Religion & Société • Cachez cette croix que je ne saurais voir !
Par Mathieu Bock-Côté
Une tribune publiée jeudi dernier dans le Journal de Montréal [7.09]. Mathieu Bock-Côté, comme toujours, va au fond des choses lorsqu'il dénonce ici « une forme de barbarie ». L'auteur du voyage d'Athènes, le jeune Maurras, agnostique, n'eût rien écrit d'autre. Nous non plus. LFAR
L’histoire s’est passée de l’autre côté de l’Atlantique ces derniers jours, mais elle aurait bien pu arriver ici.
Lidl est une compagnie allemande. Elle a notamment une gamme de produits alimentaires grecs. Elle a décidé d’illustrer son emballage avec une photo presque légendaire d’un paysage grec à Santorin, où on aperçoit de petites églises dans un décor paradisiaque.
Mais la compagnie a enlevé les petites croix de la coupole des églises. Quelqu’un l’a remarqué et la nouvelle a percé l’écran médiatique.
Hypocrisie
Depuis quelques jours, on en parle beaucoup. Bien des Européens crient à la censure de l’histoire et se demandent de quel droit on peut ainsi amputer une église de ce qu’elle a de plus caractéristique.
Cachez cette croix que je ne saurais voir !
Obligée de s’expliquer, la compagnie s’est réfugiée derrière l’argument du respect de toutes les croyances.
Pourquoi retirer la croix ? Parce que la compagnie voulait éviter d’exclure toute croyance religieuse. Et aussi parce qu’elle affiche son adhésion à la sacro-sainte « diversité ».
En embrassant un symbole chrétien, ne risquerait-elle pas d’offusquer ceux qui ne se reconnaissent pas en lui ?
Il fallait donc neutraliser la marque. On y verra certainement un comportement de trouillard. Imaginons néanmoins que tel soit vraiment son souci. Imaginons vraiment que la compagnie veut un environnement culturellement neutre.
Mais alors, pourquoi prendre pour sa publicité un paysage qui est indissociable de sa dimension chrétienne ?
N’y a-t-il pas là une immense hypocrisie ? On veut bien récolter la beauté d’un paysage façonné par une civilisation et sa religion, mais au dernier moment, on demande à cette dernière de s’effacer, parce qu’elle nous embête quand même.
On veut du monde chrétien à condition que ce dernier consente discrètement à se sacrifier ?
En un sens, on veut gommer la signature de l’œuvre, on veut effacer son identité, on veut arracher ses racines.
Comment ne pas voir dans ce coup de gomme à effacer une forme de barbarie inconsciente d’elle-même ? Comment ne pas y voir un réflexe destructeur ?
Histoire
Est-ce vraiment la société qu’on souhaite : celle où la simple présence du crucifix fait scandale, même lorsqu’il se trouve à son endroit le plus naturel ?
Tout cela n’a rien d’un fait divers. C’est plutôt un fait révélateur ou si on préfère, un symptôme.
Notre civilisation a tendance à vouloir s’excuser d’exister. Et elle cherche à effacer presque frénétiquement tout ce qui rappelle son passé chrétien, comme s’il tachait l’image que nous voulons projeter aujourd’hui.
Il y a pourtant là une effrayante ingratitude. Comment, dans les temps tumultueux qui sont les nôtres, une civilisation pourrait-elle survivre si elle croit offusquer l’humanité en assumant sa tradition, sa mémoire et ses marques distinctives ?
On peut avoir la foi ou non, mais ici, ce n’est pas du tout la question. On ne saurait tout simplement réduire les monuments historiques à de simples décors de cartes postales aseptisées. C’est une question de décence. •
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle : aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).