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Actualité Europe - Page 54

  • Roger Scruton : « Le Brexit est un choix éminemment culturel »

     

    Par Vincent Trémolet de Villers

    Le grand philosophe britannique Roger Scruton* justifie le choix de ses compatriotes, qui assimilent le projet européen à la disparition de l'État-nation. Il s'en entretient avec Vincent Trémolet de Villers [Figarovox 28.06]. Et nous sommes en accord profond avec sa vision de l'Europe : celle des peuples, des nations et des Etats.  LFAR 

     

    Images-stories-Photos-roger_scruton_16_70dpi_photographer_by_pete_helme-267x397.jpgQue vous inspire le vote des Britanniques ?

    Je suis fier de nos concitoyens. Ils ont eu le courage de déclarer leur volonté de se gouverner eux-mêmes. Ils ont dit clairement qu'ils voulaient reprendre le contrôle de leur pays. Je suis fier, mais je suis inquiet aussi. Nous allons subir, je le crains, de nombreuses tentatives qui viseront à faire annuler ce résultat ou à en réduire les effets. Je crains aussi que le Royaume-Uni se fragmente. La vérité est que le choix qui nous a été proposé n'était pas de mon point de vue le plus judicieux.

    À la dialectique imposée : « Voulez-vous quitter ou rester dans l'Union européenne ? » nous aurions dû préférer une troisième possibilité : la rédaction d'un nouveau traité, adapté à la situation de l'Europe d'aujourd'hui. Traité que nous aurions pu soumettre à toutes les nations pour qu'elles y souscrivent.

    Comment expliquez-vous le choix des électeurs. Est-il économique ou culturel ?

    C'est un choix éminemment culturel. Les électeurs ont réagi contre deux effets de l'Union : la nécessité de vivre sous des lois imposées de dehors et la nécessité d'accepter des vagues d'immigrés de l'Europe - surtout de l'Europe de l'Est - dans des quantités qui menacent l'identité de la nation et sa cohésion. Ils veulent reprendre en main le destin de leur nation. C'est la cause profonde de ce vote.

    L'Union européenne est-elle, selon vous, un projet politique condamné à la dislocation ?

    C'est une évidence. Ce projet n'a jamais vraiment reçu l'approbation du peuple européen et il érode la partie la plus essentielle de notre héritage politique : l'État-nation. La motivation de ceux qui ont initié le projet d'union - Jean Monnet surtout - était alimentée par une peur de l'État-nation qui débouchait forcément sur le nationalisme. Pour Monnet il n'y a pas de nationalisme sans hostilité envers les autres nations. Lui et ses associés ont décidé, sans l'assentiment des peuples européens, d'abolir les frontières, de diminuer la souveraineté nationale et de créer une union politique. Les gens ordinaires, au départ, n'ont cru qu'à une entente commerciale. « Communauté de l'acier et du charbon », le projet, à l'origine, n'était présenté que sous ce type de forme. Petit à petit la mesure des ambitions des fondateurs s'est révélée, l'élargissement impressionnant a donné au projet une dimension préoccupante et chaque mouvement de résistance a été neutralisé par des manœuvres non démocratiques. La plus choquante fut le traité de Lisbonne voté par les parlements des pays européens et parfois même, comme en France, contre le choix exprimé, dans les urnes, par le peuple.

    Pour Monnet et sa génération, la nation c'était la guerre…

    Si, dans notre histoire, des formes de nationalisme ont menacé la paix du continent (celui de la France révolutionnaire, par exemple, et surtout celui des Allemands au XXe siècle), d'autres formes de nationalisme ont, à l'inverse, contribué à la paix de la Vieille Europe. Je pense, par exemple, à celui des Polonais, des Tchèques et peut-être, si j'ose le dire, celui des Anglais, sans lequel les nazis n'auraient pas été vaincus. Tout dépend de la culture politique et militaire du pays. Je sais bien que la culture de « soft power » que nous associons à l'UE est souvent louée comme un instrument de paix : mais les événements en Ukraine nous ont montré que ce genre de puissance est très peu efficace. Les dangers qui nous entourent aujourd'hui exigent que nous retrouvions les moyens de nous défendre, et la restauration des frontières nationales en est la condition sine qua non.

    Les campagnes ont voté contre les villes…

    Il ne faut pas exagérer : pas contre les villes, mais dans un autre sens que les villes. Dans un petit pays comme le nôtre, la campagne est le symbole de la nation. Sa paix, sa beauté : c'est ce qui est vraiment nôtre. Ceux qui habitent la campagne ont payé cher pour pouvoir y vivre. Ils craignent aujourd'hui de perdre ce qui fait leur environnement, leur identité. Chez eux, le sentiment d'appartenance est bien plus vivace que chez les habitants des villes. Partout en Europe, les gens ordinaires ont perdu confiance dans l'élite politique. Cette défiance se manifeste plus vivement dans la campagne que dans les villes. La cause profonde est sociologique. Être attaché au local, au lopin de terre, à une sociabilité immédiate (celle des villages) nous éveille à l'hypocrisie et aux mensonges de ceux qui peuvent facilement changer leur mode de vie et l'endroit où ils poursuivent leur existence. Ces derniers sont facilement accusés, par ceux qui n'ont que la terre où ils se sont enracinés, de « trahison des clercs ». C'est, bien entendu, une vue réductrice d'une question complexe mais c'est cette vue qui permet de comprendre la fracture qui existe entre le peuple et les élites.

    Croyez-vous au sens de l'histoire ?

    L'idée qu'il y a un « sens » de l'histoire est, pour moi, peu convaincante. Bien sûr, les philosophes allemands,  sous l'influence de Hegel, ont essayé de créer un récit linéaire, qui mène d'une époque à la suivante par une espèce d'argumentation logique. Et peut-être, pour la durée du XIXe siècle, l'histoire européenne avait une certaine logique, étant donné que l'Europe était un système de pouvoir autonome et dominant le monde entier. Maintenant, sous l'effet des forces émanant du Moyen-Orient, de la Chine, des États-Unis, etc., l'Europe se trouve de nouveau dans la condition des autres peuples : sans aucun sens, à part celui qu'elle peut trouver pour elle-même. Malgré cette nouvelle donne, l'élite des institutions de l'UE continue de rejeter les inquiétudes identitaires des gens ordinaires. Pour preuve, ils ont présenté un projet débarrassé des références chrétiennes et niant la validité des nations. Le résultat se voit partout en Europe - une désorientation du peuple, et une révolte électorale contre une classe politique qui pour une grande part de l'opinion publique a perdu tout crédit. 

    *Philosophe de l'esthétique, Roger Scruton a notamment enseigné à Oxford et à la Boston University. La traduction de son essai  How to Be Conservative doit paraître à l'automne aux Éditions de l'Artilleur.

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    Vincent Tremolet de Villers

  • Encore un coup des xénophobes !

     

    Par Natacha Polony          

    Dans cette chronique [Figarovox 25.06] Natacha Polony développe sa réflexion - déjà fort intéressante en soi - en deux points : Le vote pour la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne n'est pas un signe de xénophobie. Et, d'autre part, le commencement d'une construction de l'Europe des peuples et des nations serait la traduction politique d'une grande civilisation. Nous n'avons jamais été opposés et sommes même favorables à une telle démarche.  LFAR

     

    brexit-royaume-uni-immigration-europe.jpgIls sont de retour. Les xénophobes, les racistes, ceux qui avaient accompagné le résultat du 29 mai 2005. Ceux qui courent à longueur d'éditoriaux ou de discours, sous la plume de Bernard-Henri Lévy ou de Franz-Olivier Giesbert, dans la voix de Jacques Attali ou de Pascal Lamy. Le peuple a voté, qu'il soit britannique aujourd'hui ou français hier, il a mal voté, il est donc xénophobe. Raciste, même. Voter pour la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, c'est militer pour la hiérarchie entre les races.

