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LAFAUTEAROUSSEAU - Page 1355

  • Olivier Rey : La politique n'existe plus. Elle s'est évaporée dans la « planétarisation » (2/2)

     

    Par Alexis Feertchak et Vincent Trémolet de Villers     

    Le philosophe et mathématicien Olivier Rey a accordé au FigaroVox [5 & 6.08] un grand entretien dont nous avons publié hier la première partieDans cette seconde partie, il expose comment le monde actuel connaît un processus de planétarisation, à dominante largement économique, où la politique se dissout. Nous n'ajouterons rien à ce déjà long entretien où beaucoup de choses essentielles sont dites. Il s'agit ici d'y réfléchir et, le cas échéant, d'en discuter tel ou tel élément, d'en débattre. Nous avons affaire ici, de toute évidence, à une critique de fond de la modernité ou postmodernité.  LFAR

                

    PAR20090314067.jpg

    Le langage commun dit « on n'arrête pas le progrès ». Est-ce vrai ?

    Ce que désigne ici le mot progrès est le développement technique. Dans un régime capitaliste et libéral, orienté vers le profit, l'appât du gain ne cesse de stimuler ce développement, qu'on appelle désormais « innovation ». Réciproquement, toute technique susceptible de rapporter de l'argent sera mise en œuvre.

    On pourrait penser que les comités d'éthique contrecarrent le mouvement. Tel n'est pas le cas. Jacques Testart (biologiste ayant permis la naissance du premier « bébé éprouvette » en France, en 1982, et devenu depuis « critique de science », ndlr) considère que « la fonction de l'éthique institutionnelle est d'habituer les gens aux développements technologiques pour les amener à désirer bientôt ce dont ils ont peur aujourd'hui ». Ces comités sont là pour persuader l'opinion que les « responsables » se soucient d'éthique, et ainsi désarmer ses préventions. Quand une nouvelle technique transgressive se présente, le comité s'y oppose mais, en contrepartie, avalise d'autres techniques un tout petit peu moins nouvelles ou un tout petit peu moins transgressives. Finalement, les comités d'éthique n'arrêtent pratiquement rien, ils se contentent de mettre un peu de viscosité dans les rouages. Ils ont un rôle de temporisation et d'acclimatation.

    Dans le domaine environnemental, il y a aujourd'hui une certaine prise de conscience. Pourquoi cette prise de conscience dans le domaine écologique n'est-elle pas étendue au domaine sociétal ?

    Le lien entre la destruction des milieux naturels et certaines actions humaines est flagrant, ou à tout le moins facile à établir. En ce qui concerne la vie sociale, beaucoup s'accorderont à penser que la situation se dégrade, mais les causes de cette dégradation sont multiples et les démêler les unes des autres est une entreprise ardue. Les initiatives « sociétales » jouent certainement un rôle, mais compliqué à évaluer, d'autant plus que leurs conséquences peuvent s'amplifier au fil des générations et, de ce fait, demander du temps pour se manifester pleinement. Dans ces conditions, il est difficile de prouver les effets néfastes d'une loi et, y parviendrait-on, difficile également de faire machine arrière alors que les mœurs ont changé.

    En matière d'environnement, la France a inscrit dans sa constitution un principe de précaution : lorsqu'un dommage, quoique incertain dans l'état des connaissances, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités doivent évaluer les risques et prendre des mesures pour prévenir ce dommage. Ce principe, sitôt adopté, a été détourné de son sens : on l'invoque à tort et à travers pour de simples mesures de prudence - ce qui permet de ne pas l'appliquer là où il devrait l'être. (On parle du principe de précaution pour recommander l'installation d'une alarme sur les piscines privées, mais on oublie son existence au moment de légiférer sur les pesticides ou les perturbateurs endocriniens qui dérèglent et stérilisent la nature.) L'expression « principe de précaution » mériterait de voir son usage restreint aux cas qui le méritent vraiment. En même temps, cet usage devrait être étendu aux mesures « sociétales », dont les effets sur le milieu humain peuvent être graves et irréversibles. La charge de la preuve doit incomber à ceux qui veulent le changement, non à ceux qui s'en inquiètent.

    On parle de plus en plus souvent du clivage entre le « peuple » et les « élites ». Qui est à l'origine des lois sociétales ? Est-ce la société dans son ensemble, le droit ne faisant que s'adapter, ou sont-ce au contraire les « élites » qui tentent de changer celle-ci par le truchement du droit ?

    Je suis réservé à l'égard des partages binaires de l'humanité. Par ailleurs, il me semble que le problème central aujourd'hui tient moins à l'existence d'élites qu'au fait que les prétendues élites n'en sont pas. Je veux dire que certaines personnes occupent des places en vue ou privilégiées. Mais il suffit de les écouter parler ou d'observer leur comportement pour comprendre qu'elles constituent peut-être une caste, mais certainement pas une élite ! Le risque aussi, à opposer frontalement « peuple » et « élites », est d'exonérer trop vite le peuple de maux auquel il collabore. Par exemple, les électeurs s'indignent à juste titre que ceux qu'ils élisent trahissent leurs promesses. Mais quelqu'un qui serait à la fois sensé et sincère serait-il élu ?

    La vérité est que nous sommes tous engagés dans un gigantesque processus de planétarisation (je préfère ce terme à celui de mondialisation, car ce vers quoi nous allons n'a aucune des qualités d'ordre et d'harmonie que les Romains reconnaissaient au mundus, traduction latine du grec cosmos). S'il y avait un partage pertinent de la population à opérer, ce serait peut-être celui-ci : d'un côté les ravis de la planétarisation - en partie pour le bénéfice qu'ils en tirent à court terme, en partie par aveuglement ; de l'autre les détracteurs de la planétarisation - en partie parce qu'ils en font les frais, en partie parce qu'ils voudraient que la possibilité de mener une vie authentiquement humaine sur cette terre soit sauvegardée.

    Il est indéniable que ce qu'on appelle aujourd'hui l'élite compte presque exclusivement des ravis de la planétarisation. Cela étant, ces soi-disant dirigeants dirigent très peu : leur rôle est d'accompagner le mouvement, de le favoriser, d'y adapter la société. C'est le sens, par exemple, du « En Marche ! » d'Emmanuel Macron. En marche vers quoi ? Peu importe, l'important est d'« aller de l'avant », même si cela suppose d'accentuer encore les ravages. Les lois sociétales participent de ce « marchisme ». Par exemple, la famille à l'ancienne est un des derniers lieux de résistance au mouvement de contractualisation généralisée. Tout ce qui peut la démantibuler est donc bon à prendre, « va dans le bon sens ».

    D'où est venu ce processus? Pourrait-il s'arrêter un jour ?

    On décrit souvent la modernité comme un passage de l'hétéronomie - les hommes se placent sous l'autorité de la religion et de la tradition -, à l'autonomie - les hommes se reconnaissent au présent comme les seuls maîtres à bord. Un espace infini semble alors s'ouvrir aux initiatives humaines, tant collectives qu'individuelles. Mais libérer l'individu de ses anciennes tutelles, cela signifie libérer tous les individus, et l'amalgame de cette multitude de libertés compose un monde dont personne ne contrôle l'évolution, et qui s'impose à chacun. Comme le dit l'homme du souterrain de Dostoïevski, dans une formule géniale : « Moi, je suis seul, et eux, ils sont tous ». L'individu est libre mais, à son échelle, complètement démuni face au devenir du monde. Le tragique est que c'est précisément la liberté de tous qui contribue, dans une certaine mesure, à l'impuissance de chacun. La politique se dissout dans un processus économique sans sujet. Comme l'a écrit Heidegger, nous vivons à une époque où la puissance est seule à être puissante. Ce qui ne veut pas dire que tout le monde soit logé à la même enseigne : il y a ceux qui se débrouillent pour surfer sur la vague, beaucoup d'autres qui sont roulés dessous.

    Ce processus est-il maîtrisable par une restauration politique ?

