En ces temps de crise globale -qui bien plus que simplement économique est une crise anthropologique et ontologique- les instances du Pays Légal ont voulu un débat sur l'identité nationale; ce débat a permis -au moins en partie- l'expression des inquiétudes et, parfois, des doutes et du découragement d'un très grand nombre de nos concitoyens, à propos justement de cette identité nationale.
Hilaire de Crémiers a quelque chose à dire à tous ceux qui doutent ou qui sont dans l'angoisse. Il le fait dans un texte fort, qu'il est bon de lire et dont il est bon de méditer la leçon :
Naissance d’une nation : Clovis et les principes fondateurs de l’identité française.
Dans une ample vision de notre Histoire, avec le recul que lui donne le survol des siècles, Hilaire de Crémiers redonne le sens profond de l'aventure de Clovis, dont il situe bien le caractère éminemment politique -au sens fort et noble du terme- et ouvre à ces sentiments d'espérance qu'évoquait Jacques Bainville, lorsqu'il écrivait "Pour des renaissances, il est encore de la foi..."
On écoutera la version orale, si l'on peut dire, de ce Grand Texte en cliquant sur le lien ci-après, qui restitue le discours prononcé par Hilaire de Crémiers aux Baux de Provence, lors du Rassemblement Royaliste de 1996 :
http://vimeo.com/11860504
Du Rhin aux Pyrénées, l’unité est faite, l’ordre civil est rétabli, la loi proclamée, la loi salique revue et corrigée, la justice rendue. La loi ecclésiastique, avec le concile d’Orléans, sous l’autorité du roi, fils de l’Église catholique —tel est son titre octroyé par le concile lui-même !— garantit la foi et la paix, l’ordre social et hiérarchique. Si l’on veut dénoncer ce que l’on appelle l’intrusion du pouvoir royal dans les affaires ecclésiastiques, il faut remonter à Clovis et d’ailleurs plus haut.
Si Rémy baptisa lui-même Clovis, il confia à Gaston (ou Vast, ou Vaast) le soin de parfaire son éducation morale et spirituellle
Cette œuvre est unique, naturelle et surnaturelle. Toute l’élite de l’époque en a conscience et Clovis tout le premier. Cette œuvre, il l’a placée lui-même sous le patronage de Martin, le patron de cette Gaule aimée et auquel il vient, comme il se doit, en rendre l’hommage légitime. Clovis, roi des Francs, est devenu le roi des Gallo-Romains, de cette population dont le professeur Dupâquier a montré d’une manière remarquable la permanence constitutive de notre histoire. Il est le roi catholique des évêques catholiques. Revêtu des insignes du consul, de la chlamyde, il est le représentant actuel de l’antique ordre romain. L’Empire, la civilisation se trouvent un successeur en lui. Si Sidoine l’avait su, il en aurait pleuré de joie, comme tous ses confrères. Clovis est le nouveau Constantin. Cela ne fait aucun doute pour les contemporains cultivés. Enfin, il est le roi de Paris, de la Lutèce de Geneviève ; il y tient. C’est là qu’il vient résider dans le palais de Constance Chlore. C’est de là qu’il commence à rendre justice. C’est là qu’il meurt. Il se fait enterrer à côté de Geneviève, sur la sainte montagne, dans cette basilique qu’avec son épouse Clotilde il a fait construire pour montrer sa fidélité romaine en l’honneur des apôtres Pierre et Paul.
La légende naquit aussitôt. Pourquoi ? Non pas parce que la nation France serait née à cette date. Les historiens nous mettent en garde contre cette trop facile assertion, et ils ont raison. Mais parce que les contemporains ont compris ce que nous comprenons encore à 1500 ans de distance : que c’était une histoire extraordinaire, une rencontre merveilleuse. Eh quoi ! Une si longue et si juste aspiration qui trouve en quelques années une satisfaction dans la réalisation d’un projet politique dont l’intelligente conception contente le cœur de tout un peuple ! C’est si vrai que Clovis est devenu un modèle ; oui, Clovis est le modèle du projet royal français. Son nom y est associé à tout jamais. Ça ne sera plus, ou du moins, ça ne pourra plus être, mais il faudra encore des années, des siècles pour le confirmer, ça ne pourra plus être pour la Gaule, pour la France qui naît de la Gaule, le modèle impérial. C’est fini. Il y aura encore des hésitations, certes, mais l’idée nouvelle est lancée, qui triomphera de l’ancienne.
Le modèle impérial est intégré dans le modèle royal de Clovis, modèle nouveau, forme politique pour cette Gaule qui va devenir la France. Et, pour passer les siècles, pourquoi croyez-vous que nos rois Valois, nos rois Bourbon jusqu’à Louis XVI se sont faits représenter en empereurs romains ? Au-delà du modèle sculpté à l’antique, il y a cette volonté de manifester encore et toujours que le véritable successeur de l’ordre romain, de l’empire romain, d’Auguste, de Constantin et du grand Théodose, c’est le roi de France, le successeur de Clovis et non..., non l’autre, le Germanique !
