Les États-Unis, par exemple, ont le souci de la Liberté sans l’Egalité et Cuba celui de l’Egalité sans la Liberté. La droite aime la Liberté mais ne se soucie guère de l’Egalité; la gauche vénère l’Egalité mais se moque bien souvent de la Liberté.
Mais qui parle de la Fraternité? Qui et quand? C’est le parent pauvre de la République, or ce devrait être la valeur cardinale autour de laquelle réconcilier les français des deux bords et d’ailleurs. Si l’on veut, comme c’est mon cas, défendre la liberté comme la droite et l’égalité comme la gauche, alors une politique de la Fraternité permet de réunir les deux rives du même fleuve.
Le covid révèle nombre de choses sur l’état de notre pays, de l’Europe et de notre civilisation, dont cette évidence que la Fraternité est devenue le cadet des soucis de la plupart. On sait que le gouvernement au service de l’État maastrichtien a failli. La débandade de cet empire néo-libéral en formation apparait désormais dans le plein jour de l’Histoire: les pays se sont repliés sur eux-mêmes pour faire face au traitement de la pandémie. A la première pluie, chaque État est rentré chez lui pour se sécher… Face à l’Italie qui sombrait et la France qui perdait pied, l’Allemagne a retrouvé le chemin du nationalisme intégral.
Le chef de l’État français a tergiversé, c’est le moins qu’on puisse dire… Depuis janvier 2020, il y a donc tout juste un an, quiconque voulait savoir pouvait savoir: ce serait bel et bien une pandémie planétaire, la Chine n’aurait pas, sinon, confiné une ville de onze millions d’habitants…
Macron n’a pas protégé les Français, aveuglé par son idéologie doublée par son incroyable égotisme: il donne l’ordre d’aller chercher les expatriés français en Chine et offre une permission aux militaires ayant assuré le rapatriement sanitaire; il laisse les avions en provenance d’un pays contaminé effectuer leurs innombrables rotations en déversant chaque jour des centaines de touristes chinois potentiellement contaminés sur le territoire français; il proclame avec force l’inutilité des masques parce que l’impéritie des gouvernements maastrichtiens, dont il est solidaire, a renoncé aux stocks; il aurait pu affirmer que cette pénurie dont il n’était pas directement responsable nous obligeait à fabriquer des masques maisons à partir d’un tuto fourni par le ministère de la santé, c’eut été une variation sur le thème des taxis de la Marne, il ne l’a pas fait; il n’a pas fermé les frontières sous prétexte que le virus les ignorait, aujourd’hui il reconnait les frontières: entre les individus, entre les villes, entre les régions, entre les pays, entre les continents; il décrète l’interdiction des remontrées mécaniques au sport d’hiver et celle des salles de spectacle en même temps qu’il autorise l’entassement dans les avions et les aéroports, mais aussi dans les gares et dans les trains; il laisse les supermarchés ouverts, il ferme les petits magasins; il décrète une vaccination massive avant d’inviter à se hâter lentement faute d’avoir prévu, là encore, l’achats des doses; il décide seul dans un bunker entouré de Diafoirus à la Légion d’honneur dans un total mépris des élus (maires, conseillers départementaux, conseillers régionaux, présidents de région, députés, sénateurs), et dans le plus profond mépris et de la démocratie et de la république; il contracte le virus dans une soirée de politique politicienne donnée à l’Élysée qui jette par-dessus bord les mesures sanitaires - plus nul que ça, tu meurs…
On dira que la Fraternité n’est pas le souci prioritaire de ce président de la République. Il est vrai que cette vertu suppose sympathie, empathie, estime d’autrui, affection, et que toutes ces qualités ne passent pas pour saillantes chez cet homme glacial quand on n’a pas un genou en terre devant lui.
Mais il est plus étonnant de voir que cette Fraternité semble également le cadet de soucis du moraliste André Comte-Sponville assez remonté (contre moi à qui il a envoyé un mail de remontrance très professoral…) qu’on comprenne bien, hélas, ce qu’il dit! Car il n’a pas été fuyant, il écrit et parle clairement, c’est d’ailleurs l’une de ses vertus, quand il s’adresse aux jeunes dans la matinale d’Europe 1 en leur disant: «Ne vous laissez pas faire! Obéissez à la loi mais ne sacrifiez pas toute votre vie à la vie de vos parents et de vos grands-parents. Résistez au pan-médicalisme, au sanitairement correct et à l'ordre sanitaire qui nous menace.» Avant de conclure: «On ne peut pas sacrifier indéfiniment les libertés à la santé des plus fragiles, donc des plus vieux.» (15.X.2020)
Il remet le couvert à France-Info: «On vit dans une société vieillissante. Or, plus on vieillit, plus on est fragiles en termes de santé. On a donc tendance à faire passer la santé avant tout, car nous sommes à mon âge plus fragiles que les jeunes. Il y a un cercle vicieux: puisqu’on fait de la santé l’essentiel, on privilégie les plus fragiles, c’est-à-dire à nouveau les plus âgés. Mais l’avenir de nos enfants est pour moi encore plus important. Je me fais davantage de souci pour l’avenir de nos enfants que pour ma santé de quasi septuagénaire.» (10.XI.2020)
Pas besoin d’être agrégé de philosophie pour comprendre qu’André Comte-Sponville invite les jeunes à ne pas se sentir concernés par «l’ordre sanitaire», autrement dit: le confinement, les gestes barrières, le port du masque, l’usage du gel hydro-alcoolique. Certes, en bon sophiste qui manie à ravir la rhétorique normalienne, il a pris soin de préciser en amont qu’il fallait obéir à la loi. Mais comment obéir et résister en même temps? Sans la citer, il emprunte cette idée au philosophe Alain, dont il est l’un des disciples, et qui, dans l’un de ses célèbres Propos d’un Normand daté du 4 septembre 1912, invitait à «obéir en résistant». Or, on sait par la récente publication de son Journal longtemps inédit qu’Alain obéissait plutôt sans vraiment résister ce qui lui fait opter pour de mauvais choix dans les années d’Occupation… Sachant cela, on devrait éviter d’utiliser l’outil d’Alain, il est ébréché, émoussé, pas fiable.
