(retrouvez notre sélection de "Une" dans notre Catégorie "Grandes "Une" de L'Action française")
(quatre photos, tirées de notre Album Maîtres et témoins... (II) : Jacques Bainville)
1. Remise de l'épée d'académicien...
En novembre 1935, Bainville reçoit son épée d’académicien des mains de François Léger, alors secrétaire général des étudiants d’AF, en présence du maire de Vincenne, M. Bonvoisin.
Elle a été fabriquée, comme celle de Maurras, par Mellerio dits Meller, le plus ancien joaillier du monde.
C'est Maxime Réal del Sarte qui l'a conçue, comme celle de Maurras.
Réal del Sarte était le descendant d'Andrea del Sarto, qui fit partie de la cohorte d’artistes italiens appelés par François premier pour illustrer les Arts, sous toutes leurs formes, dans le Royaume.
Il était sculpteur, fidèle en cela à la vocation artistique de sa lignée : c'est lui qui fonda les Camelots du Roi, dont il devint le chef.
Il a réalisé la garde des épées d’académicien de Maurras et de Bainville :
Un des thèmes favoris de l'auteur est la Minerve ailée comme une victoire : Minerve est appuyée sur une lance symbolique dont le fer est formé d'une fleur de lys en brillants.
La sérénité l'habite, malgré les assauts de deux chimères symbolisant les ennemis de la vérité, de l'ordre, de la sagesse.
Sur la coquille, posées sur deux plumes enlacées, se détachent les initiales de l'auteur.
Sur la lame, figure l'inscription "offert par les étudiants français le 7 novembre 1935".
2. Réception sous la Coupole, et éloge de son prédécesseur, Raymond Poincaré
C'est le 7 novembre 1935 que Bainville est reçu parmi ses pairs : il n'a plus que trois mois et deux jours à vivre....
Conformément à l'usage, il prononce l'éloge de son prédécesseur, Raymond Poincaré, cet ancien président de la République qui avait publiquement rendu hommage à l'Action française pour son attitude "d'union sacrée" durant la Guerre de 14.
Et, bien que se sachant condamné à très court terme par le cancer qui ne lui laissait aucun espoir, c'est sur un splendide et - en l'occurrence - très émouvant acte de foi, en même temps qu'hymne à la vie, que se termine ce Discours.
En voici les deux derniers paragraphes :
"...Messieurs, j'évoque ceux des vôtres qui ont formé comme la garde du sentiment national et de l'idée de patrie. Que de manquants ! Autour de Raymond Poincaré se rangeaient Joffre, Foch, Lyautey. Autour de lui se rangeaient encore Albert de Mun, Barrès, Clémenceau, Jules Cambon. Patriae labentis prasidium et decus ("Protection et gloire de la patrie qui s'effondre", ndlr). Il semble que Rome, qui a tout dit, l'ait dit pour eux.
Nous n'aurons ni l'amertume du poète grec ni le pessimisme, même salubre, de la devise latine. Ce qui a été conservé et sauvé ne l'a pas été en vain. Il est des oeuvres et des pensées qui se prolongent au-delà de la tombe. Il est toujours des mains pour recueillir et transmettre le flambeau. Et pour les renaissances, il est encore de la foi."
3. Joseph de Pesquidoux, successeur de Jacques Bainville
Buste de Joseph de Pesquidoux, par Anne Kirkpatrick.
Élu à l'Académie le 28 mars 1935, et reçu le 7 novembre de la même année, Jacques Bainville n'aura donc même pas été membre pendant un an de l'illustre société, et n'y aura même pas siégé pendant trois mois...
Lorsque son ami "de six grands lustres de collaboration incessante", Charles Maurras, fut élu a son tour à l'Académie, le 9 juin 1938 (il n'y sera reçu que le 8 juin 1939 !...) cela faisait donc déjà plus de deux ans que Bainville avait disparu :
"...Au bon temps, nous nous voyions tous les jours..." écrit Maurras dans la préface qu'il donne au livre posthume de Bainville, Lectures; mais il ne leur aura pas été donné de se retrouver, aussi, à l'Académie...
C'est Joseph de Pesquidoux qui fut élu, le 2 juillet 1936 (donc, très peu de temps après sa mort), au fauteuil de Jacques Bainville, le fauteuil 34.
Reçu le 27 mars 1937, il prononça son éloge, dont voici deux extraits :
1. "...Jacques Bainville est dès lors en possession de ses puissances intellectuelles. Sans rien abandonner de la tâche quotidienne, il va se mettre à son oeuvre historique. Comme Michelet il fera son Histoire et son Histoire le fera, c'est-à-dire qu'en la creusant dans le sens d'explication et d'enseignement politique où il l'envisage, il s'enrichit incessamment des perspectives qu'elle lui ouvre. Elle est toute dirigée vers l'avenir, toute tendue vers la sécurité et la grandeur de la patrie.
Plus tôt qu'un autre sans doute il a vu venir la Grande Guerre. Il l'a connue, vécue, il en a été le chroniqueur frémissant de chaque jour, et il a recherché dans les causes les plus lointaines d'où pouvait bien sortir ce choc formidable destiné à nous écraser, en achevant 1870.
