(Ce texte d'Yvan Blot est paru dans La Nouvelle Revue Universelle, n° 10 – décembre 2007
"Retotale" : le jeu de mot, en tant que jeu de mot, est très réussi; il serait presque amusant, car vraiment spirituel, s'il ne s'agissait d'une réalité épouvantable, que la Terreur et le génocide vendéen sont, très vite, venus illustrer. Puis, plus tard, leurs héritiers et descendants du vingtième siècle, sous les différentes formes de marxisme-léninisme, de Staline, à Mao, Pol Pot etc....
Dans cette ample réflexion qu'il mène sur la Révolution française, Yvan Blot va bien à l'essentiel, au coeur du problème, lorsqu'il cite et rappelle cette expression, employée par un Sieyès lui-même en proie aux doutes et inquiet - sinon horrifié... - de la tournure que prenaient les évènements.
De même, Gracchus Babeuf, pourtant adepte d'une théorie que l'on peut qualifier de pré-communiste, sera lui aussi épouvanté par ce qu'il voyait en Vendée : c'est lui, d'ailleurs, qui forgera le mot de populicide.
"Il s'est produit des évènements que nous n'avions pas prévu..." dira benoîtement, pour sa part, Saint Just...
Mais le fait est là, et c'est ce que montre bien ici Yvan Blot, s'appuyant, entre autres sur Robert Furet : dès les origines, dans ses germes eux-mêmes, la Révolution de 1789, triomphante en 1793, portait en elle-même le Totalitarisme : l'expression de république totale, la "rétotale", dont parle Sieyès, le dit bien...
De par son idéologie, la République qui en est issue n'est donc pas une République à proprement parler, une Res Publica, comme elle l'est en Suisse, en Allemagne... mais une République idéologique; ce qui est, bien sûr tout autre chose, et radicalement différent.
De même, la démocratie dont elle se réclame n'est-elle pas non plus une démocratie au sens habituel et étymologique du terme, mais, là aussi, une démocratie idéologique; ce qui est, là aussi, tout à fait autre chose, et radicalement différent.
C'est le mérite de cette étude d'Yvan Blot que de le démontrer clairement, dans un texte concis et ramassé, donc très accessible, qui devrait ouvrir les yeux de celles et ceux qui se sont laissés abuser par les mots, et les ramener aux réalités, dépassant ainsi les mensonges et les faux mythes....
La conclusion d'Yvan Blot s'impose d'elle-même, elle est claire et limpide : La Suisse ou les États-Unis disposent d'une véritable République, d'une véritable Démocratie pour deux raisons : d'abord, parce qu'elles ne les considèrent que comme un mode de gouvernement parmi d'autres possibles; que comme un type de gestion des choses et des gens, parmi d'autres types possible. Ensuite, et surtout, parce que, dans ces deux pays, de très fortes Traditions nationales, historiques, religieuses sont vécues par les populations.
La République française est d'une nature toute autre, puisqu'elle s'est, au contraire, construite sur le rejet, la négation, la lutte constante contre toutes les Traditions constitutives de la France. Parler d' "An I de la République" est très révélateur ! La République se veut la nouvelle religion, qui doit éradiquer l'ancienne et la remplacer, car elle porte en elle-même le tout (c'est pour cela qu'elle se croit, d'ailleurs, "exportable", et de là vient son messianisme...) : mais le mot "tout" est, précisément à la base du mot "totalitarisme"...
Alexandre Soljénitsyne, dans son Discours aux Lucs sur Boulogne, en 1993 devait déclarer :
"La Révolution française s'est déroulée au nom d'un slogan intrinsèquement contradictoire et irréalisable : liberté, égalité, fraternité. Mais dans la vie sociale, liberté et égalité tendent à s'exclure mutuellement, sont antagoniques l'une de l'autre! La liberté détruit l'égalité sociale - c'est même là un des rôles de la liberté -, tandis que l'égalité restreint la liberté, car, autrement, on ne saurait y atteindre. Quant à la fraternité, elle n'est pas de leur famille. Ce n'est qu'un aventureux ajout au slogan et ce ne sont pas des dispositions sociales qui peuvent faire la véritable fraternité. Elle est d'ordre spirituel. Au surplus, à ce slogan ternaire, on ajoutait sur le ton de la menace : « ou la mort», ce qui en détruisait toute la signification"
La Révolution française n'a pas créé la démocratie. L'a précédée la "révolution américaine" qui est moins une révolution qu'une guerre d'indépendance, et a instauré une démocratie sans recourir au bouleversement idéologique.