Quand l’impératif catégorique sponvillien lancé à destination des jeunes est: «ne vous laissez pas faire», que croit-il que les jeunes en question vont comprendre eux qui ne possèdent pas les Propos d’un Normand sur le bout des doigts?Qu’ils vont obéir en résistant? Il se trompe lourdement, voilà qui est trop subtil et d’ailleurs intenable, sauf à résister mentalement tout en se soumettant dans les faits… Non, ils vont résister en désobéissant et ils auront pour eux la caution de l’auteur du Petit Traité des grandes vertus.
Par ailleurs, André Comte-Sponville écrit: «On ne peut pas sacrifier indéfiniment les libertés à la santé des plus fragiles, donc des plus vieux.» Autrement dit: d’abord la liberté, ensuite la santé des vieux. Ce qui veut dire, plus clairement: je revendique l’exercice de ma liberté, c’est-à-dire le pouvoir de faire ce que je veux, fut-ce au détriment de la santé des vieux! S’ils doivent mourir, ils mourront, il est de toute façon pour eux l’heure d’y songer prestement. Et le philosophe de faire semblant de se sacrifier en rappelant qu’il est quasi septuagénaire et qu’il «préfère attraper la covid-19 dans une démocratie plutôt que de ne pas l’attraper dans une dictature». Mais il ne lui est pas venu à l’esprit qu’il pouvait aussi préférer ne pas attraper le covid dans une démocratie qui l’en protégerait? Il semble que non…
Car on ne peut exciper du peu de morts dus au covid, comme le fait André Comte-Sponville pour asseoir sa démonstration, et oublier que, c’est justement parce qu’il y a confinement et politique sanitaire planétaire qu’on peut à cette heure, fin janvier 2021, ne déplorer que deux millions de morts dans le monde. C’est une erreur de causalité de dire: la mortalité étant très basse, cessons donc cette politique sanitaire qui ne sert à rien puisque c’est très exactement cette politique sanitaire qui produit ce taux de mortalité bas. Paralogisme dirait-on rue d’Ulm. Nul besoin de mettre le chiffre des morts du covid en relation avec ceux de la peste au moyen-âge, des morts par cancer, des accidents vasculaires cérébraux ou des infarctus contre lesquels il n’existe pas de prévention possible, sauf salamalecs de nutritionnistes et prêches des vendeurs de statines… Quant à confisquer les morts de faim, il n’est pas très cohérent de les déplorer quand on proclame son engagement aux côtés des socio-démocrates en général, et de Macron en particulier, une sensibilité libérale dont les morts par malnutrition dans le monde sont le cadet des soucis puisque la paupérisation est le premier de ses effets!
La même logique anime Nicolas Bedos qui, le 24 septembre 2020, publie un texte explicite sur les réseaux sociaux: «Vivez à fond, tombez malades, allez aux restaurants, engueulez les flicaillons, contredisez vos patrons et les lâches directives gouvernementales. Nous devons désormais vivre, quitte à mourir (nos aînés ont besoin de notre tendresse davantage que de nos précautions). On arrête d’arrêter. On vit? On aime. On a de la fièvre. On avance. On se retire de la zone grise. Ce n’est pas la couleur de nos cœurs. En ce monde de pisse-froids, de tweets mélodramatiques et de donneurs de leçons (!), ce texte sera couvert d’affronts, mais peu m’importe mes aînés vous le diront: vivons à fond, embrassons-nous, crevons, toussons, récupérons, la vie est une parenthèse trop courte pour se gouter à reculons.» Il avait raison, probablement au-delà même de ce qu’il imaginait: ce texte de donneur de leçons fut en effet couvert d’ordures par les donneurs de leçons…
Inutile d’en rajouter. L’argumentation s’avère toujours préférable.
On ne saurait comme le fait Nicolas Bedos opposer la tendresse et les précautions parce que, pour nos aînés justement, la tendresse est une précaution et la précaution une tendresse.
