ARMÉE EUROPÉENNE ? POLITIQUE D’ABORD !
Par Georges-Henri Soutou
Europe. Le rêve d'une armée européenne est aussi ancien que la Communauté européenne du charbon et de l'acier. De Gaulle avait échoué à ranger l’Allemagne sous la tutelle française. Macron poursuit une chimère insaisissable.
Devant le Bundestag, le président de la République a récemment proclamé la nécessité de créer une « Armée européenne », expression qui va beaucoup plus loin que les formules plus fréquentes de « défense européenne » ou de « personnalité européenne de sécurité et de défense ». Car là il ne s’agit plus de simplement coordonner, mais d’ « intégrer » et même d’unifier. Mme Merkel a repris l’expression devant le Parlement européen. Cela nous ramène aux années 1950, quand on désignait par le raccourci d’« Armée européenne » ce qui était en fait le projet de Communauté européenne de défense (CED) imaginé par la France pour contrôler le réarmement allemand, que souhaitait Washington ; et que Paris pensait bien diriger. Quand il devint évident que ce ne serait pas le cas, et qu’en outre la France perdrait une large partie de sa souveraineté pour la politique extérieure et la défense, le traité de la CED échoua devant le parlement français (30 août 1954).
L’idée cependant d’une « défense européenne » à côté de l’Alliance atlantique (mais sans l’intégration et la supranationalité prévues par la CED) ne disparut pas. Elle était présente dans l’esprit du général de Gaulle quand il conclut avec la RFA le traité de l’Élysée en janvier 1963 : celui-ci était bilatéral mais il était aussi une pierre d’attente pour reprendre le projet d’union politique interétatique à six (couramment appelé « Plan Fouchet ») que nos partenaires avaient finalement repoussé en 1961. Rappelons ce que le Général avait dit à la Führungsakademie de Hambourg le 7 septembre 1962 : « La coopération organique de nos armées en vue d’une seule et même défense est donc essentielle à l’union de nos deux pays ».
Le traité de l’Élysée prévoyait, outre les réunions régulières des principaux responsables politiques et des chefs d’état-major, une coopération étendue en matière de politique extérieure, « en vue de parvenir, autant que possible, à une position analogue » sur tous les problèmes d’intérêt commun. Le traité comportait en matière de défense un volet important. Le préambule constatait « la solidarité qui unit les deux peuples […] au point de vue de leur sécurité ». L’objectif était ambitieux. Outre des échanges de personnels et un travail en commun en matière d’armements dès le stade d’élaboration des projets, il prévoyait que « sur le plan de la stratégie et de la structure, les autorités compétentes des deux pays s’attacheront à rapprocher leurs doctrines en vue d’aboutir à des conceptions communes. Des instituts franco-allemands de recherche opérationnelle seront créés. »
Tout cela allait loin, et nous verrons plus loin qu’Emmanuel Macron a repris ces objectifs. Mais tout cela était d’abord politique, et reposait sur un accord géopolitique fondamental entre de Gaulle et le chancelier Adenauer : la crise de Cuba à l’automne précédent avait prouvé la nécessité pour les Européens de reprendre en mains leur sécurité, car en cas de crise les Américains penseraient d’abord à eux. En outre de Gaulle comme Adenauer pensaient tous deux que la nouvelle stratégie américaine de « riposte flexible » rendait la garantie nucléaire de Washington beaucoup moins crédible. Il existait entre les deux hommes un profond accord politico-stratégique.
L’Allemagne choisit la souplesse et la modestie
Mais le Bundestag et les élites politiques allemandes dans leur majorité ne partageaient pas l’analyse du chancelier Adenauer et ils firent précéder le traité, lors du débat de ratification, d’un Préambule qui réaffirmait le rôle primordial de l’Alliance atlantique. Et ce non seulement parce que Washington, effectivement, avait procédé à Bonn à une reprise en mains, mais aussi parce qu’une majorité de responsables allemands n’avaient nulle envie d’être les brillants seconds de Paris.
