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Mathieu Bock-Côté : Macron-Le Pen, « la grande explication idéologique autour de la question nationale française » est remise à plus tard

 

Une analyse de Mathieu Bock-Côté           

Pour Mathieu Bock-Côté, malgré un second tour Macron-Le Pen, « la grande explication idéologique autour de la question nationale française » n'est pas pour tout de suite. Cette tribune [Figarovox, 26.04] pose avec grand réalisme et lucidité, beaucoup de justes questions ; elle constate l'échec de la droite à être une vraie droite, dégagée de son asservissement à la doxa et à l'emprise de la gauche. Elle va au fond des choses qui est civilisationnel et non gestionnaire. Être antisystème bien plus radicalement que ceux qui revendiquent aujourd'hui, électoralement, ce positionnement, est évidemment à quoi aspire Mathieu Bock-Côté. Comme nous-mêmes qui n'avons jamais cru que cette mutation puisse être, ad intra, le fait du Système lui-même ou de l'une de ses composantes.  Il y faudra, selon nous, une révolution des esprits et des volontés beaucoup plus large et beaucoup plus profonde, qui monte d'une large frange de la société française. Ou, si l'on veut, un populisme lassé du Système et aspirant à tout autre chose.  Lafautearousseau 

 

2760774407.2.jpgFinalement, les sondages ne se seront pas trop trompés. Emmanuel Macron a bien terminé en tête du premier tour de la présidentielle et Marine Le Pen est bien parvenue à se qualifier pour le deuxième. Le deuxième tour plébiscitera très probablement l'héritier de François Hollande, d'autant qu'une pression médiatique et politique immense s'exerce déjà pour pousser au grand rassemblement républicain contre un Front national ne parvenant manifestement pas à se dédiaboliser, à tout le moins chez les élites politiques et médiatiques. La consigne est généralement entendue: pas un vote pour Marine Le Pen.

Ceux qui s'approchent de cette dernière sont immédiatement irradiés: ils sont frappés du sceau de l'infréquentabilité. On imagine mal le leader du FN susciter des ralliements chez des figures bien établies de la classe politique ou du milieu intellectuel. La démocratie postmoderne voit dans ce qu'elle appelle le populisme le grand autre représentant la part malveillante et refoulée du genre humain contre lequel tout est permis. Elle va même jusqu'à mettre sur le même pied le populisme et l'islamisme, comme si ces deux phénomènes témoignaient d'une même pathologie à combattre ouvertement. La gauche ne semble toujours pas capable de combattre le FN sans faire appel à la rhétorique antifasciste.

On veut présenter le deuxième tour de cette présidentielle comme un grand référendum opposant la France ouverte contre la France fermée. D'autres parleront de la France de l'avenir contre la France du passé. On départage ainsi aisément les gentils et les méchants, les branchés des salauds. Le Front national accepte lui-même cette alternative bien qu'il la reformule dans d'autres mots, en distinguant le camp mondialiste et le camp souverainiste, qui recouperait la division du pays entre les élites et le peuple. Le deuxième tour est ainsi transformé en référendum depuis longtemps attendu sur l'avenir de la France. On veut y voir une élection civilisationnelle engageant toute une époque.

Il faut pourtant résister à cette illusoire clarté idéologique. Car si Emmanuel Macron représente bien le camp de la mondialisation heureuse, il ratissera beaucoup plus large au terme d'une campagne qui verra une bonne partie de la droite libérale, conservatrice ou même souverainiste se rallier sans trop d'enthousiasme mais sans hésitation non plus à sa candidature, présentée dans les circonstances actuelles comme un moindre mal devant la possibilité de l'aventure frontiste. La majorité présidentielle qui s'en dégagera ne sera pas idéologique. Au terme du deuxième tour, il n'y aura pas en France un grand parti macronien allant de Daniel Cohn-Bendit à Bruno Retailleau.

De même, Marine Le Pen ne rassemblera qu'une part réduite et déformée de cette France souverainiste et conservatrice qui cherche à prendre forme depuis un temps. Elle se montre manifestement incapable de la fédérer politiquement. Il faut dire que personne n'y parvient et qu'elle n'est certainement pas dans la meilleure position pour le faire. Si jamais elle atteint quand même 40% au deuxième tour, elle pourra néanmoins crier victoire: cela voudra dire qu'une bonne partie du peuple de droite est devenue indifférente ou même hostile aux critères de la respectabilité médiatique. L'électeur ordinaire aura finalement franchi le cordon sanitaire. De son point de vue, 2017 se transformera en étape vers 2022.