De même, quand il invite à ne pas respecter le confinement, sauf avec des parents très fragiles, il oublie qu’il n’y a pas que soi et les parents au monde quand on est avec eux, car il y a aussi sur son visage, ses mains, ses vêtements, ses cheveux, sa peau, les virus du restant du monde qu’on aura côtoyé, touché, caressé, tripoté, croisé, palpé, trituré avant de visiter ses anciens qu’on risque ainsi de contaminer. Dans le tête-à-tête avec un parent âgé, il y a entre lui et nous ce que l’on aura rapporté du métro, du taxi, des poignées de portes, des boutons d’ascenseur, des touches de digicode, des pièces et des billets récupérés chez les commerçants, des courses rapportées du marché, du journal: la charge virale mortelle pour les plus fragiles, mais pas seulement.
Idem pour Frédéric Beigbeder qui, dans Les Grandes Gueules (5.V.2020), affirme: «Je ne comprends pas cette soumission des citoyens qui ont obéi de manière aussi docile… En voulant se protéger de la mort, on supprime la vie en ce moment. Cette trouille nous empêche de vivre alors moi je pense que… on l’a fait pendant deux mois, c’était très utile, c’était très bien, (…) mais maintenant ça fait deux mois ça fait plus qu’au Moyen Age les gars, au Moyen Age c’était quarante jours, là on en est à cinquante! Il faut exiger de récupérer toutes nos libertés le plus tôt possible, le prix à payer est trop cher pour cette maladie: je prends un exemple, quand y’a eu des terroristes qui ont descendu tout le monde au Bataclan et qui ont attaqué les terrasses des cafés, qu’est-ce qu’il s’est passé, on a continué à vivre comme avant, on n’a pas arrêté d’aller aux terrasses des cafés. Pourquoi est-ce qu’un virus obtient plus de résultats que des terroristes assassins, y’a un moment il faut prendre conscience de ce qu’on est en train de perdre!»
Laissons de côté l’usage un peu obscène de la tragédie terroriste du Bataclan effectuée par l’écrivain, car elle n’a pas causé deux millions de morts sur la planète et ne menace pas d’en faire autant si rien n’est fait - comparaison n’est pas raison, ici, c’est même franchement déraison. Frédéric Beigbeder ajoute: «Ne supprimons pas toute notre civilisation pour une pneumonie»! On peut se demander: qu’est-ce que «toute (sic) notre civilisation» pour l’auteur de 99 euros? Il donne sa réponse même s’il glisse de la civilisation à la culture (les philosophes allemands n’aimeraient pas…): «C’est la fin de la culture des bars, des terrasses, des discothèques.»
Si la civilisation ici confondue à la culture ce sont les bistrots où l’on picole la «vodka haut-de-gamme» écoresponsable qu’il vient de mettre au point et qu’on trouvera, nous dit-on, à La Closerie des Lilas, les terrasses germanopratines où l’on mate les filles et les discothèques où l’on sniffe de la coke, en effet, le confinement est blâmable comme la prison des fascismes rouges ou bruns parce qu’il met en péril nos libertés fondamentales de boire, de draguer, de se camer, autrement dit: de se civiliser et de se cultiver selon la définition qui s’en trouve donnée dans les beaux quartiers de Paris!
Que périssent en effet les plus fragiles si les plus forts peuvent vivre à leur guise, boire, manger, sortir, danser, flamber leur argent, sniffer de la poudre, en confondant licence, qui est revendication de faire ce qu’on veut, quand on veut, comme on veut, et liberté, qui est pouvoir de faire ce que la loi issue de la souveraineté populaire a édicté ou n’a pas interdit. La licence est le tropisme de l’enfant roi; la liberté, la conquête du citoyen après que la révolution française eut aboli la théocratie et le pouvoir des seigneurs sur leurs serfs.
Autre philippique contre le confinement, le court livre de BHL, moins de cent petites pages avec gros caractères qui semblent destinés aux malvoyants: Ce virus qui rend fou. La thèse est simple: ce virus n’est pas le problème, le problème c’est «le virus du virus», autrement dit la réaction inappropriée du monde entier avec ses mesures sanitaires pensées, via Foucault abondamment sollicité, comme une menace pour les libertés fondamentales.
On a vu que, chez Nicolas Bedos ou Frédéric Beigbeder, ces fameuses libertés fondamentales qui, menacées, autorisent qu’on en appelle à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et, c’est nouveau chez BHL, à La Boétie, sont: la possibilité de s’installer aux terrasses des cafés pour y boire de l’alcool, celle de craquer son argent dans des restaurants, celle de danser et de draguer, sinon de se camer dans des boites de nuit, ajoutons à cela celle de prendre des avions pour voyager partout sur la planète tout en invitant à en prendre soin bien sûr... La trace carbone, c’est tout juste bon pour ces nazis de Gilets Jaunes!
BHL écrit sous quel signe il réfléchit aux raisons de «cette extraordinaire soumission mondiale». Révolutionnaires de tous les pays, amusez-vous, voici une révélation, c’est Lui qui parle: « j’avais avec moi, toujours précieux, mon (sic) Discours de la servitude volontaire d’Etienne de La Boétie». J’aime que, dans son domicile de Saint-Germain-des-Prés, son Ryad marocain, son appartement new-yorkais, son autre domicile à Tanger, l’ancien nouveau philosophe qui affirme « J’ai trop de maisons et il y a trop d’endroits où il me faut être dans le monde», nous apprenne qu’il ne se déplace jamais sans son La Boétie dans la poche. Lui qui ne côtoie que des puissants, on imagine qu’il se sert souvent de cet auteur que les puis
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Pierre Boutang interrogé par François Davin et Pierre Builly...