Louis XIV, en Empereur romain, sur la promenade du Peyrou, à Montpellier
Et ce modèle royal ne serait plus, non plus, la royauté des peuples barbares, celles des coutumes germaniques, des partages, des règlements de comptes. Mais, là aussi, il faudra des années et des siècles pour que la notion nouvelle s’impose. Clovis reste un modèle. Ce sera le modèle d’un nouveau type de roi uni à son peuple dans une composition harmonieuse, répondant à son aspiration profonde d’unité, d’ordre, de paix, de dignité dans la civilisation, d’exactitude dans la foi.
Modèle ! C’est tellement vrai qu’il sera la référence dans toutes les époques troublées de notre histoire. Les Français, à chaque fois qu’il faudra de nouveau se rassembler, se réunir pour survivre, auront toujours l’impression de revivre quelque épisode de leur vieille histoire ! C’est toujours la même chose : arrêter les invasions, faire les frontières, rejeter l’étranger, aller à Reims faire le roi condition du salut, reconquérir le royaume, le pacifier par la justice. Ainsi faudra-t-il faire de crise en crise, de siècle en siècle.
"aller à Reims faire le roi condition du salut..."
Oui, combien de fois faudra-t-il le faire et le refaire ! Et puis, cette vieille Bourgogne, cette Armorique, cette Aquitaine, ce Midi, cette Provence, la “provincia” par excellence de cette Gaule romanisée dont elle garde le nom, les ramener dans la mouvance française sous l’autorité du roi de Paris ! Ils le savent bien, les politiques, les clercs, les légistes qui travaillent pour le roi, les hommes d’armes aussi.
Et chacun affûte ses arguments, et puise dans la légende. Elle est comme un arsenal de preuves. Les siècles ont aménagé cette légende et c’est bien compréhensible. Il y a des sots et des sots savants pour s’en étonner. Laissons-leur leur étonnement et leur science.
Oui, l’histoire façonna cette légende. Grégoire Florent, le fameux évêque de Tours, gardien du tombeau de saint Martin, un siècle après les événements, rédige la première Historia Francorum. Dès qu’il arrive à l’histoire de Clovis, son récit quelque peu ennuyeux se relève d’un style particulier ; il a des images éclatantes, des phrases frappées. Déjà des enjolivements. Pourquoi ? Il veut exprimer la signification que l’événement a revêtue. L’association d’idées l’amène à raconter les événements selon des schémas anciens, et par exemple il façonne l’image de Clovis sur celle de Constantin.
Autre exemple : Grégoire de Tours raconte que, lors de la bataille de Vouillé, des éclairs jaillirent de la basilique Saint-Hilaire qui abattirent l’armée wisigothique. L’a-t-il entendu dire ? L’a-t-il lu ? Peut-être. Fort bien. Mais surtout, il veut montrer par là à quel point Clovis dans son entreprise d’Aquitaine se trouvait être le successeur d’Hilaire dans sa lutte contre l’arianisme : Clovis parachevait sur le plan militaire l’œuvre spirituelle d’Hilaire de Poitiers.
Saint Hilaire de Poitiers (à gauche) en compagnie de Saint Athanase, tous deux farouches opposants à l'arianisme.
En choisissant Nicée contre Arius, Clovis "se trouvait être le successeur d’Hilaire dans sa lutte contre l’arianisme : Clovis parachevait sur le plan militaire l’œuvre spirituelle d’Hilaire de Poitiers..."
Frédégaire, continuateur et compilateur de Grégoire de Tours, amplifie encore quelques récits. Les premiers rédacteurs des vies des saints des Gaules, de saint Vaast à sainte Geneviève, rajoutent des éléments. Les historiens sérieux font le tri évidemment. Ils discernent et ils voient fort bien sous le récit la réalité vraie. Le livre de Michel Rouche est remarquable à ce point de vue et surtout dans sa deuxième partie, consacrée à l’étude critique des textes ; il les scrute et il en montre la véracité, chef-d’œuvre de critique, de critique à la française, pleine de science mais supérieure à la science, où triomphe l’esprit de finesse.
Ainsi se maintint dans la tradition le mystère d’une origine prodigieuse de la royauté franque alors que les Mérovingiens s’entre-déchiraient dans des meurtres abominables et donnaient un spectacle scandaleux. La notion d’État avait disparu. Les Pépinides, habilement, s’employèrent à le restaurer. Ils reformèrent le territoire, ils le protégèrent de l’invasion, ils rendirent la justice.
La légende sainte s’attacha alors naturellement à leur race. Ce ne furent pas seulement les évêques qui les soutinrent ; les papes de Rome en difficulté les appelèrent à leur secours. Les Vicaires de Jésus-Christ firent pleuvoir sur leurs têtes et sur leurs peuples les bénédictions divines. Le pape Zacharie, pour écarter définitivement les derniers Mérovingiens, déclara “qu’il valait mieux que celui-là fût appelé roi qui avait la puissance effective”. Autrement dit, ce qui compte, c’est l’œuvre. Le roi est fait pour l’œuvre. L’œuvre royale ! C’est celle de Clovis !
