UA-147560259-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : qu'est-ce que le Système

  • « Qui soutient encore l’euro et pour combien de temps ? » Analyse de Charles Gave* sur le très européiste et très libéra

     
    Une surprenante - et intéressante - critique de l'Euro par un économiste « ultra-libéral ». Une pièce de plus au dossier de la monnaie unique, dont, selon l'auteur, l'agonie a commencé.
     
    Voilà plusieurs semaines que la Banque centrale européenne a annoncé son plan de rachat des dettes souveraines via un plan d'assouplissement monétaire pour soutenir la croissance dans la zone euro. Une décision prise en dehors de ses prérogatives, et qui fait penser à un acharnement thérapeutique déraisonné. 

    Je crois avoir été l’un des premiers à expliquer que l’Euro était un désastre qui allait foutre en l’air l’Europe que j’aimais, c’est-à-dire celle de la diversité, pour la remplacer par celle du lit de Procuste imposée par Bruxelles, où des gens que personne n’a élu et qui ne sont responsables devant personne décident de la taille des concombres ou de la qualification maraichère de la tomate. Fruit ? légume ? Sujet de taille.

    En 2011, pour les raisons que j’ai longuement expliquées dans « L’Etat est mort vive l’état » “(Grand E, petit e). 

    Je pensais que nous arriverions au moment décisif vers 2014 -2015, moment où les marchés de la dette en Europe se révolteraient contre ce système qui assurait la ruine de tout le monde.

    Ce que je n’avais pas, mais pas du tout prévu, était que la BCE allait rompre tous les Traités, changer toutes les règles qui président à la gestion convenable d’une banque centrale, abandonner toute prudence au point de coller des taux d’intérêts négatifs et de financer les budgets des Etats en rachetant directement de la dette étatique. Dans ma naïveté, je pensais que les Allemands en général et la Bundesbank en particulier allaient s’y opposer. Que nenni ! 

    Comme le disait le Maréchal de Mac Mahon : “Hier, nous étions au bord du gouffre, aujourd’hui nous avons fait un grand pas en avant “. Sous la direction de Draghi, le faussaire des comptes Italiens à la fin des années 90, la BCE se livre en fait à une opération d’acharnement thérapeutique sans exemple dans l’histoire depuis la mort de Franco pour essayer de prolonger le plus longtemps possible un mort vivant.

    Ce qui m’a amené à me poser la question suivante : Pour qu’un système aussi débile que l’Euro s’installe et dure,e il faut que ce système ait des supporters puissants.  Et donc dans ce petit papier, je vais essayer de les débusquer.

    Les premiers soutiens se trouvent dans ceux qui en ont eu l’idée, c’est-à-dire cette classe technocratique Française si bien représentée par Trichet, Lamy ou Delors, qui après avoir ruiné la France, ont décidé de créer un ETAT Européen dont ils assureraient l’Administration, la France étant devenue trop petite pour leur immense talent. Et donc une structure  de pouvoir a été montée, la BCE, remplie de gens non élus mais cooptés et le but principal de cette structure est de continuer à financer cette expérience non démocratique puisque les marchés ne veulent plus le faire.

    Cette structure de pouvoir assure les fins de mois de l’autre structure de pouvoir en Europe de gens non élus, la Commission, peuplée de zombies du style Barroso ou Juncker, qui elle émet des "directives" qui ont prééminence juridique sur les Lois passées par les Parlements Nationaux, qui sont donc dessaisis " de jure et de facto" de la Souveraineté  Nationale, ce qui est insensé.

    Ces directives de la commission européenne, qui sont préparées dans le plus grand secret, prennent en effet le pas même sur la Loi Fondamentale de chaque pays, c’est-à-dire la Constitution.

    Et ceux qui sont au pouvoir à Paris - qui ont nommé en douce ceux qui sont à Bruxelles ou à Francfort (voir le cas typique d’un incompétent notoire comme monsieur Moscovici) - adorent l’Euro puisque la BCE finance leur politique débile en achetant toutes les obligations émises.

    La BCE affranchit donc les politiques de toute sanction en provenance des marchés, c’est-à-dire de la réalité. Nous avons donc un système, organisé par et pour ceux que j’appelle "les hommes de Davos", qui ont comme caractéristique principale de mépriser le Peuple, et de détester les Nations pour communier dans une espèce d’internationalisme mou, gras et verbeux, et bien-sûr ce système n’a rien de démocratique. On peut donc dire sans crainte d’être démenti qu’aujourd’hui la plupart des pays Européens ne vivent plus  sous un régime démocratique puisqu’ils ne peuvent plus virer les gens qui  rédigent les lois qu’ils vont devoir suivre. Et qu’on ne me parle pas du Parlement Européen puisque son ordre du jour est complètement sous le contrôle …de la Commission. Nos fiers élus Européens ne peuvent voter que sur les sujets où la Commission les a autorisés à voter et sur des textes préparés par cette  même commission. Bien entendu, cette soumission de tous les instants est grassement rémunérée pour éviter les révoltes intempestives.

    Comme je l’ai souvent écrit, les Institutions Européennes, à la fin des années 90, ont été l’objet d’un coup d’état, qui a enlevé tout pouvoir de décision aux élus des Nations pour le transférer à un théâtre d’ombres à Bruxelles.

    Premiers supporters de l’Euro donc, la classe politique au pouvoir actuellement puisque la BCE les libère de la fameuse tyrannie des marchés

    Deuxième élément de soutien qui assure la survie de l’Euro, la classe de «ceux qui sont payés par nos impôt», en salaires ou en subventions diverses et variées. Si la France venait à sortir de l’Euro, le  bénéficiaire français de cette manne étatique verrait son pouvoir d’achat amputé de la baisse du Franc Français contre le DM.  A la place d’être payé 4000 euros par mois, notre fonctionnaire toucherait 4000 nouveaux, nouveaux francs qui assez rapidement vaudraient  3000 DM. Et donc tous  ces braves gens se battent pour que la France reste dans l’Euro, puisque cela leur assure un pouvoir d’achat qu’ils n’ont en rien mérité. Un exemple entre mille : d’après le journal "Marianne", le "Président qui déteste les riches" aura plus de 40000 euro par mois de droits à la retraite à faire valoir quand il cessera ses activités, payés par nos impôts, ce qui m’amène à faire deux remarques.

    La première : dans mon article monsieur Ayrault et son chauffeur, j’imaginais que l’ancien Premier Ministre allait toucher des qu’il serait à la retraite environ  200.000 E par an, ce qui correspondait d’après mes calculs à  la rentabilité d’un capital  d’au moins 30 millions d’Euro. J’étais très, très loin du compte.

    La deuxième c’est que vous ne voudriez pas que cette belle retraite, si durement gagnée, ne soit payée en francs ? La protection du pouvoir d’achat de nos élites est un devoir national.

    Et classe politique et hauts fonctionnaires trouvent bien-sûr un soutien actif chez les média, qui ne survivent que grâce aux transfusions financières opérées généreusement par l’Etat Français vers le compte d’exploitation de nos défenseurs acharnés de la Liberté d’expression. 

    La Liberté d’expression garantie par des subventions étatiques, voila une idée que même l’URSS n’avait pas eue. La France est en effet, à ma connaissance, le seul pays démocratique au monde où la presse est subventionnée au vu et au su de tout  un chacun… par le gouvernement.

    Et le rôle de cette presse est très simple : il faut qu’elle explique sans arrêt au petit peuple, ignorant par définition mais dont ON veut le bien,  que les "experts" (Attali, Minc, Duhamel  BHL rejoints par tous les Oints du Seigneur..) sont absolument certains que si l’Euro venait à disparaitre, ce serait une catastrophe inimaginable, nous retournerions immédiatement à l’âge de pierre et la guerre entre la France et l’Allemagne reprendrait immédiatement.

    Donc, le rôle des media n’est en rien de présenter un dossier argumenté sur les avantages, les inconvénients ou les modalités d’une éventuelle sortie de l’Euro mais tout simplement de faire peur.  Et je dois dire qu’ils accomplissent cette mission avec brio et succès.Mais comme Attali, Minc, BHL, Duhamel et tous les seconds couteaux qui sévissent à leurs cotés se trompent sur tout et depuis toujours, le peuple commence à avoir des doutes.

    J’engage le lecteur à écouter par exemple sur ce site ce que disait Attali de l’Euro à la fin des années 90….On ne sait s’il faut en rire ou en pleurer. Heureusement, ce grand homme a décidé de devenir Sri Attali, le grand sage Indou qui veut nous apprendre à trouver la paix intérieure malgré la dureté de la vie. Devant un tel culot, on ne peut que s’incliner, avec respect, en espérant que pour une fois c’est lui qui a écrit l’ouvrage et que ce sera son dernier.

    Mais la partie la plus facile à effrayer dans la population est bien sur constituée par les rentiers qui ont pensé s’assurer une retraite en souscrivant à une assurance vie qu’ils ont investie massivement en obligations de l’Etat Français. Eux, ils sont terrifiés par l’éventualité d’une disparition de l’Euro, et ils ont raison.

    Mais hélas, la BCE, comme je l’ai indiqué plus haut a comme objectif premier non pas leur bien être (quelle idée !),  mais la survie des structures de pouvoir mises en place dans les 15 dernières années en Europe au profit de gens non élus tels monsieur Juncker ou Draghi. Pour cela, elle a introduit récemment des taux d’intérêts négatifs, selon la vieille idée Keynésienne que pour avoir une économie saine, il faut d’abord procéder à l’euthanasie du rentier. Comme je l’ai indiqué dans un article récent, le but parfaitement officiel de la BCE est donc de ruiner les rentiers Européens en général et le rentier Français en particulier.  Or il se trouve que les détenteurs d’assurance vie constituent en France les gros bataillons  des partisans de la survie de l’Euro et la BCE  vient de leur déclarer la guerre, pour protéger nos élites contre leur propre incompétence.

    Le choix devant lequel se trouve le rentier Français est donc assez simple.

    Soit il préfère un  infarctus, la sortie de l’Euro, et cela  n’est pas toujours fatal, soit il préfère un cancer généralisé. Dans le second cas, on  met certes plus longtemps à trépasser, mais la fin de vie n’est pas très agréable.

    Et donc nos assurés vont se retrouver ruinés quoiqu’il se passe.

    Leur soutien à l’Euro va faiblir au fur et à mesure qu’ils vont prendre conscience de cette dure réalité, ce qui va ouvrir un boulevard à ceux qui veulent le supprimer (suivez mon regard…)

    J’en tire deux conclusions :

    La première est que les lecteurs qui ont une assurance vie doivent de toute urgence en changer la composition et vendre  toutes les obligations Françaises qu’ils pourraient avoir pour les remplacer par des obligations Américaines ou des actions « Schumpéteriennes » cotées à  Paris. (NDLR sont appelées “actions schumpéteriennes des actions de sociétés sans lien avec l’Etat, qui vendent un produit tangible, pour simplifier/ ex: Air Liquide)

    La deuxième est que l’agonie de l’Euro a commencé, mais que nous avons en face de nous des forces immenses qui gèrent nos institutions en fonction du vieux principe socialiste « Périsse le Peuple plutôt que nos idées »  et donc que cette agonie va être plus longue et douloureuse pour tout le monde que je ne le pensais en 2011.

    Je suis désolé d’avoir  été trop optimiste à l’époque, et je m’en excuse.

    Et c’est en effet au pied du mur que l’on voit le mieux le mur. 

     

    Charles Gave est président de l'Institut des Libertés, un think tank libéral. Il est économiste et financier. Son dernier ouvrage L’Etat est mort, vive l’état aux Editions François Bourin 2009 prévoyait la chute de la Grèce et de l’Espagne. Il est le fondateur et président de Gavekal Research et Gavekal Securities et membre du conseil d’administration de SCOR.

  • Michel Onfray leur dit leur fait : « Les médias de masse ont intérêt à cultiver l'imbécillité »

     

    Par Alexandre Devecchio

    Michel Onfray dresse ici un réquisitoire sans concession contre des médias devenus symboles de la défaite de la pensée [Figarovox - 19.09]. Il lance sa propre Web TV* en lien avec l'Université populaire de Caen. Il l'ignore sans-doute : sa critique de l'asservissement des journalistes et des auteurs à l'Argent rejoint celle - ancienne et pertinente - de Charles Maurras. Et ses coups de griffe au Système, voire à la modernité, nous sont sympathiques. Faute d'une pensée politique réellement construite, il fait oeuvre utile pour démystifier la pensée dominante et le Système qu'elle sous-tend.  LFAR 

     

    Michel-Onfray-en-2011_exact1024x768_p.jpgVous venez de lancer votre web TV. Pourquoi avoir créé ce nouveau média ? À qui s'adresse-t-il ?

    Pour disposer de temps afin de développer des argumentations et des démonstrations, ce qui est impossible dans un média dans lequel le temps c'est de l'argent. Et souvent : beaucoup d'argent… Dès lors, dans un média classique, ce qui est visé est moins l'information, vraie ou fausse d'ailleurs, que le spectacle susceptible de créer le buzz. Autrement dit, il faut obtenir le maximum de consommateurs devant leur écran à l'heure où le clystère publicitaire se trouve infligé. Or on n'obtient pas un public massif avec de l'argumentation ou de la démonstration, mais avec de la grossièreté ou du dérapage, de l'insulte ou de la haine, du mépris ou de la boxe. Quand jadis Paul Amar apportait sur un plateau une paire de gants de boxe, il montrait ce qu'étaient vraiment les choses. On l'a d'ailleurs congédié pour avoir dénudé le roi. Il faut désormais cogner, en dessous de la ceinture si l'on veut, pour obtenir le vacillement ou le k.-o. de l'adversaire. Ce média que j'initie avec mes amis s'adresse à tous ceux qui veulent prendre le temps d'entendre des arguments sur les questions d'actualité afin de se faire un avis par eux-mêmes, mais aussi sur mille autres sujets qui constituent les séminaires de l'UP.

    Quels seront les principaux programmes ? L'esprit de cette télé sera-t-il proche de celui de l'université populaire de Caen ?

    C'est d'abord le média de l'université populaire. J'ai souhaité reporter le lancement de ce média de juin à septembre parce que les interventions de mes amis de l'UP n'étaient pas prêtes à être mises en ligne. J'ai préféré commencer plus tard, avec ma trentaine d'amis, plutôt que très vite, avec moi seul. Je souhaite par la suite créer des rubriques autonomes pour mes amis qui souhaiteraient s'exprimer aussi. Nous commençons de façon expérimentale. Il n'existe aucune WebTV de ce type à cette heure me dit-on.

    Ce projet s'inscrit-il en réaction au système médiatique actuel ? Celui-ci est-il trop uniforme ?

    Oui, bien sûr. Le système médiatique est aujourd'hui digne des systèmes les plus idéologiquement intolérants. Tout le monde peut-être invité (encore que : Patrick Cohen a franchement parlé un jour d'une liste noire de gens à ne pas inviter sur le service public…), mais il y aura au moins deux traitements : le premier qui est celui du tapis rouge réservé aux tenants de l'idéologie dominante (en un mot, les partisans du libéralisme d'État et de l'Europe transnationale) le second est celui du punching-ball réservé à ceux qui ne communient pas dans cette religion étatique et dont le temps de parole sera entièrement consacré à se justifier de ne pas faire le jeu du FN, de ne pas rouler pour Marine Le Pen, de ne pas penser comme Éric Zemmour ou Robert Ménard, de ne pas être antisémite ou islamophobe… Ainsi, on a annoncé sur France Culture que « Michel Onfray lançait son web média… comme Soral et Dieudonné ». Ce qui renseigne sur le degré de perfidie … du service public !

    Vous avez déclaré souhaiter « reprendre en main de façon libertaire et non libérale l'information ». Qu'entendez-vous par là ? Les médias véhiculent-ils une idéologie dominante ?

    Oui, bien sûr. Du moins les médias de masse et la totalité du service public qui est franchement à la botte du pouvoir d'État. Depuis que Mitterrand a abandonné le socialisme au profit du libéralisme en 1983 puis le pacifisme au profit du bellicisme en 1991, l'idéologie dominante ne sépare plus la droite de la gauche, mais les libéraux d'État de droite et de gauche (Sarkozy, Juppé, Le Maire, NKM et Hollande, Valls, Macron) et les antilibéraux de droite et de gauche (Le Pen, Guaino, Dupont-Aignan et Mélenchon, Besancenot, Arthaud). Les médias dominants roulent pour le libéralisme d'État de droite et de gauche, et je risque peu à prophétiser que le prochain chef de l'État sera issu de ce bloc-là. On changera de figure, mais pas de politique.

    Aucun espace médiatique ne trouve grâce à vos yeux ?

    Si, tel ou tel support, le vôtre par exemple, dans lequel je sais que, si l'on n'est pas d'accord avec moi, on ne me salira pas personnellement et qu'on n'utilisera pas d'attaques ad hominem, de sous-entendus tordus…

    Vous voulez échapper « au culte de la petite phrase, du sniper prêt à tout pour créer le buzz ». Lorsque vous participez à une émission comme « On n'est pas couché » ou plus récemment « C l'hebdo » avec Aymeric Caron, n'avez-vous pas tendance à y céder parfois vous aussi ?

    La production m'avait assuré que l'émission serait courtoise. J'ai eu la faiblesse de le croire quand j'ai accepté de m'y rendre. Quant aux petites phrases, si elles existent, elles ne sont pas de mon fait : je ne suis pas comme ces politiques ou ces journalistes incapables d'improviser et qui ne travaillent qu'avec des communicants qui leur écrivent les phrases qui feront les fameuses petites phrases. Nombre de journalistes lisent leurs textes et les blagues de tel ou tel sont écrites et défilent sur les prompteurs. La petite phrase est la production idéologique destinée à créer le buzz qui induit les parts de marché qui décident de la reconduction des émissions, de la place dans les grilles de diffusion et, bien sûr, des émoluments des animateurs. On comprend qu'avec pareils enjeux, les médias de masse aient intérêt à cultiver le superficiel, l'anecdotique, le bref, le ricanant, sinon l'imbécile.

    Alain Finkielkraut explique qu'il lui semble nécessaire d'aller dans la gueule du loup dire son fait à la bien-pensance et au « politiquement ricanant ». Partagez-vous son point de vue ?

    Il a absolument raison. Sauf qu'il y a des lieux où on ne peut pas faire passer son message, il s'agit de savoir lesquels. Comme ça n'est pas une science exacte, on peut se tromper. On ne le sait qu'après… Il arrive qu'on perde son temps dans une émission littéraire où les écrivains n'écrivent pas leurs livres alors qu'on le gagnera en allant sur un plateau a priori moins intellectuel mais sur lequel on aura pu dire deux ou trois choses.

    Est-il possible de réagir à l'actualité chaude en conservant le recul de la philosophie ?

    Oui, absolument. Pourquoi le philosophe n'aurait-il pas les qualités de l'urgentiste, du chirurgien de guerre, du secouriste sur les lieux d'un accident ? Et puis il est drôle qu'on se demande si un philosophe peut penser à chaud quand le moindre quidam commente la moindre actualité en ne s'autorisant que de lui ! Ou qu'on permet au journaliste de réagir à chaud. Si le philosophe a derrière lui un travail de réflexion sur les sujets sur lesquels il s'exprime, il est habilité à parler.

    La rentrée télé est dominée par le face-à-face entre Yann Barthès et Cyril Hanouna. Que cela vous inspire-t-il ?

    Les médias parlent des médias, c'est leur affaire. Il y a plus important à penser, me semble-t-il.

    Dans les colonnes du Figaro, vous déclariez : « Vouloir ressembler à Serge Reggiani ou à Yves Montand, c'est tout de même moins déshonorant que vouloir ressembler à Cyril Hanouna ! Il est donc logique que de nos jours, la kalachnikov devienne le rêve ultime …»

    Cette phrase se trouvait dans un contexte qui me faisait dire une chose, puis donner un exemple pour l'illustrer. On a préféré s'exciter sur l'exemple plutôt que de disserter sur la thèse qui était : dans un pays où l'idéal est perdu, il n'est pas étonnant que des jeunes optent pour une idéologie clé en main - l'islam intégriste en l'occurrence. Vous connaissez ce proverbe chinois : « Quand le sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt ». Sur les réseaux sociaux, on regarde beaucoup le doigt… Et les journalistes qui pensent désormais dans les formats épidermiques imposés par les réseaux sociaux emboîtent le pas. Ils disposent ainsi du buzz, premier bénéfice, puis, second bénéfice, le plus important, ils évitent le débat sur la thèse. De sorte qu'il était plus facile de faire de moi une personne qui salissait Hanouna que de s'interroger sur Hanouna comme symptôme. C'est la maladie qui est le problème, pas le symptôme. Hanouna a saisi l'occasion pour montrer du doigt le doigt qui montrait tout en ignorant même s'il y avait aussi la lune. Je lui ai fait un texto explicatif, il ne m'a pas répondu, tout à l'admiration de son doigt.

    Vous avez déclaré « le Burkini est une petite chose » et fustigé une nouvelle fois notre politique étrangère. On peut dénoncer fortement l'ingérence occidentale au Moyen-Orient tout en s'inquiétant de la désintégration culturelle d'une partie de la population française…

    Oui, en effet, mais là encore, regarder le burkini, c'est regarder le doigt… Pendant ce temps-là, on ne s'interroge pas sur les seules questions qui importent : la généalogie. D'où cela vient-il ? Que des hommes puissent croire qu'en écrasant des enfants et leurs parents avec un camion, qu'en égorgeant un prêtre qui dit la messe, qu'en massacrant des gens qui boivent un verre à une terrasse de café ou que des femmes puissent imaginer que Dieu a le souci de leur maillot de bain sur la plage ou de ce qui se trouve dans le verre qu'elles sirotent, cela renseigne sur l'état de la raison et des Lumières, de l'intelligence et de la réflexion en France. Car cette génération de personnes chez qui la défaite de la pensée est à ce point majeure est le produit de politiques « éducatives » françaises menées depuis pas mal d'années.

    Pour les gens qui vivent dans ou à proximité de quartiers salafisés, le « Burkini » mais aussi la Burqa, le voile ou la pression des barbus, ne sont pas de « petites choses », mais l'affirmation d'une identité, voire d'une idéologie conquérante… Comprenez-vous qu'une partie de la population s'inquiète sincèrement de la progression et de la banalisation des codes islamistes dans certains territoires ?

    Bien sûr que je le comprends. Mais si l'intelligence a disparu là où l'on se prosterne désormais devant des articles de foi, il faut ajouter que la disparition du débat sur ce sujet à cause de médias qui se battent à coup d'imprécations sur le principe du « pour ou contre le burkini » a laissé désormais la place au viscéral, à l'instinctif, au tripal. Les médias s'honoreraient à faire sur ces sujets de véritables émissions dans lesquelles on ne visera pas le sensationnel mais l'éducation populaire. Que certains quartiers soient perdus pour la république est une chose qui se dit depuis longtemps: qu'ont fait la droite et la gauche qui se remplacent au pouvoir depuis un demi-siècle ? Rien.

    Revenons à la désintégration culturelle. L'été 2016 a été celui du massacre islamiste de la promenade des Anglais et des « grands adultes en trottinette » chassant les Pokémon….

    Là aussi, là encore, la trottinette est le doigt… J'ai donné cet exemple pour une thèse qu'on a soigneusement évité de discuter : notre société ne se féminise pas, contrairement à ce que dit Éric Zemmour, elle s'infantilise. J'ai pris l'exemple de la trottinette, du tatouage, du baladeur, j'aurais pu ajouter, pour les adultes, car c'est d'eux dont je parlais, le vapotage qui est le suçotage des grands, le bermuda qui est la culotte courte des adultes, les baskets qui sont les chaussures des adolescents, le Pokémon bien sûr qui est le cache-cache des quadras, mais ça n'est pas le sujet, la question ou le problème. La vraie question est : quand on refuse tant de devenir ou d'être un adulte, pourquoi penserait-on autrement que comme un enfant ? Mais je subodore que le buzz va se faire plus sur « Onfray dézingue le vapotage » que sur cette thèse que nous vivons dans une société infantile où tout est fait pour infantiliser. C'est tellement plus facile de séduire l'électeur quand il est un enfant !   

