Alain de Benoist : « Avec la postmodernité, l’individualisme se mue en égocentrisme narcissique… »
Les fameux selfies offrent le plus spectaculaire échantillon du narcissisme. Ici, à Vilnius (Lituanie), le 1er août. AFP PHOTO / PETRAS MALUKAS
C'est un tableau très exact et très complet de la société et de l'homme postmodernes que brosse ici Alain de Benoist. Il en résulte que cette sorte de révolution liquide à laquelle nous sommes confrontés ou affrontés dépasse largement le strict terrain du politique et que pour l'inverser ou la supplanter, il faudra bien plus qu'une transformation institutionnelle ou politique. Sans-doute y faudra-t-il cette métanoïa éthique, anthropologique et, bien-sûr, politique que Pierre Boutang - et André Malraux - évoquaient en leur temps. LFAR
Modernité… Tous les médias n’ont plus que ce mot à la bouche. Il faut être moderne, nous dit-on, « parce qu’on n’arrête pas le progrès ». Au fait, ça veut dire quoi, la « modernité » ?
La modernité est une des catégories fondamentales de la sociologie historique et de la politologie contemporaines. Étudiée par une multitude d’auteurs, elle va très au-delà de ce qu’on appelle en général la modernisation (industrielle et postindustrielle). Elle trouve ses racines à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance, et s’épanouit à partir du XVIIe et surtout du XVIIIe siècle. Elle se caractérise par la montée des classes bourgeoises, qui imposent progressivement leurs valeurs au détriment des valeurs aristocratiques et des valeurs populaires, et par la naissance de l’individualisme.
Sous l’influence de l’idéologie du progrès, rendue possible par l’essor des sciences et des techniques, s’affirme à l’époque moderne une confiance de principe dans les capacités de l’homme à gérer « rationnellement » son destin. Le passé et la tradition perdent dès lors leur légitimité, de même que les formes sociales d’appartenance traditionnelle et communautaire. L’hétéronomie par le passé est remplacée par l’hétéronomie par le futur, c’est-à-dire la croyance que demain sera nécessairement meilleur (les « lendemains qui chantent »). C’est l’époque où se déploient à la fois les philosophies du sujet et les grands systèmes historicistes, qui prétendent déceler un « sens de l’Histoire » assuré dont l’accomplissement mènerait le monde à son idéal. Sur le plan politique, le grand modèle est celui de l’État-nation, qui s’affirme au détriment des logiques féodale et impériale. Les frontières suffisent à garantir l’identité des collectivités, et servent de tremplin à des tentatives d’universalisation des valeurs occidentales, par le biais notamment de la colonisation. L’Église, de son côté, perd peu à peu le pouvoir de contrôle de la société globale qu’elle possédait autrefois.
Mais cette modernité, on y est toujours ou on en est sortis ? Quid de la « postmodernité » ?
La postmodernité ne s’oppose pas à la modernité, mais la dépasse tout en la prolongeant sur certains plans (on parle alors d’« ultra-modernité » ou encore d’« hypermodernité », au sens où l’on parle aussi d’hyperterrorisme, d’hyperpuissance, d’hypermarchés, etc.). Son avènement, à partir des années 1980, s’explique par le désenchantement du monde engendré par la désagrégation des « grands récits » historicistes, elle-même consécutive à l’effondrement des dogmes religieux et à l’échec des utopies révolutionnaires du XXe siècle.
Dans le monde postmoderne, on assiste à une dissolution généralisée des repères traditionnels, qui entraîne une fragmentation, voire une atomisation de la société civile, en même temps qu’une fragilisation des identités individuelles et collectives, elle-même génératrice de comportements anxiogènes et de poussées de « phobies » paniques. L’individualisme se mue en égocentrisme narcissique, tandis que les rapports humains extra-familiaux se réduisent à la concurrence ou à la compétition régulée par le contrat juridique et l’échange marchand. L’hédonisme s’appuie sur la consommation de masse (on consomme d’abord pour se faire plaisir plutôt que pour rivaliser avec autrui) pour viser avant tout au bien-être et à l’épanouissement personnel. Les disciplines contraignantes et les normes prescriptives s’effondrent, l’autorité sous toutes ses formes est discréditée, et l’art s’émancipe des règles de l’esthétique. On assiste aussi à un éclatement des cadres temporels, qui se traduit par le culte du présent au détriment de toute volonté de transmettre. Sur le plan politique, la gouvernance se ramène de plus en plus à la gestion, l’État-nation est débordé par le haut (emprises planétaires) et par le bas (renaissance des communautés locales), et les frontières ne garantissent plus rien.
