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  • Rétrospective : 2018 année Maurras [4]

    1914, l'Union Sacrée

    Par Rémi Hugues

    saint_augustin visuel.jpgAu moment où s'achève l'année du cent-cinquantenaire de Charles Maurras, Rémi Hugues nous propose une série de quatre articles - à venir les jours suivants, « Rétrospective : 2018 année Maurras »Notre collaborateur et confrère y évoque différents aspects ou moments importants de la vie et l'oeuvre de Charles Maurras à travers les écrits fort contestables de Michel Winock, l'un des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, « une figure dʼautorité. » Bonne lecture !  LFAR    

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    In Winock veritas ?

    Concernant la pensée de Charles Maurras il sʼagirait plutôt de la qualifier de « judéocritique », ou si lʼon veut être « winockien » dʼanti-judaïque, cʼest-à-dire que sa pensée sʼefforce de réfuter rationnellement un système de valeurs ; quʼelle repose sur des considérations dʼordre théologico-politique au lieu dʼêtre fondée sur le racial ; quʼelle réfute non lʼessence des Juifs mais la conscience juive, bien quʼil existât des nuances à lʼintérieur de celle-ci, il suffit de se rappeler les confrontations violentes qui opposèrent, dans lʼEurope centrale et orientale des XVIe et XVIIe siècles, les sabbato-franckistes (qui donnèrent par la suite naissance aux Haskalah) au rabbinat régissant les shttetel du Yiddishland et les kehalim de lʼEmpire russe. 

    On retrouve ce primat accordé au prisme racial chez lʼhistorien libéral Augustin Thierry, qui voyait dans la Révolution française une revanche de la race gallo-romaine sur la race franque qui lʼaurait asservie à partir du baptême de Clovis. 

    Indéniablement, en réduisant la personne de Maurras en un chantre coupable de lʼantisémitisme dʼÉtat que connut lʼEurope à partir du deuxième tiers du XXe siècle, Michel Winock fait état de ses obsessions. Ça crève les yeux : il éprouve une passion pour la Seconde Guerre mondiale. Il le fait ressentir pratiquement à chaque ligne. Il se sert de cette période pour tenter de convaincre son lecteur quʼil est un devoir sacré dʼêtre anti-Maurras. Car le vrai anti-Maurras, ce nʼest pas de Gaulle, cʼest Winock. 

    Lʼhistorien cherche à le pousser dans ses retranchements. Pourquoi pas ? Cʼest de bonne guerre. Cʼest même ce quʼil y a de plus sain. Rien nʼest plus légitime que dʼessayer de mettre Maurras devant ses contradictions. Même dans les rangs de lʼAction Française il nʼest point lʼobjet dʼidolâtrie. Critiquer Maurras ne relève en rien du blasphème, du crime de lèse-majesté. 

    Le plus affligeant cʼest que Winock, aveuglé par ses passions, nʼest pas en mesure de disposer de suffisamment de facultés cognitives pour élaborer une critique pertinente de Maurras, une critique « interne », dans le sens où seule une critique interne est performative car elle sʼappuie non pas sur un jugement de valeurs mais sur la mise en évidence dʼun dysfonctionnement de la logique interne dʼun raisonnement. La critique, « externe », développée par Winock contre Maurras reste par conséquent inefficace, superficielle, et finalement vaine. 

    CCQn2bRWAAE78_w.jpgCar il est évidemment possible de dire que chez Maurras il y eut des erreurs qui ont été commises, par exemple en sʼattachant à évaluer lʼadéquation entre ses intentions et ses actes. Lui lʼanti-républicain rabique nʼa-t-il pas rallié la République ? Ne lʼa-t-il pas rejointe durant lʼété 1914 ? Nʼa-t-il pas fait partie de lʼUnion Sacrée, cette vaste coalition de partis politiques majoritairement républicains, qui en appela à la mobilisation générale pour le salut de la Patrie républicaine, face à une Allemagne ambitieuse et conquérante ? Au nom du « compromis nationaliste » nʼa-t-il pas trahi ses convictions les plus profondes ? Nʼa-t-il pas pactisé avec lʼennemi républicain, nʼa-t-il pas légitimé que fussent envoyés au casse-pipe ces paysans, ces ouvriers, ces artisans, ces commerçants, cette force vive de la Nation France ? Ce sont des questions qui méritent étude et réponses. 

    Mais comme Winock estime que seule la Deuxième Guerre mondiale est digne dʼintérêt, il se cantonne à celle-ci, au détriment de la « Grande Guerre », qui pourtant fut dʼune importance déterminante. Quand on substitue à la raison la morale, lʼon risque dʼaccroître lʼindigence de son propos[1]. 

    640_louis-ferdinand_celinegettyimages-109885482.jpgLe raisonnement de Winock ressemble plus à celui dʼun « prêtre rouge » quʼà un clerc guidé par les seules lumières de la science. Un prêtre qui, contrairement au curé exhortant ses fidèles à pratiquer lʼamour plutôt que la guerre, tend à justifier le bellicisme. Il reproche ainsi à Maurras dʼavoir voulu éviter à tout prix la guerre lorsquʼil écrit que « Maurras et les siens sʼemploient à expliquer quʼil faut éviter la guerre, parce que ce sont les Juifs et les communistes qui la veulent, pour prendre le pouvoir ». Cʼest peu ou prou une thèse partagée par Louis-Ferdinand Céline dans sa satire, publiée dans les années 1930, Bagatelles pour un massacre. Thèse condamnable sʼil en est pour les beaux esprits de la « rien-pensance ». 

    ob_9f4941_donald-trump-and-jerusalem-888658.jpgUn dynamisme dialectique caractérise les effets des deux Guerres mondiales : triomphe du cosmopolitisme, dʼune part, avec la création de la Société des Nations après la 1ère, puis lʼOrganisation des Nations unies après la 2ème et cristallisation politique du sionisme dʼautre part, avec la déclaration Balfour (1917) et la naissance de lʼÉtat dʼIsraël (1948). Cosmopolitisme et sionisme vont de pair : ils signifient, en bout de course, lʼavènement de Jérusalem comme capitale dʼun monde réuni autour dʼun gouvernement unique. Jérusalem, Sion, comme « cosmo-polis », « ville-monde ». (A suivre)  

    [1]  Comme le souligne le marxiste « orthodoxe » Karl Kautsky, dans Éthique et conception matérialiste de lʼhistoire (1906), « dans la science, lʼidéal moral devient une source dʼerreurs, sʼil se permet de lui prescrire ses fins », cité par Lucien Goldmann, Recherches dialectiques, Paris, Gallimard, 1959, p. 286.
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  • Rétrospective : 2018 année Maurras [3]

    Dédicace de Charles de Gaulle à Charles Marras pour son livre La discorde chez l'ennemi

    Par Rémi Hugues

    saint_augustin visuel.jpgAu moment où s'achève l'année du cent-cinquantenaire de Charles Maurras, Rémi Hugues nous propose une série de quatre articles - à venir les jours suivants, « Rétrospective : 2018 année Maurras »Notre collaborateur et confrère y évoque différents aspects ou moments importants de la vie et l'oeuvre de Charles Maurras à travers les écrits fort contestables de Michel Winock, l'un des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, « une figure dʼautorité. » Bonne lecture !  LFAR    

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    In Winock veritas ?

    De la subtilité, Winock en manque cruellement lorsquʼil va jusquʼà défendre la position selon laquelle de Gaulle était lʼ « anti-Maurras », quʼil était « aux antipodes de Maurras ». Il est indiscutable que lʼidiosyncrasie gaullienne était imprégnée de lʼesprit de Maurras. Il faudrait que Winock réécoute sa conférence de presse du 27 novembre 1967, largement consacrée à lʼactualité internationale, aux États-Unis et à Israël notamment. Certes, de Gaulle était un maurrassien critique, de raison, pas un maurrassien béat. 

    En vérité lʼ « intelloʼ de Martigues » avait imprimé sa marque dans lʼâme jeune du natif de Lille. La socialisation politique primaire de De Gaulle sʼétait faite sous le signe de Maurras : son père, « Henri, lisait LʼAction française […]. Il était royaliste de cœur, et le jeune Charles a été éduqué dans un milieu habité par la nostalgie de la royauté. » 

    hqdefault.jpgEt pour preuve : de Gaulle a parfaitement retenu la leçon de son maître à penser à propos des quatre états confédérés quand il dit à Alain Peyrfefitte que la franc-maçonnerie fait office de quatrième colonne, un parti de lʼétranger, inféodé à la perfide Albion : « Sénat, Club Jean-Moulin, francs-maçons, tout se tient. Ces gens-là cherchent à me mettre des sabots aux pieds. On mʼassure que la moitié des sénateurs, de la gauche à la droite, sont franc-maçons. On mʼen dit autant des magistrats, quʼils soient du siège ou du parquet. Ça expliquerait bien des choses. Ces gens-là nʼaiment pas la France, ils préfèrent les Anglo-Saxons. »[1] On dirait du Maurras dans le texte. 

