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Actualité Europe - Page 53

  • L’Angleterre est une île

     

    par Hilaire de Crémiers

     

    hilaire-de-cremiers-510x327.jpgCoup de tonnerre sur la Tamise. Bruxelles et Paris en ont été ébranlées. Francfort et Berlin peut-être aussi. La suite le dira et jusqu’où. Ce qui est sûr, c’est que l’Europe est à revoir.

    Ce qu’on appelle le Brexit a surpris le monde politico-médiatique, principalement et presqu’exclusivement en France et à Bruxelles, dans ce monde aveuglément fermé des dirigeants français et européens qui croient tout savoir et tout pouvoir. Type Alain Minc. Et ils se sont trompés ! Et ils n’y ont rien pu ! Pour eux, il était définitivement acquis qu’il était impossible de rebrousser chemin sur la voie qu’ils avaient tracée du terrestre paradis de leur rêve : États-Unis d’Europe, fédération européenne de plus en plus intégrée, seule voie de salut ici-bas, en attendant l’intégration transatlantique, puis la fusion universelle sous une « gouvernance » mondiale. Eurobéatitude d’une prométhéenne imagination qui osait enfin concevoir les hommes et les peuples autrement qu’ils étaient, débarrassés à jamais des scories et des obscénités de leur histoire et de leur condition !

    Et patatras ! À 2 heures du matin, le vendredi 24 juin, malgré les chiffres qui tombaient, ils n’arrivaient point à s’y faire. Les Anglais, majoritairement, voulaient rester anglais. Eh oui ! Le peuple britannique retournait à « l’enfer » des nations, à « la damnation » du nationalisme. Malgré tant d’exhortations, d’objurgations ! Tout à coup, il fallait voir l’affolement, entendre les hurlements d’abomination : ce que c’est que de laisser les peuples à eux-mêmes ! Comme s’ils étaient capables de décider et de vivre hors des normes fixées par eux, les grands-prêtres de Bruxelles !

    Des spéculations privées de sens

    Plus de dix fois déjà, des peuples européens, au cours de ces dernières années, avaient tenté de regimber sous le joug. Les Danois, les Irlandais, les Suédois, les Hollandais à plusieurs reprises et encore tout récemment, les Grecs, les Français qui, en 2005, ont signifié à une forte majorité de 55 % leur refus d’une constitution européenne. Mais, à chaque fois, l’obstacle de la volonté des peuples était contourné par l’habileté des dirigeants. Les mêmes traités étaient réécrits et validés par les oligarchies partisanes, tel le traité de Lisbonne ; les accords étaient revus, indéfiniment rafistolés ; les pays – et surtout l’Angleterre – obtenaient dérogations et adaptations. Ô merveille, l’affaire continuait. Mais aussi se compliquait de rouages inextricables jusqu’à l’impossible et l’absurde. L’Europe ne cessait de s’élargir et prétendument de s’approfondir ! Elle ne formait plus qu’un conglomérat de plus en plus chaotique ; toutes les politiques s’achevaient en pitoyables compromis, de sommet en sommet de « la dernière chance ». Jusqu’à la dernière pression migratoire qui a tout fait exploser. Là, les Anglais ont donné un coup d’arrêt. D’autres ruptures sont à prévoir dans cet édifice fragilisé.

    images.jpgD’abord, faisons confiance aux Anglais pour prendre soin de l’Angleterre. Ils supporteront les épreuves pour rebondir : ils ont une histoire, ils la continueront. S’imaginer que la City quittera Londres pour faire plaisir à Francfort et à Paris est une spéculation d’eurocrate, privée de sens. La City restera dans la City, avec ses politiques et sa livre souveraine. « L’Angleterre est une île », professait l’excellent André Siegfried dont nos « sciences potards » et nos énarques actuels ont oublié les leçons.

    L’Allemagne encore plus allemande ?

    Les autres peuples de l’Europe du Nord, eux aussi, se le tiendront pour dit et chacun commencera à compter ses billes. Les peuples du Sud qui vivent en pleine anarchie et qui n’évitent le désastre financier que grâce aux invraisemblables accommodements de la BCE, ne font semblant d’accepter les oukases de Bruxelles que pour ne pas faire faillite officiellement. La prochaine crise de l’euro les fera voler en éclats. Les pays de l’Est n’ont jamais cherché que des subventions et des protections ; mais aucun n’adhère sérieusement au fatras législatif bruxellois et encore moins aux vaticinations junckeriennes et merkelliennes sur l’accueil et la répartition par quotas des flux migratoires.

    Quant à l’Allemagne, gageons que, demain, elle sera encore et même plus encore allemande. L’Europe lui a servi à faire sa réunification à moindre frais ; les Français, déjà liés à son mark, en ont payé une large part, s’en souviennent-ils ? Ainsi a-t-elle établi sa position dominante, d’abord économique, maintenant politique. « Le couple franco-allemand » est une billevesée d’hommes politiques français en mal de discours eurocratiques. L’Allemagne n’ira pas au-delà des intérêts allemands. C’est vrai dans tous les domaines, y compris la défense.

    Paroles de prince

    Et la France ? C’est le seul pays où l’idée européenne soit à ce point une religion. En servant, d’abord, cette fausse divinité, ses dirigeants la sacrifient. Ils se sont totalement coupés du peuple français, sans plus aucun souci des intérêts nationaux, ne cessant de les brader depuis des décennies avec, en plus, des airs avantageux et en se rétribuant au passage. Alors, dans le désastre qui s’annonce, si jamais le peuple français voulait renouer avec son histoire, il retrouverait, au moins et d’abord, sa liberté. La liberté, c’est-à-dire l’indépendance, c’est-à-dire la souveraineté. Le régime actuel est un régime de dépendance, de soumission, d’asservissement à l’étranger. Qui dit souveraineté, dit, chez nous, souverain. Pourquoi ne pas chercher dans cette direction ? C’est une question existentielle : être ou ne pas être. To be or not to be. Les Anglais l’ont compris. Ils ont choisi l’être. C’était le sens de leur Brexit or not Brexit.

    Le Prince Jean de France a donné son avis sur la question soulevée par le Brexit. Avis plein de sagesse : « L’Union européenne est une sorte de chimère. Elle a construit toute une bureaucratie pour veiller au respect de règles libérales, qu’elle a malheureusement érigées en dogmes. Son administration n’est pas moins tatillonne que celle d’un régime socialiste. Il suffit de considérer les directives produites par Bruxelles sur des sujets aussi divers que la composition du chocolat ou la fabrication des fromages… Pourtant, on pourrait tout à fait imaginer une confédération fondée sur la subsidiarité : ce que les États peuvent faire eux-mêmes ne doit pas leur être enlevé. L’Europe telle que je la conçois serait fondée sur la coopération entre les nations, celles-ci choisissant librement de s’associer pour de grands projets d’envergure mondiale. C’est l’Europe d’Airbus et d’Ariane. Pas besoin de structures permanentes, pas besoin de Commission européenne pour construire un avion…Et si nous nous accordons sur des buts plus politiques, veillons à respecter l’identité de chaque pays, ce qui est de moins en moins le cas. Le peuple français en sait quelque chose, puisque ses représentants ont contredit son expression directe en votant un traité presque identique à celui que les citoyens avaient refusé par référendum. Ce décalage entre les institutions et le peuple est antidémocratique et particulièrement inquiétant : il nourrit l’amertume et le ressentiment. L’Europe se fait contre les peuples et sans l’homme. Allons-nous commettre la même erreur que l’Union Soviétique ? »

    Paroles de prince français à méditer dans les mois qui viennent. 

    Repris du numéro de Juillet-Août de Politique magazine ♦ Commander ici !

  • Cameron, Farage, Johnson, des lâches ? Quand la critique française tourne à la schizophrénie

     

    Par David Desgouilles           

    Suite aux démissions de Farage, Cameron et Johnson, les critiques  vont bon train : ils quitteraient le navire après l'avoir sabordé. Dans cette humeur intelligente parue sur Figarovox [4.07], David Desgouilles au contraire, souligne que cet esprit de responsabilité manque cruellement aux dirigeants français. Les médias hexagonaux ignorent la tradition politique anglaise, dont les institutions, polies par l'usage - multiséculaire - plus que par l'idéologie, sont, en un sens, plus démocratiques que les nôtres, sous notre funeste République idéologique.  LFAR  

     

    559665896.pngOn les avait accusés de démagogie, de surfer sur les peurs. On les avait accusés d'avoir menti pendant la campagne pour le «leave». On avait même laissé entendre qu'ils avaient armé le bras du meurtrier de Jo Cox.

