Justice & Royauté • Camille Pascal : Saint louis et son chêne expliqué aux « historiens de garde »
Saint Louis rendant la justice sous le chêne de Vincennes, Pierre-Narcisse Guérin, Musée des Beaux-Arts d'Angers
Par Camille Pascal
Au cours de l'Émission politique, François Fillon a été prié de se prononcer sur la crédibilité de Saint Louis rendant la justice sous son chêne. Dans cette remarquable tribune [Figarovox 24.03] Camille Pascal montre comment cela est révélateur du rejet des intellectuels contemporains à l'égard de toute référence au roman national. Beaucoup de choses ont disparu en même temps que la monarchie. A commencer par la vraie justice qui s'incarnait dans la personne du Roi et qu'il garantissait. Vint ensuite la justice révolutionnaire. On sait ce qu'elle fut et, somme toute, elle s'est prolongée ... LFAR
Il est des émissions politiques qui ont marqué l'histoire de la télévision française, d'autres, l'Histoire contemporaine tout court, il est plus rare qu'elles aient provoqué un débat sur l'Histoire de France. L'Émission Politique, puisque tel est son nom, diffusée jeudi dernier sur France 2 et dont François Fillon était l'invité, marquera, à n'en pas douter, l'histoire de la télévision mais seuls les résultats du premier tour des élections présidentielles permettront de dire si elle aura joué un rôle dans l'histoire politique de notre pays. Néanmoins, une chose est sûre désormais, cette émission aura fait de l'Histoire de France un enjeu majeur de ce scrutin.
Le « cabinet noir », chacun le sait, a toujours été depuis Monsieur Gabriel Nicolas de la Reynie, une prérogative du Lieutenant Général de Police et donc le domaine exclusif de la Maison du Roi. Quant à Christine Angot, malgré le tintement de ses bracelets, elle n'est pas, loin s'en faut, Madame de Staël, ni même Marguerite Duras dont elle a fait, ce soir-là, un pastiche pathétique. Pour autant, si l'Histoire affleurait déjà dans ces deux grands moments de télévision, elle n'était pas encore au centre du débat.
Il a fallu attendre la confrontation entre le candidat et un professeur d'Histoire-Géographie au lycée de Nanterre, Madame Laurence de Cock, vice-présidente d'un étrange « Comité de Vigilance face aux usages publics de l'histoire » - on se demande bien en quoi l'Histoire qui constitue la mémoire collective des événements passés n'est pas d'usage public ? - pour que l'Histoire fasse son entrée en majesté sur le plateau de l'émission. Il s'agissait de condamner toute référence au fameux récit national qui est désormais considéré par certains intellectuels comme une sorte d'avant-poste du révisionnisme. L'échange fut courtois, presque respectueux de part et d'autre, alors même que les trois furies antiques, Tisiphone, Mégère et Alecton, continuaient à tournoyer autour des projecteurs quand madame Laurence de Cock demanda de but en blanc à François Fillon si la figure du Roi Saint-Louis rendant la justice sous son chêne lui paraissait « crédible » ?
Le candidat des Républicains s'attendait certainement à tout ce soir-là sauf à devoir se prononcer sur la crédibilité de Saint-Louis... Chacun sait, pourtant, que l'image du Roi Saint-Louis rendant la justice sous son chêne dans les jardins du château de Vincennes n'est pas une invention de l'imagerie populaire, comme la barbe fleurie de Charlemagne par exemple, mais qu'elle est tirée du témoignage direct du fameux sire de Joinville (1224-1317), compagnon d'armes, conseiller et historiographe du Roi Saint-Louis. Ce personnage historique a donc non seulement existé mais il nous a laissé des souvenirs parfaitement crédibles qui sont encore aujourd'hui la principale source sur l'histoire de ce règne. Alors certes, comme toutes les sources qui sont à la disposition de l'historien, ce témoignage doit être soumis à une critique interne et externe, c'est-à-dire qu'il doit faire l'objet d'une analyse rigoureuse avant d'être confronté minutieusement aux autres sources disponibles. Il revient donc à l'historien d'expliquer dans quel contexte et surtout avec quel « outillage mental », selon la très belle expression de Lucien Febvre, le texte a été produit, mais dès lors que celui-ci n'est pas un faux, comme la donation de Constantin par exemple, il est par nature « crédible ».
Le lecteur comprendra aisément qu'aux yeux de madame de Cock, le témoignage d'un noble et pieux chevalier franc du XIIIème siècle, croisé par-dessus le marché, soit hautement suspect mais il n'en demeure pas moins que le récit que Jean de Joinville a fait du Roi Saint Louis rendant la justice sous un chêne du bois de Vincennes est non seulement crédible mais parfaitement véridique. Peut-être faut-il rappeler à Madame de Cock, didacticienne et historienne du « fait colonial », que le Roi de France est au Moyen-Âge le principe de toute justice et qu'il peut donc à ce titre, non seulement faire la Loi, mais juger en lieu et place de magistrats qui n'étaient, en réalité, que ses délégués et qui perdaient de fait cette délégation en sa présence. Ainsi non seulement la scène du bois de Vincennes est-elle parfaitement crédible mais elle est évidemment très utile pour permettre de faire comprendre à des élèves de primaire ou du collège en quoi les rois de France étaient d'abord des « Rois de Justice ». C'est ce qu'avait parfaitement compris Ernest Lavisse, bête noire de Madame de Cock, et grand admirateur de Joinville.
En s'interrogeant sur la « crédibilité » de ce témoignage, madame de Cock a fait preuve en vérité d'un très grand mépris non seulement pour le roi Saint-Louis, le sire de Joinville, mais au-delà pour tous ceux de nos ancêtres qui ont eu le tort, à ses yeux, de vivre au XIIIème siècle, de croire en Dieu et même en la Mission Divine de la France qui justifiait, alors, les Croisades. Il est vrai que les sujets du Roi Saint-Louis n'avaient pas la chance de lire Libération tous les jours ni même de pouvoir profiter de l'enseignement de madame de Cock.
Ce dont cette enseignante, certainement dévouée, n'a semble t'il pas pris tout à fait conscience c'est qu'en s'interrogeant publiquement et d'un petit ton d'ironie sur la crédibilité d'un épisode parfaitement authentique de l'histoire du Roi Saint-Louis, elle a posé sur la civilisation française du XIIIème siècle le regard « colonial » que la IIIème République et ses instituteurs portaient sur les cultures, les récits et les croyances « indigènes » au début du XXème siècle. Regard condescendant et méfiant que cette historienne du « fait colonial » est, n'en doutons pas, la première à condamner. •
« Non seulement la scène du bois de Vincennes est parfaitement crédible mais elle est très utile pour faire comprendre à des élèves en quoi les rois de France étaient d'abord des " Rois de Justice " ».