Le titre du livre, Histoire de l’islamisation française – et non Histoire de l’islamisation de la France – insiste sur la fabrication française d’un renoncement à être et à persévérer dans son être d’une nation abandonnée par des élites qui s’appliquent à domestiquer des autochtones qui renâclent à l’adaptation qu’elles attendent d’eux.
Ce livre est l’occasion de nous rappeler tout ce que nous avons eu tendance à oublier ou que nous n’avons tout simplement pas remarqué et qui, au fil des ans, fait système. Il raconte la lente élaboration d’une idéologie islamophile, portée par une bonne partie des élites intellectuelles et médiatiques dont le bréviaire de gauche est en train de changer en début de période et qui va avoir tendance, au fil des ans, à devenir hégémonique.
Chacun des titres des 40 chapitres est un millésime (de 1979 à 2018), accompagné d’une citation qui en donne la tonalité. Le premier chapitre démarre ainsi sur la révolution iranienne de 1979, avec ces mots de Serge July dans Libération : « La joie fait son entrée à Téhéran ». Le dernier chapitre s’ouvre sur le lapsus du décodeur de France Culture, Nicolas Martin, lapsus qui révèle « son incompétence et ses préjugés inconscients » :
« Si les immigrés font plus d’enfants, seront-ils plus nombreux ? »
Ce livre est l’occasion de repérer les prémisses de ce que l’on entend aujourd’hui, de manière récurrente, sans y avoir toujours prêté attention alors. Qui se rappelle qu’en 1979, en réponse aux propos de Georges Marchais, Libération publiait une tribune de Fredj Stambouli de l’université de Tunis qui plaidait déjà pour une décolonisation des esprits des populations occidentales, afin de leur permettre « d’accepter et même d’encourager le droit légitime des Autres à rester ce qu’ils veulent être » ? Nous étions à la fin des années 1970 et, déjà, l’assimilation faisait figure de repoussoir. C’étaient déjà les autochtones qu’il fallait acclimater aux nouveaux venus.
Déjà, dans les années 1980, les propos des musulmans dits « modérés » étaient reçus avec politesse, même s’ils disaient la même chose que ceux proférés par d’autres qualifiés d’islamistes. Dans Le Monde de mars 1989, Mohammed Arkoun, grand « modéré » s’il en est, pouvait ainsi accuser, sans soulever le moindre tollé « la raison des Lumières d’avoir substitué le dogme de sa souveraineté à celui de la raison théologique ». On ne lui répondit pas.
« La raison des Lumières d’avoir substitué le dogme de sa souveraineté à celui de la raison théologique. »
Vingt-cinq ans plus tard, le réflexe de l’inversion ou du mensonge par omission s’est si bien propagé que la presse rapporte parfois exactement l’inverse de ce qui est dit, tout en faisant silence sur les propos les plus gênants. C’est l’objet du chapitre 2014. Cette année là, le « modéré » Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris et président du CFCM, présente à la presse une Convention citoyenne des musulmans de France pour le vivre-ensemble concoctée par le CFCM. Ça sonne bien à nos oreilles. Lors de la conférence de presse, Dalil Boubakeur se garde bien d’évoquer l’article 5 de la convention sur les tenues vestimentaires qui fait du voile une obligation islamique. Les rares médias qui évoquent cette convention trouvent motif à se réjouir, sans jamais parler de l’article 5. Ainsi, Le Monde déclara que « ce message ne pouvait pas mieux tomber ». Il ajouta que « le texte s’attache aussi à lever les soupçons qui pèsent sur l’islam. “L’islam est parfaitement compatible avec les lois de la République” proclame-t-il […], le texte affirme que “les musulmans de France désirent se joindre au renouveau de la pensée religieuse sur l’islam” et “ajuster leurs pratiques” à la société française. » Jean-Louis Bianco aussi salua cette avancée. Médiapart, Le Nouvel Observateur et la Ligue de l’enseignement ne furent pas en reste. La lettre ouverte de trois femmes du collectif « Femmes sans voile » d’Aubervilliers, parue dans Marianne et qui dénonçait le CFCM, n’aura aucun écho. Les féministes ne bougeront pas. Enhardi par cette méprise volontaire, Dalil Boubakeur récidive en juin 2017 lorsqu’il met en ligne, sur le site de la mosquée de Paris, des textes injurieux, méprisants et hostiles au christianisme et au judaïsme, textes qui reprennent en gros la doctrine islamique sur le sujet. Sans provoquer, là encore, la moindre réaction.
Le cas Redeker
Heureusement, le chapitre 2006 nous a déjà rappelé la veulerie dans laquelle se sont vautrés les contempteurs de Robert Redeker, menacé de mort et condamné à la clandestinité pour avoir écrit dans Le Figaro ce que d’autres avant lui avaient écrit sur l’islam. C’est vrai, c’est plus facile et moins risqué de se mettre du côté du plus fort. Olivier Roy y vit « un tissu d’imbécilités », Le Monde, « des vociférations ». Libération parla d’une « tribune satanique ». Et, n’écoutant que son courage, la responsable de la page « Débats » du Monde rassura les lecteurs du journal : Si la tribune avait été proposée au Monde, « nous ne l’aurions certainement pas publiée ». On retrouve donc les “Usual Suspects”, dont Le Nouvel Observateur qui a l’audace d’écrire que Robert Redecker n’est pas victime d’islamistes, de musulmans vindicatifs mais « de son orgueil de roseau pensant », mettant ainsi en doute sa compétence de philosophe. C’est la curée. S’y joignent Témoignage chrétien qui voit dans la tribune de Robert Redeker une injure islamophobe digne de l’extrême droite et Paris Match qui pousse au maximum le renversement moral en parlant de chronique haineuse d’un « simplet » qui cherche la notoriété et n’est pas digne d’être défendu au nom de la liberté d’expression.
