Chronique du pays réel ... Dans le train de banlieue
par Amaury Grandgil
Un excellent billet, tout à fait dans notre ligne politique et sociétale, qu'Amaury Grandgil a publié sur son blog mesterressaintes et sur Causeur [20.07]. Par surcroît, le vocabulaire (titre) est maurrassien. Nous avons aimé. LFAR
Plutôt que de disserter savamment et doctement sur l’islamisme et ses conséquences, de l’évoquer sur le ton de la conversation mondaine, feutrée et policée, j’ai eu envie d’en parler de manière plus directe en faisant la chronique du pays réel en 2016. Dans un train de banlieue de Paris-Montparnasse à Versailles-Chantiers sans rien de particulier ni de remarquable en fin d’après-midi…
Une jeune femme voilée avec sa mère qui elle ne l’est pas et un bébé sont accroupies par terre, la poussette en travers du passage sur la plateforme du wagon. La plus jeune tapote constamment son portable tout en parlant entre ses dents à sa mère et à la cantonade. La plus jeune a un visage de madone, pâle et délicat, la mère a des traits fins en contradiction avec leurs attitudes. Elles boivent nerveusement au goulot d’un pack de jus de fruits toutes les dix secondes.
Toutes deux sont très agressives, fébriles au dernier degré. Elles lancent sans cesse piques et railleries, pour la plupart infantiles, sur les « Françaises » autour d’elles. Elles leurs reprochent entre autres de se protéger du soleil avec un chapeau de paille et non avec un voile.
« Ma sœur tu finiras en enfer »
Intelligemment, les injuriées ne réagissent pas mais pâlissent de colère à vue d’œil. Les mains se crispent sur la lanière des sacs à main. Une gamine apparemment « issue de la diversité » se fait sermonner, elle porte un de ces shorts très courts à la mode : « Ma sœur tu finiras en enfer, je ne te juge pas mais Allah ne va pas aimer te voir indécente comme ça. »
C’est la jeune femme voilée transpirant à grosses gouttes sous ses lourds vêtements, sans doute plus décents selon son jugement, qui lui dit cela…
Elles engueulent un voyageur qui râle un peu car obligé de les enjamber, un type en « cycliste » violet et « ticheurte » vert pomme. Il est de suite traité de raciste. Le pauvre ne sait pas quoi répondre, rougit puis s’enfuit presque.
Elles me voient lire le journal dans lequel je me suis abstrait depuis le début du voyage pour les décourager de me provoquer. Bien sûr, il parle de la tuerie de Nice. Elles lancent prenant à témoin le reste du wagon dont un « lascar » avachi sur un strapontin qui s’en fout comme l’an 40 et les regarde avec un mépris appuyé : « De toute façon, c’est la faute des juifs les attentats, ils les organisent pour que les gens ils soient racistes contre les musulmans parce que ce sont les juifs qui dirigent la France… »
Je suis resté jusqu’à Versailles sans changer de wagon pour voir jusqu’où elles iraient dans l’abjection plus ou moins consciente, elles vont loin, très loin dans la haine. Elles sont loin d’être les seuls dans leur cas, leur haine se banalise, métastase progressivement toute la société. Elle n’a besoin de personne. Elle naît de trop de lâcheté, de compromis, de fuites des responsabilités…
Et dans le même temps je ne pouvais m’empêcher de penser que c’était deux pauvres femmes complètement égarées, voulant que le monde brûle dans la guerre, le sang et les larmes pour se consoler de leurs frustrations. C’est ainsi que sont engendrés les totalitarismes, non ? Ces deux femmes à la limite du pathologique, personne n’aurait pu les raisonner. Car il est bien trop tard pour cela… •
« Ce qui nous menace, c’est la montée des populismes » : les Français étaient dûment alertés par le chef de l’Etat en personne, au cours de son traditionnel entretien du 14 juillet, sur les dangers pesant sur eux. C’était quelques heures avant qu’une Chance pour la France « radicalisée » ne participe à sa façon à la fête nationale en déboulant au volant de son camion sur la célébrissime Promenade des Anglais, à Nice, massacrant quatre-vingt-quatre promeneurs — bilan encore provisoire à cette heure.