La relation de Pierre Boutang avec l'Action Française n'est plus de l'ordre du Mouvement. Du moins pour ce qui est de l'organisation et du quotidien.
Sa réflexion nous aide à discerner, même si nous ne nous trouvons pas forcément d'accord avec ses conclusions, ce qu'il y eut de formes historiques accidentelles, dans l'Action Française, et ce qu'elle a de foncier, d'essentiel. Qui doit être transmis et prolongé.
Boutang, d'autre part, invite notre temps à réinventer, non seulement l'idée d'un ordre qui soit légitime et profond, mais aussi une idée du Pouvoir. Reprendre le pouvoir, en un sens, c'est aujourd'hui, le réinventer, et le reconstruire.
Deux siècles de Démocratie enseignent qu'il n'est d'autre pouvoir libre et légitime que celui du Prince chrétien.
F.D./P.B. : Pierre Boutang, il est inutile de vous demander si vous êtes royaliste, catholique et maurrassien ?
Pierre BOUTANG : Cela ne fait de doute pour personne, en effet. Je suis royaliste et je l'ai toujours été : c’est vraiment la seule conviction politique que j'aie jamais eue. Dans l'ordre religieux, j'ai toujours été catholique et je n'ai jamais douté sérieusement de la foi catholique : je n'ai jamais été entamé par la partie de Maurras qui était, disons « non-chrétienne ».
Le Maurras du « Mont de Saturne » ne vous a jamais gêné ?
Jamais ! Quand vous me parlez du « Mont de Saturne », cela me parait tout proche : c'était pendant la captivité de Maurras. J'avais fait deux ou trois articles sur le livre et j'ai reçu une longue lettre de Maurras. dans laquelle il me disait : « Vous m'embarrassez beaucoup, c'était une bluette. Vous avec voulu lui donner un sens caché, cohérent et complet, mais en réalité je n'avais pas tant cherché ! » Maurras affirmait, d'autre part. qu'il n'était pas philosophe, qu'il ne pouvait y avoir des maurrassiens. Il avait raison : quand je dis que je suis maurrassien, c'est parce que le mot est commode : cela veut dire que je suis profondément fidèle à Maurras et que ma reconnaissance est grande. Je ne dirai pas, comme Bainville que hormis le jour. je lui dois tout, car il y a l'Église mais, dans l'ordre temporel, je lui dois tout ; tout ce que j'ai appris, je l'ai appris à travers lui. Je suis resté à l'intérieur de mon choix, en sachant que mes raisons ont changé en cours de route. C’est-à-dire que je me trouve aussi fidèle à Maurras que jadis, pour des raisons très différentes de celles de mes 17 ans à la réunion de Roquemartine, mais tout autant. Tout s'est concilié assez secrètement, assez mystérieusement avec ce que j'ai pu apprendre d'autre, avec tout le reste. Lorsque Plon m'a récemment demandé de faire un vrai livre sur Maurras, j'ai répondu : « Donnez-moi dix ans ». Ils étaient un peu affolés. Nous sommes finalement convenus d'un délai de deux ans : je peux faire ce livre maintenant en toute sécurité, avec la certitude d'être fidèle à la pensée de Maurras et, en même temps, de n'être nullement fidèle à la littéralité des positions prises dans un moment donné. D'ailleurs, ce sera un « Maurras » et je ne parlerai pas surtout de l'Action française. La période qui précède la dernière guerre avait ses charges, ses lourdeurs, ses pesanteurs telles que si on jugeait Maurras et le maurrassisme en fonction de cette période, on tomberait sur des bêtises et sur ce qui heurte le plus certaines des passions qui ont suivi immédiatement. D'un autre côté, en prenant le Maurras d'avant 1914, on arriverait à des résultats très différents : lorsque j'ai lu certaines choses dans l'admirable livre du Comte de Paris avec lequel je suis d'accord sur tant de thèmes, j'ai souri - par exemple lorsqu'il indique que c'est son attitude en matière sociale qui l'aurait écarté de l'Action Française. Il est vrai qu'il y avait, à l'A.F. des ganaches effroyables, comme il y en a partout, et il est vrai qu'en dehors de prototypes d'ouvriers, de paysans, nous avions dans l'ensemble une clientèle en partie bourgeoise, en partie hobereaute et aristocratique. Maurras leur avait injecté, par son génie, certaines doctrines, mais ils ne les vivaient presque jamais profondément. Le Prince sentait que ça ne collait pas, mais, pour la doctrine, l'A.F. allait encore bien plus loin que lui en matière sociale. Les « cercles Proudhon » ne sont pas un accident ou une bizarrerie de son histoire ! Il y a quelques années, j'ai travaillé avec quelqu'un sans lequel - c'est assez curieux - De Gaulle ne serait pas tombé... Marcel Loichot ...
Le créateur de l'Union Pancapitaliste ?
Oui. Son idée était d'abolir la condition salariale, ce qui est profondément royaliste, et maurrassien. Abolir le salariat ! De Gaulle a voulu tenter ça avec la participation.