    Politique vient de polis qui, en grec, désignait la cité. Pour les Grecs, les Perses étaient des barbares non parce qu'ils auraient été ethniquement inférieurs, mais parce qu'ils vivaient dans un empire. La politique ne s'épanouit qu'à des échelles limitées, au-delà desquelles elle dépérit. C'est pourquoi le grand argument qui a été seriné aux Européens, que leurs nations étaient trop petites pour exister encore politiquement et devaient transférer leur souveraineté à une entité continentale, où la politique retrouverait ses droits, a été une pure escroquerie. La politique n'a pas été transférée des nations à l'Union européenne, elle s'est simplement évaporée - à vrai dire tel était, sous les « éléments de langage » destinés à le masquer, le but recherché.

    La nation mérite d'être défendue parce que c'est la seule échelle où une vie politique existe encore un peu. En même temps, des nations comme la France, l'Allemagne ou le Royaume-Uni sont déjà trop grandes pour que la politique y joue pleinement son rôle. Dans les années 1850, Auguste Comte déplorait l'unification italienne comme un mouvement rétrograde, et pensait qu'à l'inverse, c'était la France qui aurait dû se diviser en dix-sept petites républiques (soixante-dix en Europe). Selon lui, c'était seulement après s'être ancrées dans une vie à cette dimension que les petites patries auraient été à même de se réunir de façon féconde, afin de traiter ensemble les questions qui outrepassent leur échelle.

    Aujourd'hui la Suisse, avec ses huit millions d'habitants et sa vie cantonale, est l'État européen où la démocratie est la plus vivace. Et historiquement, les cités de la Grèce classique, entre le VIe et le IVe siècle avant notre ère, ainsi que les cités-États italiennes de la Renaissance (Florence comptait moins de 100 000 habitants du temps de sa splendeur) constituent des réussites inégalées, qui montrent qu'en étant ouvertes sur le monde, des patries de petite taille sont capables de resplendir dans tous les domaines.

    Le problème est que même si beaucoup de petits États sont préférables à quelques gros, un gros État dispose d'un avantage : il est en mesure d'écraser un voisin plus petit. De là la tendance à la croissance en taille, quand bien même tout le monde, au bout du compte, devrait y perdre.

    Le processus inverse est-il possible ? Peut-on imaginer que la petitesse devienne la norme ?

    L'Autrichien Leopold Kohr (lauréat du prix Nobel alternatif en 1983) demeure malheureusement très méconnu. En 1957, dans son livre The Breakdown of Nations, il écrivait : « Il n'y a pas de détresse sur terre qui puisse être soulagée, sauf à petite échelle. […] C'est pourquoi par l'union ou par l'unification, qui augmente la taille, la masse et la puissance, rien ne peut être résolu. Au contraire, la possibilité de trouver des solutions diminue au fur et à mesure que le processus d'union avance. Pourtant, tous nos efforts collectivisés et collectivisants semblent précisément dirigés vers ce but fantastique - l'unification. Qui, bien sûr, est aussi une solution. La solution de l'effondrement spontané ».

    Les choses étant ce qu'elles sont, je crains qu'il ne faille en passer par de tels effondrements. Quand je dis cela, je me fais traiter de Cassandre. Je rappellerai toutefois que dans la mythologie grecque, les mises en garde de Cassandre étaient toujours fondées, le problème étant que personne ne la croyait. Ainsi, malgré ses avertissements, les Troyens firent-ils entrer le cheval de bois dans leur ville. On ne peut pas dire que cela leur ait réussi. Par ailleurs, si les effondrements qui se préparent ont de quoi faire peur, car ils engendreront de nombreuses souffrances, la perspective n'est pas seulement négative : ils peuvent aussi être l'occasion pour les peuples d'échapper aux fatalités présentes, et de revenir à la vie. 

    Olivier Rey est un mathématicien et philosophe français né en 1964. Polytechnicien de formation, il est chercheur au CNRS, d'abord dans la section « mathématiques » puis, depuis 2009, dans la section « philosophie », où il est membre de l'Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques (IHPST). Auteur de plusieurs ouvrages, il a notamment publié Itinéraire de l'égarement. Du rôle de la science dans l'absurdité contemporaine (éd. Le Seuil, 2003) ; Une folle solitude. Le fantasme de l'homme auto-construit (éd. Le Seuil, 2006) et Une question de taille (éd. Stock, 2014) pour lequel il a reçu le Prix Bristrol des Lumières 2014.      

    A lire ...

    Olivier Rey : « Le discours sur les droits de l'homme est devenu fou » (1/2)

       

  • La Semaine de MAGISTRO, une tribune d'information civique et politique

     

    La  Semaine de MAGISTRO Adossée à des fondamentaux politiques avérés, Magistro, une tribune critique de bon sens, raisonnée et libre, d'information civique et politique. 

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    Roland HUREAUX   Essayiste   Le grand secret de l'alliance de l'Amérique et de l'islamisme

    Renaud GIRARD   Journaliste, reporter de guerre, géopoliticien  Erdogan, Poutine et la Syrie

    Vincent DESPORTES   Officier général, ancien commandant de l'Ecole de guerre  Obama n'a pas créé Daech, mais les Etats-Unis sont responsables

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  • Olivier Rey : « Le discours sur les droits de l'homme est devenu fou » (1/2)

     

    Par Alexis Feertchak et Vincent Trémolet de Villers     

    Le philosophe et mathématicien Olivier Rey a accordé au FigaroVox [5 & 6.08] un grand entretien où il expose, dans une première partie, comment nous surchargeons l'édifice social de tourelles sociétales et postmodernes au point qu'il risque de s'écrouler. Nous n'ajouterons rien à ce déjà long entretien où beaucoup de choses essentielles sont dites. Il s'agit ici d'y réfléchir et, le cas échéant d'en débattre. En attendant - demain - une seconde partie tout aussi riche. Nous avons affaire ici, de toute évidence, à une critique de fond de la modernité ou postmodernité.  LFAR   

                

    PAR20090314067.jpgQuand Élisabeth Guigou défendait le PACS, elle jurait que celui-ci n'ouvrirait pas la voie au mariage et à l'adoption des couples homosexuels. Or, récemment, la ministre de la Famille a décidé d'abroger une circulaire qui interdisait aux gynécologues de conseiller à leurs patientes une insémination à l'étranger. Pensez-vous que le mariage pour tous engendrera mécaniquement la PMA et la GPA ?

    Concernant Élisabeth Guigou, il est difficile de savoir à quoi s'en tenir: elle a dit qu'elle était sincère au moment du PACS, avant d'évoluer en faveur du mariage. D'autres déclarations de sa part laissent cependant entendre que sa position en 1999 était essentiellement tactique. Les mêmes incertitudes se retrouvent aujourd'hui envers ceux qui ont affirmé que la loi Taubira n'impliquait rien concernant la PMA « pour toutes » ou la GPA. Ce qui est certain, c'est que les plus ardents promoteurs de cette loi visaient, à travers elle, un changement du droit de la famille et de la filiation. De ce point de vue, la Manif pour tous a eu un effet : par son ampleur elle a empêché, au moins provisoirement, la mise à feu du deuxième étage de la fusée.

    Pour l'heure, la démarche pour contourner les obstacles consiste à pratiquer le law shopping, c'est-à-dire à se rendre dans certains pays qui permettent ce qui est interdit ici, puis à réclamer de retour en France une régularisation de la situation. Si le phénomène prend de l'importance, on accusera le droit français d'hypocrisie, et on le sommera d'autoriser ce que de toute façon il entérine après coup. On pourra même invoquer le principe d'égalité, en dénonçant un « droit à l'enfant » à deux vitesses, entre ceux qui ont les moyens de recourir au « tourisme procréatif » et les autres.

    La plupart des acteurs politiques qui souhaitaient revenir sur le mariage pour tous ont fait machine arrière. Diriez-vous que les lois sociétales sont irréversibles ?

    Cela dépend de l'échelle de temps à laquelle on se place. À court terme, le mouvement semble irréversible. À plus long terme, il est difficile de se prononcer. Depuis plusieurs décennies, nous surchargeons l'édifice social et juridique de tourelles postmodernes par ci, d'encorbellements rococos par là, sans nous préoccuper des murs porteurs qui n'ont pas été prévus pour ce genre de superstructures, et qui donnent d'inquiétants signes de faiblesse. Si les murs finissent par s'ébouler, toutes ces « avancées » dont on s'enchante aujourd'hui s'écrouleront.