    Négateur du réel, Winock préfère voir en de Gaulle un épigone de Charles Péguy, un grand littérateur nʼayant en revanche jamais développé une doctrine politique cohérente sʼarticulant autour de concepts originaux, structurants et fondamentaux, à la différence de la pensée de Maurras, dont la dichotomie pays légal / pays réel, par exemple, est encore utilisée aujourdʼhui, notamment par les publicistes de la presse écrite ou même de la radio et de la télévision. Est-il quelquʼun qui a retenu une quelconque doctrine politique de Péguy, lui qui commença socialiste avant de se tourner vers le catholicisme ? Péguy ne s’est jamais voulu et nʼa jamais été à la tête dʼune organisation politique. 

    2784291594.jpgLʼanalyse de Winock révèle ici ses limites : il montre quʼil nʼa guère compris que le politique est dʼabord une somme dʼinteractions sociales, de relations humaines (quʼelles soient dʼamitié ou dʼinimitié[2]), soit quelque chose de bassement concret, avant dʼêtre des idées abstraites empilées dans des livres. Faire de De Gaulle lʼépigone de Péguy (photo) pour l’opposer à Maurras, quelle ineptie ! Plus énorme encore est celle dʼériger de Gaulle en anti-Maurras ; par ce truchement Winock réhabilite la formule maurrassienne très controversée dʼ « anti-France ». Sʼil est valide du point de vue épistémologique de se servir du préfixe « anti » pour exprimer une opposition radicale, pourquoi le serait-il pour Maurras et ne le serait-il pas pour la France ? 

    Ce manque de rigueur sémantique est le trait marquant de lʼarticle de Winock. Il utilise, si lʼon peut dire, des mots sans en mesurer le poids. Jetant aux orties Aristote qui signale que si « on ne posait de limite et quʼon prétendît quʼil y eût une infinité de significations, il est manifeste quʼil ne pourrait y avoir aucun logos. En effet, ne pas signifier une chose unique, cʼest ne rien signifier du tout », il sʼaffranchit du respect du sens strict des mots. 

    Prenons celui dʼantisémitisme. Maurras est victime de la présomption de culpabilité dʼen être un. Pour Winock, cʼest un fait avéré. On est dans lʼordre du préjugé : nul besoin de chercher à le démontrer. Lʼhistoire a tranché : Maurras est à bannir car il a rejoint le rang des antisémites notoires. 

    17639964-22082748.jpgOr cʼest mal connaître la généalogie de la question juive. Lʼantisémitisme présuppose lʼexistence de races distinctes, ce qui dans la modernité, comme le souligne Hannah Arendt (photo) dans le passage qui suit, a été introduit par des Juifs. 

    « Cʼest alors que, sans aucune intervention extérieure, les Juifs commencèrent à penser que ʽʽce qui séparait les Juifs des nations nʼétait pas fondamentalement une divergence en matière de croyance et de foi, mais une différence de nature profondeʼʼ, et que lʼancienne dichotomie entre Juifs et non-Juifs était ʽʽplus probablement dʼorigine raciale que doctrinaleʼʼ. Ce changement dʼoptique, cette vision nouvelle du caractère étranger du peuple juif, qui devait se généraliser chez les non-Juifs que beaucoup plus tard, à lʼépoque des Lumières, apparaît clairement comme la condition sine qua non de lʼapparition de lʼantisémitisme. Il est important de noter que cette notion sʼest formée dʼabord dans la réflexion des Juifs sur eux-mêmes, et à peu près au moment où la Chrétienté européenne éclata en groupes ethniques qui accéderont plus tard à lʼexistence politique dans le système des États-nations modernes. »[3] 

    Augustine_Confessiones.jpgSe situant à extrême distance de ces Juifs qui théorisèrent la diversité raciale du genre humain, du racialisme en somme qui, dʼaprès Hannah Arendt est une invention juive, Maurras, ce fidèle de lʼÉglise de Rome en vertu non de la foi mais de la raison, entendait rester fidèle à lʼesprit de lʼépître aux Galates de saint Paul qui continuait la parabole christique du Bon Samaritain. 

    Maurras n’entend pas remettre en cause lʼuniversalité, lʼunité radicale de lʼhumanité, telle quʼexprimée par saint Augustin de la manière suivante : « Quel que soit lʼendroit où naît un homme, cʼest-à-dire un être raisonnable et mortel, sʼil possède un corps étrange pour nos sens, par sa forme, sa couleur, ses mouvements, sa voix, quels que soient la force, les éléments et les qualités de sa nature, aucun fidèle ne doit douter quʼil tire son origine du seul premier homme[4] ». (A suivre)  

    [1]  Alain Peyrefitte, Cʼétait de Gaulle, II, Éditions de Fallois / Fayard, 1997, p. 111.
    [2]  Carl Schmitt, dans La notion de politique, avance que la syzygie, autrement dit lʼappariement du couple dʼopposés ami / ennemi est au politique ce que les dichotomies vrai / faux, bien / mal, beau / laid et utile / nuisible sont respectivement à la science, à la morale, à lʼart, et à lʼéconomie.
    [3]  Hannah Arendt, Sur lʼantisémitisme. Les origines du totalitarisme, Paris, Gallimard, 2002, p. 8-9.
    [4]  Saint Augustin, La Cité de Dieu,  II, Paris, Gallimard, 2000, p. 661. 
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  • Saint Augustin actuel [1]

    St. Augustin History Museum, Floride.

    Par Rémi Hugues 

    saint_augustin visuel.jpgA l'approche des Fêtes, Rémi Hugues propose une série de sept articles consacrés à l'actualité de la pensée de Saint Augustin, père de l'Eglise. Ils seront publiés chaque jour à partir de celui-ci. Bonne lecture !  LFAR

     

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    Augustin dʼHippone, premier grand philosophe de lʼÉglise 

    Le numéro de juin 2018 du magazine LʼHistoire (n° 488,) était consacré au premier grand philosophe de lʼÉglise, Augustin dʼHippone, qui vécut au IVème siècle sur lʼactuel territoire algérien, à lʼépoque une province de lʼEmpire romain[1]

    Signe de lʼesprit propre au temps présent, le revue insiste sur le rapport dʼAugustin à la sexualité. Lʼauteur des Confessions – il fut lʼinventeur du genre autobiographique – livra effectivement à la postérité ses désirs les plus profonds, certains pouvant être considérés comme coupables. Mais à réduire saint Augustin au libidinal, au charnel, au désir sexuel, à ce quʼil y a de plus frivole au fond, lʼon omet de dire lʼessentiel sur ce grand artisan de lʼédification du théologico-politique chrétien, qui sʼingénia à opérer la synthèse entre les héritages gréco-latins et hébraïques, à la lumière de ce que les Évangiles relatent sur la vie de Jésus, et particulièrement sur la Passion christique. 

    Augustin fut plus quʼun passeur. Il fonda une tradition nouvelle, vivifia les philosophies antiques, qui étaient devenues sclérosées, et sʼappliqua à aider chacun à mieux comprendre les mystères contenus dans la Bible. Sa prose nous aide par exemple à mieux entendre ce très mystérieux texte quʼest lʼApocalypse johannique : « Dans ce livre qui a pour nom lʼApocalypse, il est sans doute beaucoup de propos obscurs, destinés à exercer lʼesprit du lecteur, et il en est bien dʼassez clairs pour permettre de se lancer, et non sans peine, sur le reste, dʼautant quʼil répète les mêmes choses de tant de façons quʼil semble dire des choses différentes, alors quʼon sʼaperçoit quʼil dit les mêmes, mais de manière différente. »[2] 

    Cité_de_Dieu.jpgLa rédaction de LʼHistoire a été judicieuse dans son choix de nous rappeler lʼimportance de de lʼœuvre de l’évêque dʼHippone, notamment du livre La Cité de Dieu. Il y a bel et bien une actualité de saint Augustin. Pour comprendre les enjeux de lʼheure, lʼétude de sa pensée est très précieuse. 

    Nous nous arrêterons sur trois points qui nous paraissent les plus notables : Augustin, ce précurseur de la sociologie politique (I), a inspiré Karl Marx et sa théorie du matérialisme historique dialectique sans que lui-même en soit réellement conscient (II), et nous a donné de solides clefs pour nous aider à théoriser le phénomène Daech, le problème le plus crucial de notre époque (III). 

    Penser, cʼest-à-dire représenter le réel, nécessite de disposer dʼune matière bien précise. Ce matériau, on lʼappelle en philosophie le concept. Grâce à saint Augustin, il est possible de développer une interprétation pertinente sur lʼessor du takfirisme, le terrorisme des musulmans sunnites dʼinspiration wahhabite, et de Daech en particulier, à lʼaide ce qui est le plus précieux en philosophie, et qui est même lʼessence de la philosophie, à savoir le concept. 

    LIEN SOCIAL ET SOCIÉTÉ CIVILE 

    Un concept très en vogue aujourdʼhui chez les sociologues a justement été inventé par Augustin dʼHippone. Ce concept, cʼest celui de lien social. Dans La Cité de Dieu, il définit une cité – au sens antique de ville-État, dʼentité politique – selon les termes suivants : « une multitude dʼhommes, rassemblés par un lien social »[3]. Ce lien social quʼAristote voyait comme consubstantiel à lʼhomme, dans sa nature propre ; dʼoù sa fameuse sentence du livre I des Politiques : par essence lʼhomme est un animal politique. Opinion que partage également Augustin. 