Clovis avait été baptisé et confirmé du saint-chrême comme roi. Maintenant, les rois, déjà baptisés et confirmés, sont oints en tant que rois pour exercer leur charge. Pour la première fois, l’onction royale est donnée à Pépin et à ses fils. Le pape Etienne II viendra les oindre encore lui-même du saint-chrême à Saint-Denis en 754. A partir de cette date, les souverains pontifes, dans leurs actes publics, marqueront une déférence spéciale au roi de France. Il est le “compère spirituel” du pape. Nouveau David, le roi de France est le successeur des rois de Juda. Le peuple des Francs est le peuple de Dieu, la nation sainte.
Mais le modèle n’est pas encore fixé. L’histoire hésite encore. Charlemagne restaure l’unité de l’Occident en unité temporelle et unité spirituelle. Il garantit un territoire au pape, qui le couronne empereur à Rome. L’histoire revient-elle en arrière ? Est-ce encore un modèle impérial ? Les héritiers se disputent de nouveau. 843, le traité de Verdun divise l’Empire en trois États, l’origine de presque toutes nos guerres. La Germanie à l’est, la Lotharingie coincée au centre et, à l’ouest, la vieille Neustrie qui s’appellera bientôt “Francia”. Où sont les promesses ? Où les bénédictions ? Sur quelles têtes vont retomber les grâces ? A qui sont dévolues en héritage les merveilles ? Qui est le véritable successeur de Clovis ?
"(Hincmar) Il rapporte pieusement le fait merveilleux de l’irruption de la colombe tenant dans son bec la sainte ampoule..."
Alors, apparut le plus avisé politique de son temps, Hincmar, moine de Saint-Denis, devenu archevêque de Reims. Les évêques réfléchissaient sur la personne du roi en cette époque troublée du IXe siècle. Hincmar, dans un but politique certain, se fit le défenseur du privilège rémois, et en même temps de la légitimité que l’on pourrait qualifier déjà de nationale en la personne de Charles le Chauve face au Germanique. Il en avait écrit lui aussi son traité sur “la personne du roi”. C’est dans sa Vita Remigii, tout à l’honneur de Remi et de la ville de Reims, ville de la consécration royale, qu’en racontant le baptême de Clovis, il rapporte pieusement le fait merveilleux de l’irruption de la colombe tenant dans son bec la sainte ampoule.
Les rois de France sont donc oints du saint-chrême et de plus d’une huile céleste. C’est encore Hincmar qui le premier donne à saint Remi la voix d’un prophète. Il rapporte ce qu’on est convenu d’appeler le grand testament de saint Remi, le pacte entre Dieu et Clovis, entre Dieu et la France, entre Dieu et les rois de France, texte tout inspiré du Deutéronome.
Mais les derniers Carolingiens ne sont pas à la hauteur de cette destinée. L’héritage se disloque et de nouveau l’invasion ravage le territoire. Les Normands se livrent à leurs pillages. Alors les Robertiens accèdent au trône en s’appropriant la doctrine d’Hincmar, la grâce de Reims. C’est qu’ils s’identifient au royaume : ils le défendent, ils gardent jalousement son territoire et ils préservent l’unité et la durée du pouvoir en assurant la succession. Ils s’appuient sur l’Église, sur Cluny. Ils rendent la justice. La doctrine royale s’affermit. Ils sont les successeurs de Clovis. Leur titre est : le Roi Très Chrétien, titre donné par les pontifes, confirmé par Urbain II, l’ancien chanoine de Reims.
"L’héritage se disloque et de nouveau l’invasion ravage le territoire. Les Normands se livrent à leurs pillages..."
Les volumineuses Chroniques de France, rédigées sur les ordres de saint Louis et de Philippe le Hardi, reprennent tous les vieux récits. “Gesta Dei per Francos”, est-il écrit. Les légistes de Philippe le Bel s’en emparent. Ils affirment l’indépendance et la sacralité du pouvoir royal. “Le roi de France est empereur en son royaume”. La théorie s’établit de ce qui fut nommé la religion royale : le sacre de Reims, le sacrement de la monarchie, le miracle de Clovis. Les Valois, après les Capétiens directs, se situent dans la suite de la légende de Clovis qui ne cesse de se répéter et de s’amplifier de chroniqueurs en légistes, de Guillaume Le Breton en Nicolas Gilles, de Vincent de Beauvais en Jean Golein et Robert Gaguin, du XIIIe au XVe siècle. Charles V, le roi sage et si fin, en une période difficile s’en fait le prophète et le législateur. Cette religion royale est le Droit par excellence, le garant de la légitimité royale et nationale. Dans les affres de la guerre de Cent Ans, elle maintient la fidélité des esprits français. Jean de Terrevermeille s’en fait le docteur, le professeur Barbey en a parlé admirablement.
Mais pourquoi vous citer tant de légistes et d’historiens ? Pourquoi ne pas parler aussi des p