révocation c’est au-delà de l’imaginable. J’espère qu’en appel ou en cassation, les juges retrouveront la raison et auront la main moins invraisemblablement lourde.

    CERCLE DROIT&LIBERTÉ : Autre sujet, vous dédiez plusieurs pages au concours de l’agrégation en droit au cours desquelles vous semblez dénoncer que « l’anonymat y est inconnu ». Autrement dit, le système actuel du concours favoriserait les « habiles », c’est-à-dire ceux qui connaissent le jury, et la sélection reposerait davantage sur des raisons étrangères à la qualité scientifique. Faut-il, d’après vous, réformer le concours de l’agrégation ?

    FRÉDÉRIC ROUVILLOIS. Je ne dénonce pas, je constate. Dans l’agrégation de droit, toutes les épreuves sont orales, vous êtes face à un jury de sept personnes et par définition il n’y a pas d’anonymat. Dans les faits néanmoins, une sorte de convenance et de savoir-vivre compense la situation. D’ailleurs, pour avoir siégé, j’ai été frappé par l’honnêteté et l’impartialité globales des membres du jury.

    Au fond, je pense que c’est un très mauvais mode de recrutement, mais le moins pire de tous, dans la mesure où il permet aussi à des gens qui ne sont pas des « habiles » et qui n’ont pas de relations de devenir professeur de droit. En d’autres termes, il y a en définitive plus de bonnes que de mauvaises surprises, et plus de révélations que d’injustices : avec un système de recrutement local, tel qu’il existe par exemple chez les littéraires ou les historiens, Jean-Luc Coronel ou Benoît Fleury n’auraient jamais été professeurs…Ni moi, du reste.

    CERCLE DROIT&LIBERTÉ : Enfin, un personnage m’a intrigué, il s’agit de Dominique Verdoni. Celui-ci apparait au début et à la fin de l’ouvrage, comme pour ouvrir et clore l’intrigue. Ce personnage semble incarner « monsieur moyen » à travers lequel on décèle une forme de critique de l’homme moderne. Partagez-vous ce constat ?

    FRÉDÉRIC ROUVILLOIS. Oui effectivement, je n’y avais d’ailleurs pas pensé. De fait, c’est le personnage qui est en dehors du jeu, c’est le retour du monde normal, le Français moyen dans ce qu’il a au fond de plus quelconque, un peu hâbleur, un peu dragueur, un peu victime de la mode, mais qui à la rigueur peut sembler plus rassurant que le monde clos des professeurs de droit…

    CERCLE DROIT&LIBERTÉ  : Nous vous remercions pour cet entretien que vous avez accepté de nous accorder et il ne nous reste plus qu’à vous souhaiter un joyeux Noël ! 

    [1] Nous renverrons ici utilement au documentaire « Evergreen et les dérives du progressisme » :

    https://www.youtube.com/watch?v=u54cAvqLRpA&t=2025s

  • Immigration : les mêmes causes produisent les mêmes effets, par David L'Épée.

    « La lecture du journal est la prière du matin de l’homme moderne » disait Hegel. Notre collaborateur David L’Épée, médiavore boulimique, priant peu mais lisant beaucoup et archivant tout ce qui lui tombe sous les yeux, effeuille pour nous la presse de ces dernières semaines.

    Parmi les actualités qui auront marqué cet été 2021, on se souviendra de l’affaire Mila, à la fois si emblématique et si banale d’une France où certaines communautés, loin de s’assimiler à la population qui les ont accueillies, réclament d’elle qu’elle s’assimile à leurs mœurs et à leur vision du monde.

    3.jpgAlors que les féministes et la gauche en général se sont fait très discrets pour ne pas risquer de « stigmatiser » l’islam, les rares femmes engagées à avoir pris sans ambiguïté la défense de Mila se sont avérées être elles-mêmes issues de la communauté musulmane. C’est en connaissance de cause, bien placées pour savoir quels risques pouvaient encourir les femmes en cas de « grand remplacement », qu’elles ont pris la parole.

     

    Interviewée dans Le Figaro du 3 juin, Zineb El Rhazoui prend sans ambages la défense de la jeune fille : « Mila est libre d’être vulgaire, mais ses détracteurs, eux, prétendent que leur vulgarité est au service du sacré, et c’est cela qui est absurde. » Elle pointe le silence de ceux (et surtout de celles) qui se sont pourtant fait les chantres de la défense des femmes et des minorités sexuelles. « Les associations soi-disant féministes qui font du féminisme sélectif sous prétexte d’antiracisme finissent par accepter un féminisme au rabais pour les femmes musulmanes ou victimes du patriarcat islamique, elles tombent donc exactement dans la définition du racisme. Quant aux associations qui prétendent lutter contre l’homophobie sans jamais mentionner que l’homosexualité est condamnée dans l’ensemble des pays où l’islam fait la loi – souvent de la peine de mort – elles font elles-mêmes la démonstration de leur imposture. » On relira avec profit le très stimulant essai de Denis Bachelot, L’Islam, le sexe et nous (Buchet Chastel, 2009), qui avait anticipé il y a déjà plus de dix ans la multiplication de ces dérives consécutives à l’immigration.

     

    Dans L’Express du 10 juin, Abnousse Shalmani s’adresse directement à l’adolescente harcelée et retirée de son école suite au déluge de menaces de mort : « Mila, le temps des rendez-vous amoureux, ce temps volé aux devoirs, à la famille, pour retrouver l’être aimé au bout de la rue, t’a été pris par des gamins qui se sont dressés en juges-la-morale, qui préfèrent des barbus qui aiment la mort à des femmes qui célèbrent la vie, des gosses qui n’en sont déjà plus, qui se limitent, se cloisonnent, s’enferment. Ils ne veulent pas apprendre, ils veulent s’imposer ; ils ne veulent pas entendre, ils veulent gueuler plus fort. Ils refusent la joie, ils préfèrent la peur ; ils pensent être justes, ils sont manipulés. Regretteront-ils les baisers sans lendemain, les mains qui se cherchent dans le noir, l’affirmation beuglante de convictions rances qui ne durent que le temps d’un battement de cils ? Regretteront-ils, plus tard, quand il n’y aura plus de légèreté, quand il sera temps de gagner sa vie, regretteront-ils ta saine vulgarité, ton aplomb, ta franchise, tes dessins, ton humour et tes cheveux roses ? Regretteront-ils d’avoir piétiné une jeune fille en fleur avec une fierté qui fait froid dans le dos ? Toi, tu préfères les frissons du printemps, parce qu’on n’est pas sérieux quand on a 17 ans et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade. Rimbaud t’aurait tressé un poème sur mesure pour ne jamais oublier qu’il existe une adolescente qui ne craint ni les barbus, ni les corbeaux, ni la lourdeur. » Difficile, en lisant cette belle envolée, de ne pas penser à ces visuels qui circulent beaucoup sur internet ces dernières semaines et qui nous montrent l’Afghanistan avant et après la prise de pouvoir des talibans…

     

    Et pourtant, il y a tout à craindre que les flux migratoires entrainés par l’actuelle crise afghane aboutissent en France à des effets aussi tragiques que ceux des vagues précédentes, et ce dans le même climat de déni entretenu par les médias et les autorités. D’où ce coup de gueule bien senti de Gérard Biard dans le Charlie Hebdo du 1er septembre : « Il ne fait aucun doute que tous ces théoriciens du talibanisme inclusif, qui vont à coup sûr proliférer dans les semaines et les mois qui viennent, savent reconnaître un fasciste quand ils en croisent un. Nombre d’entre eux se classent à gauche, ils sont même imbattables à ce petit jeu. Pas de danger qu’ils ratent un Bolsonaro ni un Viktor Orban. Mais curieusement, il suffit que ledit fasciste porte une barbe et brandisse un Coran pour que leur détecteur de fachos soit pris en défaut. Il ne faut pas confondre le fascisme à poil ras, intolérable, et le fascisme à poil long, sympa. » C’est, soit dit en passant, ce sur quoi nous alertons depuis des années…

     

    C’est aussi ce que dénonce Nicolas Lévine sur notre site le 17 août : « Sur BFM et CNews, la question n’était pas : “Comment les empêcher d’arriver ?” mais “Combien faut-il en prendre ?” Voilà, tout le monde est bien d’accord, il est acquis que nous devons, au nom du droit des petites filles à aller à l’école, accueillir beaucoup d’Afghans. Il est vrai que, pour ces commentateurs, les Français ne sont pas plus légitimes en France que n’importe qui d’autre. » Et d’anticiper les événements sinistres qui, hélas, vont nécessairement se multiplier consécutivement à ce nouvel « enrichissement culturel » : « Préparez-vous aux violons, ça va propagander sévère. Libé va nous dégoter la seule rockeuse afghane transgenre et tatouée ! Et quand dans trois mois des “réfugiés afghans” se feront sauter dans un musée, et quand dans six mois des “réfugiés afghans” violeront une adolescente dans le RER, et quand dans dix mois un “réfugié afghan” égorgera des passants dans les rues de Verdun, faudra surtout pas venir nous parler de causalité, hein. Car les civilisations, les cultures, les peuples, ça n’existe pas. » Ce qui est le plus révoltant dans toutes ces affaires, c’est peut-être justement ça, leur prévisibilité, l’évidence des liens de causalité que pourtant les autorités et les médias s’obstinent à nier. Lévine force à peine le trait car la réalité, déjà, rattrape ses prévisions : le 25 août, sur BFM TV, l’inénarrable Sandrine Rousseau déclarait sans honte : « S’il y a des Afghans potentiellement terroristes, il vaut mieux les avoir en France pour les surveiller. » Voyons les choses du bon côté : la candidate EELV n’a même pas besoin d’adversaires pour enterrer sa candidature à la présidentielle, elle s’inhume toute seule à grandes pelletées – bon débarras !

     

    Mais revenons à Mila. Au moment du procès de quelques-uns de ceux qui l’avaient menacée en ligne, même Médiapart, pourtant toujours prompt à toutes les complaisances « islamo-gauchistes » et pas vraiment connu pour son attachement à la laïcité, est un peu gêné aux entournures. Dans son édition du 24 juin, on peut lire ceci : « Parce qu’on leur a appris à respecter la religion des autres, les prévenus n’ont vu dans ces images fleuries que des insultes aux croyants. » Il serait peut-être temps, comme le disait il y a déjà pas mal d’années le regretté Pierre Gripari, de reconnaître un devoir, sinon un droit, au blasphème… L’article donne ensuite la parole à l’avocat de Mila : « On n’a fait qu’entendre des excuses piteuses. Le mal de cette génération, c’est de se croire offensé professionnel. » Et ça, reconnaissons-le, c’est un problème de société qui dépasse de loin la question de l’islam et qui, sous nos latitudes, prend sa source bien ailleurs qu’à la Mecque…

     

    Que faire contre ces « offensés offenseurs », ces internautes immatures se sentant moralement légitimés à harceler ceux qui les contredisent sous prétexte de victimisation inversée ? S’il y a peut-être de bonnes pistes, il y en a aussi de très mauvaises, à commencer par celle de la censure et d’un contrôle accru sur tout ce qui s’écrit en ligne. C’est là une spécialité de nos autorités : lorsqu’elles se trouvent confrontées à un problème dont elles sont elles-mêmes la cause indirecte (ici l’irresponsabilité migratoire, les concessions coupables faites au communautarisme, un certain laxisme politique), elles sont prêtes à trouver n’importe quel bouc émissaire pour éviter de se remettre en question ou de dévier de leur ligne. Et la plupart du temps, le bouc émissaire idéal, c’est la liberté d’expression. C’est ce que craint Yascha Mounk qui, dans L’Express du 17 juin, écrit qu’« il existe un réel danger que les mesures prises pour “sauvegarder la démocratie” face aux réseaux sociaux n’exacerbent les dommages qu’elle subit ». Malheureusement c’est précisément dans ce sens-là que semble vouloir appuyer la doxa pour corseter la toile : « La plupart des universitaires et des journalistes, écrit-il, s’accordent désormais à dire qu’Internet et les réseaux sociaux incitent à la haine, donnent du pouvoir aux extrémistes et mettent en danger la démocratie. Et nombreux sont ceux affirmant maintenant que la seule façon de sauver cette dernière est d’interdire la désinformation et de limiter la liberté d’expression. »

     

    C’est justement ce sophisme que dénonce Jacob Maxime dans un article paru le 7 juillet sur le site de Polémia : « Parler des réseaux sociaux, qui ont été les vecteurs de ces menaces de mort, c’est l’occasion pour le système de demander leur contrôle. Le débat porte sur le fait de savoir comment modérer (comprenez : censurer) les réseaux sociaux. Nous pourrions résumer la pensée médiatique par : s’il y a du harcèlement sur Internet, coupons Internet. » Depuis la dérive autoritaire prise par ce gouvernement, tout est toujours prétexte à renforcer la surveillance de ce qui se dit et s’écrit, la crise sanitaire n’en étant qu’un énième exemple. « En 2016, poursuit l’article, le camion qui, sur la promenade des Anglais, a causé la mort de 86 personnes, lors d’une attaque musulmane, n’était qu’un moyen. Le problème ne venait pas du camion, comme le problème ne vient pas des réseaux sociaux pour Mila. Affaire Mila, terrorisme, délinquance, insécurité, baisse du niveau scolaire… La cause majeure de tout ceci tient en un mot : immigration. Si la presse du système n’ose pas l’écrire, c’est à nous, acteurs des médias alternatifs, de le faire. » C’est justement ce que nous nous efforçons de faire, chez Éléments, depuis de nombreuses années.

     

    C’est la même indignation qui anime Mathieu Bock-Côté lorsqu’il écrit, dans Le Figaro du 30 juillet : « Comment comprendre un régime qui annonce vouloir lutter contre les comportements machistes et les discours haineux en se montrant toujours plus répressif contre ces derniers, mais qui, au nom de la diversité, célèbre dans le rap et plus largement la culture des banlieues une agressivité telle qu’elle n’est pas sans évoquer un désir d’appropriation des femmes à la manière d’un geste de domination et d’un exercice archaïque de la souveraineté en pays conquis ? Comment comprendre un État se voulant hostile au racisme, mais peinant à reconnaître le racisme antiblanc ? » A ce jeu-là, ce sont toujours les indigènes (les vrais, pas ceux qui se parent indument de cette étiquette) qui sortent perdants. « Les populations occidentales, explique-t-il, sont ainsi progressivement amenées à consentir à leur exil intérieur, dans un monde où elles ne seront plus que tolérées, comme si elles n’étaient désormais que le bois mort de l’humanité. » Il poursuit sa réflexion le 7 août dans les colonnes du même quotidien : « Il y a quelque chose d’étonnant à ce que la question de l’immigration massive et de ses effets ne soit pas celle qui structure l’ensemble de la vie politique, tant elle bouleverse des domaines de la vie collective en apparence aussi contrastés que la sécurité ou l’éducation. » Et de se poser cette question angoissante : « Y aura-t-il encore demain un peuple français ou sera-t-il seulement occupé désormais à négocier les termes de sa minorisation ? »

     

    Les pays européens sont-ils donc condamnés à céder sous la submersion migratoire et à accepter de voir leurs conditions de vie devenir toujours plus précaires et toujours plus insécures sous l’effet d’un « vivre-ensemble » qui, on l’a suffisamment éprouvé, ne fonctionne pas ? Non, ce n’est pas une fatalité. Même au sein de l’Union européenne, où il est devenu très difficile de résister aux diktats de Bruxelles en matière de libre circulation, certains pays – et pas forcément ceux auxquels on s’attendait – commencent à se relever, sous la pression de leurs opinions publiques, et voient émerger de nouvelles forces politiques quand ce ne sont pas les anciennes qui, sentant le vent tourner, rectifient le tir et adoptent un discours plus responsable sur l’immigration. Un des exemples les plus encourageants est peut-être celui du Parti social-démocrate danois, auquel Le Monde Magazine du 26 juin consacre un article très intéressant. Il vaut la peine d’en citer ici quelques passages car on peut y voir le symptôme d’un changement qui pourrait s’affirmer sur le plus long terme et se produire également sous nos latitudes. La journaliste, qui s’est rendue sur place, est allée à la rencontre de plusieurs cadres du parti, notamment un certain Paw Østergaard Jensen, peintre en bâtiment et président du comité des affaires sociales de la mairie de la ville d’Albertslund. Fidèle aux combats de la gauche ouvrière, il parle « de la concurrence sur le marché du travail, des entreprises qui en profitent pour presser les salaires et accélérer les cadences » et explique qu’« il faut arrêter d’accueillir des réfugiés et des immigrés et intégrer les gens qui sont déjà là ». Même discours chez Henrik Sass Larsen, président du groupe social-démocrate au Parlement, qui considère que « si la gauche européenne va mal, c’est parce qu’elle a trop longtemps été tétani

  • OÙ EN EST LA FEMME DANS L’ISLAM ?, par Annie LAURENT.

    Annie_Laurent.jpg"Un taliban à visage humain, ça n’existe pas... Si l’on ne réagit pas, l’Afghanistan deviendra ce laboratoire de l’obscurantisme qui n’a pas vu le jour en Irak et en Syrie... Les femmes qui, depuis vingt ans, sans s’en plaindre, au contraire, ont appris à vivre à l’occidentale seront réduites à néant, renvoyées à l’âge de pierre...".

    Ces propos sont extraits d’une tribune publiée par Chékéba Hachemi dans Paris-Match juste après la reconquête de Kaboul par le mouvement islamiste, qui avait été chassé d’Afghanistan par les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN en 2001, en réaction aux attentats du 11 septembre (1).

    C. Hachemi sait de quoi elle parle. Réfugiée en France avec sa famille pour fuir l’occupation soviétique de son pays (1979-1989), elle assista de loin à l’instauration du premier régime des talibans (2) et eut connaissance du statut dégradant que ceux-ci imposèrent à ses compatriotes féminines : interdiction de sortie sans burqa, vêtement ample couvrant tout le corps, y compris le visage, et sans l’accompagnement d’un chaperon masculin (mahram) de sa famille ; prohibition de toute scolarisation, activité professionnelle ou sportive et de toute mixité en public. Dès ce moment, en 1996, C. Hachemi fonda l’ONG Afghanistan libre pour promouvoir l’accès des femmes à l’école et à l’enseignement supérieur, ainsi qu’à toutes les professions et à la politique, domaine où elle s’engagea elle-même à son retour à Kaboul suite à la défaite des talibans. Sous la République nouvellement instaurée (2001), et qui vient de s’effondrer, elle devint la première Afghane diplomate, en poste auprès de l’Union européenne (2002-2005), ce qui lui permit d’accroître l’efficacité de son action au profit des femmes qui recouvrèrent alors leurs libertés de citoyennes (3).

    1AA.jpeg

    Chékéba Hachemi

     

    En entrant dans la capitale, le 15 août dernier, c’est d’une manière ambiguë que les talibans ont voulu rassurer l’opinion internationale. Leur porte-parole, Zabihullah Mujahid, a ainsi déclaré : « Nous nous engageons à laisser les femmes travailler dans le respect des principes de l’islam » (4). Au même moment, on effaçait à la peinture les portraits féminins sur les devantures de magasins, on enlevait des filles de plus de 10 ans pour les marier à des djihadistes et on traquait les femmes, surtout des journalistes ou des juristes, soupçonnées de connivence avec le système précédent. Le projet de l’Émirat islamique s’est précisé lors de la présentation du gouvernement dont le chef, le mollah Hassan Akhund, était vice-premier ministre sous le premier régime taliban. Le ministère dédié aux femmes est remplacé par celui de la Prévention du vice et la Promotion de la vertu. La mixité redevient interdite, sur les lieux de travail comme à l’Université. L’un des dirigeants a déclaré l’exclusion de toute démocratie, car l’unique système « c’est la charia, et c’est tout » (5).

    Des manifestantes bravent la répression, des résistances s’organisent (salons de beauté clandestins, par exemple) pour défendre la dignité de la femme. Arrêteront-elles cette marche vers la soumission forcée des Afghanes à un islam qui s’affirme fidèle à des principes réputés divins, donc immuables, fussent-ils inadaptés aux besoins du monde actuel, et auxquels une partie d’entre elles, militantes au sein du mouvement taliban, sont consentantes ? Ces dernières imitent leurs coreligionnaires arabes sunnites qui ont rejoint ces dernières années les djihadistes de Daech en Syrie et en Irak. Le revirement observé dans l’Iran chiite pourrait-il faire école ? Alors qu’en 1978, de nombreuses femmes, séduites par le projet révolutionnaire de Khomeyni, avaient volontairement revêtu le tchador, symbole du rejet de l’occidentalisation imposée par Reza Shah Pahlavi, celles de la jeune génération n’en veulent plus en dépit des sévères sanctions qui leur sont infligées par la police religieuse.

    1A.jpg

    En fait, la condition de la femme agite de plus en plus le monde musulman. Elle a resurgi spectaculairement voici dix ans, à l’occasion des révoltes qui ont secoué une partie de l’espace arabo-musulman, sans entraîner d’améliorations notables, tout au moins au niveau du droit car la réalité vécue en certains lieux montre de réelles avancées, même si elles demeurent fragiles dans la mesure où elles ne remettent pas en cause l’islam dans ses fondements.

    Voyons d’abord où en sont aujourd’hui quelques pays qui, au siècle dernier, ont entamé des processus d’émancipation féminine. Au Maghreb, la Tunisie a joué un rôle pionnier en ce domaine. En 1956, sitôt l’indépendance obtenue, le président Habib Bourguiba promulguait un Code de statut personnel interdisant la polygamie, remplaçant la répudiation par le divorce judiciaire, octroyant à la mère la tutelle des enfants mineurs après le décès du père. Cependant, malgré la proclamation de « l’égalité de tous les citoyens et citoyennes en droits et en devoirs » figurant dans la Constitution post révolutionnaire (2014), deux règles, objets de prescriptions formelles dans le Coran, demeuraient en vigueur : l’impossibilité pour une Tunisienne d’épouser un non-musulman (2, 221) et l’inégalité successorale, la fille n’obtenant que la moitié de la part du garçon (4, 7). En 2017, le chef de l’État, Béji Caïd Essebsi, abrogea la circulaire de 1973 qui entérinait l’empêchement matrimonial ; deux ans après, il déposa au Parlement un projet de loi prévoyant l’égalité en matière d’héritage. Mais après sa mort, en 2020, son successeur, Kaïs Saïed, soumis aux pressions d’islamistes, l’a enterré en se présentant comme le défenseur du droit divin.