    * Web TV 

    Alexandre Devecchio           

  • La globalisation, combien de morts ?, par François-Marie Boudet.

    Source : https://lebiencommun.net/kiosque/le-bien-commun-n18/

    Entretien avec Hervé Juvin

    Essayiste et député français au parlement européen du groupe Identité et Démocratie.

    « La pandémie est la conséquence de la mobilité forcenée et de l’abandon de tout dispositif de séparation entre les populations. »

    Hervé Juvin, le monde traverse en ce moment une crise liée à la pandémie de Covid-19. La crise de la globalisation est-elle une défaite des idéologies mondialistes ?

    Il s’agit d’une crise dans la globalisation. La carte de la pandémie correspond à celle des grands mouvements intercontinentaux d’aéroports à aéroports, des relations d’affaires internationales. La globalisation des affaires, la consommation touristique du monde ont facilité la propagation du virus. La pandémie est la conséquence de la mobilité forcenée et de l’abandon de tout dispositif de séparation entre les populations. La seule frontière qui protège à présent les individus reste leur propre épiderme. C’est une réalité brutale. L’abolition de toutes les séparations entre des êtres qui vivaient dans des milieux extrêmement différents, et développaient ainsi des systèmes immunitaires propres, est une réalité à certains égards effrayante. Il faut porter un masque, il ne faut plus s’approcher à moins d’un mètre de nos congénères… Nous recréons ainsi des frontières, mais entre les individus. La propagation des masques m’avait déjà choqué lors de mes voyages en Asie. J’avais alors réalisé qu’une grande partie de la population portait des masques dans la rue. Nous perdons l’altérité, l’échange avec l’autre. Le masque, comme peut le faire le voile islamique, supprime donc l’altérité. Sous prétexte de vivre-ensemble, d’abolition de barrières, une nouvelle succession de séparations sanitaires est rendue obligatoire entre les individus, du port du préservatif depuis l’épidémie du SIDA, au port du masque, en passant par la fin des poignées de mains et des embrassades. Nous assistons bien à une régression de la civilisation en modifiant la façon dont nous échangeons entre êtres humains. La situation va bien plus loin dans ses conséquences que les répercussions sur l’économie, le nombre de voyages internationaux… C’est la nature-même des relations humaines qui est en train d’évoluer : des familles se trouvent interdites de sorties à quatre ou cinq individus, il est illégal de pratiquer des activités physiques en groupe. L’idéologie du tous ensemble qui triomphe dans l’abolition des frontières aboutit ainsi à une séparation bien plus violente des individus qui sont beaucoup plus affectés qu’ils n’auraient pu l’être par les délimitations des Etats. La peau redevient la dernière frontière, elle a bien la même fonction : elle procède à des échanges, à travers la sueur, la respiration, elle est ce qui permet à tout être vivant d’accepter ce qui lui est favorable et de rejeter le défavorable.

    Une grande partie de la société semble se plier aux règles imposées, notamment le confinement, et est prête à sacrifier beaucoup pour la santé, est-ce quelque chose de nouveau ?

    Aux débuts de la révolution industrielle, un pacte a été conclu entre la démocratie et la croissance. Ce pacte consiste à dire que la liberté politique de la société de se donner ses propres lois va de pair avec la promesse d’abondance et d’enrichissement illimité pour chacun. C’est le pacte fondateur de la modernité, le pacte fondateur entre libéralisme politique et libéralisme économique. Ce pacte est maintenant en train de se rompre : il reposait principalement sur la colonisation et sur l’extraction de ressources de la nature qui n’est pas invitée au pacte. La conclusion de ce pacte sous-entendait aussi la négation du sacré, ce qui fait que les hommes peuvent tuer ou mourir pour quelque chose qui dépasse leur intérêt individuel. Le sacré c’est l’idée qu’il y a des choses qui dépassent la loi, qui dépassent l’intérêt et pour lesquelles un homme est capable de mettre sa vie en jeu. À l’heure du confinement, nous sommes invités à nous poser ces questions : est-ce qu’il reste du sacré dans nos sociétés ? Je suis frappé par l’absence de réaction alors que des milliers de Français seront morts absolument seuls dans les EHPAD ou dans les hôpitaux, d’autres causes que le co-ronavirus sans que leurs proches aient le droit de les assister. Les religieux en général n’ont pas le droit d’assister les mourants. Les édifices religieux sont fermés et les manifestations de communion de foi sont interdites. La population s’est soumise. Les lois humaines ne sont pas au-dessus de tout, elles passent après les intérêts des grands groupes pharmaceutiques et après les considérations géopolitiques sur qui sortira gagnant ou perdant de la crise. Puisqu’il y aura des gagnants et des perdants. Tous ces conflits nous font passer à côté des devoirs sacrés de l’homme qu’il a d’être présent auprès de ses proches lors de leurs derniers instants, celui d’assister religieusement les mourants. Et cela ne pose aucun problème à la majorité de la population, la priorité sanitaire absolue marque aussi une sortie de la religion et du sacré. Ce sacrifice des devoirs, des libertés à l’ordre sanitaire est par ailleurs inquiétant pour la démocratie.

    Vous parlez de crise dans la globalisation et non pas de crise de la globalisation ?

    Au lieu d’assister à un rétablissement des frontières et à une nouvelle régionalisation du monde, la globalisation peut ressortir grandie. Sachez que la fondation Microsoft de Bill Gates avait financé des recherches sur ce à quoi ressemblerait une pandémie mondiale. Par ailleurs, un certain nombre de milliardaires qui financent des organisations globa-listes profitent de la pandémie pour essayer d’instaurer une vaccination mondiale obligatoire et un système de contrôle sanitaire global. On peut craindre, après une remise en cause de la globalisation, une nouvelle marche en avant de la mondialisation au nom du vieux principe « si ça ne marche pas c’est qu’on n’en fait pas assez ». Les Big Pharma préparent l’offensive : la solution ce n’est pas la frontière, c’est la vaccination.

    L’Union européenne semble d’ailleurs avoir profité du confinemént pour entamer des négociations pour discuter de l’entrée de la Macédoine.

    Oui, il s’agit d’un sale coup, de la même manière que peut l’être de donner des financements à la Turquie et à plusieurs pays tiers. Je le redis en observant tous ces mouvements : soyons très prudents sur les conséquences de la crise que nous vivons. Les endettements seront monstrueux et échapperont aux États, au profit des grands fonds d’investissement. Les menaces sur les libertés publiques (se déplacer librement,…) se multiplient. Au lieu d’un retour des frontières, à la régionalisation, au localisme, à une nouvelle proximité avec la nature, je suis convaincu que les conséquences pourraient être l’inverse, avec l’établissement d’une autorité sanitaire globale soumettant le monde aux mêmes procédures, aux mêmes vaccins ; ou le renforcement de la sphère financière qui, grâce à l’endettement croissant des États continuera à exercer sa mainmise sur les politiques publiques et les progrès de vie, et une recherche de mainmise accrue sur le vivant.

    Que pensez-vous de la « déclaration de guerre » d’Emmanuel Macron au virus ?

    Nous ne faisons pas une guerre aux bactéries ou à un virus. Le virus fait partie de la vie. Le risque d’aller vers plus de contrôle de la vie est à prendre en compte. Ici, c’est le commerce d’animaux sauvages et la promiscuité de sociétés humaines aux systèmes immunitaires différents. La globalisation risque de donner la réponse suivante : plus de contrôle de la vie et artificialiser encore plus le monde. Le pacte que j’évoquais n’a été possible que par la colonisation et l’économie extractive. Aujourd’hui, la fuite en avant serait l’éradication. Ma conviction est que le combat contre la nature, contre la vie, ne peut être gagné. Les deux possibilités sont donc : on change de direction, ou on va encore plus loin dans la direction actuelle. En poursuivant, nous serions à la première étape d’un processus d’effondrement.

    « Tous ces conflits nous font passer à côté des devoirs sacrés de l’homme
    qu’il a d’être présent auprès de ses proches lors de leurs derniers instants, celui d’assister religieusement les mourants. »

    Il s’agit du début des conséquences de l’Hybris humaine de la guerre menée contre la nature : refus de la mort, transhumanisme, le rêve de l’autodétermination — choisir son sexe, son âge, changer d’identité à plusieurs reprises. Il s’agit d’une illusion aux conséquences sociales et psychologiques terribles dont nous commençons seulement à payer le prix.

    Ce tribut ne cessera pas de monter. Je rappelle que la véritable écologie politique, ce n’est pas le réchauffement climatique, la survie des espèces…

    La planète continuera très bien sans l’homme. L’homme est très fragile et très agressif dans le même temps. Ce paradoxe est dangereux pour l’humain et se vérifie notamment dans les zones où l’homme s’est attaqué violemment à la nature, je pense à l’Angola où les animaux ont été massacrés pour faire de la viande de brousse pendant la guerre civile, aujourd’hui des régions entières de ce pays sont vidées des hommes, la nature reprend ses droits, animaux et végétaux croissent. Nous observons la même chose en Ukraine dans la zone où le drame de Tchernobyl a eu lieu. Ne nous faisons pas d’illusion : la véritable raison de l’écologie, c’est la préservation de l’espèce humaine.

    La pandémie, aux effets statistiques relativement faibles au final par rapport aux cancers, aux maladies cardiovasculaires, a un effet de panique, de grande peur moderne. Derrière cette grande peur, on remarque que la pandémie tue en majorité des personnes diabétiques, qui souffrent de problèmes cardiaques, d’insuffisances respiratoires. Cela pose une question sur le modèle d’activité sédentaire, de nourriture industrielle très éloignée des produits directs de la nature, ce qui a pour conséquence une dégénérescence de l’espèce humaine qui la rend fragile aux pandémies de toutes sortes. Aujourd’hui les populations doivent être conscientes que nous faisons face à une dégénérescence de l’espèce : baisse de l’espérance de vie aux États-Unis, augmentation de l’obésité partout dans le monde…

    Peut-on parler de manière générale d’une médicalisation, d’une industrialisation de la vie ?

    C’est une artificialisation de la vie. On le voit avec la congélation des ovules, des laboratoires travaillent sur la reproduction industrielle du corps humain, en dehors du corps. Je reviens sur le masque, qui est un exemple de l’artificialisation de la vie humaine, un autre exemple est tout simplement l’air climatisé. Alors que le génie humain faisait que des populations pouvaient, pour certaines, vivre à 40 degrés en dessous de zéro et d’autres à 40 au-dessus. Actuellement, sous prétexte d’amélioration des conditions de vie, on prétend que tout le monde doit vivre avec une température de 19 ou 20 degrés en permanence. C’est dévastateur en termes de ressources naturelles, en termes de savoir-faire locaux, d’anciennes habitations d’Afrique ou d’Inde avaient d’excellents moyens pour laisser circuler l’air et protéger de la chaleur. L’industrie et la consommation d’énergie ruinent les savoir-faire locaux, les dernières personnes capables de construire un igloo disparaissent, comme les dernières personnes capables de construire des maisons rafraîchissant l’air. Ces adaptations culturelles disparaissent au nom de l’industrialisation et de l’uniformisation. Certains voient là un progrès, j’y vois une régression et une mise en danger de la survie de l’humanité.

    « Le libéralisme et la gestion comptable de nos dépenses publiques, en
    matière de santé et en général, fait que nous sommes dans un processus de sous-développement. »

    L’épidémie part de Chine, la Chine vend ensuite des masques aux Européens, ces masques sont achetés au dernier moment par les États-Unis qui y mettent le prix fort. Assiste-t-on à une humiliation des pays européens ?

    Bien plus que cela. En 2000, le système de santé français avait été apprécié comme étant l’un des  meilleurs du monde. On est entré dans un processus de sous-développement de nos équipements destinés au public. En 2008, la crise était une première étape, quand les experts occidentaux n’ont pu prédire l’ampleur de la crise économique. Dans le reste du monde, notamment en Chine, en Inde ou en Russie, les États ont pris conscience que les occidentaux ne sont pas meilleurs. La pandémie actuelle va selon moi renforcer cette idée. Il faut être très prudent dans nos affirmations mais parmi les pays qui semblent s’en tirer le mieux, nous voyons Taïwan, le Vietnam, la Corée du Sud où la discipline collective, le sentiment national sont extrêmement forts, alors que des nations occidentales subissent très fortement la crise. Je pense à l’Italie ou la France où le système de santé a été manifestement sous-développé et la réponse sanitaire insuffisante. La solution du confinement que nous avons adoptée est la solution du pauvre. Nous l’avons adoptée par défaut, faute de masques et de tests. C’est pire aux États-Unis, qui sont dans une détresse sanitaire alors qu’une partie de la population n’a pas les moyens de payer le moindre soin. Les gens ne se font ni tester ni soigner aux premiers signes, conditions très favorables à la propagation de la maladie. Le sentiment mondial : nous ne sommes vraiment pas aussi bons que ce qu’on disait. Le libéralisme et la gestion comptable de nos dépenses publiques, en matière de santé et en général, fait que nous sommes dans un processus de sous-développement. Nos sociétés font le sacrifice de leurs équipements pour acheter la paix sociale.

    4.jpg

  • « La monarchie permettrait de rétablir les équilibres et de garantir les libertés »

     

    Le prince Jean de France, nouveau comte de Paris, est intervenu à plusieurs reprises dans le cours de la Semaine Sainte sur différents organes de presse – Le Figaro, L’écho républicain – pour dire son souci de la France, après l’incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris. C’est ce souci de la France, dégagé de toute visée électoraliste, qui guide la pensée du Prince et qu’il veut bien confier à Politique magazine.

    Monseigneur, comment percevez-vous la campagne des européennes et l’alternative que pose Emmanuel Macron, « moi ou le chaos » ?

    C’est un peu binaire comme vision des choses ! Il faut toujours faire attention aux formules chocs, qui sont là pour marquer les esprits. Il y a certainement d’autres voies, dont une, le concert des nations, qui est une expression qui me plait. Dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, le concert des nations et le modèle de construction européenne qu’il suppose devraient être ce qui oriente la campagne. Il y a de nombreux enjeux, dans ces élections. Nous sommes le seul pays où la majorité en place, à chaque élection européenne, est élue de manière très inconfortable. L’Europe est-elle mal aimée, les Français, déjà inquiets pour eux-mêmes, sont-ils très inquiets vis-à-vis de cette instance supranationale qui paraît peu concrète et viser plus le consensus que le bien commun ? Pour le moment, on ressent surtout le désamour caractéristique des Français pour les élections.

    Ils s’expriment autrement, par exemple avec les Gilets jaunes, qui ont montré que certains Français étaient au bord de l’exaspération à force de se sentir ignorés, voire méprisés : comment ressentez-vous l’état du pays ?

    Les Gilets jaunes, si l’on met de côté les débordements qu’on connaît, expriment les multiples fractures qui existent en France, entre riches et pauvres, entre gens des villes et gens des champs, entre ceux qui sont “dans le système” et ceux qui sont hors système, entre ceux qui triment et ceux qui bénéficient de la conjoncture, etc. Ce sont ces oppositions telles qu’elles se sont creusées depuis une trentaine d’année qui surgissent, dans un ras-le-bol général où les Français réclament un travail décent, des écoles pour leurs enfants, une retraite qui leur permette de vivre après avoir donné du temps à leur pays, une couverture sociale suffisante, un environnement agréable et sécurisé… La base, quoi, alors que tout ceci est plutôt laissé de côté par une nomenklatura urbaine hors-sol qui ne comprend pas que ceux qui ne votent pas et ne manifestent pas puissent rêver d’autre chose que de leur projet.

    N’y a-t-il pas aussi chez eux le refus d’une impuissance de l’État à agir sur la réalité ?

    Il y a certainement une impuissance de l’État, puisque l’Union européenne a pris le pas sur le périmètre d’influence de l’État français. D’autre part, l’État ne s’intéresse plus au bien commun, ni au service de la France et des Français. Ce sont deux moteurs qui vont de concert.

    Quand on ne maîtrise plus la monnaie ni la loi, ni la sécurité (80 zones de non-droit, outre les incivilités permanentes !), que reste-t-il ?…

    Je suis d’accord, nous sommes désormais dans une France liquide dans une Europe sous influence comme dit Philippe de Villiers. Cette Europe autoproclamée a en fait été programmée pour et par les États-Unis.

    Outre les Gilets jaunes et leur démonstrations spectaculaires, les enquêtes du Cevipof montrent, depuis dix ans, que les Français ont de moins en moins confiance dans le personnel politique. L’idée d’un gouvernement débarrassé des contraintes de la démocratie participative recueille même un assentiment assez fort. Y a-t-il une impossibilité institutionnelle, en France, à entendre ce genre de discours ?

    Je ne sais pas s’il faut parler d’impossibilité institutionnelle, mais il y a une désaffection des Français pour leurs politiques, qui se sont détournés de leur vocation première et ont laissé le système confisquer tous les moyens d’expression, tous les sujets de débat, au point que la liberté en pâtit. Alors que c’est une liberté nécessaire de pouvoir s’exprimer et d’être entendu. Par ailleurs, dans un tel système, la seule déclinaison possible est une manière de despotisme, éclairé ou non, selon ce qu’en disent des Européens convaincus, comme M. Delors. Alors que « le Prince en ses conseils et le peuple en ses états », c’est-à-dire la monarchie, permettrait de rétablir les équilibres et de garantir les libertés, sans glisser vers le despotisme tel qu’il est aujourd’hui exercé dans les pays où les gouvernements sont dans l’idéologie globalisée du moment.

    Cette crise de confiance, qui amène dans certains pays des réponses institutionnelles particulières, ne vient-elle pas aussi du fait que l’Union européenne doit faire face à deux gros problèmes, une immigration qui fracture les populations nationales et les divise en communautés hétérogènes, sans culture commune, et l’apparition d’un islam public très revendicatif réclamant que les cultures nationales s’adaptent à ses impératifs ?

    L’islam s’accommode très bien de l’idéologie du moment qui entraîne une partition de la population française, en fonction de la religion, des communautés, des intérêts divergents. Cette partition lui permet d’avancer. On ne peut considérer sans inquiétude, voire une certaine angoisse, les pays musulmans aujourd’hui, et le sort réservé à ceux qui n’ont pas cette religion. “L’islam modéré” ne sera qu’une étape, et comme il y a plusieurs islams, on peut qu’être perplexe quant à ce que cela va donner. Il faut évidemment retrouver un socle commun, culturel, historique, religieux.

    L’incendie de Notre Dame et les réactions qu’il a suscité prouvent-ils que ce socle commun existe et n’est que recouvert par la poussière des discours médiatiques ? La France se sent-elle toujours chrétienne dans ses racines sinon dans ses mœurs, avec son histoire et sa culture ?

    J’aimerais penser qu’il s’agit en effet de quelque chose de profond, et que l’idéologie relative du moment ne fait que recouvrir ce socle. On voit que le fonds chrétien ressort, une foi culturelle dans laquelle ont baigné nos hommes politiques.

    Comment le roi peut-il créer et maintenir la concorde nationale dans un pays où une part significative de la population est musulmane ?

    L’inspiration lui viendra quand le moment sera venu ! Ensuite, si le roi est aussi le protecteur des chrétiens, la vertu exige que la foi musulmane puisse s’exprimer sans remettre en cause l’état de droit : ce sera là le point d’équilibre.

    Monseigneur, comment ce roi protecteur des chrétiens peut-il travailler avec une église catholique en crise, d’une part, mais d’autre part très acquise aux valeurs de la république et à une interprétation de plus en plus humaniste du message de l’Évangile ?

    L’Église doit régler clairement et fermement ses problèmes internes, c’est une chose. Sur le second point, depuis Léon XIII, pour ainsi dire, l’Église a changé sa politique générale, qui était de s’appuyer sur les chrétiens pour avancer dans l’espace public. Le nouveau système finit par la dissoudre : dans la lettre des évêques de France, « Retrouver le sens du politique », publiée avant les dernières élections présidentielles. Il n’y a quasiment aucune références théologiques et philosophiques… Il n’y a pas de chapitre sur le travail, alors que c’est une valeur de base pour les chrétiens. L’Église a été évincée, s’est évincée, de toutes les sphères où elle aurait pu et dû marquer sa différence. Son influence est devenue plus limitée.

    Le roi, étant donné le tableau qu’on vient de dresser, devrait-il se borner aux fonctions régaliennes classiques (police, justice, armée, monnaie) ou, au moins pendant un temps de transition, tenir compte de l’importance considérable pris par l’État en France et de l’ampleur non moins considérable des problèmes que l’État n’a pas réglés, comme le désastre environnemental ?

    Bien sûr, c’est nécessaire. Et les rois ont toujours été des têtes de pont en matière environnementale. Il faut s’inscrire sur le long terme. L’environnement, et les questions sociales, et j’ai sur ce sujet la même sensibilité que mon grand-père : le Prince doit s’intéresser à ces questions-là. C’est un élément fort de pouvoir travailler sur ces sujets. Et il n’y a que les Princes qui peuvent agir : seul le roi est capable de poursuivre le bien commun tout en respectant les populations. Mieux vaut être petit, cela dit, comme le dit le prince du Liechtenstein.

    Aujourd’hui, la France n’est pas petite et le gouvernement d’une nation est enserré dans un tissu serré de relations internationales. Comment théoriser un pouvoir national aujourd’hui ?

    La seule chose qui fonctionne, c’est le principe de subsidiarité, qui s’appuie sur la confiance : les hommes sont faits pour vivre ensemble et s’ils s’entendent ils vivent mieux. C’est ça, le bien commun. Aujourd’hui, on pousse l’homme, par l’individualisme, à assumer ses désirs jusqu’à ce qu’on lui supprime ses libertés. Ce qui gouverne nos sociétés, c’est la défiance, l’idée que l’homme est un loup pour l’homme. Il faut changer de philosophie politique. Et on en revient au concert des nations : le concert n’exclue pas les fausses notes mais il y a une partition, une liberté d’interprétation et une volonté de jouer ensemble, chacun avec son talent.

    Monseigneur, comment voyez-vous votre rôle ici, en France, en 2019 ?

    Déjà comme chef de famille, dans une relation apaisée. Et je veux m’impliquer plus dans la vie de mon pays, par la parole et par les actes, avec des relations plus fortes avec l’État et des structures intermédiaires, avec les populations. Je parlerai plus fréquemment, et j’espère que mes actes seront à la hauteur. C’est important que le chef de la Maison de France soit présent.   

    Propos recueillis par Jean Viansson-Ponté et Philippe Mesnard

    Voir dans lafautearousseau ...
    Monseigneur le Comte de Paris, Famille de France
  • Guerre idéologique, par Philippe Germain.

    Table des matières

    La technocrature, maladie sénile de la démocratie  : (15/16)

    Elites et Géneration Maurras

    Pourquoi normal «  a minima  »  ? Simplement parce que l’Action française va jusqu’à voir dans la conquête technocratique de 2017 un fait «  justifié  », car contrairement au pays réel, le pays légal possède des élites.

    philippe germain.jpgL’importance attribuée au concept d’élite par l’Action française date de la Génération Maurras. Cette génération «  champignon  » de jeunes monarchistes – ignorante de l’analyse sociale de Pierre Debray sur les «  dynasties républicaines  » – se lança dans l’identification des élites du pays légal. En 1991, le premier numéro de la revue Réaction, dirigée par Jean-Pierre Deschodt et François Huguenin proposa un dossier novateur sur «  L’élite  ». Il prolongeait le numéro 2 des Cahiers d’Action française sur «  Pays légal/pays réel – la rupture  », réalisé sous la direction de Xavier Lepage en 1990. Le comité de rédaction de Réaction fit appel à plusieurs professeurs de Paris II et Paris IV. Il y a trente ans déjà, ils identifièrent les quatre élites du modèle oligarchique sous les noms de «  contre élite politicienne/élite de défense républicaine  », «  oligarchie financière/élite de l’argent  » puis les intermédiaires «  contre-élite médiatique/amuseurs et savoir  » et enfin «  technocratie  ». Les universitaires présentèrent les élites démocratiques comme des «  contre-élites  » dont l’obsession principale «  est de se protéger par tous les moyens contre ceux qui pourraient dénoncer, en utilisant leurs propres canaux, le caractère indu des privilèges qu’elles s’attribuent, et l’immoralité de leur domination.1  » Ils retrouvaient là les travaux maurrassiens d’un universitaire grenoblois réalisés vingt ans auparavant  : «  Le système ne garde une certaine pérennité qu’à la condition d’asservir ces factions “naturelles” au profit des couches sociales qui tirent directement leur subsistance et leur pouvoir de cette forme de régime, ces couches sociales constituent le pays légal. C’est une des clés de la démonstration maurrassienne ; la république, ne se perpétue qu’en désorganisant le pays réel.2  »

    En revanche Philippe Mesnard3 — représentatif de la Génération Maurras —explorait le concept d’élite à travers Pareto en mettant en évidence sa loi d’élimination des élites devenues faibles au profit d’une minorité qui, à son tour, perdra le pouvoir. Une loi vérifiée empiriquement en 2017 par l’élimination de l’élite politique au profit de la Technocratie avec l’aide de l’élite médiatique. Car voilà la première raison pour laquelle l’Action française considère comme justifiée la conquête technocratique du pouvoir politique. Le pays légal dispose encore de deux élites efficaces  : la médiatique et la technocratique. Ce n’est plus le cas du pays réel. La classe moyenne «  basse  » des Gilets Jaunes est loin de constituer une élite, ni d’ailleurs l’archipel catholico-conservateur qui entre en réaction contre le libéralisme sociétal mais vote pour le libéralisme politique  ; on écarte bien que ce qu’on peut remplacer. Le Pays réel ne pourra pas reprendre le pouvoir, suivant la belle formule de Pierre Boutang4, sans disposer d’une élite.

