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  • Covid-19 : entretien avec une infirmière en première ligne, par Maxime Briand.

    Dans un style direct et sans faux-semblant, une infirmière, urgentiste à Paris, nous a livré son témoignage sur la manière dont elle a ressenti le choc qu'a constitué le déferlement de l'épidémie sur l'hôpital. Pour d’évidentes raisons, cette infirmière a souhaité conserver l’anonymat.

    Propos recueillis par Maxime Briand, de l’ISSEP

    Chaque année les syndicats et personnels hospitaliers organisent des manifestations pour mettre en garde contre les conséquences de la suppression de postes et de la diminution du budget et du nombre de lits. Comment l’hôpital public a-t-il fait face au Covid avec ces conditions alarmantes ?

    Nous avons effectivement dû faire face à une pénurie de matériel de protection. Durant la « première vague » de mars/avril, nous avons manqué de solutions hydro-alcooliques et de sur-blouses pour nous protéger. Nous devions alors garder la même blouse durant toute la nuit en notant notre nom dessus. Ainsi, nous allions voir tous nos patients avec le même équipement… Tout à fait hygiénique dans une épidémie ! Sans compter que les solutions hydro-alcooliques et les masques nous étaient donnés au compte-goutte et que nous en manquions certaines nuits. Dans notre hôpital, et plus particulièrement dans mon service d’urgence, nous avons heureusement bénéficié de renforts humains : des infirmiers et des internes venus renforcer nos effectifs. Mais nous savions que ces « renforts » étaient des professionnels dont les services avaient fermé à cause de la crise et donc que leurs spécialités manquaient à ce moment-là. On a pu se rendre compte quelque temps après, avec un peu de recul, que le grabuge pour les patients chroniques et la prise en charge de pathologies considérées comme non urgentes était immense ; que ce soit le dépistage du cancer ou le suivi de malades chroniques somatiques ou psychiatriques. Dans mon hôpital, toutes les chirurgies qui le pouvaient ont été annulées et reportées afin de libérer des lits et faire des services avec des « lits Covid ». Pour cela, mon hôpital semble avoir été très réactif dans sa capacité à ouvrir de nouveaux lits.

    Nous avons vu, pendant le premier confinement, un intérêt nouveau des politiques pour la santé de l’hôpital, notamment en débloquant 500 millions d’euros en avril dernier. Avez-vous perçu l’impact de ces aides au sein de vos services ? Cet intérêt s’est-il maintenu dans le temps ?

    Nous avons bien eu des renforts médicaux et paramédicaux. Je sais qu’il y a eu un certain nombre d’intérimaires ou de jeunes retraités rappelés sur l’hôpital. On peut donc dire que nous avons perçu une aide (indispensable) en terme d’effectifs, mais nous n’avons pas constaté de miracles et en tout cas presque aucune différence en terme de matériel, je dirais même au contraire… Nous arrivions péniblement à obtenir un masque toutes les quatre heures et nous ne pouvions pas toujours avoir les masques adaptés aux gestes à risque : à savoir les masques FFP2 en cas d’intubation ou de contact avec un risque élevé de projections des gouttelettes.

    Du point de vue de nos rémunérations, nous avons bénéficié d’une prime de 1000 € à la fin de ces deux mois de mars et avril. Était-ce pour « acheter » notre confiance, notre silence ? Quoi qu’il en soit, c’était une somme importante effectivement, mais de là à compenser la détresse de ces deux mois denses, vécus dans des conditions angoissantes, sans savoir ce qui nous attendait, je pense qu’il y a une certaine marge. À supposer, c’est vrai, que l’argent puisse régler un problème d’ordre physique et psychologique, et compenser le manque chronique d’effectifs et de reconnaissance.

     

    La préoccupation de la « santé de l’hôpital » n’aura donc que peu duré apparemment : une fois le pire fini, nous redevenons une « vulgaire entreprise » qui doit faire du chiffre.

