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Maîtres et témoins (III) : Léon Daudet

Daudet et l'antisémitisme : genèse d'un rejet...

Daudet et l'antisémitisme : genèse d'un rejet...

Léon Daudet est né et a grandi dans un milieu où l'antisémitisme était prégnant, comme il l'était, à l'époque, dans tous les milieux de la société - de la droite à la gauche, aussi virulent, et parfois plus, "à gauche" qu' "à droite"...
A propos de Georges de Porto-Riche, qui lui avait ainsi dédicacé l'une de ses pièces : "A Léon Daudet, quand même..." il écrivait (dans "Devant la douleur", page 141) :
"Pourquoi quand même ? Parce que je n'aime pas Israël et que je le dis ? Mais si ses tarabiscotages d' "Amoureuse" et du "Vieil Homme" m'amusaient, je le dirais aussi, et sans me gêner..."
Or, après ce qu'il appelle "un travail sur moi-même", Léon Daudet, abandonna définitivement son antisémitisme originel, entre le début et la fin des années vingt.
Il est évidemment strictement impossible, à quiconque, d'expliquer par quels détours cette évolution s'est faite dans son esprit; comment, à la suite de quelle(s) rencontre(s), de quel(s) fait(s), de quelle(s) réflexion(s) ce "travail sur moi-même" a débouché sur le rejet pur et simple par Daudet de son antisémitisme premier...
Par contre, il n'est évidemment pas interdit, et il n'est sûrement pas inintéressant non plus, de méditer sur le "comment" et le "pourquoi", ni de tâcher d'essayer de discerner, de reconstituer, sinon toutes, au moins quelques unes des étapes "mentales" de ce retournement significatif, signe d'une liberté intellectuelle et d'une honnêteté personnelle certaines...

On est sûr, sans aucun risque de se tromper, de signaler quatre "moments" dans la vie de Léon Daudet qui ont forcément compté dans cette maturation de son "être intérieur"....

1. Très probablement, l'estime et l'admiration pour Marcel Proust ont été l'une des premières, voire des plus fortes, impressions qu'ait reçu Daudet.
On sait que, dès qu'il était question de Beauté, d'Art, qu'il s'agisse de littérature, de peinture, de sculpture etc..., Léon Daudet ne "faisait plus de politique", mais jugeait selon le seul talent des gens.
Ce en quoi il avait, évidemment, parfaitement raison : notre triste époque de conformisme mielleux, de vérité officielle et de "politiquement correct" ferait bien de prendre exemple sur lui...
Pour en revenir à Marcel Proust, on peut dire que Léon Daudet l'a découvert et a "lancé" sa carrière, non seulement par ses articles élogieux dans l'Action française, mais aussi, plus concrètement encore, en agissant très activement pour faire obtenir le Prix Goncourt au deuxième tome de la "Recherche", "A l'ombre des Jeunes filles en fleurs" (en compétition avec un autre excellent ouvrage, "Les croix de bois", de Dorgelès).
Proust, reconnaissant envers Léon Daudet, lui dédia "Le côté de Guermantes" :
"A Léon Daudet, à l'auteur du Voyage de Shakespeare, du Partage de l'Enfant, de l'Astre noir, de Fantômes et vivants, du Monde des Images, de tant de chefs-d'oeuvre, à l'incomparable ami, en témoignage de reconnaissance et d'admiration, Marcel Proust".

2. La "Grande guerre" joua aussi, certainement, son rôle, et important, dans l'évolution mentale de Daudet.
On le sait, cette calamité décima l'Action française, qui y perdit bon nombre de ses meilleurs et plus jeunes éléments; ceux qui étaient - du fait même de la simple jeunesse physique - les plus ardents, les plus actifs, les plus "révolutionnaires" au bon sens, au sens "normal" du terme.
Mais la guerre ne faisait pas de politique : c'est toute la jeunesse de France qu'elle a décimée, toutes opinions politiques, religieuses, philosophiques ou autres confondues.
Et ce sont toutes les communautés nationales qui ont payé leur lourd tribut lors de cette épouvantable et dramatique hécatombe.
Y compris la communauté juive. Comment Daudet n'aurait-il pas été touché par le message envoyé à Maurras par la caporal Pierre David, juste avant que celui-ci ne meure en héros, pour la France, comme ses autres frères d'armes, toutes opinions confondues et abolies ? :