Chose certaine, l'absence de la droite au second tour est tragique. La défaite de François Fillon n'est pas d'abord celle de ses idées, encore moins celle de la tendance conservatrice qui l'a porté même s'il ne voulait pas lui-même la porter. C'est celle d'un homme qui a entraîné son camp dans une spirale infernale. Qu'adviendra-t-il du renouveau conservateur de la droite ? Le leadership républicain sera-t-il tenté de faire porter la responsabilité de la défaite à cette renaissance conservatrice et identitaire ? Certains le laissent déjà entendre, comme si la droite était condamnée à la déroute dès lors qu'elle n'accepterait plus de n'être qu'une vision modérée de la gauche. Ils sont nombreux à droite à se faire une fierté de dédaigner leurs propres troupes et même à s'essuyer joyeusement les pieds sur ceux qui les soutiennent.

Revenons-y un instant: depuis quelques années, la droite avait cherché à se délivrer de la tutelle idéologique du progressisme. Elle voulait en quelque sorte se déjuppéiser et cesser d'emprunter à ses adversaires des concepts et un vocabulaire contribuant à l'inhiber puis à l'étouffer, en la réduisant au seul espace du libéralisme comptable. C'était tout le sens de la redécouverte du conservatisme depuis quelques années : permettre à la droite de redevenir elle-même. Pour reprendre le terme du jour, la défaite accidentelle de Fillon annonce-t-elle une régression idéologique de la droite, renouant piteusement avec une philosophie moderniste, gestionnaire et comptable, renonçant à penser les enjeux de civilisation ?

Plusieurs annoncent une recomposition politique. Il faudrait d'abord parler de décomposition. On disserte depuis des années sur la fin du clivage gauche-droite, qui semble pourtant moins superficiel qu'on ne veut le croire. Il est vrai que d'autres clivages surgissent, mais aucun ne parvient à s'imposer clairement. Souverainistes et mondialistes ? Progressistes et conservateurs ? Identitaires et cosmopolites ? Libéraux et antilibéraux ? Ces alternatives cherchent à saisir une réalité qu'on comprend bien intuitivement mais qu'on peine à conceptualiser adéquatement, comme si une partie du réel débordait toujours des représentations dans lesquelles on veut l'enfermer.

Cette redéfinition des termes du débat politique s'inscrivait pourtant dans un contexte occidental où les questions culturelles, anthropologiques, identitaires et civilisationnelles prennent ou reprennent une importance vitale. La politique n'est plus cantonnée dans les enjeux gestionnaires ou dans le seul paradigme de la croissance et de la redistribution de ses fruits. On se délivre d'un matérialisme étroit, qui assèche l'âme. Dans toutes les sociétés occidentales, une angoisse existentielle est ressentie : celle de la dissolution du monde commun, celle de la fin d'une civilisation que plusieurs voudraient pourtant faire durer. On ne peut esquiver cette préoccupation sans esquiver au même moment l'essentiel.

Pour l'instant, la fragmentation extrême de l'électorat est accentuée par un système politique déréglé qui fait exploser la contestation antisystème sans qu'elle ne parvienne à se fédérer autour d'une grande option politique intégratrice. Il y a ceux qui contestent la mondialisation libérale, il y a les autres qui s'en prennent à l'immigration massive, sans oublier ceux qui en veulent aux médias ou à l'Europe. On parle depuis quelques jours des quatre France, qui ne parviendraient pas à s'emboîter dans une dynamique politique créatrice. Le prix à payer pour ces nombreuses postures oppositionnelles, c'est un effrayant sentiment d'impuissance politique. Dès lors resurgit la possibilité d'une crise de régime.

Le conflit idéologique croise ici une mutation sociologique bien réelle. On a noté l'incapacité de François Fillon de rejoindre les classes populaires tout comme l'incapacité de Marine Le Pen de rejoindre la bourgeoisie nationale et conservatrice. Les deux habitent pourtant l'espace national et témoignent d'un désir d'enracinement dont la censure alimente un profond sentiment d'aliénation politique. Ces deux catégories, en quelque sorte, s'inscrivent dans un espace national qui n'est pas celui de la nouvelle bourgeoisie mondialisée. Cette dernière contrôle encore les codes de la respectabilité médiatique et se maintient ainsi au pouvoir. S'agit-il d'une contre-offensive durable ou seulement d'un sursis ?