    Guerre  : culturelle ou idéologique

    La seconde raison, pour laquelle l’Action française considère justifiée la conquête technocratique du pouvoir politique, tient à l’analogie qu’elle fait avec l’idée5 d’Alain de Benoist sur un gramscisme de droite. Effectivement l’Action française constate que le pays légal est parvenu, tout en dégageant son élite politicienne disqualifiée, à établir une concordance entre la majorité politique (LREM-progressiste), la majorité sociologique (cadres, retraités, fonctionnaires) et la majorité idéologique (pôle des valeurs républicaines). A suivre le «  Pape  » de la Nouvelle Droite, la victoire-sauvetage du Pays légal serait justifiée, car l’alignement majoritaire réalisé en 2017 constitue la recette gagnante dans le Système. Du moins dans le Système de démocratie représentative dans lequel se place Benoist. L’élite médiatique à emporté la guerre culturelle, justifiant la victoire technocratique de 2017.

    C’est la fameuse guerre culturelle, sur laquelle la Génération Maurras s’est penchée depuis 1988 en rapprochant ses deux théoriciens  : Maurras et Gramsci6. Elle a donc étendu la méthode de physique sociale de la préoccupation de ce qu’elle a préféré nommer «  la guerre idéologique  »7. En réalité, elle retrouvait tout à la fois le souci maurrassien de L’Avenir de l’Intelligence (1903, celui de Jacques Bainville créant l’Institut d’Action Française en 1905), le manifeste d’Henri Massis «  Pour un parti de l’Intelligence  » (1919), la Revue Universelle (1920) et la réflexion stratégique de Michel Michel sur «  Les intellectuels8  » (1979).

    A vrai dire, la primauté du «  culturel d’abord  », permettant à la Nouvelle-Droite de se poser en s’opposant au «  politique d’abord  » maurrassien, est dans la pratique ramenée à la vieille lutte idéologique. On retrouve la vieille tension entre le catholicisme et une religion du «  Progrès  » substituant «  Demain  » au Ciel comme projection idéale polarisant l’espérance. Pendant longtemps, explique Michel Michel, «  la France a vécu dans une diarchie idéologique de type Don Camillo/Peppone  : les conflits avaient été rudes (surtout vers le début du XXe siècle  : séparation de l’Église et de l’État, expulsion des moines, inventaires des églises, affaire des fiches, etc.)  ; mais, après la guerre de 14-18, ces deux idéologies s’étaient assoupies, à peine réveillées par la “guerre scolaire” au début du septennat de François Mitterrand. Il fallut l’irruption d’une grosse immigration musulmane pour venir bouleverser cette guerre de tranchées presque figée dans son rituel.9  »

    Les trois référentiels idéologiques

    Pour l’Action française, la guerre idéologique va donc devoir être réinventée. En 2015 son responsable de la stratégie a effectivement produit une réflexion suite aux grandes manifestations contre la loi pour le mariage homosexuel. Dans son «  Chaos des référentiels  », Michel Michel estime : «  Aujourd’hui et dans les années qui vont suivre, trois pôles sont susceptibles de proposer un système cohérent de valeurs et un projet de société susceptible de structurer notre société  : le pôle “catholique et Français toujours”,, le pôle des “valeurs républicaines” et le pôle “islamiste”10.  »

    Et il précise  : «  Naturellement, on pourra trouver de nombreux cas échappant à cette typologie  : serviteurs de l’État souverainistes, catholiques bretons militants socialistes, maghrébins christianisés ou convaincus par le laïcisme  ; aussi faut-il comprendre ces trois pôles comme des “idéaux-types” qui, à la façon de Max Weber, sélectionnent les traits les plus pertinents pour permettre un raisonnement qui dépasse une vision atomisée et “nominaliste” de la société française.11  » Même si les enjeux des affrontements idéologiques sont surtout symboliques — voile dans les lieux publics, mariage gay, déchéance nationale, crèches de Noël dans les collectivités publiques, destruction de statues —, chaque pôle pourra se prévaloir d’une légitimité entrant en concurrence avec les deux autres  :

    • celle de l’identité et des traditions coutumières françaises  ;
    • celle des institutions légales  ;
    • celle de la conviction religieuse, de la jeunesse et d’un accroissement exponentiel.

    Pour l’Action française, il y a donc, à présent, non plus deux, mais trois projets de société, provoquant dans chaque «  camp  » durcissement et radicalisation réactionnelle. Pour elle, c’est le seconde évolution du temps présent, à prendre en compte après le déséquilibre au sein du pays légal crée par le dégagisme de l’élite politique et la prise de pouvoir technocratique.

    Germain Philippe ( à suivre)

    1 Claude Rousseau, «  Elites démocratiques, ou «  quand les égaux veulent se donner des rois  », Réaction n°1, 1991, p.28.
    2 Miche Michel, «  Pays légal – pays réel  », Amitiés Françaises Universitaires n° 165, mai 1971
    3 Philippe Mesnard, «  La pendule de Pareto «   l’histoire est un cimetière d’aristocraties  », », Réaction n°1, 1991, p.46-51.
    4 Pierre Boutang, Reprendre le pouvoir, Sagittaire, 1978.
    5 Alain de Benoist, «  Les causes culturelles du changement politique  », Pour un «  Gramscisme de droite  » -Actes du XVI° colloque du G.R.E.C.E., Le labyrinthe, 1982, p.11.
    6 Nicolas Portier , «  Deux théoriciens du pouvoir culturel  : Maurras et Gramsci  », Le Feu-Follet n°2 nouvelle série, octobre 1988.
    7 Nicolas Portier , «  La guerre idéologique  », Le Feu-Follet n°2 nouvelle série, octobre 1988
    8 Michel Michel, «  Les intellectuels  », Revue Royaliste n°3, janvier 1979.
    9 Michel Michel «  Les gilets jaunes  : qu’elle idéologie  », Nouvelle Revue Universelle n°57, 2019, p.48.
    10 Au sein de chaque Pôle, on pourra distinguer des «  écoles de pensées  » plus sophistiquées qui visent à rendre le Pôle plus cohérent et plus réactif  ; on donnera en exemple le trotskisme pour le Pôle idéologique républicain, ou l’Action Française pour le Pôle «  Catholique et Français toujours  ». Le risque de la sophistication de l’école de pensée est de ne plus avoir prise sur leur Pôle beaucoup plus fruste (par exemple effrayer les «  conservateurs  ») ; leur chance est de pouvoir se mobiliser et modifier les rapports de force globaux (cf. l’entrisme de l’OCI trotskyste dans le système républicain).
    11 Michel Michel «  Les gilets jaunes  : qu’elle idéologie  », Nouvelle Revue Universelle n°57, 2019, p.51.

  • Pourquoi le régime Algérien déteste t’il la France, par Charles Saint Prot.

    Direc­teur géné­ral de l’Observatoire d’études géopolitiques

    Doyen de l’Institut afri­cain de géo­po­li­tique (IAGEO)

    La déci­sion du régime algé­rien de rap­pe­ler son ambas­sa­deur en France, le 2 octobre 2021, est — comme la rup­ture des rela­tions avec le Maroc — celle d’un sys­tème à bout de souffle. Un sys­tème qui, à force de trom­per le monde depuis l’indépendance en 1962, tourne en rond et ne satis­fait que les inté­rêts par­ti­cu­liers des pro­fi­teurs cor­rom­pus du régime.

    2.jpgMais qu’a dit le pré­sident Macron pour conduire Alger à ce rap­pel sur­pre­nant de son ambas­sa­deur ? Tout sim­ple­ment que lors de dis­cus­sion avec des jeunes rela­tée par le quo­ti­dien Le Monde, Emma­nuel Macron a esti­mé, le jeu­di 30 sep­tembre, qu’après son indé­pen­dance en 1962, l’Algérie s’est construite sur « une rente mémo­rielle entre­te­nue par le sys­tème poli­ti­co-mili­taire ». Il y évoque aus­si « une his­toire offi­cielle réécrite », qui « ne s’appuie pas sur des véri­tés » mais sur « un dis­cours qui repose sur une haine de la France ». Dou­tant que l’Algérie ait consti­tué une nation avant la pré­sence fran­çaise, Emma­nuel Macron a éga­le­ment noté que les ter­ri­toires d’Alger, de Constan­tine et d’Oran étaient occu­pés par les Turcs otto­mans ; les­quels avaient été arrê­tés par les Rois du Maroc à la fron­tières marocaine.

    Dans un com­mu­ni­qué le régime algé­rien pré­tend que les pro­pos de M. Macron por­te­raient atteinte à la mémoire des 5,63 mil­lions de mar­tyrs qui auraient été vic­time de la pré­sence fran­çaise ! Encore un effort et les Algé­riens arri­ve­ront aux 6 mil­lions, alors que tout le monde sait qu’en 1830, il y avait à peine 2,5 mil­lions de per­sonnes sur le ter­ri­toire (dont une tren­taine de mil­liers dans la ville d’Alger) que la France appel­le­ra l’Algérie, et qu’il y en avait une dou­zaine de mil­lions (sans comp­ter 1 mil­lion d’Européens) lorsque la France est par­tie en 1962. Par­ler de géno­cide est donc une aber­ra­tion ou un slo­gan de pro­pa­gande d’un régime qui ne croit pas à ses propres men­songes — comme j’ai moi-même pu le consta­ter au début des années 1980 chez le pré­sident Chad­li Bendjedid.

    Une dic­ta­ture militaro-communiste

    Quand M. Macron affirme que le régime algé­rien — celui d’une dic­ta­ture mili­ta­ro-com­mu­niste ins­tal­lée depuis 1962 et 1965- déteste la France, il dit vrai car ce sys­tème s’est construit dans le mythe du résis­tan­cia­lisme et l’anti-France. Il déteste tout autant la France que le Royaume du Maroc et sans doute faut-il y voir le com­plexe d’un Etat nou­veau mis en place dans les années 1960, c’est-à-dire il y a moins de 60 ans. Cela fait une rude dif­fé­rence avec deux vieilles nations comme la France et le Maroc qui ont plus de mille ans d’existence !

     La récente déci­sion de Paris visant à l’indemnisations des Har­kis — les Algé­riens qui prirent le par­ti de la France — a sans doute aggra­vé les choses les causes de res­sen­ti­ment anti-fran­çais d’un régime qui en a fait son fonds de commerce.

    Une atti­tude ambi­guë contre le terrorisme

    Cela a, bien enten­du, des réper­cus­sions impor­tantes sur le plan géo­po­li­tique. C’est Alger, par le biais de la sor­dide « Sécu­ri­té mili­taire » for­mée par le KGB[1],  qui a été la matrice des mou­ve­ments (GIA)[2], Mou­ra­bi­toun de Ben­mok­thar ral­lié à AQMI (dont le diri­geant un membre du Poli­sa­rio vient d’être tué par l’armée fran­çaise), MUJAO et autres, pré­ten­du­ment isla­mistes mais réel­le­ment ter­ro­ristes qui pul­lulent dans la zone saha­ro-sahé­lienne. Et pour­tant Alger conti­nue à nier l’évidence :  la conni­vence indé­niable entre les groupes ter­ro­ristes algé­riens et AQMI ; c’est Alger qui ins­pire l’agit-prop contre son peuple, la France et l’unité maro­caine avec les réseaux com­mu­nistes et gau­chistes rému­né­rés par la Sécu­ri­té mili­taire ; c’est Alger qui se réjouit de la mau­vaise coopé­ra­tion d’un régime malien cor­rom­pu avec la France : c’est Alger qui applau­dit lorsque le pre­mier ministre malien insulte devant l’Assemblée géné­rale de l’ONU l’armée fran­çaise – qui est la seule à faire le tra­vail dans son pays.

    Il est clair que l’Algérie n’est pas un par­te­naire fiable en matière d’antiterrorisme, à la dif­fé­rence du Royaume du Maroc dont la loyau­té et la coopé­ra­tion exem­plaire sont louées aus­si bien à Paris que dans les capi­tales des pays euro­péens ou aux États-Unis. Com­ment ce régime qui n’a pas réus­si à éra­di­quer le ter­ro­risme sur son propre sol durant les deux der­nières décen­nies pour­rait-elle y par­ve­nir dans la région ?

    Un régime algé­rien aux abois

    Sur­tout, ce régime aux abois est celui de toutes les ambigüi­tés. L’avocat Hocine Zahouane, mili­tant des droits de l’homme, membre fon­da­teur et ancien pré­sident de la Ligue algé­rienne pour la défense des droits de l’homme (2005 – 2007), a pu noter que « La vio­lence [en Algé­rie] est entre­te­nue par des forces qui n’ont pas inté­rêt que la socié­té s’organise pour défendre ses droits, c’est une façon d’exercer l’hégémonie par le désordre ». On a vu récem­ment avec les mani­fes­ta­tions du Hirak, la crise avec le Maroc, les attaques anti-fran­çaises, la paro­die d’élections qui ont por­té à la pré­si­dence un homme qui a réuni 99% des suf­frages mais moins de 12 % d’électeurs, que le régime ne recule devant rien pour se main­te­nir au pou­voir. Cela l’entraînera-t-il dans une guerre insen­sée contre le Maroc ?  En tout cas, cela explique la logor­rhée anti­fran­çaise de ce sys­tème dont le peuple algé­rien reste la pre­mière victime.

    [1] Actuel­le­ment Dépar­te­ment de ren­sei­gne­ment et de sécu­ri­té (DRS), mais pour les Algé­riens ter­ro­ri­sés c’est tou­jours la SM. Sur le rôle de la Sécu­ri­té mili­taire, voir S.-E. Sid­houm : « La Sécu­ri­té mili­taire au cœur du pou­voir. Qua­rante ans de répres­sion impu­nie en Algé­rie, 1962 – 2001 », in Alge­ria-watch, sep­tembre 2001. [2] Selon Moha­med Sam­raoui, ancien colo­nel de la DRS, lors d’une inter­view à la chaîne arabe El Dja­zi­ra, le 5 août 2001 : « Les GIA [Groupes isla­mistes armés], c’est la créa­tion du pou­voir : ils ont tué des offi­ciers, des méde­cins, des jour­na­listes et beau­coup d’autres. […] L’intérêt des géné­raux est d’appliquer la poli­tique de la ter­reur pour cas­ser les reven­di­ca­tions légi­times du peuple ». Cité par Fran­çois Gèze, « Fran­çal­gé­rie : sang, intox et cor­rup­tion ».

     

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • Éphéméride du 21 avril

    Martigues, de nos jours

     

     

    1581 : Martigues devient une commune 

     

    À la demande expresse du roi Henri III, les représentants des trois communes indépendantes et rivales, de Jonquières, l’Isle et Ferrières signent leur Acte d’union.

    Deux mois plus tard, le 4 juillet 1581, Henri III érigera Martigues en Principauté.

    Le roi souhaite pacifier définitivement cette région en proie aux soubresauts des Guerres de religion, mais il veut aussi renforcer la flotte française en Méditerranée, face aux barbaresques et aux espagnols. De ce point de vue, Martigues joue un rôle stratégique de premier plan sur la côte provençale grâce à son avant-port fortifié de Bouc  (ci-dessous), qui commande et verrouille l’accès à l’Étang de Berre.

    Mais rien n’était possible tant que duraient les continuelles divisions entre les trois communes rivales. D’où l’insistance du roi... 

    Fort-de-Port-de-Bouc-BoucheXL.jpg
    À l'entrée du canal de Caronte, reliant la mer Méditerranée et l'étang de Berre, le phare du Fort de Bouc (ci dessus et ci dessous) est aménagé sur la tour d'un ancien fort, situé sur l'îlot de Bouc : 

    1671 : Naissance de John Law de Lauriston

     

    On peut prononcer Lass - comme au XVIIIème siècle - ou bien, tout simplement, Lo, comme le recommande Bainville dans sa Petite Histoire de France...  

    21 avril,racine,thierry maulnier,boileau,daviel,louis xv,marseille,martigues,fort de bouc,vauban,law    

    John Law, par Casimir Balthazar, Huile sur toile, 1843, musée de la Compagnie des Indes, Lorient

          

    De Michel Mourre :

    "...Recherché par les grands seigneurs à cause de sa réputation de joueur, il fut bientôt l'un des intimes du duc d'Orléans. Celui-ci, devenu régent, autorisa Law à fonder une banque privée (2 mai 1716), dont les billets furent admis comme espèces dans toutes les caisses publiques. Pour établir la confiance, Law prit l'engagement de toujours rembourser les billets de banque au cours originel, ce qui rendait la monnaie de papier préférable à la monnaie métallique, dont le titre légal variait constamment. Devant le succès, Law fonda la Compagnie d'Occident, qui eut le monopole d'exploitation de la Louisiane, le privilège du commerce avec le Mississippi, la Chine et les Indes, le monopole du tabac, et qui se vit confier la refonte et la fabrication des monnaies, le recouvrement des impôts directs, etc...(1717/1718).

    Pendant quelques années, la banque de Law, devenue en 1718 banque d'Etat, suscita une fièvre inouïe de spéculation : le public, entraîné par une habile propagande, se disputait avec fureur les actions de la rue Quincampoix, principal centre de l'agiotage. Le prix des actions monta jusqu'à quarante fois leur valeur primitive, tandis que Law, honnête mais trop confiant dans son système, se laissait aller à émettre une quantité énorme de billets, qui n'étaient nullement en proportion avec les valeurs réelles que la banque possédait (on estime que Law créa près de 7 à 8 milliards de valeurs en papier, alors que toute la réserve métallique du pays ne s'élevait guère à plus de 1.200 millions). Le système se trouvait ainsi à la merci d'une panique : celle-ci se déclencha en février 1720 lorsque les ennemis de Law réalisèrent brusquement leurs billets.... L'ampleur du désastre le contraignit à se réfugier à Bruxelles. Après avoir erré en divers pays, , il alla mourir en Italie, dans un état voisin de l'indigence..."

    21 avril,racine,thierry maulnier,boileau,daviel,louis xv,marseille,martigues,fort de bouc,vauban,law

    Le 24 Mars 1720 eut lieu la fermeture des établissements bancaires de la rue Quincampoix : cette banqueroute provoqua des émeutes dans la célèbre rue parisienne...

    http://sceco.univ-poitiers.fr/hfranc/systLaw.htm 

    Il est, souvent, de bon ton de critiquer durement Law, son "Système" et, finalement, son échec; au mieux, de le moquer, lui et son "papier-monnaie". C'est, cependant, un jugement partiel et injuste, car c'est oublier qu'il a rendu un immense service à la Royauté et au pays tout entier...

    Lorsque Louis XIV mourut, la Dette publique était colossale : on l'estime généralement à dix années pleines des rentrées fiscales pour l'ensemble du Royaume ! C'est qu'il avait coûté fort cher de réunir le Roussillon (avec Perpignan), la Franche-Comté (avec Besançon), l'Alsace (avec Strasbourg et Mulhouse), la Flandre gallicante (avec Dunkerque et Lille, réunion qui, de plus, mettait définitivement à l'abri, à l'intérieur du Royaume, la province d'Artois, alors trop en pointe et perpétuellement exposée aux invasions...).

    Et justement, grâce à Law et à son Système, qui remporta le succès considérable que l'on sait à ses débuts, cette Dette énorme et calamiteuse fut remboursée et soldée en fort peu de temps.

    Il faut donc savoir gré de cela à Law et au Régent, si l'on ne veut pas avoir une vue partielle et, finalement, injuste, de l'homme et de son Système de papier-monnaie, peut-être trop en avance sur son temps, et sur les mentalités...

     

     

     21 avril,racine,thierry maulnier,boileau,daviel,louis xv,marseille,martigues,fort de bouc,vauban,law

     

     

    1699 : Mort de Racine

     

    S'il a le privilège de respecter les règles, comme si elles avaient été faites pour lui, il n'en demeure pas moins que, comme Molière et comme Boileau, Racine met au-dessus de tout, et donc des règles elles-mêmes, le fait de "plaire" et de "toucher".

    Dans sa préface de Bérénice, il écrit :

     "...Je les conjure (les spectateurs, ndlr) d'avoir assez bonne opinion d'eux-mêmes pour ne pas croire qu'une pièce qui les touche et qui leur donne du plaisir puisse être absolument contre les règles. La principale règle est de plaire et de toucher : toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première".

    racine.jpg

    http://salon-litteraire.com/fr/jean-racine/content/1810891-racine-biographie

     

     

     21 avril,racine,thierry maulnier,boileau,daviel,louis xv,marseille,martigues,fort de bouc,vauban,law
     
     
     
     
    1745 : Première opération de la cataracte
     
              
    C'est le "médecin de peste" normand Jacques Daviel qui réalise avec succès, à Marseille, cette première opération moderne de la cataracte.
     
    "En est-il tellement dont on puisse faire précéder leur nom des prépositions avant et après pour désigner deux périodes du savoir des hommes ?" (Professeur Pouliquen).
     
    JACQUES DAVIEL.JPG

     

    Chirurgien et oculiste, Jacques Daviel naquit en 1693 à La Barre, en Ouche, au sud de Bernay, en Normandie.

    À 15 ans, il est apprenti chirurgien dans la capitale. Il étudie à Paris puis, en 1719 se rend à Marseille à l'occasion de la Grande peste. Là, il donne pendant vingt ans des cours d'anatomie et de chirurgie. Dès 1728 il s'occupe spécialement des maladies des yeux et ne tarde pas à acquérir une grande célébrité.

    En 1736, il est nommé chirurgien des galères puis, en 1738, démonstrateur d'anatomie et de chirurgie. Il est reçu dans plusieurs cours d'Europe, et devient membre de l'Académie royale de chirurgie. Sa carrière connaît son apogée le 21 Avril 1745 grâce à cette intervention réussie de l'extraction du cristallin.

    En 1746 il part se fixer à Paris, où il est autorisé à opérer aux Invalides, puis en 1749 il est nommé chirurgien-oculiste du roi Louis XV. Il présente sa nouvelle technique en 1752 : "Sur une nouvelle méthode de guérir la cataracte par l'extraction du cristallin".

    Sur 306 de ses opérations, 282 ont été un succès.

    Daviel doit être considéré comme l'inventeur du procédé d'extraction de la cataracte, dont il a le premier formulé exactement les règles. Il est décédé à Genève le 30 septembre 1762.

    Ci dessous, son buste dans les jardins de l'Hôtel-Dieu de Marseille.

    Daviel.jpg
     
     
     
     
     21 avril,racine,thierry maulnier,boileau,daviel,louis xv,marseille,martigues,fort de bouc,vauban,law
     
     
     
     
    1770 : Marie-Antoinette quitte Vienne, pour aller épouser le futur Louis XVI... 
     