    1A.jpg

    Razika Adnani

     

    « Plus le discours religieux avance, plus les droits des femmes reculent », a noté la philosophe franco-algérienne Razika Adnani (6). Ce constat s’est vérifié au Maroc. En 2018, les débats sur l’héritage, soutenus par les partis de gauche, ont tourné court, suite au refus des islamistes d’y participer. Dans ces domaines, l’Égypte conserve une législation traditionnelle, menacée de durcissement depuis l’annonce, en mai dernier, d’une réforme du Code de la famille. La femme ne pourra convoler sans l’accord d’un tuteur également habilité à annuler le contrat de mariage et toutes les décisions concernant un enfant incomberont au père. Selon Azza Soliman, directrice du Centre d’assistance juridique pour les Égyptiennes, celles-ci « sont traitées comme des génitrices dépourvues d’une citoyenneté entière » (7).

    En Turquie, l’héritage d’Atatürk s’étiole peu à peu au gré de la réislamisation promue par le président Recep Tayyip Erdogan qui œuvre en outre au rétablissement des valeurs patriarcales. Même si la permission polygamique, la répudiation et le tutorat masculin n’ont pas été rétablis, les femmes subissent les retombées douloureuses de l’évolution en cours. Le 20 mars 2021, le chef de l’État a, par décret, retiré son pays de la Convention d’Istamboul, traité international visant à endiguer le fléau des « féminicides » qu’il avait signé dix ans auparavant. Or, ces meurtres, souvent commis au sein des couples et des familles, constituent un mal endémique et ils sont en constante augmentation (121 en 2011, 474 en 2019). Ici aussi, la résistance s’organise. En 2018 a été créé un « Parlement des femmes », formé de centaines de militantes parmi lesquelles des survivantes.

    Les monarchies de la Péninsule Arabique seraient-elles aujourd’hui en avance sur les autres pays dans ce domaine sensible après que, provoquées par la révolution iranienne, elles ont tant œuvré à réislamiser les musulmans du monde entier ? Au fil de ses reportages en Arabie-Séoudite, la journaliste Chantal de Rudder a été témoin des évolutions survenues dans le berceau du wahhabisme, idéologie islamiste très rigoriste, à l’initiative du roi Abdallah et de l’héritier du trône, Mohamed Ben Salman (MBS). Elle en fournit des détails dans un livre récent, Un voile sur le monde (8), datant le virage à 2001. « Épouvanté par le spectaculaire attentat contre l’allié américain, le prince Abdallah [demi-frère du roi Fahd affaibli par la maladie] décide de financer, via la cassette royale, une profusion de bourses accordées à toute la génération en âge d’aller à l’université, filles comme garçons, afin qu’ils se frottent à une autre culture et s’ouvrent l’esprit » (9). De nombreux jeunes sont ainsi partis étudier en France, aux États-Unis et au Japon. En 2014, a été inauguré à Riyad un campus universitaire féminin, doté de douze facultés.

    1A.jpg

    Chantal de Rudder

     

    Voulant « séoudiser l’emploi » pour faire passer le royaume d’une économie de rente à une économie productive, en 2017, MBS a expulsé cinq millions d’étrangers et ouvert les emplois aux femmes, mesures qui les ont encouragées à « s’engouffrer » dans le travail professionnel. Évoquant la présence de caissières dans les magasins, l’une d’elles a confié : « C’était la toute première fois qu’on mettait des femmes dans un endroit public. Au début, les religieux, scandalisés, refusaient d’être servis par ces employées en niqab. Maintenant c’est entré dans les mœurs » (10). Les autres réformes introduites par l’héritier du trône, à partir de 2016 dans le cadre de son projet Vision 2030, sont bien connues : les femmes sont autorisées à conduire, elles peuvent voyager à leur guise, déclarer elles-mêmes une naissance, un mariage ou un divorce et disposer de l’autorité parentale. Mais la permission d’un « tuteur » reste obligatoire pour se marier, signer un contrat ou subir une opération chirurgicale. Vision 2030 postule que dans 9 ans 30 % de Séoudiennes devront avoir accédé à des postes de pouvoir.

    L’enquête réalisée par Arnaud Lacheret, professeur associé à l’Arabian Gulf University de Bahreïn depuis 2017, et publiée sous le titre La femme est l’avenir du Golfe (11), ouvre les perspectives d’une « réforme à bas bruit ». Ses étudiantes, séoudiennes, koweïtiennes et bahreïnies, ont répondu à son questionnaire avec une liberté inattendue, sachant qu’elles étaient enregistrées. Sur les préceptes religieux, par exemple en matière de liens matrimoniaux, elles ont émis des opinions variées. En témoigne, parmi d’autres, cette acceptation de la pratique polygamique : « Vous voyez, c’est quelque chose de mentionné dans le Coran, et quand c’est mentionné dans le Coran, c’est qu’il y a une raison. Et donc, les hommes qui prennent une deuxième ou une troisième femme, ils doivent avoir une bonne raison » (12). Cependant, note Lacheret, « la polygamie est très largement vécue comme quelque chose de rétrograde, souvent liée à l’organisation tribale […] qui empêche les femmes de progresser professionnellement et socialement ». Certaines s’en arrangent néanmoins, considérant que le fait d’être une seconde épouse leur permet d’échapper à la domination constante de leur mari et d’avoir du temps pour s’accomplir elles-mêmes (13). Pour l’auteur, le combat des femmes n’est certes pas gagné mais les signes sont encourageants. « Ils le sont d’autant plus que les actrices de ce changement provoquent une évolution endogène et non importée de l’extérieur ». L’enquête ne montre pas une « occidentalisation de l’arabité » mais une « arabisation de la modernité » (14).

    1A.jpg

    Asma Lamrabet

     

    Un obstacle majeur reste à franchir pour permettre aux musulmanes d’accéder à la pleine reconnaissance d’une dignité équivalente à celle des hommes : la prétendue irresponsabilité de l’islam. Comment des musulmans, hommes et femmes, attachés à leur religion, pourraient-ils remettre en cause cette approche qui repose sur la croyance en l’origine divine du Coran et en l’exemplarité de Mahomet ? Trois ouvrages récents écrits par des sunnites – une Marocaine, Asma Lamrabet (Islam et femmes, les questions qui fâchent) ; deux Libanaises, Nayla Tabbara (L’islam pensé par une femme) et Zeina el Tibi (La condition de la femme musulmane) (15) – montrent les limites des « relectures » et propositions de réformes, aussi érudites et séduisantes soient-elles. On y lit par exemple que l’islam a valorisé la femme plus que toute autre religion (la libération apportée par le Christ est pourtant bien antérieure à un Mahomet dont la polygamie est justifiée par le contexte historique) ; que son message spirituel a été dévoyé par le recours à des hadîths (actes et paroles du « Prophète ») à l’authenticité douteuse et par des traductions erronées, dues à des hommes attachés aux coutumes tribales et patriarcales en vigueur en Arabie au VIIème siècle, territoire où le christianisme s’était pourtant déployé ; que le Coran a été pris en otage par des idéologies politiques, etc.

    1A.jpg

    Nayla Tabbara

     

    En l’absence d’une autorité habilitée à réviser le statut et le contenu des textes sacrés, les talibans et leurs semblables peuvent continuer de prétendre appliquer le « vrai islam ».

     

    Annie Laurent

    ____

    1. 19-25 août 2021.

    2. Taliban est le pluriel du mot arabe taleb qui signifie « étudiant » (en religion).

    3. Cf. Le Point du 19 août 2021.

    4. Le Monde, 19 août 2021.

    5. Le Figaro, 9 septembre 2021.

    6. Marianne, 21 août 2020.

    7. La Croix, 5 mai 2021.

    8. Éd de L’Observatoire, 2021, 302 p., 21 €.

    9. Id., p. 84.

    10. Id., p. 85.

    11. Éd. Le bord de l’eau, 2020, 215 p., 18 €.

    12. Id., p. 167.

    13. Id., p. 170-171.

    14. Id., p. 207.

    15. Gallimard, 2017 ; Bayard, 2018 ; Cerf, 2021, 265 p., 25 €.

     Article paru dans La Nef, n° 340 – Octobre 2021

  • Le français, tu le parles ou tu nous quittes! Comment on a renoncé à intégrer par la langue, par Michel Aubouin.

    Des migrants suivent un cours à Toulouse, 2017 © Alain Pitton / NurPhoto / NurPhoto via AFP. 

    Maîtriser le français pour devenir français: la France s’entête à ignorer ce principe de bon sens. En détruisant le projet « Français langue d’intégration », les idéologues du multiculturalisme ont privé la France du premier vecteur de l’intégration et de l’assimilation, et encouragé le développement de ghettos linguistiques. par Michel Aubouin*

    3.jpgJe conserve de mes années d’enseignement la conviction que l’usage de la langue française est le préalable à l’apprentissage de toutes les autres disciplines. Puis, par une longue fréquentation des guichets de préfecture, j’ai compris que le français était aussi le préalable à l’intégration, parce que la langue n’est pas seulement un vecteur d’échanges, elle est aussi l’unique moyen d’aborder ce grand continent des références qui fait le savoir partagé : une certaine façon de raisonner, de voir le monde, de comprendre les constructions juridiques. Bref, la langue n’est pas un simple outil, mais une porte d’entrée vers l’intimité d’un peuple.

    En 2009, ayant été nommé en Conseil des ministres directeur de l’intégration des étrangers en France, j’ai rejoint mon poste nanti de cette conviction de bon sens. Je n’imaginais pas qu’elle allait m’attirer autant de déconvenues ! Les instances européennes ont conçu une grille d’appréciation du niveau de langue divisée en six niveaux, notés A1, A2, B1, B2, C1, C2. Le niveau A1 est le plus faible (c’est celui d’un touriste qui vient de passer quelques semaines dans un pays étranger), le niveau C2 est le plus élevé ; il correspond au niveau de langue d’un locuteur ayant appris à la parler et à l’écrire pendant l’enfance (ce que l’on appelle la « langue maternelle »). Un étranger installé en France pour y rester, avec l’ambition de devenir français, ne peut ignorer la langue française. Un niveau C1 ou C2 paraît requis. Un étranger qui vient d’arriver ne peut demeurer longtemps sans avoir un niveau moyen (B). Un étudiant ou un travailleur qui demande à venir en France devrait parler le français avant de présenter son dossier.

    La plupart des autres pays d’immigration procèdent de cette manière, et pour ceux qui ignorent la langue du pays, des dispositifs d’enseignement sont mis en place. La France, pourtant si fière de sa langue, ne fait pas ainsi. Elle considère que l’apprentissage de la langue est un processus naturel, qui s’effectue au contact des Français. Elle ignore qu’une partie des migrants venant d’un pays dit francophone ne parlent pas le français, que les campagnes d’arabisation conduites dans les pays du Maghreb ont fait reculer l’usage de la langue dite « de la colonisation », que nombre de migrants (de femmes en particulier) n’ont jamais été scolarisés, que beaucoup de ceux qui viennent de continents lointains utilisent des systèmes linguistiques totalement antinomiques avec l’apprentissage du français écrit.

    À mon arrivée en 2009, l’enseignement du français aux migrants était dispensé par des structures associatives, avec des moyens limités. La bonne volonté des bénévoles ne compensait pas toujours les défaillances de leurs méthodes, les ateliers étaient surtout fréquentés par des femmes et l’Éducation nationale n’avait aucunement l’intention de s’en mêler.

    2.jpg

    Brice Hortefeux rencontre des membres de l’AEFTI, Bobigny, juillet 2007. C’est sous son ministère que furent institués les premiers cours de français langue d’intégration (FLI). © MEHDI FEDOUACH / AFP.

    L’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), placé sous ma tutelle, dispensait quelques heures d’enseignement qui se traduisaient par un niveau tellement faible qu’il a fallu créer pour le définir un échelon A1.1, inférieur au premier échelon de la grille européenne. Les formateurs, faute de mieux, utilisaient la méthode du « français langue étrangère » (FLE), enseignée à l’université pour un public d’étudiants. Les élites politico-administratives, impressionnées par le niveau de langue des écrivains étrangers de langue française, n’avaient pas vu ce qui se déroulait dans le même temps dans les grandes surfaces où ils ne faisaient pas leurs courses et dans le RER qu’ils n’empruntaient pas. L’usage du français reculait partout, le processus d’intégration ne fonctionnait plus et les communautés se formaient autour d’unités linguistiques, avant même de se structurer autour de lieux de culte.

    Dans la plupart des cas, les élèves étrangers des écoles publiques (majoritaires dans beaucoup d’établissements) n’entendaient pas parler le français chez eux, surtout lorsque le modèle culturel de la famille n’autorisait pas les femmes à occuper un emploi (Maghreb, Turquie, Pakistan, Afghanistan…). Certes, les pères de famille pouvaient être amenés à côtoyer le français dans leurs contacts professionnels (c’est rarement le cas dans le bâtiment), mais ils ne l’imposaient pas chez eux. Les commerçants du quartier étaient issus de la communauté et, parfois même, le médecin. On regardait, le soir, les chaînes des pays d’origine, en ignorant totalement l’actualité de celui où l’on faisait sa vie. Résultat : les collégiens, les lycéens pratiquaient en classe une langue étrangère. Les meilleurs s’en sortaient très bien, car les professeurs savent qu’ils sont souvent meilleurs en orthographe que les élèves dont le français est la langue maternelle, surtout quand son usage à la maison est par trop malmené. Mais tous les autres, la grande majorité, étaient à la peine.

    Ainsi, le français restait inaccessible quand, dans le même temps, la langue maternelle, plus souvent un parler dialectal qu’une langue académique, s’appauvrissait. Le champ sémantique devenait trop étroit pour exprimer des idées complexes ou des sentiments. Or, tous les spécialistes de l’enfance savent que la violence se nourrit de la difficulté à s’exprimer et qu’elle s’exacerbe lorsque l’adolescent baigne dans l’incertitude. Quant à l’institution, elle s’en contentait, acceptant qu’un étranger devienne français, par la naturalisation, sans maîtriser la langue française.

    Mes contacts dans le reste de l’Europe (la plupart de nos programmes étaient financés par un fonds européen) m’ont appris que nous étions les seuls à pratiquer ainsi. Les autres pays avaient mis en place des dispositifs d’enseignement efficaces, qui permettaient d’arriver en quelques semaines à un niveau B2 voire C1. Des langues aussi difficiles que le néerlandais ou le danois n’échappaient pas à la règle. J’ai assez vite compris que ma priorité devait être de rehausser le niveau de notre enseignement de français et, pendant quatre ans, je me suis appliqué à la mettre en œuvre. La première question était celle de la méthode : le FLE était de toute évidence inadapté à un public composé d’adultes peu scolarisés, ou qui l’avaient été dans un système linguistique très différent du groupe des langues latines auquel le français appartient (avec l’italien, l’espagnol ou le portugais).

    Un cercle de linguistes, dont des universitaires, m’a prêté son concours et proposé une méthode fondée sur l’oralité. C’était l’occasion de faire d’une pierre deux coups : enseigner à la fois l’usage d’un français du quotidien et les valeurs qui permettent le « vivre-ensemble », règles de politesse comprises. Avec le concours de la très sérieuse délégation générale à la langue française, nous avons publié un référentiel. Plusieurs universités, dont celle de Nanterre, s’en sont emparées pour demander la création d’un diplôme. Le FLI (« français langue d’intégration ») devenait une nouvelle branche de l’enseignement, à la fois complémentaire et distincte du FLE « historique ». Les pétitions se sont répandues aussitôt, animées par les adversaires de l’intégration, que j’ai découverts à cette occasion : ceux qui pensent que les étrangers n’ont pas à s’adapter aux modes de vie du pays d’accueil et les pédagogues du FLE, ébranlés dans leur savoir.

    La deuxième question était celle des structures d’enseignement. Les établissements scolaires demeurant fermés aux adultes, les ateliers d’alphabétisation, installés dans des locaux inadaptés, parfois sordides, survivaient difficilement. Seuls les AEFTI (association pour l’enseignement et la formation des travailleurs immigrés), issus des milieux syndicaux, tiraient leur épingle du jeu, en animant en leur sein une équipe de linguistes chevronnés. Les financements publics, remis en cause chaque année, laissaient les formateurs professionnels dans une situation de grande précarité. Il aurait fallu être fier de notre langue et montrer l’importance que nous lui accordions. En organisant des cours dans des sous-sols de cités HLM, nous faisions l’inverse. Mais le plus difficile, pour qui voulait apprendre la langue française en France, était d’abord de trouver un lieu où cette langue s’enseignait. À Paris, où de nombreuses officines proposent des cours d’anglais à grand renfort de publicité dans le métro, le seul lieu digne de ce nom était l’Alliance française installée boulevard Raspail, dans le 6e arrondissement de Paris, à proximité du Lutetia et du Bon Marché… On fait mieux comme insertion dans le milieu des apprenants ! Il fallait donc aider les entreprises et les associations engagées dans la démarche à s’organiser et, surtout, à devenir économiquement viables. Nous avons créé à cet effet un label FLI, fondé sur un cahier des charges contraignant.

    Comme directeur en charge de la naturalisation, mon principal levier était le niveau exigé pour accéder à la nationalité française qui, jusque-là, n’était pas normé, mais tout simplement apprécié lors d’un entretien conduit par un fonctionnaire de préfecture. L’édifice que j’ai contribué à édifier a été calé par un décret en Conseil d’État. La normalisation obligeait le postulant à détenir un diplôme ou un certificat prouvant un niveau B1 (ce devait être une première étape). Nous avons ainsi créé un marché de l’enseignement en rendant obligatoire l’accès à des niveaux plus élevés. Or, en France, notre modèle est fondé sur la gratuité et le bénévolat. Cela n’est pas justifié. La personne qui veut passer le permis paye ses cours. Il n’y a pas de raison qu’une personne engagée dans un processus d’apprentissage ne participe pas à son financement, d’autant que les collectivités locales contribuent à aider les plus modestes et que les employeurs développent des cours à l’usage de leurs employés. Avec le décret déjà mentionné, le diplôme FLI devenait un justificatif. Une centaine d’entreprises (privées ou associatives) se créèrent. Le mouvement engendra de nouveaux cris d’orfraie. Imposer un niveau de langue indisposait nos opposants, refusant par principe tout type de sélection.

    En mai 2012, je n’étais pas inquiet du retour de la gauche. Je pensais ma construction suffisamment solide pour résister aux coups de boutoir de ses adversaires. C’était sans compter avec les tenants de la société inclusive, opposés à toute tentative d’intégration des étrangers. Leur vision de la société avait été développée dans un rapport de Terra Nova, écrit par quelques membres du Conseil d’État, si éloigné de mes propres convictions que j’avais été incapable de la comprendre. Ces gens-là étaient fermement opposés au modèle de l’assimilation. Ils prônaient la juxtaposition des langues, des cultures, des modes de vie et la dilution d’une identité nationale considérée comme dangereuse. Le Premier ministre nomma l’un d’eux, M. Tuot, à la tête d’une commission chargée de redéfinir les contours de notre politique. Un autre fut nommé à la tête du secrétariat général coiffant les deux directions de l’intégration et de l’immigration (alors dirigée par François Lucas, un proche de Jean-Pierre Chevènement). Logiquement, j’aurais dû quitter mon poste mais, sans doute protégé par Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, je suis resté une année de plus pour assister au lent démantèlement de tout ce que j’avais mis en place. J’ai fait de la résistance, en vain. Un soir, Didier Lallement, alors secrétaire général du ministère, me signifiait mon exil dans la préfecture la plus éloignée de la métropole, celle de Wallis-et-Futuna. L’année suivante, une grande partie des structures d’enseignement du français disparaissaient. Les AEFTI, pourtant bien implantées en Seine-Saint-Denis, étaient prises dans la tourmente. La directrice qui me remplaçait mettait fin aux processus de certification FLI des entreprises. Le ministère, englué dans la question des « réfugiés », réorientait tous ses crédits.

    Cependant, le coup de grâce n’a été donné qu’en 2018, quand le Conseil d’État a validé la disparition du décret que je pensais pourtant inattaquable. Avec l’aide de Jean-Michel Blanquer, alors directeur général de l’enseignement scolaire, nous avions déployé un dispositif intitulé « École ouverte aux parents ». Les professeurs des collèges volontaires enseignaient le français aux parents, entre deux cours à leurs enfants. L’opération donnait de très bons résultats et produisait des effets bénéfiques pour les enfants des parents scolarisés. Mais l’Éducation nationale, qui adore les expérimentations en ignorant trop souvent la manière de les généraliser, n’a pas poursuivi. Dix ans plus tard, il ne reste de tout cela qu’un immense champ de ruines et la propagation des phénomènes de communautarisation.

    Quand les idéologues s’en prennent aux mesures de bon sens, le résultat est à la hauteur de leur ignorance. Nous étions les plus mauvais élèves de l’Europe. Il ne nous restera bientôt que nos yeux pour pleurer. À moins que l’Université ne nous sauve. Car le FLI est encore enseigné à Nanterre, Nancy, Pau ou Cergy-Pontoise. Les étudiants peuvent y obtenir un master dans cette spécialité. La recherche se poursuit. Le gouvernement l’ignore. L’intégration ne fait plus partie de ses priorités. Les crédits ont été réduits à la portion congrue. On s’inquiète de phénomènes sociologiques en œuvre depuis des décennies sans jamais comprendre que le facteur linguistique en constitue pourtant l’élément essentiel.

     

     

    Michel Aubouin

    Michel Aubouin est un haut fonctionnaire, essayiste français et ancien préfet. Il a publié une dizaine de livres, dont une Histoire de la police, signée avec Jean Tulard. Ses deux derniers ouvrages sont des biographies, consacrées l’une au révolutionnaire Brissot et l’autre à Madame de Staël.

    Source : https://www.causeur.fr/

  • Justice : un certain « sentiment de laxisme », par Aristide Renou.

    Les chiffres avancés par le garde des Sceaux sont exacts mais insignifiants. D'autres indicateurs donnent une tout autre vision du paysage judiciaire français : un océan de mansuétude, qui recouvre tous les malheurs des citoyens ordinaires.