Quoi qu'il en soit, le deuxième tour de la présidentielle n'aura rien de la grande explication idéologique autour de la question nationale française. En fait, ce deuxième tour maquillé en affrontement homérique entre philosophies contradictoires ne sera rien d'autre qu'une réaffirmation de la toute-puissance du système médiatique qui est parvenu en quelques mois à redéfinir une élection en la dégageant des enjeux de fond qui auraient dû la définir. Le débat de l'entre-deux tours sera à bien des égards parodique. Le fond des choses finira bien par remonter à la surface, mais pour un temps, le système médiatique aura remporté la bataille. 

Mathieu Bock-Côté        

XVM7713ddbc-9f4e-11e6-abb9-e8c5dc8d0059-120x186.jpgMathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Son dernier livre, Le multiculturalisme comme religion politique, vient de paraître aux éditions du Cerf [2016].

Commentaires

  • L'analyse de MBC a le mérite de nommer le vrai niveau des enjeux actuels. Les simplicités, les imprécations, les insultes, les combines, ne sont plus de mise. Ceux qui aiment vraiment la France et sa civilisation, devraient maintenant évoquer les grandes questions, avec sérieux, réflexion, sagesse politique.
    Si elle est vraiment elle-même, la pensée d'AF peut y jouer un grand rôle.

  • Comme toujours, Mathieu Bock-Côté voit juste et va à l'essentiel. Les médias dominants et les partis de gauche ont tout fait pour estomper les enjeux de civilisation qui sont de plus en plus pressants et le peuple berné continuera encore longtemps à en ressentir la frustration.

  • Les analyses de Mathieu Bock-Côté sont souvent pertinentes mais, j'avoue ici être en désaccord sur bien des points. La grande explication idéologique autour de la question nationale française est bel et bien posée dans cet affrontement Macron Le Pen même si les institutions ne sont pas mises en cause ce qui est évidemment dommage. La division du pays entre les « élites » et le peuple est bien réelle et recouvre de toute évidence une question civilisationnelle. Ce n'est en rien illusoire. Emmanuel Macron est le candidat de la droite et de la gauche, comme en témoignent ses soutiens qui vont de Cohn-Bendit, Jacques Attali, Pierre Bergé, Henri de Castries à Alain Minc, Nicolas Sarkozy, Valérie Pécresse, François Fillon, Alain Juppé, Jean d'Ormesson… Impossible d'être exhaustif en la matière, bref, tous les bourgeois « hors sol » évangélistes de la mondialisation heureuse. Et ils sont rejoints mais de manière indirecte, un peu honteuse, par Luc Ferry, Chantal Desol et même par Yves de Kerdrel pour lequel ce qui pourrait nous arriver de pire c'est la démondialisation. Impossible pour eux sans doute par conviction? et surtout parce que leurs lecteurs ne comprendraient pas, d'appeler à voter pour Emmanuel Macron tout en affirmant que le pire serait sans doute l'élection de Marine Le Pen. Bref vous avez compris : il vaut mieux s'abstenir, mais si vous voulez vraiment voter… Pourquoi donc ces ralliements plus ou moins francs à Emmanuel Macron ? C'est simple, parce que Marine Le Pen a commis le péché irrémissible, péché contre l'esprit, celui de vouloir sortir de l'euro et de l'union européenne en voulant se protéger, nous protéger des ravages de la mondialisation. Car, pour eux tous, "écomystif'és" de part en part et dans le moindre neurone, les questions économiques priment sur toutes les autres. Bien sûr, il y a le reste… Oui, mais il faut bien vivre avec son temps!!!… Et les voilà rejoints par la cohorte des catholiques qui viennent ajouter au cocktail une dose de moraline au nom de la défense des « valeurs de l'Évangile » qui sont d'ailleurs pour eux celles de la république et la bonne recette du «vivre ensemble ». Difficile pour eux aussi d'encourager de manière directe un vote en faveur de Macron, alors nos hypocrites mîtres molles et leurs fidèles recommandent l'abstention tout en laissant entendre que le pire serait quand même l'élection de Marine Le Pen… Jean-Pierre Denis, directeur de la "Vie" franchit le pas et appelle clairement à voter pour Emmanuel Macron, car « Marine Le Pen s'oppose à l'Évangile ». Dans ces délires pathétiques, Christophe Billan, nouveau président de " sens commun"se distingue refusant de choisir « entre le chaos porté par Marine Le Pen et le pourrissement politique d'Emmanuel Macron ». Il est vrai que ce mouvement résolument engagé du côté des républicains et support indéfectible de François Fillon a canalisé un grand nombre des marcheurs de la manif pour tous vers ce soutien absurde mais indéfectible, en laissant, terrible erreur, Jean Frédéric poisson sur la touche, renvoyant ainsi un désastreux message aux responsables politiques : "ces querelles « sociétales » ne sont pas essentielles" entonnant de facto le requiem de la manif pour tous.. Et les militants de sens commun ont été, autre erreur tragique, précipités dans les mailles du filet républicain par bon nombre de curés et abbés des « bonnes paroisses parisiennes et versaillaises dans l'impasse où ils se trouvent désormais, les laissant Grosjean comme devant.....
    C'est un désastre pour l'église qui s'allie tranquillement à l'oligarchie financière dans un mépris scandaleux du peuple de France, qu'elle souhaite d'ailleurs remplacer par des populations étrangères.
    Alors je pense que Mathieu Bock-Coté se trompe. L'absence de la droite (laquelle ?) Au second tour n'est en rien tragique, c'est au contraire une bonne nouvelle. C'est vrai lesbourgeois « bien-pensants » sont un peu perturbés en découvrant que voter Fillon, Juppé ou Macron c'est du pareil au même. Il n' y aura jamais de renouveau conservateur de la droite parce que cette droite est d'abord et essentiellement libérale et que vouloir être tout à la fois conservateur et libéral c'est marier la carpe et le lapin . Il n'y a pas de bourgeoisie nationale et conservatrice, il y a qu'une bourgeoisie pour laquelle les questions économiques et financières seront toujours premières et devront l'emporter sur tout le reste. Ils sont incurables… Marine Le Pen serait incapable de rejoindre la bourgeoisie nationale et conservatrice, mais laquelle ? Où est-elle ? J'ai beau chercher je ne vois que le désert qui croît....