     
    De Raphaël Dargent, Marie-Antoinette, le Procès de la Reine (page 42) :
     
    21 avril,racine,thierry maulnier,boileau,daviel,louis xv,marseille,martigues,fort de bouc,vauban,law"...Lorsque, le 21 avril, le cortège de cinquante-sept voitures et de trois cent soixante-seize chevaux s'élance de Schönbrunn, la petite Antonia, la tête penchée à la portière de sa voiture a les yeux baignés de larmes. Elle regarde une dernière fois l'immense façade ocre du palais des Habsbourgs (ci contre), en songeant à toutes ces années de bonheur enfantin qui ne reviendront plus. Quel arrachement ! Autour de l'archiduchesse, une trentaine de personnes l'accompagne, des dames d'honneur, des femmes de chambre, des coiffeurs, des secrétaires, des couturières, des chirurgiens, des pharmaciens, des pages, des laquais, des cuisiniers et une escorte de gardes nobles, tout ce monde placé sous les ordres du comte de Starhemberg, chargé de la "remise". Le périple de Vienne à Strasbourg est fort long et fort éprouvant; de relais en relais, il ne faudra pas moins de vingt mille chevaux ! Les étapes se succèdent : Molck le 21 avril où elle couche au couvent des Bénédictines, puis Enns le 22 où le prince d'Auesperg la reçoit en son château; Lambach le 23, Altheim le 24, Alt-Oettingen le 25, le château de Nymphenbourg non loin de Munich les 26 et 27, Augsbourg le 28, Gunsbourg du 29 au 31. Le 1er mai on est à Riedlingen, le 2 à Stockbach, le 3 à Donau-Eschingen et le 4 mai on atteint Fribourg. Chaque jour, on passe six à neuf heures sur la route. Après deux jours de repos, on franchit la Forêt-Noire le 6 mai pour une dernière escale à l'abbaye de Schüttern.
  • Indépendance de la Catalogne ? Une autre Espagne devrait être possible

    Par Jorge Soley Climent, 26.09.2012 - Fundacion Burke

    Que se passe-t-il actuellement en Espagne ? En Catalogne ? Que se passe-t-il dans ce royaume - restauré en 1975 - qui a été, dans les siècles passés, si souvent et si longtemps en proie à l'instabilité, aux luttes et aux guerres civiles - dont la dernière fut la plus radicale, la plus terrible et la plus meurtrière - mais qui vit en paix depuis 73 ans ?

    Est-il à craindre que cet équilibre vienne à se rompre sous l'action conjuguée des durs effets de la crise économique et corrélativement des différents séparatismes ? Les récents évènements de Catalogne (manifestation monstre de Barcelone, projet de référendum pour ou contre l'indépendance, organisé par le gouvernement catalan) donnent à cette interrogation toute son actualité. Catalan, vivant à Barcelone, Jorge Soley Climent a donné son analyse de la situation dans une note parue sur le site de la Fundacion Burke, note dont nous trouvons intéressant de publier une traduction française, comme première contribution à notre commune information sur les évènements qui affectent le royaume espagnol. A divers titres, ils nous intéressent, nous, royalistes français, tout particulièrement. Nous y reviendrons rapidement car, avant les échéances électorales catalanes, le Pays Basque et la Galice votent ce dimanche...

    Catalogne.jpg

    Permettez-moi de commencer en disant qu’il ne m’est ni facile ni agréable d’écrire au sujet de la manifestation indépendantiste du 11 septembre dernier, dans ma ville, Barcelone. Trop de sentiment, trop de douleur de voir mon pays et mon peuple prendre un chemin qui va à l'encontre de notre histoire et des réalisations exemplaires des Catalans, ce que la dissolution du Parlement, hier, vient seulement confirmer. Mais je comprends que c'est mon devoir de surmonter mon amertume et de tenter de faire partager ma vision de la question avec ceux qui veulent mieux comprendre ce qui se passe en Catalogne... et, par voie de  conséquence, en Espagne. La première et importante question est de savoir comment nous en sommes arrivés là. Parce qu'il est tout à fait hors de doute que le sentiment séparatiste n'était pas seulement marginal au cours des trois dernières décennies, mais, même, ces deux dernières années. Qu’est-ce qui a changé pour que des centaines de milliers de personnes (je ne vais pas entrer la guerre des chiffres) sortent dans la rue convoquées au nom d’un slogan proposant de nous séparer de l'Espagne ? Il est évident que les causes sont multiples et complexes et que, pour simplifier, l’on risque de laisser des éléments pertinents en dehors du cadre explicatif, mais je crois que nous assistons à la cristallisation de deux phénomènes différents (bien que concurrents et se nourrissant les uns des autres) dans un moment historique particulier.

    Tout d'abord, il y a un séparatisme nationaliste doctrinal avec sa propre histoire et son développement en Catalogne. Ce séparatisme a toujours été minoritaire, non seulement au sein de la société catalane, mais aussi au sein même du catalanisme politique. Il a néanmoins été hégémonique tout particulièrement dans le milieu de l'éducation (les « madrasas » nationalistes, selon l'expression de Miquel Porta Perales1), endoctrinant depuis longtemps les nouvelles générations de Catalans, leur enseignant le rejet de l'Espagne et, par conséquent, de l'histoire et des traditions de la Catalogne. Ce que Francisco Canals2 a désigné comme nationalisme catalan de teinture extrinsèquement révolutionnaire a été le menu habituel dans nos salles de classe depuis bien longtemps. Je me souviens maintenant de l'anecdote d'un ancien ministre de Pujol3, qui l’avait averti qu'on était en train de dispenser un enseignement indépendantiste des plus révolutionnaire et que cela finirait par leur faire perdre le pouvoir (comme cela s’est passé avec l'arrivée du Tripartito4). Le Président a répondu : tu as raison, mais nous ne sommes pas au temps des nuances, mais au temps où il s’agit de bâtir un pays. C'est le pays qui fait surface maintenant.

    Mais, s’il est incontestable que ce séparatisme doctrinal connaît une forte croissance, (n'oubliez pas ici l’exemple Weaver : les idées ont des conséquences), cela n'explique pas entièrement la multitude des gens qui sont descendus dans les rues (l'an dernier une annonce similaire n’avait pu mobiliser que 10 000 manifestants à la même période et au même lieu). Nous avons affaire, ici, à une nouvelle composante du séparatisme - que nous pourrions appeler « l'indépendantisme opportuniste » - liée à la crise économique, politique et institutionnelle qui a embrasé Espagne. Nous sommes face à un environnement radicalement différent de notre passé récent, avec un nombre croissant de personnes qui vivent très mal ce contexte, avec une érosion très réelle de leur aisance matérielle et un nombre toujours plus grand de familles à la limite de situations qui ne peuvent être qualifiées que de tragiques, ou qui y sont déjà installées. De plus en plus étouffées par un fardeau fiscal qui, depuis déjà longtemps, a dépassé les limites du raisonnable, elles observent, stupéfaites, comment les dépenses publiques, surtout les plus clientélistes, ne subissent que des ajustements de surface, sans que soit abordée l'inévitable réforme structurelle de l'Etat. L’évocation des « signes de reprise » convainc de moins en moins de gens et l’espoir que nos élites politiques abordent, enfin, la profonde réforme dont tout le monde, ouvertement ou à voix basse, reconnaît que l'Espagne a besoin, s'est de plus en plus éloigné.

    Marcha-festiva-independencia-Cataluna.jpg

     

    C'est dans ce contexte que s’est installé le mouvement indépendantiste, qui s’est configuré comme une sorte de version particulière et locale du mouvement des indignés, rameuté par ceux qui détiennent le pouvoir politique en Catalogne. Oui, tout va très mal et vous le vivez de plus en plus mal, nous disent nos dirigeants ; pourtant la faute n’est pas nôtre, mais celle de Madrid qui nous prend notre argent et ne nous en rend qu’une part minime. Sans cette spoliation fiscale, nous nagerions dans l’abondance, on n’aurait pas diminué nos salaires, nous pourrions payer pour nos hôpitaux et nos maisons de retraite, nous pourrions récupérer le niveau de vie auquel nous étions habitués. Le jeu, il est vrai, est habile ; irresponsable, mais habile. Plus question, déjà, du 3 %5 (dans le meilleur des cas), ou du cas Palau6, ou de comment Montilla7 a manipulé les comptes publics pour masquer un déficit insensé... Ces mêmes hommes politiques, qui étaient assiégés, dans le Parlement il y a tout juste un an, sont devenus maintenant les libérateurs acclamés, d'une réalité dont, pourtant, ils ont été nécessairement partie prenante.

     

    Ainsi, nous arrivons à ce que nous pouvons baptiser le « moment de Weimar » de la Catalogne. La fin de la République de Weimar s’est caractérisée par une faillite politique, une dure crise économique et une crise institutionnelle qui a conduit l'Allemagne des années vingt du siècle dernier dans une situation chaotique. Au milieu de ce chaos, une population appauvrie et sans espoir d'avenir, a prêté l’oreille à un message simpliste mais efficace : Tu es pauvre, parce que les Juifs nous ont arraché notre argent, nous pourrons récupérer notre prospérité si nous nous débarrassons d'eux. Maintenant, dans une autre situation de grave détérioration économique et sociale, le bouc émissaire qui nous exempte de nos responsabilités est Madrid : libérez-vous de l'Espagne et nous nagerons à nouveau dans l’abondance. Peu importe que l'argument ne supporte pas une sérieuse analyse critique (Arturo Mas8, lui-même, peut-être par peur d’une accélération des choses qui, probablement, n'entrait pas du tout dans ses plans, a averti que, y compris dans l'hypothèse de l’'indépendance, les défis que la Catalogne aurait devant elle, demanderaient un grand effort), la force de l'argument réside dans sa simplicité. C’est en vain que l’on met en garde contre les faux calculs des bilans fiscaux, de la balance commerciale, qui est l'autre face du déficit budgétaire, contre les déficits irresponsables générées par les gouvernements de la Généralité9, que l’on alerte sur la part du déficit espagnol que devrait assumer une hypothétique Catalogne indépendante, ou mille autres arguments économiques. Le message indépendantiste est simple et promet un paradis terrestre, à portée de main, à une population appauvrie et désespérée qui s'accroche aux seuls qui lui offrent un moyen de sortir de l'impasse dans laquelle nous nous sommes mis. Quand on a le sentiment de n'avoir rien à perdre, toute autre solution, si infondée soit-elle, est digne d’être essayée.

     

    Malgré tout, cet « indépendantisme opportuniste » serait difficilement parvenu à réussir à convaincre tant de Catalans si ce n'avait été l’immense campagne de propagande déployée par l’immense majorité de la presse catalane. Pour comprendre comment cela a été possible, il faut s’arrêter un instant sur la conformation particulière du paysage médiatique catalan, dans lequel le pouvoir politique autonome régional et local possède de nombreuses chaînes de télévision et stations de radio (sept de chaque pour la seule Corporació Catalana10), et où la presse est bénéficiaire des subventions ultra-généreuses fournies par la Généralité : il est difficile de n’établir aucune relation entre les 9 millions de subventions accordées par Màs au groupe Godó11 (là, il n'y a pas de coupures), et la promotion ouverte de la marche pour l'indépendance menée par La Vanguardia12. Cette campagne de propagande écrasante et persistante, qui nous assaille, partout, nous autres Catalans, est également un symptôme de quelque chose qui a peu attiré l'attention : la disparition quasi-totale de l'Espagne, déjà, de facto, du territoire catalan. L'Etat en Catalogne, avec tous les ressorts puissants de l'Etat moderne, se tourne activement vers l'accession à l'indépendance, de ses moyens de communication jusqu’aux autocars gratuits pour assister à la marche pour l'indépendance. Le « Pays légal » est déjà indépendantiste et fait pression avec toutes ses forces pour que le « Pays réel », jusqu'ici assez réticent, le soit aussi. Nous ne sommes pas devant une poignée de rêveurs romantiques et sans moyens appelant à l'indépendance face à un État espagnol puissant et inflexible. En Catalogne, les seuls romantiques, et rêveurs sans moyens, sont ceux qui élèvent la voix contre le séparatisme, et qui, en conséquence, deviennent des parias devant qui se fait le vide, en particulier dans tout ce qui a trait à la sphère publique et aux relations avec l'administration.

     

    Après avoir observé ce panorama, une interrogation s’impose : est-il possible que se dégage un moyen sensé de sortir de cette pagaille ?

    Afin que chacun puisse répondre à cette question, je crois qu'il faut tout d'abord faire l'effort de voir ce qui est vrai dans le discours indépendantiste. Parce qu'il faut l'admettre, la trame institutionnelle de l'Espagne actuelle, de l'Espagne de la Constitution de 78, de l'Espagne des autonomies13, est insoutenable et injuste et est arrivée à un stade d'épuisement terminal. Lorsque l’on dit qu'il n'est pas acceptable que l’on applique des réductions drastiques en Catalogne, tandis qu’on maintient le PER14 en Andalousie, que nous continuons à subventionner des mines économiquement non viables dans les Asturies, que nous continuons à avoir plus de 20 000 voitures officielles (ce qui fait de nous des leaders mondiaux en la matière) ou tout autre gaspillage de nos administrations (mettez-y tout ce que vous voulez; la liste, malheureusement, est interminable), il est vrai que, pour dire et penser tout cela, l’on a toutes les raisons du monde. Ne sont pas acceptables, non plus, les ambassades catalanes, l’inutile aéroport de Lérida ou, comme déjà indiqué, les subventions, comme outil de contrôle, distribuées aux groupes médiatiques, parce que le gouvernement catalan et les municipalités catalanes ont le même comportement gaspilleur et irresponsable qui est répandu dans toute l'Espagne, ce qui, toutefois, n'invalide pas la critique, mais l'amplifie.

     

    À ce stade, toutes les mesures pour éviter que la haine de l’Espagne continue à s’instiller (et pas seulement à partir de la Catalogne ; nous pourrions commencer, par exemple, par corriger le mépris de notre histoire commune qui a caractérisé la plupart des productions récentes de la RTVE15), toutes les mesures visant à empêcher qu'un gouvernement puisse contrôler les médias qui l’entourent, seraient des mesures positives, non seulement pour empêcher les aventures sécessionnistes, mais aussi comme mesures minimales de sens commun pour un pays qui aspire à perdurer et non à glisser sur le chemin qui mène aux scénarios de la corruption et de l'arbitraire.

     

    Mais tout cela, et bien plus encore, sera insuffisant si nous ne prenons pas acte de l'échec d’un modèle d'organisation de l'Etat qui s’avère de plus en plus insoutenable, qui, loin de son objectif de réaliser l'harmonie entre les différentes régions, a démontré qu'il exacerbe les tensions et est un élément de blocage pour surmonter la crise dans laquelle nous sommes pris au piège. Nous ne pouvons pas continuer à faire appel à la solidarité territoriale pour perpétuer des situations injustes et les gaspillages qui profitent toujours aux mêmes. Si tout ce que nous nous avons à offrir c’est davantage encore de la même recette que celle qui nous a amenés où nous en sommes, plus d'étatisme, plus d’administrations gigantesques et régies davantage par des critères partisans que par ceux du service dû aux citoyens, plus de clientélisme, plus de déficits sans limite et, par conséquent, plus d’impôts confiscatoires, il n'est pas étrange qu'il y ait beaucoup de gens réceptifs au message séparatiste. C’est seulement à partir d'une Espagne profondément transformée, construite sur la base de la subsidiarité, de bas en haut, y compris dans le domaine fiscal, avec une stricte limitation du champ d’action du pouvoir politique et la transparence dans les processus décisionnels, avec des circuits de représentation politique plus réalistes et plus proches, respectueux des libertés locales (les fueros16 n’étaient rien d’autre), libérés de l'étatisme et de la machine politique, qu’il sera possible de surmonter le défi posé par le mouvement d'indépendance de la Catalogne. L’immobilité n'est pas le bon chemin : ou nous abordons le changement dont l'Espagne a besoin ou nous serons coupables d'avoir conduit l'Espagne jusqu’à un point de non-retour.

     

    NOTES 

    1. Miquel Porta Perales : philosophe et écrivain, collabore à ABC, La Vanguardia, etc.

    2. Francisco Canals: philosophe, théologien thomiste, traditionaliste espagnol & catalan.

    3. Jordi Pujol Soley: président nationaliste de la Généralité de 1980 à 2003.

    4. Tripartito: coalition de gauche catalane (PSC, Gauche Républicaine, communistes..). 

  • 14 juillet, la Fête nationale ambigüe...

                (Ceci est une réponse à Antiquus, qui a envoyé  le commentaire que nous avons tous pu lire le 15 juillet).

     

                Loi du 6 juillet 1880: article unique: La République adopte la date du 14 juillet comme date de fête nationale annuelle.

     

                L'ambigüité vient de là: Qui célèbre quoi ? On peut penser à une date (14 juillet 89) ou à l'autre (14 juillet 90), ou tenter un improbable mélange des deux, lorsqu'on célébre le 14 juillet. Et c'est là qu'est le problème....

     

                Si l'on célèbre le 14 juillet 1789, il s'agit d'une journée intégralement pourrie, perverse dans son intégralité et de laquelle il n'y a rien à conserver. Sauf une utilité : le fait qu'elle sert, justement, à marquer le début des monstruosités à venir. Tout à fait d'accord, donc, avec Antiquus, là dessus : dès cet épisode du massacre de la Bastille et des têtes promenées au bout des piques, la Terreur est en gestation; Furet l'a très bien dit : "la culture politique qui peut conduire à la Terreur est présente dans la révolution française dès l'été 1789", et la prise de la Bastille inaugure "le spectacle de sang, qui va être inséparable de tous les grands épisodes révolutionnaires".

     

                 Par contre, si l'on célèbre le 14 Juillet 1790, c'est-à-dire la Fête de la Fédération, là on célèbre une espérance, vite déçue certes, qui n'a débouché sur rien, et qui fut entâchée de profanation et de sacrilège. Mais qui fut, aussi, enthousiasmante et belle, malgré tout : au moins l'intention, dans l'opinion, était-elle bonne. Rien à voir avec l'ignoble massacre populacier de l'année précédente. Pour Marc Bloch, repris par Max Gallo, tout Français véritable ne peut que vibrer à l'évocation de la Fête de la Fédération, qui n'a son pendant que dans le Sacre de Reims....

     

                 Voilà pourquoi nous parlons de bon grain et d'ivraie, et d'ambigüité. Car chacun peut mettre -et met effectivement- ce qu'il veut dans l'actuelle Fête nationale. Et comment savoir si tel célèbre 89 alors que tel autre célèbre 90 ? Et, même si l'on célèbre le 14 juillet 1790, l'épisode n'est pas aussi consternant que celui de l'année précédente, mais il est loin d'être totalement propre.

     

                 Il n'est pas inutile, et pas inintéressant, de relire à cette occasion le document ci dessous.....

     

    Sénat, séance du 29 juin 1880

    Discussion du projet de loi ayant pour objet l'établissement d'une fête nationale

    M. Le président. La parole est à M. le rapporteur.

    M. Henri Martin, rapporteur. Messieurs, nous ne pouvons que remercier l'honorable orateur, auquel je réponds, de l'entière franchise, de l'entière loyauté avec laquelle il a posé la question comme elle doit être posée, entre l'ancienne société et la société nouvelle, issue de la Révolution.

    Cette ancienne société, cette monarchie, messieurs, nous vous l'avons dit bien des fois, nous en acceptons tout ce qui a été grand, tout ce qui a été national, tout ce qui a contribué à faire la France.

    Mais où en était-elle, à la veille du 14 juillet 1789 ?

    Vous le savez : la royauté, arrivée au pouvoir le plus illimité qu'on ait vu en Europe, était devenue incapable d'en user ; elle-même se vit contrainte d'en appeler à la nation, après un siècle et trois quarts d'interruption des Assemblées nationales de l'ancien régime. (C'est vrai ! - Très-bien ! à gauche.)

    Je n'ai pas la prétention de vous refaire l'histoire de cette grande année 1789 ; mais enfin, puisqu'on vient de faire ici le procès du 14 juillet, puisqu'on a symbolisé, dans ce petit acte de guerre qu'on appelle la prise de la Bastille (Rires ironiques à droite) et qui est un très-grand événement historique, tout l'ensemble de la Révolution, il faut bien que nous nous rendions compte, en quelques mots, de la situation où étaient alors Paris et la France.

    Le 17 juin 1789, le Tiers Etat s'était déclaré Assemblée nationale. Le 20 juin, la salle de l'Assemblée nationale fut fermée par ordre de la cour. Vous savez où se transporta l'Assemblée, à la salle du Jeu de Paume ! Vous savez aussi quel serment elle y prononça ! L'ère moderne tout entière est sortie de ce serment.

    Le 23, déclaration du roi annulant tous les actes de l'Assemblée nationale et la sommant de se séparer.

    L'Assemblée ne se sépara pas. La cour parut céder. Mais, le 11 juillet, le ministre populaire, qui était l'intermédiaire entre la cour et le pays, M. Necker, fut congédié, remplacé par un ministère de coup d'Etat ; en même temps, on appela, on concentra autour de Paris une armée entière, une armée, ne l'oubliez pas, messieurs, en très-grande partie étrangère.

    (A gauche. C'est vrai ! Très-bien !)

    M. le rapporteur. Et le même jour, le nouveau conseil décida l'émission de cent millions de papier-monnaie, attendu qu'il ne pouvait plus espérer obtenir des ressources de l'Assemblée nationale. C'était la préface de la banqueroute, comme la préface d'un coup d'Etat.

    Le malheureux Louis XVI était retombé dans les mains de ceux qui devaient le mener à sa perte. Eh bien, le même jour, dans Paris, vous vous rappelez ce qui se passa au Palais-Royal, cet épisode fameux d'où sortit le grand mouvement des trois journées qui suivirent. Cette petite action de guerre à laquelle je faisais allusion tout à l'heure, en manifestant la force populaire, mit à néant tout les projets arrêtés contre l'Assemblée nationale ; cette petite action de guerre sauva l'avenir de la France. Elle assura l'existence et la puissance féconde de l'Assemblée nationale contre toutes les tentatives de violence qui la menaçaient (Nouvelle approbation sur les mêmes bancs).

    On parlait de conflit du peuple et de l’armée, dont il ne fallait pas réveiller le souvenir ; mais contre qui le peuple, soutenu par les gardes françaises, avait-il été engagé, dans les rues, sur les places de Paris, durant les deux journées qui ont précédé le 14 juillet ? Qu’est-ce qu’il y avait autour de Paris et surtout dans Paris ? De l’infanterie suisse, de la cavalerie allemande, de la cavalerie hongroise, dix régiments étrangers, peu de troupes françaises, et c’est contre ces régiments étrangers que les gardes-françaises avaient défendu le peuple et l’Assemblée.

    Laissons donc ces souvenirs qui ne sont pas ceux d’une vraie guerre civile.

    Il y a eu ensuite, au 14 juillet, il y a eu du sang versé, quelques actes déplorables ; mais, hélas ! dans tous les grands événements de l’histoire, les progrès ont été jusqu’ici achetés par bien des douleurs, par bien du sang. Espérons qu’il n’en sera plus ainsi dans l’avenir. (Très bien ! à gauche. - Interruptions à droite.)

    A droite. Oui, espérons !

    M. Hervé de Saisy. Nous n’en sommes pas bien sûrs !

    M. le rapporteur. Nous avons le droit de l’espérer. Mais n’oubliez pas que, derrière ce 14 juillet, où la victoire de l’ère nouvelle sur l’ancien régime fut achetée par une lutte armée, n’oubliez pas qu’après la journée du 14 juillet 1789 il y a eu la journée du 14 juillet 1790. (Très-bien ! à gauche.)

    Cette journée-là, vous ne lui reprocherez pas d’avoir versé une goutte de sang, d’avoir jeté la division à un degré quelconque dans le pays, Elle a été la consécration de l’unité de la France. Oui, elle a consacré ce que l’ancienne royauté avait préparé.