    La justice française est-elle laxiste ? Les policiers en sont manifestement convaincus depuis longtemps et le font savoir de plus en plus bruyamment. Lors d’une manifestation organisée devant l’Assemblée Nationale, mercredi 19 mai, le secrétaire général du plus puissant syndicat policier a même déclaré : « Le problème de la police, c’est la justice. »

    Les Français en semblent aussi très largement convaincus. Selon un sondage réalisé par l’Institut CSA pour Cnews et publié une semaine après la manifestation des policiers, 81 % des Français partageraient cette opinion. Dans le détail, 37 % sont tout à fait d’accord pour dire que la justice est trop laxiste, et 44 % plutôt d’accord avec cette opinion, 18 % plutôt pas d’accord et 1 % pas du tout d’accord. En d’autres termes, seuls 1 % des sondés sont fortement en désaccord avec l’idée que notre justice est laxiste. Ce n’est pas tout à fait ce que l’on appelle l’unanimité, mais ça s’en rapproche bougrement.

    Bien évidemment, le garde des Sceaux défend comme un beau diable les magistrats contre ces accusations et déploie ses plus beaux effets de manche pour essayer de terrasser ces clichés-qui-font-le-jeu-de-l’extrême-droite. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y va à fond. Comme il avait l’habitude de le faire en cour d’assises. Plus c’est gros, plus ça passe, pourvu seulement qu’on fasse preuve d’assez d’assurance ; et de l’assurance, Éric Dupond-Moretti n’en manque certes pas. N’a-t-il pas déclaré récemment, avec le plus grand sérieux, que la France était « parmi les cinq pays les plus sévères du Conseil de l’Europe » en matière de justice pénale en appuyant ses dires sur un rapport où, même avec la meilleure volonté du monde, il est impossible de trouver le plus petit début de commencement de preuve de cette affirmation ? Je vous en ai déjà longuement parlé et par conséquent je ne reviens pas là-dessus.

    Juste après la manifestation des policiers, le garde des Sceaux a mis en avant d’autres chiffres. « En 2019, 132.000 peines d’emprisonnement ferme ont été prononcées, contre 120.000 en 2015. Est-ce du laxisme ? » a-t-il grondé de sa voix de rogomme. « Dans l’affaire Nordahl Lelandais, l’avocate générale avait requis 30 ans de réclusion ; c’est un jury populaire qui l’a condamné à 20 ans. Est-ce du laxisme ? » a-t-il encore ajouté.

    Concernant ce dernier point, « Acquittator » n’a pas tort. En effet, contrairement à une opinion répandue, les jurys populaires sont loin d’être plus sévères que les magistrats professionnels, car les jurés, dans la naïveté de leur inexpérience, ont une fâcheuse tendance à se laisser prendre aux sophismes et aux roueries des avocats de la défense à la Éric Dupond-Moretti. C’est d’ailleurs pour cette raison que le système de l’échevinage (dans lequel des magistrats professionnels siègent avec les jurés) a été adopté depuis 1941, ce qui a eu pour effet de diviser par deux et demi les taux d’acquittement. Est-il permis de penser que ce caractère manipulable des jurés n’est pas pour rien dans le fait que l’actuel garde des Sceaux voudrait rétablir la « minorité de faveur » en cour d’assises (un accusé ne pourrait plus être condamné qu’à la majorité de sept voix au moins, au lieu de six, donc avec les voix d’au moins quatre des six jurés) ?

    Chiffres absolus, vérités relatives

    Mais, quoi qu’il en soit, en 2019 les décisions des cours d’assises n’ont représenté que 0,2 % des quelques 812 000 décisions rendues par les juridictions pénales : par conséquent leur activité ne contribue que fort peu au « sentiment de laxisme » qui accable les Français presque autant que le fameux « sentiment d’insécurité » (les deux étant d’ailleurs en partie identiques). Laissons-les donc de côté et examinons l’autre statistique dégainée par le garde des Sceaux.

    Commençons par remarquer qu’Éric Dupond-Moretti est un peu approximatif. En 2015, c’est 124 702 peines de prison, en tout ou partie ferme, qui ont été prononcées. Pour 2019, les chiffres des condamnations n’ont pas encore été publiés, mais en 2018 ce sont 130 290 peines de prison en tout ou partie ferme qui ont été prononcées. Admettons, pour les besoins de la discussion, que le chiffre de 2019 serait 132 000 et élargissons la focale pour aller jusqu’en 2009, où 121 647 peines de prison en tout ou partie ferme ont été prononcées. Il y aurait donc eu une augmentation de 9 % en dix ans des peines de prison ferme distribuées par les tribunaux. Ce n’est pas mirifique, mais c’est une augmentation, en effet.

    Sauf que le laxisme ou la sévérité des tribunaux ne se mesurent pas au nombre de condamnations distribuées. La sévérité est un rapport, le rapport entre la gravité des crimes commis et la lourdeur des châtiments prononcés. Des valeurs absolues, comme celles mises en avant par le garde des Sceaux, ne nous apprennent rien de ce point de vue-là.

    Existe-t-il un moyen d’estimer ce rapport ? À défaut de disposer d’un indice synthétique de la sévérité de la justice, nous pouvons faire plusieurs constatations intéressantes.

    Tout d’abord, en se basant sur les derniers chiffres connus, ceux de 2018, les peines de prison en tout ou partie ferme n’ont représenté que 23,7 % de toutes les condamnations prononcées cette année-là par la justice ; 9,95 % de toutes les affaires considérées comme poursuivables ; et 2,9 % des procès-verbaux transmis aux parquets. C’est donc moins d’une affaire sur trente portée à la connaissance de la justice qui aboutit au prononcé d’une peine de prison ferme. Présenté ainsi, ça fait tout de suite moins impressionnant, n’est-ce pas ? Et je suis sûr que vous sentez d’ores-et-déjà un certain « sentiment de laxisme » s’insinuer en vous. Mais poursuivons.

    Entre 2009 et 2019, les condamnations à de la prison ferme auraient donc augmenté de 9 %. Sauf que, entre 2010 et 2020, les coups et blessures volontaires enregistrés par la police et la gendarmerie ont augmenté de 27,26 %. Par ailleurs, nous sommes passés de 1767 homicides et tentatives d’homicides (y compris les coups et blessures volontaires suivis de mort) en 2009 à 3168 en 2018, soit une augmentation de plus de 79 %. Les violences et outrages contre les dépositaires de l’autorité publique ont, elles, augmenté de 40,08 % entre 2009 et 2019 et le nombre de policiers blessés en mission aurait augmenté de 92,58 % entre 2004 et 2019 (il convient toutefois d’ajouter, concernant ces deux dernières statistiques, que la fin de 2018 et le début de 2019 ont été marqués par les manifestations hebdomadaires des Gilets jaunes, ce qui a fortement fait grimper le nombre des violences et outrages). À ce stade, le « sentiment de laxisme » devient plus que lancinant, ne trouvez-vous pas ? Mais il y a mieux encore.

    Un bon moyen d’estimer la sévérité ou le laxisme des tribunaux serait de comparer, pour chaque catégorie d’infraction, la peine maximale prévue par le Code pénal et le quantum moyen ferme prononcé. Malheureusement, le ministère de la Justice ne fait pas figurer ces chiffres parmi ceux qu’il communique au grand public, on se demande bien pourquoi. Toutefois, ce qu’il n’est pas permis au citoyen ordinaire de connaitre, les parlementaires peuvent parfois l’obtenir. Et c’est ainsi que la commission des lois du Sénat a pu établir un tableau fort intéressant, qui figure à la page 149 du rapport concernant la loi dite « Sécurité globale » discutée ce printemps au Parlement. Je vous donne simplement quelques chiffres tirés de ce tableau.

    • Menace de crime ou délit contre les personnes ou les biens à l’encontre d’un dépositaire de l’autorité publique : peine maximale prévue par le Code pénal : 3 ans de prison et 45.000 euros d’amende. 2019, taux d’emprisonnement ferme pour cette infraction : 45,8 % ; quantum moyen ferme : 4,9 mois.
    • Violence sur une personne dépositaire de l’autorité publique suivie d’incapacité n’excédant pas huit jours : peine maximale prévue par le Code pénal : 3 ans de prison et 45.000 euros d’amende. 2019, taux d’emprisonnement ferme pour cette infraction : 37,6 % ; quantum moyen ferme : 6 mois.
    • Violence sur une personne dépositaire de l’autorité publique suivie d’incapacité supérieure à huit jours : peine maximale prévue par le Code pénal : 5 ans de prison et 75.000 euros d’amende. 2019, taux d’emprisonnement ferme pour cette infraction : 65,1 % ; quantum moyen ferme : 9 mois.

    Pour ces trois catégories d’infraction, le quantum moyen ferme prononcé par les tribunaux a donc représenté entre 1/6e et 1/7e des peines maximales prévues par le législateur et ces peines fermes n’ont été prononcé que dans 40 à 60 % des cas.

    Pour avoir une idée plus exacte de ce que cela signifie, prenez en compte le fait que ces délits concernent des dépositaires de l’autorité publique, c’est-à-dire des serviteurs de l’État, qui sont représentés par de puissants syndicats et que les gouvernements ont tout intérêt à ménager ; que par conséquent les pressions et instructions pour que la justice se montre sévère envers leurs agresseurs sont maximales et permanentes. Et maintenant, imaginez la manière dont nos tribunaux doivent traiter les victimes ordinaires, celles qui n’ont ni organisation pour les défendre, ni soutien politique, ni relais médiatiques…

    Le refus de punir

    Ce n’est plus un « sentiment de laxisme » que vous éprouvez, c’est une certitude écrasante, qui provoque en vous un mélange de colère et de désespoir. Et pourtant je ne vous ai pas parlé de tout le système d’érosion des peines mis en place depuis des décennies, qui a pour conséquence que le nombre d’années réellement passées en détention est presque toujours très inférieur au nombre d’années prononcé par le tribunal. Le rapport entre les peines prononcées et les peines exécutées n’est pas non plus communiqué par le ministère, ce qui n’étonnera personne ; sachez seulement qu’actuellement les réductions de peine peuvent aller jusqu’à cinq mois par an. Sans compter les possibilités de libération conditionnelle, de « libération sous contrainte », etc.

    Si je ne vous en ai pas parlé, c’est parce que vous seriez tentés d’en conclure que la justice française n’est pas laxiste, mais carrément démissionnaire, et je ne voudrais pas que vous perdiez confiance en la justice de votre pays.

    Comment en sommes-nous arrivés à une telle situation ? À défaut de pouvoir l’expliquer de manière parfaitement satisfaisante, je ferai une observation. Nous allons « célébrer » cette année le quarantième anniversaire de l’abolition de la peine de mort. Il devrait être évident aujourd’hui que la signification véritable de cette abolition, c’est le refus de punir ; le refus du châtiment comme rétribution proportionnée à la gravité du crime et le triomphe presque sans partage d’une conception thérapeutique du châtiment, selon laquelle la seule fonction légitime de la peine est de « réhabiliter » le criminel, c’est-à-dire de lui permettre de retrouver la liberté le plus rapidement possible. Et de fait, la peine de prison à perpétuité n’a pas tardé à suivre la peine de mort dans les poubelles de l’histoire pénale.

    Ainsi, par exemple, Jean-Claude Romand, qui avait été condamné à la perpétuité pour avoir assassiné sa femme, ses deux enfants, ses parents et pour avoir tenté d’assassiner sa maîtresse, a finalement été libéré après vingt-six ans de détention.

    Lorsque des crimes aussi abominables que ceux de Jean-Claude Romand ne valent à leur auteur que 26 ans de prison, il est inévitable que des meurtres plus « ordinaires » ne vaillent à ceux qui les commettent qu’une dizaine d’années de prison effectives ; et que le tarif moyen d’une agression physique ne soit que de quelques mois, y compris lorsque la victime est un dépositaire de l’autorité publique.

    Les magistrats sont loin, très loin d’être les seuls à être infectés par cette conception thérapeutique du châtiment, par ce refus de punir qui peut se constater à tous les échelons de la société et dans toutes les institutions, même si, bien sûr, en tant que détenteurs du pouvoir d’infliger les châtiments les plus sévères, le fait qu’ils soient ainsi infectés a des conséquences particulièrement graves.

    Mais avant de les accabler, posez-vous cette question : estimez-vous que certains crimes privent à tout jamais leur auteur du droit de vivre comme un homme libre, et ce quelle que soit son évolution personnelle ? Si vous répondez « non » à cette question, ne vous plaignez plus jamais de l’insécurité ou du laxisme de la justice. Vous êtes une partie du problème que vous dénoncez.

     

    Illustration : Six mois de prison avec sursis, réquisition maximum pour ceux qui promettaient à Mila, entre autres douceurs, de la traiter comme Samuel Paty…

    4.jpg

    Source : https://www.politiquemagazine.fr/

  • Quelle stratégie sanitaire ? : Grand entretien avec Jacques Sapir.

    ENTRETIEN. Jacques Sapir est économiste et contributeur régulier à la revue Front Populaire. Nous avons sollicité son avis sur les récentes déclarations de politique sanitaire du président de la République. Un entretien dense à même de nourrir la réflexion.

    Front Populaire : Qu’avez-vous pensé de l’allocution d’Emmanuel Macron du 12 juillet ?

    Jacques Sapir : Il y avait plusieurs éléments, imbriqués l’un dans l’autre, dans cette allocution. Bien entendu, ce que l’on a le plus retenu c’est le volet sanitaire. Effectivement, dans ce volet il y a eu l’annonce de l’obligation de vaccination pour les soignants, mais aussi le durcissement des conditions d’application du « pass sanitaire ». Cela équivalait à déclarer la vaccination quasi-obligatoire en France.

    C’est évidemment un point important, alors que l’on voit bien que dans certaines régions de France, mais aussi à l’étranger, la pandémie repart du fait de l’émergence d’un « variant » qui est beaucoup plus contagieux que le précédent. Ainsi, dans les Pyrénées-Orientales, le taux d’incidence pour les 20-29 ans est passé de 16/100 000 pour la dernière semaine de juin à 185 pour la première semaine de juillet puis à 783 pour la deuxième semaine de juillet.

    Sur Paris, on est passé de 51 à 138, puis à 212. On le voit, un mouvement assez général dont l’épicentre se situe chez les jeunes, 20-29 ans et 10-19 ans, mais qui menace de s’étendre aux groupes plus âgés. Le R0, qui indique le mouvement épidémique, et qui était passé sous 1 à la fin avril, et qui avait même atteint 0,66 fin juin, était remonté au-dessus de 1,2 avant l’allocution et devait atteindre au 18 juillet à 1,41 [1]. Il est clair que l’épidémie repart, et fortement.

    Mais, il y avait aussi d’autres choses dans cette allocution. Il y avait une partie, courte, dédiée à la sécurité. Il y avait aussi une partie, nettement plus fournie, portant sur l’économie. Cette partie n’est pas moins importante. Elle contenait, d’une part, une défense du « quoi qu’il en coûte », qui avait été proclamé par Emmanuel Macron en mars 2020, avec implicitement ce message : nous avons fait mieux que les autres. Ensuite, on trouvait un retour aux fondamentaux du macronisme avec le retour des réformes, celle de l’assurance chômage et celle des retraites, même si elle était temporairement repoussée.

    Et puis, nous avons eu droit, aussi, à un véritable couplet souverainiste, sur la nécessité de reconstruire la souveraineté économique de la France et sur la nécessité d’assurer sa ré-industrialisation. Le tout fait un curieux mélange. Alors, Il est clair que ce mélange doit beaucoup à la campagne électorale, qui a été lancée par cette allocution. Et ce mélange contribue à brouiller le message sanitaire. Emmanuel Macron n’a pas joué honnêtement sur ce coup là, au risque donc de provoquer des réactions négatives sur le volet sanitaire, un volet que l’on peut d’ailleurs approuver.

    FP : Vous semblez être en accord avec les mesures sanitaires proposées par le président de la République. Comment peut-on prendre au sérieux quelqu’un d’aussi illégitime qui a tant louvoyé et menti ?

    JS : Oui, c’est vrai, ce pouvoir a beaucoup menti. On se rappelle l’épisode des masques, dont on a commencé à nous dire qu’ils n’étaient pas nécessaires pour la population avant de les rendre obligatoires. On se rappelle aussi l’invitation à sortir le soir, proférée au début de mars 2020, une semaine avant que ne soit annoncé le confinement. On se rappelle encore les changements de position sur les frontières, d’abord présentées comme inutiles – rappelons nous l’inénarrable « les virus n’ont pas de passeport » avant que l’on ne décrète, mais bien trop tard et de manière peu convaincante, leur fermeture.

    Tout comme on se souvient des palinodies sur la vaccination, sur les vaccinodromes, d’abord inutiles puis nécessaires, sur la vaccination devant se faire dans le même lieu pour les deux doses avant que l’on ne se rende compte qu’elle pouvait se faire partout. Et l’on ne parle même pas de la non-préparation du pays à une épidémie de cette ampleur, point sur lequel Macron n’est pas seul responsable ; Sarkozy puis Hollande ont démantelé les stocks stratégiques, en particulier les masques, et durablement affaibli l’hôpital public.

    Il n’en reste pas moins que, dans ses trois premières années de mandat, Emmanuel Macron n’a rien fait, en dépit des avertissements de certains - dont Jérôme Salomon - pour corriger une trajectoire qui nous a conduit à la catastrophe. Alors, oui, ce gouvernement et ce Président ont menti, louvoyé, décrédibilisé la parole publique comme peu l’avaient fait avant eux, c’est une affaire entendue.

    Est-ce autant une raison pour ne pas l’écouter quand il dit quelque chose de juste ? Une vieille anecdote que j’ai vécue lors d’un voyage en URSS en 1988 me revient à l’esprit. J’avais été affecté au laboratoire d’économie mathématique de Nikolaï Petrakov. Ce dernier se refusait de croire que, dans la France de l’époque, il puisse y avoir du chômage en me disant : « mais, vos propos sont les mêmes que ceux que tiennent les organes de presse de notre gouvernement. Comme ce dernier ne cesse de nous mentir, il ne peut en être ainsi… » [2]. Et pourtant, il en était bien ainsi…

    C’est un réflexe très français que celui qui consiste à penser que tout ce qui peut provenir d’un pouvoir haïssable est nécessairement haïssable, qui consiste à penser que l’ennemi politique ne peut sur aucun point avoir raison. Pourtant, même si Adolph Hitler, et Emmanuel Macron n’est en rien comparable ni à Hitler ni à Mussolini, revenu des enfers, me disait par un beau jour de printemps que le soleil brille, serai-je obligé d’affirmer qu’il pleut à verse et que nous sommes au fin fond de l’hiver pour ne jamais lui donner raison ? Au delà, si un pouvoir haïssable vous dit de faire quelque chose pour votre bien, faut-il le refuser parce que ce pouvoir est, à juste raison, haïssable ? N’est-ce pas adopter l’attitude d’un petit enfant, avant ce que l’on nomme justement l’âge de raison, que d’agir de la sorte ?

    De fait, peu me chaud de connaître les tréfonds ténébreux de la pensée du Président. Lénine, en 1914, disait aux ouvriers et paysans de Russie « prolétaire, la bourgeoisie te donne un fusil ? Prends le ! ». Aujourd’hui, paraphrasant Lénine, on pourrait dire « français, Macron te propose un vaccin ? Prends le ! ». Car la vaccination apparaît aujourd’hui comme la seule manière de retrouver une vie collective, y compris d’ailleurs des luttes collectives, dans le contexte d’une épidémie.

    Alors, bien sur, il y a les mesures d’incitation forte, comme le passe sanitaire qui deviendra dans les semaines à venir obligatoire. Mais, face à une épidémie, nous savons bien que seule une vaccination généralisée peut tout à la fois protéger le plus de monde et réduire le plus possible la circulation du virus. Car, il n’est pas neutre que ce dernier circule avec 100 contaminations/jours, 1000, 10 000 voire 100 000. Naturellement, il eut été préférable que Macron agisse avec plus de clarté, et déclare que cette vaccination deviendrait obligatoire comme le sont déjà de nombreuses autres. Il eut été préférable qu’il dise que le pass sanitaire avait pour fonction de contraindre. Il eut été préférable qu’il n’en exempte pas la police, créant sur ce point un juste malaise. Mais quoi, attendiez vous du renard les mœurs du lion, comme l’avait dit Victor Hugo ?

    On se doute bien que la santé des français n’était pas son seul objectif. On imagine qu’il pense à sa réélection et veut éviter un nouveau confinement qui, probablement, sonnerait le glas de ses ambitions. On devine qu’il pense à la Présidence tournante de l’Union européenne qu’il prendra, pour six mois, le 1erjanvier prochain. Si la France est toujours à la traine pour les vaccinations, dépassée qu’elle est aujourd’hui par l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et l’Espagne, devancée par le Royaume-Uni fort de son Brexit, quelle honte pour lui dans les réunions européennes.

    Oui, il y a plein de mauvaises raisons derrière les décisions d’Emmanuel Macron, plein de pensées obscures et de calculs politiciens. Mais ces décisions restent médicalement justes et socialement bonnes. Il faudrait être fou pour ne pas l’admettre.

    FP : Existe-t-il des arguments imparables en faveur de la vaccination ?

    JS : Les seuls arguments « imparables », en supposant que l’interlocuteur accepte de rester dans le cadre d’une logique rationnelle, consistent à dire les choses comme elles sont. Car, face à une personne ayant basculée dans l’irrationalité, il n’y a pas d’arguments susceptibles de convaincre. On est face à une personne qui vous expliquera que 2 + 2 = 5 et qu’il y a un complot international pour prétendre que 2 + 2 = 4.

    Il faut tout d’abord faire un bilan de la situation. La Covid-19 n’est certes pas, et c’est heureux, la peste ou Ebola. Mais, avec 90 000 morts sur 12 mois (en France), elle a plus tué que la grippe, entre 6 et 30 fois plus. De plus, elle produit des séquelles graves sur les personnes jeunes, ce que l’on appelle la « covid-long », qui toucherait environ 100 000 autres personnes.

    Les personnes qui cherchent à minimiser la létalité et la dangerosité de cette maladie sont des irresponsables. C’est une maladie très contagieuse, les chiffres de remontée des contaminations en France depuis début juillet en témoignent, et c’est ce qui explique que l’on parle d’épidémie et de pandémie. Le défi n’est donc pas seulement d’éviter de nouvelles victimes, une multiplication des séquelles invalidantes, mais de réduire aussi, autant qu’il est possible, la circulation du virus.

