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La guerre sans la guerre, drôle de guerre !

 

Par Mathieu Épinay*

 

Moyen-orient. Le président Macron a déclaré que le fait d’envoyer des missiles frapper des sites en Syrie n’était pas un acte de guerre, mais juste des « représailles ». Dans cette affaire, tout n’aura été que postures. 

Stupéfiant dans l’art consommé qu’il a de prendre les Français pour des imbéciles, le talentueux Macron, après avoir abordé les questions religieuses aux Bernardins, s’est mis à traiter les questions stratégiques avec la même sophistique. Toujours avec le même brio ! Dans l’entretien télévisé incongru du 16 avril, il a expliqué au journaliste Plenel de Mediapart que, grâce à nos frappes en Syrie, nous avons « réacquis de la crédibilité à l’égard des Russes ». Pas de chance, le lendemain le ministre russe des Affaires étrangères faisait savoir, sans être démenti, que « la Russie et la coalition internationale dirigée par les USA ont été en contact au niveau du commandement peu avant les frappes contre la Syrie. Moscou a notamment mis en garde contre les frappes sur certaines régions syriennes qui signifieraient le franchissement de lignes rouges. » Il ajoutait que « le chef d’état-major des armées russes avait averti la coalition internationale, bien avant qu’elle ne réalise ses frappes contre la Syrie, que si les activités militaires quelconques de la soi-disant coalition touchaient des militaires russes, la partie russe répondra d’une manière dure et claire. » Pour Macron, une opération négociée avec les Russes et encadrée par leurs lignes rouges – ils ont aussi les leurs –, nous aurait donc rendus crédibles et dissuasifs à leur égard.

Un dispositif sans motif valable

Et voici ce qu’il a déclaré juste après ces bombardements, avec l’assurance de l’homme qui ne se trompe pas : « Le samedi 7 avril 2018, à Douma, des dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants ont été massacrés à l’arme chimique, en totale violation du droit international et des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Les faits et la responsabilité du régime syrien ne font aucun doute … J’ai donc ordonné aux forces armées … »

Or, les faits ne sont pas établis, loin s’en faut, et l’enquête n’a même pas commencé. Le document produit le lendemain par Macron pour prouver une attaque chimique et justifier sa décision n’a malheureusement que l’apparence d’une compilation d’éléments ramassés sur les réseaux sociaux. À quoi sert d’inventer une loi « anti-fake news », si c’est pour se livrer soi-même à un genre d’exercice comparable. Il convient de soupeser les termes de ce texte officiel : « L’analyse des vidéos et des images (…) a permis de conclure avec un haut degré de confiance que la grande majorité est de facture récente et ne relève pas d’une fabrication. » Extraordinaire, n’est-ce pas ? En outre, « la nature spontanée de la mise en circulation des images sur l’ensemble des réseaux sociaux confirme (!) qu’il ne s’agit pas d’un montage vidéo ou d’images recyclées ». Enfin, « une partie des entités ayant publié ces informations est reconnue comme habituellement fiable » ! C’est ubuesque, mais surtout un peu léger pour engager nos marins et aviateurs dans une opération risquée, désastreuse pour notre réputation et, comme il le dit si bien lui-même « en totale violation du droit international et des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. »

Cette attaque, lancée sans le moindre accord international, telle que fut naguère l’aventure libyenne de Sarkozy, inscrit donc clairement la République française dans le clan des États qui prétendent régenter le monde en traitant les autres États de voyous, ce qui permet précisément de s’éviter les normes habituelles du droit et de se comporter soi-même… en voyou. Les éléments de langage macroniens sur « les dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants massacrés à l’arme chimique par Bachar » rappellent d’ailleurs ceux de Sarkozy sur « les fleuves de sang promis par Khadafi ». On connaît la réalité et la suite.

Beaucoup de désinformations

Il a fallu entendre beaucoup d’âneries sur cette affaire : ainsi un proche de l’Élysée explique que, grâce à Macron, les Américains ont limité les frappes ; eh oui ! Un expert militaire patenté raconte qu’un système russe permet de « ralentir la vitesse de nos missiles de croisière pour en faire une proie facile pour la défense », et ainsi de suite !

Restons sérieux et contentons-nous de quelques commentaires sur le plan militaire, puis sur le plan politique.

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Telles sont les images que le Département de la Défense a présentées le 14 avril après les frappes de missiles américains sur le site syrien d’Him Shinshar de stockage d’armes chimiques.

Le premier bobard, et c’est de bonne guerre, viendra des Russes qui annoncent que 71 missiles de croisière sur les 105 déclarés par la coalition ont été abattus par la DCA syrienne.

Quatre jours plus tard, ils ajoutent qu’ils en ont récupéré deux intacts, dont l’examen permettrait de modifier leur système de défense pour être capables de les intercepter ! Ils ne l’étaient donc pas, contrairement à la DCA syrienne ! Tout cela n’est pas cohérent !