    De ce côté de la Manche, les médias français ont brillé par leur quasi-unanimisme pour vouer aux gémonies les leaders du «leave», Boris Johnson et Nigel Farage. Mais ils ne les avaient pas encore taxés de lâcheté. C'est chose faite, désormais. Boris Johnson a renoncé à se porter candidat au poste de Premier ministre de Sa Gracieuse Majesté. Quant à Nigel Farage, il abandonne la présidence de son parti, l'UKIP. Et nos médias, encore à l'unisson, de fustiger la trouille du duo. Johnson et Farage n'assumeraient pas leurs responsabilités. Ils quitteraient le champ de bataille piteusement après avoir engagé leurs troupes dans un bourbier. Cameron n'est pas mieux loti. C'est le recours au référendum, qu'on lui reproche, à celui-là. Et il se tire ensuite, l'apprenti-sorcier!

    Le problème, c'est que toutes ces accusations, lorsqu'on prend la peine de les examiner plus de trente secondes - ce qui devrait normalement être à la portée d'un journaliste - tombent à plat. Boris Johnson aurait bien voulu assumer ses responsabilités. Il comptait bien s'asseoir dans le fauteuil de chef du gouvernement, 10 rue Downing Street. Mais il en a été empêché par son parti, un parti dont les trois-quarts des parlementaires étaient favorables au «remain». Quant à Nigel Farage, il avait fait du Brexit le combat de sa vie. Il avait prévenu que c'était la mère des batailles et qu'il ne quitterait la politique que cet objectif réalisé. Président d'un parti qui n'a pas de groupe parlementaire aux Communes, il ne pouvait pas accéder aux responsabilités. Dans ce contexte, accuser Johnson et Farage de les fuir, c'est être soit un imbécile, soit un menteur. Quant à David Cameron, il démissionne parce qu'il menait cette bataille pour le «remain» et que, désavoué par son peuple, il en tire les conclusions qui s'imposent comme l'avait fait le Général de Gaulle en 1969 à l'occasion du référendum sur la régionalisation.

    Au delà de la partialité évidente - et habituelle, s'agissant de la construction européenne - qui transpire de ces accusations sans fondement, on peut aussi voir de la schizophrénie dans l'attitude de la majorité de nos médias. Alors qu'on se plaît à fustiger - souvent à juste titre - le peu de renouvellement de la vie politique française, et qu'on dénonce ceux qui s'accrochent à leurs postes, on critique vertement ceux qui, de l'autre côté de la Manche font passer leurs idées avant leur destin personnel. A cet égard, ce référendum en a dit plus long sur l'état de notre débat public que sur celui de nos amis britanniques. 

    David Desgouilles  

    David Desgouilles est membre de la rédaction de Causeur. Il est l'auteur de Le bruit de la douche, une uchronie qui imagine le destin de DSK sans l'affaire du Sofitel, publiée aux éditions Michalon.          

  • SPORT • Foot des nations : 1 - Foot du fric : O

     

    David Desgouilles suit l'Euro 2016 avec passion. Comme nombre de Français. Dans cette excellente et très politique humeur, publiée sur Figarovox [8.07] il affirme la permanence des compétitions où s'affrontent les équipes nationales. En sport, comme en politique, les nations reprennent aujourd'hui la main. De fait, elles ne l'ont jamais perdue qu'en apparence. Rien ne les remplace. On nous excusera de le souligner : c'est là un raisonnement d'Action française, formulé par un certain Charles Maurras, lors des premiers jeux olympiques de l'ère moderne, tenus à Athènes, un mois d'avril de 1896 ...  LFAR

     

    559665896.pngPlus de dix-neuf millions de téléspectateurs en France hier soir pour voir la revanche de Séville! Pourquoi cet engouement ? Pourquoi les matches de club ne suscitent plus, depuis longtemps, un tel succès ? Pourquoi, comme beaucoup, je fais partie de ceux qui snobent désormais les matches de ligue des champions, y compris ceux des clubs français, alors que je n'aurais jamais loupé un match de coupe de l'UEFA il y a trente ans et que je continue à regarder les compétitions entre les nations ?

    Tout a basculé en décembre 1995, quand la Cour de justice de Luxembourg décida de supprimer le caractère national des équipes européennes de club. Ce fut le célèbre - mais funeste - arrêt Bosman. Depuis, l'argent est allé à l'argent. Le football était déjà un business, mais encadré. Comme d'habitude les institutions européennes ont fait sauter les cadres. Il n'est pas étonnant que le football des nations devienne alors une valeur refuge pour les peuples, qui ont de plus en plus de mal à s'identifier aux équipes de « galactiques » bâties à coups de milliards. Certes - ne soyons pas naïfs - les sélectionnés ne jouent pas gratuitement pour leurs équipes nationales. Mais il n'empêche, le championnat d'Europe des Nations ou la Coupe du monde offrent ce supplément d'âme qu'on ne retrouve guère dans la ligue des champions. Parce qu'il y a des peuples. Parce qu'il y a des nations. Et que les peuples s'identifient à l'équipe de leur nation.

    L'Islande, ce peuple de trois-cent-mille habitants a ainsi envoyé un dixième de sa population en France. Un dixième ! Ce foot des nations rejoint en quelque sorte notre vieille coupe de France, avec ses petits poucets qui créent la surprise et l'engouement populaire. Le Cameroun de Roger Milla, ou l'Islande de 2016, c'est un peu Calais, c'est un peu Chambéry. L'identification, le sentiment d'appartenance ne se décrètent pas. Et surtout, ils ne s'achètent pas. Voilà pourquoi le PSG de Mustapha Dahleb et de David Ginola faisait davantage rêver que celui de Zlatan. Voilà pourquoi l'arrogant Cristiano Ronaldo, pourtant déjà sevré de titres avec le Real, pleurera ou sera ivre de joie selon le résultat de dimanche, parce que, par dessus tout, il rêve d'un titre avec le Portugal, son pays. Et puisqu'on ne peut pas éviter le sujet de notre sélection désormais qualifiée pour la finale, parlons-en. Cette équipe est aimée car elle est aimable. Parce que Didier Deschamps, comme Michel Hidalgo et Aimé Jacquet naguère, a su en faire un groupe au service de l'intérêt collectif, là où Domenech lisait les communiqués d'un groupe miné par les egos. Les joueurs sont fiers de porter ce maillot, on le sent et on les aime.

    Il y a quelques années, un député européen luxembourgeois avait expliqué que l'idéal serait que, dans l'Union européenne, les équipes nationales ne soient plus composées des joueurs citoyens de leurs nations, mais des habitants européens de celles-ci. Si sa proposition avait été suivie d'effet, Griezmann aurait joué pour l'Espagne, Zlatan pour la France, Giroud et Lloris pour l'Angleterre. Heureusement, cette idée folle n'a jamais vu le jour. Qu'on le veuille ou non, les Nations d'Europe existent, et elles peuvent même exister hors des institutions européennes. Ce que le Général de Gaulle avait exprimé si bien dans sa fameuse diatribe sur Dante, Molière et le volapük intégré, le championnat d'Europe des nations de football qui s'achèvera dimanche l'a illustré de la plus belle manière. En politique comme en football, les Nations sont de retour, car les peuples le souhaitent. Daniel Cohn-Bendit, en amoureux du football mais en contempteur des peuples « irrationnels », devra bien s'y résoudre. 

    David Desgouilles           

    David Desgouilles est membre de la rédaction de Causeur. Il est l'auteur de Le bruit de la douche, une uchronie qui imagine le destin de DSK sans l'affaire du Sofitel, publiée aux éditions Michalon.

  • BREXIT : LA BELLE INSOLENCE DES PEUPLES

     

    par François Marcilhac

     

    500021990.jpgSale temps pour l’oligarchie. En huit jours à peine, voici que les Britanniques ont voté pour sortir de l’Union européenne et que son candidat à la tête de l’Autriche a vu son élection invalidée pour « irrégularités  ». Si différents soient ces deux événements, ils n’en reflètent pas moins les lézardes grandissantes qui fissurent cette Europe dont les peuples ne veulent ouvertement plus ou qui ne sait plus faire élire ses thuriféraires qu’en truquant les élections. 

    Belle leçon de démocratie ! Fort heureusement pour les Autrichiens, leur Cour constitutionnelle n’est pas le Conseil constitutionnel français. Elle ne valide pas des élections dont le dépouillement s’est déroulé dans des conditions discutables. L’ancien président du Conseil constitutionnel Roland Dumas ne se disait-il pas, lui, « convaincu d’avoir sauvé la République » — rien que moins ! — en ayant validé, en 1995, les comptes de campagne présidentielle « manifestement irréguliers » de Jacques Chirac ? Autres pays, autres mœurs... La Cour constitutionnelle autrichienne se contente, elle, de faire son travail.

    Quant au Brexit, à peine connus, les résultats étaient déjà contestés. Non pas quant à leur régularité, mais pour leur teneur même. Juncker, contre les Grecs, n’avait-il pas prévenu en 2015 qu’ « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens » ? John Kerry, le secrétaire d’Etat américain, auquel ce camouflet à l’ingérence d’Obama dans les affaires britanniques n’a manifestement pas servi de leçon, s’est aussitôt empressé de déclarer qu’ « il existe des moyens » pour que le Brexit ne se réalise jamais. Une intervention armée, comme en Irak ?... ou une pétition demandant un second vote, dont Marion Maréchal-Le Pen démontrait aussitôt l’imposture ...en la signant elle-même, mais relayée le plus sérieusement du monde par nos médias officiels, les bobos cosmopolites de Londres ne supportant pas que le peuple ait voté différemment d’eux.