    Quelles sont nos armes ? Les traitements en cours ne semblent pas efficaces. L’étude qui semblait montrer une certaine efficacité à l’Ivermectine a été retirée sur des soupçons de fraude [3]. On doit donc reconnaître qu’il n’existe pas d’alternatives aux vaccins (et non « le » vaccin comme le disent les antivax de tout poil).

    Ces vaccins, qu’il s’agisse de BioNTech-Pfizer, de Moderna, d’AstraZeneca, de Jansen, de Sputnik-V ou de Sinovac ou Novavax, font appels à des techniques différentes, mais aussi à des processus industriels différents qui ne sont pas assimilables à un « Big Pharma » mythique [4] : Arn-messager (BioNTech-Pfizer, Moderna), adénovirus recombinant (vecteur viral) pour Astra Zeneca, Jansen et Sputnik-V (deux adénovirus pour ce dernier, lui conférant une efficacité proche des vaccins à Arn messager [5]), sous-unités protéique (Novavax), virus inactivé (Sinovac). Ils ont, cependant, des caractéristiques proches (sauf pour Sinovac qui semble moins efficace) :

    - Une protection contre l’apparition de la maladie allant de 87% à 93% (2 doses) pour le variant britannique à 78-84% pour le variant indien. Cette protection cependant tombe fortement pour les personnes n’ayant reçu qu’une dose (46-60% pour le variant britannique, 32-38% pour le variant indien). Cela explique probablement les fortes contaminations de personnes vaccinées mais n’ayant reçu qu’une dose en Israël et au Royaume-Uni.

    - Une protection contre les formes nécessitant une hospitalisation qui est bien meilleure, de 80% à 99% pour le variant britannique (2 doses) et de 91% à 98% pour le variant indien (2 doses). Les vaccins à Arn-messager et Sputnik-V, du fait de son utilisation de 2 adénovirus différents, obtiennent semble-t-il les meilleurs résultats, même si dans certains cas la réussite du vaccin Astra Zeneca, massivement utilisé en Grande-Bretagne s’en rapproche.

    - Une faible fréquence des effets secondaires graves. Les effets signalés en France sont de l’ordre de 1028 pour un million. Les décès suspects, mais non nécessairement attribués à la vaccination, car sur un effectif se comptant en dizaines de millions il est évident que l’on aura de nombreux cas de coïncidences, sont estimés au niveau de l’UE à 75 pour un million. Dans le cas de la France, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament a comptabilisé 959 décès après plus de 53,4 millions d’injections, soit une fréquence de 18 pour un million. Ceci est à comparer avec le taux de décès pour cause de Covid qui est actuellement en France d’environ 1700 pour un million soit 68 fois plus important. Même pour les 20-29 ans, la fréquence des décès dus à la Covid-19 est supérieure.

    - Pour ce qui concerne les vaccins à Arn messagers, rappelons que cette technique est connue depuis près de trente ans et expérimentée depuis près de vingt, testée depuis plus de douze (contre le virus de la fièvre Ebola en particulier). Les effets à long-terme des vaccins, que certains rapprochent des catastrophes induites par certains médicaments, comme le Mediator, ne sauraient être comparables. Il n’y a rien de commun entre deux injections, voire trois pour les plus fragiles, où l’ARN messager se détruit en quelques heures, et l’accumulation dans l’organisme de substances prises tous les jours sur une durée de plusieurs semaines.

    On voit que seule une vaccination massive peut à la fois réduire très fortement les cas graves mais aussi limiter la circulation du virus, protégeant ainsi les personnes dont le système immunitaire est affaibli (que ce soit par l’âge ou par des traitements spécifiques) et réduisant le risque d’apparition de nouveaux variants potentiellement plus dangereux et plus contagieux que le variant anglais. La très forte contagiosité du variant indien rend probablement une immunité collective parfaite inatteignable. Mais, une forte réduction de la circulation du virus rendrait le risque subi par les personnes à système immunitaire faiblissant ou déprimé entièrement gérable et réduirait significativement le risque d’apparition de nouveaux variant.

    FP : Peut-on être favorable à la vaccination et opposé au passe sanitaire ? Et comprenez-vous qu’on puisse voir dans l’extension du passe sanitaire une remise en cause de notre modèle de société ?

    JS : En théorie, on peut entendre cet argument. Ceux qui disent que Macron et le gouvernement auraient dû rendre la vaccination obligatoire n’ont pas tort. Je le pense aussi. Mais, prétendre que le passe sanitaire constituerait un changement radical est faux.

    Il existe déjà, outre les obligations vaccinales pour les enfants, des règles rendant un vaccin spécifique obligatoire pour certaines professions (à l’éducation nationale, dans le milieu hospitalier) ou pour se déplacer dans certaines régions (cas du vaccin contre la fièvre jaune). Le passe sanitaire n’est donc pas une innovation. Sous d’autres noms, c’était déjà une pratique existante en France depuis des décennies.

    Constitue-t-il une forme de ségrégation ? On a entendu bien des choses grotesques sur ce point, allant de l’« apartheid » à une comparaison odieuse avec l’étoile jaune. Un noir pouvait-il éviter l’apartheid par sa décision ? Un juif pouvait-il éviter l’étoile jaune par sa décision ? Ce qui caractérise les ségrégations réelles c’est qu’elles s’appuient sur une caractéristique de la personne que cette personne ne peut changer. Le passe, quant à lui, vous donne le choix entre être vacciné ou faire un test PCR. De plus, pour l’instant, ce choix est totalement gratuit. On ne parle de dé-rembourser les tests PCR (et la

  • La Fabrique du crétin. 2e livraison, par Jean-Paul Brighelli.

    Apprentissage de la lecture à Clamart, 2006. SIPA. 00537617_000005

    Jean-Paul Brighelli partage avec nous l'introduction de son prochain livre. 2e livraison

    Chers lecteurs, je profite de ces vacances pour écrire mon dernier livre sur l’état de l’Ecole, à paraître en janvier prochain. L’idée m’est venue de vous en soumettre les chapitres essentiels, afin de tenir compte de vos réactions. Aujourd’hui, La question de la langue, 1ère partie. Bonne lecture et n’hésitez pas à commenter, même avec férocité, cette analyse dernière, après 45 années passées dans un système éducatif désormais exsangue.

    5.jpgQuand on entre dans le corps principal de bâtiment rue de Grenelle, un escalier s’offre à vous, sur votre gauche. Montez quelques marches, et sur le mur sont accrochés les portraits de tous les ministres de l’Education depuis les débuts de la IIIème République. On y conserva longtemps le portrait de l’infâme Abel Bonnard, avant que François Bayrou ne le fasse décrocher et renvoyer aux poubelles de l’Histoire.

    Le bras armé du ministère

    De tous ces visages qui vous regardent monter, il est bien difficile d’en identifier plus d’une quinzaine — même pour un spécialiste de l’Education. C’est un ministère où l’on est rarement nommé pour ses compétences spécifiques. Qui se souvient par exemple de Lucien Paye (1961-1962), de Pierre Sudreau (d’avril à octobre 1962), ou même de Christian Fouchet (1962-1967) ? Qui se rappelle qu’Alain Peyrefitte, passé de l’Information à l’Education, était rue de Grenelle en 1968 — et que François-Xavier Ortoli lui succéda durant deux mois, le temps d’expédier les affaires courantes avant l’arrivée d’Edgar Faure, qui ne resta qu’un an mais marqua réellement de son empreinte la vie éducative ?

    Et d’ailleurs, quelle importance ? Le bras armé du ministère, là où se fait vraiment le travail, c’est la DGESCO — Direction Générale de l’Enseignement Scolaire. Une Direction que l’on ne connaît guère, mais qui assure l’essentiel du travail, quand le ministre — et cela est souvent arrivé — se cantonne dans des activités de représentation. Par exemple sous le règne de Najat Vallaud-Belkacem, c’est Florence Robine, ex-professeur de Physique, qui fut le bras armé du ministère. ON la récompensa en la nommant rectrice de l’Académie de Nancy-Metz, puis ambassadeur de France en Bulgarie — elle avait enfin atteint son niveau d’incompétence, comme dit Peter Lawrence…

    Quelle langue française ?

    De 1962 à 1965, c’est un certain René Haby, ex-instituteur et agrégé d’Histoire, qui la dirigeait, et qui assura la continuité des services sous trois ministres aussi peu compétents les uns que les autres. Le même qui sera Ministre de l’Education sous Giscard, de 1974 à 1978. Le collège unique, la promesse de la « réussite pour tous », c’est lui. Mais pas seulement.

    Pendant que De Gaulle défendait le France et le franc, soutenait le Concorde et faisait des misères au grand frère américain, René Haby lança deux commissions qui visaient l’une et l’autre à étudier une importante question : quelle langue française voulait-on transmettre aux enfants dans les écoles de la République ?

    Comment, me direz-vous ? Il n’y en a pas qu’une ?

    Tout dépend du point de vue. On avait gardé longtemps les mêmes programmes de Français — en 1945 on reprit les programmes de 1923, très normatifs, qui consacraient à l’apprentissage de la grammaire, étudiée en soi, de larges créneaux horaires. Vers la fin des années 1950, l’arrivée en Primaire de la première fournée du baby-boom et la prolongation de la scolarité obligatoire, décrétée par le ministre Berthoin (qui ça ?) en 1959, amenèrent le ministère à reconsidérer (prudemment) la question. On chargea donc un Inspecteur général, Marcel Rouchette, de diriger une Commission pour réfléchir à la question : quelle langue voulait-on / devait-on enseigner aux élèves ? On a appelé cette période la Rénovation. A posteriori, le mot a quelque chose de profondément ironique. Il s’agissait, pratiquement, d’une subversion de la langue et de son apprentissage.

    La commission Rouchette travaille donc la question de 1963 à 1966. Une ère d’expérimentation s’ouvre en 1967 — jusqu’en 1972. Les Instructions officielles sont publiées à la fin de cette dernière année. Pompidou, qui lorsqu’il était Premier ministre avait sérieusement freiné les ambitions réformatrices, n’est déjà plus en état de s’y opposer.

    Dès le début, deux conceptions s’affrontent. Pour Michel Lebettre, directeur des enseignements élémentaires et complémentaires, la fonction de l’école primaire est de fournir des bases solides pour la poursuite de la scolarité en renforçant les deux disciplines fondamentales, le français et les mathématiques. L’enseignement de la grammaire est central et presque autonome car il permet d’aborder l’apprentissage du latin qui commence au collège. C’est une approche logique de la langue qui vise l’efficacité et repose sur la mémorisation, prélude à toute activité d’expression orale et écrite. Ainsi, on acquiert les connaissances en français en répétant et en appliquant les règles, comme le rappelle Michel Lebettre dans sa circulaire : « Il est donc recommandé instamment aux maîtres des classes élémentaires de consacrer tous leurs efforts à fixer de manière durable, dans ces diverses matières [les disciplines fondamentales, français et calcul], les connaissances prévues par les programmes. Ils n’y parviendront qu’au prix de répétitions fréquentes et d’exercices nombreux. La réhabilitation du rôle de la mémoire, qu’amorçaient déjà les instructions du 20 septembre 1938, devra donc être reprise car il n’est pas douteux que, pour de jeunes enfants, le « par cœur » ne soit la forme la plus authentique et la plus durable du savoir. »

    Traduisons. Rien ne remplacera jamais le « par cœur » ; la grammaire et l’orthographe doivent être étudiées en soi et pour soi — l’apprentissage de la langue est donc normatif ; et la formation reçue en Primaire doit préparer à l’excellence au lycée — rappelons que les sections « classiques », avec latin, sont alors préférées aux sections « modernes ». Lebettre s’inscrit donc dans la lignée exacte des Instructions de 1923 à 1938, les dernières à avoir été visé par Jean Zay, ministre (de gauche) de l’Education depuis juin 1936 — et assassiné en juin 1944 par des miliciens venus le quérir dans sa prison de Riom où l’avait enfermé la justice de Pétain — aménageant une peine initiale de condamnation au bagne, comme Dreyfus.

    Je précise cela à l’intention de ceux qui s’imaginent que la Gauche a toujours été du côté des « réformateurs ». Franc-maçon, Jean Zay a fait des études de Droit, il a adhéré jeune aux Jeunesses laïques et républicaines, il est à l’aile gauche du Parti Radical. Il a déjà prolongé l’obligation scolaire de 13 à 14 ans. Et l’une de ses circulaires interdit le port par les élèves de tout signe politique ou religieux. « L’enseignement public, dit-il, est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements. » On mesure ce qui s’est perdu, à gauche et plus généralement dans la société française, avec nos débats actuels sur le voile, le burkini et les horaires dissociés pour les femmes musulmanes dans les piscines.

    Construire son savoir tout seul

    À la conception traditionnelle de Lebettre s’oppose la conception « novatrice » des partisans de la pédagogie Freinet, soutenus au ministère par Roger Gal, chef de la recherche pédagogique à l’Institut Pédagogique National, qui sera toujours le fer de lance des réformistes — ou le ver dans le fruit, comme vous voulez.

    L’idée est que grammaire et orthographe sont communs à toutes les disciplines, et n’ont pas à être étudiées en soi. « Refusant la seule mémorisation des règles, la commission réclame un apprentissage reposant sur « l’activité intelligente des élèves », c’est-à-dire proposant des observations des faits de langue », résume très bien Marie-France Bishop dans un article publié dans Le Télémaque en 2008. Ou si l’on préfère, c’est à l’élève de relever les règles et les particularités de la langue, au hasard de ses lectures. De cette opposition naîtra un peu plus tard l’affrontement entre les partisans de la grammaire de phrase, qui s’appuient sur un apprentissage systématique des règles, et ceux de la grammaire de texte, où l’on fait de la grammaire à l’occasion de la lecture, mais jamais en soi. Et où les élèves découvrent par eux-mêmes les règles qui régissent les mots qu’ils lisent. Ils construisent déjà leurs savoirs tout seuls…

    Le rapport remis à René Haby en 1963 concluait pourtant à « consolider l’acquisition des trois connaissances fondamentales : lecture, écriture, calcul. » Mais le directeur des services d’enseignement ne l’entend pas de cette oreille. Il veut réformer « les programmes et les horaires », mais aussi « les méthodes et l’esprit même qui anime cet enseignement. »

    Arrêtons-nous un instant sur ce lien entre « horaires » et méthodes ». Rien de gratuit ni de fortuit, jamais, dans les décisions ministérielles. Ce qui se dessine dans les instructions de René Haby, c’est la possibilité, qui sera exploitée à partir des années 1980, de réduire drastiquement des horaires dédiés au français sous prétexte que c’est la langue utilisée en maths ou en Histoire, et que donc on peut considérer que tout ce qui se dit ou s’écrit en français est… du français : de ce qui était l’étude systématique de la langue on fera donc une discipline transversale. On pourra donc, à partir de cette observation fallacieuse, diminuer les horaires consacrés à la discipline, et, partant, les postes d’enseignants. La commission Rouchette transforme l’apprentissage du Français en apprentissages des situations de communication. D’où l’accent mis sur l’oral — c’est pratique, on n’y voit pas les fautes d’orthographe — et spécifiquement la langue orale des élèves. Se faire comprendre (« Moi Tarzan… Toi Jane… ») l’emporte désormais sur la qualité de l’expression.

    Le bon usage

    On parlait alors de « démocratisation ». Plus tard on utilisera le mot « massification ». Le quantitatif détrône le qualitatif. On ouvre la chasse à l’élitisme, bête noire des pédagogies de masse. Ce n’est pas anecdotique. Notre langue est traversée depuis l’origine par la question du « bon usage » — ce n’est pas par hasard que le dernier des grammairiens normatifs, Maurice Grévisse, intitule ainsi sa Grammaire en 1936 — et régulièrement mise à jour dans les décennies suivantes. L’expression vient de Vaugelas, qui en 1650, dans ses Observations sur la langue française, notait que le bon usage était « la façon de parler de la plus saine partie de la Cour, conformément à la façon d’écrire de la plus saine partie des auteurs du temps. » Il entendait proscrire le « gascon », comme on appelait uniformément tous les patois, et les bizarreries et créations verbales osées par certains littérateurs. En 1650, le « bon français » est parlé par cent mille personnes, tout au plus, sur 12 millions d’habitants. Aujourd’hui, quel serait le pourcentage de gens s’exprimant avec une vraie correction, sur 67 millions de Français ?

    Il s’agissait donc de décomplexer les nouveaux arrivants en Sixième, en baissant drastiquement le seuil d’exigences. Un exemple entre mille : le mot « réaction » disparaît des programmes, replacé par celui d’« expression écrite », qui est tout autre chose. L’oral, en bon français, est encore de l’écrit. Mais l’expression écrite suggère d’inverser les termes, de façon à faire de l’écrit un mime de l’oral le moins maîtrisé. À terme, c’est la prépondérance du « français banlieue » dont nous voyons aujourd’hui la déferlante. La montée en puissance, dans les années 1960, de la linguistique dans les études universitaires explique les choix faits par la commission — et les options ultérieures. La linguistique saussurienne met en avant la communication, considérée comme la principale fonction du langage. Et la linguistique transformationnelle chomskienne, qui déboule à l’orée des années 1970, explique les délires de « génétique de la langue » qui amèneront des maîtres un peu dépassés à imposer aux élèves des « arbres » germinatifs et génératifs censés expliquer le fonctionnement de la phrase.

    Atout supplémentaire et non négligeable pour les idéologues qui s’imposent alors : les parents, peu au fait du langage et du fonctionnement de ces modèles linguistiques, ne pourront pas aider leurs enfants — ce qui égalise les chances, paraît-il. De même les « maths modernes » sont incompréhensibles pour des « géniteurs d’apprenants » qui avaient appris les maths « à l’ancienne ». Et parmi les méthodes d’apprentissage du Lire / Ecrire, la méthode dite « idéo-visuelle » (improprement appelée « semi-globale », elle consiste à associer une image et un mot) est préférée au B-A-BA qui avait fait ses preuves depuis deux siècles, parce qu’elle permet aux classes défavorisées d’augmenter rapidement leur sac de mots — sac que les privilégiés avaient empli en famille. Le souci permanent, en ces années réformatrices, est l’égalisation des conditions — ce qui ne fera que renforcer leurs différences.

    Un plafond de verre… opaque

    Parce qu’il faut être clair. En se livrant à cette inversion des valeurs, le ministère choisissait, sous prétexte de « démocratisation », la mise à l’écart des Français appartenant aux couches les plus populaires, et préservait ceux qui étaient issus des classes les plus favorisées. Si l’on cesse d’apprendre le « bon » français à ceux qui n’en savent rien, on les condamne de fait à rester dans leur médiocrité, alors même qu’ils pouvaient s’en extraire. Sous prétexte d’uniformiser, on a réalisé ce qui, chez Bourdieu et Passeron, n’était encore qu’une prédiction : la conservation des « héritiers », leur « reproduction », et à terme la prédominance de la « noblesse d’Etat » telle qu’elle se perpétue à travers les grandes écoles — qui avaient pourtant permis, entre les années 1940 et 1970 au petit Bourdieu, fils de paysans ( et reçu à l’ENS-Ulm en 1951) et au petit Brighelli, de souche tout aussi humble (reçu à l’ENS-Saint-Cloud en 1972) d’aller au plus haut de leurs capacités. Les disciples de Bourdieu et Passeron (les Héritiers remonte à 1964, c’était l’actualité des membres de la commission Rouchette) ont œuvré en toute innocence, je préfère le croire, à contrarier les tendances lourdes dénoncées par les deux sociologues — et ce faisant, ils les ont renforcées. En 1972, la proportion d’élèves des Grandes Ecoles issus des classes défavorisées ne dépassait pas 10%. Elle est aujourd’hui, après tous les programmes de discrimination positive et d’aide aux boursiers, de moins de 2%.

    Pourquoi ?

    Parce qu’on a cessé de donner aux déshérités les codes du bon langage et de la culture bourgeoise (et si j’en crois Marx, il n’y en a pas d’autre, parce que la culture est celle de la classe au pouvoir : parler de « culture jeune » ou de « culture banlieue est une sordide plaisanterie). Parce que le plafond de verre qui les empêchait souvent d’accéder aux emplis supérieurs s’est opacifié. Et la décision de supprimer l’épreuve de culture générale dans divers concours a renforcé la sélection sociale : il faut être singulièrement ignorant de la langue pour croire qu’on ne repère pas instantanément, à sa façon de parler, un élève qui ne sort pas de la cuisse de Jupiter. La sélection sociale, qui était réelle, s’est renforcée dès lors qu’elle est devenue diffuse, et non sanctionnée par des épreuves spécifiques. On a lentement épuré le système de tous les exercices qui en constituaient l’ossature — ainsi la dissertation française, remplacée en 1998 par le « résumé-discussion », qui impliquait plus

  • Histoire • Rois de France, de Balzac : Les erreurs de Louis XVI face à la Révolution [III]

     

    C'est en 1837 que Balzac publia Rois de France, un ouvrage concis fort intéressant, consacré aux six derniers « Louis » rois de France, de Louis XIII à Louis XVIII. Malheureusement peu réédité par la suite, cet ouvrage était devenu, de ce fait, indisponible, depuis 1950.

    Notre confrère Péroncel-Hugoz a pris l'heureuse initiative de faire rééditer Rois de France, au Maroc, par les Editions Afrique Orient. Nos lecteurs peuvent d’ailleurs lire Péroncel-Hugoz ici-même, régulièrement, puisqu’il nous fait l’amitié de sa participation – très appréciée – à Lafautearousseau.

    Nous donnerons quatre extraits de Rois de France - des « bonnes feuilles » - dans nos parutions du week-end. 

     

    415470906.jpgExtrait 2 : Les erreurs de Louis XVI face à la Révolution [intégralité du chapitre, pages 83 à 95]

    Louis XVI, né à Versailles le 23 août 1754, troisième fils du dauphin, fils unique de Louis XV et de Marie-Josèphe de Saxe, était âgé seulement de vingt ans lorsqu'il succéda au roi Louis XV. Depuis quatre ans déjà, il avait épousé Marie-Antoinette d'Autriche, fille de l'impératrice Marie-Thérèse, alliance qu'il est inutile de qualifier d'impolitique. De grandes démonstrations de joie, qui allèrent jusqu'à l'indécence, accueillirent son avènement au trône. Le jeune prince n'y répondit que par un silence froid et digne ; mais il ne s'en crut pas moins obligé de céder à la voix publique et de bannir du gouvernement les hommes qui l'avaient occupé pendant les dernières années du règne précédent, et parmi lesquels il s'en trouvait que l'on eût dû conserver peut-être, la connaissance parfaite qu'ils possédaient de la situation délabrée des affaires les rendant seuls capables d'y appliquer les remèdes nécessaires. Ils furent remplacés par les hommes désignés par l'opinion populaire qui, dans les temps de corruption et de désorganisation sociale, ne devrait jamais faire loi. 