    Voilà déjà longtemps que les tenants de la « seule politique possible » usent de ces notions de racisme et de xénophobie - user étant bien le terme - pour éviter de débattre de la nature et des motivations de leurs choix économiques et politiques. Évidemment, on aurait des raisons non négligeables de soupçonner une entourloupe idéologique, particulièrement de la part de gens qui nous expliquaient il y a peu que la Grande-Bretagne était un modèle de prospérité économique dont nous ferions bien - paresseux et réactionnaires que nous sommes - de nous inspirer, et qui affirment aujourd'hui avec gravité que le vote pro-Brexit n'est qu'une réponse un peu trop éruptive d'une classe ouvrière déboussolée par la crise. Et l'on connaît la suite : qui dit crise, dit besoin de boucs émissaires, dit flambée raciste contre les immigrés…

    Qu'il existe dans tous les pays d'Europe (comme dans toute l'humanité, faut-il le rappeler ?) des racistes rêvant de préserver une supposée pureté, personne ne le niera. Mais voter contre l'Union européenne est-il une marque de xénophobie ? Et, question corollaire, voter pour l'Union européenne relève-t-il de l'amour de l'Autre et, plus largement, de l'adhésion à une citoyenneté européenne ? Et d'ailleurs, citoyenneté ou identité ?

    Ceux qui nous vendent aujourd'hui une Union européenne essentiellement occupée à organiser la libre circulation des profits vers le paradis fiscal luxembourgeois et la libre circulation des travailleurs détachés vers des lieux où les protections sociales sont scandaleusement garanties vont-ils nous expliquer enfin quelle est leur définition de l'Europe ? De fait, on n'en trouve pas trace dans les traités précédemment signés.

    L'Europe est-elle cette civilisation qui naît sur les ruines de l'Empire romain, dans des royaumes convertis de justesse au catholicisme après un passage par l'arianisme ? Doit-on garder le souvenir de la frontière marquée par les missions de Cyrille et Méthode qui la partage entre monde grec et monde latin, cette frontière qui a ressurgi quand l'Allemagne et le Vatican ont reconnu de manière unilatérale la Croatie (catholique et pro-allemande) qui voulait se séparer de la Serbie (orthodoxe et slave) ? L'identité de l'Europe est-elle dans cette communauté de penseurs humanistes qui, après 1453 et la prise de Constantinople par les Turcs, ont redécouvert l'Antiquité grâce aux lettrés byzantins ? Est-elle dans le libéralisme d'Adam Smith ou la déconstruction cartésienne, dans les Lumières de Montesquieu ou dans celles de Kant ?

    Il est curieux que les contempteurs de la xénophobie soient justement ceux qui effacent consciencieusement cette histoire complexe de la civilisation européenne. Ni souvenir lointain de Rome et d'Athènes, ni royaumes chrétiens… surtout pas ! On risquerait de constater que la Turquie, décidément, n'a rien à faire dans l'Europe. On pourrait s'apercevoir que la France a au moins autant à voir avec les pays du pourtour méditerranéen, le Mare Nostrum des Romains, qu'avec les tolérants et froids scandinaves. Bref, mieux vaut nier l'autre, les autres, effacer leur histoire, pour permettre le grand marché. Nier l'histoire spécifique de la Grande-Bretagne, et même accuser le peuple le plus tourné vers le monde d'être désormais fermé sur lui-même. Un comble !

    La négation des nations européennes et de leur histoire, maquillée en lutte contre la xénophobie, ne saurait se prévaloir d'une quelconque « ouverture à l'autre » (surtout de la part de gens qui ont soutenu et parfois suscité les guerres les plus hasardeuses et dont les réfugiés qui frappent aux portes de l'Europe sont les tristes témoins), pas plus que la négation des langues européennes au profit d'un « globish » de technocrates et de financiers ne saurait se faire passer pour un amour de l'Europe et de sa civilisation. Respecter la différence, c'est construire l'Europe sur l'articulation de ses différences et la liberté de ses peuples. C'est se souvenir que le peuple anglais n'a jamais eu besoin des leçons des élites françaises pour résister aux folies meurtrières.

    Mais la vérité, c'est que la globalisation, unique programme de l'Union européenne, déteste les différences et s'accommode mal de l'esprit des peuples et de l'histoire des nations. Alors, remercions les Anglais qui, une fois de plus, nous ont rappelés aux devoirs des grands pays. « Ce n'est pas la fin, disait Churchill en 1942, ni même le commencement de la fin, mais c'est peut-être la fin du commencement. » Le commencement d'une construction de l'Europe des peuples et des nations, traduction politique d'une grande civilisation. 

    Natacha Polony           

  • Trop attendrissant, n'est-ce pas ? Ces gens-là sont des sentimentaux, à l'évidence !

    Jean-Claude Juncker et Pierre Moscovici, le 27 juin 2016 - Crédits photo : FRANCOIS LENOIR/REUTERS

  • Brexit : la seule panique est dans les médias

     

    Une analyse pertinente de Patrice de Plunkett   [25.06]

     

    hqdefault.jpgComment peuvent-ils dire que la campagne du "out" s'est faite sous le signe de la peur ? C'est celle du "in" qui a voulu terroriser le votant ! (sans succès, le peuple anglais n'étant pas facile à terroriser). Et la campagne de peur continue : cette fois à la télévision française.

    Il fallait voir le spectacle toute la journée d'hier. Nos commentateurs étaient courroucés. Certains en perdaient le souffle. Les présentatrices prenaient de petits airs sarcastiques. Des experts jetaient en l'air rageusement la liste de "tous les problèmes à résoudre maintenant", comme si la vie politique ne consistait pas à résoudre des problèmes. Sur iTélé et BFM, le défilé des breaking news (comme disent nos newsrooms) annonçait en boucle la "panique" et le "tremblement de terre" boursiers... alors que les chiffres ne montraient rien de tel, surtout pas à Londres où la Bourse ne perdait que 3 points. La crise de nerfs annoncée ne se produisait que dans les équipes rédactionnelles.

    Pourquoi cette attitude ? Parce que jusqu'ici l'irréversibilité de "l'Europe" formait l'univers mental des médias. Ils étaient habitués depuis plusieurs dizaines d'années à distribuer l'éloge et le blâme : comme dit Hubert Védrine, l'UE était le bien, critiquer l'UE était le mal. Etre "européen" faisait partie d'un ensemble normatif : "je suis féministe [*] et européenne", tranchait Marie Darrieussecq il y a vingt ans. (Pour n'être pas "européen", il fallait être un déviant, suspect de vouloir nous ramener au temps des guerres : toujours déclenchées par "le nationalisme", évidemment jamais par les intérêts économiques transnationaux). L'européisme était plus qu'une opinion : c'était un bain amniotique. Soudain le bain amniotique disparaît. "L'Europe" n'est plus irréversible. Nos journalistes se retrouvent dans l'air froid des réalités. Ils prennent mal. Leur organisme se révolte. 

    D'où les choses stupéfiantes que l'on entendait hier, non de la part des invités politiques (circonspects) mais de celle des journalistes. Certains n'hésitaient pas à prôner une "attitude ferme" à l'encontre de l'Angleterre : ils parlaient de "sanctions dures", de "procédure accélérée". On sentait chez eux une forte envie de casser la vaisselle et de déchirer les rideaux en poussant des cris, symptôme de l'état mental des leaders d'opinion. Centre nerveux de la postdémocratie, nos médias ne supportent pas la réalité ; ils n'existent que pour la conjurer, l'exorciser, la rejeter au loin. L'individu postmoderne s'accomplit dans le déni de réalité : être "européen" [**], pour lui, fait partie du même ensemble qu'être transhumaniste ou agro-industriel OGM ; c'est refouler la réalité que l'on refoule aussi sur le plan anthropologique et environnemental.

    Voilà pourquoi l'acte des Anglais paraît indécent et inadmissible à nos commentateurs. Ils se sentent mis en cause au tréfonds de leur être : les écoles de journalisme ne les avaient pas éduqués dans ces idées-là. 

    P.S. Bien entendu, le Brexit en soi reste un fait ambigu

    _______________

    [*] "féministe" au sens bobo, bien sûr : tournant le dos à toute anthropologie.