    UNE VAGUE DE MÉPRIS SOCIAL ET ETHNIQUE

    C’est une vague de mépris, à la fois social et ethnique, qui a subitement déferlé sur les patriotes anglais. Être un Anglais de souche et un travailleur est devenu une tare irrémissible. Encore, au XIXe siècle, la bourgeoisie ne reprochait-elle aux classes laborieuses que leur « dangerosité » sociale, les privant sous ce prétexte du droit de vote... Mais notre époque a fait des progrès. C’est leur enracinement qui leur est maintenant reproché, c’est-à-dire leur appartenance au pays réel et non à une hyperclasse mondiale friquée et hors sol. Bernard-Henri Lévy, qui appelle à un second vote, n’a pas hésité à écrire : « C’est la victoire des casseurs et des gauchistes débiles, des fachos et hooligans avinés et embiérés, des rebelles analphabètes et des néonationalistes à sueurs froides et front de bœuf. » Tout y est, dans cette prose nauséabonde : la disqualification non seulement sociale et économique, mais aussi intellectuelle et physique de l’homme du peuple, ramené à une bestialité phantasmée qui, évidemment, est faite pour déshumaniser le tenant du Brexit, décrit comme un sous-homme, et donc disqualifier son choix. Et de poursuivre sur plusieurs paragraphes cette prose aux relents putrides qui rappellent les heures les plus sombres de notre histoire. Car c’est le 25 juin dernier dans Le Monde qu’est paru ce texte, non dans Gringoire entre les deux guerres. Tel est le discours de haine des tenants du mondialisme. Mais plus que leur arrogance, il traduit leur panique de voir le principe de réalité des nations resurgir dans une tranquille affirmation de soi.

    Ah ! La belle insolence des peuples. Partout en Europe, ils rappellent, par leur vote, leur droit à exister. Le mensonge européen fait de moins en moins illusion, à l’exemple du mensonge soviétique dans les années 70, lorsque Soljenitsyne écrivait sa célèbre Lettre aux dirigeants de l’Union soviétique. Oui, c’est vraiment un sale temps pour la nomenklatura mondialiste ! Et elle a beau, avec la complicité d’une presse dont les titres mangent tous au même râtelier, en rajouter sur le catastrophisme ou la volonté de punir les Britanniques de leur sacrilège, chacun sait que ces prophéties ou ces menaces que d’aucuns voudraient autoréalisatrices ne visent qu’à faire peur et à dissuader d’autres peuples d’imiter la perfide Albion. Quelle leçon pour les Vingt-Sept restants, si jamais le Royaume de Sa Gracieuse Majesté s’effondrait sur lui-même ! N’a-t-on pas ressasser que ce vote des losers de la mondialisation volerait son avenir à la jeunesse britannique ? Laquelle a surtout montré son désintérêt pour la question en s’abstenant à 70%.

    PRAGMATISME CONTRE IDÉOLOGIE

    Certes, Bruxelles trouvera dans le pays légal britannique ses meilleurs alliés pour voler leur vote aux Anglais, comme elle les a trouvés dans le pays légal français pour annuler notre non au traité constitutionnel. Avec une différence de taille : contrairement au pays légal français qui a fait le deuil de la France, le britannique choisira ce qu’il pensera être le meilleur pour les Anglais. C’est l’avantage du pragmatisme sur l’idéologie. A l’heure où nous écrivons, tout est encore ouvert. Et bien malin serait le commentateur qui projetterait en ce début de juillet 2016 l’avenir de l’Union européenne sur la comète du Brexit. N’oublions pas, en effet, le statut très particulier que le Royaume-Uni a(vait) dans l’Union, à la fois dedans et dehors, en raison des multiples exceptions (Schengen, l’euro, notamment) dont il a agrémenté son adhésion.

    C’est pourquoi, réclamer dès aujourd’hui un référendum en France sur le même sujet ou le promettre en cas de victoire aux présidentielle et législatives prochaines est plus qu’imprudent. La France, pays fondateur de l’Union, n’est pas le Royaume-Uni, qui ne s’y est rattaché que pour le seul enjeu économique. La chape morale d’une Europe facteur de paix n’a guère de prise sur la conscience britannique, contrairement aux Français qui ont subi, depuis des décennies, un véritable matraquage d’Etat sur le sujet, que toutes les institutions, école et media compris, ont relayé, en vue de faire de l’Europe un réflexe conditionné. L’aliénation est la pire des servitudes. Ne pas tenir compte de l’état moral du pays et jouer son avenir à la roulette référendaire serait évidemment le plus mauvais service à lui rendre car, en cas d’échec, la légitimité de notre appartenance à ce monstre froid en sortirait renforcée. A moins que faire cette proposition anxiogène ne soit la meilleure façon de ne pas être élu parce qu’on ne se sent pas prêt. C’est tout d’abord de l’intérieur, en aggravant ses contradictions internes, qu’un gouvernement patriote devra s’employer à détruire l’Europe.

    QUELLE « DÉRIVE TECHNOCRATIQUE » ?

    Pour Jean-Pierre Chevènement, patriote de gauche, le Brexit peut-être « une deuxième chance donnée à l’idée européenne : celle d’une refondation démocratique qui articulerait la démocratie qui vit dans les nations avec une démocratie européenne qui reste à construire. » Son communiqué a inspiré l’appel de vingt intellectuels eurocritiques, paru dans Le Figaro, dont Michel Onfray, Natacha Polony ou Jacques Sapir qui, pourtant, dans notre dernier numéro, rappelait qu’un projet « démocratique » européen suppose l’existence d’un peuple européen, qui ne se décrète pas. Ce volontarisme consubstantiel à la gauche oublie qu’il n’y a jamais eu de « dérive technocratique » de l’Europe, comme le prétendent les auteurs de l’appel : le technocratisme est à la source du projet des « pères fondateurs », contre les souverainetés nationales et populaires. Contre la politique et la liberté des nations. Contre l’histoire. Dissipons les nuées d’une autre Europe pour mieux préparer un avenir de liberté et de paix reposant sur le dialogue d’Etats souverains.   

    L’ACTION FRANÇAISE 2000

  • L’âme de l’Europe

    Le pont Charles, à Prague, sur la Moldau

    par Louis-Joseph Delanglade

    [publié le 30.05.2016] 

    L’appellation « Union européenne » pourrait n’être bientôt plus qu’une simple alliance de mots, c’est-à-dire un excellent exemple d’oxymore, tant les pays semblent peu unis, tant les peuples semblent mécontents. Depuis des mois, le groupe de Visegrad (dénomination à forte connotation historique), qui réunit Pologne, Hongrie, Tchéquie et Slovaquie, s’oppose résolument aux injonctions de Bruxelles et de Mme Merkel sur les migrants. Le 6 avril, les Pays-Bas ont rejeté par référendum l'accord d'association entre l’U.E. et l’Ukraine. Le 22 mai, le candidat des nationaux autrichiens a échoué d’un rien (trente mille voix) à l’élection présidentielle. Le 23 juin prochain, les Britanniques devront décider de leur maintien dans l’Union.  

    Les commentateurs patentés de la pensée politique correcte nous expliquent que les pays de l’ex-Europe de l’Est, toujours traumatisés par le joug soviétique, seraient trop sourcilleux sur leur indépendance et leur identité; que les Hollandais n’auraient été que 30% à voter; que les Autrichiens ont quand même élu celui que soutenaient tous les partis de l’extrême gauche à la droite mondialiste; et qu’en Grande-Bretagne enfin les sondages donnent le « oui » à l’Union en tête. Tout cela est vrai mais occulte l’essentiel : la vague qualifiée avec mépris et condescendance de « populiste », car jugée dangereuse pour la démocratie prétendument « représentative », monte et continuera sans doute de monter jusqu’à se transformer peut-être un jour en déferlante. 

    Le cas autrichien est exemplaire. Le Monde (22 mai) y voit «  la fin d’une ère pour les partis traditionnels ». M. Zemmour (R.T.L., 24 mai) entend sonner « le glas du clivage droite-gauche traditionnel tel qu'il s'était incarné depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ». Cette remise en cause des grands partis du système qui ne concerne pas que l’Autriche « précise les fondements économiques, géographiques, sociologiques, idéologiques de nos affrontements de demain ». Tout le monde ne fait pas preuve de la même lucidité. Ainsi M. Védrine, après avoir justement critiqué la « référence implicite aux années trente » lorsqu’il est question de populisme et admis que « le vrai problème en Europe aujourd’hui, c’est le décrochage des peuples » (France Inter, 24 mai), pense qu’« il faut parler aux 60% de déçus ». On peut s’étonner que lui, d’habitude mieux inspiré, ne comprenne pas que c’est l’Union en tant que telle qui est rejetée, l’Union en tant que négatrice de la véritable Europe, celle des mille et une diversités, celle qui n’apparaît même pas sur les billets de la monnaie commune. 