Et que dire de la Suisse !
Qu'est-ce alors que la Révolution française ? D'abord une Révolution idéologique de caractère anti-chrétien. Sa dimension religieuse lui a donné son pouvoir de fascination et son influence.
Nous le montrerons en trois points :
1. Une révolution largement anti-chrétienne ;
2. Le génocide vendéen ;
3. Le culte de l'État issu de la Révolution ;
Et conclurons par une observation sur le rapport ontologique révolution /démocratie.
I : UNE RÉVOLUTION LARGEMENT ANTI-CHRÉTIENNE
Selon François Furet, "la Révolution française est devenue la mère d'un événement réel" qui "a un nom : octobre 1917 et, plus généralement, Révolution russe". Dès 1920, Mathiez souligne la parenté entre les gouvernements montagnard (juin 93-juillet 94) et bolchévique - deux dictatures nées de la guerre civile et de la guerre étrangère, deux dictatures de classe opérant par la terreur, la réquisition, les taxes et se proposant, en dernier ressort, la transformation de l'humanité.
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L'abbé Emmanuel-Joseph Sieyès, 3 mai 1748/20 juin 1836.
La Liberté ? "Les députés savent désormais qu'un pouvoir plus oppressif que l'ancienne monarchie absolue peut régner en son nom." (Furet) Sieyès dit qu'il faut se méfier des idées de "Rétotale" (sic) qui remplacent la République !
Dès le début, la Révolution française se veut "rupture totale avec le passé réel rejeté dans les ténèbres de la barbarie". Sieyès notamment parle d' "Ancien régime" dès l'été 1789. La monarchie "absolue" dispose que le souverain ne rend compte qu'à Dieu. Du coup, note Furet, "il a l'obligation de se conduire en souverain chrétien. De plus, il y a comme en Angleterre un corps de principes coutumiers : la foi catholique du souverain, le respect de la liberté et de la propriété des sujets, l'inaliénabilité du domaine royal. Au-dessus des lois mais soumis à des lois, le roi de France n'est pas un tyran. La monarchie française, état de droit, ne doit pas être confondue avec le despotisme, pouvoir sans frein d'un maître". La base de l'Ancien Régime est la religion, c'est elle qu'il faut abattre. Il y a dans la philosophie française des Lumières un élan anticlérical et anti-catholique sans équivalent dans la pensée européenne. Hume, athée, vit en paix avec les religions; Voltaire, déiste, fait la guerre à l'Église catholique. Mais le vrai moteur de la Révolution est ailleurs, dans la revendication égalitaire.
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Le 14 juillet 1789, on promène des têtes au bout des piques. François Furet l'affirme: dès cet épisode, la Terreur est en gestation, "la culture politique qui peut conduire à la Terreur est présente dans la révolution française dès l'été 1789", et la prise de la Bastille inaugure "le spectacle de sang, qui va être inséparable de tous les grands épisodes révolutionnaires".
Le penseur majeur en est Sieyès, prêtre aigri. Son pamphlet, de 1788, l'Essai sur les Privilèges donne le "la" de ce qui, dès 1789, sera le ressort révolutionnaire, la haine de l'aristocratie. Sieyès attaque les privilèges au nom de la raison, de la science, fonde une société d'individus libres, la "nation". Dans Qu'est ce que le Tiers-État ? il livre "le grand secret de la Révolution, ce qui va constituer son ressort le plus profond, la haine de la noblesse". Moins penseur qu'homme de ressentiment, "en vidant la querelle de sa vie avec les gens bien nés, il a touché la passion la plus forte de l'opinion qui se retrouve en lui". Le fruit était mûr. Selon Furet, "entre mai et août 1789, tout l’Ancien Régime s'est effondrée... Les Français ont fait du rejet de leur passé national le principe de la Révolution. Une idée philosophique s'est incarnée dans l'histoire d'un peuple".