    Nous sommes entrés dans une période de grandes turbulences, dont nous ne vivons pour l'instant que les prodromes. Nous aurons à faire face au cours de ce siècle à de gigantesques difficultés - écologiques, économiques, migratoires. Le « jour du dépassement », c'est-à-dire le jour où les ressources renouvelables de la terre pour l'année en cours ont été consommées, arrive toujours plus tôt - en 2016, dans la première quinzaine d'août. Autrement dit, notre richesse actuelle est fictive, elle est celle d'un surendetté avant la banqueroute. Lorsque les diversions ne seront plus possibles, nous nous rappellerons avec incrédulité que dans les années 2010, la grande urgence était le mariage pour tous. Cela paraîtra emblématique de l'irresponsabilité de ce temps. En fait, la polarisation sur les questions « sociétales » est une façon de fuir la réalité : se battre pour la PMA pour toutes ou la GPA, c'est aussi éviter de penser à ce à quoi nous avons à faire face.

    N'est-on pas aujourd'hui dans une extension infinie des « droits à » comme le « droit à l'enfant » ? Cela ne risque-t-il pas d'enfreindre des libertés fondamentales comme les « droits de l'enfant » ?.

    Le discours des droits est devenu fou. Historiquement, l'élaboration de la notion de droits de l'homme est liée au développement des doctrines de contrat social, selon lesquelles, dans un « état de nature », les humains vivaient isolés, avant que les uns et les autres ne passent contrat pour former une société. Dans l'opération, les individus ont beaucoup à gagner : tout ce que l'union des forces et des talents permet. Ils ont aussi à perdre : ils doivent abdiquer une partie de leur liberté pour se plier aux règles communes. Qu'est-ce que les droits de l'homme ? Les garanties que prennent les individus vis-à-vis de la société pour être assurés de ne pas trop perdre de cette liberté. Garanties d'autant plus nécessaires que les pouvoirs anciens, aussi impérieux fussent-ils, étaient plus ou moins tenus de respecter les principes religieux ou traditionnels dont ils tiraient leur légitimité. À partir du moment où l'ordre social se trouve délié de tels principes, il n'y a potentiellement plus de limites à l'exercice du pouvoir : à moins, précisément, qu'un certain nombre de droits fondamentaux soient réputés inaliénables. Comme l'a dit Bergson, chaque phrase de la Déclaration des droits de l'homme est là pour prévenir un abus de pouvoir.

    Depuis, la situation a connu un retournement spectaculaire. Les droits de l'homme, de cadre institutionnel et de sauvegarde des libertés individuelles face à d'éventuels empiètements de l'État, sont devenus sources d'une multitude de revendications adressées par les citoyens à la puissance publique, mise en demeure de les satisfaire. La Déclaration d'indépendance américaine cite trois droits fondamentaux : le droit à la vie, le droit à la liberté, le droit à poursuivre le bonheur. Mais aujourd'hui, ce dernier droit est compris par certains comme droit au bonheur. Dès lors, si quelqu'un, par exemple, estime indispensable à son bonheur d'avoir un enfant, alors avoir un enfant devient à son tour un droit, et tout doit être mis en œuvre pour y répondre.

    Au point où nous en sommes, la seule limite à laquelle se heurte l'inflation des droits tient aux conflits que leur multiplication entraîne. Par exemple : l'antagonisme entre le droit à l'enfant et les droits de l'enfant. C'est ainsi qu'au Royaume-Uni, il n'y a plus d'anonymat du donneur masculin pour les PMA, parce que les moyens mis en œuvre pour l'exercice du droit à l'enfant doivent respecter le droit de l'enfant à connaître ses origines. C'est la bataille des droits.

    Comment définir la limite entre le droit de poursuivre le bonheur et celui de l'avoir, entre les actions individuelles et l'intervention de la société et de l'État ?

    Prenons l'exemple du droit qu'il y aurait, pour une femme seule ou pour deux femmes, d'aller à l'hôpital pour concevoir par PMA. Il ne s'agit pas d'obtenir de l'État la levée d'un interdit (la loi n'interdit à personne d'avoir un enfant), mais d'exiger de lui qu'il fournisse gratuitement à toute femme qui en fera la demande une semence masculine, qu'il se sera préalablement chargé de collecter en vérifiant sa qualité, et dont il aura effacé la provenance. Pourquoi fournirait-il un tel service ? Pourquoi se substituerait-il à l'homme manquant ? Pour des raisons médicales - comme le M de PMA le laisse entendre ? Mais où est l'infirmité à pallier, la maladie à soigner ?

    Ce mésusage du mot « médical » va de pair avec les emballements qu'on observe dans le discours des droits. Dans le préambule à sa Constitution, adoptée en 1946, l'Organisation mondiale de la santé définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ». Comme de plus « la possession du meilleur état de santé qu'il est capable d'atteindre constitue l'un des droits fondamentaux de tout être humain », on voit qu'une infinité de droits peuvent se réclamer d'un droit à la santé ainsi compris. En particulier, un droit à tout type d'« augmentation » et de procréation, dès lors que quiconque estime cette augmentation ou ce type de procréation nécessaires à son bien-être.

    À propos de la procréation techniquement assistée, il faut aussi tenir compte d'un fait : cette intervention technique autorise les diagnostics pré-implantatoires et rend envisageable la sélection d'un nombre croissant de caractères, qu'on voit mal certaines cliniques privées, dans des États accueillants, se priver de proposer. Dès lors, ceux qui conçoivent des enfants à l'ancienne pourront se sentir désavantagés par rapport à ceux qui recourent à ces procédés, et seront tentés eux-mêmes de les adopter. On voit le paradoxe : la modernité était habitée par un idéal de liberté de la personne. Mais la liberté devient un leurre quand chaque fonction vitale suppose, pour être remplie, l'allégeance à un système économico-technique hégémonique. C'est au tour de la procréation, demeurée scandaleusement sexuelle et artisanale jusqu'à aujourd'hui, d'être prise dans le mouvement.

    Il est possible d'acheter des enfants sur catalogue dans certains États en choisissant leurs prédispositions génétiques, comme la couleur de leurs yeux. En matière de progrès technique et sociétal, diriez-vous comme Einstein qu'il y a « profusion des moyens et confusion des fins » ?

    Je pense à une chanson des Sex Pistols, ce groupe de punk anglais des années 1970. Dans Anarchy in the UK, le chanteur Johnny Rotten hurlait : « I don't know what I want, but I know how to get it» (« Je ne sais pas ce que je veux, mais je sais comment l'obtenir »). Ça me semble emblématique de notre époque. Nous ne cessons de multiplier et de perfectionner les moyens mais, en cours de route, nous perdons de vue les fins qui mériteraient d'être poursuivies. Comme le dit le pape dans sa dernière encyclique, « nous possédons trop de moyens pour des fins limitées et rachitiques ».

    Cette absorption des fins dans le déploiement des moyens des fins est favorisée par l'esprit technicien, qui cherche à perfectionner les dispositifs pour eux-mêmes, quels que soient leurs usages, une division du travail poussée à l'extrême, qui permet d'augmenter la productivité, et le règne de l'argent, qui fournit un équivalent universel et permet de tout échanger. Plus le travail est divisé, plus le lien entre ce travail et la satisfaction des besoins de la personne qui l'accomplit se distend. On ne travaille plus tant pour se nourrir, se loger, élever ses enfants etc. que pour gagner de l'argent. Cet argent permet certes ensuite d'obtenir nourriture, logement etc., mais, en lui-même, il est sans finalité spécifiée. C'est pourquoi, au fur et à mesure que la place de l'argent s'accroît, on désapprend à réfléchir sur les fins : « Je ne sais pas ce que je veux, mais je sais comment l'obtenir » - par de l'argent.

    Il ne s'agit pas de critiquer la technique, la division du travail ou l'argent en tant que tels, mais de se rendre compte qu'il existe des seuils, au-delà desquels les moyens qui servaient l'épanouissement et la fructification des êtres humains se mettent à leur nuire, en rétrécissant l'horizon qu'ils étaient censés agrandir. 