    Quand une nation est en voie de prospérité et d'agrandissement, on peut faire droit à ses exigences, car elle ne demande que des choses utiles au but où elle tend ; mais lorsqu'elle aspire à une révolution et à sa ruine, lorsque le vertige s'est emparé d'elle, la sagesse ne peut conseiller de céder à tous ses caprices maladifs et pernicieux. Le roi Louis XVI était trop jeune pour savoir faire cette distinction, et le comte de Maurepas, sur les conseils duquel il se guidait, n'était rien moins que l'incarnation de la sagesse politique. On vit donc apparaître successivement aux affaires l'encyclopédiste Turgot, homme de chiffres et non de gouvernement ; le philosophe Malesherbes, en qui le mélange de sentiments monarchiques individuels et d'idées réformatrices prouve au moins quelque absence de logique ; le cardinal de Loménie, athée en chapeau rouge ; Saint-Germain, autre matérialiste nobiliaire, et enfin le banquier protestant Necker, véritable type de l'aristocratie d'argent. 

    Ainsi, toutes les nuances du parti novateur eurent successivement des représentants au ministère. La monarchie était désormais à la discrétion de ses ennemis, qui n'eurent plus besoin de mettre dans leurs manœuvres un hypocrite ménagement. Les parlements furent rétablis sur leurs anciennes bases, sans que l'on prît aucune précaution contre leur esprit d'opposition, encore aiguisé par la vengeance et par le triomphe qu'ils obtenaient. On ne tarda pas à retrouver les membres de cette compagnie toujours prêts à favoriser les factieux et à compliquer les difficultés où la couronne était engagée. La première faute du gouvernement de Louis XVI, faute capitale, et d'où dérive directement la catastrophe qui le termina, fut de s'égarer dans une foule de réformes, ou, pour mieux dire, de changements partiels, avant d'avoir ressaisi l'autorité souveraine et rétabli la bonne administration du Royaume. On ne faisait par-là qu'encourager les prétentions des conspirateurs, sans s'être assuré les moyens de les réprimer. L'énergie n'était point d'ailleurs une qualité du caractère du roi Louis XVI. Tout concourait donc à exagérer l'audace des révolutionnaires, qui déjà succédaient aux philosophes, dont ils ne faisaient au reste qu'appliquer les doctrines. Poussés tour à tour par cette opinion publique dont Louis XVI s'était imposé de suivre toutes les phases, les ministres, qui apparaissaient sur la scène des affaires pour en descendre au bout de quelques mois, apportaient chacun leur petite réforme, suivant la direction de leur esprit ; mais tous encourageaient l'effervescence démocratique de la nation.

    Tandis que l'on changeait le mode de perception des impôts, que la royauté renonçait aux lettres de cachet, arme qui eût été utile contre les chefs de faction; que l'on détruisait la Maison du roi, dont la loyauté faisait contraste avec l'esprit de beaucoup d'autres corps; tandis que l'on méditait la ruine du clergé français,  cet antique et magnifique monument, si monarchique et si national à la fois; tandis que l'on abolissait la torture, tombée depuis longtemps en désuétude, et qu'on s'amusait à rechercher les vestiges de corvées et de servitudes qui existaient encore, afin de les effacer, on laissait aux écrivains et aux parleurs liberté entière d'imprimer et de colporter les principes les plus immoraux et les plus subversifs. On les laissait préconiser le culte de la raison (nous répétons cette expression philosophique, sans vouloir l'expliquer), poser comme base de leur système politique l'égalité (nous ne faisons encore que répéter), et arriver à mettre les faits à la place du droit. La royauté en était venue à se déchirer elle-même les entrailles : on vit paraître une déclaration royale portant qu'une colonie, pour s'affranchir de tout tribut vis-à-vis de la métropole, n'avait besoin que de se déclarer indépendante. Cette déclaration fut proclamée à propos de la guerre de l'Amérique et de l'Angleterre. Dans cette guerre, la France, fidèle à son nouveau principe de guerroyer sans but, épuisa ses finances, et prodigua le sang de sa jeune noblesse pour s'acquérir la haine redoutable de l'Angleterre et l'amitié, assez équivoque et fort inutile, des Américains. 

    L'honneur d'avoir combattu victorieusement ne pouvait d'ailleurs compenser le mal que devait causer en France l'importation des idées républicaines. Les jeunes seigneurs, compagnons de Washington, durent préconiser à leur retour ce qui était en quelque sorte l'âme de leur gloire. Le dogme de la souveraineté du peuple sortit naturellement de ces faits et de cette conduite. On ne doit plus s'étonner lorsqu'on voit une autre déclaration royale, provoquée par le cardinal de Loménie, appeler les gens de Lettres à proposer le meilleur mode pour la convocation des Etats généraux. On se plaçait ainsi dans le lit même du torrent. C'est encore le parlement qui poussa le gouvernement à convoquer les Etats généraux, mesure formidable, que l'on ne devait peut-être employer qu'à des époques de crise extérieure, et lorsqu'un intérêt commun et évident ralliait la nation autour du trône, mais non pas, certes, lorsque les institutions de la monarchie auraient eu besoin d'une protection dictatoriale. Le ministre des Finances, Calonne, avait au préalable assemblé les notables ; mais les factieux parvinrent, par leurs manœuvres, à neutraliser l'effet qu'eût pu produire cette assemblée, composée en grande partie de membres du clergé et de la noblesse, et il n'en résulta que la divulgation de la faiblesse du pouvoir et du désordre des affaires. 

    Ce fut alors que les parlements, qui s'étaient jetés à la tête du parti réformateur, intriguèrent pour faire rassembler les Etats généraux, où ils espéraient dominer par la connaissance de la jurisprudence et l'habitude de la parole. Cette mesure était présentée comme le seul moyen de satisfaire la nation et de tirer la royauté des difficultés où elle se perdait. Elle fut adoptée, comme nous venons de le dire. La monarchie n'allait point à sa perte pas à pas, elle semblait n'y pouvoir arriver assez vite. En convoquant les Etats généraux suivant les formes anciennement usitées, on eût encore excité des troubles, mais en donnant aux Tiers Etat un nombre de représentants égal à celui des représentants du Clergé et de la Noblesse réunis on rendait un bouleversement général inévitable. Les princes du sang protestèrent en vain contre cette innovation. La première assemblée des Etats eut lieu le 5 mai 1789. Les députés du Tiers Etat, laissant bien en arrière toutes les prétentions des parlements, se constituèrent tout d'abord en assemblée nationale, et l’évolution commença. Le pouvoir ne sut prendre d'autre mesure contre cette déclaration plus que menaçante que de faire suspendre les séances et fermer la salle où elles se tenaient. Le Tiers Etat répondit à cette dérisoire répression par le serment du Jeu de paume. On ne peut comprendre que cette éclatante rébellion n'ait pas enfin dessillé les yeux du monarque ; qu'il n'ait pas vu à ce moment qu'il n'y avait plus d'accommodement possible, et qu'il ne se soit pas résolu à défendre ses droits à force ouverte. Son malheur fut de ne pas comprendre que le bonheur de la nation dépendait du maintien des institutions monarchiques, et de croire que le roi peut gouverner ses sujets sous leur propre tutelle.

    Après une lutte de quelques jours, soutenue d'une part avec une modérisation déplorable et des concessions ruineuses, de l'autre avec une insolence sans bornes et des exigences impitoyables, l'Assemblée prétendue nationale resta maîtresse du terrain. Le Clergé et la Noblesse reçurent ordre de se réunir au Tiers Etat. Louis XVI déclara qu'il ne voulait pas qu'un seul homme pérît pour sa querelle. Et c'était le sort de dix générations peut-être qu'il compromettait par son aveugle faiblesse ! L'ancien mode de délibération par ordre fut rejeté bien loin : il n'y eut dans l'assemblée d'autre division que celle des partis, qui, partagés par des vues d'ambition et d'intérêt personnel, se réunissaient pour le renversement des anciennes institutions. Les faibles étaient entraînés, les bons étaient écrasés par la véhémence des factieux. La déclaration des Droits de l'Homme, rejetée dans les bureaux, fut adoptée par l'assemblée réunie. Tandis que l'anarchie régnait parmi les gouvernants, il était difficile que l'ordre se conservât parmi les masses. Tandis qu'on abolissait à l'Assemblée nationale la Constitution monarchique, il était difficile que le peuple conservât pour le monarque et pour les Grands le respect qui leur était dû. A la vue des périls matériels qui menaçaient la France, Louis XVI eut une dernière velléité d'énergie : le maréchal de Broglie, qui était à la tête de quarante mille hommes de bonnes troupes, fut mandé à Paris. La populace de Paris n'eut besoin, pour faire retirer cette mesure, que de se soulever, de s'emparer de la Bastille, de piller les arsenaux et de massacrer quelques citoyens fidèles. A partir de ce moment, Louis XVI se prépara au martyre, et ne songea sans doute plus à se montrer en roi. Il se prêta à tout ce qu'on exigea de lui, se mit complètement à la merci des constituants, se laissa mener en triomphe à Paris, dépouiller de ses gardes et décorer de la cocarde aux trois couleurs, signe de ralliement des factieux. Le président de l'Assemblée nationale lui adressa par forme de compliment ces paroles : « Henri IV, votre aïeul, avait conquis son peuple ; c'est le peuple aujourd'hui qui a conquis son roi ».

    Peu de mois après, un soulèvement des Parisiens alla de nouveau l'arracher au palais de Versailles : il fut ramené à Paris avec toute sa famille et emprisonné dans le palais des Tuileries. Les circonstances les plus hideuses accompagnèrent cet enlèvement. L'Assemblée nationale, comme un essaim de vautours acharnés sur leur proie, se transporta à Paris à la suite du malheureux roi. Dès lors, on ne sait plus ce dont on doit le plus s'étonner, ou de la résignation du monarque, ou de la fureur de ses ennemis. Celui-là n'était jamais las de faire des concessions nouvelles, espérant dans son aveuglement épargner le sang de ses sujets, en sacrifiant les lois qui les protégeaient ; ceux-ci, cependant, retenus par des considérations extérieures et par une habitude de respect héréditaire, n'osaient encore abolir complètement la royauté, et s'en dédommageaient par le supplice continuel auquel ils avaient voué le roi. Le trône était en effet tout ce qu'il restait du Royaume de France. Les parlements, le Clergé, la Noblesse, la législation, l'armée, les finances, le système de la propriété, tout le reste était anéanti, et, par une dérision amère, on demandait au roi, pour tous les décrets, une approbation qu'il ne pouvait refuser.

    Nous ne parlerons pas des divers ministères qui se succédèrent à cette époque aux affaires, et qui tous n'étaient que des reflets de l'Assemblée constituante. Ce terrible pouvoir émané de lui-même, et ne relevant de rien ni de personne, ne pouvait être de longue durée ; il éprouva la réaction du mouvement destructeur qu'il avait opéré en France ; il fut obligé de s'effacer et de faire place à une Assemblée législative qui devait rétablir un autre état de choses à la place de celui qu'on avait renversé, mais qui ne pouvait en réalité que continuer l'œuvre inachevée de la Révolution et sanctionner la souveraineté de l'anarchie. Des princes avaient depuis longtemps quitté la France ; ils avaient pris ce parti à la prière du roi lui-même : beaucoup de membres de la noblesse et des classes de la société qui s'y rattachaient avaient aussi émigré. Les partisans de la monarchie n'avaient de choix à faire qu'entre la fuite et le martyre. La résistance était impossible. Le roi la défendait absolument. Il s'y opposait de tout le pouvoir qui lui restait ; et lorsque l'autorité royale était ainsi méconnue et attaquée, il était difficile aux citoyens fidèles de refuser au roi leur obéissance, fût-ce même dans son propre intérêt. Ce fut alors que l'on put voir combien en nivelant la noblesse Richelieu et Louis XIV avaient affaibli la monarchie. Les grands seigneurs s'étaient appauvris et corrompus dans l'existence oisive et luxueuse de la cour. Au lieu de s'endurcir les bras et d'aguerrir leur esprit comme leurs pères, dans les périls, dans les révoltes et les conspirations quand la guerre manquait, ils se rapetissaient et s'amollissaient en des intrigues mesquines. Au lieu d'avoir des partisans et de marcher entourés de jeunes gentilshommes, ils portaient des broderies et des diamants, ils avaient des voitures et des laquais dorés. Si la France n'eût été composée que de nobles, c'eût été merveille ; mais derrière eux se trouvait le peuple, qui, dressant la tête par-dessus la noblesse à mesure qu'elle s'affaiblissait, devait tôt ou tard être saisi d'une de ces fureurs qu'il puise dans l'ignorance de son impuissance morale, et qui se résolvent par le massacre et la dévastation.

    Quand la nouvelle jacquerie éclata, on n'avait plus pour l'arrêter à sa naissance ces escadrons de chevaliers puissants par leurs armes, plus puissants encore par l'esprit commun qui les animait. Beaucoup de seigneurs de la cour, de ceux-là même pour qui les Bourbons avaient le plus fait, abdiquèrent leur qualité et se confondirent dans les rangs des démagogues.

    La noblesse de province, demeurée pour la plupart fidèle, ne trouva aucun grand nom pour lui servir de drapeau et de signal de réunion ; ce grand corps qui comptait dans son sein quatre-vingt mille familles, s'écroula sans opposer de résistance, faute de point d'appui. L'armée de Condé et de Quiberon appartiennent aux corps d'officiers de terre et de mer. L'héroïque protestation de la Vendée appartient à l'esprit religieux et au peuple. La noblesse n'existait plus comme corps politique ; ce fait, lentement accompli, s'était seulement révélé quand une commotion avait assailli l'Etat. Les gentilshommes ne se devaient plus, dès lors, de comptes qu'à eux-mêmes. Ceux qui ne désespéraient pas de l'avenir allaient dans l'exil attendre des jours meilleurs, gardant précieusement dans leur sein le souvenir d'une patrie qui ne devait offrir désormais qu'un tombeau aux plus heureux d'entre eux. Les autres, ceux qui pensèrent que tout était fini, et qui voulaient s'ensevelir sous les ruines de la monarchie, après avoir vu leurs châteaux réduits en cendres, montaient sur les échafauds, jetaient sur la foule un regard tranquille, dédaigneux et laissaient prendre leur tête au bourreau. C'était ainsi qu'ils mouraient ! L'assassinat ne les prenait pas plus au dépourvu qu'une exécution publique.

    Quant à ceux qui se jetèrent dans le parti révolutionnaire, il nous est difficile de trouver dans ce fait une tradition des anciennes révoltes nobiliaires, des guerres de la Ligue ou de la Fronde, dans lesquelles la noblesse agissait collectivement et ne combattai

  • Dans notre Éphéméride de ce jour : Comment le Pays légal a perdu la paix en 1918, nous ”offrant” ainsi Hitler et la Seco

     1918 : La France vient3 septembre,seconde guerre mondiale,independance americaine,bainville,france,allemagne,hitler,nazisme,front populaire,petain,1939,tourgueniev de gagner la guerre, au prix effroyable d'un million et demi de morts et de quatorze départements ravagés pendant quatre ans : la République, le Régime, le Système (peu importe le nom qu'on lui donne...) va perdre la paix en ne supprimant pas l'unité allemande - qui n'avait pas un demi-siècle d'existence ! - mais en supprimant l'Empire Austro-Hongrois, catholique et "stabilisateur", haï par l'anticlérical forcené qu'était Clemenceau : on aura Hitler vingt ans plus tard, conformément à l'analyse de Bainville et de tous les lucides de l'époque.

    Les désastres de la Seconde Guerre mondiale sont directement le fruit de la nocivité du Système idéologique hérité de la révolution française...

     

    Dans notre Catégorie "Grandes "Une" de L'Action française", voir les "Une" suivantes :

    • Grandes "Une" de L'Action française : 29 juin 1919, signature du calamiteux Traité de Versailles...

    • Grandes "Une" de L'Action française : 11 Novembre 1918, l'Armistice est signé !...

    1939 : Londres et Paris déclarent la guerre à l'Allemagne

     

    Après l'invasion de la Pologne, le 1er septembre, par les troupes allemandes, la Grande-Bretagne se déclare en guerre, à 12 heures. La France fait de même à 15 heures : la Seconde Guerre mondiale a commencé...

    Mais le régime républicain n'a rien fait pour contrer Hitler quand il en était temps; et voilà qu'il commet la folie de lui déclarer la guerre au moment le plus mal choisi, à lui qui, depuis des années, a transformé l'Allemagne en forges de Vulcain, alors que la France, à l'inverse, n'est, évidemment, pas prête.

    Le régime renouvelle ainsi la folie de Napoléon III, qui, lui aussi, avait déclaré une guerre pour laquelle nous n'étions pas prêts : au moins, en 1914, si nous n'étions toujours pas prêts, c'est Guillaume II qui a mis le feu à l'Europe en nous déclarant la guerre...

    En somme, Empire ou République, ni en 1870, ni en 1914, ni en 1939, et à cause de son régime politique, la France n'était pas prête à affronter ce qu'elle allait devoir affronter : quand l'inconscience politique se double de toutes les formes possibles d'incompétence, ces folies renouvelées suffisent à elles seules à condamner un Régime...

    SECONDE GUERRE MONDIALE.jpg

     

    Dès 1918, analysant les vices d'un mauvais traité de paix, dont il prévoyait les méfaits ( "Trop fort dans ce qu'il a de faible, trop faible dans ce qu'il a de fort" ), Bainville prédisait un nouveau conflit, inévitable "dans les vingt ans"...

    3 septembre,seconde guerre mondiale,independance americaine,bainville,france,allemagne,hitler,nazisme,front populaire,petain,1939

      

    Pour la France, ce sera le plus grand désastre de son Histoire. Peu de temps auparavant, Paul Reynaud avait déclaré : "Nous vaincrons, parce que nous sommes les plus forts". Aveuglement ? Inconscience ? Ou les deux à la fois... De Gaulle a raconté, dans ses Mémoires, comment il était sorti, furieux, de chez Léon Blum, alors Président du conseil, qui venait de refuser de voter les crédits militaires pour faire face à un danger devenu aveuglant, et alors que de précieuses années avaient déjà été perdues: se faisant pressant sur ce sujet, Blum lui avait répondu en substance - raconte de Gaulle - qu'il ne pouvait pas, lui le pacifiste de toujours, voter les crédits militaires !

    Moyennant quoi, par impréparation, la France fut écrasée, envahie et occupée, la chambre du Front Populaire ne trouvant rien de mieux à faire, une fois le désastre prévisible survenu, que de prendre la fuite, éperdue, non sans avoir voté les pleins pouvoirs - à une très large majorité - au Maréchal Pétain...

    C'est une fois de plus chez Jacques Bainville que l'on trouvera l'explication la plus lumineuse des faits. Pas dans l'Histoire de France cette fois, mais dans L'Histoire de deux peuples et L'Histoire de deux peuples continuée jusqu'à Hitler. 

    Comme pour l'Histoire de France, il faut tout lire de ce chef d'oeuvre absolu.

    Voici l'intégralité du chapitre VII (et dernier), Le réveil de la Walkyrie, de cet ouvrage remarquable en tous points. Bainville y remonte aux sources, c'est à dire au calamiteux Traité de Versailles de 1918, qui a gâché la paix, après une guerre qui avait coûté tant de sacrifices matériels et humains au peuple français : 

     

    3 septembre,seconde guerre mondiale,independance americaine,bainville,france,allemagne,hitler,nazisme,front populaire,petain,1939,tourgueniev

     

    "Restitutions, réparations, garanties." Tels furent les trois principes qui inspirèrent la paix, conçue comme un jugement. D'autres traités avaient été des traités politiques. Celui-là était un traité moral, pesé dans les balances de la justice. Il était moral que l'Allemagne fût désarmée et qu'elle perdît, en fait de territoires, ceux qu'elle avait pris à d'autres nations non germaniques et ceux-là seulement. Il était moral, au plus haut degré, que les responsables de la guerre fussent jugés, Guillaume II à leur tête. Il est vrai qu'ils ne l'ont pas été, que le peuple allemand a été unanime à refuser de livrer ces otages et que la révision du traité a commencé par cet article-là. Il était moral que l'Allemagne fût privée de ses colonies. Elle n'était pas jugée digne de compter parmi les peuples colonisateurs. Enfin il était moral, deux fois moral, qu'elle fût astreinte à payer, d'abord parce qu'elle avait à réparer les dommages causés à autrui, ensuite parce qu'il fallait que le peuple allemand comprît que la guerre est une mauvaise opération et qui ne rapporte rien. Ainsi cette paix, rendue comme un arrêt de justice, aurait encore l'avantage de moraliser le condamné. « J'espère, disait M. Lloyd George, que l'Allemagne a fait son salut en la débarrassant du militarisme, des Junkers, des Hohenzollern. Elle a payé un prix élevé pour sa délivrance. Je crois qu'elle trouva que cela en valait la peine."

     

    VERSAILLES 1918.jpg

     (de gauche à droite) LLoyd George, Orlando, Clémenceau, Wilson              

     

    Fondée sur de pareilles illusions, est-il étonnant que la paix ait laissé tant de déboires aux vainqueurs ? Voici, en regard, ce qu'était la réalité. 

    Une Allemagne diminuée d'environ 100.000 kilomètres carrés mais qui, sur ce territoire réduit, réunissait encore 60 millions d'habitants, un tiers de plus que la France, subsistait au centre de l'Europe. L'oeuvre de Bismarck et des Hohenzollern était respectée dans ce qu'elle avait d'essentiel. L'unité allemande n'était pas seulement maintenue mais renforcée. Les alliés avaient affirmé leur volonté de ne pas intervenir dans les affaires intérieures allemandes. Ils y étaient intervenus pourtant. Les mesures qu'ils avaient prises, la voie qu'ils avaient montrée, celle de la République unitaire, avaient eu pour effet de centraliser l'Etat fédéral allemand et d'affermir les anciennes annexions de la Prusse dans le Reich lui-même. S'il y avait, parmi les populations allemandes, des aspirations à l'autonomie, elles étaient étouffées. Le traité enfermait, entre des frontières rétrécies, 60 millions d'hommes unis en un seul corps. Telle lut l'Allemagne au nom de laquelle deux ministres de la nouvelle République vinrent signer à Versailles, le 28 juin 1919. 