    [**] au sens bobo.  

    Patrice de Plunkett : le blog

  • Brexit : Il se pourrait que l'Europe de Bruxelles soit déjà morte sans le savoir ...

     

    Par Lafautearousseau

     

    logo lfar.jpgAinsi, les bourses avaient voté. Et l’ensemble des médias, la presque totalité des semble élites, et - jusqu’au ridicule - les peurs, les conformismes, les habitudes, les libéraux et les modernes, les idolâtres des marchés, bref les avertis, contre les peuples ignorants. Et, bien-sûr, les fonctionnaires de Bruxelles et leurs relais dispersés à travers l’Europe, bien décidés à défendre âprement leurs rentes, leurs situations, leurs privilèges et leurs retraites. Cela faisait beaucoup de monde, et de grandes forces, dressées contre cette sorte de liberté d’un jour que s’était donné le vieux Royaume britannique – que l’on fût Remain ou Brexit -  de choisir entre son identité et son histoire et sa fusion dans le magma mondialiste dont l’UE n’est qu’une étape, vers la gouvernance mondiale, façon Attali. Telle était aussi, d’ailleurs, la volonté affirmée – un quasi diktat - de Barak Obama, aussi président des Etats-Unis d’Amérique – et demain du Monde – que l’avaient été ses prédécesseurs blancs. Car, derrière le rideau de fumée de l’unité du monde – c'est-à-dire des marchés - se tient, de fait, cet élément moteur, cette ambition de fond, qu’est le nationalisme américain.    

    Avec 1,89% de plus que la barre des 50%, selon la règle démocratique de pure arithmétique, le peuple britannique a choisi non pas de ne plus être une nation européenne – rien ne fera qu’elle ne le soit, éminemment – mais de s’extraire d’une machinerie inefficace et tyrannique, en train d’échouer partout. Résultat que la doxa uniforme s’obstinait tellement à croire inenvisageable que les médias ont annoncé la victoire du Remain contre le Brexit à 52 / 48%, jusqu’à tard dans la nuit du vote. De sorte que le téléspectateur – fût-il tardif – s’est endormi dûment informé de la défaite du Brexit et s’est réveillé au son de sa victoire. Les bourses, les sondeurs, les bookmakers et l’ensemble des conformismes s’étaient trompés. Ni les peurs agitées éhontément, ni même le meurtre inopiné et finalement inutile de Jo Cox, n’auront suffi.

    XVMf0ab72b2-3a30-11e6-9245-4c55b4cb147c.jpgFaut-il croire à une opposition aussi radicale qu’on nous l’a seriné dans notre microcosme franco-français, entre les partisans du maintien et ceux du départ ? La violence de leurs débats ne nous empêche pas d’en douter. A vrai dire, la politique de Cameron et celle de Boris Johnson différaient par les moyens, non par l’objectif. De sorte que - l’extraordinaire force symbolique du retrait britannique mise à part, et elle n’a rien de négligeable - les suites du maintien et celles du départ, ne devaient pas être très différentes, même si les médias brossent tous les scénarios catastrophe les plus extravagants à la charge du Brexit. Cameron avait imposé à l’UE, en février 2016, les dérogations nécessaires et, sans-doute, suffisantes, pour la Grande Bretagne, de sorte que, selon son habitude, elle ait en toute hypothèse, comme nous l’avons écrit ici-même, un pied dedans, un pied dehors. Qu’elle détermine elle-même sa politique économique, sociale, migratoire et qu’il soit bien entendu qu’en aucun cas elle ne laisserait toucher à sa souveraineté. Dans de telles conditions, on était déjà sorti – n’étant d’ailleurs jamais vraiment entré – et l’on pouvait rester sans trop de gêne. Les partisans du Brexit vainqueur ont préféré la solution nette. Le prochain cabinet, dont il est très possible que Boris Johnson soit le Chef, fera en sorte que la Grande Bretagne conserve néanmoins, sur le continent européen, tous les liens qui lui seront utiles et que la nature des choses maintiendra ou rétablira assez vite. Les bourses, compulsives ces temps derniers, se calmeront, les marchés s’organiseront, la Grande Bretagne restera la puissance européenne et mondiale qu’elle est - avec ou sans l’UE - depuis quelques siècles.

    Quant à l’Europe de Bruxelles, il se pourrait bien, comme on l’a dit ici et là qu’elle soit déjà morte sans le savoir, sans même qu’on s’en soit encore rendu compte. Il est possible, a contrario, que le départ britannique ravive quelques velléités fédéralistes. Mais l’opposition des peuples et de nombreux Etats membres de l’UE, est sans-doute devenue aujourd’hui trop forte pour leur laisser de réelles chances d’aboutir. Il est bien tard pour une telle offensive.

    Pour ouvrir la réflexion sur un champ plus large – mais sans y entrer ici – la victoire du Brexit nous paraît être, en un sens, celle du Sang sur l’Or. Celle de l’Histoire et des identités sur l’utopie postnationale, universaliste, consumériste, multiculturaliste, etc. Faute d’avoir voulu reconnaître ses racines, fixer ses frontières, affirmer son identité et son indépendance, cette Europe-là se condamnait par avance à une telle issue. Y aura-t-il encore des forces, des idées, des volontés, pour relever le projet sur de justes bases ? 

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    Qu'ils restent ou qu'ils partent, les Britaniques ont de toute façon un pied dedans, un pied dehors ...  

    [Lafautearousseau 22.06]

  • Yes we can ! Peuple 1- Élites 0

     

    Elisabeth Lévy : un de ses billets comme on les aime ...

    [Causeur 24.06]

     

    XVMe933985c-fe71-11e5-87d4-6c3fbefd54db.jpgPeu m’importe que les Britanniques aient eu raison ou tort. Ils ont eu le culot d’envoyer au diable les gens convenables, ceux qui trouvent que le populo sent mauvais et qui s’agacent qu’on perde du temps à parler alors qu’ils savent ce qui est bon pour lui.

    Ils ont osé. Ma première réaction, au réveil, en entendant les voix blanches qui causaient dans le poste, a été un immense éclat de rire, vite teinté d’une grosse pointe de jalousie (pourquoi ça n’arrive pas chez nous des trucs pareils, on a une grande gueule, mais quand faut se jeter du haut du plongeoir, il n’y a plus personne). « Pour nous qui sommes des gens de culture…. », disait un pompeux cornichon sur France Culture, justement. La messe était dite : le Brexit, c’est la victoire du plouc évidemment xénophobe qui défrise tant les beaux quartiers où on aime d’autant plus les immigrés qu’on ne les voit pas. Bref, avant d’avoir la moindre pensée, je savais que c’était une bonne, non une formidable nouvelle. Un truc comme le retour de la politique, peut-être même de l’Histoire, ai-je lancé à Muray qui rigole dans son cadre (avant le café, il ne faut pas trop m’en demander).

    Souverainisme distingué et souverainisme de pauvres

    Peu m’importe que les Britanniques aient eu, du point de vue boutiquier qui intéresse exclusivement les éditorialistes, raison ou tort. Ils ont eu le culot d’envoyer au diable les gens convenables, ceux qui trouvent que le populo sent mauvais et qui s’agacent qu’on perde du temps à parler alors qu’ils savent ce qui est bon pour lui. Yes we can. Le bras d’honneur géant que les sujets de Sa gracieuse viennent de faire à tous les maîtres-chanteurs, qui les menacent depuis des mois sur le thème « Si tu sors tu meurs », m’a soudain donné à moi des envies de liberté et de grand large. De vrais gaullistes, ces gens-là ! Au passage, ils ont aussi dit un peu merde à l’Amérique, aux éditocrates et aux « marchés » qui étaient remainistes et l’ont immédiatement fait savoir. Il y a un certain panache à sacrifier son PEL à ses convictions. Même s’il existe un souverainisme distingué qui a voté « out » parce qu’il pense que les intérêts britanniques y gagneront à long terme. Et aussi un souverainisme de pauvres qui, comme le disait Coluche, sont bien contents de savoir qu’ils vivent dans un pays riche.