    Non, l’Union n’est pas l’Europe mais une caricature pitoyable, avant tout héritière de la CECA et de la C.E.E. Quand on entend, après tant d’autres du même tonneau, M. Moscovici, Commissaire européen, s’exprimer sur les ondes de France Inter (26 mai), on comprend vite ce qu’est, ou plutôt ce qu’a vocation à être cette Union européenne : un « euroland » fédéral et libéral, partenaire soumis des Etats-Unis d’Amérique et complètement déconnecté des réalités humaines, culturelles, religieuses et historiques de la vieille et authentique Europe. Cette Europe-là veut vivre. C’est ce que montre semaine après semaine une poussée populiste qui, malgré les inévitables excès et dérives, est l’expression de l’âme même de l’Europe.

     

  • Le scandale LuxLeaks, ou la victoire de l'escroc Juncker

     

    par Jean-Philippe Chauvin

     

    arton8470-7b8cd.jpgC’est un procès qui est passé (presque) inaperçu, peut-être parce qu’il se déroulait au Luxembourg. Bien qu’un journaliste français ait été poursuivi dans cette affaire, le verdict n’a guère ému le pouvoir ni les partis politiques français qui, depuis quelques jours, ne cessent de déplorer le peu d’amour des citoyens envers l’Union européenne. Pourtant, il aurait dû, si la logique (ou la morale ?) avait été respectée : l’UE ne se veut-elle pas un modèle de justice et de transparence, un Etat de Droit (sans Etat propre d’ailleurs, mais plutôt un ensemble d’Etats) et la terre d’accueil de tous ceux qui fuient les traitements et les jugements inéquitables ? 

    En fait, le procès concernait ce que l’on appelle des « lanceurs d’alerte » qui avaient signalé un système de fraude généralisée qui a coûté des dizaines de milliards d’euros aux Etats de l’UE au profit de quelques multinationales et banques peu délicates et oublieuses de leur devoir fiscal de solidarité, mais aussi au profit du Luxembourg, membre de l’Union. Trois personnes étaient ainsi traînées devant le tribunal du Luxembourg au nom du « secret professionnel et du secret des affaires », et deux d’entre elles ont été condamnées pour « vol de données, fraude informatique et divulgation du secret des affaires », tandis que le journaliste français était acquitté : comme le signale Le Monde dans son édition du vendredi 1er juillet « Edouard Perrin n’a fait que son travail de journaliste (pour l’émission « Cash investigation » d’Elise Lucet), conclut le jugement du tribunal. Une vision que le parquet du Luxembourg ne partageait pas, estimant que « la liberté d’expression journalistique » ne devait pas primer sur le respect « du secret professionnel », quand bien même il serait le témoin de « pratiques douteuses ». » Ironie du propos du parquet, à l’heure où les administrations et les Etats, mais aussi les banques et les réseaux sociaux ne laissent plus rien de « secret » à la vie privée des familles et des personnes, malgré les protestations de nombreuses personnes qui souhaiteraient conserver un peu de discrétion, voire de pudeur, dans ce monde hyperconnecté… 

    La condamnation des deux lanceurs d’alerte, elle, nous rappelle aussi que, dans cette Union européenne, ce qui compte d’abord, c’est le profit, l’Argent, les intérêts privés de quelques grandes sociétés ou des actionnaires, plutôt que le bien-être des peuples, la solidarité fiscale et la simple justice sociale. 

    Est-ce un hasard si cette affaire, débutée il y a quelques années et que l’on a nommée « LuxLeaks », avait « provoqué un vaste scandale qui avait touché jusqu’à Jean-Claude Juncker, l’ancien premier ministre luxembourgeois et actuel président de la Commission européenne » ? C’est ce qu’évoque un livre publié il y a peu sous la signature de Mme Eva Joly et intitulé « Le loup dans la bergerie », livre qui met en cause celui qui est effectivement le président de la Commission européenne alors qu’il devrait être, peut-être en prison, au moins à l’écart des institutions européennes si l’on veut qu’elles aient quelque crédit près des contribuables qui sont aussi des citoyens… 

    « Le jugement « LuxLeaks » est d’autant plus intéressant qu’il revient sur le débat qui avait opposé, en avril, la société civile à la directive sur le secret des affaires débattue à Strasbourg. Les ONG avaient vivement dénoncé un texte qui menaçait, selon eux, les lanceurs d’alerte. Le tribunal du Luxembourg semble leur donner raison. « La nouvelle proposition de directive sur le secret d’affaires adoptée par le Parlement européen entend encore resserrer le cadre de cette protection du lanceur d’alerte et augmenter la protection du secret d’affaires au niveau européen. » » Ainsi, non seulement la Commission européenne est présidée par un escroc notoire qui a coûté des milliards d’euros aux budgets nationaux des pays de l’Union, mais le Parlement européen, issu du vote des citoyens de l’Union (malgré une forte abstention récurrente), s’en fait le complice en durcissant la protection du secret d’affaires, non pour éviter l’espionnage industriel ou le délit d’initié, mais pour préserver les intérêts de quelques aigrefins de la Finance… 

    De plus, comme le souligne l’article du quotidien Le Monde, « si ni le droit luxembourgeois ni le droit français ne protègent les lanceurs d’alerte, les juges (du tribunal du Luxembourg) estiment que le droit européen ne le fait, aujourd’hui, pas davantage » : n’est-ce pas incroyable ? Pourtant, c’est bien la réalité et celle-ci ne profite pas au plus grand nombre des Européens… 

    Cette affaire et ce jugement sont terriblement révélateurs des failles, voire des fautes de l’Union européenne ou, du moins, des institutions qui la régentent. Tant qu’il n’y sera pas mis bon ordre, par l’action des Etats au travers du Conseil européen, ou par celle des parlementaires de Bruxelles et de Strasbourg (mais le veulent-ils vraiment ? Rien n’est moins sûr…), l’Union européenne apparaîtra toujours comme le règne des Puissants et de l’Argent-Maître, et elle ne sera pas aimée des peuples et des travailleurs, de ces gens honnêtes qui peuvent soutenir ou à l’inverse, par leur colère électorale, assommer les institutions et leurs servants, comme vient de le démontrer le récent vote des Britanniques… 

    Le blog de Jean-Philippe Chauvin

  • Pourquoi pas la France ?

     

    par Hilaire de Crémiers

    L'éditorial du numéro d'été de Politique magazine - encore à paraître, avec un dossier très attendu sur les royalistes français aujourd'hui. Naturellement, nous y reviendrons.  LFAR

     

    157e493dd19d0d2ee135205f081739f9_Hilaire.jpgLe 24 juin 2016 restera dans les annales européennes. Le peuple anglais a manifesté sa liberté. Comme toujours. C’est le vrai fond du peuple anglais qui a parlé ; les médias, surtout en France, ont bien insisté et avec tout ce qu’il fallait de mépris sur le caractère profondément enraciné de ce vote : un vote de bouseux et de petites gens. Toute personne un tant soit peu cultivée et de simple bon sens a parfaitement compris ce qui s’est passé : l’Angleterre historique, celle qui refuse de sortir de l’histoire, s’est exprimée. England for ever. Personne ne lui dicte sa loi ; elle se la donne à elle- même ; c’est la règle de son histoire, une constante à travers les siècles. Ni des rois trop étrangers, ni Napoléon, ni Hitler, ni l’Europe apatride et donneuse de leçons n’en sont venus à bout.

    Depuis la Grande Charte, c’est ainsi. L’Angleterre d’aujourd’hui demeure encore et toujours l’Angleterre. Son vote est culturel et historique. En dépit de toutes les menaces, elle a tenu bon. Même le chantage au « fric » n’a pas marché, dans cette nation de commerçants et de banquiers. Eh bien, il nous est bon pour nous Français qu’elle nous surprenne. Si elle pouvait nous réveiller !

    Et pourtant ! Aussitôt ce fut un déferlement de haine et de prédictions apocalyptiques. Principalement de la part des Français, de nos dirigeants, de nos commentateurs patentés, avec cette morgue insupportable qui est leur marque de fabrique à tous. Ils allaient jusqu’à plaindre les Anglais, à récuser le principe de ce référendum. Maintenant c’était un devoir de les châtier, et vite, pour qu’ils comprennent, pour l’exemple aussi, pour que leur faute – leur péché ! – ne donnât point de mauvaises idées aux autres élèves indisciplinés de la classe européenne dont Hollande se considère – ça fait rire tout le monde – comme le « magister » : il a le savoir et il détient la baguette et le bonnet d’âne ! Du moins le croit-il.