La République semblerait parfois manquer d’imagination. En écoutant les incantations de ses tenants, on la pensait pourtant novatrice et moderne dans ses valeurs et ses pratiques.


C’était le 14 juillet au soir, et, comme de nombreux curieux, je contemplais à la télévision les beaux éclats du feu d’artifice de la Tour Eiffel. Et puis, il y a ce bandeau jaune « alerte info » qui défile soudain et qui annonce ce qui n’est encore qu’un « incident », un camion qui a renversé des passants à Nice lors des festivités de la tombée de la nuit. Quelques minutes plus tard et durant toutes les heures qui suivent, ce sont les images de panique d’une foule en course pour éviter le pire, celles d’un camion blanc qui s’engage sur la promenade des Anglais et ce bilan « évolutif » passé de quelques victimes à 74 à deux heures du matin, puis 84 à l’aube : encore, encore le terrorisme, les morts, les larmes !
En 1973, le premier film de Steven Spielberg, le thriller allégorique Duel, mettait en scène un camion semi-remorque personnifié par ses gros phares globuleux, qui poursuivait sans visage ni raison la voiture d'un voyageur de commerce au nom métaphorique, David Mann, afin de l'écraser. Mann, l'Homme, faible et sans défense, se trouvait confronté à une version déshumanisée et arbitraire du mal, dont il finissait par triompher dans une confrontation directe avec la machine, le David à la petite voiture rouge acceptant le duel et projetant dans l'abîme le Goliath de tôle et d'acier. Dans l'attaque terroriste de Nice, le camion criblé de balles et l'homme abattu ne sont en revanche qu'un triomphe piteux sur la machine aveugle, puisque le camion frigorifique, version quatre saisons et maraîchage niçois de Duel, lancé par la volonté démoniaque d'un conducteur parfaitement identifié, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, a réussi à broyer les os de 84 êtres humains. Pourtant, Duel a quelque chose à voir avec cette épouvante. Le choix du camion relève certes en partie d'un terrorisme «artisanal», d'une réponse à l'injonction de l'Etat islamique de tuer les «méchants et sales Français» de « n'importe quelle manière », y compris en les égorgeant au couteau ou en les écrasant en voiture. Mais sa transformation en machine de mort prouve aussi que le terrorisme islamiste appartient pleinement à la civilisation technologique et déshumanisante que dénonçaient Spielberg dans Duel ou Georges Lucas dans l'un de ses premiers films, THX1138. La machine porteuse de progrès retournée contre l'homme, voici ce qu'incarne l'attentat de Nice.
Que dire d'utile, d'efficient, que dire de plus, après le carnage de Nice ? Qui ne soit pas la simple redite de ce que nous avons pensé et écrit après les attentats du 7 janvier et du 13 novembre 2015, à Paris ?
On ne résume ni ne commente en quelques lignes qui se doivent d'être brèves un brillantissime entretien de 50 minutes entre Alain Finkielkraut et Régis Debray*, où sont évoquées en profondeur les vraies questions, les questions essentielles qui se posent à la société contemporaine, dont la France, l'Europe, et, au sens ancien, à l'Occident. Si on a le temps, le goût et le courage, on écoute. Faute de quoi, il sera difficile d'émettre sur les idées et les combats de ces deux intellectuels de haute volée, des jugements autorisés.
Ils disaient : nous sommes en guerre. Etat d'urgence. Nous contrôlons. Nous déjouons. Ça va mieux. Mais l'ennemi principal c'est évidemment le FN. Dur, mais nous maîtrisons. Nous avons pris toutes les précautions. Comptez sur nous. Restons généreux et ouverts. Vive la France qui saura résister et se montrera à la hauteur de sa vocation.