    Ma satisfaction s’est muée en enchantement quand les tambours de l’anti-populisme ont commencé à battre la mesure, avec les mines défaites des présentateurs tout-info qui, comme d’habitude, s’ingénient à ne rien comprendre. Ils ne veulent pas toujours plus d’immigration ? Salauds de racistes ! Ils aiment leurs pays ? Adeptes du repli sur soi ! Tous les grands-ducs qui pérorent nus en expliquant aux bons peuples que tout va bien dans le meilleur des mondes multiculti possible vont continuer. Seulement, ce coup-là, ils vont avoir du mal à s’asseoir sur le vote du peuple.

    Adieu cheval de Troie !

    Tout de même, ça me chiffonne que nous, la France, la lumière des peuples et tout le tralala, on n’ait pas été les premiers. Et puis, sans les Anglais je me sens seule. Ils étaient notre cheval de Troie. Avec eux dans le bateau, on était à peu près sûr que toutes les fantasmagories supra-nationales échoueraient. Et surtout, on pouvait exiger la même chose que Cameron : le contrôle de nos frontières et de notre politique migratoire. Sans eux, on risque d’être bons pour une décennie d’Europe allemande.

     

    Encore que ce n’est pas certain. Bien sûr, on nous dira que puisque nous n’aimons pas l’Europe, il en faut encore plus. Mais le coup du revolver sur la tempe marchera de moins en moins. Parce qu’ils  l’ont fait. Et la foudre ne s’est pas abattue sur l’Angleterre.  « Dehors c’est dehors », avait menacé Juncker. J’espère bien que nos diplomates sont déjà à pied d’œuvre pour négocier des traités bilatéraux avec Londres. Alors, peut-être que nous, nous n’avons rien fait pour cela, mais la donne change aussi pour nous, merci aux grands-bretons. La religion européiste a vécu : franchement, un dieu qui peut être défait par le suffrage universel, ce n’est pas très sérieux. S’il avait la moitié de la classe de Cameron, Jean-Claude Juncker présenterait sa démission. 

    Elisabeth Lévy
    est fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur.

  • Jean de France : « L’Union européenne est une sorte de chimère »

     

    L’union européenne est une sorte de chimère. Elle a construit toute une bureaucratie pour veiller au respect de règles libérales, qu’elle a malheureusement érigées en dogmes. Son administration n’est pas moins tatillonne que celle d’un régime socialiste. Il suffit de considérer les directives produites par Bruxelles sur des sujets aussi divers que la composition du chocolat ou la fabrication des fromages! Parfois, l’Europe me fait penser à ce film de Terry Gilliam, »Brazil » : c’est un monde kafkaïen. Pour faire cesser ces dérives, il faut une grande liberté intérieure, ce qui manque à nos politiques : ils ont du mal à résister à la pression des médias, qui les somment de réagir instantanément, sans aucun recul.

    Pourtant, on pourrait tout à fait imaginer une confédération fondée sur la subsidiarité : ce que les États peuvent faire eux-mêmes ne doit pas leur être enlevé. L’Europe telle que je la conçois serait fondée sur la coopération entre les nations, celles-ci choisissant librement de s’associer pour de grands projets d’envergure mondiale. C’est l’Europe d’Airbus et d’Ariane. Pas besoin de structures permanentes, pas besoin de Commission européenne pour construire un avion… Et si nous nous accordons sur des buts plus politiques, veillons à respecter l’identité de chaque pays, ce qui est de moins en moins le cas. Le peuple français en sait quelque chose, puisque ses représentants ont contredit son expression directe en votant un traité presque identique à celui que les citoyens avaient refusé par référendum. Ce décalage entre les institutions et le peuple est antidémocratique et particulièrement inquiétant : il nourrit l’amertume et le ressentiment. L’Europe se fait contre les peuples et sans l’homme. Allons-nous commettre la même erreur que l’Union Soviétique ?  

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    Jean de France

    UN PRINCE FRANCAIS

    Source : blog de la Couronne

  • Brexit : la remise en question de l'Europe est de toute façon en route ...

    Figarovox 22.06

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    Qu'ils restent ou qu'ils partent, les Britaniques ont de toute façon un pied dedans, un pied dehors ...  

    [Lafautearousseau 22.06]

  • Qu'ils restent ou qu'ils partent, les Britaniques ont de toute façon un pied dedans, un pied dehors ...

     

    On le sait : L'Angleterre est différente. On peut encore le dire d'elle comme jadis Franco le disait de l'Espagne. Différente, elle l'est restée avec sa relation américaine très spéciale, son Commonwealth, son inclination pour le grand large plutôt que pour le Continent, sa Livre Sterling, ses dérogations aux règles européennes de février dernier, son Parlement immuable à Westminster, son aristocratie maintenue, ses financiers, sa City, et, symbole de sa souveraineté, sa reine de quatre-vingt dix ans - ou demain son roi - qui en garantit, en tout cas, la permanence non-négociable.

    Ces différences avaient amené De Gaulle à lui refuser obstinément son entrée dans le Marché Commun. Sans-doute, rêvait-il d'une Europe des Etats qui eût été indépendante des Etats-Unis. Ce que ne voulait pas l'Angleterre, ni, d'ailleurs, l'Allemagne. Celle d'Adenauer et de ses successeurs, jusqu'à aujourd'hui.  Par réalisme, Pompidou, au contraire, fit entrer la Grande-Bretagne, considérant qu'elle serait la meilleure garantie qu'une Europe supranationale ne serait jamais possible.

    Nous y sommes. Et toute l'Europe - et bien au delà - est suspendue au résultat du vote de ce jour, comme si, hormis nombre de problèmes techniques que les experts auraient à régler et qui ont effrayé les bourses du monde entier, les données fondamentales euro-britanniques que nous venons de rappeler devaient en être substantiellement changées. Ce n'est pas le cas.

    En cas de Brexit, pris comme symbole, il est clair que la construction européenne à la bruxelloise se trouvera, une fois de plus, ébranlée. Nous disons bien une fois de plus car ce ne sera ni le premier ni le dernier coup dur qu'elle aura à subir ces temps-ci. Au point que dans les grandes rédactions, il est devenu courant de parler à son endroit du Titanic européen.

    Mais si les Britanniques choisissent le maintien, hormis le veule soulagement des élites euro-mondialisées et des bourses, croit-on que les choses seront fondamentalement modifiées ? L'arbre ne fera que cacher la forêt des mécontentements, l'opposition grandissante des peuples, et, par surcroît, la montée des revendications de chacun des vingt-huit pour des dérogations substantielles ad hoc. A l'instar des dérogations britanniques. Chacun les siennes.  

    L'Angleterre est aussi différente par le fait que les sondages ont la réputation de ne pas y être fiables. Dans ce pays protestant où un sou est un sou, mieux vaut regarder du côté des bookmakers. Les impatients y trouveront peut-être une réponse autorisée à leur anxiété.

    Ce détail signale encore la différence anglaise. Brexit ou pas, face à l'UE, la Grande Bretagne aura toujours un pied dedans, un pied dehors ... Et dans l'un ou l'autre cas, elle ne cessera pas d'être elle-même. Différente et souveraine.

    Lafautearousseau

  • Anna Lindh, Jo Cox : une troublante coïncidence…

     

    par Roland Hureaux

    Une excellente réflexion sur la relation qui peut être établie entre l'assassinat de Jo Cox et le vote britannique de ce jeudi pour ou contre le Brexit [Boulevard Voltaire, 21.06]. « Entre complotisme et naïveté, la ligne de faîte est étroite » écrit Roland Hureaux et il se tient sur cette ligne de faîte avec une exacte raison. Mais il nous rappelle à juste titre que le crime politique ne fait sûrement pas peur aux idéologues - et profiteurs - de l'euro-mondialisme. Et qu'à cet égard l'angélisme n'est pas de mise. Pas plus aujourd'hui qu'hier.  Lafautearousseau

     

    b44b51e97092e66e1e420e4ce36ac104.jpeg.jpgSi les électeurs britanniques, après avoir dit non au Brexit, découvrent qu’ils ont été manipulés, l’Europe aura un goût de sang.

