Fête de l'Assomption : pourquoi les cloches ont sonné ?
Par Louis Manaranche
Pour la fête de l'Assomption, les cloches des églises ont sonné dans toute la France pour toutes les victimes du terrorisme. Mais le cardinal Barbarin a aussi appelé à prier pour la France elle-même, « meurtrie par tant de souffrances ». Et sans-doute aura-t-il songé à toutes celles qui sont bien au delà du seul terrorisme. Louis Manaranche rappelle ici [Figarovox, 13.08] que les cloches du 15 août sont une tradition très ancienne qui trouve sa source dans la vertu de l'espérance. LFAR
Le 15 août arrive et chacun ressent confusément que c'est à la fois le point culminant et le début du déclin de l'été. « Bison futé voit noir pour ce retour de pont » car « ça sent la rentrée » alors même que « la France a chaud » ; les lieux communs ne manquent pas et les médias ne nous les épargneront guère. Il y aura même, dans la bonne presse, des voix inspirées qui rappelleront à juste titre que cette date correspond « avant tout à la fête de l'Assomption, célébrée par les catholiques du monde entier ». On rappellera qu'à midi, partout en France, les cloches ont sonné. Alors, dans la torpeur de l'été, le tragique fera à nouveau irruption dans des grandes vacances qui laissent un goût amer.
Cette année, dans un carillon étonnamment joyeux, les cloches du 15 août inviteront en effet à prier pour une France dont deux extrémités dessinent le visage souffrant: Nice et Saint-Étienne-du-Rouvray. On peut trouver ce symbole dérisoire. Qu'inspirera une modeste volée de cloches à ces millions de Français en congés ou en week-end ? Parmi ceux qui l'entendront, qui pourra s'imaginer l'horreur vécue ? Quelle pensée, quelle prière serait en mesure de réconforter ceux dont la vie a basculé le 14 et le 26 juillet ? Nul ne peut répondre à ces questions et rien ne saurait nous prémunir contre une molle indifférence. Est-ce à dire qu'il aurait mieux valu ne rien faire ?
Non, car le 15 août a une signification toute particulière. Un roi de France, Louis XIII, a placé son royaume dans les mains de la Vierge Marie car il n'avait pas de fils. En 1638, après l'hécatombe des guerres de religion, on savait ce qu'était une monarchie dont on conteste la légitimité. On avait vécu dans sa chair ce qu'était un pays en proie à la division violente. La France était à nouveau au bord du chaos. C'est alors que l'homme le plus puissant du royaume a signifié sa profonde humilité. Après avoir fait tout ce qui était en son possible, il a dit sa confiance en la Providence et un héritier lui a été donné. Cet acte d'espérance, à l'origine du caractère solennel de l'Assomption en France, n'est pas une exception dans notre histoire commune. Ce n'est pas non plus l'apanage de ceux qui croient fermement au Ciel. Les Lyonnais qui placent des lampions sur leurs fenêtres le 8 décembre savent que leurs aïeux, de toutes convictions, ont espéré face à l'invasion prussienne, contre toute espérance. Plus près de nous, lorsque le général de Gaulle, contre toute espérance encore, appelait son pays au sursaut, il proclamait : « Je crois en Dieu et en l'avenir de ma patrie ». Combien d'agnostiques, voire d'athées convaincus, ont entendu dans cette formule une expression de cette espérance française si profonde et si œcuménique ?
On comprend alors peu à peu ce que ces cloches de l'Assomption ont à nous dire : « Ne tremblez pas cœurs fidèles », comme le chantait Édith Piaf dans … « Les Trois cloches » ! Elles appellent à un salutaire silence pour faire résonner la tonitruante mémoire de ceux dont les cloches portent les noms désuets et qui, par leur inlassable confiance, ont permis que la France ne se défasse pas. Même aux pires heures. •
Louis Manaranche est agrégé d'histoire et président du laboratoire d'idées Fonder demain. Son livre Retrouver l'histoire est paru en 2015 aux éditions du Cerf.