Brisée par la révolte de la classe politicienne ...
Et de l'argent ! Je pense à certaines choses admirables qu'a dites le Prince sur le Roi qui ne doit jamais être l'homme d'un parti, d'un mouvement, et encore moins d'un philosophe. C'est l'idée même dc Maurras dans « L'Avenir de l’intelligence ». Il faut que l'intelligence se soumette à quelque chose, fasse allégeance et, par là, se subordonne, dans l'ordre temporel, en s'inclinant absolument. Seulement. bien sûr, il ne faut pas que le pouvoir temporel se prenne pour un pouvoir spirituel. Mais le pouvoir spirituel, au fond, il n'y en a qu'un : Catholique. Maurras ne souhaitait pas être le pouvoir spirituel, un philosophe : il n'était philosophe que de la Monarchie, et philosophe soumis à son objet.
Donc. en s'éloignant des aspects conjoncturels de la pensée de Maurras...
Qui ont malheureusement dominé ! Peut-être parce qu'il y avait autour de lui - c'est la rançon du génie ! - des gens qui, lorsque Maurras disait : « Il pleut » pour des raisons conjoncturelles, alors qu'il faisait plein soleil, s'écriaient : « il pleut encore plus que vous ne le dites ». Cette sottise des appareils a beaucoup nui à Maurras. Il travaillait pour 1950. Quand on lui demandait un homme d'action, après 1914 (et après l'assassinat de Marius Plateau), il s'est dit : « Que vais-je faire ? Si je leur donne un homme d'action, ou ils accepteront, et tout ira très bien, puisque je travaille pour 1950 ; ou ils partiront ; dans les deux cas, ils me laisseront travailler ». Voilà pourquoi les reproches fondés du Prince, après 1934, s'en prenaient au risque réel de créer le fascisme ; Maurras, par ses insuffisances dans l'action, a empêché la création d'un fascisme français.
L'hommage national à Maurras sortant de prison, c'est pour vous la préfiguration d'une crainte ?
Mais oui ! J'y étais avec quelques amis : c'était magnifique et affreux. Maurras sentait que la Monarchie pleine et entière, malgré les 40.000 personnes de la réunion, n'était pas encore assez mûre et que quelque chose d'immédiat aurait été très dangereux. Le Prince, lui, voulait aboutir et Maurras lui donnait raison, disant qu'un prétendant qui ne voudrait pas régner à tout prix ne serait pas digne de régner. « Il piaffe. Il a raison de piaffer ! » disait Maurras, alors que d'autres lui reprochaient cette impatience. Pour en revenir, d'assez loin, à De Gaulle, il avait une certaine idée de la légitimité. S'il a refusé l'Algérie au Comte de Paris, je pense qu'il a eu raison. Le Prince a eu raison de n'être pas satisfait, mais De Gaulle a eu raison de refuser. Imaginez-vous le Prince homme du Rocher Noir ? Portant le chapeau de ce qu'a dû faire Christian Fouchet ?
Passons à un autre thème... Pensez-vous qu'on puisse faire du royalisme sans Maurras ?
Qu'est-ce que cela veut dire « du royalisme sans Maurras » ? D'abord, il ne faut pas faire du royalisme. On est royaliste, on se battra, mais la Providence fera les choses. Oui, il faut agir, oui il faut se battre : je ne regrette pas les coups donnés et reçus ; mais il y a une limite à tout : à partir du moment où on prend une barre d'acier pour se casser le crâne, où la violence règne partout, où c'est la guerre civile, alors, non ! J'ai cru longtemps que nous aurions un grand compte à régler avec les communistes, agents d'une puissance étrangère ; je me suis aperçu finalement que d'être ainsi des agents de l'étranger était heureux car, souvent habiles et puissants, ils auraient déjà pris le pouvoir si on ne leur avait pas interdit de le prendre de l'extérieur ! Pris individuellement, les communistes ne demandent qu'à se démarquer de cet état de chose. Maurras m'écrivait un jour de sa prison : « J'ai lu un numéro de l'Humanité et je l'ai dévoré jusqu'aux marges ! », et il insistait sur la façon dont ils avaient joué le jeu national, comme ils le rejouent actuellement. Vous rendez-vous compte que Marchais a dit dernièrement : « Tout ce qui est national est nôtre !".
