Nous n'évoquons que rarement - et, à vrai dire, pas très volontiers - la question dynastique, parce qu'elle a le don de réveiller des discussions, voire des querelles, sans fin, qui, à la plupart de nos lecteurs, semblent ressurgies d'un autre monde. Et qui, de fait, n'ont pas, aujourd'hui, grande réalité. Nous nous contentons de professer que les princes d'Orléans (qui sont des Bourbons ...) sont les héritiers de la légitimité monarchique et, à chaque occasion, nous agissons en conséquence. D'ailleurs, par delà tous arguments historiques et juridiques - qui peuvent très bien perdre, avec le temps, leur pertinence - le simple bon sens politique tranche en faveur des princes d'Orléans, toujours présents sur le sol français (sauf du temps de la loi d'exil !) et toujours liés très étroitement à la vie nationale. A la légitimité dynastique doit s'ajouter, en effet, la légitimité politique qui, elle, se conquiert par des actes et par des services rendus, hic et nunc.
Néanmoins, nous avons trouvé intéressantes les deux réflexions parallèles de Pierre-Yves Guilain et Philippe Delorme, toutes deux publiées dans leurs pages Facebook respectives et consacrées, chacune, à un sujet particulier étudié en détails.
Vous pourrez les lire plus loin. Souhaitons que les discussions qui suivront seront raisonnables, réalistes et sereines. Et plus soucieuses de l'avenir de la France que de juridisme. Lafautearouseeau u
UN MYTHE : ALPHONSE XIII, "ALPHONSE Ier DE FRANCE" par Pierre-Yves Guilain
Dans les généalogies truquées par les pseudo-légitimistes, il y a un personnage qui occupe une place de choix : le roi Alphonse XIII d'Espagne, rebaptisé "Alphonse Ier de France". L'arrière-grand-père de "Louis XX" est devenu l'aîné des Capétiens en 1936, à la mort sans descendants de Don Alfonso Carlos, dernier prétendant carliste. Preuve qu'Alphonse XIII aurait alors revendiqué d'être roi de France de jure : il a alors changé ses armoiries, remplaçant l'écu d'Anjou qui figurait "sur le tout" de celles d'Espagne, par l'écu de France. C'est la thèse défendue par l'un des gourous les plus hystériques de la cause alfonsiste, Hervé Pinoteau.
Il y a pourtant un os. Pinoteau, qui se fait passer pour un ponte de l'héraldique, est très mal renseigné. S'il s'était un peu documenté, il aurait constaté qu'Alphonse XIII utilisait l'écu de France bien avant 1936, et avant lui son père Alphonse XII, et d'autres princes de la branche espagnole des Bourbons. Juan Carlos a fait de même à plusieurs reprises. Ceci pour une raison bien simple : l'écu sur le tout ne représente pas un royaume sur lequel on règne ou prétend régner, mais l'origine dynastique. Ainsi, sur les armoiries des rois d'Espagne, on voit dans le champ leurs royaumes - Aragon, Castille, Léon, Navarre, Grenade - et sur le tout, Bourbon-Anjou. La plupart des monarques européens font de même : Roumanie (écu de Hohenzollern), Luxembourg (Bourbon-Parme), Grèce (Danemark), et avant la guerre de 14 Grande-Bretagne, Belgique, Bulgarie (Saxe-Cobourg). Il va de soi que les souverains en question ne prétendaient nullement aux trônes d'Allemagne, Parme ou Saxe. Mais le grand héraldiste Pinoteau ignore ce B.A.-BA de l'héraldique. Ou plutôt, il la tripatouille pour les besoins de la cause.
Autre bidouillage du même Pinoteau, à propos d'Alphonse XIII. Il exhibe une lettre du roi à son cadet le duc de Séville, datée de juin 1940, où "en tant que chef de la maison de Bourbon, il doit [...] faire observer à leurs descendants les prescriptions relatives à leurs ascendants sur les trônes de saint Louis et de saint Ferdinand".
Primo, si Alphonse XIII se dit effectivement chef de la maison de Bourbon, c'est bien de celle d'Espagne qu'il s'agit et non de l'utopique internationale bourbonienne que prônent les pseudo-légitimistes. Jusqu'à une époque récente, la maison du roi Juan Carlos était dite "Casa de Borbón", c'est maintenant "Casa de S.M. el Rey" pour éviter toute équivoque. On sait d'ailleurs que Juan Carlos affirme clairement la légitimité des d'Orléans dans la succession de la couronne de France. Mais les autres branches de Bourbon font de même : "Casa di Borbone" pour les Parme et les Deux-Siciles, "Familie van Bourbon" pour le duc de Parme aux Pays-Bas où il réside. Ce qui n'implique évidemment aucune prétention au trône de France.
Secundo, si Pinoteau était de bonne foi, il éplucherait plus attentivement la lettre en question. Le roi remonte les bretelles au duc de Séville parce qu'il entend contracter un mariage "inégal", alors que les infants doivent épouser des princesses de sang royal sous peine de perdre leurs droits dynastiques. C'était effectivement la règle en Espagne jusqu'au roi actuel, alors qu'elle n'a jamais existé chez les rois de France. C'est donc la preuve évidente qu'Alphonse XIII s'exprime en tant que roi d'Espagne et non de France !
Enfin, il faut souligner que si Alphonse XIII s'était réclamé de la couronne de France, il l'aurait dit ou écrit. Prince moderne, homme de communication avant la lettre, il savait très bien faire passer ses messages. Il ne s'attendait certes pas à ce que des hurluberlus, pratiquant fébrilement la réécriture de l'histoire, fassent de lui, après sa mort, un roi de France à l'insu de son plein gré. u
(Photo : monnaie à l'effigie d'Alphonse XIII enfant, bien avant 1936, avec l'écu de France sur le tout)
Source : Pierre-Yves Guilain.
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