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Guerre idéologique, par Philippe Germain.

Table des matières

La technocrature, maladie sénile de la démocratie  : (15/16)

Elites et Géneration Maurras

Pourquoi normal «  a minima  »  ? Simplement parce que l’Action française va jusqu’à voir dans la conquête technocratique de 2017 un fait «  justifié  », car contrairement au pays réel, le pays légal possède des élites.

philippe germain.jpgL’importance attribuée au concept d’élite par l’Action française date de la Génération Maurras. Cette génération «  champignon  » de jeunes monarchistes – ignorante de l’analyse sociale de Pierre Debray sur les «  dynasties républicaines  » – se lança dans l’identification des élites du pays légal. En 1991, le premier numéro de la revue Réaction, dirigée par Jean-Pierre Deschodt et François Huguenin proposa un dossier novateur sur «  L’élite  ». Il prolongeait le numéro 2 des Cahiers d’Action française sur «  Pays légal/pays réel – la rupture  », réalisé sous la direction de Xavier Lepage en 1990. Le comité de rédaction de Réaction fit appel à plusieurs professeurs de Paris II et Paris IV. Il y a trente ans déjà, ils identifièrent les quatre élites du modèle oligarchique sous les noms de «  contre élite politicienne/élite de défense républicaine  », «  oligarchie financière/élite de l’argent  » puis les intermédiaires «  contre-élite médiatique/amuseurs et savoir  » et enfin «  technocratie  ». Les universitaires présentèrent les élites démocratiques comme des «  contre-élites  » dont l’obsession principale «  est de se protéger par tous les moyens contre ceux qui pourraient dénoncer, en utilisant leurs propres canaux, le caractère indu des privilèges qu’elles s’attribuent, et l’immoralité de leur domination.1  » Ils retrouvaient là les travaux maurrassiens d’un universitaire grenoblois réalisés vingt ans auparavant  : «  Le système ne garde une certaine pérennité qu’à la condition d’asservir ces factions “naturelles” au profit des couches sociales qui tirent directement leur subsistance et leur pouvoir de cette forme de régime, ces couches sociales constituent le pays légal. C’est une des clés de la démonstration maurrassienne ; la république, ne se perpétue qu’en désorganisant le pays réel.2  »

En revanche Philippe Mesnard3 — représentatif de la Génération Maurras —explorait le concept d’élite à travers Pareto en mettant en évidence sa loi d’élimination des élites devenues faibles au profit d’une minorité qui, à son tour, perdra le pouvoir. Une loi vérifiée empiriquement en 2017 par l’élimination de l’élite politique au profit de la Technocratie avec l’aide de l’élite médiatique. Car voilà la première raison pour laquelle l’Action française considère comme justifiée la conquête technocratique du pouvoir politique. Le pays légal dispose encore de deux élites efficaces  : la médiatique et la technocratique. Ce n’est plus le cas du pays réel. La classe moyenne «  basse  » des Gilets Jaunes est loin de constituer une élite, ni d’ailleurs l’archipel catholico-conservateur qui entre en réaction contre le libéralisme sociétal mais vote pour le libéralisme politique  ; on écarte bien que ce qu’on peut remplacer. Le Pays réel ne pourra pas reprendre le pouvoir, suivant la belle formule de Pierre Boutang4, sans disposer d’une élite.

Guerre  : culturelle ou idéologique

La seconde raison, pour laquelle l’Action française considère justifiée la conquête technocratique du pouvoir politique, tient à l’analogie qu’elle fait avec l’idée5 d’Alain de Benoist sur un gramscisme de droite. Effectivement l’Action française constate que le pays légal est parvenu, tout en dégageant son élite politicienne disqualifiée, à établir une concordance entre la majorité politique (LREM-progressiste), la majorité sociologique (cadres, retraités, fonctionnaires) et la majorité idéologique (pôle des valeurs républicaines). A suivre le «  Pape  » de la Nouvelle Droite, la victoire-sauvetage du Pays légal serait justifiée, car l’alignement majoritaire réalisé en 2017 constitue la recette gagnante dans le Système. Du moins dans le Système de démocratie représentative dans lequel se place Benoist. L’élite médiatique à emporté la guerre culturelle, justifiant la victoire technocratique de 2017.

C’est la fameuse guerre culturelle, sur laquelle la Génération Maurras s’est penchée depuis 1988 en rapprochant ses deux théoriciens  : Maurras et Gramsci6. Elle a donc étendu la méthode de physique sociale de la préoccupation de ce qu’elle a préféré nommer «  la guerre idéologique  »7. En réalité, elle retrouvait tout à la fois le souci maurrassien de L’Avenir de l’Intelligence (1903, celui de Jacques Bainville créant l’Institut d’Action Française en 1905), le manifeste d’Henri Massis «  Pour un parti de l’Intelligence  » (1919), la Revue Universelle (1920) et la réflexion stratégique de Michel Michel sur «  Les intellectuels8  » (1979).