De fait, il est très probable qu’aucun missile n’ait été intercepté et pour cause ! Les Tomahawk américains, les Scalp/Storm Shadow franco-britanniques et les missiles de croisière navals (MDCN) français sont des armements stratégiques, des missiles furtifs à faible signature infrarouge et radar, qui foncent, en haut subsonique, près du sol, sur plusieurs centaines de kilomètres selon une trajectoire programmée pour éviter les zones dangereuses, exploiter au mieux les masques du relief et leurrer les systèmes d’alerte. Très discrets, parfaitement autonomes, ils suivent exactement l’itinéraire qu’on leur a assigné en comparant la carte en relief qu’ils ont en mémoire avec le profil du terrain survolé. Si cela ne suffit pas, le missile se raccroche au GPS américain, au prix de la souveraineté, bien sûr. En phase d’attaque, c’est l’image thermique de l’autodirecteur corrélée avec l’image satellite de la cible chargée en mémoire qui génère les algorithmes de pilotage, ajustant la trajectoire au mètre près. De plus, le vol des différents missiles est synchronisé pour saturer les défenses. Bref, les artilleurs syriens n’ont pas les moyens d’arrêter un tel tir à trois heures du matin.

Le fait qu’un des 10 missiles Scalp portés par nos 5 Rafale ne soit pas parti relève d’un aléa technique qui sera identifié et corrigé ; c’est ennuyeux, ce n’est pas un drame. En revanche, les pannes qui ont bloqué le départ de missiles MDCN sur plusieurs de nos frégates (FREMM) sont préoccupantes pour notre crédibilité. Le silence assourdissant du ministre sur ce point était maladroit ; il fallait juste souligner d’emblée l’excellent comportement des 3 MDCN pour leur baptême du feu, sans occulter des difficultés de mise au point inévitables à ce stade final du développement, avec des risques identifiés et acceptés. Tout le monde aurait alors compris qu’on n’en ait pas tiré plus. Mais sur une opération aussi contestable, la communication gouvernementale était un peu crispée.

Le MDCN, qui sera bientôt intégré sur nos nouveaux sous-marins d’attaque de classe Suffren, marque une révolution majeure dans la stratégie navale. Il n’a d’ailleurs échappé à personne que les porte-avions, américains, français ou britanniques ont disparu de la scène, et que nos Rafale en Jordanie et aux Émirats, cloués au sol pour d’évidentes raisons de bienséance diplomatique, ont été facilement remplacés par d’autres, partis de France.

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Le 24 avril, le président Macron, à côté de la First Lady Melania, enserre dans ses bras le président Trump, lors de la réception à la Maison Blanche. 

Politique de Trump : politique de Macron ?

Venons-en aux objectifs : les photos-satellite des résultats publiées par les Américains sont cohérentes ; ils n’ont pas de raison de les trafiquer. Les trois immeubles du prétendu centre de recherche chimique de Brazeh, près de Damas, sont rasés et il y faut bien 76 missiles, équivalents à autant de bombes de 500 kg. Certes Trump, qui ne pouvait ignorer que l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) n’y avait rien trouvé lors d’une récente inspection, a un peu forcé la dose. Était-ce une provocation adressée aux faucons, néo-conservateurs ou démocrates, de son État profond ? Les deux autres objectifs près d’Homs, des bunkers probablement vides, ont été atteints, sans surprise et aussi sans victimes ; les Russes, après avoir « proposé » les objectifs, auront prévenu le gouvernement syrien qui n’avait d’ailleurs rien à y faire garder. Tout le monde est donc allé dormir ailleurs !

Que cherche donc Trump en envoyant des salves de missiles de croisière sur des objectifs désaffectés : une base aérienne en 2017, des immeubles et des bunkers vides en 2018 ? Cette politique de la canonnière est en tout cas démonstrative de sa capacité à frapper partout à tout moment et sans risques d’enlisement. Et maintenant on apprend qu’il entend désengager les forces américaines du Moyen-Orient. Cependant, les enjeux de pouvoir à Washington rendent la politique étrangère américaine plus opaque. S’agit-il de maintenir le chaos en Syrie ou de l’abandonner aux Russes pour se tourner vers le Pacifique ? Quelle est la part de théâtre dans les postures de Trump ? Sont-elles destinées au public oriental, à l’Iran, au congrès américain, aux Russes, aux Européens ? À Macron en particulier à qui il vient d’offrir une visite d’État et qui pense infléchir les décisions de l’imprévisible Trump. À tort ?

Comment fonctionne notre chef des armées pour se laisser entraîner aussi vite dans un jeu qu’il ne maîtrise pas ? Le comprend-t-il seulement ?

Dans une situation aussi confuse, il est urgent que la France prenne ses distances et définisse une ligne stratégique et politique qui lui soit propre au Moyen-Orient. Y a-t-il encore des personnes qui pensent au sommet de l’État ? Ou ceux qui pensent ne sont-ils chargés que d’exécuter les ordres de chefs qui ne connaissent que leur caprice ?   

Mathieu Épinay

* Collectif de spécialistes des questions de Défense

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