La violence éclate dès le 14 juillet. Nul n'ignore la capitulation de la Bastille devant les canons pris aux Invalides, le gouverneur Launay, puis le prévôt des Marchands Flesselles assassinés, les premières têtes coupées fixées à des piques... Cette violence, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, votée le 26 août par l'Assemblée constituante, ne l'enraye pas. Mounier s'en inquiète et demande une déclaration compensatrice des "devoirs du citoyen" ; il craint l'anarchie. Si la déclaration américaine de 1776 est présente à tous les esprits, beaucoup mesurent l'abîme qui sépare la situation du vieux Royaume de celle des ex-colonies britanniques peuplées de petits propriétaires aux traditions responsables. La Déclaration de 1789, comme la déclaration américaine, énonce des droits naturels. Or, si, dans le précédent américain, ces droits (pour la plupart issus de la tradition de la Common Law anglaise) sont perçus comme précédant la société et en harmonie avec son développement, dans la France de 1789 l'accent est mis sur le "volontarisme politique" : la loi produite par la "raison souveraine" est placée en suprême garantie des lois. La porte est ouverte au constructivisme et à l'étatisme.
![françois furet.jpg](http://lafautearousseau.hautetfort.com/media/00/01/441161655.jpg)
François Furet : "Au-dessus des lois mais soumis à des lois, le roi de France n'est pas un tyran. La monarchie française, état de droit, ne doit pas être confondue avec le despotisme, pouvoir sans frein d'un maître..."
S'ajoute, dès 1789, la rupture entre le nouveau régime et la religion traditionnelle. En dépit des Lumières et même si la démocratie naissante substitue "les droits de l'homme" au monde selon l'ordre divin, la rupture n'est pas délibérée. Si la religion est atteinte par la liquidation de l'Ancien régime, la révolution initialement n'a pas l'intention de substituer une nouvelle religion à l'ancienne. Mais "en déracinant l'Église catholique de la société" - le mot est de Furet -, en la privant sans indemnité de ses biens, la révolution a brutalement séparé démocratie française et tradition catholique. La mesure en scandalise plus d'un. Les choses ensuite vont vite. En février 1790, quatre mois après la mise à la disposition de la Nation des biens du clergé (pour rembourser l'abyssale dette nationale), l'évêque de Nancy veut faire reconnaître le catholicisme comme religion nationale : motion écartée, quand l'Assemblée adopte la constitution civile du clergé contestée par la majorité des ecclésiastiques. En avril 1791, Louis XVI est empêché de quitter Paris pour aller recevoir à Saint-Cloud la communion d'un prêtre de son choix. Philosophie de la liberté ? Furet : "Les hommes de la Révolution ont pensé la nation à partir de l'expulsion de l'aristocratie, étrangère à la communauté. Le conflit armé va superposer ennemi intérieur et ennemi extérieur. La philosophie des Lumières cosmopolite n'avait conquis qu'un public restreint.... Sous sa forme la plus démocratique, elle pénètre les masses populaires par un canal imprévu, le sentiment national". Par la synthèse d'un messianisme d'idées et de la passion nationale, la Révolution intègre les masses à l'État. La guerre voulue et déclarée par l'Assemblée au "roi de Bohême et de Hongrie", le 20 avril 1792, va démocratiser la gloire ! Le 10 août, le roi Louis est arrêté. Le 21 septembre, la Convention, élue au suffrage universel (seuls les militants révolutionnaires osent voter), proclame la République. Le pouvoir y sera toujours aux mains de minorités.
II : À LA CONVENTION, UN DÉCRET RAPPORTÉ PAR BARÈRE
ORDONNE LE GÉNOCIDE VENDÉEN...
L’affaire de Vendée souligne la passion religieuse de la Révolution. Le ressort insurrectionnel y est religieux : les nobles ne paraissent qu'en acteurs tardifs; si le roi est invoqué, il est induit de l'appel à Dieu, à la tradition catholique. L'été 1793, la dictature du Comité de Salut Public est instaurée. Terreur et vertu sont à l'ordre du jour. Le gouvernement, par obsession idéologique, règne en faisant planer la peine de mort sur ses serviteurs comme sur tout citoyen. Le 1er août 1793, à la Convention, un décret rapporté par Barère ordonne de détruire la Vendée. Il sera appliqué à partir de janvier 1794.
La guerre civile devient terreur organisée depuis Paris dans l'intention de détruire, outre les rebelles, population, fermes, cultures et autres "berceaux de brigands". La guillotine ne suffit plus; dès décembre 1793, Carrier a recouru aux noyades collectives. Les troupes républicaines, divisées en "colonnes infernales", ont mission de brûler sur leur chemin toute habitation et d'exterminer les populations. L'opération dure jusqu'en mai 1794. Barère déclare à la Convention : "Le Comité, d'après votre autorisation, a préparé des mesures qui tendent à exterminer cette race rebelle. L'humanité ne se plaindra pas, c'est faire son bien que d'extirper le mal" ; et Turreau, commandant en chef de l'Armée de l'Ouest: "Je vous donne l'ordre de livrer aux flammes tout ce qui est susceptible d'être brûlé et de passer au fil de l'épée tout ce que vous rencontrerez d'habitants".