    Tant la vulgate universitaire (bourdieusienne ad nauseam) que le discours médiatico-politique usent sans limite de ce vocable de lien social. Les uns déplorent le délitement du lien social, les autres justifient tel point de leur programme en affirmant que la mesure quʼils préconisent dʼinstituer recréera du lien social. Comme si générer du lien social était synonyme de produire du bonheur public. 

    Ainsi lʼœuvre dʼAugustin préfigure la discipline moderne, qui se veut une science, appelée sociologie. Le vocable a été inventé par le révolutionnaire Sieyès, popularisé par Auguste Comte et Émile Durkheim en posa les jalons épistémologiques. Cette science de lʼhomme nʼenferme-t-elle pas lʼhomme dans un carcan, le privant de sa liberté, en le réduisant à un objet dʼétude, à une chose objectivable, tel le précipité du chimiste ou la mouche drosophile du biologiste ? Cette volonté de réifier lʼhomme dans ses interactions avec autrui, Durkheim lʼexprime ainsi : il sʼagit de traiter les faits sociaux comme des choses

    81WyQe5+kNL.jpgCharles Baudelaire suggère cela dans un poème publié dans le recueil Le Spleen de Paris qui est une critique radicale du positivisme comtien, et qui a pour titre le « Le joujou du pauvre ».

    464756177_small.jpgCette poésie, composée au milieu du XIXème siècle, peut être également vue comme une réflexion sur la question sociale, apparue durant ce siècle, cʼest-à-dire la question ouvrière, ainsi quʼune réponse à la théorie de la lutte des classes de Karl Marx, théorie que le communiste allemand nʼinventa pas mais reprit aux historiens libéraux français Guizot et Augustin Thierry, tout en lui donnant un autre sens, transformant les classes laborieuses, considérés chez ces derniers comme une classe dangereuse, en classe messianique. (A suivre)  

    [1]  Ce choix éditorial se justifie par la publication, en ce printemps, des Aveux de la Chair, le quatrième tome de lʼHistoire de la sexualité de Michel Foucault, chez Gallimard, où les Confessions de saint Augustin sont examinées minutieusement. Ce dernier est né le 13 novembre 354 à Thagaste (petite ville au sud dʼHippone).
    [2]  Saint Augustin, La Cité de Dieu, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 928.
    [3]  Ibid., p. 609.

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  • Nietzsche par temps bleu [3]

    Par Rémi Hugues

    images.jpgÀ l'occasion de la publication du dernier ouvrage du docteur ès Lettres et agrégé de philosophie Philippe Granarolo, intitulé En chemin avec NietzscheRémi Hugues nous propose une suite de huit articles « Nietzsche par temps bleu ». Il s'agit de tenter de nous faire découvrir ou redécouvrir l'essence de la pensée de l'auteur de Naissance de la tragédie.  Nous suivrons ce chemin au fil des prochains jours. Bonne lecture !  LFAR    

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    Le concept de Surhomme 

    Cʼest dans Ainsi parlait Zarathoustra que sont contenues les réflexions les plus fécondes sur le Surhomme, qui est « la figure du lʼhomme du futur » (p. 125) espéré par Nietzsche, à qui, dʼaprès lʼauteur, « une ʽʽfuturationʼʼ du voir […] a été octroyée. » (p. 126) 

    zarathoustraT2.jpgToutefois ce dernier insiste sur « la ʽʽgrande nostalgieʼʼ éprouvée par Zarathoustra après quʼil ait été visité par lʼombre de la beauté du Surhomme » (p. 209). La nostalgie renvoie au passé, au regret que lʼon ressent vis-à-vis dʼune chose révolue, disparue. Le Surhomme nʼest en fait pas une figure de lʼavenir. Il est une figure du temps passé. 

    Nietzsche a projeté dans le futur un événement survenu à lʼorée des temps et négligé par la théologie chrétienne : lʼapparition dʼAdam parmi une masse de pré-adamites, apparition dont témoigne le septième verset du chapitre II de la Genèse, ultérieurement à lʼhumanité plurielle, « mâle et femelle », du vingt-septième verset du 1er chapitre de ce livre inaugurant le Pentateuque. 

    À la différence de cette humanité primitive, Adam a reçu un souffle divin dans ses narines, le pneuma. Le prédicateur Paul de Tarse nʼa pas manqué de prodiguer ce savoir, lorsque dans la 1ère épître aux Corinthiens (15 : 47) il dit : « Le premier homme est terrestre ; le second homme est du ciel ». 

    En outre, dans le 5ème chapitre de lʼépître aux Romains, il pointe du doigt cet homme supérieur, ce Surhomme, quʼest Adam : au verset 12 il écrit que « par un seul homme le péché est entré dans le monde ». La « transgression » – mot que lʼon retrouve au verset 14 – commise par Adam a consisté à se mêler génétiquement à lʼhumanité originaire ; moment tragique dʼ « innocence animale à tout jamais perdue » (p. 122) pour les descendants de ce croisement entre Adam et les hominiens, autre vocable qui pourrait désigner les pré-adamites.      

    Portrait_of_Friedrich_Nietzsche.jpgCe funeste épisode, la théologie chrétienne lʼappelle « péché originel ». Dans Humain, trop humain Nietzsche reprend cette expression pour signaler « le manque de sens historique » qui caractériserait « la totalité de lʼidéologie moderne » (p. 111), considération sur laquelle nous reviendrons. Mais avant cela, notons lʼusage que fait Nietzsche, le philosophe de la « mort de Dieu », du Dieu-fait-homme, du Dieu chrétien, de ce concept purement chrétien ; comme le mit en évidence Sigmund Freud dans LʼHomme Moïse et la religion monothéiste, alors que le texte de la Genèse est antérieur au christianisme. Freud y soutient que lʼidée de péché originel est née avec le christianisme, quʼelle en constitue même lʼun des deux maître piliers, le second étant dʼaprès lui le rachat du sacrifice. 

    Le vieux fonds chrétien de Nietzsche   

    718g67jMWXL._UX250_.jpgTelle est la deuxième grande leçon que lʼon peut tirer sur la pensée de Nietzsche à la lecture de lʼexcellent essai de Philippe Granarolo, qui depuis des années, sous le ciel azur et le soleil radieux de la Provence sʼacharne à aider chacun qui le souhaite à penser avec Nietzsche, de la manière correcte. Lʼœuvre du philosophe allemand est imprégnée dʼun christianisme latent, presque inconscient. La prose nietzschéenne porte indéniablement la marque de la culture chrétienne de son créateur. 

    Par exemple, ce passage du Gai Savoir, mentionné deux fois (pages 79 et 183) : « Que lʼon accorde à ce germe encore quelques siècles et plus, et il se pourrait quʼil finisse par produire une plante merveilleuse et dʼune non moins merveilleuse odeur, propre à rendre la terre plus agréable à habiter quʼelle ne le fut jusquʼalors ». Nietzsche caresse lʼespoir de lʼexistence à terme dʼune terre paradisiaque. Il emploie la métaphore de la merveilleuse odeur, qui est profondément biblique. 

    2964906227.jpgDu jardin dʼÉden exhalaient de délicieuses senteurs, dit la tradition, comme lʼatteste cet extrait de la Genèse, où Jacob bénit son fils Isaac, quʼil prend pour lʼaîné Édom : « ʽʽAvance-toi donc et baise-moi, mon fils !ʼʼ Il sʼavança et le baisa. Isaac sentit lʼodeur de ses habits et le bénit. Il dit : ʽʽVoici que lʼodeur de mon fils est comme lʼodeur dʼun champ que Iahvé a béniʼʼ » (Gen 27 : 26-27) 

    Au XVIIème siècle, le messie mystique Sabbataï Tsevi et ses fidèles se souvenaient bien de cela, quand ils prétendaient quʼun parfum fort agréable sortait naturellement de ses pores : « Coenen  rapporte […] un détail […] quand il nous dit quʼaprès 1648, le corps de Sabbataï exhalait une odeur très agréable et très parfumée (le fait est également mentionné par les sources sabbataïstes : les disciples prétendirent plus tard quʼil sʼagissait de lʼodeur du Jardin dʼÉden. »[1] 

    On peut citer de plus ces lignes de Généalogie de la Morale : « Pour pouvoir ériger un sanctuaire, il faut briser un sanctuaire : cʼest la loi » (p. 88). Elles renvoient implicitement au livre de lʼExode, quand Moïse brise les Tables de la loi. Le Midrach formule cette hypothèse : « Dieu aurait dit à Moïse : ʽʽBravo ! Tu as bien fait de les briser.ʼʼ »[2] Dans le Talmud, Rech Lakich affirme que « parfois lʼannulation de la loi constitue son fondement même. »[3] Et dans Ménahot 99b, figure cette réflexion : « Parfois, lʼannulation de la loi constitue son accomplissement. »[4] 

    0f3464c1f8d2fce7e2f31ce8a7ca83ed3ab706d3fb9848cce198c0c30700.jpgCette imprégnation du christianisme est dʼailleurs admise par Granarolo : « Quʼil sʼagisse du ʽʽSermon sur la montagneʼʼ et de son ʽʽlaissez venir à moi les petits enfantsʼʼ, ou de cette autre formule du Nouveau Testament qui nous exhorte à vivre sans souci du lendemain ʽʽcomme le font les oiseaux du cielʼʼ, nʼy a-t-il pas dans le Nouveau Testament des formules qui ont séduit le jeune Nietzsche et dont il a inconsciemment reproduit la structure dans son œuvre philosophique ? » (p. 240)    (À suivre  

    [1]  Gershom Scholem, Sabbataï Tsevi. Le messie mystique 1626-1676, Paris, Verdier, 1983, p. 150.