La postmodernité correspond à ce monde « liquide » théorisé par Zygmunt Bauman, où tout ce qui était durable et solide semble se désagréger ou se liquéfier. C’est un monde de flux et de reflux, un monde de mouvances migratoires néo-nomades, caractérisé par le désinstitutionnalisation et la déterritorialisation des problématiques. Sous l’effet d’une logique économique qui a balayé tout idéal de permanence s’instaure le règne de l’éphémère et du transitoire, dans la production et la consommation des objets, tout comme dans les comportements, comme en témoignent la fin des engagements politiques de type sacerdotal, la désaffection des églises, des syndicats et des partis. La foi religieuse est privatisée, on se compose des croyances à la carte, et tous les modes de vie deviennent socialement légitimes. La vogue de l’idéologie des droits de l’homme et la croyance au pouvoir régulateur du marché se conjuguent pour légitimer la promotion des droits et l’affirmation de la « liberté des choix », tandis que l’explosion de la logique du marché entraîne la commercialisation de tous les modes de vie. Deux mots anglo-saxons résument bien cette tendance générale : le « selfie » et le « zapping », autrement dit l’obsession de soi et la volatilité des comportements, qu’ils soient électoraux ou amoureux.
Avec l’actuelle réforme de l’école, l’éternelle querelle entre les « Anciens » et les « Modernes » reprend du poil de la bête. L’enseignement du grec et du latin, c’est moderne, postmoderne ou archaïque ?
Ce n’est rien de tout cela. Car le grec et le latin, tout comme ce qui est de l’ordre de la culture authentique, ne sont ni d’hier ni de demain, mais de toujours ! •

Entretien réalisé par Nicolas Gauthier - Boulevard Voltaire
Agrégé de Lettres modernes, professeur dans un lycée de la grande banlieue parisienne, Gautier Bès de Berc a été un des principaux initiateurs du mouvement des Veilleurs né de la contestation de la loi Taubira. En juin 2014, avec Marianne Durano et Axel Rokvam, il publiait Nos limites (Le Centurion, 3,90 euros), un court traité d’écologie intégrale.
« Le roi Salmane d'Arabie saoudite veut pouvoir se baigner en sécurité sur la petite plage privée qui borde sa vaste villa de Vallauris, mais il n'est pas question qu'une femme assiste au spectacle de ses hommes barbotant en maillot de bain dans les eaux claires de la Méditerannée. Il a ainsi envoyé un émissaire, lundi 27 juillet, auprès d'un CRS un peu trop féminin à son goût.
Les Français ont coupé la tête de leur roi, la gauche cherche à nous persuader que la France a commencé en 1789, l'exigence d'égalité est mise à toutes les sauces, même les plus inappropriées, comme avec la loi sur le mariage pour tous, mais la Préfecture des Alpes-Maritimes autorise le roi d'Arabie saoudite, accompagné par mille personnes environ, à privatiser une plage publique à Vallauris, à construire un ascenseur et un escalier, bref à se constituer jusqu'au 20 août son petit royaume personnel en France.
Les propos d’Emmanuel Macron sur « la figure du roi » suscitent maints commentaires narquois ou indignés. Elle est à prendre au sérieux. Emmanuel Macron dit fort justement que la démocratie ne se suffit pas à elle-même : « Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l’espace. »
Face à la déferlante des barrages et des jets de fumier, du ras-le-bol de producteurs exaspérés engraissant des intermédiaires gavés, face à la colère qui monte et à un pouvoir débordé qui multiplie les mesures d'urgence pour améliorer une situation qu'il connaissait pourtant de longue date, il convient d'adopter le point de vue de Candide. Il faut, certes, cultiver son jardin, mais que faire quand celui-ci ne permet même pas à ses propriétaires de survivre en milieu rural ? On ne peut même plus en rester à la formule: « Puisque ces mystères nous dépassent, feignons de les organiser » ; parce que, même là, on ne peut plus faire semblant.
Si la presse régionale s’émancipait de la monochromie gauchisante, elle perdrait sans doute moins de lecteurs !