Les auteurs du livre y voient une inversion, dénoncée au fil des chapitres, qui place la violence du côté de celui qui en est victime. Olivier Roy gagne le pompon de la lâcheté lorsque, dans Libération, en septembre 2006, il accuse Robert Redeker de « chatouiller la fatwa », lequel ne devrait pas s’étonner de ce qui lui arrive. Pour Olivier Roy, qui remet ça dans Esprit, « Robert Redeker est raciste ».
Et, si l’on veut bien remonter au chapitre 1989, on trouvera le même genre de veulerie intellectuelle lors de l’affaire Rushdie. Rappelons simplement ce que le grand Jacques Berque écrivait dans Le Figaro à l’époque. Il aurait préféré que Les versets sataniques ne soient pas diffusés en France et considérait que Salman Rushdie ne pouvait en aucun cas être pris pour un héros de la libre-pensée après avoir insulté si grossièrement le prophète de l’islam.
Les caricatures danoises de 2005
Sans oublier l’affaire des caricatures danoises publiées en 2005 qui donna l’occasion aux députés européens de montrer leur courage en adoptant une résolution dénonçant les abus de la liberté d’expression qui incitent « à la haine religieuse, au racisme et à la xénophobie » et exprimant leur « sympathie à l’égard de ceux qui se sont sentis offensés par les caricatures du prophète Mahomet ». Le Conseil des ministres de l’UE s’était fendu, rappelons-nous, d’un texte où il avait cru bon de préciser que « la liberté d’expression devait respecter les croyances et les convictions religieuse ». On a là un renversement de l’interprétation de l’incitation à la haine décrit par Flemming Rose, qui parle d’inversion de l’effet et de la cause dans son livre, jamais traduit en français, The Tyranny of Silence. Rappelons seulement la stupéfaction qui fut la sienne lorsqu’il fut accueilli le 10 décembre 2005 pour participer à un débat organisé par Amnesty International et l’Institut danois des droits de l’homme, lesquels avaient installé une bannière au titre orwellien « Victimes de la liberté d’expression » (http://www.micheletribalat.fr/439913052). Le livre illustre la progression de cette inversion et de l’activisme nécessaire pour, au moins, faire taire ceux qui seraient tentés par la lucidité.
Jacques Chirac lui-même avait condamné les caricatures, ce qui avait rendu le CFCM audacieux au point de demander une loi interdisant le blasphème, demande relayée par Éric Raoult qui fut un temps ministre de l’intégration ! Cette affaire des caricatures a eu les conséquences que l’on sait et a renforcé la tyrannie du silence dénoncée par Flemming Rose, dont les effets désastreux sont parfaitement décrits au fil des pages de ce livre.
Même sans loi écrite sur le blasphème, la liberté d’expression n’est plus qu’un lointain souvenir. Les poursuites en justice qui se sont multipliées ont un puissant pouvoir d’intimidation. Même lorsque les personnes poursuivies gagnent leur procès, l’intimidation dont elles ont fait l’objet tend à les rendre plus discrètes et plus prudentes et à dissuader celles qui seraient tentées de s’exprimer librement de le faire. Et, depuis Charlie Hebdo, la menace s’est concrétisée.
La peur a abîmé la notion de respect et de tolérance. Salman Rushdie craignait par dessus tout que des gens bien puissent céder à la peur en appelant cela du respect. Jens-Martin Eriksen et Frederik Stjernfelt, deux chercheurs danois, parlent de « respect-mafia ».
La peur a aussi démonétisé toute idée de subversion…
Alors qu’on attendait des élites politiques, intellectuelles et médiatiques qu’elles défendent la liberté d’expression, elles se sont trop souvent illusionnées en croyant défendre les faibles et les déshérités. Elles ont ainsi pratiqué l’amalgame qu’elles dénoncent tant par ailleurs en prétendant défendre les musulmans qu’elles considèrent authentiques, sans grand discernement, tout en abandonnant les dissidents acquis aux valeurs libérales. L’assimilation des critiques et des moqueries de l’islam à du racisme a produit cet amalgame et favorisé l’infantilisation des musulmans.
Ce livre permet de mesurer ce qui nous sépare aujourd’hui d’un temps pas si lointain où les connaisseurs de la question, tombés dans l’oubli pour ce qu’ils ont écrit sur l’islam (c’est le cas de Jacques Ellul), écrivaient ce qui leur vaudrait aujourd’hui un passage à la 17e chambre, sans parler des menaces de mort. Et les livres scolaires sont à la pointe du « progrès ». ■
Article paru sur le site de Michèle Tribalat, avec son aimable autorisation
Source : ICI