Le réalisme commande le Roi, par François Marcilhac*
La Galerie des Rois au portail de Notre-Dame
L'on ne peut qu'apprécier l'analyse de François Marcilhac sur ce que l'on pourrait s'amuser à appeler à notre tour « l'incomplétude » des propos d'Emmanuel Macron constatant qu'à nos Institutions « il manque un roi ». François Marcilhac rétablit les distinctions historiques nécessaires que ne fait pas Macron et dit l'essentiel sur ce que doit être le Roi lui-même, réalité, incarnation et non pas seulement figure. Reconnaissons toutefois que venant d'un ministre de la République, pour incomplet qu'il soit, le propos si surprenant d'Emmanuel Macron allait probablement très au delà de ce qu'il est céans de dire dans la position qu'il occupe, s'agissant de notre République et du Chef de l'Etat lui-même. Ersatz, et bavardage stérile, ce propos ? Oui, s'il l'on s'en tient là, oui sur le fond. Mais qui nous dit quelles conséquences plus larges il peut faire germer si les circonstances d'une hypothèse monarchique venaient à se créer, à se réunir ? L'Histoire, y compris celle d'une République hautement improbable aux environs de 1790, peut réserver de tels retours et leur maturation suit aussi des méandres dont on ne distingue le cours que lorsque l'improbable s'est accompli. LFAR •
Il serait naïf de croire qu’Emmanuel Macron ne mesurait pas la portée de ses propos quand il répondit dans un entretien à l’hebdomadaire l’1, le 8 juillet dernier, à une question sur la démocratie, que celle-ci « comporte toujours une forme d’incomplétude, car elle ne se suffit pas à elle-même.
Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l’espace. On le voit bien avec l’interrogation permanente sur la figure présidentielle, qui vaut depuis le départ du général de Gaulle. Après lui, la normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un siège vide au cœur de la vie politique. Pourtant, ce qu’on attend du président de la République, c’est qu’il occupe cette fonction. Tout s’est construit sur ce malentendu. »
Bruno Roger-Petit a beau traiter de « gredins » (sic) ceux qui — les royalistes ? — ont « exploité » , comme il convenait, les propos du ministre, nous n’en sommes que plus libres pour reconnaître qu’il a entièrement raison lorsqu’il conclut qu’on retire de ces propos « plutôt l’image d’un gaullien en quête de l’éternelle synthèse à achever entre héritage de la monarchie capétienne et Nation devenue républicaine. A lire Macron, on comprend mieux le drame de l’époque : les institutions démocratiques françaises sont conçues pour de grands hommes dotés de grandes ambitions, animés du sens de l’histoire et du temps long. Aujourd’hui, ces hommes-là n’existent pas. Et pourtant, les temps l’exigent. » (Challenges du 10 juillet).
Nous ne reviendrons pas sur le fait que l’actuel ministre de l’économie, redonnant tout son sens au lien entre philosophie et politique, au sein d’une classe politique qui, à droite comme à gauche, a perdu depuis longtemps l’habitude de penser l’action pour se consacrer à une gestion immédiate des affaires, retrouve des vérités perçues depuis longtemps par d’autres et en d’autres termes. La tradition intellectuelle non royaliste savait depuis Renan comment « le jour où la France coupa la tête à son roi, elle commit un suicide. » Ce que dit ne pas, du reste, exactement Emmanuel Macron, qui préfère porter un regard de froid clinicien sur cette absence abyssale au cœur de nos institutions. Il n’est pas non plus Albert Camus écrivant que « le jugement du roi est à la charnière de notre histoire contemporaine. Il symbolise la désacralisation de cette histoire et la désincarnation du Dieu Chrétien. Dieu, jusqu’ici, se mêlait à l’histoire par les Rois. Mais on tue son représentant historique, il n’y a plus de roi. Il n’y a donc plus qu’une apparence de Dieu relégué dans le ciel des principes. » Même si, sous le terme de verticalité, Macron affleure la notion de transcendance, l’ancien assistant du philosophe protestant Paul Ricoeur et jeune politicien assumé en reste à un regret d’ordre technique : « Toute la difficulté du politique aujourd’hui réside dans ce paradoxe entre la demande permanente de délibération, qui s’inscrit dans un temps long, et l’urgence de la décision. La seule façon d’en sortir consiste à articuler une très grande transparence horizontale, nécessaire à la délibération, et à recourir à des rapports plus verticaux, nécessaires à la décision. »
Nous ne ferons pas non plus son sort à cette dénonciation de la « normalisation » de la fonction présidentielle après De Gaulle, qui renvoie, par le choix du terme, notre président « normal » à son néant — rarement ministre en exercice aura été plus insolent envers le chef de l’Etat qui l’a nommé. Non, l’essentiel des propos de Macron tient dans ce paradoxe persistant qui consiste, pour les plus intelligents du personnel républicain, à analyser lucidement les tares du régime qu’ils servent sans en tirer les conséquences, un peu comme Barrès qui, tout en approuvant au début du XXe siècle le raisonnement de Maurras, refusa toujours de franchir le pas de la monarchie en prétextant le caractère irrémédiable de la république en France.
Comme le constate François Huguenin (Le Figaro du 9 juillet), malheureusement non sans lucidité : « De là à faire d’Emmanuel Macron un militant royaliste ou un dangereux ennemi de la République, il y a le pas entre la réflexion et le fantasme… » Tout le problème est là ! Car voilà deux siècles que, précisément, on essaie, sans y parvenir, d’achever cette « éternelle synthèse [...] entre héritage de la monarchie capétienne et Nation devenue républicaine ». Bonaparte ou De Gaulle sont venus combler, à des moments particulièrement cruciaux de notre histoire, le besoin d’autorité, en incarnant temporairement cette vieille loi rappelée par Ulysse au deuxième chant de l’Iliade, et qu’aimait citer Maurras : « il est dangereux [...] qu’il y ait tant de chefs. N’ayons donc qu’un seul prince, qu’un seul roi ». Mais ni Bonaparte ni De Gaulle, par-delà le caractère contestable de leur héritage, n’ont fondé ce qui permet précisément de réaliser la synthèse non pas entre « héritage de la monarchie capétienne » et « nation devenue républicaine », mais entre l’horizontalité du temps politique et la transcendance d’un peuple à travers l’histoire : une dynastie qui se confond avec la nation. Car la synthèse est la monarchie capétienne elle-même.
Tout en ciblant la question institutionnelle primordiale, Emmanuel Macron se trompe en pensant que, dans la vie politique française, l’absent soit « la figure du roi ». L’absent, c’est le roi lui-même. Ne voir en lui qu’une figure, c’est rester dans l’idéologie, ne pas comprendre que le roi est tout entier dans son incarnation et qu’il ne saurait être réduit à une fonction, que n’importe quel grand homme pourrait occuper à sa place. Le grand avantage de la monarchie capétienne est précisément de nous libérer de l’incertitude des grands hommes. Si, en 223 ans, la France n’a pas réussi à trouver pour « ce siège vide » un remplaçant, c’est qu’il n’y a pas de remplaçant. Car la « personne du roi », et non sa « figure », est, comme la définissait Pierre Boutang, une « réalité effective ». Emmanuel Macron pourra, après tant d’autres, chercher encore longtemps : le réalisme commande le recours au roi. Tout le reste n’est qu’ersatz, et bavardage stérile. •
Commentaires
Tout à fait d'accord avec le propos liminaire de LFAR. Merci d'avoir reproduit mon éditorial. FM