Nous devons exploiter absolument à fond ce consensus national, cette idée nationale qui est profonde. Elle est, c'est vrai, transformée ; mais, remarquez bien, la Monarchie n'était pas nationaliste, les monarchistes ne l'étaient pas non plus : il est désolant et attristant, disait Maurras, qu'on ait été obligé, pour défendre la Patrie et la Nation, de créer un état d'esprit nationaliste. Les humeurs et l'état d'esprit nationalistes sont, au fond, une mauvaise chose et il faut redéfinir le nationalisme. Qu'est-ce qui dispense du nationalisme conçu comme une humeur, ou comme un chauvinisme ? C'est justement le sentiment qu'il y a une naissance, quelque chose que l'homme ne choisit pas et sur laquelle, dans l'ordre temporel, butent et la force, et l'argent et même l'opinion, en tant qu'elle est divisée. Quand Maurras disait que le suffrage universel ne peut pas se tromper sur certains points - alors qu'il se trompe quand il est fragmenté - il indiquait ce qu'on commence à sentir aujourd'hui, que le suffrage universel ne peut pas se tromper sur des points essentiels lorsqu'on aborde les questions de fond : car il n'est pas possible que les mécanismes de défense ne réagissent pas, pour l'homme et les cités créées, de la même manière que les organismes réagissent aux infections. Ainsi le suffrage universel est-il une forme limite du salut, une réaction ultime du salut. Et puisqu'aujourd'hui il est entré dans les moeurs, il équivaut tout à fait à l'acclamation du Roi par les barons, jadis. Simplement. il faut en user judicieusement, le mettre à l'abri de ces formes fragmentées dans lesquelles il est manipulé par l'argent. Ceux qui le manipulent se sont rendu compte qu'il fallait de plus en plus d'argent, puisqu'on ne pouvait plus s'en servir au plan national et que les réactions des peuples pouvaient être vives.
Qui sont-ils ?
Les Américains, les multinationales. Puisqu'on ne peut plus avoir assez d'argent pour développer les propagandes qui endorment le peuple, on agit au plan international, qui permet de mieux dissimuler tout cela : il s'agit d'obtenir d'un peuple comme la France son propre renoncement et sa propre démission et de les obtenir spontanément ; à cet égard. l'affaire européenne est exemplaire.
Pour lutter contre cela. il faut d'abord « reprendre le pouvoir » ; c'est le titre d'un de vos derniers ouvrages.
Oui, mais attention : « Reprendre le pouvoir », ne signifie pas cela. Cela veut dire réinventer l'idée de pouvoir. Le Pouvoir n'est pas à prendre et il ne doit pas y avoir de guerre civile. La seule chose est qu'il faut rectifier les idées fausses sur le Pouvoir de telle sorte que le Pouvoir légitime puisse s'imposer.
État d'esprit qui débouche sur l'idéal du « Prince Chrétien ».
En effet. Le Comte de Paris n'a pas caché son accord et son assentiment complet sur ce que j'ai écrit, sur tout le livre. Cette convergence ne compromet d'ailleurs personne, puisque nous y sommes arrivés chacun de notre côté, après une expérience tout à fait indépendante.
Dans l'entretien qu'il a accordé au Figaro-Magazine, le Prince semble exclure la primogéniture, et parler plutôt d'une sorte de cooptation dans sa famille.
C'est très important. Dans un récent article de « Paris-Match », j'explique d'abord la dimension familiale de la Monarchie. La durée véritable est, de nos jours où l'on vit plus vieux, la durée du grand-père au petit-fils. car on a le mène temps que ses fils, à peu près, et on a les mêmes problèmes, les mêmes querelles ; mais quand on arrive au petit-fils, on a la bonne durée politique. Les imbéciles disent que, pour veiller à la vie spirituelle dés enfants, il faut des parrains jeunes ; moi, mon parrain était un vieux meunier : mon arrière-grand-père. On prenait l'arrière-grand-père pour relier symboliquement le plus lointain et le plus proche, l'avant-hier et l'après-demain. Dans la famille royale, c'est la mémé chose. Le fils aîné du Comte de Paris ne souhaite, semble-t-il, pas régner, mais il y a les deux petits-fils, Jean, 13 ans, et Eudes, 12 ans. Vous savez que le Prince suit beaucoup ses petits-fils, par conjonction de la nature et de la volonté. Je crois donc qu'il n'y a pas de difficulté insoluble dans cette famille de France qui, comme le disait Bernanos, est notre famille. La réponse à la question que vous posez est, en quelque sorte, indiquée par les faits et vient tout naturellement. Pour clore ce sujet, vous devez noter que les premiers Capétiens faisaient sacrer leur fils de leur vivant et renouveler les serments des barons. Il faut refaire accepter l'hérédité, il faut qu'il y ait une première coïncidence - comme pour les barons électeurs de Hugues Capet - puis une acceptation volontaire du peuple, se rendant compte qu'il serait trop bête de retomber à nouveau dans le suffrage universel fragmenté : la naissance, qui favorise l'unité foncière et non le principe mauvais des deux partis, le bon et le mauvais, le majoritaire et le minoritaire.
Ce que vous dites s'applique admirablement au monde actuel. On a pu dire, par exemple, en Belgique, que le seul Belge est le Roi. Mais que pensez-vous de la Monarchie espagnole ?
Je n'en sais rien. Je croyais, comme tout le monde, que Juan Carlos était à la fois trop docile et trop snob. Je le trouvais trop bien lavé.
Giscardisé ?
Boulevard Voltaire vient de publier quelques réflexions d’Alain de Benoist sur les suites des Manifs pour tous. Elles ont provoqué réactions et polémiques.
En plusieurs points, pourtant, elles nous semblent poser de justes questions. C’est pourquoi nous les publions.
Alain de Benoist a, sur les participants des Manifs pour tous, des mots qui peuvent blesser. Son regard sur les Chrétiens et le christianisme en général y est sans-doute pour quelque chose. Ces mots, nous ne les faisons pas nôtres. Il n'est pas commun - Alain de Benoist ne l'ignore pas - d'être capable de mobilier des foules voisines du million pour une cause quelconque ! Et il n'est pas question de nier la réalité de leurs efforts, de contester leur mérite pour les avoir accomplis.