    Du fond de la Galerie des Glaces, Müller et Bell, de noir habillés, avaient comparu devant les représentants de vingt-sept peuples assemblés. Dans le même lieu, sous les mêmes peintures, l'Empire allemand avait été proclamé quarante-sept ans plus tôt (ci dessous). Il y revenait pour s'entendre déclarer à la fois coupable et légitime, intangible et criminel. À sa condamnation il gagnait d'être absous comme si la forme républicaine eût suffi à le rénover. 

     VERSAILLES 1871.jpg

                  

    Obscurs délégués d'une Allemagne vaincue mais toujours compacte, Müller et Bell, comparaissant devant ce tribunal, pensaient-ils à ce que la défaite laissait survivre d'essentiel pour leur pays ? Le redoutable Empire de Guillaume II était humilié. La voix coupante de Clemenceau ajoutait à l'humiliation : "Il est bien entendu, Messieurs les Délégués allemands, que tous les engagements que vous allez signer doivent être tenus intégralement et loyalement." Les témoins de cette scène historique entendront toujours et ce verbe tranchant et les deux Ia, indifférents et mous, qui sortiront de la bouche de Müller et de Bell. Qui pouvaient-ils engager ? Déjà le traité de Versailles mettait en mouvement des forces qui échappaient à la volonté de ses auteurs. 

    Ce traité enlevait tout aux vaincus, sauf le principal, sauf la puissance politique génératrice de toute puissance. Il croyait ôter à l'Allemagne les moyens de nuire qu'elle possédait en 1914. Il lui accordait le premier de ces moyens, celui qui permet de retrouver les autres, l'Etat central, l'Etat prussien avec lequel toute l'Allemagne était désormais confondue. Ainsi l'unité sortait plus forte de la défaite. 

    Ce n'est pas tout. Les Alliés, pour consentir à déposer les armes, avaient exigé le renversement des Hohenzollern. Mais la chute de cette dynastie avait été précédée de celle de tous les autres princes allemands. Quand Guillaume Il avait fui, les rois de Bavière, de Saxe, de Wurtemberg, les grands-ducs et les ducs étaient déjà tombés. Bismarck avait calculé que la révolution était impossible parce que, si l'empereur-roi de Berlin tombait, les princes confédérés reprendraient leur liberté et que ce serait la désagrégation du Reich. Or, et ce n'est sans doute pas par hasard, la révolution allemande de 1918 a commencé par le Sud. Il n'y avait plus de Habsbourg à Vienne ni de Wittelsbach à Munich. Le support du particularisme, qui était dynastique, avait disparu. Pour que le trône des Hohenzollern pût s'écrouler sans dommages pour l'unité, il fallait que les autres trônes allemands fussent vides. Cette condition extraordinaire et imprévue était remplie.

     

    VERSAILLES 1918.gif

                 

    La République s'installait. Elle devait unir encore davantage les Allemands. Un socialiste l'avait dit dès le 3 novembre : "Plus le Reich est démocratique, plus son unité devient sûre et plus grande sa force d'attraction. La grande Allemagne, qui déjà semblait se faire en 1848 et dont les contours se dessinent de nouveau devant nous, avait été conçue sous la forme d'un Etat démocratique." C'était vrai. Les Alliés avaient confirmé l'unité allemande par le traité de Versailles lui-même. Ils l'avaient rendue encore plus forte en exigeant l'abdication de Guillaume Il et en poussant le Reich à adopter le régime républicain. Par une inconséquence remarquable, ils exigeaient d'ailleurs que l'Autriche restât distincte de la communauté germanique dont elle avait fait partie jusqu'en 1866. En même temps, alléguant que le démembrement de l'Empire n'était pas dans leurs intentions, ils avaient, pour reconstituer la Pologne, séparé la Prusse orientale du reste de la Prusse remise dans l'état où l'avait trouvée Frédéric II. Ainsi, l'Allemagne, unifiée dans son esprit, était blessée dans sa chair.

    Parmi les vainqueurs, les uns, l'anglais Lloyd George et l'américain Wilson regardaient la dissociation du Reich comme contraire au principe ou comme trop propre à faire de la France la plus grande puissance du continent. Clemenceau la tenait pour impossible ou, s'il la désirait, c'était faiblement. Il voulait que l'Allemagne fût punie. Il lui répugnait de distinguer entre les Allemands à qui il réservait en bloc sa sévérité. L'ancienne politique française des "Allemagnes" était oubliée à ce point que les tentatives des autonomistes rhénans furent découragées et même accueillies ironiquement. Le général Mangin fut rappelé de Mayence pour les avoir soutenues. 

    En somme, l'idée des auteurs de la paix était à peu près la suivante. Il devait suffire de verser une certaine dose de démocratie dans l'édifice élevé par Bismarck et par les Hohenzollern, après l'avoir réduit à ses parties authentiquement allemandes. Alors, moyennant quelques précautions d'ordre militaire destinées à durer jusqu'à la conversion parfaite du peuple allemand, on aurait fait ce qu'il était humainement possible de faire pour la paix de l'Europe et le progrès de l'humanité. C'était un nouveau baptême des  Saxons, à la façon de Charlemagne, un baptême démocratique. On disait tout haut que le régime républicain affaiblirait les sentiments belliqueux. Peut-être, tout bas, pensait-on qu'il agirait à la manière d'un dissolvant.

     

    VERSAILLES 1919.jpg

     

    Traité calligraphié, signé Raymond Poincaré

     

    Il est vrai que, pendant plusieurs années, il sembla que le chaos germanique fût revenu. L'Allemagne était secouée de violentes convulsions. Devenu tout-puissant à la faveur de la République, le socialisme y exerçait plus de ravages que la défaite. L'Allemagne semblait vaincue deux fois. On eût dit qu'elle tournait sa fureur contre elle-même. 

    Mais elle n'acceptait rien. Sa défaite lui apparaissait comme une injustice du sort ou une maldonne. Du traité, un social-démocrate, Scheidemann, avait dit que sa main sécherait plutôt que de signer cette humiliation. L'Allemagne était en révolte contre la "paix dictée", contre le Diktat. Cependant elle était impuissante. Le paiement des réparations, le "tribut", devait d'abord provoquer sa résistance. Jetée dans l'inflation par les désordres de sa politique, elle allait jusqu'au bout, elle tuait sa monnaie pour se rendre insolvable (ci dessous). Forts du droit des créanciers, les Français occupèrent la Ruhr sans coup férir. En 1923, l'Allemagne parut plus bas que le jour où ses généraux avaient arboré le drapeau blanc et demandé l'armistice.

     

  • GRANDS TEXTES (40) : Maurrassisme et Catholicisme

    TRAVAUX DIVERS - Largeur +.jpg

    Maurras s'explique ici, avec une hauteur de vue incomparable et dans une langue superbe  sur le grand respect, la sourde tendresse, la profonde affection qu'il voue - et avec lui toute l'Action française, croyants ou non - à l'Eglise catholique.

    Au temps où Maurras publie ce vrai grand texte, comme au nôtre, cet attachement a toujours suscité une sorte de critique catholique venue de milieux bien déterminés - suspectant sa sincérité ou mettant en cause ses motivations supposées.

    Cette même mouvance s'employait par ailleurs, à combattre tout ce qui, dans l'Eglise pouvait relever de la Tradition. 

    Nous partageons aujourd'hui encore les analyses et les sentiments de Maurras envers le Catholicisme - ce qui est pourtant devenu parfois fort difficile du fait de tels des revirements, évolutions, ou prises de position actuelles de l'Eglise. 

     

    Mais nous n'ajouterons pas à la longueur de ce texte superbe.   Lafautearousseau 

    I

    maurras_democratie_religieuse_1978_vignette.pngOn se trompe souvent sur le sens et sur la nature des raisons pour lesquelles certains esprits irréligieux ou sans croyance religieuse ont voué au Catholicisme un grand respect mêlé d'une sourde tendresse et d'une profonde affection. — C'est de la politique, dit-on souvent. Et l'on ajoute : — Simple goût de l'autorité. On poursuit quelquefois : — Vous désirez une religion pour le peuple… Sans souscrire à d'aussi sommaires inepties, les plus modérés se souviennent d'un propos de M. Brunetière : « L'Église catholique est un gouvernement », et concluent : vous aimez ce gouvernement fort.

    Tout cela est frivole, pour ne pas dire plus. Quelque étendue que l'on accorde au terme de gouvernement, en quelque sens extrême qu'on le reçoive, il sera toujours débordé par la plénitude du grand être moral auquel s'élève la pensée quand la bouche prononce le nom de l'Église de Rome. Elle est sans doute un gouvernement, elle est aussi mille autres choses. Le vieillard en vêtements blancs qui siège au sommet du système catholique peut ressembler aux princes du sceptre et de l'épée quand il tranche et sépare, quand il rejette ou qu'il fulmine ; mais la plupart du temps son autorité participe de la fonction pacifique du chef de chœur quand il bat la mesure d'un chant que ses choristes conçoivent comme lui, en même temps que lui. La règle extérieure n'épuise pas la notion du Catholicisme, et c'est lui qui passe infiniment cette règle. Mais où la règle cesse, l'harmonie est loin de cesser. Elle s'amplifie au contraire. Sans consister toujours en une obédience, le Catholicisme est partout un ordre. C'est à la notion la plus générale de l'ordre que cette essence religieuse correspond pour ses admirateurs du dehors.

    image.jpgIl ne faut donc pas s'arrêter à la seule hiérarchie visible des personnes et des fonctions. Ces gradins successifs sur lesquels s'échelonne la majestueuse série des juridictions font déjà pressentir les distinctions et les classements que le Catholicisme a su introduire ou raffermir dans la vie de l'esprit et l'intelligence du monde. Les constantes maximes qui distribuent les rangs dans sa propre organisation se retrouvent dans la rigueur des choix critiques, des préférences raisonnées que la logique de son dogme suggère aux plus libres fidèles. Tout ce que pense l'homme reçoit, du jugement et du sentiment de l'Église, place proportionnelle au degré d'importance, d'utilité ou de bonté. Le nombre de ces désignations électives est trop élevé, leur qualification est trop minutieuse, motivée trop subtilement, pour qu'il ne semble pas toujours assez facile d'y contester, avec une apparence de raison, quelque point de détail. Où l'Église prend sa revanche, où tous ses avantages reconquièrent leur force, c'est lorsqu'on en revient à considérer les ensembles. Rien au monde n'est comparable à ce corps de principes si généraux, de coutumes si souples, soumis à la même pensée, et tel enfin que ceux qui consentirent à l'admettre n'ont jamais pu se plaindre sérieusement d'avoir erré par ignorance et faute de savoir au juste ce qu'ils devaient. La conscience humaine, dont le plus grand malheur est peut-être l'incertitude, salue ici le temple des définitions du devoir.

    Cet ordre intellectuel n'a rien de stérile. Ses bienfaits rejoignent la vie pratique. Son génie prévoyant guide et soutient la volonté, l'ayant pressentie avant l'acte, dès l'intention en germe, et même au premier jet naissant du vœu et du désir. Par d'insinuantes manœuvres ou des exercices violents répétés d'âge en âge pour assouplir ou pour dompter, la vie morale est prise à sa source, captée, orientée et même conduite, comme par la main d'un artiste supérieur.

    Pareille discipline des puissances du cœur doit descendre au delà du cœur. Quiconque se prévaut de l'origine catholique en a gardé un corps ondoyé et trempé d'habitudes profondes qui sont symbolisées par l'action de l'encens, du sel ou du chrême sacrés, mais qui déterminent des influences et des modifications radicales. De là est née cette sensibilité catholique, la plus étendue et la plus vibrante du monde moderne, parce qu'elle provient de l'idée d'un ordre imposé à tout. Qui dit ordre dit accumulation et distribution de richesses : moralement, réserve de puissance et de sympathie.

    II

    On pourrait expliquer l'insigne merveille de la sensibilité catholique par les seules vertus d'une prédication de fraternité et d'amour, si la fraternité et l'amour n'avaient produit des résultats assez contraires quand on les a prêchés hors du catholicisme. N'oublions pas que plus d'une fois dans l'histoire il arriva de proposer « la fraternité ou la mort » et que le catholicisme a toujours imposé la fraternité sans l'armer de la plus légère menace : lorsqu'il s'est montré rigoureux ou sévère jusqu'à la mort, c'est de justice ou de salut social qu'il s'est prévalu, non d'amour. Le trait le plus marquant de la prédication catholique est d'avoir préservé la philanthropie de ses propres vertiges, et défendu l'amour contre la logique de son excès. Dans l'intérêt d'une passion qui tend bien au sublime, mais dont la nature est aussi de s'aigrir et de se tourner en haine aussitôt qu'on lui permet d'être la maîtresse, le catholicisme a forgé à l'amour les plus nobles freins, sans l'altérer ni l'opprimer.

    Par une opération comparable aux chefs-d'œuvre de la plus haute poésie, les sentiments furent pliés aux divisions et aux nombres de la Pensée ; ce qui était aveugle en reçut des yeux vigilants ; le cœur humain, qui est aussi prompt aux artifices du sophisme qu'à la brutalité du simple état sauvage, se trouva redressé en même temps qu'éclairé.

    Un pareil travail d'ennoblissement opéré sur l'âme sensible par l'âme raisonnable était d'une nécessité d'autant plus vive que la puissance de sentir semble avoir redoublé depuis l'ère moderne. « Dieu est tout amour », disait-on. Que serait devenu le monde si, retournant les termes de ce principe, on eût tiré de là que « tout amour est Dieu » ? Bien des âmes que la tendresse de l'évangile touche, inclinent à la flatteuse erreur de ce panthéisme qui, égalisant tous les actes, confondant tous les êtres, légitime et avilit tout. Si elle eût triomphé, un peu de temps aurait suffi pour détruire l'épargne des plus belles générations de l'humanité. Mais elle a été combattue par l'enseignement et l'éducation que donnait l'Église : — Tout amour n'est pas Dieu, tout amour est « DE DIEU ». Les croyants durent formuler, sous peine de retranchement, cette distinction vénérable, qui sauve encore l'Occident de ceux que Macaulay appelle les barbares d'en bas.

    Aux plus beaux mouvements de l'âme, l'Église répéta comme un dogme de foi : « Vous n'êtes pas des dieux ». À la plus belle âme elle-même : « Vous n'êtes pas un Dieu non plus ». En rappelant le membre à la notion du corps, la partie à l'idée et à l'observance du tout, les avis de l'Église éloignèrent l'individu de l'autel qu'un fol amour-propre lui proposait tout bas de s'édifier à lui-même ; ils lui représentèrent combien d'êtres et d'hommes, existant près de lui, méritaient d'être considérés avec lui : — n'étant pas seul au monde, tu ne fais pas la loi du monde, ni seulement ta propre loi. Ce sage et dur rappel à la vue des choses réelles ne fut tant écouté que parce qu'il venait de l'Église même. La meilleure amie de chaque homme, la bienfaitrice commune du genre humain, sans cesse inclinée sur les âmes pour les cultiver, les polir et les perfectionner, pouvait leur interdire de se choisir pour centre.

    Elle leur montrait ce point dangereux de tous les progrès obtenus ou désirés par elle. L'apothéose de l'individu abstrait se trouvait ainsi réprouvée par l'institution la plus secourable à tout individu vivant. L'individualisme était exclu au nom du plus large amour des personnes, et ceux-là mêmes qu'entre tous les hommes elle appelait, avec une dilection profonde, les humbles, recevaient d'elle un traitement de privilège, à la condition très précise de ne point tirer de leur humilité un orgueil, ni de la sujétion le principe de la révolte. 

    La douce main qu'elle leur tend n'est point destinée à leur bander les yeux. Elle peut s'efforcer de corriger l'effet d'une vérité âpre. Elle ne cherche pas à la nier ni à la remplacer par de vides fictions. Ce qui est : voilà le principe de toute charitable sagesse. On peut désirer autre chose. Il faut d'abord savoir cela. Puisque le système du monde veut que les plus sérieuses garanties de tous les « droits des humbles » ou leurs plus sûres chances de bien et de salut soient liées au salut et au bien des puissants, l'Église n'encombre pas cette vérité de contestations superflues. S'il y a des puissants féroces, elle les adoucit, pour que le bien de la puissance qui est en eux donne tous ses fruits ; s'ils sont bons, elle fortifie leur autorité en l'utilisant pour ses vues, loin d'en relâcher la précieuse consistance. Il faudrait se conduire tout autrement si notre univers était construit d'autre sorte et si l'on pouvait y obtenir des progrès d'une autre façon. Mais tel est l'ordre. Il faut le connaître si l'on veut utiliser un seul de ses éléments. Se conformer à l'ordre abrège et facilite l'œuvre. Contredire ou discuter l'ordre est perdre son temps. Le catholicisme n'a jamais usé ses puissances contre des statuts éternels ; il a renouvelé la face de la terre par un effort d'enthousiasme soutenu et mis en valeur au moyen d'un parfait bon sens. Les réformateurs radicaux et les amateurs de révolution n'ont pas manqué de lui conseiller une autre conduite, en le raillant amèrement de tant de précautions. Mais il les a tranquillement excommuniés un par un.

    III

    L'Église catholique, l'Église de l'Ordre, c'étaient pour beaucoup d'entre nous deux termes si évidemment synonymes qu'il arrivait de dire : « un livre catholique » pour désigner un beau livre, classique, composé en conformité avec la raison universelle et la coutume séculaire du monde civilisé ; au lieu qu'un « livre protestant » nous désignait tout au contraire des sauvageons sans race, dont les auteurs, non dépourvus de tout génie personnel, apparaissaient des révoltés ou des incultes. Un peu de réflexion nous avait aisément délivrés des contradictions possibles établies par l'histoire et la philosophie romantiques entre le catholicisme du Moyen-Âge et celui de la Renaissance. Nous cessions d'opposer ces deux périodes, ne pouvant raisonnablement reconnaître de différences bien profondes entre le génie religieux qui s'était montré accueillant pour Aristote et pour Virgile et celui qui reçut un peu plus tard, dans une mesure à peine plus forte, les influences d'Homère et de Phidias. Nous admirions quelle inimitié ardente, austère, implacable, ont montrée aux œuvres de l'art et aux signes de la beauté les plus résolus ennemis de l'organisation catholique. Luther est iconoclaste comme Tolstoï, comme Rousseau. Leur commun rêve est de briser les formes et de diviser les esprits. C'est un rêve anti-catholique. Au contraire, le rêve d'assembler et de composer, la volonté de réunir, sans être des aspirations nécessairement catholiques, sont nécessairement les amis du catholicisme. À tous les points de vue, dans tous les domaines et sous tous les rapports, ce qui construit est pour, ce qui détruit est contre ; quel esprit noble ou quel esprit juste peut hésiter ?

    Chez quelques-uns, que je connais, on n'hésita guère. Plus encore que par sa structure extérieure, d'ailleurs admirable, plus que par ses vertus politiques, d'ailleurs infiniment précieuses, le catholicisme faisait leur admiration pour sa nature intime, pour son esprit. Mais ce n'était pas l'offenser que de l'avoir considéré aussi comme l'arche du salut des sociétés. S'il inspire le respect de la propriété ou le culte de l'autorité paternelle ou l'amour de la concorde publique, comment ceux qui ont songé particulièrement à l'utilité de ces biens seraient-ils blâmables d'en avoir témoigné gratitude au catholicisme ? Il y a presque du courage à louer aujourd'hui une doctrine religieuse qui affaiblit la révolution et resserre le lien de discipline et de concorde publique, je l'avouerai sans embarras. Dans un milieu de politiques positivistes que je connais bien, c'est d'un Êtes vous catholiques ? que l'on a toujours salué les nouveaux arrivants qui témoignaient de quelque sentiment religieux. Une profession catholique rassurait instantanément et, bien qu'on n'ait jamais exclu personne pour ses croyances, la pleine confiance, l'entente parfaite n'a jamais existé qu'à titre exceptionnel hors de cette condition.

    La raison en est simple en effet, dès qu'on s'en tient à ce point de vue social. Le croyant qui n'est pas catholique dissimule dans les replis inaccessibles du for intérieur un monde obscur et vague de pensées ou de volontés que la moindre ébullition, morale ou immorale, peut lui présenter aisément comme la voix, l'inspiration et l'opération de Dieu même.

    Aucun contrôle extérieur de ce qui est ainsi cru le bien et le mal absolus. Point de juge, point de conseil à opposer au jugement et au conseil de ce divin arbitre intérieur. Les plus malfaisantes erreurs peuvent être affectées et multipliées, de ce fait, par un infini. Effrénée comme une passion et consacrée comme une idole, cette conscience privée peut se déclarer, s'il lui plaît, pour peu que l'illusion s'en mêle, maîtresse d'elle-même et loi plénière de tout : ce métaphysique instrument de révolte n'est pas un élément sociable, on en conviendra, mais un caprice et un mystère toujours menaçant pour autrui.

    Le-pape-Francois-inaugure-le-debut-de-l-Annee-sainte (1).jpgIl faut définir les lois de la conscience pour poser la question des rapports de l'homme et de la société ; pour la résoudre, il faut constituer des autorités vivantes chargées d'interpréter les cas conformément aux lois. Ces deux conditions ne se trouvent réunies que dans le catholicisme. Là et là seulement, l'homme obtient ses garanties, mais la société conserve les siennes : l'homme n'ignore pas à quel tribunal ouvrir son cœur sur un scrupule ou se plaindre d'un froissement, et la société trouve devant elle un grand corps, une société complète avec qui régler les litiges survenus entre deux juridictions semblablement quoique inégalement compétentes. L'Église incarne, représente l'homme intérieur tout entier ; l'unité des personnes est rassemblée magiquement dans son unité organique. L'État, un lui aussi, peut conférer, traiter, discuter et négocier avec elle. Que peut-il contre une poussière de consciences individuelles, que les asservir à ses lois ou flotter à la merci de leur tourbillon ? 