    Avec son air affecté de « prof d’école », sa rhétorique hésitante de « faux curé », il faut le voir et l’entendre distribuer les bons et les mauvais points. Il va même, tout en parlant de renvoi nécessaire et immédiat, jusqu’à suggérer à l’Angleterre de venir à résipiscence, au motif qu’il y aurait des réactions à Londres, en Écosse et en Irlande. Bien sûr, mais, là aussi, c’est typiquement historique et l’Angleterre, elle, connaît tout ça et depuis longtemps. Elle a le temps devant elle ; elle est une monarchie. Donc, là encore, elle prendra son temps. David Cameron l’a lui-même annoncé à son dernier conseil européen du 28 juin.

    Ce n’est pas le ridicule Hollande qui lui dictera son agenda. Les Anglais agiront à leur façon, quand ils voudront, selon les possibilités et les circonstances, et selon surtout leur intérêt le plus pragmatique, comme ils l’ont toujours fait. Ils étaient déjà dans l’Europe comme n’y étant pas et avaient obtenu toutes les dérogations qu’ils avaient réclamées. Ils continueront sur la même voie. Pourquoi se gêneraient-ils ?

    C’est la France qui devrait avoir peur. Les affaires françaises vont très mal. Hollande aura beau dire, son « ça va mieux » n’a aucun sens. Il est incapable de diriger chez lui ; ses lois sont toutes contestées. Il épuise la nation. L’état lamentable de ses finances le met à la merci des moindres secousses politiques, diplomatiques, économiques, sociales et financières avec les risques d’un terrorisme omniprésent. Il en est réduit à courir après Merkel, faisant de l’Europe allemande la seule issue à son euromanie par laquelle il compte rebondir en grand défenseur de l’Europe pour la prochaine campagne électorale.

    Tout lui sert. Pro-Europe, anti-Europe, voilà sa dialectique. Il s’est trouvé ainsi ses adversaires, il polit son argumentaire, il choisit son angle d’attaque, indécrottable politicien, semblable à tous les autres, ses concurrents ! Est-ce cela la tradition française ? Cet abject système qui broie la France ? Ah non ! Tous ceux qui en vivent veulent nous le faire croire. Or, rien n’est plus opposé à notre génie. Nous aussi, nous Français, autant que les Anglais, plus qu’eux peut-être, nous avons une histoire et qui porte, elle aussi, sa leçon d’éternelle reviviscence. Elle est nationale, elle est royale.

    Il en est qui s’en souviennent. Le dossier de Politique magazine de cet été les présente. Et si la France voulait bien chercher dans cette direction, ne pourrait-elle pas avec intelligence et force, après le désastre annoncé, renouer avec son histoire pour se préparer un meilleur avenir ? 

  • Jean-Pierre Chevènement : « L'Angleterre a montré encore une fois son esprit d'indépendance »

     

    Par Jean-Pierre Chevènement  

    L'ancien ministre appelle les dirigeants des vingt-sept pays européens de l'Union à accueillir sans esprit vindicatif  la décision souveraine du peuple britannique. [Figarovox, 25.06]. C'est, selon les apparences, le contraire qui a été fait. A tort et en vain car, de toute façon, dans ou hors de l'Europe, la politique anglaise est inchangée.  LFAR

     

    XVM7593795a-3a01-11e6-a969-bc4d164fc184.jpgLe peuple britannique n'a pas cédé au chantage et à la peur orchestrés par les milieux financiers dominants. Son vote courageux a montré qu'il mettait la démocratie, c'est-à-dire le contrôle des décisions qui le concernent,  au-dessus de tout. L'Angleterre a montré encore une fois son esprit d'indépendance et son caractère qui est justement ce pour quoi nous l'aimons. De Gaulle avait raison : elle continue de vivre au rythme de l'anglosphère et du monde, même si son peuple est incontestablement un grand peuple européen.

    Je demande aux dirigeants des vingt-sept pays européens de l'Union d'accueillir avec fair-play et sans esprit vindicatif la décision souveraine du peuple britannique. La négociation d'un statut d'association de la Grande-Bretagne au marché unique européen, sur le modèle norvégien, peut intervenir dans les deux ans qui viennent, délai donné par l'article 50 des traités européens. Je rappelle que la Norvège, avec une population  de 5 millions d'habitants (onze fois moins que la Grande-Bretagne), acquitte, pour avoir accès au marché unique, une contribution annuelle de 432 millions d'euros.

    Allons à l'essentiel : le Brexit peut être un service rendu à l'Europe. Il doit donner une deuxième chance à l'idée européenne : celle d'une refondation démocratique qui articulerait la démocratie qui vit dans les nations avec une démocratie européenne qui reste à construire. Il me paraît clair qu'il faut outiller la seule instance européenne aujourd'hui démocratiquement légitime : le Conseil européen, qui réunit les chefs d'État et de gouvernement, afin qu'il dispose des services lui permettant de préparer et de suivre ses décisions. La Commission verrait ainsi redéfinir ses missions. Il faudra surtout restreindre le champ des interventions européennes à l'essentiel et laisser respirer la démocratie.

    La deuxième réforme fondamentale à mes yeux est celle du Parlement européen. Celui-ci doit procéder des Parlements nationaux où vit la démocratie représentative fondée sur le sentiment de l'appartenance nationale. Il faut créer un continuum entre les démocraties nationales et une démocratie européenne qui reste, pour l'essentiel, à construire. Car il faut assurer un contrôle démocratique de l'exercice des compétences déléguées.

    Je demande la réunion à bref délai d'une conférence chargée de redéfinir les institutions européennes et de repenser le modèle de développement qui résulte notamment du traité budgétaire dit TSCG de 2012 qui plombe la croissance européenne. Le modèle mercantiliste allemand (l'excédent extérieur correspond à plus de 10 % du PIB) est intransposable aux autres pays européens. Il faut concevoir un modèle européen de développement où l'Allemagne met ses surplus au service de la croissance européenne… et allemande.

    Cette conférence européenne pourrait s'inspirer d'un précédent : celui de la conférence de Messine qui, après l'échec de la Communauté européenne de défense (CED), a permis, en 1955, de remettre l'Europe sur les rails et de préparer le traité de Rome. Cette conférence se tiendrait à vingt-sept, avec  un statut spécial d'observateur pour la Grande-Bretagne. Il faut en effet voir large et voir loin.

    N'oublions pas que le peuple britannique est un grand peuple européen et que nous partageons avec lui de très nombreux intérêts communs, notamment dans le domaine de la sécurité, si important aujourd'hui. Pour faire face aux nouvelles menaces et poursuivre notre coopération notamment nucléaire, nous avons besoin de la Grande-Bretagne.

    Bien entendu, la Grande-Bretagne, le moment venu, aura toute sa place dans ce que le général de Gaulle appelait « une Europe européenne », c'est-à-dire une Europe capable d'exister stratégiquement  par elle-même et pour elle-même, dans le monde du XXIe siècle. Une Europe forte sera nécessaire pour que nous ne soyons pas étouffés dans les pinces du « G2 ». Un monde multipolaire est de l'intérêt de tous. 

    Jean-Pierre Chevènement 

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  • Que dit Zemmour du Brexit ? « Une nouvelle Révolution poussée par les vents d’Ouest. Mais une contre-révolution »

     

    par Éric Zemmour, Loïc Farge, 

    Zemmour prononce ici les mots essentiels : « Une révolution ... mais une contre-révolution. » Une analyse qui, ainsi entendue, devrait intéresser directement les royalistes, notamment l'Action française, et, plus largement, ceux qui oeuvrent à la pérennité de la nation française et prônent une contre-révolution sociale et politique. LFAR 

     

    Le vote anglais en faveur de la sortie de l'Union européenne continue de faire grand bruit et de susciter de nombreuses réactions.

    "Il faut sans doute remonter aux guerres de Napoléon ou à la bataille de Mers-El Kebir en 1940, pour retrouver en France un tel déferlement de haine anglophobe", explique Éric Zemmour après le vote des Anglais en faveur du Brexit. Il note que "les élites françaises, politiques, médiatiques, économiques, artistiques, intellectuelles, sont tombées sur le prolo anglais avec une hargne inédite". Mais pour le journaliste, ce Brexit "doit être ajouté au triomphe de Donald Trump aux primaires américaines, lorsqu'il a imposé à l’établissement du parti Républicain et aux médias un discours hostile au libre-échange, à Wall Street et à l’immigration".

    Selon lui, nous vivons "une nouvelle Révolution poussée par les vents d’Ouest. Mais une contre-révolution". À ses yeux, "cette insurrection venue des peuples menace les élites occidentales, leurs privilèges, leurs certitudes, leurs idéaux aussi. Leur hargne face au Brexit indique qu’elles sont décidés à vendre chèrement leur peau". 