    [2]  Cité par Marc-Alain Ouaknine, Lire aux éclats. Éloge de la caresse, Paris, Seuil, 1994, p. 275.

    [3]  Cité par ibid., p. 276.

    [4]  Cité par ibid., p. 279.

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  • Nietzsche par temps bleu [1]

    Par Rémi Hugues

    images.jpgÀ l'occasion de la publication du dernier ouvrage du docteur ès Lettres et agrégé de philosophie Philippe Granarolo, intitulé En chemin avec Nietzsche, Rémi Hugues nous propose une suite de huit articles « Nietzsche par temps bleu » dont voici le premier. Il s'agira de tenter de nous faire découvrir ou redécouvrir l'essence de la pensée de l'auteur de Naissance de la tragédie.  Nous suivrons ce chemin au fil des prochains jours. Bonne lecture !  LFAR    

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    Tout philosophe nʼest pas poète, mais tout poète expose sa philosophie à travers ses œuvres.

    À peu près au même moment que lʼépigone de Charles Baudelaire et amant de Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, composait les Illuminations ou Une Saison en Enfer, de lʼautre côté du Rhin Friedrich Nietzsche lutinait Sophia en remplissant des cahiers entiers de prose irrévérencieuse et dʼaphorismes percutants, elle qui nʼaime que les guerriers insoucieux, moqueurs et violents.      

    9782343155708r.jpgLe premier mérite du dernier opus du docteur ès Lettres et agrégé de philosophie Philippe Granarolo, intitulé En chemin avec Nietzsche et que la maison dʼédition LʼHarmattan vient de publier, est de nous plonger dʼemblée dans ce qui fonde la puissance de la pensée de Nietzsche, à savoir, pour employer un vocable à la mode, son côté disruptif. La méthode de ce dernier est restée au fil de ses œuvres la même : chercher à nier lʼévidence, à tordre la doxa, à remettre en question les postulats qui semblent indiscutables. 

    Apollon et Dionysos 

    Le livre commence par la contestation de lʼopposition qui est généralement faite entre la vie à lʼétat éveillé et la vie onirique. Lʼauteur souligne que chez Nietzsche le rêve est comme lʼéveil un état « apollinien » c’est-à-dire un état de sobriété. 

    220px-StatueApollon2.jpgLes mots Apollon et apparence commencent tout deux par le préfixe « ap- » : veille et rêve participent du même ordre. Ils forment un tout, un réel perceptible par le truchement de notre raison, qui coordonne lʼactivité sensorielle. Il nʼy a ainsi selon Nietzsche non point une différence de nature mais seulement de degré entre ces deux états de lʼapparence ; le rêve étant ainsi lʼapparence de lʼapparence. Or lʼusage raisonné de nos sens peut déraisonner, être affecté par des passions, telles la force, lʼinstinct ou la nature. 

    Amoureux de lʼhéritage grec, Nietzsche se sert de la syzygie, (paire dʼopposés) Apollon – Dionysos comme pilier de son raisonnement[1]. On accède au monde dionysiaque par lʼivresse, la musique et la tragédie. 

    La tragédie est le thème du premier succès littéraire de Nietzsche. Dans Naissance de la tragédie, sʼappuyant sur les écrits de Lucrèce, il soutient la thèse dʼaprès laquelle les divinités grecques sont apparues dans lʼesprit des hommes lors des rêves. 

    La tragédie, voie dʼaccès vers le « dionysiaque » prend donc sa source dans lʼ « apollinien ». Il nʼy a donc pas étanchéité stricte entre ce couple de contraires imaginé par le philologue de profession Nietzsche. Et cette syzygie est déterminante pour comprendre lʼensemble de sa pensée, dont le fil conducteur consiste à batailler contre la philosophie depuis Platon, taxé de « mauvaise métaphysique, parce quʼelle nie ou du moins sʼefforce de nier le fonds dionysiaque de lʼunivers. » (p. 19) 

    Lʼessence du nietzschéisme 

    Au cœur de la pensée de Nietzsche il y a lʼidée que lʼémergence du christianisme nʼa pas marqué de rupture philosophique. La théologie a repris la conception socratique et platonicienne dʼun homme défini comme un animal rationnel. En attestent les mots dʼAugustin dʼHippone, pour qui lʼhomme est un « être raisonnable et mortel »[2]. 

    Nietzsche entendait rappeler à lʼhomme sa dimension irrationnelle (dionysiaque), ce qui lʼamena à développer une nouvelle anthropologie. Celle-ci pose que lʼessence de lʼhomme nʼest pas sa rationalité mais sa « libido dominandi », sa volonté de puissance. 

    Martin Heidegger examina cette leçon centrale de Nietzsche et lui objecta quʼune telle conception ne clôt pas le cycle inauguré par le platonisme, car elle conserve lʼidée dʼanimalité de lʼhomme. 

    À rebours, Heidegger considère que lʼhomme est lʼ « un-tout », du fait de sa spécificité qui est de disposer dʼun logos[3], singularité que le philosophe désigne par le concept de Zusammengehörinkgkeit (appartenance mutuelle de lʼêtre et de lʼhomme). On retrouve cette  anthropologie qui pose lʼhomme comme point de rencontre du microcosme et du macrocosme dans dʼautres cultures, notamment dans la tradition asiatique (Tao-te-king, XXV) à travers la notion de Wang (« Roi »), la sagesse arabo-musulmane à travers le vocable El-Insânul-kâmil (« Homme universel ») ou la kabbale, à travers le concept dʼAdam Qadmôn. 

    94395237_o.jpgQuand, à ce sujet, Emmanuel Lévinas (Photo) écrit les lignes qui suivent – « « lʼhomme serait le lieu où passe la transcendance […]. Peut-être tout le statut de la subjectivité ou de la raison doit-il être révisé à partir de cette situation »[4] – est-ce dans le but dʼopérer la synthèse entre la critique heideggerienne du nietzschéisme et lʼésotérisme juif ? En tout cas toutes ces références ébranlent la vision selon laquelle lʼhomme serait une « créature orgueilleuse qui se croit beaucoup plus distincte des autres espèces quʼelle ne lʼest en réalité. » (p. 127) 

    Nietzsche ne pouvait en revanche en aucun cas concevoir la part acosmique – transcendante – de lʼhomme, puisquʼil envisageait lʼenfer et le paradis comme des arrière-mondes, autrement dit pures fictions, pures inventions, pures illusions. (A suivre)   

    [1] Dichotomie féconde, puisque le syndicaliste révolutionnaire Édouard Berth lʼutilise dans Les méfaits des intellectuels (1914) pour établir un parallèle entre Charles Maurras et son maître Georges Sorel : « LʼAction française, qui, avec Maurras, est une incarnation nouvelle de lʼesprit apollinien, par sa collusion avec le syndicalisme qui, avec Sorel, représente lʼesprit dionysien, va pouvoir enfanter un nouveau grand siècle, une de ces réussites historiques qui, après elles, laissent le monde longtemps ébloui et comme fasciné. », cité par Georges Navet, « Le cercle Proudhon (1911-1914). Entre le syndicalisme révolutionnaire et lʼAction française » in Mil neuf cent, n°10, 1992, 62. Ce numéro de la revue est dʼailleurs résolument nietzschéen, car son titre est « Proudhon, lʼéternel retour ». 
    [2]  La Cité de Dieu,  II, Paris, Gallimard, 2000, p. 661.
    [3]  Dans La dévastation et lʼattente, il soutient que lʼhomme recueille « lʼun-tout unitivement ajointé en son jaillissement originel. » Dans Être et Temps il qualifie lʼhomme de Dasein, dʼ « étant exemplaire », sa spécificité impliquant quʼune partie de lui-même ne lui appartient pas.
    [4] LʼAu-delà du verset, Paris, Minuit, 1982, p. 175.
    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
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  • Nietzsche par temps bleu [5]

    Par Rémi Hugues

    images.jpgÀ l'occasion de la publication du dernier ouvrage du docteur ès Lettres et agrégé de philosophie Philippe Granarolo, intitulé En chemin avec NietzscheRémi Hugues nous propose une suite de huit articles « Nietzsche par temps bleu ». Il s'agit de tenter de nous faire découvrir ou redécouvrir l'essence de la pensée de l'auteur de Naissance de la tragédie.  Nous suivrons ce chemin au fil des prochains jours. Bonne lecture !  LFAR    

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    Nietzsche ou lʼinterminable laïcisation du christianisme   

    La laïcité, religion de la sortie du christianisme, reposant sur un certain nominalisme (au sens quʼHenri Poincaré (Photo) donne à ce HenriPoincaré.jpgvocable dans La Science et lʼhypothèse), elle sʼaccomode voire requiert des prêtres laïcs dʼécoles de pensée diverses pour donner lʼillusion de la liberté dʼexpression, principe qui lui est constitutif, dans la mesure où ce principe est la sécularisation de celui de libre-examen.