    L’ancienne royauté avait fait pour ainsi dire le corps de la France, et nous ne l’avons pas oublié ; la Révolution, ce jour-là, le 14 juillet 1790, a fait, je ne veux pas dire l’âme de la France, - personne que Dieu n’a fait l’âme de la France, - mais la Révolution a donné à la France conscience d’elle-même (Très-bien ! sur les mêmes bancs) ; elle a révélé à elle-même l’âme de la France. Rappelez-vous donc que ce jour-là, le plus beau et le plus pur de notre histoire, que d’un bout à l’autre du pays, les Pyrénées aux Alpes et au Rhin, tous les Français se donnèrent la main. Rappelez-vous que, de toutes les parties du territoire national, arrivèrent à Paris des députations des gardes nationales et de l’armée qui venaient sanctionner l’œuvre de 89. Rappelez-vous ce qu’elles trouvaient dans ce Paris : tout un peuple, sans distinction d’âge ni de sexe, de rang ni de fortune, s’était associé de cœur, avait participé de ses mains aux prodigieux préparatifs de la fête de la Fédération ; Paris avait travaillé à ériger autour du Champ-de-Mars cet amphithéâtre vraiment sacré qui a été rasé par le second empire. Nous ne pouvons plus aujourd’hui convier Paris et les départements sur ces talus du Champ-de-Mars où tant de milliers d’hommes se pressaient pour assister aux solennités nationales.

    M. Lambert de Sainte-Croix. Il faut faire dire une messe !

    M. le rapporteur. Nous trouverons moyen de remplacer le Champ-de-Mars. Un peuple trouve toujours moyen d’exprimer ce qu’il a dans le cœur et dans la pensée ! Oui, cette journée a été la plus belle de notre histoire. C’est alors qu’a été consacrée cette unité nationale qui ne consiste pas dans les rapports matériels des hommes, qui est bien loin d’être uniquement une question de territoire, de langue et d’habitudes, comme on l’a trop souvent prétendu. Cette question de nationalité, qui a soulevé tant de débats, elle est plus simple qu’on ne l’a faite. Elle se résume dans la libre volonté humaine, dans le droit des peuples à disposer de leur propre sort, quelles que soient leur origine, leur langue ou leurs moeurs. Si des hommes associés de sentiments et d'idées veulent être frères, ils sont frères. Contre cette volonté, la violence ne peut rien, la fatalité ne peut rien, la volonté humaine y peut tout. Ce qu’une force fatale a fait, la libre volonté le défait. Je crois être plus religieux que personne en proclamant cette puissance et ce droit de la volonté humaine contre la prétendue force des choses qui n’est que la faiblesse des hommes. (Très-bien ! très-bien à gauche.)

    Si quelques-uns d’entre vous ont des scrupules contre le premier 14 juillet, ils n’en ont certainement pas quant au second. Quelles que soient les divergences qui nous séparent, si profondes qu’elles puissent être, il y a quelque chose qui plane au-dessus d’elles, c’est la grande image de l’unité nationale, que nous voulons tous, pour laquelle nous nous lèverions tous, prêts à mourir, si c’était nécessaire. (Approbation à gauche.)

    M. le vicomte de Lorgeril. Et l’expulsion de demain ? (Exclamations à gauche.)

    M. le rapporteur. Oui, je ne doute pas que ce soit là un sentiment unanime, et j’espère que vous voterez unanimement cette grande date qu’aucune autre ne saurait remplacer ; cette date qui a été la consécration de la nationalité française et qui restera éternellement gravée dans le cœur des Français.

    Sans doute, au lendemain de cette belle journée, les nuages s’assemblèrent de nouveau, la foudre en sortit : la France, en repoussant d’une main l’étranger, se déchira de l’autre main, mais, à travers toutes les calamités que nous avons subies, à travers tous ces courants d’action et de réaction qui ont si longtemps désolé la France, cette grande image et cette grande idée de la Fédération n’ont pas cessé de planer sur nos têtes comme un souvenir impérissable, comme une indomptable espérance.

    Messieurs, vous consacrerez ce souvenir, et vous ferez de cette espérance une réalité. Vous répondrez, soyez-en assurés, au sentiment public, en faisant définitivement du 14 juillet, de cette date sans égale qu’a désignée l’histoire, la fête nationale de la France. (Applaudissements à gauche.)

    Rapport

    fait au nom de la commission chargée d’examiner le projet de loi, adopté par la Chambre des députés, ayant pour objet l’établissement d’un jour de fête nationale annuelle, par M. Henri Martin, sénateur.

    Messieurs, le Sénat a été saisi d’une proposition de loi votée, le 10 juin dernier, par la Chambre des députés, d’après laquelle la République adopterait la date du 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle.

    La commission, qui m’a fait l’honneur de me nommer son rapporteur, a délibéré sur le projet de loi dont vous avez bien voulu lui confier l’examen.

    Deux de nos collègues ont combattu, non la pensée d’une fête nationale, mais la date choisie pour cette fête. Ils ont proposé deux autres dates, prises dans l’histoire de la Révolution, et qui, toutes deux, avaient, suivant eux, l’avantage de ne rappeler ni luttes intestines, ni sang versé. L’un préférait le 5 mai, anniversaire de l’ouverture des Etats généraux en 1789 ; l’autre recommandait le 4 août, dont la nuit fameuse est restée dans toutes les mémoires.

    La majorité, composée des sept autres membres de la commission, s’est prononcée en faveur de la date votée par la Chambre des députés. Le 5 mai, date peu connue aujourd’hui du grand nombre, n’indique que la préface de l’ère nouvelle : les Etats généraux n’étaient pas encore l’Assemblée nationale ; ils n’étaient que la transition de l’ancienne France à la France de la Révolution.

    La nuit du 4 août, bien plus caractéristique et plus populaire, si grand qu’ait été le spectacle qu’elle a donné au monde, n’a marqué cependant qu’une des phases de la Révolution, la fondation de l’égalité civile.

    Le 14 juillet, c’est la Révolution tout entière. C’est bien plus que le 4 août, qui est l’abolition des privilèges féodaux ; c’est bien plus que le 21 septembre, qui est l’abolition du privilège royal, de la monarchie héréditaire. C’est la victoire décisive de l’ère nouvelle sur l’ancien régime. Les premières conquêtes qu’avait values à nos pères le serment du Jeu de Paume étaient menacées ; un effort suprême se préparait pour étouffer la Révolution dans son berceau ; une armée en grande partie étrangère, se concentrait autour de Paris. Paris se leva, et, en prenant la vieille citadelle du despotisme, il sauva l’Assemblée nationale et l’avenir.

    Il y eut du sang versé le 14 juillet : les grandes transformations des sociétés humaines, - et celle-ci a été la plus grande de toutes, - ont toujours jusqu’ici coûté bien des douleurs et bien du sang. Nous espérons fermement que, dans notre chère patrie, au progrès par les Révolutions, succède, enfin ! le progrès par les réformes pacifiques.

    Mais, à ceux de nos collègues que des souvenirs tragiques feraient hésiter, rappelons que le 14 juillet 1789, ce 14 juillet qui vit prendre la Bastille, fut suivi d’un autre 14 juillet, celui de 1790, qui consacra le premier par l’adhésion de la France entière, d’après l’initiative de Bordeaux et de la Bretagne. Cette seconde journée du 14 juillet, qui n’a coûté ni une goutte de sang ni une larme, cette journée de la Grande Fédération, nous espérons qu’aucun de vous ne refusera de se joindre à nous pour la renouveler et la perpétuer, comme le symbole de l’union fraternelle de toutes les parties de la France et de tous les citoyens français dans la liberté et l’égalité. Le 14 juillet 1790 est le plus beau jour de l’histoire de France, et peut-être de toute l’histoire. C’est en ce jour qu’a été enfin accomplie l’unité nationale, préparée par les efforts de tant de générations et de tant de grands hommes, auxquels la postérité garde un souvenir reconnaissant. Fédération, ce jour-là, a signifié unité volontaire.

    Elles ont passé trop vite, ces heures où tous les coeurs français ont battu d’un seul élan ; mais les terribles années qui ont suivi n’ont pu effacer cet immortel souvenir, cette prophétie d’un avenir qu’il appartient à nous et à nos fils de réaliser.

    Votre commission, pénétrée de la nécessité de donner à la République une fête nationale ;

    Persuadée par l’admirable exemple qu’a offert le peuple de Paris le 30 juin 1878, que notre époque est capable d’imprimer à une telle fête un caractère digne de son but ;

    Convaincue qu’il n’est aucune date qui réponde comme celle du 14 juillet à la pensée d’une semblable institution,

    Votre commission, messieurs, a l’honneur de vous proposer d’adopter le projet de loi voté par la Chambre des députés.

    L’un de nos collègues avait pensé qu’il serait utile d’ajouter la qualification de légale à celle de nationale que la Chambre des députés a appliquée à la fête du 14 juillet, et ce afin de préciser les conséquences juridiques qui découleront de l’adoption de la présente loi.

    Comme une fête consacrée par une loi est nécessairement une fête légale, votre commission a pensé que cette addition n’avait point d’utilité, et qu’il n’y avait pas lieu de modifier la rédaction du projet de loi qui vous est présenté ainsi qu’il suit.

    Projet de loi

    Article unique. - La République adopte le 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle.

  • POUR UNE REFLEXION DE FOND SUR LE ”MARIAGE POUR TOUS” (7) - LE POINT DE VUE DE DANIEL GODARD*: ”Une supercherie linguist

    defence_de_la_langue_francaise_j_du_bellay_1549_page_08.jpgNous mettons en ligne, aujourd'hui, une réflexion de Daniel Godard* dont l'originalité est de se placer d'un point de vue linguistique : il fait entendre, dans ce débat sur le "mariage pour tous", "la voix de la langue française".

    D'autres contributions suivront et constitueront notre dossier, désormais à la disposition de tous : "POUR UNE REFLEXION DE FOND SUR LE "MARIAGE POUR TOUS" **. 

    _______________

     

    Dans le concert des arguments développés par les « pour » et les « anti » mariage gay, il est une voix qu’on n’a jamais entendue : celle de la langue française.

    Au cours de mes 40 années d’enseignement (collège et lycée) en qualité de professeur de Lettres Classiques, j’ai toujours attaché une grande importance à la valeur des mots. Choisir le mot exact, le « polir sans cesse » comme disait Boileau, c’est à la fois s’assurer qu’il exprime parfaitement ce que l’on veut dire mais c’est aussi s’assurer que l’on sera bien compris de son auditoire.

    La polémique que suscite le projet de loi sur le mariage gay offre un bel exemple de cette dilution de la pensée dans le brouillard d’une terminologie approximative. A force de triturer les mots dans tous les sens, les mots n’ont plus de sens et l’opinion déboussolée y perd son latin. Les slogans réducteurs répercutés par les médias ne font qu’entretenir la confusion au point qu’on a parfois l’impression d’avoir perdu le sens commun.

    Prenons quelques exemples :

    Premier exemple : La notion de « couple » homosexuel est-elle adaptée ? La réponse est non.

    Si l’on se réfère à la terminologie du « Bon Usage », l’assemblage de deux éléments de même nature ne constitue pas un « couple » mais une « paire ». Ainsi, on dira une paire de ciseaux, une paire de lunettes et non un couple de ciseaux ou un couple de lunettes. Il en est de même pour les êtres vivants. Deux boeufs assemblés sous le même joug forment une paire de boeufs et non un couple de boeufs. Deux jumeaux de même sexe constituent une paire de jumeaux et non un couple de jumeaux. On pourrait multiplier les exemples.

    La langue française nous indique clairement que la notion de « couple » repose sur un principe de différenciation et d’altérité. Le couple, c’est « un homme et une femme unis par des relations affectives, physiques » (Robert 2012). La prise en compte de la fin de la définition ne doit pas faire oublier le début. La distorsion sémantique à laquelle on s’adonne chaque fois qu’on évoque un « couple » homosexuel crée une confusion dommageable que rien ne peut justifier, pas même une évolution des moeurs. Il s’agit bien ici d’appeler un chat « un chat »

    2ème exemple : qu’est-ce qu’un parent ?

    La reconnaissance officielle du « couple » homosexuel entraîne nécessairement – tout le monde le sait - une modification du Code Civil. La disparition des mots « père » et « mère » au profit de la notion de « parent 1 » et « parent 2 » n’est en fait qu’une supercherie linguistique doublée d’un mensonge puisque le mot désigne étymologiquement les deux personnes (père et mère) qui conjointement sont à l’origine de toute naissance. En latin, le verbe parere veut dire « engendrer » pour le père, et « enfanter » pour la mère. Comment peut-on expliquer à un enfant que ce mot de « parent » (quel que soit son numéro) s’applique à une personne qui est totalement étrangère à sa naissance, un clandestin en quelque sorte ? La loi peut-elle cautionner ce mensonge ?

    Ces deux exemples suffisent à démontrer que la terminologie avancée par les partisans de la loi n’est qu’un écran de fumée destiné à masquer une stratégie plus sournoise que les récentes manifestations viennent d’ailleurs de confirmer. Il semble en effet que les partisans du « mariage pour tous » se soient déjà engouffrés dans une brèche : l’incohérence du projet de loi :

    Une incohérence interne à la loi : un « couple » homosexuel est par définition stérile. Il est donc logique que les homosexuels aient recours à des artifices s’ils veulent avoir des enfants. C’est le sens de leur revendication première : le droit à l’adoption, baptisé outrageusement « droit à l’enfant ». Le projet de loi prévoit cette disposition mais interdit la PMA (procréation médicalement assistée pour les femmes) et la GPA (gestation pour autrui pour les hommes c’est-à-dire le recours possible à une mère porteuse). Comment justifier cette contradiction alors que la loi du « mariage pour tous » est présentée comme une extension des droits ? Les récentes manifestations des partisans du mariage ont clairement démontré que les homosexuels entendaient s’appuyer sur cette contradiction pour pousser plus loin leurs exigences. Sur cette question, on note les premiers signes d’un fléchissement de la part des promoteurs de la loi. Le recours à la PMA, exclue dans un premier temps, pourrait faire l’objet d’un amendement présenté par les députés de la majorité. Cette concession, logique en elle-même, met à nu la vraie nature du débat. Le « mariage pour tous », présenté au départ comme

    l’objectif essentiel, apparaît de plus en plus clairement comme un simple point de passage, une étape transitoire pour obtenir « in fine » une égalité de droit pleine et entière avec les couples hétérosexuels stériles.

    Comme le droit à l’adoption ne changera pas grand-chose à la situation des homosexuels, vu les réticences de la plupart des états à confier des enfants à des homosexuels, c’est bien sur la PMA et la GPA que se concentre toute la pression. Une fois acquis le droit à la PMA pour les femmes homosexuelles, comment interdire aux hommes, au nom de ce même principe d’égalité, d’avoir recours à la GPA ? Si c’était le cas, il y aurait là une discrimination incompréhensible, voire une injustice, tout à fait contraire à l’esprit même du projet de loi.

    Le piège des slogans

    Il est une autre supercherie linguistique qu’il convient de dénoncer et qui tient au discours même des homosexuels. Pendant longtemps, leur combat a été placé sous le signe du « droit à la différence », droit qui leur a été reconnu par l’ensemble de la communauté nationale avec la création du PACS. Aujourd’hui, le thème du « droit à la différence » a totalement disparu du glossaire homosexuel. Bizarre ! Ce virage à 180 degrés a quelque chose de surprenant et pourtant personne ne s’en étonne. Il est vrai que le slogan « le mariage pour tous » est plus rassurant et plus rassembleur que « le droit à la différence » jugé sans doute trop « clivant » pour employer un terme à la mode, un concept dépassé en tout cas que l’on range sans complexe au rayon des accessoires. Au contraire, « le mariage pour tous » sonne comme un appel à la fête, à la fusion universelle de toute l’humanité, un remake d’ « Embrassons-nous, Folleville », en somme une préfiguration du « paradis pour tous ». Qui peut résister à un tel programme ?

    Malheureusement, cette vision édénique du mariage est en décalage complet avec la réalité des faits. Il est d’abord étrange que le PACS ait eu si peu de succès auprès de la communauté homosexuelle alors que cet aménagement de la législation était notamment prévu pour elle. Et si le mariage présente tant d’attraits, comment expliquer que tant d’hommes et de femmes, de la base jusqu’au sommet de l’Etat, choisissent l’union libre c’est-à-dire le non-mariage ?

    Il est notable également que nombre d’homosexuels vivent leur vie le plus naturellement du monde sans réclamer nécessairement le passage devant Monsieur le Maire. Certains même s’étonnent de ce déchaînement médiatique sur une question qui leur est totalement étrangère.

    Alors, au bout du compte, que penser de tout ce tapage, de tout ce galimatias ?

    Pas grand chose, sinon que derrière ces acrobaties sémantiques ou stylistiques, il y a la volonté de nier une évidence.

    La négation d’une évidence :

    Quel que soit le mode de procréation choisi, la naissance d’un enfant est nécessairement le résultat de la rencontre de deux cellules, masculine et féminine. La différenciation sexuelle est constitutive de l’être humain, même si les choix de vie peuvent ensuite amener certains individus à la vivre différemment. De ce fait, on ne peut admettre qu’une simple évolution des moeurs soit un argument suffisant pour modifier le statut du couple et celui de la famille, tels qu’ils nous ont été transmis depuis les origines de notre civilisation. Les Romains eux-mêmes, qui pratiquaient librement et indifféremment les deux formes de sexualité, n’ont jamais songé à remettre en question ce mode d’organisation de la famille pour une raison très simple mais essentielle : cette structure de la cellule familiale est la seule à garantir la filiation. Grands législateurs (ne pas oublier au passage que notre Code Civil découle directement du Droit Romain), ils ont toujours tenu à préserver ce socle de l’organisation sociale. Quant à l’adoption, très courante à Rome, elle a toujours été soigneusement encadrée par tout un arsenal juridique de manière à préserver l’intégrité des liens du sang. De ce fait, l’adoption n’était juridiquement admise que dans le cadre d’une famille déjà constituée et sur le modèle du couple hétérosexuel.

    Jamais deux sans trois :

    Mais il y a plus grave : la stérilité naturelle du « couple homosexuel » induit nécessairement l’intervention d’un tiers de l’autre sexe pour le rendre fécond. Dès lors, l’accès à la PMA ou à la GPA (quelle que soit la procédure adoptée, c’est-à-dire avec ou sans rapport sexuel) conduit à s’interroger sur la nature de ce prétendu « couple » qui ne peut assurer à lui seul son désir d’enfant. Ce qui revient à dire que le contrat de mariage que signeraient deux personnes de même sexe inclut nécessairement l’intervention prévisible d’une troisième personne. Il ne s’agit donc plus d’un « couple » mais d’une « triade », une forme d’adultère biologique accepté et reconnu par la loi. Sans parler des inévitables dérives financières qu’entraînera nécessairement la recherche effrénée de donneurs et de mères porteuses. Dans certains pays, on assiste déjà à des combinaisons multiples où les homosexuels s’adjoignent - pour un temps ou pour longtemps et moyennant finances –

    le concours d’une ou plusieurs personnes pour mener à bien leur projet. Nous sommes là devant le risque majeur d’une marchandisation de l’enfant et par extension de la vie humaine. L’embryon devient un objet de convoitise assimilable à n’importe quel produit de consommation. Dans un proche avenir, on peut même imaginer l’achat en pharmacie de paillettes de sperme ou d’ovules congelées qu’on pourrait se procurer aussi facilement que la pilule contraceptive ou le Viagra, le tout remboursé par la Sécurité Sociale, au nom de ce « droit à l’enfant » brandi comme un dogme par les partisans de la loi.

    Au terme de cet argumentaire, une conclusion s’impose :

    Le « mariage » pour quelques-uns est en fait une menace « pour tous » :

    A l’évidence, l’adoption de ce projet de loi fait courir à notre société un danger d’autant plus grand qu’il est paré de toutes les vertus aux yeux du plus grand nombre. Pour employer le langage des internautes, c’est un dangereux « cheval de Troie » qu’on introduit dans la législation française. « Malheureux citoyens, quelle folie est la vôtre ! » s’écriait Laocon en voyant les Troyens disposés à introduire ce cheval maudit dans les murs de leur ville (Enéide, II, 42).

    Abandonné sur la plage, ce cheval imaginé par Homère avait tous les attraits d’un cadeau des dieux. Les Troyens sont restés sourds à l’avertissement de Laocoon. Ils ont fait mieux. Pour faciliter l’entrée du cheval dans la ville, ils n’ont pas hésité à abattre une partie de leurs murailles.

    On connaît la suite ! …

    Il est vain d’imaginer qu’on puisse contenir toutes les dérives inhérentes au projet de loi tel qu’il est présenté aujourd’hui. C’est bien sur la notion même de « mariage pour tous » qu’il faut se battre et résister. Si cette digue saute, le risque de submersion est hors de tout contrôle.

    ________________________

    Dans le cortège des partisans de la loi « le mariage pour tous », il y avait un slogan intéressant :

    « UNE PAIRE DE MERES VAUT MIEUX QU’UN PERE DE MERDE »

    Si l’on accepte de faire l’impasse sur le caractère outrancier et injurieux du propos, ce slogan est une aubaine !

    Pour la première fois, l’union de deux femmes est reconnue comme une « paire » et non comme « un couple »

    J’y vois la confirmation (involontaire) de mon analyse du mot « couple »

    Les arguments en faveur du mariage homo s’effondrent d’un coup devant cette évidence.

    Merci à celui ou à celle qui est à l’origine de ce slogan lumineux et providentiel !

     

    * Professeur de Lettres Classiques

    _________________________________

    Au lendemain de la grande manifestation du 13 janvier et de son indéniable succès par delà la ridicule guerre des chiffres à laquelle il est vain de trop s'attarder, nous écrivions ceci :"Reste la question de fond. Elle dépasse largement la seule affaire du mal nommé mariage pour tous. Nous aurions tort de nous y enfermer. Car, très en amont, c’est la famille dite traditionnelle elle-même, qui est, depuis bien longtemps déjà, en crise (cf. l’inexorable montée des divorces : aujourd’hui plus de 50% des ménages sont concernés !). C’est donc une réflexion de fond sur la famille, minée par l’individualisme, par l’égoïsme contemporains et, en un sens, c’est une contre-idéologie qu’il faut opposer à l'idéologie radicalisée qui sous-tend le projet de loi gouvernemental. C'est ce qu'il faut lancer, ce qu'il faut être capable d'entreprendre maintenant. Car c'est à cette condition que la grande campagne en cours trouvera un prolongement, durera, s'amplifiera et aura, en définitive, été efficace." En d'autres termes : les manifs, les slogans, les pancartes, c'est très bien, surtout lorsque le succès est au rendez-vous, mais un substrat idéologique sérieux est indispensable !

    Dans cet ordre d'idées, nous avons ouvert un dossier des contributions au débat, de différentes personnalités et intellectuels.

    ** Précédentes mises en ligne :

    > 14.01.2013 : Jean-François Mattéi article du Figaro : "Mariage pour tous et homoparentalité".  

    > 22.01.2013 : Chantal Delsol, entretien avec Jean Sévillia (Figaro Magazine).

    > 29.01.2013 : Thibaud Collin

  • LITTERATURE • Pierre-Guillaume de Roux : « Contrairement à ce que disent les pessimistes, il y a de grands écrivains

     

    Pierre-Guillaume de Roux a dirigé de nombreuses maisons d’édition (éditions de la Table Ronde, éditions du Rocher) avant de créer la sienne en 2010, qui porte son nom. Il est le fils de l’écrivain et éditeur Dominique de Roux, fondateur des Cahiers de l’Herne et défenseur d’une conception de la littérature en voie de disparition.

    PHILITT : Pouvez-vous nous parler de la fondation des éditions et des Cahiers de L’Herne ?

    Pierre-Guillaume de Roux : Les Cahiers de L’Herne ont été créés en 1961, avec un premier cahier René Guy Cadou. Mais l’histoire commence en 1956 avec une revue un peu potache tirée à 300 exemplaires qui s’appelait L’Herne, dans laquelle mon père et ses amis vont publier leurs premiers textes. Cette période va réunir autour de lui des gens aussi différents que Jean Ricardou, qui passera ensuite à Tel Quel, Jean Thibaudeau, Georges Londeix et quelques autres. C’est la première cellule.