     


     Éric Zemmour, Loïc Farge

     

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  • Mathieu Slama : « Le grand drame de la modernité »

     

    Mathieu Slama, essayiste, vient de publier son premier livre : La guerre des mondes : réflexions sur la croisade idéologique de Poutine contre l’Occident. Nous publions d'autant plus volontiers l'entretien qu'il vient de donner à Boulevard Voltaire [23.06] qu'il y exprime des idées tout à fait essentielles qui sont nôtres et qu'en peu de mots il définit la nature de l'affrontement entre la modernité et la tradition. Soit, « deux grandes visions du monde concurrentes : le monde libéral d’un côté, exaltant l’individu et son émancipation ; et le monde de la tradition, exaltant la communauté et l’enracinement. » Qu'on veuille bien lire cet entretien et l'on comprendra davantage encore pourquoi nous avons écrit le 27 mai dernier, à propos de son premier livre : « Nous prévenons les lecteurs de Lafautearousseau; ces réflexions sont importantes. Il faudra être attentifs désormais aux publications de Mathieu Slama ! ». Nous confirmons. LFAR 

     

    sans-titre.pngVous parlez d’une croisade de Moscou contre l’Occident, mais l’offensive n’est-elle pas plutôt menée par les États-Unis, Poutine se bornant à défendre les traditions ?

    Il y a sans doute une part de provocation dans le choix du mot « croisade », mais aussi deux raisons essentielles : d’abord, Poutine lui-même a décidé, depuis quelques années, de s’attaquer frontalement au modèle libéral des sociétés occidentales. Non seulement il défend les valeurs traditionnelles de la Russie, mais il s’en prend explicitement aux pays euro-atlantiques, et à l’Europe tout particulièrement, qu’il accuse de rejeter ses racines et de tomber dans le « primitivisme », au mépris des « valeurs spirituelles de l’humanité ». Ensuite, le mot « croisade » contient une dimension éminemment religieuse, et il se trouve que c’est aussi sur ce terrain que Poutine s’en prend à l’Occident. Défendant « les valeurs de la famille traditionnelle, de la vie humaine authentique, y compris de la vie religieuse des individus », il s’est attaqué à plusieurs reprises à la conception européenne de la laïcité. On connaît aussi sa proximité affichée avec l’Église orthodoxe, qu’il lie étroitement, dans ses discours, au destin national de la Russie. 

    Voici l’intuition de mon livre : ce qui se joue dans le conflit entre Poutine et les pays occidentaux est bien plus fondamental qu’un simple conflit d’intérêts sur les dossiers syrien ou ukrainien. Il y a, en arrière-plan de tout cela, le retour d’un vieil affrontement entre deux grandes visions du monde concurrentes : le monde libéral d’un côté, exaltant l’individu et son émancipation ; et le monde de la tradition, exaltant la communauté et l’enracinement.

    Vous présentez Poutine comme une personnalité attachée à l’égalité entre les nations. Mais est-il vraiment cet apôtre du droit international et de la non-ingérence ? Nous pensons à la Géorgie, à l’Ukraine. Stratégie rhétorique ?

    Un des mots les plus souvent utilisés par Poutine est « diversité du monde ». Dans son discours, l’Occident se rend coupable de vouloir modeler le monde à son image. Il y a là un argument essentiel qu’il faut entendre (stratégie rhétorique ou non) : l’Occident est persuadé que son modèle libéral est applicable au monde entier. Il suffit de feuilleter les reportages dans les médias français sur l’Iran, par exemple : on célèbre ce pays parce qu’il s’occidentalise ! Mais on crie à l’obscurantisme dès qu’il s’agit d’évoquer ses composantes traditionnelles. C’est tout le paradoxe de nos sociétés libérales : nous exaltons l’Autre mais ce n’est que pour annihiler son altérité. Il y a, dans cet universalisme occidental, un mélange d’incompréhension et de mépris. Cet universalisme est aussi dangereux quand il se transforme en action extérieure (cf. les ingérences occidentales catastrophiques au Moyen-Orient).

    En revanche, il est exact que Poutine ne s’applique pas forcément cette règle de non-ingérence. Poutine n’est pas un saint : il y a, chez lui, une ambition impériale, liée à une volonté de protéger les intérêts stratégiques de la Russie face à une Amérique agressive et intrusive. Comme le disait Soljenitsyne, qui s’inquiétait du renouveau impérialiste russe, plutôt que de chercher à s’étendre, la Russie devrait plutôt s’attacher à conserver l’âme du territoire qu’il lui reste. 

    Faisant l’éloge de l’enracinement, vous prenez l’exemple de Bilbo, un Hobbit frileux à l’idée de quitter sa terre natale pour partir à l’aventure. Attachement que vous qualifiez de « noble ». Or, il me semble plutôt que les Hobbits incarnent cette prudence petite-bourgeoise, aux antipodes de la vraie noblesse qui est lutte pour la vie, mépris du confort matériel et passion pour les équipées lointaines.

    Pour illustrer les limites du modèle libéral occidental, j’évoque, en effet, la belle parabole de Tolkien sur le combat de plusieurs communautés fictives qui luttent pour leur survie face à un ennemi technicien et guerrier. Les Hobbits sont des personnages intéressants car ils vivent en vase clos, selon des rites traditionnels immémoriaux. Ils partent à l’aventure à contrecœur, ayant sans cesse la nostalgie de leur terre durant leur voyage. C’est cette nostalgie que je trouve formidable, parce qu’elle représente tout ce que nous avons perdu en Occident. Le rapport à la terre, au lieu, comme disait Levinas, le sens de la mesure, la perpétuation de vieilles traditions qui donnent un sens à notre existence : tout cela ne veut plus rien dire pour nous autres Occidentaux. Les Européens ne comprennent plus qu’un seul langage, celui des libertés individuelles. C’est cela, le grand drame de la modernité.

    Entretien réalisé par Romain d’Aspremont 

    Essayiste
     
     
  • Roger Scruton : « Le Brexit est un choix éminemment culturel »

     

    Par Vincent Trémolet de Villers

    Le grand philosophe britannique Roger Scruton* justifie le choix de ses compatriotes, qui assimilent le projet européen à la disparition de l'État-nation. Il s'en entretient avec Vincent Trémolet de Villers [Figarovox 28.06]. Et nous sommes en accord profond avec sa vision de l'Europe : celle des peuples, des nations et des Etats.  LFAR 

     

    Images-stories-Photos-roger_scruton_16_70dpi_photographer_by_pete_helme-267x397.jpgQue vous inspire le vote des Britanniques ?

    Je suis fier de nos concitoyens. Ils ont eu le courage de déclarer leur volonté de se gouverner eux-mêmes. Ils ont dit clairement qu'ils voulaient reprendre le contrôle de leur pays. Je suis fier, mais je suis inquiet aussi. Nous allons subir, je le crains, de nombreuses tentatives qui viseront à faire annuler ce résultat ou à en réduire les effets. Je crains aussi que le Royaume-Uni se fragmente. La vérité est que le choix qui nous a été proposé n'était pas de mon point de vue le plus judicieux.

    À la dialectique imposée : « Voulez-vous quitter ou rester dans l'Union européenne ? » nous aurions dû préférer une troisième possibilité : la rédaction d'un nouveau traité, adapté à la situation de l'Europe d'aujourd'hui. Traité que nous aurions pu soumettre à toutes les nations pour qu'elles y souscrivent.

    Comment expliquez-vous le choix des électeurs. Est-il économique ou culturel ?

    C'est un choix éminemment culturel. Les électeurs ont réagi contre deux effets de l'Union : la nécessité de vivre sous des lois imposées de dehors et la nécessité d'accepter des vagues d'immigrés de l'Europe - surtout de l'Europe de l'Est - dans des quantités qui menacent l'identité de la nation et sa cohésion. Ils veulent reprendre en main le destin de leur nation. C'est la cause profonde de ce vote.

    L'Union européenne est-elle, selon vous, un projet politique condamné à la dislocation ?

    C'est une évidence. Ce projet n'a jamais vraiment reçu l'approbation du peuple européen et il érode la partie la plus essentielle de notre héritage politique : l'État-nation. La motivation de ceux qui ont initié le projet d'union - Jean Monnet surtout - était alimentée par une peur de l'État-nation qui débouchait forcément sur le nationalisme. Pour Monnet il n'y a pas de nationalisme sans hostilité envers les autres nations. Lui et ses associés ont décidé, sans l'assentiment des peuples européens, d'abolir les frontières, de diminuer la souveraineté nationale et de créer une union politique. Les gens ordinaires, au départ, n'ont cru qu'à une entente commerciale. « Communauté de l'acier et du charbon », le projet, à l'origine, n'était présenté que sous ce type de forme. Petit à petit la mesure des ambitions des fondateurs s'est révélée, l'élargissement impressionnant a donné au projet une dimension préoccupante et chaque mouvement de résistance a été neutralisé par des manœuvres non démocratiques. La plus choquante fut le traité de Lisbonne voté par les parlements des pays européens et parfois même, comme en France, contre le choix exprimé, dans les urnes, par le peuple.