     

    Non, je ne peux pas dire que cet intérêt se soit maintenu dans le temps. Passée cette « première vague », l’ouverture de « nouveaux » lits et les renforts qui nous avaient été accordés n’ont bien sûr pas duré et nous en sommes quasiment revenus au point de départ. Il est toujours aussi difficile de trouver des lits aux urgences pour les patients nécessitant d’être hospitalisés.

    Quant au manque d’effectifs, ce grave problème pour le milieu hospitalier est toujours d’actualité. Dans nos urgences, certains jours, le sous-effectif se fait cruellement sentir. Pour un service d’urgence aussi grand que le nôtre et comptant près de 300 passages sur 24 heures lors des plus grosses journées, le manque d’infirmières est vraiment scandaleux. Inutile de préciser que, contrairement aux services d’hospitalisation classique, nous n’avons pas de nombre limite de patients et nous nous devons donc d’accueillir toute personne qui se présente aux urgences. Que nous ayons la place ou non.

    Sans compter la pression et le stress auquel nous faisons face certains jours, lorsque nous sommes combles et en sous-effectif mais que les soins doivent quand même être faits, et rapidement ! La préoccupation de la « santé de l’hôpital » n’aura donc que peu duré apparemment : une fois le pire fini, nous redevenons une « vulgaire entreprise » qui doit faire du chiffre. Notre salaire, quant à lui, n’a pas bougé, contrairement aux augmentations promises.

    Le 11 novembre dernier, Konbini publiait le témoignage d’une infirmière. En reconversion, elle estimait que son travail n’était plus que celui d’une « machine » bonne à produire du chiffre, dénuée, par nécessité économique, de tout aspect humain. Ce mal du métier est-il un sentiment généralisé dans votre profession ?

    Tout à fait ! Je dirais que c’est bel et bien la première impression que j’ai eue en découvrant le milieu hospitalier. Quelle désillusion a été la mienne en première année d’études, en constant que les infirmières n’avaient plus « le temps » de parler à leur patients, de discuter quelques instants ou de prendre les quelques minutes nécessaires pour leur tendre une oreille attentive ou leur murmurer quelques paroles réconfortantes. Ce travail de « machine » est encore plus flagrant aux urgences où le flux constant des patients et des soins nous oblige à nous chronométrer afin de ne pas passer à côté d’une urgence. Ce sentiment de devoir faire du chiffre en oubliant l’aspect humain est en effet un sentiment généralisé dans ma profession. Nous aimerions pouvoir rester plus de temps au chevet de nos patients. Surtout quand on sait que nous avons parmi nos patients beaucoup de personnes âgées, souvent plus fragiles, plus lentes et parfois quelque peu perdues d’avoir été transportées à l’Hôpital. Devoir « speeder » nous donne donc parfois l’impression cruelle de les brusquer, de les laisser perdues. C’est très frustrant.

    Vous êtes urgentiste à l’hôpital, à Paris, depuis plusieurs années. Vous voyez donc passer chaque jour dans votre service de nouveaux patients très divers. On parle d’un ensauvagement accru de la société : de par votre expérience professionnelle, quel constat établissez-vous sur l’atmosphère sociale ?

    Je suis en effet infirmière dans des urgences parisiennes, dans un quartier « chaud » si je puis dire. La population que nous sommes amenés à soigner est donc très variée. Elle va des personnes âgées des beaux quartiers aux émigrés vivant dans les camps près du périphérique. Nous prenons en charge beaucoup de personnes en situation de précarité, un certain nombre d’agressés à l’arme blanche, etc.

    Pour ce qui est de l’« ensauvagement » de la société je ne pourrais nier qu’il existe. Malheureusement, la violence est très présente dans nos urgences. Rares sont les nuits où nous ne sommes pas agressés verbalement voire physiquement. Nous accueillons beaucoup de personnes émigrées aux urgences. Cette population vient très souvent pour des problèmes bénins, ils préfèrent venir chez nous plutôt que chez un généraliste puisque que nous distribuons les soins gratuitement. Mais le problème, c’est que nous ne sommes pas là pour « soigner » de petites ampoules aux pieds. Ce genre de problème nous fait perdre beaucoup de temps, risque de retarder la prise en charge d’autres patients plus graves et devient usant à la longue.