    Anna Lindh était suédoise, de gauche, et très favorable à l’adhésion de la Suède à l’euro. Ministre des Affaires étrangères, elle était devenue l’égérie des partisans de l’euro. Mère de deux jeunes enfants, elle est assassinée à 46 ans à Stockholm.

    Jo Cox était anglaise, de gauche, et très favorable au maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Députée travailliste, elle était devenue l’égérie des opposants au Brexit. Mère de deux jeunes enfants, elle est assassinée à 42 ans à Leeds.

    Le premier meurtre a eu lieu le 11 septembre 2003, à trois jours du scrutin.

    Le second meurtre a eu lieu le 16 juin 2016, à six jours du scrutin.

    Deux victimes pathétiques.

    Dans les deux cas, les meurtriers sont des déséquilibrés. Ils avaient fait des séjours en hôpital psychiatrique. Le premier était d’origine serbe, le second est anglais. « Des meurtriers dans le genre de Lee Harvey Oswald », dit François Asselineau, homme politique français, président d’un petit parti souverainiste, l’UPR, qui, dès le 8 juin, avait envisagé que les partisans du maintien auraient recours à un attentat analogue à celui qui avait frappé Anna Lindh.

    Le bruit a couru que le meurtrier de Jo Cox, apolitique pour les uns et néo-nazi pour les autres, aurait crié au moment du meurtre « La Grande-Bretagne d’abord ! » Mais le témoin cité a démenti avoir entendu rien de tel. Les techniciens de la communication le savent : après un drame, c’est la première parole que l’on retient.

    La presse favorable au maintien a immédiatement installé le meurtrier dans le rôle de partisan fanatique du Brexit. Bien mal inspiré puisque les sondages étaient en train de se retourner en faveur du Brexit. Être contre l’Europe de Bruxelles, n’est-ce pas être nationaliste, et donc nazi, et donc criminel en puissance ?

    Le meurtre de Stockholm, venu trop tard sans doute, n’avait pas changé l’issue du scrutin : les Suédois avaient refusé l’euro et s’en portent d’autant mieux aujourd’hui. Celui de Leeds a déjà inversé les sondages en faveur du maintien dans l’Union européenne.

    Entre complotisme et naïveté, la ligne de faîte est étroite. La coïncidence entre les deux drames demeure troublante.

    Ce qui est sûr, c’est que le Brexit remettrait en cause, à terme, l’Union européenne dans son ensemble et que celle-ci est une des pièces maîtresses de l’architecture politico-militaire et économique de plus en plus contraignante imposée au monde occidental. Obama, plus impérial que jamais, est venu dire aux Britanniques ce qu’ils devaient voter. Les défenseurs de l’ordre occidental ne plaisantent pas. Les idéologues non plus. Les idéologies – et la construction européenne qui prétend en finir avec les nations, comme d’autres voulaient en finir avec les classes sociales, en est une – font toujours passer leur logique avant toute autre considération. Le crime ne leur fait sûrement pas peur.

    Si les électeurs britanniques, après avoir dit non au Brexit, découvrent un jour qu’ils ont été manipulés, nul doute que l’Europe aura un goût de sang.

    Essayiste
  • Livres • Russophobie : haine et passion d’une universitaire

     

    par Dimitri de Kochko

    Dans Les Réseaux du Kremlin, Cécile Vaissié dénonce, parfois violemment, des tentatives d’influence du Kremlin sur les affaires intérieures des pays européens. Un brulot sans fondement, bourré d’approximations et caractéristique de la « Russophobie » ordinaire explique Dimitri de Kochko, journaliste, président de l’association France-Oural, mis en cause par Cécile Vaissié.

    Le pamphlet récemment publié sur de prétendus «réseaux du Kremlin en France» est un bon exemple de la désinformation que nous subissons aujourd’hui dans le cadre d’une guerre de l’information qui aboutit à des fractures sociologiques graves dans notre pays.

    L’ouvrage, signé d’une dénommée Cécile Vaissié, enseignante à l’université de Rennes II, n’a rien d’universitaire : les erreurs, les à-peu près, les contre-vérités, les clichés et préjugés, les injures et diffamations, camouflées mais réelles, y abondent. A commencer par la description même de ces pseudos «réseaux du Kremlin» : s’il y a des réseaux du Kremlin en France, ils ne concernent certainement pas les gens décrits dans cet ouvrage. Ouvrage de commande ? On peut légitimement poser la question tant les termes et même le vocabulaire utilisés sont identiques à d’autres livres et articles qui paraissent un peu partout en Europe depuis la crise ukrainienne. Le contenu de ce livre, écrit dans un style de mauvaises fiches de police par moments, est en effet totalement public et transparent. On le retrouve très largement, en différentes langues, sur internet.

    Un style de fiches de police

    On est très loin d’un John Le Carré dont les excellents romans d’espionnage sont cités complaisamment par les copains politiques de l’auteur à propos de ces fameux « réseaux du Kremlin en France ». Quant aux personnes mises en cause,  elles n’ont qu’un seul droit : celui de se taire ! Le but essentiel de tels écrits est de discréditer tous ceux qui ont une opinion différente. Notre otanienne, pro-américaine tendance néo-cons inconditionnelle, rajoute aux clichés russophobes ranimés lors de la guerre froide, des affirmations mensongères et des allusions non sourcées. On cite les commentaires de ses amis sur facebook (sic)… On commente les papiers d’organes de presse totalement engagés… Méthodes plus que limites d’un auteur qui, par ailleurs, fait preuve d’un mépris professionnel assez odieux à l’égard de certains de ses collègues que, visiblement, elle n’aime pas !

    Petit florilège. Au hasard des pages, on apprend qu’à l’ambassade de Russie, on «sert le caviar à pleine louches». Rien que ça ! Que la Russie subit une crise économique terrible (ce qui est vrai), que le gouvernement russe est incapable de sortir le pays de la pauvreté (ça pourrait devenir intéressant avec une argumentation solide) mais que, en même temps, l’argent coule à flots. Et si l’argent coule à flot, c’est, évidemment, pour subventionner « l’extrême droite », notamment le Front National en France et, par allusions glissantes, d’autres hommes politiques qui ont le tort à ses yeux de ne pas penser OTAN mais Europe. Là aussi, des affirmations, mais aucune preuve ou enquête sérieuses. Renseignez-vous Mme Vaissié ! En ce qui concerne le Front national, le prêt qu’il a obtenu d’une banque chypriote appartenant à un oligarque russe  – et non au Kremlin – est loin d’être avantageux. Et tout est à l’avenant dans ce livre peu rigoureux, bourré d’approximations.

    Une cible prioritaire

    L’une de ses cibles favorites, celle qui trahit sans doute le plus sa xénophobie, voire son racisme profond contre les Russes en tant que peuple, sont les émigrés et descendants d’émigrés russes en France. Bien sûr, l’auteur se défend d’éprouver de tels sentiments, à la manière de l’antisémite dont « le meilleur ami est un juif »… Ces émigrés se sont organisés depuis des lunes en diverses associations d’intérêts et d’orientations très différentes. Depuis 2010, une partie d’entre elles (quelque 170 en 2015) se sont regroupées en un forum qui a élu un Conseil de coordination. Ce dernier a demandé à être reconnu par l’État russe qui l’a intégré dans son programme mondial de coordination de ce qu’ils appellent « les compatriotes ». Terme pris au sens très large, puisque des non-russes y participent. Le but du Forum était justement d’établir une coordination horizontale, notamment entre les écoles, et une meilleure relation avec les représentants russes et les régions et institutions russes. Tout cela est public et affiché sur un site internet ouvert (www.conseil-russes-france.org). L’auteur sympathise elle-même avec une coordination ukrainienne (pro-Kiev) qui pourtant n’hésite pas à faire de la politique et à jeter des anathèmes. Au point d’exiger de Canal plus le retrait d’un documentaire qui lui déplaisait. Ce que les épouvantables russes n’ont jamais fait, malgré la pléthore de films russophobes sur plusieurs chaînes !