Mais que dit-il d’important ? Que dit Alain de Benoist que les gens d’Action française devraient être les premiers à se dire et faire savoir ? Tout simplement que faute d’une pensée politique ou sociale globale, une pensée sur la Cité, les Manifs pour tous n’auront pas les suites, les résultats que l’on pourrait en attendre. « On ne fait pas une révolution, dit-il, quand on n’a ni programme ni conception du monde à proposer » : il a raison.
![la manif pour tous bonnet phrygien.jpg](http://lafautearousseau.hautetfort.com/media/01/02/2441848385.jpg)
Des bonnets phrygiens, ce n'était vraiment pas ce qu'il fallait ...
Les gens d’Action française, les royalistes, ont eu raison de participer aux Manifs pour tous, y compris à leur encadrement, et de le faire avec discrétion. Mais, parallèlement, ils doivent, nous devons tous, savoir et faire savoir qu’ils n’ont pas pour seule ou principale vocation d’en être les « supplétifs ». Cette « pensée globale » dont nous parlons, qui, en effet, a manqué aux Manifs pour tous, cette pensée « alter révolutionnaire », politique et métapolitique, qui manque à tous les partis politiques, l’Action française la propose depuis un certain temps déjà... La porter plus haut, plus fort, plus sérieusement qu’elle ne le fait aujourd’hui, ce devrait être son - notre - objectif premier.
Pour le reste, Alain de Benoist parle en militant expérimenté, d’un temps où militer était un engagement de tous les jours, … de toutes les nuits, et où le militantisme englobait, cumulait toutes les formes de l’action, les plus humbles et toutes les autres...
Son militantisme - ou plutôt l'objet de son militantisme - était, est, différent du nôtre. Le nôtre ce devrait être, tout simplement, de refaire une grande et puissante Action française.
On ne fait pas la révolution avec des gens bien élevés !
Le 15 juillet 2013
Alain de Benoist
Intellectuel, philosophe et politologue.
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Entretien réalisé par Nicolas Gauthier
Indubitablement, la Manif pour tous a suscité de nouvelles formes de protestation, à base de réseaux sociaux, à l’instar d’autres « printemps » ou de « révoltes » tout aussi informelles, tels les « Indignés » ou les « Occupy Wall Street ». Quelles leçons en tirer ?
La Manif pour tous a été un grand succès et un incontestable échec. Le succès d’abord : ce n’est pas tous les jours que l’on parvient à mobiliser un million de personnes des deux sexes et de tous âges. Personnellement, j’aurais préféré en voir dix millions protester contre la dictature des marchés financiers et le crétinisme de la marchandise (on peut toujours rêver), mais ce n’est là qu’une opinion personnelle. D’une façon générale, on doit toujours soutenir le peuple quand il descend dans la rue pour une raison ou une autre (le mariage homo à Paris, l’augmentation du ticket de bus à São Paulo, un projet de destruction d’un espace vert à Istanbul), que ce soit en France, au Brésil, en Turquie, en Égypte ou ailleurs. C’est le plus sérieux indice du ras-le-bol. Un autre aspect positif, c’est l’apparition, en marge des manifestations, d’un certain nombre de modes de protestation originaux et inédits (les Hommen, les Veilleurs debout, etc.), qui ne se ramènent pas à une simple affaire de réseaux sociaux.
L’échec n’en est pas moins évident : la Manif pour tous n’a tout simplement pas obtenu ce qu’elle voulait, à savoir empêcher l’adoption de la loi autorisant le mariage gay. Comme cet échec était prévisible, quoi qu’en aient pu dire les naïfs, une stratégie alternative s’imposait. On n’en a pas vu l’ombre. Tout ce à quoi l’on a assisté, c’est au sommet à des crêpages de chignons et à la base des proclamations du genre « On ne lâchera rien ». Mais lâcher quoi ? Quand on n’a rien obtenu, il n’y a rien à lâcher. Alors, on harcèle, on houspille, on fait siffler les oreilles du chef de l’État le 14 juillet, autant dire pas grand-chose. On rêve d’un « sursaut national » (hop, un sursaut !), comme on le fait depuis plus d’un siècle. Pour le « Printemps français », on repassera. La droite, de ce point de vue, ne changera jamais. Plus réactive que réflexive, elle ne sait marcher qu’à l’enthousiasme ou à l’indignation. Déterminer une stratégie révolutionnaire est au-delà de ses forces.
Qu’est-ce qui vous frappe le plus dans la nébuleuse anti mariage pour tous ? Son homogénéité sociale ou ethnique ? Son discours politique attrape-tout ? Ou sa réticence à renverser la table ? Bref, avons-nous affaire à de véritables révolutionnaires ?