Or nous sommes en train de rejouer la même séquence. En septembre et octobre 2017 Paris a fait une série de propositions pour relancer la « Politique de sécurité et de défense commune » évoquée par le traité de Lisbonne : établissement d’une « coopération structurée permanente » entre pays volontaires ; création d’un Fonds européen de défense ; « initiative européenne d’intervention » pour les opérations extérieures ; et appel à une « culture stratégique partagée », par des échanges d’officiers dans les états-majors et les écoles de Guerre, ce qui rappelle 1963. Mais Berlin n’accepta pas la création d’un « Quartier Général européen commun », annoncé dans le programme électoral d’Emmanuel Macron. Ce point ne fut donc pas finalement repris dans le discours du président de la République à la Sorbonne le 26 septembre. Or il est essentiel : l’Union européenne ne dispose que d’un petit état-major de planification, les opérations importantes relèvent toujours des états-majors de l’OTAN (les accords de 1996 qui devraient permettre à l’OTAN de mettre des moyens à disposition de l’Union européenne ont toujours été bloqués par la Turquie).
Certes, Paris et Berlin sont d’accord pour penser que la résurgence de la Russie et les incertitudes et la brutalité américaines doivent pousser les Européens à s’unir davantage en matière de défense. Mais l’accord s’arrête là : « la coopération structurée » a été signée par 23 pays sur 28, beaucoup plus que ne le souhaitait Paris, qui voulait un petit groupe très structuré pour des opérations « dures », alors que Berlin préférait un grand ensemble souple pour des opérations plus modestes. Avec un souci qui se comprend : ne pas paraître, aux yeux des autres partenaires, vouloir tout régenter à partir de Paris et Berlin. Mais ainsi conçue, et sans quartier général commun, l’« armée européenne » n’aurait aucune substance.
Sans même parler du siège de la France au Conseil de Sécurité de l’ONU, que l’Allemagne nous réclame ! et sans évoquer tous les problèmes que poserait une véritable armée commune (quel recrutement ? quelle organisation ? quel degré d’acceptation par les peuples?), bien des problèmes politico-stratégiques non résolus se posent. Que faire de la dissuasion nucléaire française ? Peut-on raisonnablement la partager (et plus seulement laisser entendre qu’elle peut être « étendue » à nos voisins, comme il est dit depuis le Livre blanc de 1972) ? Et peut-être, surtout : d’où vient la principale menace, de l’Est ou du Sud, sachant que Berlin est peu convaincu de la pertinence de notre politique africaine ?
D’autre part, si l’Armée fait partie des organismes de l’Union européenne elle relèvera de la juridiction de la Cour de Justice européenne de Luxembourg. Cela compliquera beaucoup la gestion d’éventuelles opérations extérieures. À l’heure actuelle, force est de constater que les avancées les plus concrètes ont lieu dans le domaine des armements, avec des programmes multinationaux et la création d’un Fonds européen de Défense qui va financer des recherches et des fabrications et qui est doté d’un important budget (13 milliards d’euros). C’est certes indispensable, mais cela correspond à l’approche et à la méthode de la construction européenne depuis la Communauté europénne du charbon et de l’acier en 1950 : la création de structures économiques et techniques communes supposée conduire à l’émergence d’un sentiment d’appartenance et d’une volonté politique partagés.
Or les armements ne peuvent jamais être compris en dehors de leur contexte politique, intérieur et extérieur, de leur environnement économique, social, voire culturel.
Faute de volonté politique commune, faute de conceptions stratégiques communes, il ne peut y avoir de Défense européenne. Et même les programmes d’armements communs trouveront vite leurs limites dans la multiplication des versions « nationales » et les hésitations doctrinales. On en a eu de nombreux exemples par le passé… ■
Un article où Jacques Myard frappe fort - et juste, à son habitude. Il a malheureusement raison ; en matière de défense européenne ses distinctions et ses diagnostics sont exacts. Emmanuel Macron persiste dans l'ambiguïté, l'utopie et, en fin de compte, l'enfumage : Jacques Myard l'explique fort bien. 


Si c’est à Luxembourg qu’a été signée une «
Qu’est-ce en effet qu’une « armée européenne », si ce n’est une armée unique qui remplacerait les armées nationales ? Or, on se rappelle l’échec de 1952 (Communauté européenne de défense) et même celui de 1999 (Force d’intervention rapide). C’est que les Etats existent et que la défense relève de leur souveraineté - ce que l’U.E. elle-même admet dans un texte de 2016, tandis que le document de la D.G.R.I.S. se contente de noter, à propos de l’I.E.I., sa « forte compatibilité avec l’Otan et/ou l’U.E. ». Il est donc plus réaliste d’envisager une solide alliance fondée sur un engagement sérieux (et financier) de la part d’une Allemagne toujours frileuse dans ce domaine depuis la fin de la seconde guerre et de quelques autres partenaires jusqu’à présent confortablement à l’abri sous le parapluie américain.