Un camp d'extermination est créé à Noirmoutier, un atelier de tannage de peau humaine à Pont-de-Cé. Pierre Chaunu a observé "Si nous n'avons jamais eu d'ordre écrit de Hitler concernant le génocide juif, nous possédons ceux de Barère et de Carnot relatifs à la Vendée". Un article L 211 -1 de notre Code pénal le stipule : "Constitue un génocide le fait en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction partielle ou totale d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux..., de commettre l'un des actes suivants : atteinte à l'intégrité physique ou psychique, etc..." Il y a eu un génocide vendéen.
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Le 14 août 1793, dans son Rapport à la commission extraordinaire, Saint Just écrit : "...on tanne à Meudon la peau humaine. La peau qui provient d'hommes est d'une consistance et d'une bonté supérieure à celle des chamois. Celle des sujets féminins est plus souple, mais elle présente moins de solidité..."
Gustave Thibon aimait à rappeler ce mot de Frédéric II à Voltaire :
"Nous avons connu, mon cher Voltaire, le fanatisme de la Religion; un jour, peut-être, connaîtrons-nous celui de la Raison, et ce sera bien pire..."
La terreur n'est pas liée à la situation militaire qui s'est redressée, ni aux pressions populaires. Selon Furet, "la Révolution française ne pense les résistances réelles ou imaginaires qui lui sont opposées que sous l'angle d'un gigantesque et permanent complot qu'elle doit briser sans cesse". C'est pourquoi "la Terreur est ce régime où les hommes au pouvoir désignent les exclus pour épurer le corps de la nation. Les paysans vendéens ont eu leur tour, Danton attend le sien".
Ce constat ne signifie pas qu'il n'y a pas de différence entre 1789 et 1793, mais la culture politique qui conduit à la terreur existe dans la Révolution française dès l'été 1789. En même temps, la déchristianisation se déchaîne, anarchique. Voyez le journal d'Hébert, Le Père Duchesne, et des représentants en mission, comme Fouché à Nevers, mènent une campagne d'extirpation du culte catholique, saisi comme pratique liée à la malédiction de l'Ancien Régime. La Commune de Paris s'en mêle avec ses mascarades antireligieuses, la fermeture des églises. Un anticléricalisme populaire urbain trouve dans la Révolution un culte de substitution et la majorité de la Convention qui adopte le calendrier républicain est antireligieuse.
Au printemps 1794, la Terreur s'institutionnalise : le décret du 27 germinal (16 avril) centralise la justice à Paris; la loi du 22 prairial (10 juin) supprime l'instruction, fonde l'accusation sur la seule dénonciation, enlève à l'accusé l'assistance d'un avocat et autorise les juges à ne pas entendre de témoins. Robespierre soutient le texte. "Cette sévérité n'est redoutable que pour les conspirateurs, les ennemis de la Liberté !" La Liberté reste fondement idéologique, mais la répression s'emballe : 1.500 exécutions du 10 juin à la chute de Robespierre, le 9 Thermidor, fin juillet. Robespierre arrêté, guillotiné, on compte parmi les vainqueurs du jour, Carrier, Collot d'Herbois, Barère.
Les règlements de compte se succèdent au sommet de l'État impuissant, le personnel ne change pas. La Liberté ? "Les députés savent désormais qu'un pouvoir plus oppressif que l'ancienne monarchie absolue peut régner en son nom." (Furet) Sieyès dit qu'il faut se méfier des idées de "Rétotale" (sic) qui remplacent la République ! Bonaparte remettra de l'ordre, en 1799, déclarera devant le Conseil d'État: "Nous avons fini le roman de la révolution; il faut en commencer l'histoire, ne voir que ce qu'il y a de réel et de possible dans l'application des principes et non ce qu'il y a de spéculatif et d'hypothétique". Propriété, famille, ordre, religion.
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Pierre Chaunu : "Si nous n'avons jamais eu d'ordre écrit de Hitler concernant le génocide juif, nous possédons ceux de Barère et de Carnot relatifs à la Vendée".