    Nombreuses sont aussi les personnes qui viennent en pensant que tout leur est dû, que nous sommes à leurs ordres et que nous devons les servir comme s’ils étaient à l’hôtel. Sans parler de certains hommes pratiquant une religion étrangère à la culture française, qui nous considèrent comme leurs servantes et nous parlent de façon inadmissible parce que nous sommes des femmes.

     

    C’était très sympa de nous faire applaudir, Président. Ce serait encore mieux de nous payer décemment et d’organiser véritablement les services de santé.

     

    Nous accueillons aussi beaucoup de personnes en situation de précarité, qui peuvent vivre dans la rue et sont souvent alcoolisées. Ces prises en charge, pour nous, sont difficiles, car il s’agit le plus souvent de gens qui cherchent un endroit où dormir et manger au chaud. Étant donné leurs vies difficiles, certains sont agressifs si nous sommes incapables de leur fournir un lit.

    Un autre problème de notre société, que l’on ne constate que trop aux urgences, est le manque d’éducation d’aujourd’hui. En effet notre société vit sur le modèle du « tout nous est dû ». Les gens sont habitués à avoir tout, tout de suite, à obtenir tout ce qu’ils désirent immédiatement. C’est ainsi que certains patients s’impatientent et nous insultent dès que l’attente est un peu trop longue ou que l’on ose leur refuser un café… La politesse et la courtoisie sont trop souvent oubliées. Avec notre société où le confort est roi, beaucoup sont incapables de souffrir ou de ressentir une gêne quelques heures et viennent aux urgences au moindre bobo. C’est ainsi que nous devons prendre en charge beaucoup de gastroentérites ou de grippes chez des patients jeunes qui n’ont besoin d’aucun soin médical mais simplement de repos et de patience.

    Enfin, pour ce qui est de l’atmosphère sociale, je constate avec inquiétude qu’il y a beaucoup de gens déséquilibrés, fragiles. Nombres de jeunes viennent car ils ont tenté de mettre fin à leurs jours, jeunes et moins jeunes d’ailleurs. Pourrait-on faire un lien entre les mœurs totalement dépravées de notre époque et l’état de grande faiblesse de tous ces gens qui consultent ? Nous recevons aussi aux urgences beaucoup de personnes qui décompensent et « pètent un câble », comme on dit, source parfois de grandes violences physiques qui nous amènent à les prendre en charge à une dizaine de soignants, et parfois même avec l’aide de la police. Cette misère sociale est de plus en plus flagrante.

    Un autre point que je voudrais aborder est le système de soins français. Les patients n’ont rien à avancer à l’hôpital et avec la sécurité sociale et notre système d’assurance, les patients ne réalisent pas, pour la plupart, la valeur des soins. Pour ce qui est des urgences, ils ignorent que chaque passage aux urgences a un coût. Une simple consultation avec un urgentiste en pleine nuit coûte une centaine d’euros, sans compter les soins qui peuvent s’y ajouter. Je pense que si les gens réalisaient cela, ils ne se déplaceraient que pour l’indispensable. Certains patients, il faut le préciser, viennent toutes les semaines, voire tous les jours à certaines périodes.

    Pendant le premier confinement, la France vous a rendu hommage chaque soir à 20h30. Depuis, beaucoup n’hésitent pas à qualifier les membres du corps hospitalier de « héros ». Que vous inspire cette distinction ?

    Effectivement, ça avait un côté réconfortant de voir que nous étions soutenus et encouragés. Des « héros », je ne sais pas, mais ce qui est certain c’est qu’il faut être bien accroché pour perdurer dans cette voie et avoir le courage de venir travailler encore et encore. C’est éprouvant, tant physiquement que psychologiquement. Mais nous vivons aussi de très belles choses et pour rien au monde je ne regretterais d’être infirmière. Même si je ne me vois pas faire ce métier encore à 50 ans.