    Olivier Rey est un mathématicien et philosophe français né en 1964. Polytechnicien de formation, il est chercheur au CNRS, d'abord dans la section « mathématiques » puis, depuis 2009, dans la section « philosophie », où il est membre de l'Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques (IHPST). Auteur de plusieurs ouvrages, il a notamment publié Itinéraire de l'égarement. Du rôle de la science dans l'absurdité contemporaine (éd. Le Seuil, 2003) ; Une folle solitude. Le fantasme de l'homme auto-construit (éd. Le Seuil, 2006) et Une question de taille (éd. Stock, 2014) pour lequel il a reçu le Prix Bristrol des Lumières 2014.      

    A lire demain ...

    Olivier Rey : La politique n'existe plus. Elle s'est évaporée dans la « planétarisation » (2/2)       

  • François le mal-aimé

     

    Par Louis-Joseph Delanglade

    Publié le 4 avril 2015 et réactualisé le 22 août 2016

    A neuf mois de l'élection présidentielle, alors que paraît « Conversations privées avec le président » où François Hollande confirme les incertitudes et les conditions - non réunies - de son éventuelle candidature, qu'Arnaud Montebourg vient de lancer la sienne à grand tapage, que le parti au pouvoir est en miettes et que la primaire socialiste se prépare et s'annonce sous les pires auspices, la France n'est plus guère gouvernée alors que pèse sur elle de graves menaces et que son déclin se poursuit. Le principal obstacle à ce que se produise un sursaut - prélude à un redressement - national apparaît de plus en plus clairement : c'est la République, le Système lui-même, l'idéologie dominante qui l'empêchent.  LFAR  

     

    Dans un an, en principe, nouvelle élection présidentielle. On ne sait s’il faut se réjouir ou se lamenter au vu des piteux résultats obtenus par M. Hollande à ce jour et au peu de crédit que l’on peut raisonnablement accorder à ses concurrents. La responsabilité de M. Hollande reste entière d’avoir tout donc trop promis : on se rappelle la fameuse anaphore (« c’est maintenant ») de son discours du Bourget le 22 janvier 2012. En promettant le paradis socialiste hic et nunc, il s’inscrivait comme il se doit dans la pure tradition de la démocratie élective par nature démagogique. Rien d’étonnant donc si son quinquennat est, pour l’essentiel, une succession d’échecs - d’une diplomatie guidée par une imbécile hostilité à M. Poutine à une incapacité évidente à inverser la courbe du chômage. Même sa tentative de récupération politicienne des attentats de 2015 a vite fait long feu et, la semaine dernière encore, on a eu droit à sa renonciation à la déchéance de nationalité tandis que la rue manifestait son hostilité au projet de loi de Mme El Khomri.  

    Reconnaissons deux exceptions, mais de taille et d’une certaine façon exemplaires - pour des raisons opposées. La première concerne l’intervention française au Mali : M. Hollande, transfiguré par son aura de chef des Armées, fit un temps illusion et consensus; mais, s’il put adopter une telle attitude, cela tient à des institutions qui lui confèrent un pouvoir quasi monarchique en matière de Défense nationale. La seconde concerne la loi sur le « mariage pour tous » : elle restera son « grand oeuvre », imprégnée qu’elle est de toutes les dérives idéologiques et sociétales de l’intelligentsia gaucharde. 

    En 2012, M. Hollande a donné à tous une leçon d’opportunisme : le petit Premier secrétaire du P.S. est venu à bout du président sortant en sachant profiter au mieux d’un certain rejet vis-à-vis de M. Sarkozy. Mais, remporter une élection est une chose, être chef de l’Etat en est une autre. Dans cette fonction, M. Hollande aura déçu jusqu’à ses plus chauds partisans : le dernier sondage Odoxa fait ainsi état d’une cote de popularité au plus bas en France (moins de 20%). Son problème est au fond d’être ce qu’il est : un chef de parti d’abord soucieux de l’échéance de 2017 et, pis sans doute, un chef d’Etat sans charisme, manifestement incapable d’être au niveau de sa fonction.  

    Il est vrai qu’avant lui M. Sarkozy n’a pas davantage réussi. Mais, au fond, le pouvaient-ils, politiquement parlant, l’un et l’autre ? La Ve République, taillée sur mesure pour un De Gaulle, est affaiblie de fait par le quinquennat et en proie à la résurgence de velléités parlementaristes (certains rêvent même d’une VIe République qu’ils parent de toutes les vertus « démocratiques »). Dans le même temps, l’Etat voit ses fonctions régaliennes plus ou moins remises en cause par les concessions faites à l’européisme (dont la conséquence ultime sera de le réduire à un état croupion). Si rien n’interdit, bien sûr, d’espérer en l’homme (la femme) providentiel(le), il est évident que la solution politique, c’est-à-dire s’inscrivant dans la durée, reste d’ordre institutionnel. 

    A lire dans Lafautearousseau ...

    « Lettre à mon président qu'a pas d'bol »

  • Hollande : « C'est dur, plus dur que ce que j'avais imaginé » ... Suit une déclaration misérable entre toutes !

     

    « J'ai fait cette annonce de l'inversion de la courbe du chômage parce que je croyais encore que la croissance serait de 0,7-0,8, elle sera finalement de 0,1 ou de 0,2.

    Puis je répète cet engagement lors des vœux le 31 décembre 2012.

    J'ai eu tort ! Je n'ai pas eu de bol ! »

     

    « Conversations privées avec le président »

    de Karim Rissouli et Antonin André dont Le Point publie les bonnes feuilles cette semaine. 

  • Traditions • Culture • Loisirs ...

  • Livres & Humeur • « Lettre à mon président qu'a pas d'bol »

     

    Par Eloïse Lenesley

    François Hollande aurait confié dans Conversations privées avec le président n' « avoir pas eu de bol sur le chômage ». Eloïse Lenesley a écrit une lettre [20.08] à son « président qu'a pas d'bol ».

     

    avatars-000195570204-fwivg9-t500x500.jpgCher Président qu'a pas d'bol,

    Tous les médias et les méchants de droite ne font rien qu'à se moquer de toi depuis deux jours, mais moi, je te soutiens. Pourtant, c'est pas faute de leur avoir expliqué que « le monde, il n'est pas gentil », que « c'est pas facile » d'être président de la République, même quand on se donne un mal fou pour être normal et qu'on a une belle boîte à outils nickel chrome pour faire redémarrer la croissance et inverser cette satanée courbe du chômage.

    Déjà, à peine t'avait-on intronisé à l'Élysée que ton avion s'était mangé la foudre sur l'aile gauche quand tu t'étais rendu à Berlin pour recevoir les directives de madame Merkel. Si ça, c'est pas un signe ! Ensuite, la moindre de tes apparitions publiques déchaîna une pluie battante. Puis les sifflets des électeurs abattus. Puis les deux. Avoue que t'as un peu abusé : le mantra du « ça va mieux », c'était pas une bonne idée. Tu devais bien te douter que l'alignement des planètes - une sacrée aubaine, pour le coup - n'allait pas durer indéfiniment ni te rapporter bézef.

    Faut les comprendre aussi, les sans-dents. Vivre avec moins de 1000 euros par mois, t'imagines ? Dix fois moins que ton coiffeur ! Et ils sont 15% comme ça. Alors forcément, ils s'impatientent. Comme les 6 millions de chômeurs que tu devais sortir de la panade. La moitié touche que dalle, l'autre perçoit 1100 euros bruts en moyenne. Quand tu penses qu'il y a maintenant 1,2 million de chômeurs de longue durée (enfin, si on s'en tient à ceux qui sont toujours inscrits) et qu'ils ont au mieux une chance sur trois de retrouver un job ! Et je te parle même pas des séniors. Ceux-là, dès 45 balais, ils sont bons à jeter. La gérontophobie fait rage. Sauf en politique : regarde Juppé, qui va peut-être bientôt te piquer ta place. Mais je me fais pas trop de souci pour toi ; avec ton esprit de synthèse et ton naturel blagueur, tu arriveras à te recaser facilement.

