Ne pas baisser la garde, militairement parlant
Par Jean-Philippe Chauvin
Les premières mesures budgétaires de l'ère Macron, survenant au cœur d'un été que l'on espère plus paisible que celui, meurtrier, de l'an dernier, soulèvent évidemment nombre de critiques, et chacun, ou presque, y trouve à redire, de plus ou moins bonne foi selon les cas.
Pourtant, personne ne nie que la situation financière de notre pays est délicate et qu'une meilleure maîtrise des dépenses s'avère nécessaire pour pouvoir retrouver une certaine crédibilité sur le plan européen, et, plus important, les moyens d'une véritable souveraineté économique, qui n'est pas l'isolement mais la capacité à « être et agir » librement pour l’État politique face aux féodalités de l'Argent, qu'elles prennent les formes de puissances financières légales, de fonds vautours ou de multinationales industrielles ou commerciales.
Si nombre de mesures annoncées, pour désagréables qu'elles puissent être à court terme, ne me choquent pas outre mesure (comme le gel du point d'indice pour les fonctionnaires, dont je suis, et le rétablissement du jour de carence), d'autres me paraissent inappropriées et, même, dangereuses. Ainsi la diminution (provisoire ?) du budget de la Défense, celle-là même qui a provoquée la colère, puis la démission du général de Villiers, n'est pas une bonne nouvelle au regard des périls internationaux actuels et du rôle de l'armée française dans la protection du continent européen, rôle et place qui faisaient dire au président de la Commission européenne pour une fois bien inspiré que « l'armée européenne c'est l'armée française », reconnaissant ainsi que, plutôt que de vouloir une hypothétique Défense européenne unifiée, mieux valait reconnaître et renforcer ce qui existait déjà, nationalement, et que c'est bien la France, et elle seule, qui incarnait le mieux cette Défense... Au moment où le monde vit un réarmement général, il ne faut pas baisser la garde, même si la solution n'est pas que militaire mais d'abord politique. En disant cela, je ne suis pas militariste mais prudent, tout simplement : si la confiance entre amis est honorable, elle n'enlève rien à la nécessité de se préserver de ceux qui ne le sont pas, ou qui en sont de « faux »... Et, en diplomatie, l'on sait aussi que, selon la formule du général de Gaulle, « les alliances sont saisonnières » : mieux vaut, donc, se garder soi-même, sans méconnaître les possibles coopérations et, bien sûr, les communautés de combat que les événements obligent parfois.
Les 850 millions pris aux armées cette année peuvent avoir, si l'on n'y prend garde, des conséquences fâcheuses sur les terrains, sans doute trop nombreux aujourd'hui, sur lesquels la France est militairement engagée. Et je doute fortement que le rétablissement d'une forme de service militaire (quel qu'en soit le nom), égalitaire de plus, soit une bonne nouvelle pour une armée qui risque bien d'y perdre une partie de son temps et de son énergie, comme si elle n'avait pas assez à faire par ailleurs ! Déjà, l'opération Sentinelle qui a mobilisé et épuisé une partie des troupes pour des activités de surveillance sur un territoire, le nôtre, que nous pensions à l'abri de toute guerre et de tout éclat terroriste, s'est avérée très lourde et peu efficace au regard des moyens engagés, et il me semble que ce n'est pas le rôle de l'armée (hors gendarmerie) d'assurer la sécurité dans nos rues et devant nos lycées, sauf de façon très ponctuelle et limitée dans le temps.
Dans les années 30, le royaliste Maurras terminait nombre de ses articles consacrés aux questions européennes et internationales par un « Armons, armons, armons » qui n'a pas été écouté ni entendu, sinon trop tardivement en 1938... La catastrophe passée et l'Allemagne enfin vaincue, il sera facile pour ceux qui n'avaient rien voulu voir venir de dénoncer et condamner Maurras pour des fautes qu'il n'a pu commettre que parce que ses plus rudes avertissements, justifiés comme l'histoire l'a montré, n'avaient pas été pris en compte : c'est Cassandre alors emprisonnée, insultée, condamnée à l'infamie. Mais l'avertissement de Maurras reste toujours actuel, et il faut l'entendre désormais pour ne pas avoir à affronter, peut-être, un prochain « Mai 40 » dont l'histoire nous a appris les funestes conséquences pour le pays comme pour ses habitants, mais aussi pour l'équilibre du monde.
La liberté a un coût sans doute élevé, mais il sera toujours plus léger que celui de la servitude... •