Du Caporal Pierre David, 336ème Régiment d'Infanterie, décédé en 1918, à Charles Maurras :

"A l'heure où vous lirez ces lignes...., j'aurai définitivement acquis, en mêlant mon sang à celui des plus vieilles familles de France, la nationalité que je revendique... Grâce aux fortes méditations que votre pensée m'aura inspirée, la Patrie et la Famille seront devenues pour moi de puissantes réalités.... et une âpre joie se mêlera à mes dernières souffrances physiques et morales, en pensant que je les voue à la défense de la Patrie et à l'enrichissement du patrimoine moral de ma Famille.
C'est de cela que je voulais vous exprimer ma suprême reconnaissance."
Pierre David appartenait au même bataillon de chasseurs alpins que Marius Plateau, le chef des Camelots du Roi. En juin 1918, David écrivait à ce dernier :
"...Je dois à l’A.F. les récompenses militaires qui m’ont été accordées; échappé d’un milieu où le sentiment français est trop peu développé, elle seule a été mon soutien et mon guide. Je t’adresse donc le texte de mes deux citations en te priant d’en faire hommage de ma part à ceux qui ont mis de la lumière dans ma pensée et de la force dans mon cœur..."
Peu avant la fin de la guerre, dans L'Action française du 28 octobre 1918, Maurras consacra la quasi-totalité de sa chronique quotidienne à ce "héros juif d’Action française, Pierre David, écrivant : "...Cette page restera classique à l’Action française..." (elle sera lue et relue pour son admirable) "noblesse" et concluant son article ainsi : "La nationalité se crée par l’hérédité, par la naissance : le mot le dit. Elle peut s’acquérir par de bons services rendus..."

3. Plus tard, toujours lors de la Guerre, quand l'Action française soutint Clémenceau, Daudet découvrit la grande figure de Georges Mandel.
Comme Bainville, il apprécia son action, la soutint, respecta et aima sa forte personnalité.
On sait que Clémenceau, tout à la guerre, avait, de fait, délégué "l'intérieur" à Mandel, qui, du coup, sans aucun titre officiel, fut le vrai maître du pays, pour notre plus grand bien, et permettant la victoire finale...

4. Enfin, Daudet fit la connaissance de Marcel Schwob (voir le document précédent)...

On peut également ajouter que, dans les locaux de L'Action française, Léon Daudet et Jacques Bainville partageaient le même bureau et la même table de travail. Dans son allocution de remerciement lors de son élection à l'Académie française
(voir la photo "Vertu de l'amitié", dans notre "Album Jacques Bainville") Bainville a plaisamment évoqué cette "table en bois blanc", qui réapparaissait à chaque déménagement du mouvement, et sur laquelle, de nouveau, les deux amis se remettaient, derechef, au travail : durant un tel vis-à-vis de vingt-huit ans, avec un Bainville qui n'a jamais écrit la moindre ligne, le moindre mot "antisémite", on imagine bien que, si tous les sujets, de tous ordres possibles, furent évidemment évoqués, Bainville et Daudet parlèrent certainement, et plus d'une fois, d'antisémitisme...
L'influence paisible et sereine de Bainville, aux antipodes du caractère bouillant et volcanique de Daudet, a très certainement dû jouer un rôle dans ce que Daudet appelle "l'évolution de mon être intérieur"...

Lorsque l'on sait tout cela, et les liens très puissants que Daudet a tissé, et entretenu, avec les fortes personnalités de Proust, de Mandel, de Schwob, on a très probablement l'explication - au moins pour l'essentiel - du retournement complet de Léon Daudet sur ce sujet si sensible...