Face à face notre peuple et l'allemand; le Rhin entre nous, le fleuve rapide aux eaux vertes, que les uns ont l'éternelle tentation de franchir, les autres l'éternel souci de surveiller pour en empêcher le passage. C'est notre histoire et la leur depuis nos commencements, depuis que le destin nous a mis en conflit. L'antagonisme a été souvent sanglant. Bainville en souligne les épisodes. L'empire au début était beaucoup plus puissant que le royaume. Il se promettait de le prendre en tutelle. La bataille de Bouvines gagnée par Philippe Auguste brisa cette prétention. C'est pourquoi elle est appelée nationale. Cependant on s'était avisé chez nous des faiblesses de l'Empire allemand : élection du souverain, rivalité des princes électeurs, opposition des intérêts et des peuples. On tira aussitôt parti de ces défauts organiques. On noua des alliances avec le pape, on intrigua avec les princes, soit pour l'élection de l'empereur, soit dans les débats contre lui, on s'immisça par l'or et le fer dans la constitution germanique. Longtemps nous l'avons emporté : tant que la France a eu affaire avec l'Allemagne divisée et morcelée, maintenue telle par l'intervention séculaire de nos armes ou de notre diplomatie. Comme Philippe le Bel répondait seulement aux explications de Guillaume de Nassau prétendant s'affranchir de l'élection, et à son ultimatum : "trop allemand", Henri II professait plus tard : "Qu'il fallait tenir les affaires d'Allemagne en la plus grande difficulté qui se pourrait." La formule a servi de règne en règne. Exploitée par l'inébranlable Richelieu et le fertile Mazarin, elle fut consacrée au traité de Westphalie. On y maintint, dit Bainville, "le morcellement de l'empire, l'élection du souverain, on y ajouta la garantie des vainqueurs".
Nous connûmes une ère prolongée de sécurité et une hégémonie : la nôtre. Au point de vue de la puissance, de la renommée, des moeurs, des arts, de la pensée. Le soleil de la France ne se coucha point avec le grand roi. Il continua de rayonner sur l'Europe. Et, chose inattendue, l'Allemagne se complut à ces rayons. Elle s'affina selon nos goûts et nos usages. On ne parlait pas de culture germanique alors.... Leibniz écrivait en français, Maurice de Saxe s'offrait à servir sous nos drapeaux... Mais, lorsque Frédéric le Grand eut commencé à forger la couronne de l'Allemagne future, et que, comme pour l'asseoir, sous la poussée des Encyclopédistes, l'intervention préservatrice fit place au principe suivant lequel toute race, considérée comme semblable aux autres, à l'instar des individus, a un droit absolu à son unité et à son accroissement quelques risques qu'elle puisse faire courir, toutes données ont été renversées, et la politique des nationalités dans laquelle nous nous sommes si imprudemment jetés, s'est révélée pour nous duperie humanitaire à fin d'invasion... Si nous en avons magnifiquement rappelé, de 1914 à 1918, grâce au génie de nos chefs et à la vaillance entêtée de nos soldats, alors que, du maréchal de France au dernier poilu ( gardons le mot héroïque et hirsute), ils servaient, en l'encadrant, de moniteurs au monde, nous sommes restés impuissants ou aveugles devant le principe lui-même : l'Allemagne vaincue a conservé et fortifié sa dangereuse unité...
C'est la grave leçon donnée par Bainville dans son "Histoire de deux peuples".
2. "...Bainville a mis en lumière la conception qui a guidé la maison de France dans son cheminement parmi les nations. Il la résume dans l'idée du pré carré, dans l'idée de l'unité et de la discipline nationale, et dans celle de l'hérédité.
Le pré carré implique la notion d'un cadre en-deçà duquel il ne sera ni assez vaste, ni assez clos et défendu, et au-delà duquel il excédera l'étendue utile et deviendra vulnérable. C'est le concept de nos frontières naturelles : deux montagnes, les deux mers et le Rhin : longue lutte de la monarchie contre la féodalité et contre l'étranger, en vue de la possession de ce territoire intérieur, indispensable à la fois pour atteindre et défendre ces frontières. Nos rois en ont gardé la réputation de rassembleurs de terre. Commines appelait l'un deux : "l'universelle aragne", perpétuellement occupé à tisser en l'étendant sa toile, ou à la rapiécer. A la mort de Louis XI, la Picardie, la Bourgogne, la Provence, le Roussillon, le Maine et l'Anjou étaient incorporés à la trame. D'autres furent aussi des aragnes. Tâche obstinément mais prudemment poursuivie. "Raison garder", disaient-ils. Quand ils l'oubliaient, par l'apanage ou la guerre de magnificence, ce n'étaient que revers. Les frontières, les bornes naturelles les ramenaient aux projets viables. Ils devaient rester des réalistes, soumis à la politique inscrite sur le sol lui-même..."
4. Partir trop tôt...
Partir trop tôt...
• Daudet est né le 16 novembre 1867;
• Maurras, le 20 avril 1868;
• Bainville le 9 février 1879.
Le plus jeune des trois amis partit le premier :
• Jacques Bainville décéda le 9 février 1936, à 57 ans;
• Léon Daudet - le plus âgé d'un an, si on le compare à Maurras - le suivit six ans plus tard, en pleine guerre, le 1er juillet 1942, à presque 75 ans;
• Charles Maurras vécut encore dix ans, et mourut le 16 Novembre 1952, à 84 ans et demi...
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