    L’Herne représente pour mon père une forme de littérature comparée : on coupe une tête, elle repousse toujours. À Lerne de la mythologie, il a ajouté sa lettre fétiche, le H, qu’on retrouve dans les Dossiers H ou dans la revue Exil(H). Cette lettre va l’accompagner toute sa vie. Cette première période va se terminer en 1958. Il va y avoir un moment de rupture, de réflexion. Entre 1958 et 1960 va mûrir l’idée de cahiers livrés deux fois par an dans le but de réévaluer la littérature, c’est-à-dire de changer la bibliothèque. Les surréalistes l’avaient fait quelques décennies plus tôt.

    Cadou était un coup d’essai, un pur fruit du hasard. C’est grâce au peintre Jean Jégoudez qu’on a pu accéder à des archives et constituer ce premier cahier. Cadou est un poète marginal qu’on ne lit pas à Paris : c’est l’une des raisons pour lesquelles mon père s’y est intéressé. Mais c’est Bernanos qui donnera le coup d’envoi effectif aux Cahiers. Mon père avait une forte passion pour Bernanos. Il l’avait découvert adolescent. Et par ma mère, nous avons des liens forts avec Bernanos car mon arrière-grand-père, Robert Vallery-Radot, qui fut l’un de ses intimes, est à l’origine de la publication de Sous le soleil de Satan chez Plon. Le livre lui est d’ailleurs dédié. C’est ainsi que mon père aura accès aux archives de l’écrivain et se liera d’amitié avec l’un de ses fils : Michel Bernanos. Ce cahier, plus volumineux que le précédent, constitue un titre emblématique de ce que va devenir L’Herne.

    Ce qui impose L’Herne, ce sont les deux cahiers Céline en 1963 et 1965 — et, entre les deux, un cahier Borgès. Il y avait une volonté de casser les formes et une façon très neuve d’aborder un auteur : par le biais de l’œuvre et celui de sa vie. Une volonté non hagiographique. Il ne faut pas aborder l’auteur avec frilosité mais de manière transversale, éclatée et sans hésiter à être critique. L’Herne aujourd’hui a été rattrapée par l’académisme. L’Herne n’a plus rien à voir avec la conception qu’en avait mon père. La maison d’édition a été depuis longtemps trahie à tous les niveaux. On y débusque trop souvent de gros pavés qui ressemblent à d’insipides et assommantes thèses universitaires lancées à la poursuite de gloires établies.

    PHILITT : Quelle était la conception de la littérature de Dominique de Roux ? Voulait-il réhabiliter les auteurs dits « maudits » ?

    Pierre-Guillaume de Roux : Il suffit de voir les auteurs qui surgissent dans les années 60. Céline est encore un proscrit qu’on lit sous le manteau. Il n’est pas encore le classique qu’il est devenu aujourd’hui. Parler de Céline est plus que suspect. Ce qui explique que mon père sera traité de fasciste dès qu’il lancera des publications à propos de l’écrivain. C’est la preuve qu’il avait raison : qu’il y avait un vrai travail à accomplir autour de Céline pour lui donner une place à part entière dans la littérature. C’est de la même manière qu’il va s’intéresser à Pound. Pound, un des plus grands poètes du XXe siècle. Il a totalement révolutionné la poésie américaine mais, pour des raisons politiques, il est complètement marginalisé. Mon père va procéder à la réévaluation de son œuvre et à sa complète réhabilitation. Pound est avant tout un très grand écrivain qu’il faut reconnaître comme tel. Tous ces auteurs sont tenus dans une forme d’illégitimité politique mais pas seulement. Pour Gombrowicz c’est différent : c’est l’exil, c’est une œuvre difficile que l’on a pas su acclimater en France. Il va tout faire pour qu’elle le soit.

    Il y a chez mon père une volonté de briser les idoles, de rompre avec une forme d’académisme qui était très prégnante dans cette France des années 60. D’où son intérêt pour Céline, pour Pound, pour Wyndham Lewis qui sont tous des révolutionnaires, en tout cas de prodigieux rénovateurs des formes existantes.

    PHILITT : Quelle relation entretenait-il avec les Hussards ?

    Pierre-Guillaume de Roux : C’est compliqué. Dans un livre que j’ai publié il y a deux ans avec Philippe Barthelet, Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent et l’esprit hussard, il y a un extrait du journal de mon père de l’année 1962 où il se montre très critique à leur égard. Il est injuste, n’oublions pas l’âge qu’il a à ce moment-là (26 ans).  Il rencontre néanmoins Nimier à propos du Cahier Céline. Malheureusement, la relation n’a pu s’épanouir avec Nimier puisqu’il est mort trop tôt. Pourtant, je pense qu’ils avaient beaucoup de choses en commun : ce goût impeccable en littérature, cette manière de reconnaître immédiatement un véritable écrivain, cette curiosité d’esprit panoramique, ce goût pour la littérature comparée… 

    lettres.jpg

     

    PHILITT : Dominique de Roux dénonçait le conformisme et le règne de l’argent. Était-il animé par une esthétique antimoderne ?

    Pierre-Guillaume de Roux : À cet égard, je pense que oui. N’oubliez pas que mon père est nourri de Léon Bloy et de sa critique de l’usure. Mais aussi de Pound qui s’est penché sur toutes ces questions économiques. C’est à la fois quelqu’un qui a su sentir la modernité littéraire – d’où son adoration pour Burroughs, Ginsberg, Kerouac – et qui a une approche antimoderne vis-à-vis de la société. Il était aussi lecteur de Péguy. Le Cahier dirigé par Jean Bastaire a beaucoup compté pour mon père.

    PHILITT : Quelles sont les rencontres qui l’ont le plus marqué ?

    Pierre-Guillaume de Roux : Pound, Gombrowicz, Abellio, Pierre Jean Jouve font partie des rencontres les plus importantes de sa vie. Avec Abellio, il y a eu une amitié très forte. Abellio m’a écrit un jour que mon père était son meilleur ami. Ils se rencontrent en 1962 et ils vont se voir jusqu’à la mort de mon père en 1977 sans discontinuité. Il lui a évidemment consacré un Cahier de L’Herne.

    PHILITT : Pound et Borgés, ce sont plutôt des rencontres…

    Pierre-Guillaume de Roux : Oui, Pound est déjà un homme très âgé mais il va quand même beaucoup le voir. Entre 1962 et sa mort, il le voit très régulièrement. La rencontre avec Gombrowicz se fait entre 1967 et 1969 et pendant cette courte période ils se voient très souvent. Mon père passe son temps à Vence où vit aussi le grand traducteur Maurice-Edgar Coindreau qu’il fréquente beaucoup à cette époque. Je détiens d’ailleurs leur superbe correspondance.

    PHILITT : Il n’a jamais rencontré Céline ?

    Pierre-Guillaume de Roux : Ils n’ont fait que se croiser. Au moment où mon père initie les Cahiers Céline en 1960, tout va très vite et Céline meurt en juillet 1961. Il n’a pas eu le temps de le rencontrer.

    PHILITT : Quelle est sa relation avec Jean-Edern Hallier ?

    Pierre-Guillaume de Roux : Très compliquée. Ils ont été très amis. Ils se sont beaucoup vus au début des années 1960. C’est une relation passionnelle avec beaucoup de brouilles plus ou moins longues jusqu’à une rupture décisive après mai 68. Jean-Edern le traîne dans la boue, le calomnie, en fait un agent de la CIA. On retrouve là toutes les affabulations habituelles de Jean-Edern qui était tout sauf un être fiable, tout sauf un ami fidèle. C’est un personnage qui ne pensait qu’à lui, une espèce d’ogre qui voulait tout ramener à sa personne. Rien ne pouvait être durable avec un être comme ça.

    PHILITT : Pouvez-nous parler de ses engagements politiques, de son rôle lors de la révolution des Œillets au Portugal et de son soutien à Jonas Savimbi en Angola ? La philosophie de Dominique de Roux était-elle une philosophie de l’action ? Peut-on le rapprocher des écrivains aventuriers que furent Conrad ou Rimbaud ?

    Pierre-Guillaume de Roux : Pour ce qui est de son engagement au Portugal, il se fait un peu par le fruit du hasard, sous le coup d’une double rupture dans sa vie. Il y a d’abord son éviction des Presses de la Cité. Il dirigeait avec Christian Bourgois la maison d’édition éponyme ainsi que la collection de poche 10/18. En 1972, mon père publie Immédiatement, un livre qui tient à la fois du recueil d’aphorismes et du journal. L’ouvrage provoque un énorme scandale puisque Barthes, Pompidou et Genevoix sont mis en cause. La page 186-187 du livre est censurée. On voit débarquer en librairie des représentants du groupe des Presses de la Cité pour couper la page en question. Mon père a perdu du jour au lendemain toutes ses fonctions éditoriales. Un an et demi plus tard, il est dépossédé de sa propre maison d’édition à la suite de basses manœuvres d’actionnaires qui le trahissent. C’est un moment très difficile dans sa vie. Il se trouve qu’il connaît bien Pierre-André Boutang – grand homme de télévision, fils du philosophe Pierre Boutang – et le producteur et journaliste Jean-François Chauvel qui anime Magazine 52, une émission pour la troisième chaîne. Fort de ces appuis, il part tourner un reportage au Portugal. Il se passe alors quelque chose.

    Cette découverte du Portugal est un coup de foudre. Il est ensuite amené à poursuivre son travail de journaliste en se rendant dans l’empire colonial portugais (Mozambique, Guinée, Angola). Il va y rencontrer les principaux protagonistes de ce qui va devenir bientôt la révolution des Œillets avec des figures comme le général Spinola ou Othello de Carvalho. Lors de ses voyages, il entend parler de Jonas Savimbi. Il est très intrigué par cet homme. Il atterrit à Luanda et n’a de cesse de vouloir le rencontrer. Cela finit par se faire. Se noue ensuite une amitié qui va décider d’un engagement capital, puisqu’il sera jusqu’à sa mort le proche conseiller de Savimbi et aussi, en quelque sorte, son ambassadeur. Savimbi me dira plus tard que grâce à ces informations très sûres et à ses nombreux appuis, mon père a littéralement sauvé son mouvement l’Unita au moins sur le plan politique quand a éclaté la révolution du 25 avril 1974 à Lisbonne. Mon père consacre la plus grande partie de son temps à ses nouvelles fonctions. Elles le dévorent. N’oubliez pas que nous sommes en pleine Guerre Froide. L’Union Soviétique est extrêmement puissante et l’Afrique est un enjeu important, l’Angola tout particulièrement. Les enjeux géopolitiques sont considérables. Mon père est un anticommuniste de toujours et il y a pour lui un combat essentiel à mener. Cela va nourrir sa vie d’écrivain, son œuvre. Son roman Le Cinquième empire est là pour en témoigner. Il avait une trilogie africaine en tête. Concernant son côté aventurier, je rappelle qu’il était fasciné par Malraux même s’il pouvait se montrer également très critique à son égard. Il rêvait de le faire venir à Lisbonne pour en faire le « Borodine de la révolution portugaise ». Il a été le voir plusieurs fois à Verrières. Il dresse un beau portrait de lui dans son ouvrage posthume Le Livre nègre. L’engagement littéraire de Malraux est quelque chose qui l’a profondément marqué.

    PHILITT : Vous éditez vous aussi des écrivains controversés (Richard Millet, Alain de Benoist…). Quel regard jetez-vous sur le milieu de l’édition d’aujourd’hui ? Êtes-vous plus ou moins sévère que ne l’était votre père vis-à-vis des éditeurs de son temps ?

    Pierre-Guillaume de Roux : Pas moins. Si j’ai décidé d’ouvrir cette maison d’édition, c’est parce que je pense que pour faire des choix significatifs, il faut être complètement indépendant. Un certain travail n’est plus envisageable dans les grandes maisons où règne un conformisme qui déteint sur tout. En faisant peser sur nous comme une chape de plomb idéologique. Cependant, nous sommes parvenus à un tournant… Il se passe quelque chose. Ceux qui détiennent le pouvoir médiatique – pour aller vite la gauche idéologique – sentent qu’ils sont en train de le perdre. Ils s’accrochent à la rampe de manière d’autant plus agressive. C’est un virage extrêmement délicat et dangereux à négocier. L’édition aujourd’hui se caractérise par une forme de conformisme où, au fond, tout le monde pense la même chose, tout le monde publie la même chose. Il y a bien sûr quelques exceptions : L’Âge d’homme, Le Bruit du temps par exemple font un travail formidable. Tout se joue dans les petites maisons parfaitement indépendantes. Ailleurs, il y a une absence de risque qui me frappe. L’argent a déteint sur tout, on est dans une approche purement quantitative. On parle de tirage, de best-seller mais plus de texte. C’est tout de même un paradoxe quand on fait ce métier. Le cœur du métier d’éditeur consiste à aller à la découverte et à imposer de nouveaux auteurs avec une exigence qu’il faut maintenir à tout prix.

    PHILITT : Pensez-vous que Houellebecq fasse exception ?

    Pierre-Guillaume de Roux : Oui, Je pense que c’est un écrivain important. Je l’avais repéré à la sortie de L’Extension du domaine de la lutte. J’avais été frappé par ce ton neuf. On le tolère parce qu’il est devenu un best-seller international et qu’il rapporte beaucoup d’argent. Ce qui n’est pas le cas de Richard Millet. S’il avait été un best-seller, on ne l’aurait certainement pas ostracisé comme on l’a fait honteusement.

    PHILITT : La prestigieuse maison d’édition Gallimard a manqué les deux grands écrivains français du XXe siècle (Proust et Céline). Qu’est-ce que cela nous dit du milieu de l’édition ?

    Pierre-Guillaume de Roux : Gallimard est, comme le dit Philippe Sollers, le laboratoire central. Quand on voit ce que cette maison a publié en cent ans, il y a de quoi être admiratif. Il y a eu en effet le raté de Proust mais ils se sont rattrapés d’une certaine manière. Gide a raté Proust mais Jacques Rivière et Gaston Gallimard finissent par le récupérer. Pour Céline, c’est un peu le même topo. Mais à côté de ça…

  • Un débat sur la légitimité

    Les légitimistes espagnols que sont les carlistes (Saint-Priest)

     

    Débat qui a suivi la Lettre sur la légitimité de Pierre de Meuse [Du 1 au 22 juin 2015 - 31 commentaires].

    Nous n'allongerons pas ce débat déjà fort long et fort riche en lui-même. La conclusion pourrait être celle qu'en donne l'un des commentaires de Saint-Priest : « Lorsqu'on va chercher ses princes en Espagne, il vaut mieux s'intéresser aussi à leur histoire. Elle est passionnante. Elle est éclairante. Elle est la leur. Elle n'est pas la nôtre.» A cet égard, les contributions de Saint-Priest, parfait connaisseur de ce vaste sujet, sont de toute évidence à signaler. Elles sont, sur certains points, déterminantes. Elles ont aussi le mérite de rappeler que l'Espagne des XIXe et XXe siècles a eu, en quelque sorte, avec le carlisme, son authentique légitimisme et d'en retracer l'histoire. Restent les points de vue qui consistent à trancher la question dynastique par recours à la nouveauté : un fondateur de dynastie, un nouveau paradigme. Mais lesquels ? En attendant leur hypothétique surgissement - tout reste toujours possible - devrions-nous proposer - contre son principe fondateur - un royalisme sans visage ? Nous ne le croyons pas. Les princes d'Orléans sont aujourd'hui les héritiers de la légitimité historique.

     

    Les lois d'exil se sont si peu appliquées à la famille de Louis de Bourbon qu'après avoir été chassée d'Espagne en 1868 et avoir abdiqué en 1870, la reine Isabelle II s'était réfugiée à Paris avec les siens, dont le futur roi Alphonse XII, et y vécut le reste de ses ses jours (36 ans). Elle y est morte en 1904.  Gérard POL lundi 01 juin 2015 

    Ce qui est hilarant c'est que vous passiez du temps à cela . Ça occupe j' imagine. Moine mardi 02 juin 2015 

    C'est toujours tordant et désopilant de voir de tristes illégitimes donner des leçons de légitimité ! Ne vous en déplaise et en dépit d'affirmations mensongères, oui la légitimité existe Non nous accepterons jamais la fusion avec la branche orléaniste . Trop de mensonges , de crimes, de veuleries , de turpitudes et de laideur !!!!! Pauline lundi 01 juin 2015  

    Refuser toute fusion ? Décidément, les partisans de Louis-Alphonse et de ses prédécesseurs tras los montes méconnaissent complètement l'histoire de leurs propres champions ! Le supposé passage de témoin, en 1936, entre la branche carliste (Don Alfonso-Carlos, duc de San Jaime) et la branche réputée libérale d'Alphonse XIII est le pur produit d'une... fusion ! Saint-Priest jeudi 18 juin 2015 

    Les actuels Bourbons d'Espagne sont les descendants d'Isabelle II et de son ministre Puig Molto. Aucun de ses 8 enfants n'est le descendant de Francisco de Asis, son mari, et pour cause !! Elle l'a reconnu et chaque enfant savait qui était son père. Il existe au Ministère des Affaires étrangères de Madrid une grande table ronde sur laquelle a été conçu un petit bâtard royal. Ces "légitimés" sont devenus légitimistes. Belle carrière. Catherine Salvisberg samedi 20 juin 2015 

    Il est probable en effet qu'Alphonse XII fût le fils d'Enrique Puigmolto, favori et amant de la reine Isabelle II. Il n'en demeure pas moins qu'au regard du droit il est le fils (présumé) de Francisco de Asis de Borbon, duc de Cadix et roi consort d'Espagne (1822-1902). A ce titre, Alphonse XII n'était pas un bâtard et n'avait pas à être légitimé. Disons que, probablement, Alphonse XII et sa descendance (avec notamment Alphonse XIII, Juan-Carlos Ier ou Louis-Alphonse) sont, en ligne paternelle, aussi Bourbon que la descendance de la Grande Catherine est Romanov. Au passage, rappelons que la querelle dynastique a existé en Espagne avant d'exister en France. A la mort du roi Ferdinand VII en 1833, il n'était pas du tout évident que sa très jeune fille Isabelle II fût légitimement appelée à ceindre la couronne d'Espagne... notamment parce que la loi de succession avait été changée - pour permettre aux infantes de succéder - sans l'aval des Cortès dûment mandatées à cet effet. C'est pourquoi, à la mort de Ferdinand VII, l'Espagne traditionnelle et traditionaliste reconnut pour roi le frère du défunt souverain : Don Carlos, comte de Molina (1788-1855), et se souleva contre le gouvernement d'Isabelle II et de sa mère la reine-régente Maria Cristina. S'en suivit une terrible guerre civile entre carlistes et cristinistes. Ces derniers étaient d'ailleurs soutenus par les puissances européennes libérales : l'Angleterre et la France de Louis-Philippe. Cette guerre connut plusieurs répliques, notamment après la révolution de 1868 qui chassa Isabelle II et déboucha laborieusement sur l'instauration de la première République espagnole (1873-1874). Entretemps, Don Carlos, duc de Madrid (petit-fils du comte de Molina et neveu par alliance d'Henri V, comte de Chambord) avait relevé l'étendard du carlisme et s'était solidement établi en Navarre. Ce furent les armées d'Alphonse XII, auxquels les notables libéraux s'étaient ralliés (Canovas del Castillo et Sagasta) qui délogèrent les carlistes et leur prince de la Vendée navarraise. Où l'on voit que les ancêtres de Louis-Alphonse n'ont rien à envier à notre Louis-Philippe national en terme de libéralisme (réel ou supposé) ou en terme de rébellion contre la légitimité. C'est la raison pour laquelle les légitimistes espagnols que sont les carlistes furent placés dans un dilemme tout à fait semblable au nôtre lorsque la branche carliste vint à s'éteindre avec la mort de Don Alfonso-Carlos, duc de San Jaime (et frère du duc de Madrid) en 1936.  D'aucuns se rallièrent à Alphonse XIII, chef de l'ex branche cadette devenue aînée à la mort de leur prince. D'autres reconnurent comme régent puis comme roi de droit le prince Xavier de Bourbon-Parme. D'autres allèrent chercher un descendant du duc de Madrid par les femmes. Evidemment, on avança le libéralisme des princes "isabello-alphonsins" et l'on fit valoir l'hypothèse (ou l'hypothèque ?) Puigmolto.  Certains Blancs d'Espagne aiment également à oublier que, de notre côté des Pyrénées, leurs peu nombreux devanciers, sincèrement attachés aux princes carlistes, furent loin d'être unanimes pour se rallier à Alphonse XIII en 1936... Certains barons d'Empire préfèrent passer outre... ou insulter les princes de Bourbon-Parme qui apparurent à certains comme leurs nouveaux champions.  L'affaire était loin d'être anecdotique. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le "prince d'Espagne" désigné successeur du général Franco en 1969 changea de prénom. Juan (surnommé "Juanito" pour le distinguer de son père Don Juan, comte de Barcelone et prétendant au trône) devint Juan-Carlos Ier. Etant donné qu'il s'agissait de rallier et de réconcilier carlistes et alphonsistes sous la bannière du régime franquiste, il ne pouvait y avoir de roi Jean, puisqu'il en aurait résulté un épineux problème de numérotation (il y avait eu un prétendant carliste sous le nom de Jean III : le père du duc de Madrid).  Il semble d'ailleurs que très peu de carlistes avaient reporté leur fidélité sur Don Jaime, duc de Ségovie (et grand père de Louis-Alphonse). Don Jaime avait en effet renoncé à ses droits à la couronne d'Espagne en 1933. Et ce au profit de son frère Don Juan, comte de Barcelone. Certes, c'était sous la pression de son père Alphonse XIII. Certes, c'était en exil, puisque la deuxième République espagnole avait été instaurée en 1931. C'est la raison pour laquelle Don Jaime, plus ou moins bien conseillé par un entourage assez discutable, revint plusieurs fois sur ses renonciations. Il n'en demeure pas moins qu'entretemps le même duc de Ségovie avait contracté un mariage non dynaste - puisque la loi de succession espagnole exigeait une épouse issue d'une famille royale. C'est la raison pour laquelle les deux fils de Don Jaime : Alfonso (le père de Louis-Alphonse) et Gonzalo ne pouvaient pas, sérieusement, griller la priorité à un prince qui était lui incontestablement dynaste (si l'on ramène l'hypothèque Puigmolto à ses justes proportions), à savoir Juan-Carlos, fils du comte de Barcelone et de son épouse Maria de las Mercedes de Borbon y Orléans (dont le grand-père maternel était Philippe VII, comte de Paris). Certes, on trouva des partisans de Don Alfonso au sein de la Phalange, et au sein de la famille du Caudillo : son épouse et son gendre... puisque Don Alfonso avait épousé la petite-fille du généralissime (en 1972). Il semble bien que Franco n'a jamais envisagé l'hypothèse Don Alfonso : ni avant la désignation de Juan-Carlos en 1969, ni a fortiori après. On pourrait conclure comme suit : lorsqu'on va chercher ses princes en Espagne, il vaut mieux s'intéresser aussi à leur histoire. Elle est passionnante. Elle est éclairante. Elle est la leur. Elle n'est pas la nôtre. Saint-Priest lundi 22 juin 2015 

    Brillante démonstration. Félicitations à Pierre de Meuse. Mais il est à craindre que les blancs d'Espagne , qui ignorent les fondements du politique et ont tendance à arranger l'histoire à leur convenance restent prisonniers de leurs rancoeurs cultivées dans certaines vieilles familles qui mettent un point d'honneur à ressembler aux caricatures que l'on fait d'elles.  Olivier Perceval 01 juin 2015 

    Bravo, Pierre de Meuse : voici résumées en quelques lignes brillantes et claires, l'évidence des ridicules prétentions de l'espagnolade... Pierre Builly lundi 01 juin 2015 

    Merci à Mr Pierre de Meuse pour ce rappel de faits historiques éclairants. Le marketing "people" soudain autour de Louis de Bourbon, à l'occasion de l'une de ses visites ponctuelles est en effet assez déplaisant. Il y a en France une famille royale et un prince, Jean, duc de Vendôme. Qu'ajouter ? renaud  lundi 01 juin 2015 

    Une famille royale " française " qui a voté la mort du roi Louis XVI (et Qui avait pris le nom de Philippe EGALITE °..... en effet.... jf mardi 02 juin 2015  

