Par Pierre Renucci
Une réflexion sur la nature des cycles qui constituent la vraie Histoire et sur les évolutions profondes que connaît le monde actuel. Où des motifs d'espérance se dessinent.
Un cycle historique s’achève, entend-on souvent. Probablement. Attention pourtant à cette notion faussement simple.
Ne nous imaginons pas les cycles historiques comme des assiettes empilées dans le buffet ou soigneusement posées sur une table. Ils ressemblent plutôt à des cercles concentriques, un peu comme des ronds dans l’eau provoqués par un caillou. Et les choses se compliquent quand ils s’entrecroisent avec d’autres ronds provoqués par d’autres cailloux lancés à des époques plus ou moins proches. Par exemple, le capitalisme industriel ne serait pas né sans la grappe d’inventions qui permit le machinisme ni sans les Lumières qui provoquèrent la révolution bourgeoise et l’esseulement de l’individu. Ce que l’on appelle fin de cycle, n’est donc bien souvent que la disparition de segments formés par l’intersection de plusieurs ronds dans l’eau… D’ailleurs, plutôt qu’à des cycles, l’Histoire ne ressemble-t-elle pas à une ligne qui s’incurve, se brise, se redresse au gré des événements ?
Partout, mais surtout en Europe, la ligne à peu près droite qui avait débuté en 1945 se tord. Cette année-là s’était achevée une guerre de trente ans entrecoupée d’une fausse paix. Une guerre perdue par l’Europe. Bien sûr, ce conflit mondial étant d’abord un conflit européen, il y eut des nations européennes vainqueurs et d’autres vaincues. Mais à l’exception de la Russie, l’Europe en tant qu’entité était la grande perdante. Vassalisée par les États-Unis et l’Union soviétique, elle entrait dans une longue dormition dont elle n’est encore pas sortie. Quoiqu’antagonistes, les deux suzerains partageaient la même détestation de la vieille Europe et la même croyance en leur propre vocation messianique. Leur objectif était en définitive identique : la création d’un homo oeconomicus standardisé, sans racine, sans culture, sans histoire. Seule la méthode différait. Les Soviétiques entendaient l’asservir à l’État communiste par la brutalité et de la planification. Les Américains, au Marché dominé par eux-mêmes, en diffusant l’american way of life avec sa culture de masse et sa production de masse.
La ligne commence à se tordre, donc, avec la chute du mur de Berlin en 1989 et la disparition de l’URSS en 1991. Cette inflexion marque la fin du cycle communiste en Europe, mais pas de celui de l’Europe vassalisée désormais soumise aux seuls États-Unis : la ligne s’incurve, elle ne se brise pas. Évidemment, dans un premier temps, la disparition du communisme donna l’illusion de la supériorité de l’Occident, entendu comme le modèle capitaliste américain.
De fait, jusqu’à l’orée du XXI° siècle, ce néo-libéralisme empreint de libertarisme semblait devoir s’imposer au monde et réaliser les prétentions messianiques des États-Unis. Pour sa part, si l’Europe pouvait se féliciter d’être débarrassée de la tyrannie communiste, le déséquilibre des forces qui en résulta la soumit davantage aux « valeurs » libéral-libertaires sous lesquelles se cache l’impérialisme du système américain. Cette soumission eut deux conséquences immédiates. D’un côté le suivisme des Européens dans la politique étrangère de leur suzerain : provocation envers la Russie, aventures militaires au Kosovo, en Afghanistan, en Irak. De l’autre et surtout, le façonnage accéléré de l’homo oeconomicus par le Capitalisme au moyen de l’invasion migratoire, de la propagande et de la farce sociétale.
L’invasion migratoire présente le triple avantage d’importer de la main d’œuvre à bon marché mais plus encore des consommateurs subventionnés par l’impôt prélevé sur les indigènes, et de détruire les identités nationales. On sait que l’invasion migratoire - cela fut confirmé par les révélations de Wikileaks de 2010 - est souhaitée et favorisée par les États-Unis pour détruire l’Europe de l’intérieur.
Bien sûr, l’indigène regimbe un peu. Alors on l’éduque. La propagande commence à l’École, où l’enseignement du dogme de l’Humanité a depuis longtemps remplacé les humanités. Puis la machine politico-médiatique prend le relais, sous l’influence notable d’anciens communistes de toute obédience (trotskystes, stalinistes, maoïstes) reconvertis dans le libéral-libertarisme. Les catéchistes de la nouvelle religion ordonnent leurs prêches autour de deux thèmes principaux. Un, la glorification du dieu Marché et de ses hypostases que sont l’Immigré, le Féminisme, les Minorités ou la Libération Sexuelle. Deux, la culpabilisation du Blanc - surtout européen - responsable sans partage de tous les maux. Quant aux déviants qui s’avisent de contester la bonne parole, ils sont dûment châtiés par la mise à l’index, l’exclusion sociale et si ce n’est assez, par les juges nationaux et internationaux.