    Ton copain Macron aux vains plans s'est un peu vautré avec sa loi « pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ». Déjà, l'intitulé est pompeux, mais passons. Son impact est évalué à 0,05% d'apport au PIB et, pour l'instant, les résultats se font attendre, sauf du côté des autocars, qui ont créé… 1500 emplois. Avec les socialistes, fallait pas s'attendre à du supersonique non plus. Cela dit, t'as vu, Macron prétend maintenant qu'il n'est pas socialiste. Quel scoop ! Ça te rappelle pas la bourde de Jospin quand il avait sorti : « Mon projet n'est pas socialiste » ? On peut pas dire que la formule lui ait refilé la baraka. Tu as vu le rapport du Sénat, qui révèle que le CICE a surtout permis de maintenir 125 000 postes et d'éviter des défaillances de PME-TPE ? Claquer 20 milliards d'euros par an pour ça, admets que c'est pas donné.

    Du coup, je conçois qu'en désespoir de cause, tu aies grugé un chouia pour déjouer ta poisse. Malin comme tu es, tu t'es dit que t'allais faire passer les chômeurs de la catégorie A vers la catégorie D, celle regroupant les inscrits en formation ou en stage, qui sont ainsi zappés des statistiques. Du pur génie ! Le problème, c'est qu'à pôle Emploi, en plus d'être incompétents et de nous coûter les yeux de la tête, ils sont pas très discrets : ils ont laissé traîner des instructions confidentielles de leur direction exigeant qu'un million de chômeurs (500 000 de plus que d'habitude) soient catapultés en formation d'ici à la fin de l'année ! Tu penses que le Canard Enchaîné leur est tombé dessus et a cuisiné les conseillers dans la foulée : « L'an dernier, au bout de six mois, on disait non à presque tout le monde, il n'y avait plus un rond pour financer les formations qui coûtent souvent cher. Maintenant, c'est tapis rouge, on dit oui à tout et sans trop de précautions, la scrupuleuse procédure de validation des stages est abandonnée », nous murmure-t-on. Ça la fout mal. Montant de l'addition : un milliard d'euros. Mais l'inversion de courbe artificielle n'a pas de prix. Avec les radiations à la pelle pour des motifs bizarroïdes ou pour « défaut d'actualisation », et tes 500 000 contrats aidés estimés à deux milliards d'euros, le subterfuge devrait opérer.

    Les attentats et les grèves à répétition, c'était pas de bol non plus : ces galères-là ont le don de te plomber illico une croissance. Dommage, juste au moment où nous avions failli être convaincus que la reprise était enfin de retour, avec + 0,7% au premier trimestre 2016 - même si, entre nous, on sait bien qu'elle est due à la consommation d'énergie des ménages durant l'hiver et aux achats de matériel électronique compatible avec le nouveau standard de diffusion TV. Et voilà que les islamo-terroristes, les Nuit Debout et les casseurs « en marge » des manifestations cégétistes nous font fuir à toutes jambes les badauds et les touristes. Caramba, encore raté ! Croissance nulle au deuxième trimestre. Pas étonnant que tu aies rechigné pendant un an à déclarer l'état d'urgence, c'est très mauvais pour le business.

    Déjà que la France n'avait pas une super bonne image depuis ton arrivée, avec toutes ces guérillas urbaines de-ci, de-là : saccage du Trocadéro par des racailles, brasier insurrectionnel par les gens du voyage à Moirans, mutinerie au centre de détention à Aiton, règlements de comptes entre bandes rivales démolissant la gare de Montargis, nuisances apocalyptiques des migrants à Calais ou ailleurs… Ça n'arrête pas. Non seulement tu n'arrives pas à juguler l'insécurité galopante ni à faire enfermer les djihadistes fichés S qui pullulent dans les cités, mais quand tu décides de faire preuve de mansuétude en graciant partiellement une femme battue qui a tué son mari, la justice refuse sa libération conditionnelle. Dans le genre traqué par la scoumoune, tu te poses là.

    C'est pour ça qu'il vaudrait mieux que tu ne te représentes pas en 2017. T'as pas de bol et, en prime, tu portes la guigne à la France. Cinq ans de malheur, c'est amplement suffisant, surtout pour les précaires. Et les classes populaires. Et les classes moyennes. Et les chefs d'entreprise. En fait, pour tout le monde. Sauf peut-être les communautaristes et les fonctionnaires. Si tu renonçais à rempiler, ça ne manquerait pas de panache ; tu aurais la classe. Pense au plaisir que tu ferais aux Français et à Manuel Valls. Finies, les cotes de popularité calamiteuses. Comme Chirac, tu redeviendrais une coqueluche hexagonale en un rien de temps après avoir été vilipendé tout au long de ton mandat. Tu pourrais passer des heures chez ton coiffeur à te faire une petite coupe. Au bol.   

    Eloïse Lenesley     

    Eloïse Lenesley est journaliste. Elle collabore notamment à Causeur

  • Histoire • Les Postes ont meilleur esprit que l'Education nationale...

    LOUIS-PHILIPPE SUR NOS LETTRES...

     

    Par Péroncel-Hugoz

     

    IMG - JPEG - Copie.jpgTimbre sans valeur faciale émis à la fin du XXème siècle par une officine privée, proches des Postes officielles, et vendu durant plusieurs années dans différents monuments historiques français.

    Grande fut alors la surprise de certains Français en recevant du courrier où, à côté d'un timbre de la République, mais souvent montrant un évènement monarchique de notre Histoire (les Postes ont en général meilleur esprit que l'Education nationale...), surgissait Louis-Philippe 1er, roi des Français de 1830 à 1848 et ancêtre direct de la Maison de France actuelle, dont le plus récent bourgeon est le prince Joseph né le 2 juin 2016 au foyer du duc et de la duchesse de Vendôme. 

     

  • Société • L'honneur du peuple français en Corse ... selon Natacha Polony

     

    Par Natacha Polony           

    Ce qui est affirmé ici, à notre avis avec raison, c'est que les villageois corses qui ont manifesté devant les médias leur refus de voir s'installer dans leur île des comportements qu'ils jugent inacceptables ont fait preuve de citoyenneté [Figarovox, 19.08]. Ceci ne vaut pas de notre part soutien à l'indépendantisme corse et pas davantage aux activistes qui le prônent. Naturellement ! Mais nous ne voulons pas confondre les plans. Natacha Polony nous paraît en l'occurrence avoir raison de voir dans la réaction corse la manifestation d'un esprit citoyen que, soit dit en passant, on aimerait bien retrouver chez nos compatriotes continentaux. Les Corses ne sont guère animés par cet esprit exclusivement et sottement compassionnel que politiques et médias ont imposé aux Français en général. Et c'est tant mieux. Peut-être ouvrent-ils là une voie salutaire.  LFAR

     

    805164319.jpgLe voile s'est posé sur nos mots, bien avant que de s'inviter sur nos plages. L'altercation qui, depuis une petite crique de Corse, est venue mêler ses remous à ceux d'un été déjà tempétueux est plus intéressante encore par les mots employés pour la relater. Ainsi, la très grande majorité des commentateurs, reprenant tout simplement une dépêche de l'Agence France-Presse, a d'abord parlé de « tensions en Corse après une rixe entre communautés corse et maghrébine ».

    N'importe quel jeune journaliste sait - ou devrait savoir - ceci : les faits n'existent pas. Il n'existe que le récit de ces faits, et les mots pour le dire valent en eux-mêmes interprétation. Encore faut-il percevoir les nuances du vocabulaire français et comprendre qu'elles sont parfois porteuses d'idéologie. Mais non. Aucun commentateur n'a semblé gêné par cette phrase reprise comme une évidence. Si ladite rixe avait eu lieu à Saint-Raphaël ou au Lavandou, aurait-on parlé de heurts entre « communautés provençale et maghrébine » ; à La Baule ou à Paimpol, de heurts entre « communautés bretonne et maghrébine » ?

