2017, sous le signe de l’identité
Dans une France encore traumatisée par les attentats de 2015, la « fracture identitaire » prend une ampleur inégalée. Elle sera au cœur de la campagne présidentielle de 2017.
L’identité d’un peuple est une donnée qui ne peut être méprisée sans courir le risque de graves conséquences. Chaque peuple a le droit de vouloir que son héritage perdure », écrit Malika Sorel dans Décomposition française, comment en est-on arrivé là ? (Fayard, 2015). L’ancien membre du Haut Conseil à l’intégration, dissout par François Hollande en 2012, dépeint une France à l’identité fracturée, victime des mythes de la diversité et du « vivre ensemble » qui ont conduit les élites à la faiblesse face à la montée des communautarismes. Un livre parmi d’autres dans l’abondante production littéraire – d’Alain Finkielkraut à Emmanuel Todd, de Michel Onfray à Bernard-Henri Lévy -, inspirée par un contexte où les mots « laïcité », « valeurs républicaines », « identité nationale », omniprésents, déchaînent les passions.
Récemment, c’est la polémique sur le burkini, ce vêtement de bain couvrant entièrement le corps et les cheveux, qui a exposé au grand jour les cas de conscience que la place de l’islam pose à « l’être ensemble » français. En France, sans doute plus qu’ailleurs, le rapport à la question identitaire, souvent réduite à une sorte d’unanimisme républicain évolutif et imprécis, est particulièrement complexe. Or, cette question identitaire « sera au cœur de la prochaine présidentielle », prévient Malika Sorel.
Duel autour de l’identité
À droite, le premier à s’en emparer a été Nicolas Sarkozy. Sa proposition de création d’un ministère de l’identité nationale, en 2007, lui avait permis de figer les positions et de créer une dynamique dès le premier tour. Dix ans plus tard, l’ancien chef de l’état compte bien récidiver. à l’aise avec ce sujet hautement inflammable, il a expliqué dans son livre Tout pour la France qu’il mettrait les questions identitaires au cœur de sa campagne. Mieux que personne, il sait les agiter devant ses adversaires comme un chiffon imbibé d’essence. Sa récente déclaration – « au moment où vous devenez Français, vos ancêtres sont les Gaulois » – a scandalisé la gauche, ce qui était sans doute l’effet recherché.
Succès garanti ? Rien n’est moins sûr, mais le thème devrait agiter les discutions dès le premier débat entre les candidats à la primaire de la droite, le 13 octobre prochain. Car l’autre favori, Alain Juppé, s’est lui aussi emparé du sujet, en se faisant le chantre d’une « identité heureuse » dont il veut faire le fer de lance de son projet présidentiel. « L’identité heureuse » ? Une « espérance, une vision confiante de l’avenir de la France », dit l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac qui « refuse d’avoir l’identité malheureuse, anxieuse, frileuse, presque névrotique » – sous-entendu, comme son adversaire qui l’accole quasi systématiquement au thème de l’immigration. L’un veut faire rimer « diversité et unité ». L’autre rappelle dès qu’il le peut que la France est « un pays d’églises, de cathédrales, d’abbayes ». Le premier développe un concept « d’intégration », le second défend une ligne « assimilatrice » pour lutter contre la disparition du « mode de vie français »…
Dans le duel annoncé entre les deux favoris, le thème de l’identité nationale risque donc d’occuper l’espace et de laisser peu de marge de manœuvre aux autres candidats, déjà distancés dans les sondages. Les Républicains pourraient même voler la vedette au Front national. étonnamment, car le contexte lui est sans doute plus propice que jamais, le parti de Marine Le Pen semble en effet davantage préoccupé par les questions de souveraineté économique que par les thématiques identitaires.
A gauche aussi
Pourtant, même la gauche ne peut éviter le sujet. Au congrès du Parti socialiste à Poitiers, l’année dernière, il tenait une bonne place dans tous les discours. Dans celui de Manuel Valls, en particulier, qui faisait de « l’identité laïque » de la France un rempart « contre les communautarismes », et des « valeurs de la République » le moyen de s’émanciper « des pensées rétrogrades qui enferment les femmes derrière un voile ». « Bien sûr, il y a l’économie et le chômage, mais l’essentiel, c’est la bataille culturelle et identitaire », déclarait récemment le Premier ministre, cité par le journal Le Monde, à propos de la présidentielle de 2017.
L’analyse semble partagée par François Hollande qui, paraît-il, ne cesse de répéter que l’identité sera le thème majeur d’une campagne où il espère toujours concourir pour briguer un second mandat. Un terrain glissant pour le président de la République qui en avait sans doute sous-estimé le potentiel explosif quand il avait promis d’inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité. Être ou ne pas être français ? La proposition, qui restera comme un des moments clés du quinquennat, avait réveillé de violentes polémiques, ruinant les espoirs d’unité nationale de l’exécutif, après les attentats du 13 novembre.
Traiter le sujet
Quoi qu’il en soit, la gauche devra elle aussi parvenir à se démarquer sur un thème où elle est habituellement peu à l’aise. D’autant plus que d’après un sondage paru dans L’Obs, près d’un quart des sympathisants socialistes juge le gouvernement laxiste sur l’immigration ! On n’imagine pas aujourd’hui le candidat socialiste se présenter en 2017 en promettant à nouveau le droit de vote des étrangers, une mesure phare de la campagne de 2012 que François Hollande n’a jamais osé mettre en place. Très marquée à gauche, cette promesse n’a pas résisté aux crispations identitaires, à cette « droitisation de la société » dénoncée par les socialistes mais qui tend surtout à prouver les limites de la stratégie préconisée par Terra Nova, le think tank le plus influent au PS : tout pour les strates sociales les plus privilégiées et les populations d’origine étrangère, qui votent massivement à gauche quand elles se déplacent, et rien pour les classes moyennes et ouvrières perdues pour les socialistes. La « fracture identitaire » de plus en plus béante dans notre pays impose de revoir les lignes, même du point de vue de la stricte tactique politicienne.
Alors, où va la France ? Et qu’est-ce qu’être Français ? Aucun des candidats à l’élection présidentielle de 2017 ne pourra faire l’économie de traiter le sujet. Car de la réponse à ces questions dépend en grande partie la concorde civile d’une société qui laisse parfois penser qu’elle est au bord de l’implosion. Il n’est que de constater l’audience d’éric Zemmour pour s’en convaincre. Dans la préface d’Un quinquennat pour rien, best-seller en puissance qu’il promeut en vantant les mérites de l’assimilation telle qu’on la pratiquait encore au xxe siècle, quand les parents d’origine étrangère donnaient à leurs enfants des prénoms français, l’intellectuel décrit une société française « envahie, colonisée, combattue ».
Exagéré ? Peut-être. Mais comme l’explique l’historien Pierre Nora dans un long article consacré aux « Avatars de l’identité française » (dans la revue Le Débat, février 2010) : « Il n’est pas si facile de savoir exactement de quoi il est question quand on évoque le modèle national, l’identité, l’idée de la France ou la France elle-même. Et pourtant chacun le sait : il y a une altération très profonde du type de France qui nous a été léguée ». L’académicien ne croyait pas si bien dire : depuis, la crise migratoire et les attentats terroristes ont donné à la question identitaire une dimension d’une urgente actualité, presque existentielle. •