  • Tout à fait d'accord avec ton analyse, cher Antoine !
    Nous connaissons évidemment tous de ces nigauds bien élevés, "pensant bien" et tout le tremblement qui ne peuvent pas concevoir que la Finance et l'économie, ça se restaure, ça s'améliore, ça se reconstitue, alors que ce que notre Nation est en train de vivre est d'une nature autrement plus grave...

  • MBC a rêvé d'une droite qui, en effet, n'existe pas ou plus, tout du moins pas chez ceux à qui l'on colle cette étiquette. Nicolas Dupont-Aignan a flétri ce soir sa trahison, d'ailleurs prévisible. MBC a cru qu'elle pouvait muter, soit proprio motu, soit obligée. Il s'est trompé, en effet en cela, ce que relève, si on la lit, l'introduction de LFAR. Il avoue sa déception, c'est à dire, sur ce plan là, sa naïveté. .
    Sur le fond même, qui me semble importer davantage, je ne crois pas qu'il se trompe, puisqu'en réalité il dit la même chose que ce que développe dans don premier paragraphe le commentaire précédent.

  • Les analyses d'Antoine de Crémiers sont toujours très stimulantes, merci à lui. Puis- je faire une simple nuance. Oui, il a raison de voir dans la bourgeoisie , du moins, son essence depuis la révolution française , comme un ralliement au veau d'or de l'économie, justifiant le mot célèbre de Boutang: " notre société n' a plus rien elle n'a rien à transmettre qui justifie un nouvel « appel aux conservateurs ............»
    Mais les hommes peuvent-ils faire leur mutation? Après tout un des personnages les plus sinistres la révolution, Fouché s'est bien raillé à Louis XVIII en 1815.,, à la légitimité, prenant acte de l'impasse radicale de L'empire et d ela Révolution Oui, les hommes peuvent-ils muter comme le rappelle intelligemment LFAR et se rebeller contre le système? Je ne serais pas aussi sévère pour Sens commun, même si leur sectarisme envers Marine et surtout Marion a été une erreur.. Après tout Fillon aurait pu basculer un peu plus vers une réfonte de l'enseignement ,une autre diplomatie etc.; . La meute médiatique l'a fait plier au soir du premier tour. Là il a tout perdu, semble-t-il. ..Le caractère aussi est important. Mais il faudra bien continuer à parier sur l'éveil de la conscience et de la volonté de Résistance.

  • D'autant que si Marine Le Pen réunit 40% des voix, c'est à dire une petite moitié des Français qui votent, il y aura nécessairement parmi eux beaucoip de "convertis"... Si l'on ne croit pas à la possibilité de conversions, si l'on en répute exclus trop de gens, à quoi jouons-nous ? C'est ipso facto perdu.

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