    Ce n'est pas la famille d'Orléans qui a voté la mort du roi Louis XVI. C'est Louis-Philippe-Joseph, duc d'Orléans (dit "Philippe-Egalité") et lui seul. Ses trois fils, au premier rang desquels le futur Louis-Philippe Ier, n'ont été en rien associés au vote de leur père. En décembre 1792, ils tentèrent de le dissuader de participer au procès du roi. En vain. Saint-Priest jeudi 18 juin 2015  

    Tant qu'il restera des descendants dans la branche ainée de la derniere famille régnante ce ceux la qui sont appelés a régner en France, les cadets passent apres. Vous n'y pouvez rien à moins de contester les lois fondamentales qui reglent la dévolution de la couronne. sequane mardi 02 juin 2015  

    Sans doute ni le Comte de Chambord, ni Louis XV n'étaient au courant. Antiquus mercredi 03 juin 2015  

    Et dans les "lois fondamentales du Royaume", le caractère "étranger" du prétendu prétendant ne l'emporte-t-il pas sur de prétendues priorités dynastiques douteuses et archaïques ? Si nous voulons un Roi, ce n'est pas parce qu'il sera, ou serait, "légitime" : c'est pour qu'il mette fin à la République ! La prétendue légitimité des Bourbons d'Espagne n'a commencé à se faire une petite, ô toute petite place (on n'a jamais vu des pseudos-légitimistes distribuer des tracts, vendre des journaux, coller des affiches, affronter les marxistes) dans le monde royco parce que le Comte de paris Henri VI, par ses prises de position, avait mécontenté quelques extrêmistes. Et de ces fait, ces gandins providentialistes ont "choisi" leur prétendant et rejoint quelques débris moisis qui survivaient incompréhensiblement... De toute façon, avant de se qureller sur l'évidence, faudrait déjà prendre le Pouvoir. Et ça, c'est pas demain !  Pierre Builly mercredi 03 juin 2015 

    Alors comment expliquer que le prédicat officiel de premier prince du sang, passé des Condé aux Orléans, n'ait jamais échu aux Bourbons d'Espagne ? Comment expliquer que, sous Louis XV, Louis XVI, Louis XVIII et Charles X, chacun des ducs d'Orléans, du fils du Régent jusqu'à Louis-Philippe, ait été reconnu officiellement premier prince du sang ?  Je rappelle que le premier prince du sang est le premier prince dynaste après les fils et petits-fils de France.  Si, de Louis XV à Charles X, les Bourbons d'Espagne avaient été regardés comme dynastes dans notre pays, l'infant Philippe-Antoine, duc de Calabre (1747-1777) aurait succédé à Louis Ier duc d'Orléans (1703-1752) comme premier prince du sang. Et après le duc de Calabre, son frère le futur roi Charles IV d'Espagne. Or il n'en a rien été.  Nos derniers rois et les institutions de l'Ancienne France puis de la Restauration ont sauté à pieds joints par-dessus la prolifique descendance de Philippe V : les membres de cette dernière n'étaient plus dynastes en France. Du moins pour la jurisprudence de nos derniers rois et de notre Monarchie ancienne puis restaurée. Excusez du peu !  Saint-Priest vendredi 19 juin 2015   

    La Querelle dynastique est le cancer de la cause royaliste française. Il est navrant de voir avec quelle gourmandise certains en propagent les métastases.  Catoneo 3 juin 2015  

    Il n'a été opposé à l'analyse de Pierre de Meuse ni arguments sérieux, ni démonstrations. Seulement des affirmations sans preuves et des imprécations. Il est certain que ce qui reste de la querelle dynastique affaiblit la cause monarchique. Certain aussi que les partisans de Louis de Bourbon - qui n'est fondé ni à prétendre ni à agir politiquement en France, si ce n'est, éventuellement, dans le cadre de commémorations historiques - nuisent à la crédibilité du royalisme français. Néanmoins, ils sont là, avec leur prince d'ailleurs, et, pour parler trivialement, il faut bien "faire avec". Inutile de geindre sur ce cancer et ses métastases. Il y a toujours eu quelques cercles dits "légitimistes" en France. Mais ce sont les maurrassiens, l'Action française et les princes d'Orléans, tantôt ensemble, tantôt séparés, qui ont véritablement réfléchi, agi, milité, parfois tenté , en faveur de la monarchie. Les "espagnols" n'ont jamais compté autrement que par leur effet de nuisance. Sur ce que peut être l'avenir du royalisme français, nous ne savons rien, si ce n'est l'extrême décrépitude, le profond discrédit, le ridicule même, dont est frappé aujourd'hui le régime en place. Personne ne pensait aux alentours de 1790, et même au delà, que la vieille monarchie s'effondrerait sous très peu de temps, encore moins que quinze ans plus tard, après une horrible Révolution, elle se donnerait un empereur corse. Et ma génération n'aurait pas cru dans les années 80 (1980 !) celui qui lui aurait annoncé que l'Union Soviétique imploserait, elle et ses satellites, dix ans plus tard. Qu'est-ce qui pourrait bien succéder à l'actuel régime s'il venait à s'écrouler ? C'est une autre inconnue. Il me semble que c'est une raison suffisante pour maintenir et diffuser aussi largement que possible les idées qui nous rassemblent. Par exemple et entre autres, ici, sur ce site bien utile ... Anatole - mercredi 03 juin 2015 

    Mille mercis à Pierre de Meuse pour la clarté et la pénétration de sa mise au point. En effet, les prétentions espagnoles-toutes émotionnelles et infondées qu'elles soient, sont occasionnelles tout autant qu'imaginatives, et ne datent que de 1940,après que le malheureux sourd-muet qu'était le fils aîné du roi Alphonse XIII,aient renoncé pour lui et sa descendance à ses droits sur la couronne d'Espagne. En dépit de la sympathie que l'on puisse éventuellement nourrir à l'endroit de tel ou tel membre de cette descendance bourbonienne,il faut posément reconnaître que leur imaginaire dynastique nuit beaucoup à l'unité, à la cohérence et à l'efficacité du royalisme français,- qui n'appartient qu'aux Français eux-mêmes,et non à des

  • Idées & Culture • La modernité et ses critiques : cartographie des différentes tendances

     

    Une remarquable étude - et fort utile - de l'excellent site PHILITT. Les spécialistes interviendront s'il y a lieu.  LFAR

    La modernité, ou monde moderne, abrite en son sein deux grands mouvements : d’un côté, les adeptes des Lumières et, de l’autre, ceux qui émettent de franches réserves face à cet enthousiasme. Sous la catégorie « antimoderne » ou « réactionnaire », qui leur est assignée ou qu’ils s’assignent eux-mêmes, cohabitent pourtant diverses tendances, parfois mêmes antagonistes. 

    charles-peguy.jpgLa distinction et l’opposition entre modernes et anciens constitue sans nul doute un topos de la philosophie moderne. L’opposition apparaît nettement au XVIIe siècle, sous un angle artistique, avec la querelle des Anciens et des Modernes savamment retracée par Marc Fumaroli. La Révolution française et ses remous achève de consacrer pleinement la fracture en transposant ladite querelle – avec à la clé une victoire des modernes – au niveau politique. L’époque moderne, dans une perspective philosophique ou anthropologique, remplace l’époque contemporaine des chronologies historiques. Charles Péguy a eu raison de préférer l’ossature solide de « moderne » à la légèreté de « contemporain ». C’est que « moderne est daté, enregistré, paraphé », écrit-il dans De la situation faite au parti intellectuel. « Moderne » donne à voir un monde et son épistémè – non pas une simple conjoncture politique limitée au territoire national. La modernité a un début et aura probablement une fin.

    Repère historique commode, 1789 offre cependant une lecture trop schématique de l’implantation des idées modernes. Si la diffusion progressive de ces idées est globalement admise, l’importance accordée à un événement particulier peut varier d’une plume à l’autre. Le philosophe du droit Michel Villey a pu, par exemple, rattacher l’inflexion moderne des droits de l’homme (subjectivisme juridique) au volontarisme ockhamien et, plus tard, à la Réforme catholique – Vitoria en tête – sans faire du protestantisme l’unique levier ; alors que Max Weber, en choisissant comme événement pertinent l’essor du capitalisme, a renforcé le poids de l’éthique protestante. Leo Strauss a quant à lui mis l’accent sur la Renaissance, et particulièrement l’apport décisif de Machiavel dans le délitement de la conception classique du politique. Enfin – panorama non exhaustif –, Péguy situe aux environs de 1881 la naissance d’une modernité constituée par l’avilissement de la mystique en politique – la politique consiste à vivre de la République, la mystique à mourir pour elle. Il n’y avait pas pour Péguy de coupure entre la France d’Ancien Régime et la France de la Révolution ; il y avait, d’une part, « toute l’ancienne France ensemble, païenne (le Renaissance, les humanités, la culture, les lettres anciennes et modernes, grecques, latines, françaises), païenne et chrétienne, traditionnelle et révolutionnaire, monarchiste, royaliste et républicaine, – et d’autre part, et en face, et au contraire une certaine domination primaire, qui s’est établie vers 1881, qui n’est pas la République, qui se dit la République, qui parasite la République, qui est le plus dangereux ennemi de la République, qui est proprement la domination du parti intellectuel », explique-t-il dans Notre jeunesse. Ces écarts de datation s’expliquent par le choix de l’élément cardinal retenu pour apprécier la modernité – par exemple la fin de la mystique chez Péguy. Cet élément ou critère répond également au phénomène étudié : si les causes de la modernisation du droit recoupent celles de la modernisation du politique ou de l’économie, on ne saurait pourtant y retrouver exactement les mêmes logiques à l’œuvre dans les mêmes proportions.

    Contestation des métarécits

    Il faut cependant relever, au-delà des différentes perspectives, une réelle convergence des vues sur les fondations du monde moderne. Sans fournir une lecture approfondie de son soubassement conceptuel, la modernité se caractérise avant tout par la sortie du religieux en tant que mode de structuration – et non pas la fin des religions. Alors que le monde pré-moderne reposait sur la tradition (le passé), la transcendance (le sacré) et supposait une organisation sociale hiérarchisée de forme holistique ; le monde moderne s’enivre d’optimisme en exaltant le progrès d’une histoire dont il se sait pleinement acteur, croit en l’autonomie de sa volonté (nouvelle source de normativité) et place à la base de l’organisation sociale l’individu atomisé. Opposons encore la raison des anciens au rationalisme des Lumières : rationalisation de la métaphysique (criticisme kantien), de la politique et de l’anthropologie (théories du contrat social, utilitarisme) ou de l’économie (capitalisme bourgeois). Ajoutons que certains auteurs, comme Jean-François Lyotard ou Michel Maffesoli, se réfèrent à la notion de postmodernité pour, au fond, souligner la césure entre les philosophies du sujet, issues des Lumières, et certaines philosophies du soupçon, notamment celles patronnées par Friedrich Nietzsche, Sigmund Freud et Martin Heidegger. Philosophies surtout relayées, en France, par Jacques Derrida, Michel Foucault et Jean-Paul Sartre. Pour le dire autrement, en paraphrasant Lyotard, la postmodernité, contrairement à la modernité, n’accorde plus aucun crédit aux métarécits.  La fin de ces métarécits exprime la fin d’un savoir motivé ou soutenu par la volonté de remodeler – de transfigurer, de séculariser – l’ordre moral ancien selon un mode de structuration non religieux. Il s’agit également de redonner un sens à l’histoire par la dialectique hégélienne et marxiste. En résulte, par exemple, le triomphe du positivisme juridique et son refus de produire une théorie du droit entachée de considérations éthiques. Il y a un lien entre ce type de positivisme – à ne pas confondre avec le positivisme d’Auguste Comte encore soucieux de construire un ordre moral amélioré – et l’épistémologie foucaldienne, empruntée à Nietzsche dans sa Généalogie de la morale, qui  s’évertue à démystifier la rationalité apparente des discours pour mieux mettre à jour les rapports de pouvoir occultes. Ce lien, c’est la condition postmoderne, la contestation des métarécits.

    Baudelaire.jpgOn peut dès lors distinguer les éléments de structuration du monde moderne (modernité) de l’attitude favorable à l’égard de la modernité (modernisme). Le modernisme, dans son acception baudelairienne, renvoie au mythe du progrès ; un progrès toujours négateur car insatiable, perpétuel. Le progrès moderniste est un progressisme qui, par le biais des sciences et du volontarisme politique, révèle sa présence, investit pleinement le temps présent, et se défait immédiatement dans cette même présence pour mieux se renouveler. Alors que le progrès antique était celui d’une perfection à retrouver dans l’imitation des grands hommes, le moderniste se prend lui-même pour modèle. Il ne s’agit pas simplement, pour le progressisme, de mondaniser l’eschaton – l’historicisme hégélien et marxiste ne relève pas du progressisme –, mais de le supprimer. Si le moderne baudelairien offre une place certaine à l’angoisse du présent sous l’effet du déracinement, il ne méconnaît nullement la représentation classique d’un idéal et d’une espérance ancrées dans le passé ou dans l’au-delà. Charles Baudelaire, en tant qu’antimoderne, incarne la modernité. Autrement dit, Baudelaire fait du moderne un antimoderne. En reprenant la définition baudelairienne de la modernité – la modernité, le moderne, est d’emblée antimoderne pour Baudelaire – Antoine Compagnon récuse le recours à la notion de postmodernité. En effet, la modernité française incorpore déjà la postmodernité puisqu’elle contient, du moins en puissance, ce refus de l’historicisme et du progrès propre à la condition postmoderne. Il ne peut y avoir de postmodernité que si l’on raccorde la modernité aux Lumières. Or, selon Compagnon, la modernité – la condition, la sensibilité moderne plutôt que le monde moderne – prend forme avec Baudelaire et Nietzsche.

    Retenons davantage, car elle semble communément admise, la distinction entre moderne et antimoderne. Par ailleurs, nous conservons le lien, relativement étroit, posé entre la modernité et les Lumières. Le monde moderne, en sa modernité, renferme donc, à la fois, le moderne comme équivalent du moderniste, et l’antimoderne. L’antimoderne désigne alors le moderne en conflit avec la modernité. On doit déjà relever à ce stade la porosité des classifications, le chevauchement inéluctable du moderne et de l’antimoderne. Un auteur comme Friedrich Hayek illustre bien cette friction : s’agit-il d’un antimoderne, d’un moderne ou, peut-être, d’un hyper/postmoderne ? Probablement un peu des deux, ou des trois si l’on accepte de dissocier moderne de postmoderne.

    Variations autour de l’antimodernité

    220px-Jmaistre.jpgAu sens large, l’antimodernité regroupe l’ensemble des objections formulées à l’encontre de la modernité. Au sens strict, elle doit se distinguer de la réaction mais aussi, dans une certaine mesure, du traditionalisme et du conservatisme. Le sens strict correspond peu ou prou au sens large agrémenté de multiples nuances. Commençons par désolidariser l’antimoderne du réactionnaire. Est réactionnaire, d’après le sens commun, tout mouvement d’hostilité à l’encontre des acquis sociaux et sociétaux dérivés, pour la plupart, de la seconde moitié du XXe siècle – les autres, plus anciens et donc plus ancrés, suscitent moins de réprobation. Dans le vocabulaire profane, réactionnaire signifie antimoderne au sens large. D’un point de vue plus théorique, contrairement à l’antimoderne, le réactionnaire s’oppose à la modernité sur un mode radical : il est anti-Lumières et contre-révolutionnaire. À l’inverse, l’antimoderne accepte, non sans quelques réserves, les fruits des Lumières. Le réactionnaire (français) montre son attachement « au prélibéralisme aristocratique, c’est-à-dire à la liberté et à la souveraineté des grands, avant leur asservissement sous la monarchie absolue vécue comme une tyrannie », souligne Antoine Compagnon dans Les antimodernes de Joseph de Maistre à Roland Barthes. Il manifeste la volonté de défaire les modifications apportées par la Révolution. La nature de cette contre-révolution soulève pourtant une difficulté. Stricto sensu, il s’agit d’une révolution contraire, une révolution pour restaurer les codes de l’Ancien Régime en son âge d’or. Lato sensu, la contre-révolution n’est pas, selon le mot de Joseph de Maistre dans ses Considérations sur la France, « une révolution contraire mais le contraire de la révolution ». Et Maistre d’ajouter, dans son Discours à Mme la marquise de Costa : « Longtemps nous n’avons point compris la révolution dont nous sommes les témoins ; longtemps nous l’avons prise pour un événement. »

    Un événement susceptible d’être un contre-événement (une révolution contraire). Or, la révolution dépasse le cadre de l’événement pour rejoindre celui de l’époque, et l’on ne peut changer une époque. Il faudrait alors substituer antirévolutionnaire à contre-révolutionnaire. L’antirévolutionnaire envisage la restauration du monde ancien par l’effet de la providence et non par une révolution qui, intrinsèquement, en tant que moyen et indépendamment de ses visées, doit être combattue. Au sens très large, les contre-révolutionnaires (tout comme les anti-Lumières) désignent les antimodernes. Nous retiendrons le sens large puisque le réactionnaire chimiquement pur – anti-Lumières et contre-révolutionnaire stricto sensu – n’existe pas. Les anti-Lumières, de Joseph de Maistre à Louis de Bonald, ne proposent pas une révolution contraire. Le réactionnaire est donc anti-Lumières et antirévolutionnaire. Paradoxalement, si Joseph de Maistre incarne la réaction, il ouvre également la voie au courant antimoderne, précisément en intégrant le caractère irréversible du changement d’époque que constitue la Révolution. Les antimodernes tempérerons leurs critiques à l’égard des Lumières en délaissant l’idée d’un retour providentiel à l’âge d’or de l’Ancien Régime. Il est par conséquent abusif de qualifier des auteurs comme Eric Zemmour ou Alain Finkielkraut de réactionnaires. Une des expressions de la réaction contemporaine provient de l’islam radical. Cet islam dégénéré apparaît réactionnaire du point de vue occidental dans la mesure où son idéologie vise la destruction du monde moderne – en utilisant sa technologie –, mais révolutionnaire pour la culture arabo-musulmane : le rationalisme de l’État islamique n’a rien à voir avec un prétendu retour à la tradition.

    Les traditionalistes souhaitent quant à eux conserver ou retrouver une tradition, c’est-à-dire préserver ou restaurer la transmission de certaines dispositions d’ordre culturel. Soit préserver la tradition monarchique anglaise (Edmund Burke) ou, en France, la monarchie absolutiste depuis Louis XIV face à l’entreprise révolutionnaire ; soit retrouver une tradition indo-européenne (René Guénon, Julius Evola). Si Guénon et Evola, à l’inverse de Burke proche du parti whig, se réfèrent à une tradition contraire aux Lumières, il ne sont pas pour autant des antirévolutionnaires. Guénon s’exilera en terre d’islam et Evola optera pour une posture apolitique. Mieux vaut ne pas détacher le traditionaliste de l’antimoderne pour en faire une expression de l’antimodernité.

    Tout changer pour que rien ne change

    f_burke.jpgMême raisonnement au sujet du conservateur confondu avec le traditionaliste et, plus largement, avec l’antimoderne. Le conservateur, au sens strict, entend conserver le modèle en vigueur. Il n’apparaît donc pas, dans cette perspective, contraire au moderne : Emmanuel Macron pourrait tout à fait entrer dans une telle catégorie. Conserver n’équivaut pas à refuser le changement mais davantage, comme l’a bien vu le jeune aristocrate Tancredi dans Le Guépard, à tout changer pour que rien ne change. De même, plus profondément, le traditionalisme burkéen, par son attachement aux préjugés et à la Common law, incline au conservatisme : le changement est organique et non le résultat d’une volonté autonome, d’une construction rationaliste. Une attitude d’hostilité ou, du moins, de réserve à l’égard du progrès technique et sociétal (libéralisation des mœurs), voilà ce qui définit au mieux l’esprit conservateur. Un esprit anti-utilitariste constitué par la valorisation du rituel. Ainsi, explique Michaël Oakeshott dans Du conservatisme, « toutes les activités où ce qui est recherché est le plaisir naissant non du succès de l’entreprise, mais de la familiarité de l’engagement, signalent une disposition au conservatisme ». Le conservateur, lorsqu’il désire limiter le changement en renforçant sa charge organique ou cultive un état d’esprit méfiant à l’égard du progrès et de l’utilité en général, se rattache à l’antimoderne. Les six canons du conservatisme rédigés par Russel Kirk, traduit en français par Jean-Philippe Vincent dans Qu’est-ce que le conservatisme ? Histoire intellectuelle d’une idée politique, confirme la convergence de ce courant avec la sensibilité antimoderne.

    Si la sériation a le mérite d’affiner le discernement, à trop vouloir ordonner, l’inverse se produit et la confusion l’emporte. La plupart des auteurs seront donc qualifiés d’antimodernes afin de r

  • Nadine Morano et la folie idéologique des « élites »

     

    par Yves Morel  

    Invitée de l’émission de Laurent Ruquier, On n’est pas couché, le samedi 26 septembre dernier, Nadine Morano, définit la France comme un pays judéo-chrétien et de race blanche.

    Aussitôt, toute la classe politique poussa des cris d’orfraie, et les très vertueux Républicains retirèrent à la « coupable » son investiture sur la liste du « Grand Est » ( lol ) aux prochaines régionales. NKM, égérie de la droite parisienne bobo, qualifia d’ « exécrables » les propos de l’eurodéputé et rappela que « la République ne fonctionne pas sur les bases idéologiques de l’apartheid », pas moins. Sarkozy, lui, affirma qu’il ne laisserait « jamais dire que la France est une race ».

    Une évidence

    Or, Mme Morano n’a fait, en l’occurrence, que proférer ce qui apparaît à tout esprit censé et de bonne foi, comme une évidence. « Les Français sont un peuple de race blanche » : les très républicains et très laïques instituteurs, et leurs manuels scolaires de géographie rédigés par des inspecteurs primaires tout aussi laïques et républicains l’ont enseigné expressément et sous cette forme textuelle aux élèves depuis Jules Ferry jusqu’au seuil des années 1980, voire plus. Et nul ne les a jamais taxés de racisme, tant cela paraissait indubitable.

    Des contradicteurs qui ont de qui tenir

     

    Morano

    Nadine Morano coupable d’avoir parlé de « race blanche »… 

    Il est vrai que tout a changé depuis les années Mitterrand. Rappelons que Mitterrand, ce président mégalomane et irresponsable dont on ne dénoncera jamais assez la responsabilité dans la décrépitude de notre pays, déclarait, au milieu des années 1980 : « Je veux qu’on bouscule les habitudes et les usages français » et, en conséquence, se prononçait pour une immigration massive, le refus de l’intégration, et le multiculturalisme fondé sur l’encouragement donné aux immigrés de cultiver leurs spécificités culturelles. Visitant une école de Maisons-Alfort, dont la majorité des élèves était d’origine arménienne, il déclarait aux instituteurs : « Faites de ces élèves des garçons et des filles fiers d’être arméniens » (pas français, au grand jamais). Et il galvanisait le prosélytisme immigrationniste de SOS-Racisme, cependant que son épouse se déclarait favorable à la liberté des jeunes musulmanes de porter le foulard à l’école. Etonnons-nous que trente ans après, les musulmans de France s’enhardissent jusqu’à prétendre nous imposer leurs coutumes, et qu’un Yann Moix, un des contradicteurs de Mme Morano, âgé de treize ans en 1981, objecte à celle-ci qu’il est conforme aux lois de l’évolution que la France perde son identité judéo-chrétienne pour devenir musulmane, et qu’il est aussi vain qu’immoral de prétendre s’y  opposer.

    Le fatal mouvement de l’histoire selon Yann Moix

    Moix asséna en effet à Mme Morano que « demain, la France sera peut-être musulmane », qu’il s’agira là du « mouvement de l’histoire». Selon Moix, en effet, « la France dont vous parlez, la France éternelle, elle a été inventée au XIXe siècle, elle n’existait pas avant ». Moix use ici d’une tactique héristique tout à fait caractéristique de notre intelligentsia, qui consiste à prendre prétexte du caractère relativement récent de la représentation conceptuelle d’une réalité historique, pour affirmer qu’il s’agit d’une pure construction intellectuelle, sans existence réelle, et donc spécieuse. Et ainsi, au motif que l’identité culturelle de la France s’est élaborée très progressivement tout au long de notre histoire, et n’a été intellectuellement appréhendée dans sa globalité qu’au XIXe siècle, Moix la réduit à un fantasme. N’ayant donc jamais été judéo-chrétienne, la France peut alors très bien devenir musulmane, de par un « mouvement de l’histoire » que nous sommes condamnés à subir.