    Des attaques ad hominem

    Jouissant de l’immunité de fait quand on injurie ou discrimine des Russes, contrairement à d’autres nationalités, ethnies ou religions, la professeur de russe (qui doit être bien malheureuse d’avoir à traiter d’une nationalité qu’elle abhorre à ce point) se lance dans des attaques ad hominem. Parmi les cibles, M. Dimitri Chahovskoy, descendant d’une famille princière qui a émigré après la révolution. Rien que cela lui vaut les lazzis de Vaissié qui n’hésite pas à écrire que « selon certains, il était proche du KGB »… On ne sait pas où, comment, pourquoi, mais c’est dit. Autre « prince » attaqué : M. Alexandre Troubetskoy, accusé de tous les maux et évidemment soupçonné des pires avanies. Là encore, sans rien de précis, sans rien qui soit prouvé. Mais Alexandre Troubetskoy est directeur du Dialogue franco-russe, une organisation qui, par essence même, est consacrée au business franco-russe. Tout est public, sauf évidemment les négociations commerciales. Les efforts consentis pour sauvegarder un bon climat d’affaires sont pour le moins légitimes pour une telle organisation et ses dirigeants. Mais cela n’effleure même pas l’esprit de Mme Vaissié qui accuse le député Thierry Mariani, coupable de penser que de tels échanges allant dans l’intérêt de la France et de la Russie, vont également dans l’intérêt de l’Europe tout entière. Cette dernière idée étant tout simplement insupportable aux atlantistes inconditionnels comme Vaissié qui nie dans son «ouvrage» toute influence américaine en France et ne s’indigne pas de l’opacité des négociations du Tafta avec ses modèles d’outre Atlantique, ni des neuf milliards de la BNP dont ont été privés les chômeurs français, dont ceux d’Alstom, livrée bien bizarrement à General Electric (à ce propos, voir ce qu’en dit le député Jacques Myard).

    Thèses douteuses

    Parmi les cibles «émigrées», il y a l’auteur de ces lignes. Contre-vérités et allusions diffamatoires abondent. D’abord, s’appuyant sur une thèse pour le moins douteuse car l’auteur n’est pas venue interroger les personnes concernées, Vaissié cite entre guillements des paroles que je n’ai jamais pu prononcer, tant elles sont absurdes et incohérentes, sur le statut du Conseil de coordination dont j’ai été le premier président. Présentées comme un grand secret, les discussions sur le statut juridique sont en fait publiques. La problématique, faussée par Vaissié, portait sur la nécessité ou non de donner un statut juridique au forum, par définition assez volatile et de ce fait ingérable… Ma position est totalement inversée, à en croire l’interprétation que donne Vaissié de la thèse citée. Elle n’hésite pas ensuite à reprendre un vieil argument, employé contre moi par les partisans du régime de Kiev. Une facture d’une association, signée par moi, de 5 000 euros (bien 5 000 euros, pas 5 millions, à l’heure des Panama papers avouez…) trouvée, dit-elle, dans le palais de Yanoukovitch et fournie sans doute par des services ukrainiens ou des partis d’extrême droite qui ont joué le rôle que l’on sait (sauf Vaissié) dans la prise de pouvoir à Kiev. Cela permet à l’auteur de m’accuser «de gagner de l’argent» et de donner des leçons de déontologie journalistique, ce qui de sa part est particulièrement mal venu. D’abord, on ne voit pas ce que le Kremlin a à voir là-dedans, puisqu’il s’agit d’une affaire ukrainienne. Ce sont effectivement des parlementaires ukrainiens, d’ailleurs de diverses tendances, qui ont demandé à l’association des russophones de les aider à organiser un voyage à Paris pour qu’ils puissent rencontrer leurs homologues français. Leur ambassade, qui aurait dû s’en charger, sabotait tout, selon leurs dires, car elle était tenue par un partisan de Youchtchenko, le président battu aux élections par Yanoukovitch. Ayant travaillé en Ukraine, je connaissais des membres de la délégation. Nous avons donc fait profiter ces Ukrainiens d’un tarif négocié dans un grand hôtel parisien. Nous avons également organisé une rencontre avec la presse et l’association a fourni une de ses salariées pour la traduction, durant trois jours. C’est ce que couvre cette facture. Mais, soit le travail des services ukrainiens est incomplet, soit l’honnêteté de Vaissié est encore prise en faute. Il se trouve que nous n’avons jamais reçu ce remboursement. Ce qui doit être visible dans les documents comptables…  Vaissié reprend aussi d’autres calomnies dont j’ai déjà été victime : le magazine Les Inrocks m’accusait l’an dernier de jouer au DRH pour un organe de presse «poutinien» pour lequel je ne travaille même pas ! Aucune vérification de la part du journaliste et de la rédaction du magazine. Pour faire bon poids, Vaissié en rajoute : elle affirme que la photo d’illustration du magazine en question me montrait dans les studios de «Pro Russia», une télévision internet, dans lesquels je n’ai jamais mis les pieds… Bien sûr, j’ai droit aussi aux dénonciations de type stalinien du journal Libération, auxquelles j’avais répondu sur internet. Vaissié, pseudoenquêtrice, ne se donne pas la peine de la citer. C’est dire le sérieux de cet écrit.

    Jugements à géométrie variable

    Dans la même veine, les «rappels» historiques de Vaissié valent leur pesant de cacahuètes, comme aimerait à écrire « la professeure » pour faire peuple. Ainsi le coup d’État à Kiev, le 22 février 2014, se serait produit parce que «Yanoukovitch est parti» ! Comme ça ? Tout d’un coup ? Quant aux jeunes fédéralistes brûlés vifs à Odessa le 2 mai 2014, dans le silence général de la presse occidentale, alors que l’internet était plein d’images insupportables quelques heures après l’événement ? Ils ont mis le feu eux-mêmes ! Là, cela devient franchement nauséabond. Evidemment, elle ne dit rien sur les bombardements et les massacres commis contre la population ukrainienne du Donbass par les troupes et les détachements néo-nazis (ils en arborent même les insignes) venus de l’ouest. On a pourtant tué Kadhafi pour avoir bombardé sa population.

    En un mot, ce livre c’est beaucoup de pages pour rien, si ce n’est pour alimenter encore une haine bien inutile entre Européens. Ces derniers n’ont-ils pas déjà été suffisamment saignés au siècle dernier – les Russes plus encore que les autres ? Pas assez pour des gens comme Vaissié. Odieux ! 

  • Vers le Brexit ? L’espoir se lève pour les partisans de la sortie de l’UE

     

    Une analyse de Jacques Sapir

    À une semaine du référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne, les sondages annoncent une large victoire des souverainistes. Puisque le journal The Sun et un nombre croissant d'intellectuels soutiennent le camp de la sortie, tous les espoirs sont permis. C'est du moins l'avis, intéressant et documenté, de Jacques Sapir [Causeur 15.06]. Pour nous, maintien ou sortie sont, dans le fond, assez équivalents : la Grande-Bretagne a signifié qu'elle ne renoncera jamais à sa souveraineté et a déjà obtenu, au sein de l'UE, une sorte de statut de cavalier seul qui, de toute façon, l'a déjà fait sortir. Ce qui ne signifie pas qu'un éventuel Brexit ne posera pas une série de problèmes techniques. Il constituerait en outre un puissant symbole du rejet par les peuples européens, d'une certaine Europe, d'ores et déjà en voie de délitement.  LFAR 

     

    JacquesSapir.jpgTrois faits marquants sont venus ces dernières heures soutenir les espérances des eurosceptiques britanniques alors que l’on se rapproche du référendum qui doit se tenir le 23 juin. Tout d’abord, un nouveau sondage (YouGov) donne une avance substantielle au vote de sortie de l’Union Européenne. Le point important ici étant moins le résultat absolu que l’accroissement de la marge de ce résultat. Bien entendu, le nombre de personnes ne s’étant pas encore décidées est important, et ce sondage doit être compris comme une tendance, rien de plus.