A vrai dire, la primauté du «  culturel d’abord  », permettant à la Nouvelle-Droite de se poser en s’opposant au «  politique d’abord  » maurrassien, est dans la pratique ramenée à la vieille lutte idéologique. On retrouve la vieille tension entre le catholicisme et une religion du «  Progrès  » substituant «  Demain  » au Ciel comme projection idéale polarisant l’espérance. Pendant longtemps, explique Michel Michel, «  la France a vécu dans une diarchie idéologique de type Don Camillo/Peppone  : les conflits avaient été rudes (surtout vers le début du XXe siècle  : séparation de l’Église et de l’État, expulsion des moines, inventaires des églises, affaire des fiches, etc.)  ; mais, après la guerre de 14-18, ces deux idéologies s’étaient assoupies, à peine réveillées par la “guerre scolaire” au début du septennat de François Mitterrand. Il fallut l’irruption d’une grosse immigration musulmane pour venir bouleverser cette guerre de tranchées presque figée dans son rituel.9  »

Les trois référentiels idéologiques

Pour l’Action française, la guerre idéologique va donc devoir être réinventée. En 2015 son responsable de la stratégie a effectivement produit une réflexion suite aux grandes manifestations contre la loi pour le mariage homosexuel. Dans son «  Chaos des référentiels  », Michel Michel estime : «  Aujourd’hui et dans les années qui vont suivre, trois pôles sont susceptibles de proposer un système cohérent de valeurs et un projet de société susceptible de structurer notre société  : le pôle “catholique et Français toujours”,, le pôle des “valeurs républicaines” et le pôle “islamiste”10.  »

Et il précise  : «  Naturellement, on pourra trouver de nombreux cas échappant à cette typologie  : serviteurs de l’État souverainistes, catholiques bretons militants socialistes, maghrébins christianisés ou convaincus par le laïcisme  ; aussi faut-il comprendre ces trois pôles comme des “idéaux-types” qui, à la façon de Max Weber, sélectionnent les traits les plus pertinents pour permettre un raisonnement qui dépasse une vision atomisée et “nominaliste” de la société française.11  » Même si les enjeux des affrontements idéologiques sont surtout symboliques — voile dans les lieux publics, mariage gay, déchéance nationale, crèches de Noël dans les collectivités publiques, destruction de statues —, chaque pôle pourra se prévaloir d’une légitimité entrant en concurrence avec les deux autres  :

  • celle de l’identité et des traditions coutumières françaises  ;
  • celle des institutions légales  ;
  • celle de la conviction religieuse, de la jeunesse et d’un accroissement exponentiel.

Pour l’Action française, il y a donc, à présent, non plus deux, mais trois projets de société, provoquant dans chaque «  camp  » durcissement et radicalisation réactionnelle. Pour elle, c’est le seconde évolution du temps présent, à prendre en compte après le déséquilibre au sein du pays légal crée par le dégagisme de l’élite politique et la prise de pouvoir technocratique.

Germain Philippe ( à suivre)

1 Claude Rousseau, «  Elites démocratiques, ou «  quand les égaux veulent se donner des rois  », Réaction n°1, 1991, p.28.
2 Miche Michel, «  Pays légal – pays réel  », Amitiés Françaises Universitaires n° 165, mai 1971
3 Philippe Mesnard, «  La pendule de Pareto «   l’histoire est un cimetière d’aristocraties  », », Réaction n°1, 1991, p.46-51.
4 Pierre Boutang, Reprendre le pouvoir, Sagittaire, 1978.
5 Alain de Benoist, «  Les causes culturelles du changement politique  », Pour un «  Gramscisme de droite  » -Actes du XVI° colloque du G.R.E.C.E., Le labyrinthe, 1982, p.11.
6 Nicolas Portier , «  Deux théoriciens du pouvoir culturel  : Maurras et Gramsci  », Le Feu-Follet n°2 nouvelle série, octobre 1988.
7 Nicolas Portier , «  La guerre idéologique  », Le Feu-Follet n°2 nouvelle série, octobre 1988
8 Michel Michel, «  Les intellectuels  », Revue Royaliste n°3, janvier 1979.
9 Michel Michel «  Les gilets jaunes  : qu’elle idéologie  », Nouvelle Revue Universelle n°57, 2019, p.48.
10 Au sein de chaque Pôle, on pourra distinguer des «  écoles de pensées  » plus sophistiquées qui visent à rendre le Pôle plus cohérent et plus réactif  ; on donnera en exemple le trotskisme pour le Pôle idéologique républicain, ou l’Action Française pour le Pôle «  Catholique et Français toujours  ». Le risque de la sophistication de l’école de pensée est de ne plus avoir prise sur leur Pôle beaucoup plus fruste (par exemple effrayer les «  conservateurs  ») ; leur chance est de pouvoir se mobiliser et modifier les rapports de force globaux (cf. l’entrisme de l’OCI trotskyste dans le système républicain).
11 Michel Michel «  Les gilets jaunes  : qu’elle idéologie  », Nouvelle Revue Universelle n°57, 2019, p.51.

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