    Pour revenir sur la façon dont j’ai l’impression d’être perçue par la société en tant que soignante, je dirais qu’à l’heure actuelle j’ai plutôt l’impression de faire partie des « oubliés », des « délaissés », voire des « pestiférés » à fuir. « Oubliés » par le gouvernement et « fuis » par la société. Du moins en cette période de Covid. En effet, travaillant à l’hôpital, j’ai eu plus d’une fois des réflexions me faisant comprendre que je pouvais être une menace contaminante et que j’étais priée de garder mes distances. Que ce soit dans mon village natal en rentrant chez mes parents ou ailleurs. Je peux aussi vous citer l’exemple de certains de mes collègues que leurs propres parents ne voulaient plus voir pendant les « pics » de l’épidémie, car ils estimaient le risque trop important pour eux.

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    Source : https://www.politiquemagazine.fr/

  • Alain Damasio : ”En France, tout a été construit autour d’une infantilisation maximale des citoyens”, par Nidal Taibi.

    Alain Damasio.
    SEBASTIEN BOZON / AFP

    Auteur de science-fiction engagé, Alain Damasio publie un conte adressé aux jeunes, "Scarlett et Novak", une parabole sur l’addiction aux smartphones. Parallèlement, Gallimard réédite ses précédents romans en poche. À cette double occasion, "Marianne" s’est entretenu avec lui pour parler politique, littérature et bataille des imaginaires.

    Marianne : Sans trop forcer l’analogie, l’actualité que nous vivons n’est pas sans évoquer "la furtivité" : le traçage n’est plus une option taboue, la dépendance aux écrans et outils numériques inquiète les plus technophiles d’entre nous, la suspension des libertés fondamentales préoccupe même au sein de la majorité. Que vous inspire cette atmosphère générale ?

    Alain Damasio : C’est une atmosphère où le plus efficace des affects politiques, à savoir la peur — la peur du virus, la peur de la maladie, la peur de l’autre comme contagieux et contaminant — est exploité à plein par les pouvoirs en place pour faire passer des lois dont la seule utilité est de réduire un peu plus nos espaces de liberté. Au nom de la bienveillance, naturellement, d’une biopolitique qui vise à sauver le maximum de vies humaines — mais de vies quantifiées, pas qualifiées, ce qui revient à sacrifier la jeunesse et sa fougue pour quelques années de plus en Ehpad [Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, N.D.L.R.], à l’autre bout de la chaîne. Le traçage sanitaire pourrait être une excellente méthode pour limiter l’expansion du virus, à condition qu’elle relève du choix libre et confiant des acteurs. En France, tout a été construit et géré autour d’une infantilisation maximum des citoyens et d’une centralisation inefficace des mesures. C’est un contresens social de procéder ainsi, propre à l’abruti nommé Jupiter qui croit diriger ce pays.

     

    "Sans cet espace concret, la chaleur disparaît" 

     

    À vous entendre, craignez-vous que les restrictions des libertés fondamentales se pérennisent ? Dit autrement : que l’état d’exception devienne le paradigme normal de gouvernement ?

    Je ne le crains pas, c’est déjà fait. Toutes les lois d’exception liberticides des 30 dernières années, passées sous prétexte d’urgence terroriste (quelle urgence en réalité ? Aucune, sinon l’alibi médiatique), ont ensuite été passées dans le droit commun. L’extraordinaire et l’exceptionnel sont devenus l’ordinaire du contrôle. L’effet cliquet des lois est une réalité. Aucun gouvernement ne revient jamais sur une loi qui le favorise, c’est la norme des pratiques actuelles. C’est insupportable et scandaleux, mais qui manifeste contre ça part nous, les répudiés « gauchistes » ? On a le monde qu’on accepte d’avoir en tant que mouton consentant.

    De quel œil regardez-vous la domination impériale des GAFAM depuis le début cette crise sanitaire ?