    Et, sous la plume de notre auteur, Nietzsche de devenir un « humaniste » (p. 68), un instrument de lʼ « interminable laïcisation du christianisme » (p. 68), un énième avatar de ces « ombres de Dieu » (p. 68) qui pullulent depuis lʼirruption de la modernité afin de brouiller le sens exact de la Bonne Nouvelle[1]. 

    Ecce Homo Deus 

    Page 88 notre auteur pose cette étrange question : « Quʼest la religion de lʼesprit libre sinon le mythe du Surhomme donnant sens à la Terre et reliant à nouveau lʼindividu savant au cosmos ? » Pour lui ce concept relevant du mythos de Surhomme est une « image religieuse qui échappera inévitablement à son créateur, image qui engendrera une piété » (p. 88). Le champ lexical est résolument numineux ; lʼhomo religiosus Granarolo dévoile la subtile nature de la laïcité : non un processus de désacralisation en général, car Dieu est désacralisé – parce quʼanéanti – au profit de lʼhomme. Au théisme se substitue lʼhumanisme : Homo Deus voici venu ton âge !

    Granarolo ne peut sʼempêcher dʼériger son maître en figure religieuse : « Nietzsche est aussi prophète », écrit-il page 107. Nous aurions dit, nous, Nietzsche est aussi poète. Un poète à rapprocher du courant des symbolistes, à propos desquels MauriceBarrès.pngMaurice Barrès écrivit :

    « Gardons-nous peut-être de les saluer trop vite chrétiens, ces poètes. La liturgie, les anges, les satans, tout le pieux appareil, ne sont quʼune mise en scène pour lʼartiste qui juge que le pittoresque vaut bien une messe. Leur religion nʼa pas surgi soudain par la grâce dʼun élan de foi, cʼest la tristesse qui développa dans lʼintimité de leur âme des germes pieux héréditaires. »[2] 

    Nietzsche prophète donc ? Or selon Granarolo lʼune des vertus du nietzschéisme est son absence de finalisme. Comment dès lors admettre quʼil disposait de la faculté de savoir annoncer le futur, si ce futur est par nature indéterminé, le produit de la contingence la plus fortuite ? La notion de prophète ne présuppose-t-elle pas nécessairement un certain providentialisme ?

    À cet égard nous sommes convaincus que toutes les idéologies modernes ont en commun de prophétiser un paradis terrestre. Marc-Alain Ouaknine note que le mouvement vers Olam haba (le monde futur, à venir) « est le ʽʽpoint messianiqueʼʼ de lʼhomme »[3]

    En ce qui concerne le lien entre temporalité et modernité, Granarolo avance que « le manque de sens historique » (p. 111) est un trait distinctif de toute « idéologie moderne » (p. 111) à partir de la lʼétude dʼHumain, trop humain. Ce qui est faux sʼagissant du futur, comme nous venons de le voir. Les idéologies (religions profanes, sécularisées) portent la promesse des lendemains qui chantent. En revanche cʼest juste pour ce qui est du passé : elles tendent à nous couper du « lien qui nous unit inconsciemment au passé immémorial de nos ancêtres, et au-delà des humains qui nous ont précédés, à la totalité de lʼaventure de la vie terrestre » (p. 111). 

    Nietzsche et la modernité 

    Michéacomplexedorphée.pngLʼattitude proprement moderne, Jean-Claude Michéa lʼa exprimée par la métaphore du complexe dʼŒdipe, à qui il est interdit de se retourner, de regarder derrière lui. La modernité nous intime in fine de devoir « haïr le passé » (p. 127). Sur ce point la critique nietzschéenne de la modernité est précieuse. De même quʼest précieuse son étude de la science, domaine qui sʼest substitué depuis lʼâge moderne à la religion en tant que source légitime de la connaissance, que vecteur conduisant à la Vérité.

    Certes il y a un Nietzsche scientiste, rationaliste, celui de la période dite du « positivisme » (p. 182) – terme que notre auteur préfère à celui dʼAufklarüng, choisi par Eugen Fink –, qui veut poursuivre « la libération de lʼesprit entamée par la philosophie française du XVIIIème siècle » (p. 183), qui dédie son Humain, trop Voltairesalonphilosophes.jpghumain à Voltaire (Photo) et enfin qui écrit ceci : « Je sais si peu de choses des résultats de la science. Et pourtant ce peu me semble déjà dʼune richesse inépuisable pour éclairer ce qui est obscur et pour éliminer les anciennes façons de penser et dʼagir. » (Aurore, fragment posthume, cité p. 182)

    Mais cet éloge de la tabula rasa permise par la science est à confronter avec dʼautres textes. Le jeune Nietzsche la qualifie de « barbare » (p. 108). Granarolo indique en outre que Nietzsche voyait dans la science un facteur du nihilisme et soulignait « lʼillusion du jugement objectif » (p. 122), thèse que lʼon trouve notamment dans Par delà bien et mal, où les systèmes philosophiques (prétendument scientifiques, ce qui vise en particulier le marxisme) sont réduits à de pures subjectivités, à des auto-portraits de leur auteurs.  (À suivre  

    [1]  Jacob Boehme, un cordonnier allemand de la Renaissance, développa une pensée hétérodoxe. Dans une étude sur celle-ci, Nicolas Berdiaeff écrivit : « Le Mal est lʼombre du Bien » cité par Jean Phaure, Le cycle de l' humanité adamique. Introduction à l' étude de la cyclologie traditionnelle et de la fin des Temps, Paris, Dervy, 1994, p. 224. Et Carl Jung dit :« Dʼaprès les Pères de lʼÉglise, le Christ ʽʽa coupé son ombre de lui-mêmeʼʼ. Si nous accordons quelque poids à cette affirmation, nous pouvons reconnaître sans difficulté dans lʼAntéchrist la contrepartie ainsi coupée. LʼAntéchrist se développe dans la légende comme un imitateur pervers de la vie du Christ. Il est […] un esprit mauvais qui imite, qui suit en quelque sorte le Christ pas à pas, comme lʼombre suit le corps. », Aïon. Études sur la phénoménologie du soi, Paris, Albin Michel, 1983, p. 56. 
    [2]  LʼŒuvre de Maurice Barrès, t. 1, Paris, Club de lʼHonnête Homme, 1965, p. 398.
    [3]  Lire aux éclats..., ibid., p. 236. 

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  • Nietzsche par temps bleu [8]

    Par Rémi Hugues

    images.jpgÀ l'occasion de la publication du dernier ouvrage du docteur ès Lettres et agrégé de philosophie Philippe Granarolo, intitulé En chemin avec NietzscheRémi Hugues nous a proposé une suite de huit articles « Nietzsche par temps bleu ». Il s'agit de tenter de nous faire découvrir ou redécouvrir l'essence de la pensée de l'auteur de Naissance de la tragédie.  Nous avons suivi ce chemin au fil des derniers jours. Il se clôture aujourd'hui.. Bonne lecture !  LFAR    

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    La duperie des Lumières 

    Mais comment lʼhomme régule-t-il, tempère-t-il, organise-t-il lʼordre et la proportion ? Par quels moyens fabrique-t-il à partir de ce qui a été élaboré par son Créateur ?

    CarlSchmittLeoStrauss.jpgCʼest par le truchement de lʼ « organum organorum », lʼorgane suprêmement noble, cʼest-à-dire ses mains, quʼil est rendu apte à la production artificielle, étant entendu depuis Leo Strauss dans sa critique de Carl Schmitt que lʼart, ontologiquement culturel, se manifeste toujours en fonction dʼune certaine nature. 

    Lʼabeille et lʼarchitecte 

    Par lʼactivité artistique, lʼhomme atteint un stade suprasensible et même supra-intelligible. Il sʼélève au-dessus de sa nature, rejoint la sphère métaphysique, car lʼordre de lʼimagination, lʼordre de lʼabstraction, se situe au-delà de la matrice existentielle, il projette lʼartiste vers lʼidéal, un idéal qui lʼémancipe, le rend pas seulement indépendant ou libre mais envahi par le bonheur. Cette projection suprasensorielle est décrite par Thomas dʼAquin dans Somme théologique (I, 15) : « Artifex intendit domum assimilare formae quae in mente concipit », que lʼon pourrait traduire de la manière suivante : lʼartiste procède dans la réalisation de son œuvre en ayant à lʼesprit lʼidée de la chose à réaliser.