    Ce mot de « communauté » employé le plus souvent comme une facilité de langage, pour s'épargner une phrase plus précise, envahit la parole médiatique jusqu'à l'absurde. Et, ce faisant, s'impose ce que justement l'islam politique cherchait à nous faire accepter : l'idée que la France serait composée d'entités diverses pouvant faire valoir leur égale légitimité à suivre leurs coutumes propres et à revendiquer des droits. Il n'y a plus de citoyens de confession musulmane, mais une « communauté musulmane » (forcément solidaire ?). Il n'y a plus de citoyens de confession catholique, mais une « communauté catholique ». Plus de Maghrébins ou de Français d'origine maghrébine mais une « communauté maghrébine ». Plus de peuple corse, partie intégrante du peuple Français, mais une « communauté corse ». Et bientôt plus de peuple français mais une « communauté française ». Toutes, donc, à égalité sur un territoire neutre régi par le droit réduit à la seule expression des libertés individuelles.

    C'est précisément contre cela que se sont élevés des Corses sans doute moins complexés que les Français de métropole, parce que moins oublieux de ce qu'ils sont. Déjà, l'hiver dernier, des habitants d'Ajaccio avaient manifesté dans le quartier dont étaient originaires de jeunes gens ayant monté un guet-apens contre des pompiers. Parce qu'en Corse, on ne tolère pas que les pompiers, qui risquent leur vie pour autrui, se fassent caillasser (comme cela arrive très régulièrement dans toute la France, dans l'indifférence du pouvoir et l'impuissance des citoyens). Pas plus qu'on ne tolère que des petits caïds prétendent interdire l'accès d'une plage pour que leurs femmes puissent se baigner sans risquer le regard forcément concupiscent d'un « infidèle » extérieur à la tribu.

    Et c'est d'ailleurs bien le sens de cette privatisation, comme du fameux burkini, comme de ces longues abayas noires ou brunes qui fleurissent dans certains quartiers : les femmes appartiennent au clan, et le regard des autres hommes les salit parce qu'il ne saurait y avoir de mélange. Et plus ces signes visibles seront nombreux et banalisés, plus l'espace public appartiendra à la « communauté ». Curieux que cela ne choque pas les habituels adeptes du « métissage » et du « mélange ». On en a même vu, comme Edwy Plenel, proclamer le droit au burkini en ressortant les photos des baigneuses des années 1910, comme si tout à coup le contrôle patriarcal du corps des femmes façon Léon Daudet leur semblait un modèle.

    Certes, il y eut parmi les manifestants corses quelques excités adeptes des vociférations racistes, et quelle belle occasion pour certains de prétendre que cette manifestation dans son ensemble était de caractère « islamophobe » et de poser la question d'un « racisme corse » quasi congénital (puisque dans ce sens-là, tous les amalgames sont permis). On est moins pressé de s'interroger sur ce qui pousse des délinquants d'origine nord-africaine à cibler systématiquement des victimes d'origine chinoise pour les agresser et les voler, et dernièrement tuer, à Paris et dans sa proche banlieue. Les victimes et les coupables, cette fois, n'ont pas le bon profil.

    Oui, les mots sont politiques, et de ne plus connaître leur sens, on impose sans même y penser un modèle politique. Ainsi de la une du Monde daté du 19 août, où l'on peut lire ce titre: « Burkini: les musulmanes doivent-elles devenir invisibles ? » Un titre qui induit - et l'on craint que ce ne soit parfaitement volontaire - que les « musulmanes » dans leur ensemble ont besoin d'un burkini ou de la version de ville, le hidjab, pour être « visibles ». Une « visibilité » qui apparaît dès lors comme légitime en elle-même, puisque c'est la supposée invisibilité qui doit être débattue. En un titre, c'est la logique même de l'islam politique et de sa conquête de l'espace public par l'instrumentalisation des droits individuels si chers au libéralisme anglo-saxon qui est avalisée sans le moindre recul.

    Les villageois corses qui ont affirmé devant les médias leur refus de voir s'installer dans leur île des comportements qu'ils jugent inacceptables ont usé de mots simples, sans tourner autour du pot. Les mots qui viennent quand on est sûr de soi, de son histoire, de son identité. Les mots de ceux qui refusent d'être réduits au silence. Que cela plaise ou non, cette réaction relève de la citoyenneté. Gageons qu'elle soit largement partagée par le peuple français.   

    Natacha Polony           

  • Action Française • Le Camp Maxime Real del Sarte 2016 s'ouvre aujourd'hui

     

    arton10595-e746a.gifLe Camp Maxime Real del Sarte (CMRDS) et l’université d’été d’Action française se tiendront au château d’Ailly, à Parigny (42120) :

    à proximité de Roanne (gare SNCF à 5 kilomètres),

    Paris à 400 kilomètres,

    Lyon à 80 kilomètres,

    Marseille à 400 kilomètres.

    Du 21 au 28 août :

    Au programme : « 10 axes de salut national »

    CMRDS. Camp de formation pour étudiants, lycéens et jeunes travailleurs (quinze-trente ans). Tarif : 130 euros la semaine (100 euros pour les adhérents du CRAF).

    Le 27 août :

    Université d’Eté d’AF.

    « Et si la crise était liée à la nature régime ? »

    Tous les détail sur le site du camp CMRDS

    Bulletin d’inscription

    cmrds_2016.jpg

  • Traditions • Culture • Loisirs ...

  • Culture & Francophonie • Qu'est ce qu'une « armée linguistique » ?

     

    Par Péroncel-Hugoz

    Notre chroniqueur n’a pas pu se rendre au XIVe Congrès mondial des professeurs de français mais il en a reçu les documents de travail et a épluché les textes utilisés par cette grande réunion où le Maroc fut l’une des vedettes.

     

    peroncel-hugoz 2.jpgC’est dans l’ancienne principauté épiscopale du Saint Empire romain germanique, Liège, en Belgique wallonne, que s’est tenu en juillet le grand raout international des enseignants francophones : soit plus de mille professeurs de 140 pays des cinq continents délégués par cette « armée linguistique » mondiale, dont la seule arme est un idiome, celui de Senghor, Nédali et Houellebecq, diffusé actuellement par pas moins de 180 000 « profs ». 

    LE ROLE DE MALRAUX 

    Ce n’est pas parce que la France officielle, malgré quelques coups de gueule toujours verbaux, regarde avec commisération voire mépris, du haut de son actuel tropisme anglo-américain, cette Francophonie pourtant jaillie de ses flancs à l’époque du président de Gaulle (1959-1969) et de son ministre des Affaires culturelles, Malraux, que la langue française stagne. 

    Au contraire ! D’ailleurs, cet éminent militant francophone (et arabophone) que fut l’Egyptien Boutros Boutros-Ghali, ancien chef et des Nations-Unies et de la Francophonie, l’avait prévu, allant jusqu’à dire à la fin du XXe siècle : « Si la Francophonie se fait, ça sera sans doute malgré la France …» Son compatriote, l’illustre cinéaste Youssef Chahine, avait proclamé, lui, que « L’Etat français le veuille ou non, la Francophonie, alliée à l’Arabophonie et à l’Hispano-Lusophonie, sera le rempart majeur s’opposant à l’anglo-saxonisation de la planète ». Et l’écrivain algérien iconoclaste, Kateb Yacine, parlant encore plus cru, avait crié partout lui, que le français était un « butin » que les anciens colonisés avaient fait leur et que cette langue mènerait désormais sa vie propre sans se soucier des humeurs bonnes ou mauvaises de Paris … 

    CHATT, SEFRIOUI, CHRAIBI … 

    Cet esprit de résistance indépendante paraît avoir marqué les travaux de Liège, où le professorat marocain fut en lumière grâce notamment aux décisions éducatives, royales et gouvernementales, prises en 2016 pour renforcer, dans le cycle primaire, l’enseignement de l’idiome des Chatt, Séfrioui et autres Chraïbi, pour ne citer que des anciens du paradis littéraire de la Chérifie. 

    Voici quelques chiffres probants extraits des documents de travail du Congrès de Liège : entre 2010 et 2014, le nombre d’écoliers et d’étudiants utilisant le français à travers le monde, tous pays confondus, a augmenté de 6%. Cette progression a atteint jusqu’à 45% en Afrique, Maroc compris. Si, en 2016, le Congrès a estimé que 212 millions de personnes de tous âges se servent quotidiennement du français sur les cinq continents, ce chiffre (mais n’est-il pas un peu optimiste quand même ?) pourrait atteindre, selon la même source, 715 millions d’ici à 2050, dont 85% en Afrique septentrionale et occidentale. 