    Une conception délibérément perverse de la laïcité

    Et chercher à enrayer cette islamisation est attentatoire à la laïcité.

    Ici, Yann Moix confond scandaleusement (car intentionnellement) l’Etat et la nation, et Mme Morano lui a judicieusement rappelé qu’il fallait distinguer le premier de la seconde. C’est l’Etat, en effet, qui est laïque, a précisé le député, non la nation. Un Etat laïque se veut confessionnellement neutre, et cela peut se concevoir. Mais une nation laïque, qu’est-ce que cela veut dire ? Rien. Cela n’a aucun sens. Une nation a une âme, des croyances, des valeurs fondatrices, des traditions, une manière de penser, une tournure d’esprit, et tout cela n’est pas neutre et ne peut pas l’être. Une nation n’est pas une pure abstraction constituée d’êtres de raison anonymes, indifférenciés, interchangeables, sans âme. Précisons de surcroît que si le mot laïque (ou laïc) vient du grec laos, autrement dit le peuple, il ne signifie pas populaire. En cela, un « peuple laïc », cela n’a pas plus de sens qu’une « nation laïque ». La notion de laïcité se rapporte exclusivement à l’Etat, en aucun cas au peuple ou à la nation. La référer au peuple ou à la nation est, intellectuellement, un non-sens, et, moralement, une tromperie (pour ne pas dire une escroquerie) utilisée par ceux qui, comme Moix, veulent donner à croire à nos concitoyens que les notions de nation, de peuple, d’identité culturelle, sont de pures constructions de l’esprit, dénuées de toute réalité, lourdes de dérives perverses, et, en tout cas, obsolètes et contraires à la vérité (qui n’admet censément qu’un Homme universel et abstrait réduit à sa seule raison) et au sens de l’Histoire (lequel nous mène à l’indifférenciation clonique d’une humanité mondialisée s’acheminant vers le meilleur des mondes).

     

    LeaSalame

    Lea Salame, donneuse de leçons plates… 

    La laïcité, selon Yann Moix, n’est donc pas une simple caractéristique de l’Etat, consistant en une neutralité confessionnelle délibérée, mais la pièce maîtresse d’une conception de l’homme et de l’histoire et le fondement irréfragable de la morale. En cela, elle interdit toute pensée et toute politique fondée sur les notions de peuple, de nation et d’identité culturelle. Par là, elle nous interdit de considérer comme dangereuse une immigration massive, lors même que ses effets nocifs sont d’ores et déjà avérés. Mme Morano peut bien déplorer (et avec elle, des millions de Français qui ne vivent pas dans le même quartier que M. Moix) l’islamisation effective de nombreuses communes et l’islamisation rampante de nos mœurs, M. Moix lui réplique (avec l’approbation de Ruquier et les applaudissements serviles de sa claque complice) que c’est le « mouvement de l’histoire » et qu’il convient de s’y résigner. A défaut, on bascule dans l’horreur et la malédiction. On doit se résigner à l’islamisation de la France, à l’altération de son identité culturelle, qui, d’ailleurs, n’a jamais été une réalité et est une construction théorique du XIXè siècle qui a alimenté tous les fantasmes nationalistes et racistes contemporains. Toute action politique tendant à enrayer cette altération de notre identité nous ramène au temps honni de Vichy et de l’Occupation nazie. On doit donc y renoncer. Mieux (ou plutôt pire), il n’y faut même pas songer, ne fût-ce qu’une seconde. A l’inquiétude de Mme Morano quant à l’islamisation graduelle de la nation française, Yann Moix répond que « la laïcité c’est de ne pas se poser cette question », que se tourmenter à ce sujet et vouloir que l’islam « soit une religion minoritaire » revient à violer le parti pris de neutralité inhérent à cette laïcité, laquelle est, de toute nécessité, « indifférence » et « incompétence » (sic).

    Autrement dit, selon Moix, au nom de la laïcité, l’Etat doit se montrer absolument indifférent au sort de la nation, fermer les yeux sur ce qui menace son identité culturelle, et aller jusqu’à nier l’existence même du problème. Nier le danger, c’est bien, ne pas même y songer, c’est encore mieux. Voilà à quelle conclusion aussi suicidaire qu’aberrante mène cette conception dévoyée de la laïcité. Telle que la conçoivent Yann Moix, Laurent Ruquier, les médias et toute notre classe politique, la laïcité ligote l’Etat, le rend sourd, aveugle, muet et impuissant, et lui interdit même de penser, le privant de toute lucidité. Elle n’est pas une simple règle de neutralité confessionnelle, mais une valeur ogresse ou cancéreuse qui dévore toutes les autres, se substitue à elles et constitue le tout de la morale politique et de la morale tout court. Ce que Moix et tous les contradicteurs de Mme Morano défendent, c’est une conception sidaïque et mortifère de la laïcité, qui prive la nation de tout moyen de prévention et de défense contre le danger migratoire qui la menace. La laïcité ainsi conçue devient une arme contre l’identité de la France. Léa Salamé, lors de l’émission de Ruquier, somma Mme Morano de choisir entre « la France laïque » et « la France judéo-chrétienne », affirmant que les deux notions s’excluaient réciproquement. C’est faux et malhonnête. Redisons-le : c’est l’Etat qui est laïque, pas la France, qui, elle, est une nation aux fondements spirituels et éthiques judéo-chrétiens. Et un Etat, pour être laïque, n’est pas tenu de méconnaître et de nier l’identité culturelle de la nation qu’il gouverne et dont il a la responsabilité de la sauvegarde, tout au contraire. La même Léa Salamé reprochait à Mme Morano d’exclure implicitement les Antillais de la France au motif de leur couleur de peau. Mais, autant que l’on sache, la France peut très bien comporter des citoyens noirs sans cesser pour cela d’être in essentia une nation de race blanche. Et cela vaut pour la religion : Senghor, le plus illustre des Sénégalais, catholique pratiquant, a dirigé durant 20 ans le Sénégal, et ce dernier n’en est pas moins demeuré un « pays musulman » pour la simple raison que les musulmans représentent 94% de sa population. Et s’il existe des Sénégalais blancs, cela n’empêche nullement le Sénégal de rester une nation de race noire.

    Une entreprise d’aliénation en faveur de l’édification d’un monde de clones indifférencié

     Il est vrai que, aux yeux de Yann Moix, « race » est un mot « indécent » qu’il faut « ne plus jamais utiliser ». Il est d’ailleurs devenu fréquent d’entendre dire que « les races n’existent pas ». Un professeur d’histoire-géographie, membre du Modem, rappelle d’ailleurs à Mme Morano, sur le site de Metro News, que « la race blanche n’existe pas et [que] plus personne n’en parle depuis que les derniers théoriciens nationaux-socialistes ont été pendus à Nuremberg » (sic). Les races n’existent pas, donc, non plus que les sexes, depuis la théorie du gender, au nom de laquelle on nous assène que le sexe d’un individu relève d’une situation, et non pas de sa nature, moins encore de son identité, et que d’ailleurs la notion de sexe est une construction mentale (une de plus) élaborée et imposée par une société archaïque dont il convient de s’émanciper.

     

    ruquier

    Laurent Ruquier accuse Morano de favoriser le racisme. 

    Pas de race, donc, ni de sexe, ni d’identité culturelle secrétée par l’histoire ; rien de tout cela n’est réel ; ce sont là autant de fantasmes oppressifs qu’il faut détruire ; il n’existe, il ne doit exister que des clones anonymes, interchangeables, évoluant en un meilleur des mondes planétarisé, sans frontières, ni nations, ni peuples, ni cultures particulières, dont la « laïcité » interprétée par les Moix, les Ruquier, les Salamé, est l’instrument de l’édification.

    Il est assurément dommage que les musulmans, eux, ne partagent pas cette vision « républicaine », « laïque » et universaliste du monde et prétendent nous imposer leur religion, leur culture, leurs traditions et leur mode de vie. Mais M.Moix n’en a cure, puisqu’on n’a pas le droit de contrarier ce « mouvement de l’histoire ».

    Yann Moix et consorts illustrent au plus haut degré l’immense entreprise d’aliénation de nos concitoyens, à l’œuvre depuis des décennies. Aliénation, oui, car elle vise à nous déposséder de notre identité pour nous faire devenir autres que ce que nous sommes, que ce que notre histoire, notre civilisation, ont fait de nous.

    Laurent Ruquier, lors de son émission du 26 septembre, a reproché à Mme Morano de favoriser le racisme en prétendant que la France était un pays blanc et judéo-chrétien. Tragique (et volontaire) erreur : ce qui stimule le racisme, c’est le refoulement permanent des identités culturelles et nationales, lesquelles finissent alors par ressurgir sous de violentes formes éruptives ; les musulmans de France le prouvent, eux qui, aujourd’hui, refusent notre société et le modèle républicain et laïque que les Moix, les Ruquier, les Hollande et les Sarkozy veulent leur imposer.

    La faillite de la laïcité républicaine

     Ce modèle prouve aujourd’hui tragiquement sa faillite. Cette dernière tient à la nature idéologique et à la propension totalitaire de la laïcité à la française. Celle-ci ne se présente pas comme une simple neutralité confessionnelle de l’Etat et de la loi qui protège la liberté de conscience, mais comme la manifestation éthique, politique et juridique d’un parti-pris antireligieux découlant d’une vision athée de l’Homme conçu comme un être de pure raison, identique en tous lieux et en tous temps. Une telle conception de l’homme détruit tout sentiment d’appartenance à une nation et à une civilisation données, et empêche l’intégration des immigrés, lesquels refusent instinctivement de se départir de leur spécificité culturelle pour se fondre dans une masse indifférenciée. Des immigrés peuvent accepter de s’intégrer à une communauté soudée par une identité culturelle forte, mais refuseront toujours de devenir les clones d’un magma sans âme, et les passants d’

  • L'Europe, empire allemand ? Les analyses de Jean-Michel Quatrepoint*

     

    Nous donnons une fois de plus la parole à Jean-Michel Quatrepoint, parce que ses analyses, données au Figaro, sont à la fois extrêmement lucides, réalistes, fondées sur une profonde connaissance des sujets traités, et que les positions qu'elles expriment sont presque en tous points les nôtres. Nous n'y ajouterons rien si ce n'est que la question posée en titre ne doit pas être comprise en termes d'hostilité à l'égard de l'Allemagne. La position dominante qu'elle occupe aujourd'hui en Europe est due en grande partie au décrochage de la France... Ajoutons pour finir que nous publierons demain le deuxième volet de cette réflexion : « Traité transatlantique : le dessous des cartes ».   LFAR

     

    PHO1159e20e-cc52-11e3-a4f2-b373f3cdeec9-150x100.jpgPour le journaliste économiste Jean-Michel Quatrepoint, auteur du Choc des empires, la construction européenne a totalement echappé à la France et se trouve désormais au service des intérêts allemands. Première partie de l'entretien accordé au Figarovox.

    Dans votre livre vous expliquez que le monde se divise désormais en trois empires : les Etats-Unis, la Chine, l'Allemagne. Qu'est-ce qu'un empire ?

    Pour être un empire, il faut d'abord se vivre comme un empire. Ensuite, il faut une langue, une monnaie, une culture. Sans parler des frontières. L'Amérique, c'est Dieu, le dollar et un drapeau. La Chine, c'est une économie capitaliste, une idéologie communiste et une nation chinoise qui a sa revanche à prendre, après l'humiliation subie au XIXème siècle. Quant à l'Allemagne, c'est en empire essentiellement économique. Quand Angela Merkel a été élue en 2005, son objectif premier était de faire de l'Allemagne la puissance dominante en Europe: elle a réussi. Maintenant il s'agit de façonner l'Europe à son image. Mais avec des contradictions internes: pour des motifs historiques bien compréhensibles, Berlin ne veut pas aller jusqu'au bout de la logique de l'empire. Elle n'impose pas l'allemand, et est réticente sur la Défense. Elle veut préserver ses bonnes relations avec ses grands clients: la Chine, les Etats-Unis et la Russie.

    Vous écrivez « L'Union européenne qui n'est pas une nation ne saurait être un empire ».

    C'est tout le problème de l'Europe allemande d'aujourd'hui, qui se refuse à assumer sa dimension d'empire. 28 états sans langue commune, cela ne peut constituer un empire. L'Angleterre ne fait pas partie du noyau dur de la zone euro. Les frontières ne sont pas clairement délimitées: elles ne sont pas les mêmes selon qu'on soit dans l'espace Schengen ou la zone euro. L'Europe est un patchwork et ne peut exister en tant qu'empire, face aux autres empires.

    « L'Allemagne est devenue, presque sans le vouloir, le nouveau maitre de l'Europe », écrivez-vous. Comment se traduit cette domination de l'Allemagne en Europe ? D'où vient-elle ? Sur quels outils s'appuie cette hégémonie ?

    Cette domination vient de ses qualités…et de nos défauts. Mais ce n'est pas la première fois que l'Allemagne domine l'Union européenne. A la fin des années 1980, juste avant la chute du mur, elle avait déjà des excédents commerciaux considérables. La réunification va la ralentir un instant, car il va falloir payer et faire basculer l'outil industriel allemand vers un autre hinterland. La RFA avait un hinterland, c'était l'Allemagne de l'Est: le rideau de fer n'existait pas pour les marchandises. Les sous-ensembles (par exemple les petits moteurs équipant l'électroménager allemand) étaient fabriqués en RDA à très bas coût (il y avait un rapport de 1 à 8 entre l'Ost mark et le Deutsche Mark), puis assemblés en Allemagne de l'Ouest. Avec l'équivalence monétaire décidée par Kohl à la réunification (1 deutsche mark= 1 Ost mark), les Allemands perdent tous ces avantages. Il faut trouver un nouvel hinterland pour retrouver des sous-traitants à bas coût. Ce que l'Allemagne a perdu dans la réunification, elle le retrouvera par l'élargissement de l'UE. Ce sera dans la Mittleuropa, l'espace naturel allemand, reconstitué après l'effondrement du communisme. La Hongrie, la Tchéquie, et même la Pologne: c'est la Germanie, le Saint Empire romain germanique..

    Dans un premier temps ils ont donc implanté des usines modernes dans les pays de l'Est pour fabriquer des sous-ensembles, qui sont assemblés en Allemagne où l'on fabrique un produit fini, que l'on vend avec une kyrielle de services voire avec le financement. La grande force de l'Allemagne c'est d'avoir choisi dans la division internationale du travail un créneau où ils sont quasiment seuls, l'industrie de qualité, principalement automobile (elle leur assure une part très importante de leurs excédents commerciaux).

    Un hinterland permis par l'élargissement, une « deutsche qualität », mais aussi « un euro fort » qui sert les intérêts allemands…

    L'euro c'est le mark. C'était le deal. Les Français ont péché par naïveté et se sont dit: faisons l'euro, pour arrimer l'Allemagne à l'Europe. Les Allemands ont dit oui, à condition que l'on joue les règles allemandes: une banque centrale indépendante (basée à Francfort), avec un conseil des gouverneurs dirigé par des orthodoxes, dont la règle unique est la lutte contre l'inflation, la BCE s'interdisait dès le départ d'avoir les mêmes outils que la FED ou la banque d'Angleterre et depuis peu la Banque du Japon, même si Mario Draghi est en train de faire évoluer les choses. Mais le mal est fait.

    Vous dites que l'Allemagne fonctionne sur une forme de capitalisme bismarckien mercantiliste. Pouvez-vous nous définir les caractéristiques de cet « ordolibéralisme » allemand ?

    L'ordolibéralisme allemand se développe dans l'entre deux guerres et reprend les principes du capitalisme mercantiliste bismarckien. Bimarck favorise le développement d'un capitalisme industriel et introduit les prémices de la cogestion . Il invente la sécurité sociale. Pas par idéal de justice sociale, mais pour que les ouvriers ne soient pas tentés par les sirénes du socialisme et du communisme. C'est la stratégie qu'a déployé l'Occident capitaliste entre 1945 et 1991. Le challenge du communisme a poussé l'Occident à produire et à distribuer plus que le communisme. La protection sociale, les bons salaires, étaient autant de moyens pour éloigner des populations de la tentation de la révolution. Une fois que le concurrence idéologique de l'URSS a disparu, on est tenté de reprendre les avantages acquis… 1 milliard 400 000 chinois jouent plus ou moins le jeu de la mondialisation, la main d'œuvre des pays de l'Est est prête à travailler à bas coût…tout cela pousse au démantèlement du modèle social européen. Les inégalités se creusent à nouveau.

    L'ordolibéralisme se développe avec l'école de Fribourg. Pour ses tenants, l'homme doit être libre de créer , d'entreprendre, de choisir ses clients, les produits qu'il consomme , mais il doit aussi utiliser cette liberté au service du bien commun. l'entreprise a un devoir de responsabilité vis-à-vis des citoyens. C'est un capitalisme organisé, une économie sociale de marché où les responsabilités sont partagées entre l'entreprise, le salarié et l'Etat. Il y a quelque chose de kantien au fond: l'enrichissement sans cause, et illimité n'est pas moral, il faut qu'il y ait limite et partage.

    Le mercantilisme, c'est le développement par l'exportation. Il y a d'un coté les pays déficitaires, comme les Etats-Unis et la France et de l'autre trois grands pays mercantilistes : l'Allemagne, le Japon et la Chine. Ces trois pays sont des pays qui ont freiné leur natalité et qui sont donc vieillissants, qui accumulent donc des excédents commerciaux et des réserves pour le jour où il faudra payer les retraites. L'Amérique et la France sont des pays plus jeunes, logiquement en déficit.

    Les élections européennes approchent et pourraient déboucher pour la première fois dans l'histoire sur un Parlement européen eurosceptique. Comment voyez-vous l'avenir de l'Europe ? Comment sortir de l'Europe allemande ?

    L'Europe est un beau projet qui nous a échappé avec l'élargissement, qui a tué la possibilité même du fédéralisme. On a laissé se développer une technocratie eurocratique, une bureaucratie qui justifie son existence par le contrôle de la réglementation qu'elle édicte.

    Ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il ne faut pas avoir une bonne gestion. Il faut absolument réduire nos déficits, non pas pour plaire à Bruxelles ou à Berlin, mais parce que c'est la condition première et nécessaire du retour de notre souveraineté. John Adams, premier vice-président américain disait: « il y a deux manières de conquérir un pays : l'une par l'épée, l'autre par la dette ». Seuls les Américains échappent à la règle, justement parce qu'ils ont une épée tellement puissante qu'ils peuvent se permettre de faire de la dette ! Nous ne pouvons pas nous le permettre. Ce n'est pas une question de solidarité intergénérationnelle, ou de diktat bruxellois. Si notre dette était financée intégralement par l'épargne française, comme c'est le cas des japonais, il y aurait beaucoup moins de problèmes. On aurait dû financer notre dette par des emprunts de très long terme, voire perpétuels, souscrits par les épargnants français.

    A 28 l'Europe fédérale est impossible, de même qu'à 17 ou à 9. Il y a de telles disparités fiscales et sociales que c'est impossible. Je suis pour une Confédération d'Etats-nations, qui mette en œuvre de grands projets à géométrie variable (énergie, infrastructures, métadonnées etc ). Il y a une dyarchie de pouvoirs incompréhensible pour le commun des mortels: entre Van Rompuy et Barroso, entre le Conseil des ministres et les commissaires. Dans l'idéal il faudrait supprimer la commission! Il faut que les petites choses de la vie courante reviennent aux Etats: ce n'est pas la peine de légiférer sur les fromages! Le pouvoir éxécutif doit revenir aux conseils des chefs d'état et aux conseils des ministres, l'administration de Bruxelles étant mise à leur disposition et à celui d'un Parlement dont la moitiée des députés devraient être issus des parlements nationaux. Si l'on veut redonner le gout de l'Europe aux citoyens il faut absolument simplifier les structures.

    Comment fait-on pour réduire la dette avec une monnaie surévaluée ? Faut-il sortir de l'euro ?

    Une dette perpétuelle n'a pas besoin d'être remboursée. Je suis partisan d'emprunts à très long terme, auprès des épargnants français, en leur offrant un taux d'intérêt digne de ce nom.

    Le traité de Maastricht a été une erreur: on a basculé trop vite de la monnaie commune à la monnaie unique. Il n'est pas absurde de prôner le retour à une monnaie commune et à du bimétalisme: un euro comme monnaie internationale et 3 ou 4 euros à l'intérieur de la zone euro. Mais cela nécessite l'accord unanime des pays membres, et c'est une opération très compliquée. Sur le fond, la sortie de l'euro serait l'idéal. Mais il faut être réaliste: nous n'aurons jamais l'accord des Allemands.

    Si nous sortons unilatéralement, d'autres pays nous suivront …

    Pour sortir unilatéralement, il faut être très fort, or notre pays, dans l'état dans lequel il est aujourd'hui, ne peut pas se le permettre. Quand aux autres: Rajoy suivra Merkel, les portugais aussi (ces dirigeants appartenant au PPE), Renzi joue son propre jeu. La France est isolée en Europe. Elle ne peut pas jouer les boutefeux. Hollande et Sarkozy ne se sont pas donné les moyens d'imposer un chantage à l'Allemagne. Il fallait renationaliser la dette, pour ne plus dépendre des marchés et s'attaquer au déficit budgétaire, non pas pour plaire à Merkel, mais pour remettre ce pays en ordre de marche. Sarkozy faisait semblant de former un duo avec la chancelière alors que c'est elle qui était aux commandes. Hollande, lui fuit, et essaye de gagner du temps, deux mois, trois mois. Il cherche l'appui d'Obama nous ramenant aux plus beaux jours de la Quatrième République, à l'époque où on quémandait l'appui des Américains pour exister.

    Comme vous l'expliquez dans votre livre, la France, faute d'industrie, essaie de vendre les droits de l'homme…

    Oui nous avons abandonné le principe de non ingérence en même temps que nous avons laissé en déshérence des pans entiers de notre appareil industriel. Alors que la guerre économique fait rage, que la mondialisation exacerbe les concurrences, nous avons d'un coté obéré notre compétitivité et de l'autre on s'est imaginé que l'on tenait avec les droits de l'homme un « plus produit » comme on dit en marketing. Or ce sont deux choses différentes. Surtout quand il s'agit de vendre dans des pays où les gouvernements exercent une forte influence sur l'économie. Les droits de l'homme ne font pas vendre. C'est malheureux mais c'est ainsi. De plus la France à une vision des droit de l'homme à géométrie variable. Pendant qu'on fait la leçon à Poutine, on déroule le tapis rouge au Qatar où à l'Arabie Saoudite. Avec la Chine on tente de rattraper les choses. Mais les Chinois, contrairement à nous, ont de la mémoire. Savez-vous pourquoi le président chinois lors de sa venue en France s'est d'abord arrêté à la mairie de Lyon avant celle de Paris ? Parce que M Delanoë avait reçu le dalaï-lama, et que les Chinois se souviennent du trajet de la flamme olympique en 2008 dans la capitale. Nous occidentaux, nous n'avons pas de leçons à donner au reste du monde. Les espagnols ont passé au fil de l'épée les Indiens, les Anglais ont mené une guerre de l'opium horriblement humiliante pour les Chinois au XIXème. Arrêtons de vouloir donner des leçons au reste du monde, sinon le reste du monde sera en droit de nous en donner ! 

    Jean-Michel Quatrepoint est journaliste économiste. il a travaillé entre autres au Monde, à la Tribune et au Nouvel Economiste. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont La crise globale en 2008 qui annonçait la crise financière à venir. Dans son dernier livre, Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l'économie-monde ? (Le Débat, Gallimard, 2014), il analyse la guerre économique que se livrent les trois grands empires qui règnent en maitres sur la mondialisation : les Etats-Unis, la Chine et l'Allemagne.  

    PHO336da448-cc52-11e3-a4f2-b373f3cdeec9-150x200.jpg

    Entretien réalisé par Eugénie Bastié et Alexandre Devecchio