    Marx dit quelque part que « ce qui distingue lʼarchitecte le plus malhabile de lʼabeille la plus adroite, cʼest que lʼarchitecte porte dʼabord la maison dans sa tête ». Il y a donc, chez lʼhomme, immersion dans un au-delà, assez proche au fond du monde des idées (ou essences) de Platon. Le projet qui nʼest au départ que réalité en filigrane provoque une vibration de lʼâme. Cela sʼexplique par la relation qui se noue alors entre le Créateur et sa créature. Lʼidée de lʼœuvre dʼart à produire, qui existe inchoativement dans lʼexemplaire divin, est prédéterminée par lʼopération cognitive de lʼartiste qui est amenée à la concevoir puis à la fabriquer. Le fil qui se crée, reliant (« religare ») le mortel à la transcendance, est cause de plaisir pour lʼartiste.

    Boileau.jpgLa volupté quʼil en retire nʼest pas la béatitude mais le bonheur, puisque la béatitude est un état propre à lʼau-delà céleste, ce que Nietzsche dénomme « arrière monde » et que le Fils a appelé Son royaume. Ce lien donne à lʼartiste un pouvoir démiurgique ; comme la référence de lʼesthétique classique, Boileau, le mit en évidence :

    « Il nʼest pas de serpent, ni de monstre odieux

    Qui par lʼart imité ne puisse plaire aux yeux »

    Il nʼy a pas dʼautre tâche à laquelle il nous faut sʼadonner sans relâche que lʼImago Dei, la réalisation du Soi, car elle est la voie du salut, si tant est que lʼon comprenne que lʼart est traversé par la lutte eschatologique.          

    Lʼaveu de Zarathoustra 

    Nous dirions, pour clore cette recension, que Nietzsche est un immense poète dont Granarolo est le grand exégète. Mais il nous semble indispensable dʼajouter que notre auteur se fourvoie par sa lecture littérale de Nietzsche, qui doit être avant tout considéré comme un poète, plutôt que comme un philosophe. Et que disait Nietzsche-Zarathoustra des poètes ? Quʼil faut se méfier des sentences quʼils prononcent, quʼil ne fait pas se laisser berner par leur génie... qui est signe avant dʼêtre sens. 

    En atteste ce chapitre dʼAinsi parlait Zarathoustra intitulé « Des poètes » :

    « Pourtant que te disait un jour Zarathoustra ? Que les poètes mentent trop. – Mais Zarathoustra lui aussi est un poète. […] Zarathoustra secoua la tête et se mit à sourire. ʽʽLa foi ne me sauve point, dit-il, la foi en moi-même moins que tout autre.

    Ferrat.jpgMais en admettant que quelquʼun dise sérieusement que les poètes mentent trop : il aurait raison, – nous mentons trop. Nous savons aussi trop peu de choses et nous apprenons trop mal : donc il faut que nous mentions. […] Hélas ! il y a tant de choses entre le ciel et la terre : car tous les dieux sont des symboles et des artifices du poète. »[1] Oui, contrairement à ce que chantait Jean Ferrat à propos dʼAragon, le poète nʼa pas toujours raison.    (Suite et fin  

    [1] Friedrich Nietzsche, Œuvres, Paris, Robert Laffont, 1993, pp. 382-3. 

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  • Nietzsche par temps bleu [7]

    Par Rémi Hugues

    images.jpgÀ l'occasion de la publication du dernier ouvrage du docteur ès Lettres et agrégé de philosophie Philippe Granarolo, intitulé En chemin avec NietzscheRémi Hugues nous propose une suite de huit articles « Nietzsche par temps bleu ». Il s'agit de tenter de nous faire découvrir ou redécouvrir l'essence de la pensée de l'auteur de Naissance de la tragédie.  Nous avons suivi ce chemin au fil des derniers jours. Il se clôturera demain lundi.. Bonne lecture !  LFAR    

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    La duperie des Lumières 

    Si donc Nietzsche ne peut pas être à proprement parler rangé dans la catégorie des philosophes modernistes, il a été néanmoins abusé par les mensonges des Lumières. À deux reprises – pages 78-9 et 182-3 – notre auteur, à partir des réflexions de Nietzsche, écrit : « Prisonnier dʼun espace ethnique et dʼune chronologie mythologique qui bornaient étroitement son regard, lʼhomme des sociétés traditionnelles, même sʼil bénéficiait grâce à ces frontières dʼune force et dʼune unité de style, ne pouvait quʼêtre un animal grégaire, et pouvait difficilement éviter de chercher en dehors ou au-dessus du monde sensible lʼéternité dont il avait soif. »

    Guénonlerègnedelaquantité.jpgRené Guénon contestait cette vision des choses chère aux modernes dans Le Règne de la Quantité. Il y affirme en effet : « alors quʼon vente la rapidité et la facilité croissantes des communications entre les pays les plus éloignés, grâce aux inventions de lʼindustrie moderne, on apporte en même temps tous les obstacles possibles à la liberté de ces communications, si bien quʼil est souvent pratiquement impossible de passer dʼun pays à lʼautre, et quʼen tout cas cela est devenu beaucoup plus difficile quʼau temps où il nʼexistait aucun moyen mécanique de transport. »[1] Les élites sacerdotales, les dynasties princières et certains ordres de compagnonnage étaient, si lʼon nous permet ce terme hypermoderne, « multiculturels ». 

    Jaurès.jpgLa modernité, en dépit de lʼeffort quʼelle poursuit pour obtenir lʼunité par la force des opinions et des faits, tend au morcellement, à la diversité, comme le fit observer Charles Maurras dans son éditorial de LʼAction Française du 2 août 1914 : « Lʼhistoire mieux interrogée aurait dû prévenir M. Jaurès (Photo) et les socialistes qui le subissaient tous quʼils tournaient le dos à leur siècle. Lʼévolution, comme ils disent, ne va pas à lʼunité, mais bien à la diversité. […] Cette diversification  croissante emporte des risques de guerre croissants. »            

    Le scepticisme chrétien, de Maurras à Granarolo 

    Il y a entre ce dernier et Granarolo, outre leurs liens très forts avec le sud de la France, un point commun : une absence de foi teintée de catholicité, un agnosticisme méthodologique qui se laisse imprégner par un attachement à la culture primordiale, celle de leur milieu dʼorigine.

    En atteste le point suivant : après avoir distingué deux christianismes, celui de la faute et celui de lʼenfant, notre auteur reconnaît quʼil se sent lié à ce second christianisme. Son athéisme nietzschéen ne lʼempêche pas dʼexprimer une forme dʼadhésion à un certain christianisme. Celui de Jeanne dʼArc plutôt que celui des clercs qui ont approuvé la mise à mort de la « Pucelle ».

    Balzac.pngCette dichotomie renvoie à celle dʼHonoré de Balzac, qui dit : « Politiquement, je suis de la religion catholique, je suis du côté de Bossuet et je ne dévierai jamais. Devant Dieu, je suis de la religion de saint Jean, de lʼÉglise mystique, la seule qui ait conservé la vraie doctrine. »[2]

    Nous constatons ainsi quʼil y a chez notre auteur une tension entre une rationalité cartésienne imposée par lʼaxiome « le surnaturel ne relève pas du pensable », et une inclination à aborder des thèmes typiquement religieux, comme lʼapocalypse, ou à avoir recours à des connotations au contenu implicitement religieux.

    Le cas le plus emblématique est celui où lʼanthropologie héritée de Darwin, qui assimile lʼhomme à cette masse dʼatomes que sont les végétaux et les animaux, est dʼun coup jetée aux orties, sans ménagement aucun : commentant le livre IV de Physique dʼAristote, Granarolo admet quʼ « il ne peut y avoir du temps sans lʼâme » et surtout que « lʼhomme possède en lui une part dʼéternité » (p. 122). Mais plutôt que de voir en ceci lʼeffet de lʼexistence de Dieu, il en fait la cause du malheur de lʼhumanité – de sa conscience malheureuse pour reprendre Hegel – lorsquʼil affirme que « cette part est la cause de notre détresse. » (p. 222)

    ThomasdAquin.jpgCe pessimisme fondamental de lʼauteur, qui considère page 223 la puissance de lʼhomme comme une pure négativité, devrait être tempéré par la thèse du maître de la scolastique saint Thomas dʼAquin selon laquelle lʼhomme, sʼil transforme cette puissance en faculté créatrice, peut atteindre le bonheur. Lʼart est pour lʼhomme le moyen du bonheur dans lʼici-bas, dans la mesure où il sʼinscrit dans une démarche appelée Imago Dei – imitation du Créateur –, lequel est lʼartiste par excellence, en tant que créateur de toute la beauté du monde. 

    Art et bonheur 

    Lʼart est une vertu opérative qui consiste en la production du Beau, entendu comme le modèle dʼun ordre reconquis. Lʼordre, explique Thomas dʼAquin dans Commentaire aux Noms divins, est avec la proportion qualité de la beauté du cosmos.

    Le Cosmos a, lʼon dit, pour créateur le divin ouvrier, Dieu ; il est donc ouvrage du Créateur, monumentale symphonie de la beauté, laquelle est une propriété transcendantale de lʼÊtre. 