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    Des sondages au beau fixe

    On peut penser que, dans l’isoloir, les électeurs indécis vont se prononcer en majorité pour le maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne. Mais, l’avance de la position de sortie est en train d’augmenter. De ce point de vue, il est possible que les opinions qui donnent – pour l’instant – le maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union gagnante soient contaminées par le fait que cette position est visiblement majoritaire sur Londres. Le référendum sera aussi un vote du peuple contre les élites financiarisées, de la campagne contre la grande métropole.

    The Sun contre l’UE

    Le deuxième fait marquant est la très nette et très claire prise de position du quotidien populaire The Sun en faveur d’un vote de sortie. Bien entendu, les positions de ce quotidien étaient prévisibles. Ce que l’on appelle en Grande-Bretagne la « presse de caniveau » est connue pour ses positions facilement outrancières. Mais, il faut aussi savoir que derrière le journal il y a tout l’empire de presse de Murdoch. L’engagement du Sun vaut en réalité un engagement de ce groupe de presse.

    Le troisième fait est l’article d’Ambrose Evans-Pritchard appelant à quitter l’Union européenne publié dans The Telegraph. On connaît les positions critiques de cet auteur. Mais les arguments qu’il avance pèsent et pourraient convaincre une fraction de l’opinion publique. Ambrose Evans-Pritchard identifie bien le problème principal du Brexit comme étant celui de la démocratie. Il écrit ainsi :

    « Nous devons décider si nous voulons être gouvernés par une Commission aux pouvoirs quasi-exécutifs qui fonctionne plus comme le clergé de la papauté du XIIIème siècle que comme une fonction publique moderne; et si nous voulons nous soumettre à une Cour européenne de justice (CEJ) qui revendique la suprématie juridique la plus complète, sans droit d’appel.

     

    La question est de savoir si vous pensez que les Etats-nations de l’Europe sont les seules instances authentiques de la démocratie, que ce soit dans ce pays, en Suède, aux Pays-Bas ou en France ». On retrouve aussi des formules qui sont proches de celles que j’ai employées dans mon dernier ouvrage : « … l’UE telle qu’elle est construite est non seulement corrosive mais finalement dangereuse, et (…) dans la phase que nous avons maintenant atteinte l’autorité gouvernementale se désagrège à travers l’Europe. Le projet provoque une hémorragie des institutions nationales, mais ne parvient pas à les remplacer par quoi que ce soit de légitime au niveau européen ».

    Le président de la Cour suprême face au “danger” européen

    Il est intéressant de voir que son opinion rejoint celle du Président de la Cour suprême du Royaume, Lord Sumption : « Elles (les institutions) se sont peu à peu vidées de ce qui les rendaient démocratique, par un processus graduel de désintégration interne et d’indifférence, jusqu’à ce que l’on remarque tout à coup qu’elles sont devenus quelque chose de différent, comme les constitutions républicaines d’Athènes ou de Rome, ou les cités italiennes de la Renaissance. »

    Ces trois faits pourraient correspondre à un moment de basculement dans la campagne du référendum britannique. Le camp adverse se caractérise, pour l’heure, par des propos outrancièrement alarmistes, prédisant une « catastrophe » économique pour le Royaume-Uni en cas de succès de l’option de sortie. Ceci n’a pas de crédibilité. Les pays qui ne sont pas membres de l’Union européenne commercent librement avec cette dernière du fait des règles de l’OMC, qui s’appliqueraient instantanément aux relations commerciales entre la Grande-Bretagne et l’UE.

    Ce qui est manifeste est que les partisans du maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne ont été incapables de développer des arguments « positifs » en soutien à leur position. C’est sans doute le point le plus intéressant. Aujourd’hui, la peur de l’inconnu est le dernier, voire le seul argument, qui reste aux partisans de l’Union européenne. Cela en dit long sur la décrépitude du projet européen. 

    Retrouvez cet article sur le blog de Jacques Sapir.

    Jacques Sapir
    est économiste, spécialiste de la Russie.

  • Alexandre Latsa : « le renouveau russe s’opère alors que l’Europe et l’Occident traversent une grave crise »

     

    83942132.jpgAlexandre Latsa réside et travaille en Russie comme chef d’entreprise depuis 2008. 

    A l’occasion de la sortie de son essai Un printemps russe, aux éditions des Syrtes, il a bien voulu répondre aux questions du Rouge & le Noir.

    Votre livre décortique l’image négative que donnent les médias français de la Russie. Quelle est à contrario l’image que se fait le grand public russe de la France et de l’Union Européenne ?

    Tout d’abord il me semble que l’image de la Russie est surtout rendue négative chez les gens qui ne connaissent pas le pays, ou ne le connaissent que par les informations qui leurs sont fournie par leurs médias. Mais je pense encore une fois que c’est un phénomène euro-occidental car cette désinformation journalistique sur la Russie concerne surtout les médias occidentaux, surtout anglo-saxons et ouest-européens.

    La Russie a cependant une plutôt bonne image populaire en Asie, en Afrique ou par exemple en Amérique du sud. Dans de nombreux pays musulmans la Russie a une bonne image, comme par exemple en Iran ou au Maroc. Enfin la Russie a une excellente image dans de nombreux pays orthodoxes d’Europe tels que la Grèce, la Serbie ou encore Chypre.

    Concernant l’image de la France et de l’Union Européenne en Russie elle est complexe et il y a un gros dilemme. La France a une excellente image de fond en tant que pays ami, en tant que réel pays civilisation (comme la Russie) et pays de grande culture. Mais de l’autre la télévision russe montre une réalité bien difficile à nier qui est une France connaissant des difficultés sociales, religieuses et des évolutions sociétales auxquelles une majorité de la société russe, les élites en tête, n’adhère pas.

    Concernant l’UE, il ne faut pas oublier que l’UE est le principal partenaire économique de la Russie et que la Russie s’est voulue depuis la chute de l’URSS tendre vers l’Europe sur le plan civilisationnel mais aussi politique. L’UE est cependant de plus en plus montrée et donc perçue comme ce qu’elle est vraiment, c’est à dire une structure froide, sous tutelle américaine et parasitant les relations entre la Russie et les États Européens.

    Enfin un sujet mis en permanence sur la table par les médias est le problème migratoire que connaissent et l’UE et les pays européens. Les médias russes ont bien fait leur travail à ce sujet puisqu’ils n’obèrent pas ces facettes de la Nouvelle France et de l’Europe de Bruxelles.

    On ne peut pas parler d’UE-Bashing bien sûr mais l’Europe ne fait plus autant rêver qu’avant tandis qu’une nouvelle tendance asiatisante est en train de prendre de l’ampleur en Russie.

    Si l’Occident cherche à influencer la Russie, de quelles façons la Russie tente-elle de son coté d’influencer l’Occident, ou une partie de l’Occident ?

    L’Occident tel que nous le connaissons aujourd’hui semble fonctionner selon une équation propre qui est d’étendre son modèle en l’imposant au reste du monde. Sans surprises l’extension de la superstructure occidentale à l’ancien monde soviétique a été un objectif prioritaire dès la chute de l’URSS. Mais cette extension s’est heurtée à Moscou et aux velléités de Moscou de garder une sorte de cordon sanitaires a ses frontières hors de toute influence américaine et de l’OTAN.

    Par conséquent je ne crois pas que la Russie cherche à influencer l’Occident d’une quelconque façon. Je crois que la Russie a du reste encore beaucoup trop de problèmes propres à régler pour se poser en puissance qui souhaiterait remodeler en quelque sorte le reste du monde, comme par exemple l’Amérique souhaite remodeler le moyen orient.