    LES NUAGES DU DJIHADISME 

    Cependant, deux enseignants maghrébins, Samir Merzouki et Djamel Bendiha, ont tenu devant leurs pairs, à pointer les lourds nuages que fait passer depuis quelque temps au Maghreb et au Machrek (rappelons que l’Egypte et le Liban sont de longue date des membres actifs de la Francophonie) « l’esprit djihadiste », hostile à toute autre langue que l’arabe classique. Comme réponse à cet ostracisme naissant, les congressistes ont audacieusement décidé que la prochaine conférence générale internationale des profs de français, se tiendrait en 2020 dans la capitale de la poterie d’art tunisienne : Nabeul. Espérons que d’ici là il n y aura pas trop de casse au pays du jasmin et des grenades-fruits … 

    L’«armée linguistique» est prête à se battre mais seulement avec des lettres, du style et aussi de la grammaire, en souhaitant en faveur de celle-ci une entreprise de simplification à l’échelle de toute la Francophonie ; sinon à quoi sert l’Organisation internationale de la Francophonie, OIF, basée à Paris et animée par une Haito-canadienne, qu’on aimerait voir un peu moins mondaine et voyageuse, et un peu plus axée sur des sujets « ennuyeux » mais vitaux pour l’avenir du français comme la « rationalisation » de la langue française, en vue d’une vraie réforme universelle et non pas une réformette comme celle de 1990 que les bureaux parisiens ont tenté, seuls dans leur coin, de relancer en vain cette année … 

    CLASH ET RUSH, AFFRONTEMENT ET RUÉE … 

    Parmi les messages, textos, et autres « gazouillis » échangés à Liège entre participants, voici quelques recommandations pour renoncer aux fausses facilités de l’anglo-américain afin de décrire la modernité, dès lors, et c’est le plus souvent le cas, qu’existent déjà des mots français. Ainsi, « textait », un prof tangérois, depuis Liège : Chers partenaires francophones, ne dites plus clash, rush, slash, leadership, bankable, think-thank, melting-pot, at, web, e-mail ou se crasher mais dites affrontement, ruée, barre, hégémonie, rentable, boîte-à-idées, creuset, arobase, Toile, courriel, s’écraser, etc. Dont acte !   

    Lire ...

    Abdekader Chatt, « Mosaïques ternies », premier texte littéraire marocain francophone, 1932, réédité à la fin du XXe siècle par Wallada, Casablanca ; « L’Ame marocaine », suivi des « Mousquetaires de Rabat » par François Bonjean, Africorient, Casablanca, 2016 ; « 100 anglicismes à ne plus jamais utiliser » par Jean Maillet. Ed du Figaro littéraire, Paris, 2016 ; « La langue française dans le monde », rapport 2014-2015 pour le Congrès de Liège »

    Rappel ...

    La Francophonie fut lancée par André Malraux en 1970, à Niamey, au Niger avec une vingtaine de pays. En 2016, plus de 70 Etats sont membres, à titres divers, de l’OIF. Parmi les parrains historiques de la Francophonie : le roi Sihanouk du Cambodge, le président Bourguiba de Tunisie, le président Hélou du Liban, le gouvernement autonome du Québec, l’écrivain marocain Driss Chraïbi, le cinéaste égyptien Youssef Chahine, l’académicien français Maurice Druon, la revue parisienne « Esprit » etc. 

    Peroncel-Hugoz

    Repris du journal en ligne marocain le360 du 12.08.2016

  • Littérature & Cinéma • Stefan Zweig ou la tragédie d'être un citoyen du monde

    Affiche du film « Stefan Zweig. Adieu l'Europe » de Maria Schrader

     

    Par Mathieu Slama

    Alors qu'un film sort sur la vie de Stefan Zweig, Mathieu Slama décrit la tragédie de cet écrivain. Par amour de l'humanisme européen, il a fini par voir son rêve sombrer quand le cosmopolite qu'il était s'est vu couper de ses racines. La tragédie de ce grand esprit européen détaché de son cosmopolitisme, amoureux de l'empire d'Autriche-Hongrie, comme le fut aussi Joseph Roth, son compatriote, figure en quelque sorte le destin contrarié de l'Europe moderne, indûment invitée, voire contrainte, au reniement de ses racines, notamment nationales. Mathieu Slama écrit là, à propos de Zweig, un bel article [Figarovox - 12.08] qu'un patriote français n'a aucune raison de récuser. Tout au contraire.  LFAR 

     

    Mathieu-Slama.jpgL'Europe traverse depuis des décennies une crise qui, hélas, n'est pas seulement politique, économique ou institutionnelle.

    La plus grande des crises est d'ordre spirituel et métaphysique, d'abord. Elle tient dans l'immense dilemme qui traverse les peuples européens, auxquels on demande d'adhérer à un projet de nature universelle et de renoncer à leurs communautés particulières, leurs nations. L'Union européenne, gigantesque machine à produire du droit et des normes, ne se soucie guère de l'âme européenne et des nations. Elle ne s'intéresse qu'aux individus et aux entreprises privées. Elle est une négation de l'humanité telle qu'elle s'est construite depuis des millénaires, c'est-à-dire dans le cadre de communautés particulières. Il ne faut pas chercher plus loin les raisons de la remise en cause générale de l' «esprit de Bruxelles» dans toute l'Europe, à droite comme à gauche.

    La question que nous pose l'Europe est difficile. Peut-on transcender sa communauté particulière pour adhérer à une idée générale telle que l'idée européenne? Peut-on appartenir politiquement à une idée?

    Ce n'est pas un hasard si nous assistons aujourd'hui à un regain d'intérêt pour le grand écrivain autrichien Stefan Zweig (1881-1942), auquel un film vient d'être consacré. Zweig incarne, peut-être plus que quiconque, l'esprit bourgeois tel qu'il a émergé lors du XIXème siècle humaniste et libéral. Confronté aux deux guerres mondiales, Zweig a eu toute sa vie en horreur le nationalisme, «cette pestilence des pestilences qui a empoisonné la fleur de notre culture européenne». Zweig quitte l'Autriche en 1934, persuadé que son pays et le monde courent vers la guerre à cause du nazisme. L'histoire lui donnera raison. Il sera naturalisé britannique avant de finir ses jours au Brésil, exilé. En 1942, alors qu'il assiste impuissant à la guerre qu'il avait prédit, Zweig se donne la mort, avec sa compagne, dans un ultime élan de désespoir. Avant son suicide, il laisse un livre-testament, Le monde d'hier, souvenirs d'un Européen. C'est dans ce livre, marqué par la nostalgie d'un âge d'or de l'Europe qu'il voyait dans la monarchie austro-hongroise, qu'on aperçoit le plus clairement la profession de foi humaniste et européenne de Zweig, en même temps que l'aporie de celle-là. Car Zweig, involontairement, a mis en évidence dans ce texte l'immense difficulté posée par le déracinement et le cosmopolitisme. Et c'est en cela que ce livre est capital car il éclaire l'enjeu le plus décisif auquel nous autres Européens sommes aujourd'hui confrontés: la disparition de nos patries.

    En cosmopolite assumé, Zweig regrette le monde d'avant 1914, quand «la terre avait appartenu à tous les hommes. Chacun allait où il voulait et y demeurait aussi longtemps qu'il lui plaisait. On montait dans le train, on en descendait sans rien demander, sans qu'on vous demandât rien, on n'avait pas à remplir une seule de ces mille formules et déclarations qui sont aujourd'hui exigées. Il n'y avait pas de permis, pas de visas, pas de mesures tracassières, ces mêmes frontières qui, avec leurs douaniers, leur police, leurs postes de gendarmerie, sont transformées en un système d'obstacles ne représentaient rien que des lignes symboliques qu'on traversait avec autant d'insouciance que le méridien de Greenwich».