    Il nʼest aucunement à cet égard incohérent de définir Dieu à la fois comme unité au-delà de lʼêtre, suivant les enseignements de Plotin, et comme cause exemplaire et plénitude de lʼêtre, à la suite de Thomas dʼAquin. Dans les deux cas, en raison de lʼidentité du vrai, du beau et du bien, Dieu est forcément supersubstantiale pulchrum, ou « Beau suprasubstantiel », ce qui signifie quʼil est primordialement, on lʼa vu, créateur de beauté dans le monde.  (À suivre  

    [1]  Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, Paris, Gallimard, 1945, p. 143.

    [2]  Cité par Paul Le Cour, LʼÉvangile ésotérique de saint Jean, Paris, Dervy, 2002, p. 161. À ce propos, il y a un travail dʼanalyse littéraire à mener : le choix de Guy de Maupassant de donner aux deux frères rivaux de son roman Pierre et Jean le nom des deux Églises distinguées par le chef de la littérature française de son époque résulte-t-il de lʼinfluence de ce dernier et de la connaissance de sa dichotomie ?

    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...

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  • Nietzsche par temps bleu [4]

    Par Rémi Hugues

    images.jpgÀ l'occasion de la publication du dernier ouvrage du docteur ès Lettres et agrégé de philosophie Philippe Granarolo, intitulé En chemin avec NietzscheRémi Hugues nous propose une suite de huit articles « Nietzsche par temps bleu ». Il s'agit de tenter de nous faire découvrir ou redécouvrir l'essence de la pensée de l'auteur de Naissance de la tragédie.  Nous suivrons ce chemin au fil des prochains jours. Bonne lecture !  LFAR    

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    Nietzsche poète-philosophe protestant 

    Ne peut-on pas considérer au fond Nietzsche comme un poète-philosophe protestant, très marqué par les textes vétérotestamentaires, et qui voit dans lʼÉglise de Rome une institution corrompue par le mal ?

    51iO7kpwSIL._SX210_.jpgEn témoigne son livre LʼAntéchrist. Lequel manque cruellement dans la partie consacrée par notre auteur au thème de lʼapocalypse, dʼoù est née la figure de lʼantéchrist. Seul un passage de lʼavant-propos est reproduit (p. 147), mais aucune mise en perspective nʼest faite entre ce volume de Nietzsche et le célébrissime texte johannique. 

    Un poète imprégné de protestantisme 

    Sʼil était indéniablement un anti-catholique rabique, il nʼest pas pour autant évident quʼil y ait chez Nietzsche « un véritable athéisme axiologique » (p. 68), comme lʼaffirme Granarolo. Peut-être plaque-t-il chez son maître à penser son propre athéisme, puisque dire que Dieu est mort présuppose quʼil a existé.

    À cet égard on peut comprendre la thèse présente dans le Gai Savoir et Ainsi parlait Zarathoustra de la « mort de Dieu » comme un constat dʼordre sociologique, qui ne réjouit ni nʼexcède Nietzsche, sa réaction face au phénomène de sécularisation étant « tantôt celle de lʼangoisse, tantôt celle de lʼespoir » (p. 68). 

    unnamed.jpgPuisque « Hegel et Feuerbach (Photo) ont contribué à lʼavènement de la pensée nietzschéenne » (p. 238), celle-ci est assimilable au protestantisme, qui est dʼessence adogmatique car prescrivant le libre-examen.

    Et si Dieu a progressivement disparu des sociétés protestantes, qui sont fortement sécularisées aujourd’hui, nʼest-ce pas le résultat dʼun croyance Extrait_Altona_1785_v3.jpgkabbalistique reprise par le rosicrucisme, lequel pava la voie au luthérianisme, en un retrait de Dieu, ou tsimtsoum ?

    Nietzsche, de notre point de vue, a su de manière remarquable exprimer la signification de la modernité. Il nʼa pas manqué de signaler quʼil avait aperçu « lʼapparition dʼune civilisation factice dissimulant derrière la frénésie de ses actions et de ses progrès scientifiques et techniques, derrière le bonheur matériel offert à la plupart de ses membres, un nihilisme profond sʼétendant peu à peu à lʼensemble de la société. » (pp. 180-1). 

    Toutefois, il a omis le fameux adage selon lequel la nature a horreur du vide. Il a buté sur le sens précis du mot civilisation, pensant à tort que la disparition était consubstantielle à la mort du dogme. Alors que « la civilisation qui se met en place sous ses yeux » (p. 181) est à lʼimage de celle quʼelle remplace, fondée sur un dogme. Elle est un système social et historique semblable aux religions cimentant les sociétés traditionnelles, « qui toutes sʼenracinent dans un texte sacré inaugural et immodifiable » (p. 126).

    Ledit écrit que Granarolo mentionne sans le mettre en questions au sujet de la « biurgie », à la page 113, est « notre Déclaration des droits de lʼhomme » à laquelle il suggère dʼajouter un droit nouveau, celui de ne pas subir des manipulations génétiques. 

    Les droits de lʼhomme négligés 

    la-promesses-de-la-fayette.jpgLa Déclaration des droits de lʼhomme, véritable impensé de la vision du monde post- nietszchéenne de notre auteur, est lʼÉvangile de la modernité, le Décalogue de lʼâge de la mort de Dieu. En ayant recours aux termes « cloître laïc », il montre quʼil nʼa pas pris la mesure de lʼimportance de cette notion de laïcité. Il utilise cet adjectif sans se douter de son absence de neutralité. La laïcité nʼest pas neutre, nʼest pas absence de la religion, mais elle la religion des droits de lʼhomme, comme lʼa reconnu Vincent Peillon dans son ouvrage La Révolution française nʼest pas terminée[1].

    Et cʼest la seule objection que lʼon pourrait faire à Granarolo, qui au demeurant a signé un livre de très haut niveau. Il nʼa pas respecté lʼinjonction nietzschéenne suivante : « Il faut donner à lʼhomme le courage dʼun nouveau grand mépris, par exemple à lʼégard des riches, des fonctionnaires, etc. » (p. 64) En devenant agent de la fonction publique, il a choisi la voie de la soumission à lʼordre philosophique établi, en dépit de lʼavertissement lancé par son maître. Se méprise-t-il lui-même pour avoir sciemment repris dans son livre ces lignes publiées à titre posthume ?

    En les mentionnant ne suggère-t-il pas à son lecteur quʼil a vidé le nietzschéisme de sa substance radicale en contrepartie de sa participation récompensée par des avantages matériels et symboliques à lʼentreprise idéologique de lʼÉtat républicain ?  (À suivre  

    [1] https://www.youtube.com/watch?v=4xluF5WOOJw 

    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
    (Cliquer sur l'image)

    Couverture_livreM68.png

  • Samedi et dimanche, Salon de la BD historique à Senlis... :

            Entre autre invités : Hugues Capet....

            http://www.senlisbd.com/

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  • Autour de nos amis, les Bertran de Balanda, ce dimanche, à Aix-en-Provence...

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    bouquet.jpgComme je vous l'avais annoncé, je me suis rendu avec Bayard à la cathédrale Saint Sauveur d'Aix, hier, dimanche 7 mars, pour assister à la Messe, dite en particulier en mémoire de Guy, d'Hubert (son beau-frère, mari de Bénédicte), et de Madame de Balanda.

    J'ai redit à tous les membres de la famille présents notre amitié et notre affection à tous : à Renaud, l'un des deux fils de Guy, à Hugues, son frère, à Bénédicte, sa soeur (et épouse d'Hubert de Lapeyrouse) ainsi qu'à Florence - son autre soeur - et à son mari.

    Je leur ai transmis également le salut et l'affection d'Annie Laurent (que la famille de Balanda connaît bien...) : je l'ai rencontrée samedi après-midi, et elle serait très volontiers "monté" avec moi si elle n'avait eu un rendez-vous ecclésial de longue date ce dimanche...

    Enfin le salut fraternel et militant de notre camarade, collaborateur et rédacteur Jean-Baptiste Colvert, qui apporta tout son concours et toute son aide à Guy quand il décida d'écrire l'histoire de sa famille...