     

     

    soljenitsyne,revolution,vendee,totalitarisme,republique,terreur,goulag

    Retrouvez l'intégralité des textes constituant cette collection dans notre Catégorie

    "GRANDS TEXTES"...

    soljenitsyne,revolution,vendee,totalitarisme,republique,terreur,goulag

  • GRANDS TEXTES (24) : Politique naturelle et politique sacrée, par Charles Maurras

    (Ce texte est tiré de l'Introduction générale à l'ouvrage intitulé Le Bienheureux Pie X, Sauveur de la France, Plon, éditeur, Paris 1953).

               

    On ne croit pas être contredit par personne de renseigné si l'on juge que la politique catholique pose toute entière sur le mot de Saint Paul que tout pouvoir vient de Dieu, OMNIS POTESTAS A DEO. La légitimation du pouvoir ne peut venir que de Dieu.

    Mais, dans le même domaine catholique, ce pouvoir divin est entendu d'au moins trois manières et vu sous trois aspects.

    SAINT Paul MOSAIQUE ABSIDE ST PAUL HORS LES MURS.jpg
    Christ pantocrator,
    Basilique Saint Paul hors les murs, Rome;
    Mosaïque de l'abside

    Il est d'abord conçu comme l'expression de volontés particulières impénétrables, insondables, décrets nominatifs qui ne fournissent pas leurs raisons, qui n'en n'invoquent pas non plus: choix des hommes providentiels, les César, les Constantin, les Alexandre, vocation des peuples, libre et souveraine grâce accordée ou refusée, profondeur et sublimité que l'on constate sans avoir à les expliquer ni à les commenter. Une volonté divine toute pure s'y donne cours (O altitudo !) qui provoque la gloire et l'adoration. 

    Secondement, l'exercice ou le spectacle de ces volontés suprêmes peut devenir, pour l'esprit ou le coeur de l'homme, un thème d'instruction, de moralisation et d'édification, tantôt pour étonner l'orgueil ou honorer l'humilité, tantôt pour les confondre l'un et l'autre et les persuader d'une sagesse qui manifeste la hauteur de ses conseils mystérieux. Nous avons dans l'oreille les magnifiques alternances de Bossuet: "Soit qu'il élève les trônes, soit qu'il les abaisse...", "de grandes et de terribles leçons". Là le Potestas a Deo semble attesté pour l'enseignement de la morale et de la justice, le progrès des vertus personnelles de l'homme et son salut éternel. L'argument vaut pour discipliner ou discriminer les valeurs vraies et fausses. C'est aussi un thème de confiance et d'espoir pour ceux qui traversent une épreuve et qui appellent, d'en bas, l'innocence un vengeur et l'orphelin un père.

    Une haute éthique politico-métaphysique s'en déduit régulièrement.

    Mais, en sus des premiers déploiement des pouvoirs de la gloire de Dieu, comme des manifestations exemplaires de sa bienfaisance protectrice de l'homme, un troisième aspect doit être retenu: il arrive que l'OMNIS POTESTAS A DEO découvre un arrangement supérieur divinement établi. Ce qui est alors évoqué, c'est une suprême raison, la raison créatrice d'un plan fixe, clairement dessiné, d'un ordre stable et défini: de ce point de vue, les familles, les corps, les cités, les nations sont soumis de haut à des constantes d'hygiène, à des lois de salut, qui règlent leur durée et leur prospérité. Le substances vivantes, les corps physico-chimiques, même les arts humains, ont leurs conditions de stabilité et de progrès. De même les sociétés s'élèvent ou s'abaissent selon qu'elles se conforment ou non à cet ordre divin.

    Les deux Testaments s'accordent à dire: que les foyers soient bien assis, et vos enfants pourront être nourris, dressés, et éduqués; que les parents ne mangent pas de raisins verts, et leurs enfants n'auront pas les dents agacées; que l'Etat ne soit point divisé, il ne sera pas menacé de périr; que les corps sociaux naturels ne soient ni asservis ni desséchés par l'Etat, celui-ci et ceux-là auront ensemble la vigueur, l'énergie, la luxuriance; que la nation soit soutenue par l'expérience des Anciens et la force de la jeunesse, ses ressources en recevront le plus heureux emploi; que la tradition règle et modère les initiatives; que la jeune vie spontanée ravive et renouvelle les habitudes traditionnelles, les groupes sociaux en seront sains, solides, puissants; qu'au surplus le tendre amour de l'ascendance et de la descendance, comme celui du sol natal, ne cesse de gonfler le coeur de tous, le bien public s'en accroîtra du même mouvement, etc... etc...

    Mais surtout qu'on ne perde pas de vue qu'il y a ici un rapport d'effets et de cause ! Le bon arbre porte un bon fruit. Que le mauvais arbre soit arraché et jeté au feu. Si vous voulez ceci, il faut vouloir cela. Vous n'aurez pas de bon effet sans prendre la peine d'en cultiver la haute cause génératrice. Si vous ne voulez pas de celle-ci, la sanction du refus est prête, elle est très simple, elle s'appellera la "fin". Non votre fin, personne humaine, mais celle du composé social auquel vous tenez et qui dépérira plus ou moins lentement, selon que le mal, non combattu, aura été chronique ou aigu, superficiel ou profond. Les conditions de la société, si on les transgresse, laissent la société sans support, et elle s'abat.

     

    BOSSUET POLITIQUE.jpg

    "On s"en convaincra par une rapide lecture de la Politique tirée de l'ecriture sainte, où l'optime arrangement terrestre ne cesse d'être illustré, soutenu et, rappelons-le, légitimé, par un ordre du ciel..."

               

    Ce langage, nourri des "si" qui sont propres aux impératifs hypothétiques de la nature, n'est aucunement étranger aux théologiens dont je crois extraire ou résumer les textes fidèlement. Ce qu'ils en disent n'est pas tiré en en corps du Pater ni de Décalogue. Ils n'en signifiant pas moins un "Dieu le veut" indirect, mais très formel. On s'en convaincra par une rapide lecture de la Politique tirée de l'écriture sainte, où l'optime arrangement terrestre ne cesse d'être illustré, soutenu et, rappelons-le, légitimé, par un ordre du ciel.

    Or, s'il est bien curieux que cette POLITIQUE sacrée ait été inscrite par Auguste Comte dans sa bibliothèque positiviste, il ne l'est pas moins que tous les physiciens sociaux, qui se sont succédé depuis Aristote, ne parlent guère autrement que le docteur catholique Bossuet. A la réflexion, c'est le contraire qui devrait étonner: à moins que, victimes d'une illusion systématique complète, les théologiens n'eussent enchaîné ces déductions au rebours de toute réalité, l'accord n'était guère évitable. Les phénomènes sociaux se voient et se touchent. Leurs cas de présence, d'éclipse ou de variations, leurs durées, leurs disparitions, leurs croissances ou décadences, tombent sous les sens de l'homme s'il est normal et sain. Comment, s'il existe un ordre des choses visibles, ne serait-il pas déchiffré de quiconque a des yeux pour voir ? Bien entendu, il ne s'agit en ceci d'aucun Surnaturel révélé. C'est la simple lecture du filigrane de l'Histoire et de ses Ordres. Que disent-ils ? Quel est leur texte ? Voilà la question, non une autre. Car la question n'est pas ici de savoir quelle main a écrit cet ordre: qualem Deus auctor indidit, dit Léon XIII. Est-ce Dieu ? Ou les dieux ? Ou quelque nature acéphale, sans conscience ni coeur ? Cet Être des Êtres, créateur ou ressort central, peut, quant à lui, se voiler, Deus absconditus, qu'on affirme ou qu'on nie. Ce qui n'est pas caché, ce qui n'est pas niable, ce que voit un regard clair et pur, c'est la forme ou figure du plan (crée ou incréé, providentiel ou aveugle) tel qu'il a été invariablement observé et décrit jusqu'à nous. Quelques uns de ces impératifs conditionnels apparaissent comme des "aphorismes" à La Tour du Pin. Or cette rencontre, où convergent la déduction religieuse et l'induction empirique, est encore plus sensible dans ce qu'elle critique et conteste de concert que dans ce qu'elle a toujours affirmé.

    Le coeur de cet accord de contestation ou plutôt de dénégation entre théologiens et naturalistes porte sur le point suivant: LA VOLONTE DES HOMMES NE CREE NI LE DROIT NI LE POUVOIR. NI LE BIEN. PAS PLUS QUE LE VRAI. Ces grandes choses-là échappent aux décrets et aux fantaisies de nos volontés. Que les citoyens s'assemblent sur l'Agora et le Forum ou leurs représentants dans le palais de Westminster ou le Palais-Bourbon, il ne suffira pas d'accumuler deux séries de suffrages, de soustraire leur somme et de dégager ainsi des majorités. Si l'on veut "constituer" un pays, lui donner une législation, ou une administration qui vaille pour lui, c'est-à-dire le fasse vivre et l'empêche de mourir, ces dénombrements de volontés ne suffisent pas; aucun bien public ne naîtra d'un total de pures conventions scrutinées s'il n'est participant ou dérivé d'un autre facteur. Lequel ? La conformité au Code (naturel ou divin) évoqué plus haut: le code des rapports innés entre la paternité et la filiation, l'âge mûr et l'enfance, la discipline des initiatives et celle des traditions. Le code inécrit des conditions du Bien est le premier générateur des sociétés. Si le contrat envisagé ne se subordonne, en tout premier lieu, à ce Code, il ne peut rien, il ne vaut rien. L'esprit éternel de ce Code se rit des prétentions volontaristes, du Contrat, comme des contractants. Telle est la moelle intérieure des leçons que recouvrent ou découvrent les faits.

    Oublions tous les faits, dit Jean-Jacques au début du plus fameux et du plus funeste des CONTRATS. Son système exige cet oubli des faits. Si, en effet, on ne les excluait pas, les faits viendraient en foule revendiquer dans la fondation des sociétés une très grande part du volume et de l'importance que s'est arrogés le contrat.

     

    rousseau.JPG

    "Oublions tous les faits, dit Jean-Jacques au début du plus fameux et du plus funeste des Contrats..."

     

     

    Il n'est pas question de méconnaître le nombre ou la valeur des pactes et des conventions auxquels donne lieu la vie sociale de tous les temps. L'erreur est de prétendre ne former cette vie que de contrats. Énorme erreur. Car le contrat ne représente ni le plein de la vie sociale, ni la partie la plus vaste ou al plus profonde. Quand l'homme se sera entendu répéter cent fois que son vote choisit et crée le bien ou le mal social, il n'en sera pas beaucoup mieux obéi par les faits: pas plus que ses préférences ne seront suivi des obédiences de la pluie et du beau temps, il ne sera pas rendu maître de l'heur ou du malheur de sa ville ou de son pays qui, l'un et l'autre, dépendront non pas de la loi qu'il édicte, mais de celle qu'il tire de l'expérience de son passé, comme le physicien de l'observation des astres en courses et des tensions de l'air supérieur.

    Pour mieux saisir cette société-née, et la distinguer de nos contrats voulus, voyons-en les effets capitaux.

    Ma vie d'animal social compte deux grands évènements qui la fondent.

    Le premier m'a fait naître dans une famille plutôt que dans une autre, et cela s'est fait sans l'ombre de consultation ou de consentement de ma part; le groupe élémentaire que j'ai formé, enfant, avec mes parents, n'a rien de contractuel. Personne n'est alllé demander au marchand le garçon ou la fille qui lui convenait; personne n'est allé solliciter une père et une mère à son goût, et à sa mesure. Je n'ai signé ni pétition ni postulance. S'ils ont désiré de m'avoir, c'était de façon très confuse et très générale, sans la moindre possibilité de rien stipuler sur mon personnage, caractère, poids, taille, visage, couleur de teint. Ni d'eux à moi, ni de moi à eux, pas trace d'option libre ! Nous avons été tous les trois serfs de nécessités aussi inéluses qu'invoulues. Eh bien ! vus d'un peu haut, ce sont pourtant là les faits dont le genre humain se trouve le moins mal et se plaint dans la plus faible mesure. A peine leur étais-je tombé de la lune, et même un peu avant, mes père et mère se sont mis à m'aimer inconsidérément. De mon côté, je me suis mis à les préférer au reste du monde, ce qui ne pouvait être en raison du don de la vie: j'ignorais si c'était un bien ou un mal. Leurs bons traitements, leurs caresses agissaient beaucoup moins que cette forte idée confuse de leur appartenir et de les posséder dans une étroite correspondance, non de devoirs et de droits, mais de besoins et de services, qui s'imposaient tout seuls, et sans que j'eusse idée de les compter sur mes doigts. Donc, rien qui ressemblât au contrat avec ou sans notaire. Qu'il se trouve des idiots pour dire après cela: Familles, je vous hais ! ils ont eu rarement le front d'appliquer ce principe. Gide, qui le posait, l'a contredit à tous les instants de sa vie. Pas plus que moi, ni personne, il ne s'était pourtant choisi son toit. A lui, à moi, à tous, la plus forte partie de notre destin nous fut imposée avec notre sang.

    Un autre très grand évènement de ma vie de société aura été l'échéance de ma patrie. Je ne l'ai demandée, ni personne la sienne, sauf la troupe, abusive mais négligeable, de nos métèques; encore leurs enfants doivent-ils rentrer dans la règle. Il n'y a pas eu de plébiscite prénatal (ou prénational), comme l'exigerait la clause du juste contrat. L'honneur, la charge, les devoirs d'une patrie si belle sont des grâces imméritées. Pour être Français et non Huron, je me suis donné la peine de naître. Ce n'est pas 'juste", s'accorderont à dire Basile et son souffleur. Mais non ! Mais pas du tout ! Seulement il n'aurait pas été plus juste de naître Boche ou Chinois.

    Donc, inférieur ou supérieur au juste ou à l'Injuste, ce "fait" auquel ma volonté individuelle n'a rien apporté, dans lequel nul contrat n'est entré absolument pour rien, ce "fait" vraiment gratuit ne se contente point de devoir figurer entre ceux qui ont le plus d'influence sur tout le cours de la vie: il a aussi le caractère d'inspirer à des millions d'hommes des sentiments de profonde et haute satisfaction, au point de leur faire risquer l'intégrité de leur corps, leur vie elle-même, pour en attester l'énergie. Pour déployer plus fièrement ce que l'on est sans avoir voulu l'être, on trouve naturel, heureux et glorieux d'affronter mille morts. Cela fut instinctif avant d'avoir été appris. Ce vieil instinct peut être combattu par des sentiments artificiels, acquis, formés sur des systèmes. On ne les trouve pas au départ. Le départ, le voilà ! Dans les méandres de la longue histoire humaine, il arrive d'acheter et de vendre des guerriers mercenaires. Le cas des guerriers volontaires est le plus fréquent: ils se donnent pour rien. Le conscrit fait de même neuf fois sur dix. L'idée de la justice est-elle donc étrangère à l'homme ? Point du tout. Mais l'idée de la Patrie et du sentiment qu'il lui doit est fort antérieure et tient bien autrement à la racine de la vie ! Qu'il en soit demandé de durs sacrifices, nul n'en doute. Mais, au total, il est plus honteux de les refuser que pénible de les consentir. Tel est l'homme. Fait comme il est, selon sa norme, ce goût fait partie de son être, et même de son bien-être.  

    Devant ces deux piliers d'angle de notre vie, berceau et drapeau, maison et cité, qui échappent si complètement l'un et l'autre au cycle de l'adulte vivant capable de contrat, c'est tout au plus s'il doit être permis de se fâcher un peu contre le bon Dieu, ou tout autre mainteneur de l'Ordre des formes crées. C'est la déclamation de Job. C'est le chant de Byron. Je ne vois pas du tout quelle interpellation en serait valablement portée, ni à quel parlement de planètes, ni quel questionnaire de Théodicée générale, quelle objection au gouvernement temporel de la Providence pourraient être dressées en notre nom dans une affaire où nous sommes agis et poussés sans doute, mais aussi, et de toute évidence, avec des résultats que nous acceptons sans nous plaindre et tout au rebours. Si nous nous étions mis en tête de les fabriquer de nos propres mains, que seraient ces résultats, que vaudraient-ils ? Je pense à Caro, à son gland, à sa citrouille: cela règle tout. Ce que j'ai fait par liberté ne m'a pas toujours servi, ni même toujours plu. Ce que j'ai fait par force ne m'a pas toujours nui, ni froissé, ni meurtri. Bien au contraire. 

     

    finki 1.JPG 

    "L'homme est d'abord un héritier. La fiction la plus dévastatrice de notre époque est celle du spontanéisme : « Je suis qui je suis, et cet être que je suis doit pouvoir s’exprimer pour s’épanouir. » Il suffit de regarder la télévision, tout le monde est spontané et tout le monde dit la même chose, car la spontanéité a partie liée avec la banalité. L’homme est d’abord un héritier. Mais, aujourd’hui, on rêve de se soustraire à tout ce que l’on a reçu pour décider de son être, alors que notre civilisation s’est fondée sur l’idée que la culture était la médiation nécessaire à chacun pour accéder à lui-même..."

  • GRANDS TEXTES (33) : Qui sera le Prince ? par Pierre Boutang

    Pierre Boutang revient ici sur L'Avenir de l'Intelligence, qu'il appelle "cet immense petit livre", publié par Maurras en 1905.

    Maurras y oppose - un peu à la manière des tragédies de la Grèce antique - deux personnages allégoriques, engagées dans une lutte à mort : l'Or, c'est-à-dire les puissances d'Argent, les forces du matériel, et le Sang, c'est-à-dire l'ensemble des forces de la Tradition et de l'Esprit : politique, histoire, culture, religion, spiritualité.

    La Révolution, détruisant le pouvoir royal venu du fond des âges, et qui s'appuyait sur les forces de la Tradition et de l'Esprit, a ouvert toutes grandes les portes aux forces de l'Or, qui règnent maintenant sans partage, et nous sommes aujourd'hui dans cet Âge de fer, prophétisé par Maurras, qu'ont amené les philosophes du XVIIIème siècle, mais aussi leurs prédécesseurs de la Réforme et de la Renaissance.

    Cela durera-t-il toujours ? La victoire de l'Or sur le Sang est-elle définitive ? C'est, évidemment, une possibilité, et les apparences, aujourd'hui, semblent plaider en faveur de cette hypothèse.

    "A moins que...", dit Maurras, dans la conclusion de son "immense petit livre".

    Disciple et continuateur de Maurras, Boutang poursuit ici cette réflexion, cet "à moins que..." : les Soviets ont disparu, dans l'effondrement cataclysmique de l'utopie messianique marxiste; certains évènements, certains personnages dont il est fait mention dans ce texte appartiennent au passé.

    L'essentiel, la question centrale, demeure : Qui sera le Prince de ce temps ? Elle est au coeur de notre présent.    

     

    boutang,maurras,l'avenir de l'intelligence

           (Extrait d'un article paru dans Aspects de la France les 21 et 28 novembre, et le 12 décembre 1952)

     

           

    Qui sera le Prince ? Telle est l'unique question du vingtième siècle méritant l'examen, capable de mobiliser les volontés. La fraude démocratique consiste à lui substituer celle de la société, la meilleure possible, et le débat sur son contenu spirituel et moral. Quelle est l'organisation la plus juste, la plus humaine, et d'abord quelle est la meilleure organisation du débat sur cette organisation ?  Voilà le chant des sirènes des démocrates.

    Fiez-vous y ! Le vent et les voleurs viendront.

    Les voleurs et le vent sont à l'oeuvre. La diversion est plus que bonne : très sûre. Pendant ces beaux débats, toutes fenêtres ouvertes, le vent apporte sa pestilence. Et sous le masque de l'opinion reine, de la liberté de jugement des Lazurick ou des Lazareff, l'or triomphe; il détient tout le réel pouvoir dont la presse a mission et fonction cher payée de cacher la nature et de divertir dans le peuple la nostalgie croissante et le désir évident.

    Qui sera le Prince ? Il s'agit de l'avenir : il n'est pas de principat clandestin, de royauté honteuse de soi-même et qui puisse durer. Une société sans pouvoir qui dise son nom et son être, anarchique et secrètement despotique, sera détruite avant que notre génération ait passé. Pour le pire ou pour le meilleur elle disparaîtra. A la lumière très brutale et très franche de la question du Principat, de la primauté politique, les sales toiles des araignées démocratiques, les systèmes réformistes, les blagues juridiques, les ouvrages patients des technocrates européens; seront nettoyés sans recours. Par quelles mains ? C'est le problème... Qui tiendra le balai purificateur ? Non pas quel individu, pauvre ou riche, de petite ou très noble extrace, mais quel type d'homme ? Incarnant quelle idée ? Réalisant quel type de la Force immortelle, mais combien diverse et étrangère par soi-même au bien et au mal ? 

     

    boutang,maurras,l'avenir de l'intelligence

    "...quelle force réellle, capable d'extension, douée d'un sens universel, assumera le Pouvoir que l'on occupe clandestinement, mais n'incarne ni n'accomplit ?

    Est-ce que ce sera le Prolétaire selon Marx... 

     

           

    L'heure nouvelle est au moins très sévère, a dit le poète. Cette sévérité, aujourd'hui, tient à ce fait : nul ne croit plus à la meilleure structure sociale possible, la plus humaine et la plus juste. Tous voient qu'elle ne profite, cette question toujours remise sur le métier de l'examen, sans personne pour la tisser, qu'aux coquins et aux domestiques de l'argent. Les fédéralistes eux-mêmes, armateurs de débats sur les pactes volontaires, reconnaissent que la question du fédérateur est primordiale; mais les uns tiennent que ce fédérateur doit être un sentiment, la peur panique inspirée par les soviets, les autres avec M. Duverger dont les articles du Monde viennent d'avouer la honteuse vérité, que l'or américain, l'aide en dollars, est le seul authentique fédérateur de l'Europe...

    Positivement, les malheurs du temps ont fait gagner au moins ceci à l'intelligence mondiale, et la vague conscience des peuples : à l'ancienne utopie succède l'inquiétude, la question chargée de curiosité et d'angoisse - qui, quelle force, quelle espèce de volonté humaine, va garantir ou réaliser un ordre politique et social, juste ou injuste, mais qui sera d'abord le sien ? Nos contemporains savent ou sentent qu'il n'y a pas de justice sociale sans société ni de société sans une primauté reconnue, établie en droit et en fait. La réelle nature de la force publique, du Prince qui garde la cité et y exerce le pouvoir, importe plus aux hommes qui ont été dupes si longtemps, que le jeu de patience et d'impatience des réformes sociales; ces réformes sont innombrables dans le possible, imprévisibles dans leurs conséquences; ce qui compte, ce qui est digne de retenir l'attention ou d'appeler l'espérance, réside dans la loi vivante de leur choix, dans la réalité organique, dans la volonté responsable qui les ordonne et les préfère.