    Pour Monnet et sa génération, la nation c'était la guerre…

    Si, dans notre histoire, des formes de nationalisme ont menacé la paix du continent (celui de la France révolutionnaire, par exemple, et surtout celui des Allemands au XXe siècle), d'autres formes de nationalisme ont, à l'inverse, contribué à la paix de la Vieille Europe. Je pense, par exemple, à celui des Polonais, des Tchèques et peut-être, si j'ose le dire, celui des Anglais, sans lequel les nazis n'auraient pas été vaincus. Tout dépend de la culture politique et militaire du pays. Je sais bien que la culture de « soft power » que nous associons à l'UE est souvent louée comme un instrument de paix : mais les événements en Ukraine nous ont montré que ce genre de puissance est très peu efficace. Les dangers qui nous entourent aujourd'hui exigent que nous retrouvions les moyens de nous défendre, et la restauration des frontières nationales en est la condition sine qua non.

    Les campagnes ont voté contre les villes…

    Il ne faut pas exagérer : pas contre les villes, mais dans un autre sens que les villes. Dans un petit pays comme le nôtre, la campagne est le symbole de la nation. Sa paix, sa beauté : c'est ce qui est vraiment nôtre. Ceux qui habitent la campagne ont payé cher pour pouvoir y vivre. Ils craignent aujourd'hui de perdre ce qui fait leur environnement, leur identité. Chez eux, le sentiment d'appartenance est bien plus vivace que chez les habitants des villes. Partout en Europe, les gens ordinaires ont perdu confiance dans l'élite politique. Cette défiance se manifeste plus vivement dans la campagne que dans les villes. La cause profonde est sociologique. Être attaché au local, au lopin de terre, à une sociabilité immédiate (celle des villages) nous éveille à l'hypocrisie et aux mensonges de ceux qui peuvent facilement changer leur mode de vie et l'endroit où ils poursuivent leur existence. Ces derniers sont facilement accusés, par ceux qui n'ont que la terre où ils se sont enracinés, de « trahison des clercs ». C'est, bien entendu, une vue réductrice d'une question complexe mais c'est cette vue qui permet de comprendre la fracture qui existe entre le peuple et les élites.

    Croyez-vous au sens de l'histoire ?

    L'idée qu'il y a un « sens » de l'histoire est, pour moi, peu convaincante. Bien sûr, les philosophes allemands,  sous l'influence de Hegel, ont essayé de créer un récit linéaire, qui mène d'une époque à la suivante par une espèce d'argumentation logique. Et peut-être, pour la durée du XIXe siècle, l'histoire européenne avait une certaine logique, étant donné que l'Europe était un système de pouvoir autonome et dominant le monde entier. Maintenant, sous l'effet des forces émanant du Moyen-Orient, de la Chine, des États-Unis, etc., l'Europe se trouve de nouveau dans la condition des autres peuples : sans aucun sens, à part celui qu'elle peut trouver pour elle-même. Malgré cette nouvelle donne, l'élite des institutions de l'UE continue de rejeter les inquiétudes identitaires des gens ordinaires. Pour preuve, ils ont présenté un projet débarrassé des références chrétiennes et niant la validité des nations. Le résultat se voit partout en Europe - une désorientation du peuple, et une révolte électorale contre une classe politique qui pour une grande part de l'opinion publique a perdu tout crédit. 

    *Philosophe de l'esthétique, Roger Scruton a notamment enseigné à Oxford et à la Boston University. La traduction de son essai  How to Be Conservative doit paraître à l'automne aux Éditions de l'Artilleur.

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    Vincent Tremolet de Villers

  • Encore un coup des xénophobes !

     

    Par Natacha Polony          

    Dans cette chronique [Figarovox 25.06] Natacha Polony développe sa réflexion - déjà fort intéressante en soi - en deux points : Le vote pour la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne n'est pas un signe de xénophobie. Et, d'autre part, le commencement d'une construction de l'Europe des peuples et des nations serait la traduction politique d'une grande civilisation. Nous n'avons jamais été opposés et sommes même favorables à une telle démarche.  LFAR

     

    brexit-royaume-uni-immigration-europe.jpgIls sont de retour. Les xénophobes, les racistes, ceux qui avaient accompagné le résultat du 29 mai 2005. Ceux qui courent à longueur d'éditoriaux ou de discours, sous la plume de Bernard-Henri Lévy ou de Franz-Olivier Giesbert, dans la voix de Jacques Attali ou de Pascal Lamy. Le peuple a voté, qu'il soit britannique aujourd'hui ou français hier, il a mal voté, il est donc xénophobe. Raciste, même. Voter pour la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, c'est militer pour la hiérarchie entre les races.

    Voilà déjà longtemps que les tenants de la « seule politique possible » usent de ces notions de racisme et de xénophobie - user étant bien le terme - pour éviter de débattre de la nature et des motivations de leurs choix économiques et politiques. Évidemment, on aurait des raisons non négligeables de soupçonner une entourloupe idéologique, particulièrement de la part de gens qui nous expliquaient il y a peu que la Grande-Bretagne était un modèle de prospérité économique dont nous ferions bien - paresseux et réactionnaires que nous sommes - de nous inspirer, et qui affirment aujourd'hui avec gravité que le vote pro-Brexit n'est qu'une réponse un peu trop éruptive d'une classe ouvrière déboussolée par la crise. Et l'on connaît la suite : qui dit crise, dit besoin de boucs émissaires, dit flambée raciste contre les immigrés…

    Qu'il existe dans tous les pays d'Europe (comme dans toute l'humanité, faut-il le rappeler ?) des racistes rêvant de préserver une supposée pureté, personne ne le niera. Mais voter contre l'Union européenne est-il une marque de xénophobie ? Et, question corollaire, voter pour l'Union européenne relève-t-il de l'amour de l'Autre et, plus largement, de l'adhésion à une citoyenneté européenne ? Et d'ailleurs, citoyenneté ou identité ?

    Ceux qui nous vendent aujourd'hui une Union européenne essentiellement occupée à organiser la libre circulation des profits vers le paradis fiscal luxembourgeois et la libre circulation des travailleurs détachés vers des lieux où les protections sociales sont scandaleusement garanties vont-ils nous expliquer enfin quelle est leur définition de l'Europe ? De fait, on n'en trouve pas trace dans les traités précédemment signés.

    L'Europe est-elle cette civilisation qui naît sur les ruines de l'Empire romain, dans des royaumes convertis de justesse au catholicisme après un passage par l'arianisme ? Doit-on garder le souvenir de la frontière marquée par les missions de Cyrille et Méthode qui la partage entre monde grec et monde latin, cette frontière qui a ressurgi quand l'Allemagne et le Vatican ont reconnu de manière unilatérale la Croatie (catholique et pro-allemande) qui voulait se séparer de la Serbie (orthodoxe et slave) ? L'identité de l'Europe est-elle dans cette communauté de penseurs humanistes qui, après 1453 et la prise de Constantinople par les Turcs, ont redécouvert l'Antiquité grâce aux lettrés byzantins ? Est-elle dans le libéralisme d'Adam Smith ou la déconstruction cartésienne, dans les Lumières de Montesquieu ou dans celles de Kant ?

    Il est curieux que les contempteurs de la xénophobie soient justement ceux qui effacent consciencieusement cette histoire complexe de la civilisation européenne. Ni souvenir lointain de Rome et d'Athènes, ni royaumes chrétiens… surtout pas ! On risquerait de constater que la Turquie, décidément, n'a rien à faire dans l'Europe. On pourrait s'apercevoir que la France a au moins autant à voir avec les pays du pourtour méditerranéen, le Mare Nostrum des Romains, qu'avec les tolérants et froids scandinaves. Bref, mieux vaut nier l'autre, les autres, effacer leur histoire, pour permettre le grand marché. Nier l'histoire spécifique de la Grande-Bretagne, et même accuser le peuple le plus tourné vers le monde d'être désormais fermé sur lui-même. Un comble !

    La négation des nations européennes et de leur histoire, maquillée en lutte contre la xénophobie, ne saurait se prévaloir d'une quelconque « ouverture à l'autre » (surtout de la part de gens qui ont soutenu et parfois suscité les guerres les plus hasardeuses et dont les réfugiés qui frappent aux portes de l'Europe sont les tristes témoins), pas plus que la négation des langues européennes au profit d'un « globish » de technocrates et de financiers ne saurait se faire passer pour un amour de l'Europe et de sa civilisation. Respecter la différence, c'est construire l'Europe sur l'articulation de ses différences et la liberté de ses peuples. C'est se souvenir que le peuple anglais n'a jamais eu besoin des leçons des élites françaises pour résister aux folies meurtrières.

    Mais la vérité, c'est que la globalisation, unique programme de l'Union européenne, déteste les différences et s'accommode mal de l'esprit des peuples et de l'histoire des nations. Alors, remercions les Anglais qui, une fois de plus, nous ont rappelés aux devoirs des grands pays. « Ce n'est pas la fin, disait Churchill en 1942, ni même le commencement de la fin, mais c'est peut-être la fin du commencement. » Le commencement d'une construction de l'Europe des peuples et des nations, traduction politique d'une grande civilisation. 