    Ce que Zweig ne supporte pas dans l'idée nationale, au-delà de l'esprit guerrier qu'elle peut engendrer, ce sont les «tracasseries administratives», ces «petites choses» dans lesquelles il voit le symbole du déclin spirituel de l'Europe: «Constamment, nous étions interrogés, enregistrés, numérotés, examinés, estampillés, et pour moi, incorrigible survivant d'une époque plus libre et citoyen d'une république mondiale rêvée, chacun de ces timbres imprimés sur mon passeport reste aujourd'hui encore comme une flétrissure, chacune de ces questions et de ces fouilles comme une humiliation ». Face à cela, Zweig « mesure tout ce qui s'est perdu de dignité humaine dans ce siècle que, dans les rêves de notre jeunesse pleine de foi, nous voyions comme celui de la liberté, comme l'ère prochaine du cosmopolitisme ».

    Comment ne pas voir dans ces lignes un condensé de l'esprit européen aujourd'hui? La perception de la nation comme un un carcan liberticide, la foi dans le progrès et l'universalisme, l'éloge de l'expatriation et des échanges culturels entre pays…: Zweig, sans le savoir, a remporté la bataille. Les expériences totalitaires ont décrédibilisé l'idée de patrie et ont marqué la victoire contemporaine des idées libérales et universalistes de 1789, dont l'Union européenne porte l'héritage. Mais Zweig, qui haïssait la décadence spirituelle des totalitarismes, se serait-il reconnu dans l'Union européenne sans âme, cette institution antipolitique qui fait de l'espace européen un territoire neutre où la nature humaine est réduite au statut d'individu et de consommateur ? C'est là l'immense tragédie de Stefan Zweig: son combat a été gagné au-delà de toutes ses espérances, et il a abouti à la négation même de ses idéaux humanistes.

    L'attachement à une patrie ne se réduit évidemment pas à de simples contraintes administratives. Il ne se réduit pas non plus à « la haine ou la crainte de l'autre », comme l'écrit Zweig à propos du nationalisme. Il est au contraire la reconnaissance de la pluralité des modes d'être-au-monde, la reconnaissance de «ces vieux particularismes auxquels revient l'honneur d'avoir créé les valeurs esthétiques et spirituelles qui donnent son prix à la vie » (Lévi-Strauss). Villon, Rabelais, Châteaubriand, Proust et Céline auraient-ils existé s'ils n'avaient pas été pétris par l'histoire, la culture et l'esprit français ? « Tout ce qui est essentiel et grand n'a pu émerger que lorsque les hommes ont eu une maison et ont été enracinés dans une patrie », a un jour rappelé Martin Heidegger.

    Mais Zweig lui-même a entrevu le caractère essentiel de cet attachement, et voici selon nous le passage le plus étonnant et le plus marquant de son ouvrage, qui tranche radicalement avec le reste de son propos: «Quand on n'a pas sa propre terre sous ses pieds — cela aussi, il faut l'avoir éprouvé pour le comprendre — on perd quelque chose de sa verticalité, on perd de sa sûreté, on devient plus méfiant à l'égard de soi-même. Et je n'hésite pas à avouer que depuis le jour où j'ai dû vivre avec des papiers ou des passeports véritablement étrangers, il m'a toujours semblé que je ne m'appartenais plus tout à fait. Quelque chose de l'identité naturelle entre ce que j'étais et mon moi primitif et essentiel demeura à jamais détruit. Il ne m'a servi à rien d'avoir exercé près d'un demi-siècle mon cœur à battre comme celui d'un ‘citoyen du monde'. Non, le jour où mon passeport m'a été retiré, j'ai découvert, à cinquante-huit ans, qu'en perdant sa patrie on perd plus qu'un coin de terre délimité par des frontières ».

    C'est la leçon, magnifique et tragique à la fois, que nous souhaiterions, pour notre part, retenir de Stefan Zweig. C'est la leçon que l'Union européenne, qui a trahi l'Europe, devrait également retenir. 

    Né en 1986, Mathieu Slama intervient régulièrement dans les médias, notamment au FigaroVox, sur les questions de politique internationale. L'un des premiers en France à avoir décrypté la propagande de l'Etat islamique, il a publié plusieurs articles sur la stratégie de Poutine vis-à-vis de l'Europe et de l'Occident. Son premier livre, La guerre des mondes, réflexion sur la croisade de Poutine contre l'Occident, est paru aux éditions de Fallois.

    Mathieu Slama           

  • Société • Les nouveaux curés ... Hors de l’Eglise politiquement correcte, point de salut !

     

    par Mathieu Bock-Côté

    Nous avons souvent pointé, dans Lafautearousseau, les prétentions exorbitantes de la nouvelle cléricature, multiforme et totalitaire, qui régente nos sociétés. Mathieu Bock-Côté le fait ici avec tout son talent. Nous lui laissons la parole d'autant plus volontiers que c'est en grande partie grâce aux jeunes intellectuels de sa génération que le pouvoir de la dite cléricature est largement en train de s'effriter.   LFAR

     

    3222752275.jpgOfficiellement, il y a à peu près 50 ans, la société québécoise s’est débarrassée de ses curés. On leur reprochait de chercher à contrôler notre vie. Ils nous culpabilisaient en nous accusant de commettre des péchés. Ils voulaient gouverner nos consciences. Les gens en avaient marre.

    Autant la religion est respectable dans son propre domaine, autant elle peut être exaspérante lorsqu’elle domine nos vies. Dès lors, nous nous croyons libres. Chacun fait ce qu’il veut de sa vie. Mais en sommes-nous vraiment certains ?

    Se pourrait-il que de nouveaux curés aient pris la place des anciens ? On sent bien, aujourd’hui, peser sur nous une nouvelle morale qui ne dit pas son nom.

    On reconnaît les nouveaux curés à leur manière de vouloir régenter chaque parcelle de notre existence, et de nous présenter comme des individus mauvais si nous résistons à leurs ordres.

    Au nom de la santé, ils veulent aseptiser la vie. Ils l’abordent en sarrau, avec un masque hygiénique. Viandes, charcuteries, alcools, boissons sucrées, sexe, tabac, friandises : dans leur monde idéal, ils pourraient tout interdire. Les nouveaux curés ne comprennent pas que les excès participent aussi au bonheur de la vie.

    Mais au-delà de la vie quotidienne, les nouveaux curés règnent aussi.

    Vous trouvez que vous payez trop d’impôts et que les services publics sont souvent misérables ? On vous traitera d’égoïste.

    On vous interdira aussi de penser librement. En la matière, il y a un nouveau catéchisme auquel il faut croire et dont il faut réciter les articles.

    Le monde doit être sans frontières. Les peuples doivent se diluer au nom de l’ouverture. Il doit y avoir toujours plus d’immigration et c’est à la société d’accueil de s’adapter aux immigrés. D’ailleurs, si l’intégration fonctionne mal, c’est la faute de la société d’accueil.

     

    Vous devez penser du bien de toutes les religions et ne jamais vous questionner sur l’une d’entre elles en particulier.

    Ah oui, n’oubliez pas que les sexes n’existent pas. Hommes et femmes sont des constructions imaginaires qu’il faudra déconstruire.

    Mais vous doutez de cela ? Et vous confessez vos doutes ? Vous commettez un péché idéologique. On vous fustigera, on vous excommuniera. Raciste ! Xénophobe ! Islamophobe ! Sexiste ! On vous collera ces étiquettes pour vous transformer en monstre.

    Hors de l’Eglise politiquement correcte, point de salut ! Vous devez avoir honte de vous-mêmes. Normal, vous avez des pensées honteuses !

    Ces nouveaux curés dominent les médias, les réseaux sociaux et l’éducation. Dans leurs rêves les plus fous, eux seuls décideraient qui aurait le droit de parler publiquement ou non.

    Il y a bien des manières de lutter contre les nouveaux curés. La meilleure, c’est de se ficher de leurs commandements et de leur faire comprendre qu’on ne se soumettra plus à leurs interdits.

    Quand le commun des mortels ne croit plus à une religion, ses grands prêtres misent sur la peur. Ils nous insultent ? On doit leur rire au visage pour reprendre notre liberté. 

    Mathieu Bock-Côté

    est sociologue, auteur du "Multiculturalisme comme religion politique" (Cerf Ed., 2016).

    Article initialement publié dans Le Journal de Montréal