    Reconnaître l'importance capitale de la question du Prince, considérer les autres problèmes politiques comme des fadaises ou des diversions vilainement intéressées, tel est el premier acte d'une intelligence honnête de notre temps. Car cette question du prince est toujours essentielle, et toujours oubliée : mais elle était jadis oubliée parce qu'elle était résolue, et les utopies elles-mêmes s'appuyaient sur la réalité incontestée d'un pouvoir légitime. Depuis le dix-huitième siècle la puissance de l'or, clandestine, masquée par les fausses souverainetés du nombre et de l'opinion n'a pas comblé dans les esprits, les coeurs, les besoins, le vide laissé par la démission des Princes.

    Les balançoires, les escarpolettes constitutionnelles, dont les brevets continuent en 1952 d'être pris à Londres (ou dans les "démocraties royales" rétrogrades) ne satisfont pas, avec leurs recherches d'équilibre, le goût profond que gardent les peuples pour la stabilité et la connaissance des vraies forces qui soutiennent un gouvernement. L'homme du vingtième siècle n'a pas envie de se balancer à l'escarpolette démocratique et parlementaire : les expériences faites en Europe centrale lui montrent quel est l'usage probable des cordes libérales dont se soutenaient ces jolis objets et jouets des jardins d'Occident. Elles portent bonheur aux pendus... 

     

    boutang,maurras,l'avenir de l'intelligence

    ...ou le Sang, le principe dynastique, selon Maurras ?" 

     

           

    Quand on voit, quand on sait l'enjeu de cette guerre engagée sous nos yeux pour le Principat, l'inventaire des forces, des réalités naturelles et historiques, capables de répondre à la commune angoisse, s'impose rapidement. L'intellectuel, l'écrivain, disposent de l'outil du langage, dont la fonction est de distinguer des provinces de l'être. Ils font donc leur métier, lorsqu'ils dénombrent les prétendants au Principat. Ils peuvent faire leur salut temporel, en choisissant, en aidant, la force naturelle qui leur apparaît salutaire et légitime.

    La recherche de l'intelligence, dans ce domaine, est libre entre toutes. Elle ne doit de comptes qu'à la vérité, et lorsqu'elle se soumet à ses lois supérieures, à la patrie. Sa liberté propre se moque du libéralisme doctrinaire. Que ses lois propres, et sa soumission la conduisent à vouloir le Principat du Prolétaire, ou celui du Sang dans l'ordre dynastique, son choix ne dépendra pas, par exemple, du retard que tel prolétaire ou tel groupe prolétarien peuvent avoir, dans leur opinion subjective, sur la réalité et la force que le Prolétaire incarne pour un monde nouveau. Les difficultés qui naissent de ces retards, de ces rétrogradations, ne sont pas inconnues des marxistes. Il eût été bien étrange qu'elle fussent épargnées au nationalisme. Leur caractère de phénomène aberrant et transitoire laisse intacte la vraie question : quelle force réelle, capable d'extension, douée d'un sens universel, assumera le Pouvoir que l'on occupe clandestinement, mais n'incarne ni n'accomplit ? Est-ce que ce sera le Prolétaire selon Marx, ou le Sang, le principe dynastique, selon Maurras ? Le reste est futilité, opportunisme naïf que l'histoire balaiera sans égards. 

     

    boutang,maurras,l'avenir de l'intelligence

    "Qui sera le Prince ? L'or, la puissance financière toute pure et impure ?...  

     

           

    Non point selon l'ordre national, mais selon l'apparence, un premier Prince apparaît, prétendant du moins au Principat : le journal, le pouvoir de l'opinion. Prétention qui n'est monstrueuse que si l'on néglige les causes et les effets : si le peuple , si le nombre ou la masse - quelles que soient les définitions matérielles que l'on donne de ce Protée - était décrété souverain, l'évidence de son incapacité, de ses faibles lumières, de son enfance, selon le dogme du progrès, imposaient la régence pratique du pédagogue. Ce pédagogue du peuple souverain devait éclairer et former la volonté générale : l'extension rapide du pouvoir de lire rendait incertaine l'action des clubs et des assemblées : la presse seule pouvait se glisser partout en renseigner l'enfant Démos aux mille têtes folles, les mettre à l'abri de la séduction des anciennes autorités, de la mainmise de l'Eglise, de la séduction des Princes ou des généraux.

    Le combat du XIXème siècle pour la liberté de la presse apparaît ainsi comme le plus noble, le plus raisonnable qui pût être conduit, avec les prémisses de la démocratie. Des milliers d'hommes sont morts pour que nous ayons le droit d'accomplir, comme l'a dit Péguy, cette formalité truquée du suffrage universel. Mais la mort de millions n'eût pas été insensée pour que les conditions intellectuelles de cette formalité, la liberté de la presse, seule capable de vaincre le truquage, fût réalisée. Marx avait raison dans sa logique de démocrate radical, qui allait le conduire très loin du libéralisme formel : "La presse est la manière la plus générale dont les individus disposent pour communiquer leur existence spirituelle" (Gazette rhénane, 1842).

    Or, cette communication est le devoir démocratique majeur, où tout esprit doit enseigner sans cesse le peuple, innombrable héritier du Pouvoir, ayant une charge aussi certaine que celle dont Louis XIV accable un Bossuet. Il n'y a donc pas de limite démocratique à la liberté de la Presse, ce pédagogue des nations, mais dont la mission ne peut finir qu'avec la parfaite majorité de Démos.

    La difficulté commence (et commença !) avec la définition de l'enseignement ainsi donné : le pédagogue se révèle innombrable, indéfini, comme l'élève. A la limite théorique, Démos qui sait ou peut écrire enseigne Démos qui sait et peut lire. Les deux données quasi matérielles et de hasard, écrire et lire, se substituent au choix humain du précepteur, et à la présence naturelle de l'élève royal.

    En fait, par la simple existence d'un commerce de la librairie, une merveilleuse possibilité s'ouvrait ainsi aux forces secrètes qui disposeraient de l'or. Vainement, Marx s'écriait-il, dans la même Gazette de Francfort, à l'occasion des extraordinaires débats de la Diète rhénane qui devaient jouer un rôle décisif dans la formation de son mythe révolutionnaire "la première liberté consiste pour la presse à n'être pas une industrie !" La presse était une industrie, ou le devenait à toute vitesse.

    Si l'or ne renonçait pas, avec les organes de corruption des partis et les truquages électoraux, à gouverner directement le peuple et lui imposer des représentants, du moins les Pourrisseurs les plus scientifiques s'aperçurent très vite de l'existence d'un moyen économique et supérieur : il suffisait de tenir "le quatrième pouvoir" inconnu de Montesquieu, et d'agir sur le pédagogue de Démos. La divisibiliét infinie de l'or, sa séduction aux mille formes s'adaptaient naturellement au maître divers, au pédagogue polycéphale... On pouvait y aller. On y alla !

     

    boutang,maurras,l'avenir de l'intelligence

    ...Le Prolétaire dans la dictature révolutionnaire ?

     

            

    Le pédagogue de Démos ne pouvait prétendre, au départ, à un enseignement si bien assimilé par son élève que le choix des meilleurs en résultât, automatiquement, à l'heure des votes. Était-il écouté, suivi ? Les gouvernements considéraient qu'ils avaient, eux, atteint leur majorité en obtenant la majorité; ils s'émancipaient; ils agissaient à leur tour, par des lois ou par des fonds secrets, sur la presse écoeurée de cette ingratitude. Mais il y avait une ressource : c'était la fameuse opposition. L'opposition au parlement pouvait être méconnue; elle se composait en somme de vaincus. S'appuyait-elle sur une presse vivace, expression du citoyen contre le Pouvoir du moment, éducatrice de son successeur inévitable, alors les chances de la liberté étaient maintenues, on était encore en république !

    Hélas ! La presse d'opposition, précisément parce qu'elle pouvait influer sur la décision prochaine de Démos, tant qu'elle acceptait le système et ses profits glorieux, tenait à l'or autant que l'autre. Du moins sauvait-elle les apparences.

    Il fallut attendre une déclaration vraiment décisive de l'éditorialiste du quotidien Figaro, feuille conformiste à l'immense tirage, pour que cette dernière décence, cette ultime réserve et pudeur de la putain Démocratie fût gaillardement sacrifiée. Nous commentons dans la Politique de cette semaine ce texte monumental (auro, non aere, perennius !) dû à l'ingéniosité perverse de Mauriac. Citons-le ici pour mémoire :

    "Je sais, on reproche souvent au Figaro d'être toujours du côté du gouvernement. Dans une démocratie, je prétends qu'un grand journal ne peut être un journal d'opposition. Un journal comme Figaro, en raison même de son audience ne peut fronder. Il a des responsabilités sur le plan patriotique. J'admire les gens qui peuvent trancher de tous les problèmes dont ils ignorent les difficultés. Or, le nom du président du Conseil peut changer, les difficultés restent les mêmes au gouvernement." 

    L'abdication définitive et publique du quatrième pouvoir en démocratie entraîne la ruine de la démocratie elle-même. Le pédagogue de Démos abdique avec

  • GRANDS TEXTES (15) : Le regard vide, de Jean-François Mattéi (2/3)

    MATTEI.jpg

     

    Il faut être reconnaissants à Jean-François MATTEI d’avoir écrit "Le regard vide - Essai sur l'épuisement de la culture européenne". 

    Il y dit, un grand nombre de choses tout à fait essentielles sur la crise qui affecte notre civilisation – et, bien-sûr, pas seulement la France – dans ce qu’elle a de plus profond.  

    Ce livre nous paraît tout à fait essentiel, car il serait illusoire et vain de tenter une quelconque restauration du Politique, en France, si la Civilisation qui est la nôtre était condamnée à s’éteindre et si ce que Jean-François MATTEI a justement nommé la barbarie du monde moderne devait l’emporter pour longtemps.

     

    Le regard vide - Essai sur l'épuisement de la culture européenne, de Jean-François Mattéi. Flammarion, 302 pages, 19 euros.

    MATTEI 3.jpg

    Plus ultra

    (Chapitre intégral, pages 153/154/155/156/157/158)

               

     

    Si l’Europe a réussi à s’imposer au monde, à la suite des grandes explorations des XVème et XVIème siècles, c’est parce que sa « soif infinie du savoir » l’a poussé à prendre et à unifier tout ce qui lui était extérieur. Et sa liberté de mouvement, qui se confond avec sa passion de connaissance, l’a progressivement arrachée à elle-même pour se retrouver, ou se perdre, dans ses altérités. Le drame de l’Europe, des Temps modernes au XXème siècle, tient au fond à la devise que Charles Quint avait reçue de son médecin italien, Luigi Mariliano : Plus ultra.

    C’était à vrai dire un jeu de mots qui appelait un défi. Non plus ultra était l’ordre gravé par Hercule sur les deux colonnes du détroit de Gibraltar pour interdire aux navigateurs de s’aventurer au-delà du monde connu. Le héros grec faisait ici preuve de sagesse en demandant à l’homme de rester dans ses propres limites.

    L’empereur viola l’interdit mythique en changeant la devise, qui devint celle de l’Espagne, pour affirmer sa volonté de dépasser toutes les bornes  et assurer la plus grande extension à son empire. L’impérialisme de l’action est ainsi la conséquence naturelle de l’empire de la pensée dès qu’elle cherche à connaître et à posséder, pour mieux jouir d’elle-même, tout ce qui tombe sous son regard. Et le regard de l’Europe a porté toujours plus loin dans sa conquête du monde et de l’univers. Tel un navire qui largue ses amarres, l’esprit européen n’a pas hésité à franchir les limites, grecques, romaines et chrétiennes au sein desquelles il était né tout en faisant appel à ses propres principes pour imposer à la planète son hégémonie culturelle et politique.

     
     
    magellan.jpg
     
    En trois ans -du 20 septembre 1519 au 6 septembre 1522- Magellan et El Cano réalisent le premier tour du monde...
     
    "L’impérialisme de l’action est ainsi la conséquence naturelle de l’empire de la pensée dès qu’elle cherche à connaître et à posséder, pour mieux jouir d’elle-même, tout ce qui tombe sous son regard..."  
     
     
     

    La liberté de conquête du monde prendra une forme militaire, avec les conquistadores, scientifique, avec les savants, religieuse avec les missionnaires, pédagogique, avec les instituteurs, économique, avec les marchands et politique, avec les juristes. L’Europe se voudra ainsi le centre du monde comme la Terre, dans le système de Ptolémée, occupait le centre de l’Univers. Déjà l’oracle de Delphes, pour le mythe archaïque, se trouvait au nombril du monde là où les deux aigles, envoyés par Zeus aux extrémités de la Terre, s’étaient croisés à l’aplomb de l’omphalos. Apollon, le dieu de lumière et de divination, prit alors possession de Delphes et, après avoir terrassé le dragon Python, installa le sanctuaire où devait officier la Pythie.

    La Grèce, puis l’Empire romain et, après sa chute, l’Europe chrétienne se pensèrent sur le même modèle géocentrique d’un monde habité par le souffle de la prophétie. Ce désir de maîtrise de la pensée, exacerbé par sa fascination pour le mouvement, ce que Peter Sloterdijk a qualifié de « mytho-motricité européenne » (1), s’il n’était plus fidèle à l’essor platonicien de l’âme ordonné par l’Idée, devenait légitime pour la translatio imperii. La vocation impériale de l’Europe, dans sa volonté farouche d’unité, s’est toujours appuyée depuis Charlemagne et l’Empire carolingien, sur la continuité de l’imperium romain, mais également sur la tradition de la philosophie grecque qui voyait dans l’orbe de l’unité la perfection du monde et celle de la cité.

    Le transfert du pouvoir, translatio imperii, a donc été en même temps un transfert du savoir, translatio studii, comme on le voit chez les théologiens médiévaux. Othon, évêque de Freising, demi-frère et oncle des empereurs allemands Conrad III et Frédéric Ier ; écrivait que « toute la puissance et la sagesse humaines nées en Orient ont commencé à s’achever en Occident », retrouvant l’idée grecque puis romaine de la perfection de la culture barbare réalisée par la culture philosophique. Hugues de Saint-Victor soulignait, de façon plus appuyée, la vocation divine de cet empire chrétien d’Occident qui ne portait pas encore à son époque le nom d’Europe :

    « La divine Providence a ordonné que le gouvernement universel qui, au début du monde, était en Orient, à mesure que le temps approche de sa fin se déplaçât vers l’Occident pour nous avertir que la fin du monde arrive, car le cours des évènements a déjà atteint le bout de l’univers» (2).

     

    COPERNIC.jpg

    1543 : Le De revolutionnibus orbium celestium, de Nicolas Copernic, étudiant de l'Université Jagellon de Cracovie, dont la devise est Plus ratio quam vis (la raison plus que la force)

     

     

    Ce sera effectivement bientôt la fin du monde fini, en politique comme en cosmologie, pour une Europe qui va peu à peu s’aliéner d’elle-même. Je suis tenté de croire que le déclin de l’Europe, sur le plan politique comme sur le plan moral, et en dépit de son règne colonial, a suivi avec quelques siècles de retard la révolution de Copernic. Qu’a-t-elle fait d’autre, en effet, pour reprendre la question de Nietzsche dans le Gai Savoir, sinon « désenchaîner cette terre de son soleil » au point de parvenir à « effacer l’horizon tout entier ».

    Tel est le sens cosmique de la mort de Dieu qu’annonce l’insensé en allumant la lanterne de notre hubris en plein midi. En se détachant des idéaux qui la guidaient et en doutant de ses propres principes, l’Europe a perdu l’orientation solaire qui lui était naturelle pour se livrer à une errance « à travers un néant infini » où elle sent « le souffle du vide » (3). Désormais, ce n’est plus seulement notre planète qui a perdu sa situation centrale dans le concert d’un monde qui tournait autour d’elle ; ce n’est plus l’homme, perdu  entre deux infinis, qui occupe une position privilégiée dans l’ordre du cosmos ; c’est le continent européen qui n’impose plus son hégémonie culturelle aux autres peuples et aux autres civilisations. L’ironie de l’histoire tient à ce que ce sont les penseurs européens eux-mêmes, avec Copernic, Kant et Marx, qui, en s’appuyant sur leurs principes scientifiques, moraux et politiques pour en critiquer la légitimité, ont mis en péril l’hégémonie d’une culture qui se voulait universelle.                                                                           

    Carl Schmitt a longuement établi dans Le Nomos de la Terre, comment le droit des gens européens, le Jus publicum Europoeum, fondé sur l’Etat moderne au sens de Bodin et de Hobbes, a imposé ses normes politiques et juridiques au reste du monde. La justification de la prise de terre des pays étrangers au continent européen, qui fixa le nomos de l’ensemble de la terre, fut appuyée à la fois sur l’existence d’ « immenses espaces libres » et sur la supériorité d’une culture tout aussi libre qui ignorait superbement les obstacles conceptuels ou matériels.

    En ce sens, les Européens n’ont jamais considéré leurs conquêtes sur le modèle des invasions traditionnelles de territoires occupés par d’autres peuples. Comme l’écrit Schmitt dans une perspective hégélienne, la découverte et l’occupation du Nouveau Monde étaient plutôt « une performance du rationalisme occidental revenu à lui, l’œuvre d’une formation intellectuelle et scientifique telle qu’elle s’était constituée au Moyen-Âge européen, et cela essentiellement à l’aide de systèmes conceptuels qui ont joint le savoir de l’Europe antique et du monde arabe à l’énergie du christianisme européen pour en faire une force maîtresse de l’histoire » (4).  

     

    NouveauMonde.jpg
     
    "la supériorité intellectuelle était entièrement du côté européen, et forte à ce point que le Nouveau Monde put être simplement « pris », tandis que dans l’Ancien Monde d’Asie et de l’Afrique islamique ne s’est développé que le régime des capitulations et de l’exterritorialité des Européens..." (Carl Schmitt)
     

     

    Tout est en effet une question d’énergie et de force comme le montre l’appétit de découvertes et de connaissances que la science de l’époque tira très vite des expéditions lointaines. Les représentations cosmographiques que les savants multiplièrent dans toute l’Europe en témoignent au même titre que les progrès des sciences à la Renaissance. L’occupation politique et économique ne fut au fond que l’expression visible de l’occupation intellectuelle et culturelle du rationalisme occidental contre laquelle les indigènes ne pouvaient pas lutter avec leurs propres armes. 

    Schmitt est donc autorisé à dire, même si le propos paraît blessant pour les peuples vaincus, que « la supériorité intellectuelle était entièrement du côté européen, et forte à ce point que le Nouveau Monde put être simplement « pris », tandis que dans l’Ancien Monde d’Asie et de l’Afrique islamique ne s’est développé que le régime des capitulations et de l’exterritorialité des Européens » (5). Ce qualificatif d’ « Européens » désignait alors le statut normal de l’humanité qui prétendait être le statut déterminant pour les parties inconnues de la Terre : la civilisation mondiale se confondait avec la civilisation européenne. « En ce sens – conclut Schmitt - l’Europe était toujours encore le centre de la Terre » (6), même si le décentrement apporté par le Nouveau Monde, qui, des siècles plus tard, donnerait l’hégémonie à l’Amérique, avait relégué dans la passé « la vieille Europe ».

    Il me semble que la raison est facile à comprendre, par delà toute critique convenue du colonialisme. Si le nomos, un terme grec que l’on traduit généralement par la « loi » mais qui signifie à l’origine le partage, et même la répartition des pâturages dans le monde pastoral, est bien la mesure qui divise les terres et la configuration spatiale d’un pays, l’espace géographique est indissolublement lié à l’espace politique, à l’espace intellectuel et à l’espace spirituel ou religieux qui en sont la manifestation abstraite.

    La colonisation européenne, mise en place lors des expéditions militaires sur des mers libres de toute autorité, ce qui a entraîné l’opposition juridique de la « terre ferme » et de la « mer libre » du fait de la maîtrise maritime de l’Angleterre, a été le trait fondamental du droit des gens européens. Elle a commandé par conséquent l’ensemble de la politique mondiale jusqu’au XXème siècle et défini l’ordre spatial et juridique des Etats d’Europe par rapport aux espaces libres des océans et de l’outre-mer. La libido sciendi et la libido dominandi de la culture européenne sont demeurées fidèles à cette énergie inépuisable d’un esprit qui ne pouvait s’appréhender et se communiquer, comme le soulignait Hegel, que dans son opposition à un monde extérieur qu’il lui fallait soumettre à son principe d’universalité.

     

     

    (1)     : Peter Sloterdijk, Si l’Europe s’éveille, Paris, Mille et une nuits, 2003, page 69.  

    (2)     : Jacques Le Goff, La Civilisation de l’Occident médiéval, Paris, Arthaud, 1964,, pages 218/219.

    (3)    F. Nietzsche, Le Gai savoir (1882), livre III, § 125, « L’insensé » Œuvres philosophiques complètes, Paris, Gallimard, 1967, tome V, page 137.

    (4)     : C. Schmitt, Le Nomos de la Terre (1950), Paris, PUF, 2001, pages 133 et 141.

    (5): C. Schmitt, Le Nomos de la Terre (1950), Paris, PUF, 2001, pages 133.

    (6 ): C. Schmitt, Le Nomos de la Terre, ibid, page 88.

     

    MATTEI COLONNES D'HERCULE LE PLONGEUR DE PAESTUM.jpg
     
    Le plongeur de Paestum : tombe de la Grande Grèce, en Campanie, au sud de Naples, vers 490 avant J.C. Symbole de l’au-delà des Colonnes d’Hercule. Rare représentation grecque de la mort.
     
    Retour aux premières lignes du passage :
     
     "Si l’Europe a réussi à s’imposer au monde, à la suite des grandes explorations des XVème et XVIème siècles, c’est parce que sa « soif infinie du savoir » l’a poussé à prendre et à unifier tout ce qui lui était extérieur. Et sa liberté de mouvement, qui se confond avec sa passion de connaissance, l’a progressivement arrachée à elle-même pour se retrouver, ou se perdre, dans ses altérités..."

     

     

    soljenitsyne,revolution,vendee,totalitarisme,republique,terreur,goulag