    Natacha Polony           

  • Trop attendrissant, n'est-ce pas ? Ces gens-là sont des sentimentaux, à l'évidence !

    Jean-Claude Juncker et Pierre Moscovici, le 27 juin 2016 - Crédits photo : FRANCOIS LENOIR/REUTERS

  • Brexit : la seule panique est dans les médias

     

    Une analyse pertinente de Patrice de Plunkett   [25.06]

     

    hqdefault.jpgComment peuvent-ils dire que la campagne du "out" s'est faite sous le signe de la peur ? C'est celle du "in" qui a voulu terroriser le votant ! (sans succès, le peuple anglais n'étant pas facile à terroriser). Et la campagne de peur continue : cette fois à la télévision française.

    Il fallait voir le spectacle toute la journée d'hier. Nos commentateurs étaient courroucés. Certains en perdaient le souffle. Les présentatrices prenaient de petits airs sarcastiques. Des experts jetaient en l'air rageusement la liste de "tous les problèmes à résoudre maintenant", comme si la vie politique ne consistait pas à résoudre des problèmes. Sur iTélé et BFM, le défilé des breaking news (comme disent nos newsrooms) annonçait en boucle la "panique" et le "tremblement de terre" boursiers... alors que les chiffres ne montraient rien de tel, surtout pas à Londres où la Bourse ne perdait que 3 points. La crise de nerfs annoncée ne se produisait que dans les équipes rédactionnelles.

    Pourquoi cette attitude ? Parce que jusqu'ici l'irréversibilité de "l'Europe" formait l'univers mental des médias. Ils étaient habitués depuis plusieurs dizaines d'années à distribuer l'éloge et le blâme : comme dit Hubert Védrine, l'UE était le bien, critiquer l'UE était le mal. Etre "européen" faisait partie d'un ensemble normatif : "je suis féministe [*] et européenne", tranchait Marie Darrieussecq il y a vingt ans. (Pour n'être pas "européen", il fallait être un déviant, suspect de vouloir nous ramener au temps des guerres : toujours déclenchées par "le nationalisme", évidemment jamais par les intérêts économiques transnationaux). L'européisme était plus qu'une opinion : c'était un bain amniotique. Soudain le bain amniotique disparaît. "L'Europe" n'est plus irréversible. Nos journalistes se retrouvent dans l'air froid des réalités. Ils prennent mal. Leur organisme se révolte. 

    D'où les choses stupéfiantes que l'on entendait hier, non de la part des invités politiques (circonspects) mais de celle des journalistes. Certains n'hésitaient pas à prôner une "attitude ferme" à l'encontre de l'Angleterre : ils parlaient de "sanctions dures", de "procédure accélérée". On sentait chez eux une forte envie de casser la vaisselle et de déchirer les rideaux en poussant des cris, symptôme de l'état mental des leaders d'opinion. Centre nerveux de la postdémocratie, nos médias ne supportent pas la réalité ; ils n'existent que pour la conjurer, l'exorciser, la rejeter au loin. L'individu postmoderne s'accomplit dans le déni de réalité : être "européen" [**], pour lui, fait partie du même ensemble qu'être transhumaniste ou agro-industriel OGM ; c'est refouler la réalité que l'on refoule aussi sur le plan anthropologique et environnemental.

    Voilà pourquoi l'acte des Anglais paraît indécent et inadmissible à nos commentateurs. Ils se sentent mis en cause au tréfonds de leur être : les écoles de journalisme ne les avaient pas éduqués dans ces idées-là. 

    P.S. Bien entendu, le Brexit en soi reste un fait ambigu

    _______________

    [*] "féministe" au sens bobo, bien sûr : tournant le dos à toute anthropologie.

    [**] au sens bobo.  

    Patrice de Plunkett : le blog

  • Brexit : Il se pourrait que l'Europe de Bruxelles soit déjà morte sans le savoir ...

     

    Par Lafautearousseau

     

    logo lfar.jpgAinsi, les bourses avaient voté. Et l’ensemble des médias, la presque totalité des semble élites, et - jusqu’au ridicule - les peurs, les conformismes, les habitudes, les libéraux et les modernes, les idolâtres des marchés, bref les avertis, contre les peuples ignorants. Et, bien-sûr, les fonctionnaires de Bruxelles et leurs relais dispersés à travers l’Europe, bien décidés à défendre âprement leurs rentes, leurs situations, leurs privilèges et leurs retraites. Cela faisait beaucoup de monde, et de grandes forces, dressées contre cette sorte de liberté d’un jour que s’était donné le vieux Royaume britannique – que l’on fût Remain ou Brexit -  de choisir entre son identité et son histoire et sa fusion dans le magma mondialiste dont l’UE n’est qu’une étape, vers la gouvernance mondiale, façon Attali. Telle était aussi, d’ailleurs, la volonté affirmée – un quasi diktat - de Barak Obama, aussi président des Etats-Unis d’Amérique – et demain du Monde – que l’avaient été ses prédécesseurs blancs. Car, derrière le rideau de fumée de l’unité du monde – c'est-à-dire des marchés - se tient, de fait, cet élément moteur, cette ambition de fond, qu’est le nationalisme américain.    

    Avec 1,89% de plus que la barre des 50%, selon la règle démocratique de pure arithmétique, le peuple britannique a choisi non pas de ne plus être une nation européenne – rien ne fera qu’elle ne le soit, éminemment – mais de s’extraire d’une machinerie inefficace et tyrannique, en train d’échouer partout. Résultat que la doxa uniforme s’obstinait tellement à croire inenvisageable que les médias ont annoncé la victoire du Remain contre le Brexit à 52 / 48%, jusqu’à tard dans la nuit du vote. De sorte que le téléspectateur – fût-il tardif – s’est endormi dûment informé de la défaite du Brexit et s’est réveillé au son de sa victoire. Les bourses, les sondeurs, les bookmakers et l’ensemble des conformismes s’étaient trompés. Ni les peurs agitées éhontément, ni même le meurtre inopiné et finalement inutile de Jo Cox, n’auront suffi.

    XVMf0ab72b2-3a30-11e6-9245-4c55b4cb147c.jpgFaut-il croire à une opposition aussi radicale qu’on nous l’a seriné dans notre microcosme franco-français, entre les partisans du maintien et ceux du départ ? La violence de leurs débats ne nous empêche pas d’en douter. A vrai dire, la politique de Cameron et celle de Boris Johnson différaient par les moyens, non par l’objectif. De sorte que - l’extraordinaire force symbolique du retrait britannique mise à part, et elle n’a rien de négligeable - les suites du maintien et celles du départ, ne devaient pas être très différentes, même si les médias brossent tous les scénarios catastrophe les plus extravagants à la charge du Brexit. Cameron avait imposé à l’UE, en février 2016, les dérogations nécessaires et, sans-doute, suffisantes, pour la Grande Bretagne, de sorte que, selon son habitude, elle ait en toute hypothèse, comme nous l’avons écrit ici-même, un pied dedans, un pied dehors. Qu’elle détermine elle-même sa politique économique, sociale, migratoire et qu’il soit bien entendu qu’en aucun cas elle ne laisserait toucher à sa souveraineté. Dans de telles conditions, on était déjà sorti – n’étant d’ailleurs jamais vraiment entré – et l’on pouvait rester sans trop de gêne. Les partisans du Brexit vainqueur ont préféré la solution nette. Le prochain cabinet, dont il est très possible que Boris Johnson soit le Chef, fera en sorte que la Grande Bretagne conserve néanmoins, sur le continent européen, tous les liens qui lui seront utiles et que la nature des choses maintiendra ou rétablira assez vite. Les bourses, compulsives ces temps derniers, se calmeront, les marchés s’organiseront, la Grande Bretagne restera la puissance européenne et mondiale qu’elle est - avec ou sans l’UE - depuis quelques siècles.

    Quant à l’Europe de Bruxelles, il se pourrait bien, comme on l’a dit ici et là qu’elle soit déjà morte sans le savoir, sans même qu’on s’en soit encore rendu compte. Il est possible, a contrario, que le départ britannique ravive quelques velléités fédéralistes. Mais l’opposition des peuples et de nombreux Etats membres de l’UE, est sans-doute devenue aujourd’hui trop forte pour leur laisser de réelles chances d’aboutir. Il est bien tard pour une telle offensive.

    Pour ouvrir la réflexion sur un champ plus large – mais sans y entrer ici – la victoire du Brexit nous paraît être, en un sens, celle du Sang sur l’Or. Celle de l’Histoire et des identités sur l’utopie postnationale, universaliste, consumériste, multiculturaliste, etc. Faute d’avoir voulu reconnaître ses racines, fixer ses frontières, affirmer son identité et son indépendance, cette Europe-là se condamnait par avance à une telle issue. Y aura-t-il encore des forces, des idées, des volontés, pour relever le projet sur de justes bases ? 

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    Qu'ils restent ou qu'ils partent, les Britaniques ont de toute façon un pied dedans, un pied dehors ...  

    [Lafautearousseau 22.06]