    Je crois surtout que la Russie devient naturellement un modèle attractif car le renouveau russe s’opère et arrive historiquement au moment où l’Europe et l’Occident traversent à contrario une grave crise (morale, politique, économique…) et font face à une pénurie de modèle avec un grand M. Cela se traduit par exemple par l’émergence de partis plutôt souverainistes qui sans surprises voient dans ce renouveau russe une forme de gouvernance avec beaucoup de points plutôt positifs. Ces partis sont autant de droite que de gauche, que l’on pense à Mélenchon ou Chevènement en France ou encore par exemple Sanders aux États-Unis. On comprend bien que la relation avec la Russie pourrait changer avec un changement de gouvernance au sein des pays Occidentaux.

    En fait la grande force du pro-russisme est qu’il est transcourant. Tout comme du reste l’est l’atlantisme aujourd’hui en France qui concerne tant la gauche que la droite de gouvernance.

    L’un des vecteurs majeurs pour promouvoir des valeurs, des idées ou un modèle est le vecteur culturel, parfaitement maîtrisé par les américains. N’est-ce pas l’une des faiblesses majeure de la Russie ?

    Vous avez raison en ce sens que Hollywood nous a convaincu que la Sibérie était froide et hostile tandis que la Californie est lumineuse et ouverte. L’occident américano-centré a sans aucun doute connu sa forte extension planétaire via la dimension culturelle mais je pense que cela va s’arrêter.

    Tout d’abord le Californien des années 60 qui faisait envie avec raison (beau, sportif, riche et en bonne santé ...) a été remplacé par un Texan agressif au cours des années 90, 2000 tandis qu’aujourd’hui on a Obama aux manettes d’une Amérique qui depuis la crise de 2008 ne fait plus autant rêver il faut bien se l’avouer.

    Dans le même temps, dans d’autres zones du monde émergent et se transforment en modèle, je pense par exemple à la Chine ou récemment un homme d’affaires du nom de Wang Jianlin, patron du groupe Wanda, a déclaré la guerre à Disney en affirmant que « Disneyland n’aurait jamais dû s’implanter en Chine et Mickey et Donald, c’est du passé ! ». Un parc Wanda « Made in China » devrait du reste très prochainement ouvrir en France.

    Concernant la Russie d’aujourd’hui oui c’est une faiblesse cruciale de ce pays, la Russie de Poutine ne sait pas se vendre contrairement à l’Union Soviétique. Je pense même que les autorités russes n’ont pas eu les moyens de se permettre une stratégie quelconque de communication ou Soft power avant le milieu des années 2000 car avant il fallait reconstruire l’État. C’est du reste à cette période que n’ont émergé des structures de communications destinées à l’étranger comme RT par exemple. Si RT a fait un énorme boulot, il faut bien se rendre compte que le talent dans le Soft-Power n’est clairement pas un point fort de la Russie actuelle.

    Mais en même temps quel Soft-power est fondamentalement nécessaire quand vous n’avez pas de velléité de domination culturelle (comme l’a l’Amérique sur l’Europe) et que vous visez à être un réservoir énergétique, demain un leader agricole et donc un grenier de nourritures et après-demain un fournisseur d’eau soit d’un élément essentiel pour la Survie.

    Quel rapport les russes ont-ils avec cette période de leur histoire qu’est l’URSS et avec la figure de Staline ? Et avec la période Eltsine ?

    Ambiguë et complexe et surtout variable selon les générations. Les russes se souviennent ou savent que l’Union Soviétique était une grande puissance respectée au sein de laquelle la vie était organisée. La période qui a suivi a été celle du déclin et du chaos. Par conséquent il n’y pas une nostalgie du communisme au sens purement idéologique du terme mais une nostalgie de l’ordre et de la sécurité qui découlait de cette période historique. En même temps beaucoup de russes regrettent au fond ce gigantesque pays au sein duquel les peuples frères vivaient en paix, tout comme ce fut le cas dans un sens au sein de l’ex-Yougoslavie. C’est moins le cas chez les jeunes générations qui n’ont pas connu l’URSS, que ce soit en Russie ou du reste dans les autres pays de l’ensemble post-soviétique.

    Et avec la période Eltsine ?

    Pour ce qui est de la période Eltsinienne elle a fait beaucoup de mal à la Russie sur le plan moral et sanitaire. Ça a été une période d’humiliation et de pauvreté que personnes ne regrette a part bien sur une minorité qui a su a cette époque bénéficier du chaos ambiant.

    Bien plus qu’un état, la Russie est un empire. Le modèle poly-ethnique russe, que vous décrivez comme modèle alternatif au multiculturalisme promu en Occident n’est-il pas valable uniquement pour un empire mais inapplicable à des états européens comme la France, l’Allemagne ou encore la Hongrie ?

    Les nations européennes étaient plutôt homogènes et soumis à une immigration principalement européenne jusqu’aux années 70,80 date à partir de laquelle l’Europe continentale a vu s’accélérer des processus migratoires extra-européens qui ont de fait transformé les nations européennes en « ensembles » multiethniques. Mais il s’agit de processus récents et le moins qu’on puisse constater est qu’ils ont bouleversé dans un sens le vivre ensemble mais surtout que les nations européennes ont du mal à trouver des solutions fonctionnelles pour faciliter cette nouvelle cohabitation. On peut se demander si regarder du côté de la Russie ne pourrait pas permettre de trouver des solutions à certains de ces problèmes.

    Bien sûr en Russie l’Islam y est de souche. L’Islam est une partie intégrante de la société russe et du monde russe, de la Volga au Caucase mais aussi de l’ancien monde soviétique avec l’Asie centrale. Le vivre ensemble et l’expérience de cohabitation s’y est développé selon des règles bien particulières.

    Quels seront les plus grand défis ou les plus grandes menaces pour la Russie dans les prochaines décennies ?

    Un des grands risques, c’est la politique américaine en Europe qui est source de conflits et de tensions et même de guerre comme on a pu le voir en Géorgie et en Ukraine. Il ne faut pas exclure un conflit de plus haute intensité si les États-Unis continuent leur politique de pression et d’ingérence en Europe de l’Est et au cœur de l’Eurasie.

    L’autre grand risque est le terrorisme sous quelque forme que ce soit et notamment le terrorisme religieux, islamique. Ce risque pourrait venir de l’extérieur mais aussi pourquoi pas dans le futur d’une résurgence identitaire régionale et religieuse qui pourrait entraîner une potentielle vague séparatiste et donc un conflit entre Moscou et une de ces provinces.

    Enfin et sans aucun doute il y a aussi la question de l’après-Poutine. Vladimir Poutine semble se diriger vers un quatrième mandat de 2014 à 2018 mais la question de l’après est évidemment déjà dans les esprits.   

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    Un printemps russe 

    Le Rouge & le Noir

  • Poutine : nos dirigeants feignent de le considérer comme infréquentable, tout en le sachant incontournable

     

    logo lfar.jpgUn commentaire reçu de Jean-François Ravel d'Estienne [30.05], avec lequel nous sommes en parfait accord.

     

    Poutine a incontestablement le talent qu'on désespère de voir actuellement chez les dirigeants occidentaux. Il n'est pas un saint, et ne prétend d'ailleurs pas l'être, mais il fait pour la Russie ce que les peuples de l'UE aimeraient que leurs dirigeant fassent pour eux, alors que c'est très loin d'être le cas. Il a une vision stratégique, ses tactiques sont réfléchies; quand il ne gagne pas sur un sujet, il recule sans se désunir, il contourne assez bien, et possède un faire-savoir au moins aussi bon que les meilleurs communicants de ses interlocuteurs. C'est incontestablement un homme à prendre très au sérieux, et l'erreur de nos media est précisément de se fourvoyer en préférant le moquer ou le critiquer, ce qui est une attitude de faible, que Poutine sait parfaitement décrypter.

    Quant à nos dirigeants, ils feignent de le considérer comme infréquentable, tout en le sachant incontournable. C'est inefficient et irresponsable. Les dernière déclarations allemandes favorables à une levée progressive des sanctions européennes semblent montrer un début de réalisme, il ne reste qu'à espérer une confirmation dans les faits. 

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