À des contre-révolutionnaires, plutôt. C’est-à-dire à des gens qui laissent régulièrement passer les trains pour ne pas faire la « politique du pire ». La plus grande erreur des organisateurs de la Manif pour tous a été d’accepter docilement de ne pas envahir les Champs-Élysées quand un million de personnes étaient prêtes à le faire. Débordant la simple réponse aux antifa(mille), la Manif pour tous aurait alors pu prendre une véritable dimension insurrectionnelle. Ce qui aurait au moins empêché la police de truquer les images et les chiffres. Mais on ne fait pas la révolution avec la « France tranquille » des pousseurs de poussettes et des gens bien élevés. On ne fait pas une révolution quand on n’a ni programme ni conception du monde à proposer. C’est pourquoi, plutôt que de chercher à renverser le pouvoir, on est allé chercher le soutien de Raffarin et de Copé. Dès lors, la messe était dite. La Manif pour tous a éveillé des consciences, elle n’a pas structuré les esprits.
Pas de semblant de révolution sans quelques martyrs. Là, ce fut Nicolas Bernard-Buss. Sa peine de prison était évidemment disproportionnée, mais l’émotion de ses défenseurs ne l’était-elle pas un peu également ? Comme si le vide du pouvoir allait de pair avec le flou des revendications des manifestants ?
On a bien entendu eu raison de protester contre l’incarcération du jeune Nicolas, et contre la généralisation du deux poids, deux mesures. Le mécanisme est d’ailleurs bien rodé. Il suffit de traiter les gêneurs de « fascistes » pour permettre la mise en œuvre du programme, que Laurent Joffrin proposait en toute bonne conscience dans Le Nouvel Observateur du 13 juin dernier, de « réserver aux fascistes (…) la vigilance quand ils se taisent, la dénonciation quand ils parlent, la prison quand ils agissent ». Vigilance-dénonciation-prison : un triptyque à retenir. À ce compte-là, quand Mélenchon traite François Hollande de « capitaine de pédalo », on finira par y voir des allusions homophobes ! Cela dit, on peut protester énergiquement sans tomber dans le délire ou la paranoïa. Dire que Nicolas sera « traumatisé à vie » pour avoir fait trois semaines de taule n’est pas flatteur pour lui : je l’espère quand même capable d’en voir d’autres ! Je reçois régulièrement des courriels affirmant que nous vivons aujourd’hui quasiment dans un régime totalitaire soviétique, ce qui est un peu ridicule (tout courriel comportant des séries de points d’exclamation va chez moi immédiatement à la poubelle). Certains devraient se souvenir que, dans bien des pays, quand on est gardé à vue, on a aussi de bonnes chances d’être tué, torturé ou violé. On n’en est pas encore tout à fait là.
Beaucoup de participants de la Manif pour tous, à commencer par la petite bourgeoisie catholique (la « Génération JMJ ») qui en constituait les plus gros bataillons, manifestaient pour la première fois. Il leur en est resté le souvenir d’une excitation qui va de pair avec une certaine ingénuité. Ils déclarent fièrement qu’ils ont été « gazés », comme s’ils avaient eu à respirer du gaz sarin ou du Zyklon B. Pour ma part, j’ai dû prendre dans ma vie une bonne trentaine de giclées de lacrymogène dans la figure sans y voir autre chose que la conséquence logique de ma présence dans une manifestation ! Au moins ces néophytes ont-ils découvert que les gentils policiers « qui sont là pour nous protéger » savent aussi se servir de la matraque. Si cela leur a permis de comprendre que lorsqu’on s’attaque à l’ordre en place (qui n’est le plus souvent qu’un désordre établi), les forces de l’ordre sont des forces ennemies, ce sera toujours cela de pris.
(Continuation de La Suite économique de François Reloujac)
Chaque fois qu’un Gouvernement, qu’il soit de droite ou de gauche, se propose de créer un nouvel impôt ou d’en augmenter un ancien, il le prétend toujours plus « juste ». Tout accroissement de la pression fiscale est désormais décidé au nom de la « justice fiscale ». Or si un tel discours satisfait une partie de la population – essentiellement celle qui échappe à cette augmentation –, il exaspère toujours un peu plus l’autre partie – celle qui supporte ce surcroît de charge
Si la compréhension du terme « impôt » ne pose pas de grosse difficulté, chacun ayant conscience qu’il s’agit de la charge financière imposée par l’Etat afin de lui permettre de financer ses propres besoins, le terme « juste » est quant à lui ambigu. D’un point de vue sémantique, cet adjectif vient du latin « justus » qui signifie « conforme au droit », « équitable ». Dès lors, on peut dire qu’un impôt régulièrement consenti par le pouvoir législatif est nécessairement juste… sauf à démontrer que la loi régulièrement votée est elle-même injuste !
L’impôt juste résulte d’une loi juste
Une loi régulièrement votée est juste si elle répond à trois conditions : la première, c’est que le législateur n’excède pas ses pouvoirs ; la deuxième, c’est qu’elle ait exclusivement pour but la recherche du bien commun ; la troisième, c’est que les contraintes qu’elle fait peser sur les citoyens soient « ajustées ». Compte tenu des termes mêmes de la Constitution française, il apparaît qu’un impôt régulièrement voté n’excède que rarement les pouvoirs du législateur qui sont immenses en ce domaine. Le Conseil constitutionnel est là pour y veiller. A l’inverse, il n’existe pas réellement en France d’instance chargée de veiller au respect des deux autres conditions.
* Analyse économique parue dans le numéro 124 (décembre 2013) de Politique magazine