    François Davin, Blogmestre

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  • Le Bien Commun n°28 d'Avril 2021 disponible.

    https://lebiencommun.net/kiosque/

    Nouveau numéro - le 28ème ! - et relance de la Page Facebook ! Au sommaire :

    • 4 Actualités françaises
    Entretien avec Guillaume Bernard : L'État de droit
    • 6 Un autre regard sur le dernier Alain de Benoist
    • 7 L'État et l'ingérence sociale
    • 8 Pour la chapelle Saint-Joseph de Lille
    • 10 Par-delà la commémoration
    • 11 La chronique de Stéphane Blanchonnet
    • 12 Politique étrangère
    Si les lumières s'éteignaient ?
    • 14 Philosophie
    La chronique de Rémi Soulié
    • 15 Entretien avec Rémi Soulié : L’image la plus éclatante de l’autorité est à mes yeux celle d’une Vierge à l’Enfant
    • 19 Entretien avec François Lefèvre
    • 21 À la recherche de l’enfance perdue
    • 22 Économie et Société
    La République part à vau-l'eau
    • 23 Dossier
    Sartre, titre titre titre titre
    • 24 Perles de Jean-Paul Sartre
    • 26 Sartre ou l'impossible morale
    • 29 Sartre est-il un possédé ?
    • 30 « Faux résistant et vrai porteur de valise, le justificateur de l'assassinat de ses compatriotes »
    • 32 Je préfère avoir tort avec Jean-Paul Sartre que raison avec Raymond Aron
    • 34 Histoire
    La réforme Maupeou
    • 40 Pour le Roi
    La chronique à vif de Diane de Rorruan
    • 41 Dans les poches du Camelot
    • 42 Idées politiques
    Lire le livre de Jonas : une invitation à relire le paradoxe du chemin de foi
    • 44 Littérature
    Michel Bernanos, entre errance et espérance
    • 45 Culture
    Le camelot aime le vin, chronique d'Antoine Lefort
    • Courrier des lecteurs
    • 46 318 noms « qui conjuguent la diversité de notre histoire »…
    • ABONNEZ-VOUS : https://lebiencommun.net
  • Éphéméride du 24 octobre

    Les Capétiens partout (Œuvre de Georges Mathieu)

     

     

    996 : Mort d'Hugues Capet 

     

    Élu Roi en 987, il n'aura pas régné bien longtemps ! 

    Et pourtant Jacques Bainville - qui écrit, avec raison "...les premiers règnes furent sans éclat..." - affirme que l'année 987, qui l'a vu accéder au trône, est néanmoins la date la plus importante de notre Histoire.

    Ci dessous, en orangé, on voit ce qu'était réellement ce qui allait devenir "la France" à l'avènement d'Hugues Capet : bien peu de chose !

     

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    De Jacques Bainville, Histoire de France, chapitre V : La révolution de 987 et l'avènement des Capétiens :

     

    "Le bon sens des Capétiens, qui devait être, à de rares exceptions près, la qualité dominante de leur race, ne serait pas moins utile à cette œuvre de longue haleine. Rendre service : c'était la devise de la maison depuis Robert le Fort. Avancer pas à pas, prudemment, consolider chaque progrès, compter les deniers, se garder des ambitions excessives, des entreprises chimériques, ce fut son autre trait, avec un sentiment d'honorabilité bourgeoise plus que princière et le goût de l'administration. La France sensée, équilibrée, se reconnut dans cette famille qui aimait son métier et qui avait le don de s'instruire par l'expérience.

    Il semble que les Capétiens aient eu devant les yeux les fautes de leurs prédécesseurs pour ne pas les recommencer. Les descendants de Charlemagne, de Charles le Chauve à Lothaire, s'étaient épuisés à reconstituer l'Empire. Ce fut également la manie des empereurs germaniques. Les Capétiens étaient des réalistes. Ils se rendaient un compte exact de leurs forces. Ils se gardèrent à leurs débuts d'inquiéter personne.

    La race de Hugues Capet, après avoir mis trois générations à prendre la couronne, régnera pendant huit siècles. L'avenir de la France est assuré par l'avènement de la monarchie nationale. À cette date de 987, véritablement la plus importante de notre histoire, il y a déjà plus de mille ans que César a conquis la Gaule. Entre la conquête romaine et la fondation de la monarchie française, il s'est écoulé plus de temps, il s'est passé peut-être plus d'événements que de 987 à nos jours. Au cours de ces mille années, nous avons vu que la France a failli plusieurs fois disparaître. Comme il s'en est fallu de peu que nous ne fussions pas Français !"   

     

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     Hugues Capet avait été élu Roi par les Grands du royaume lors d'une séance mouvementée à Senlis, le 1er juin (voir l'Éphéméride du 1er juin)...
     
     
     
     
     
     
     

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    1260 : Clôture de la semaine de fêtes pour la consécration de la Cathédrale Notre-Dame de Chartres, en présence du Roi Saint Louis

     

     

    Fulbert de Chartres avait déjà reconstruit le premier ensemble épiscopal de Chartres, ravagé par le feu (voir l'Éphéméride du 10 avril).

    Mais cette reconstruction - en style roman - fut, à son tour, détruite par un nouvel incendie en 1194 (voir l'Éphéméride du 10 juin).

    La cathédrale fut de nouveau rebâtie, et le roi Louis IX (le futur Saint Louis) organisa une semaine complète de fêtes, afin de célébrer dignement l'évènement (voir l'Éphéméride du 17 octobre)...

     

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    1599 : Henri IV répudie la reine Margot, qui n'a pas donné d'héritier au trône

     

    Il épousera Marie de Médicis, qui lui donnera six enfants - dont le futur Louis XIII - mais qui, après de multiples intrigues et une vie aux actions fort contrastées mourra seule, en exil, loin de son fils : voir l'Éphéméride du 3 juillet....

     

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     De Michel Mourre :
     
    "...Fille d'Henri II et de Catherine de Médicis, elle avait déjà donné des signes de sa nymphomanie lorsqu'elle fut mariée pour des raisons politiques à Henri de Navarre (futur Henri IV), le 18 Août 1572. Ce mariage, préparé pour réconcilier catholiques et protestants, souleva au contraire la fureur des catholiques parisiens, et fut une des causes de la Saint-Barthélemy (25 août). Les deux époux, qui n'avaient aucune inclination l'un pour l'autre, ne tardèrent pas à se séparer et à courir chacun de leur côté après les aventures galantes... En 1599, Henri, devenu roi de France, obtint de Clément VIII l'annulation de son mariage..." (Dictionnaire Encyclopédique d'Histoire, page 2842)
     
     
     
     

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    1648 : Signature des Traités de Westphalie 

     

    Pour Jacques Bainville, ils sont, tout simplement, "le chef d'oeuvre politique du XVIIème siècle".

    L'Empire (concrètement, ce que l'on appelle aujourd'hui l'Allemagne) était divisé en plus de 350 États (la Croix des géographes...); la France obtenait définitivement les Trois Évêchés (Metz, Toul et Verdun) en même temps qu'elle se voyait durablement libérée, au nord-est, de tout danger immédiat.

    Ces Traités vont assurer pour plus d'un siècle la prépondérance française en Europe.

    Ci dessous, Traité de paix dit traité de Westphalie, entre Louis XIV, roi de France, et l'empereur et les princes allemands. Page de signatures. Münster, 24 octobre 1648.

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    De Jacques Bainville, Histoire de France, chapitre XI, Louis XIII et Richelieu : la lutte nationale contre la maison d'Autriche :
     
    "La paix de Westphalie fut signée en octobre 1648.

    Cette paix, qui devait rester pendant un siècle et demi la charte de l'Europe, couronnait la politique de Richelieu. C'était le triomphe de la méthode qui consistait à achever la France en lui assurant la possession paisible de ses nouvelles acquisitions. Il ne suffisait pas d'ajouter l'Alsace au royaume. Il fallait encore que cette province ne fût pas reprise au premier jour par les Allemands. Il ne suffisait pas d'humilier la maison d'Autriche, de lui imposer une paix avantageuse pour nous. Il fallait encore, pour que cette paix fût respectée, pour que le résultat d'une lutte longue de plus d'un siècle ne fût pas remis en question, que l'Empire fût affaibli d'une façon durable et qu'il ne pût se réunir "en un seul corps".

    Au traité de Westphalie, la politique qui avait toujours été celle de la monarchie française, celle des "libertés germaniques", reçut sa consécration. Notre victoire fut celle du particularisme allemand. La défaite de l'Empereur fut celle de l'unité alle

  • La dizaine de magistro...

    Pour donner du sens à la vie politique :  http://www.magistro.fr/

    Présentation de Magistro par François Georges Dreyfus.pdf

    Dr Strauss et Mr. Kahn Eric ZEMMOUR Journaliste, écrivain

     Rigueur : en finir avec la peur des mots Ivan RIOUFOL Journaliste

     Assez d'illusions sur l'Islam Rémi BRAGUE Membre de l'Institut 

     Nannerl, la sœur de Mozart Marie-Noëlle TRANCHANT Journaliste culturelle

    Qu'attend la France pour proclamer la rigueur ? Ivan RIOUFOL Journaliste

     Une passion funeste : l'antisionisme Raphaël DRAÏ Professeur de sciences politiques

    Décervelage Denis TILLINAC écrivain, chroniqueur

    DSK, campagne de printemps Eric ZEMMOUR Journaliste, écrivain

    Étrangers, immigrants, ... Gérard-François DUMONT

    Pourquoi il faut secouer l'Europe angélique Ivan RIOUFOL Journaliste

    Turquie Tancrède JOSSERAN Professeur d'histoire 

    Les migrations internationales Gérard-François DUMONT Recteur, professeur de géographie

    La fin justifie-t-elle les moyens ... ? Gérard-François DUMONT Recteur, professeur de géographie

  • Sur TV Libertés, explosions survenues à Beyrouth : récit de la tragédie.

    Présent lors des explosions survenues à Beyrouth, Jean-Rémi Méneau, chef de mission de l’association SOS Chrétiens dans la capitale libanaise raconte comment a été vécue cette tragédie.