La farce sociétale relève d’un registre plus subtil. Le Système utilise ce dérivé du libertarisme soixante-huitard à plusieurs fins. Sur le plan commercial, il ne s’agit jamais que de technique de « segmentation du marché » pour créer de nouveaux besoins, de nouvelles clientèles et de nouveaux profits. Ainsi s’explique l’émergence de produits de spéculation tel le non-art du type plug annal et emballage du Pont-Neuf, ou de services de satisfaction de l’individu-roi telle la GPA pour tous. Ainsi s’explique aussi le « ciblage » de catégories de population, tels les homosexuels, les communautés ethniques etc. Mais pour que ces « segments de marché » développent leur plein effet, il faut les intégrer dans la religion de l’Humanité, le mettre sous la protection des droits de l’Homme, ce qui nécessite l’intervention du politique.
C’est alors que la farce sociétale revêt le masque de l’« opposition progressiste » au Système. On y trouve pêle-mêle les « cultureux » subventionnés par le ministère de la Culture, les minorités activistes (LGBT, indigénistes, ultragauche…), les « féministes 2.0 », bref toutes les chapelles du « jouir sans entrave ». La confrontation est évidemment factice. En réalité, si le Système feint de se démarquer de ces pantalonnades, c’est pour mieux s’en servir : en révolution permanente, le Capitalisme trouve dans les délires sociétaux de l’« opposition progressiste » la caution nécessaire à sa fringale destructrice. C’est pourquoi, après une résistance de bon aloi, il promulgua bien volontiers le mariage pour tous, consacrant du même coup les homosexuels en communauté et en segment de marché, et qu’il érigera bientôt PMA et GPA pour tous en droit de l’Homme.
Ainsi donc, la monade humaine décérébrée, déracinée, déracisée, voit le jour, zombie dont l’appartenance se résumera à ses segments de consommation et dont le bonheur consistera à satisfaire les désirs soufflés par le Marché.
Mais le pire n’est jamais sûr. Les échecs américains au Proche-Orient et en Afghanistan, la question identitaire au sein même de la société américaine, la crise financière, l’émergence de la puissance chinoise et demain indienne, le refus de la Russie de se laisser dépecer et vassaliser, ont redonné espoir à ceux qui attendent le réveil de l’Europe. À tout le moins, la vision unipolaire de l’american way pour tous c’est-à-dire du Marché dominé par les seuls Américains a désormais peu de chance de se réaliser.
La partie s’annonce rude. Les forces de dissolution sont à l’œuvre depuis longtemps. Toutefois le Système n’est plus aussi fort qu’à ses débuts. Le capitalisme financier connaît une crise si grave, qu’il ne survit qu’au moyen d’artifices financiers comme la facilitation monétaire (quantitative easing), la socialisation des pertes bancaires et le recours indéfini aux emprunts.
En Europe, les immigrés se comportent comme le souhaite le Système : ils s’adonnent à la consommation de masse et constituent des communautés qui affaiblissent les nations. Mais leur refus de s’assimiler provoque chez les indigènes une renaissance du sentiment national. Aux États-Unis, le peuple fatigué de l’immigration massive et du capitalisme débridé, élit un président populiste, avouant par là-même l’échec de la domination américaine du Marché. L’Europe de l’Est instruite par des siècles de luttes contre l’empire ottoman et par cinquante ans d’occupation soviétique ne veut ni d’une invasion migratoire musulmane ni de la tyrannie de l’UE, ces deux derniers phénomènes étant d’ailleurs liés. L’Autriche et l’Italie sont maintenant gouvernées par des « populistes » et ouvrent peut-être la voie à l’Europe de l’Ouest. En France le mouvement des Gilets Jaunes, sonne la révolte contre l’oligarchie. Sans doute ne dénonce-t-il pas l’invasion migratoire. Mais ne faut-il pas voir dans ce silence une « pensée de derrière » à la Pascal, dont l’« habileté » serait de taire ce qu’on ne peut encore hurler ? Peut-être, tant la crainte de passer pour raciste obère la parole. Pourtant, quels que soient les défauts de ce mouvement et la récupération dont il peut faire l’objet, on peut espérer que sa spontanéité et son origine éminemment populaire marquent le retour de la nation.
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Ce que nous vivons annonce peut-être une de ces secousses historiques dont les effets se mesurent à l’échelle du millénaire. L’Europe occidentale - l’homme malade de l’hémisphère nord - doit s’y préparer sous peine de disparaître. Royaume-Uni, Belgique, Suède, France sont les plus touchés.
De ces quatre nations sœurs, on peut espérer que la France sera la première à relever l’étendard du sursaut. Mais son système politique souffre d’un grave manque de représentativité. Contrairement aux Italiens, les Français ne peuvent compter sur aucun parti ni aucune alliance propre à renverser l’oligarchie qui gouverne depuis quarante sous l’apparence d’une fausse alternance. C’est d’ailleurs pourquoi le référendum d’initiative populaire demeure la principale revendication des Gilets Jaunes.
Dans ce combat qui ne sera gagné qu’en retrouvant nos racines, en nous souvenant de notre héritage spirituel, un authentique arbitre serait nécessaire. Or la France a la chance d’avoir la plus vieille famille dynastique d’Europe et pourrait demander à son rejeton d’exercer cette fonction de roi-conscience.
Puisse ce prince se faire connaître et se déclarer prêt à accomplir sa tâche : lever l’étendard du sursaut, celui de Saint-Denis ! ■
Pierre Renucci
Historien du droit, des institutions et des faits sociaux