Éric Zemmour dénonce ici les non-dits du 11 novembre 2018. Qui ne sont, en vérité, ni à l'honneur d'Emmanuel Macron et des semble-élites de notre pays, ni utiles à la nécessaire réconciliation franco-allemande qui ne peut se fonder sur la soumission et l'abaissement de la France. Encore moins sur le déni du sacrifice des Français et sur le mépris de nos gloires militaires. Les Allemands ont d'ailleurs les leurs et il ne serait pas plus convenable de les leur dénier. C'est ce qu'explique ici Éric Zemmour avec qui nous sommes d'accord. 
Il est vrai que les populations allemandes n'avaient pas vu un soldat français sur leur territoire. Cette décision de ne pas « entrer dans Berlin » fut prise par Clemenceau et Foch, sous pression des alliés anglais et américains, qui souhaitaient avant tout éviter le retour de l'hégémonie française sur le continent. Et voilà comment la France de Clemenceau - le héros de Macron ! - perdit la paix après avoir gagne guerre ! Mais cette version de l'histoire est aujourd'hui occultée par l'historiographie française. Celle-ci, mettant ses pas dans ceux de l'économiste anglais (et francophobe) Keynes, ne veut voir dans le traité de Versailles que le « diktat » qui, humiliant les Allemands, aurait alimenté leur volonté de revanche.



Sans diminuer en rien l'extraordinaire endurance des Britanniques, engagés au feu pendant quatre ans, ou la bravoure des Américains, montés en ligne à partir du printemps et de l'été 1918, la vérité de l'Histoire oblige à dire que ce sont les forces françaises, parce qu'elles étaient les plus nombreuses, qui ont supporté le plus gros de l'effort de guerre, et qu'elles possédaient, à la fin du conflit, des capacités de manoeuvre que n'avaient pas leurs alliées. Chars
Renault, avions Breguet, (photos) camions militaires, réseau de télégraphie sans fil : l'industrie française, de plus, avait fait de « l'armée française de 1918, écrit Michel Goya, la plus moderne du monde », offrant aux combattants des moyens inconnus de ceux de 1914, moyens qui ont largement contribué au résultat final. Par conséquent, c'est bien la France, première puissance militaire au monde, qui a gagné la Grande Guerre. 


Nez en bec de toucan, cheveux bruns rebelles, œil perçant, grande gueule au cœur d’or, Jacques Massu aura été mêlé à notre tumultueuse histoire des années trente à la fin des années soixante du siècle dernier. 
Un mois plus tôt en totale violation du droit international et des résolutions de ce même Conseil, trois de ses membres permanents, dont la France, bombardaient la Syrie parce que des rumeurs signalaient des odeurs de chlore et des vidéos sur internet suggéraient une attaque chimique syrienne dans une banlieue de Damas. On en attend toujours les preuves. Macron avait ensuite rencontré Trump à Washington avec des démonstrations d’affection aux limites de la décence mais n’avait rien obtenu sur le dossier iranien où il croyait pouvoir peser. Dans un tel contexte, l’appel de la France « à la retenue », suite aux événements de Jérusalem, est totalement inaudible pour beaucoup d’Orientaux.
L’affaire fait ainsi apparaître deux visions, celle des partisans du traité de 2015, la ligne Obama, plutôt internationaliste, et celle que Trump est en train d’adopter, l’unilatéralisme sous influence israélienne. Ici, les récentes déclarations du conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, ne laissent pas d’inquiéter : les nouvelles conditions qu’il veut imposer à l’Iran après la dénonciation du traité de 2015 sont inacceptables par un pays souverain. L’Amérique, poussée par Israël, cherche- t-elle le conflit ? Va-t-elle faire subir à l’Iran le même sort qu’à l’Irak ? il est peu probable que les Russes laissent faire et Trump n’a vraisemblablement pas l’intention de déclencher une guerre. En revanche, il va utiliser tous les moyens possibles pour rétablir des sanctions draconiennes et les imposer aux autres signataires du traité de 2015, en particulier la France, l’Allemagne et l’Union européenne. Or, l’Iran leur vend ses hydrocarbures et constitue en retour un marché considérable pour les entreprises européennes.

CD de 26 titres, durée : 1 h 06 Livret de 16 pages