    Elle est strictement logique à partir du moment où la distanciation sociale, donc l’isolement des particules individuelles que nous sommes, devient la norme quotidienne. L’échange en chair et en os étant systématiquement conjuré au nom de la menace (inexistante, rappelons-le, pour les moins de 45 ans), cette absence vécue des corps se compense par la communication numérique, les réseaux dits "sociaux" et l’échange dématérialisé. Bref, le rêve des Gafam. Nous vivons depuis un an dans leur éden, gentiment esclaves des outils qu’ils nous ont forgé pour se signaler les uns les autres à travers nos monades. Le côté intéressant de ce laboratoire d’expérimentation sociale, fondé sur le numérique et la distance consentie, est qu’il nous fait éprouver ce qui nous manque vraiment. On se dévitalise, on perd le moral, on ne se nourrit plus de l’énergie concrète, physique, tactile, riante, des autres, de nos proches, amis, des rencontres, des découvertes. On mesure que les mammifères sociaux qui bruissent en nous sont vivants parce qu’ils partagent un espace et un temps commun. Sans cet espace concret, la chaleur disparaît. On a froid.

    Pourtant, au début de la crise sanitaire, vous vous êtes montré optimiste quant au futur. Vous voyiez dans cette crise un kaïros, une brèche ouverte dans l’horizon des possibles. Un an plus tard, quel bilan en faites-vous ?

    Oui, comme beaucoup, j’ai espéré que cette rupture massive du continuum capitaliste, de l’exigence de croissance, du cycle des consommations, du speed artificiel de nos existences, ouvrirait une prise de conscience. Une nouvelle disponibilité au monde. Aux autres. À soi. Une nouvelle fraîcheur. Et je constate et vis, comme beaucoup, que ce second confinement nous casse les pattes. Parce que cette énergie et cette brèche ouverte, on avait envie de l’exploiter tout de suite, de ne pas la perdre, et on se retrouve avec un élan coupé court, sapé. Avec en outre l’incertitude qui plane sur la fin de cette crise et qui décourage les anticipations, la reprise d’élan. Donc ce monde d’après sonne comme une promesse qui ne peut avoir lieu. J’espère que quelque chose, pourtant, s’est bien passé en nous et qu’on s’en souviendra. Que les priorités du vivant en nous, à travers nous et hors de nous n’auront pas été oubliées.

    Vous appeliez de vos vœux une "écologie sociale de l’attention". De quoi s’agit-il ?

    L’expression est du philosophe Yves Citton et je la trouve magnifique. Elle est tirée de son essai éponyme. Elle répond aux "sursollicitations" d’une économie de l’attention dont nous dépendons tous, qui est devenue l’or gris ou rouge du capitalisme cognitif : une façon de capter en permanence nos attentions pour nous amener à consommer des biens ou des services, essentiellement numériques d’ailleurs. L’écologie de l’attention, c’est la faculté à arbitrer entre ces sollicitations et ces stimuli incessants, à les filtrer, les esquiver, s’en protéger par la déconnexion ou le choix intelligents des outils numériques qui peuvent construire des attentions riches, équilibrées, respectueuses de nos disponibilités. C’est s’aménager un écosystème personnel mais aussi communautaire pour ne pas se faire polluer d’informations inutiles et perverses, pour trouver des sources d’éveil, de découverte, de nourritures spirituelles et émotives qui nous soient propices. Ça ne vient pas comme ça. Ça se construit laborieusement.

     

    "Les jeunes, et notamment les ados, sont la cible la plus évidente des séductions du numérique" 

     

    Dans ce monde meilleur que vous espérez, quelle place devraient occuper les technologies numériques ? Quel serait un usage salutaire de ces outils ?

    Personnellement, je m’inspire beaucoup de ce qu’avait développé Ivan Illitch dans les années soixante-dix et qui me semblent extrêmement pertinent encore aujourd’hui. À savoir rechercher et utiliser des techniques et des technologies qui soient "conviviales" : qui développent nos puissances (ce qu’on peut faire directement, avec nos capacités) plutôt que nos pouvoirs (ce qu’on fait faire aux applis, aux machines, en perdant progressivement la faculté à le faire nous-mêmes : on mémorise moins, calcule moins bien, s’oriente de moins en moins, etc.) ; qui soient réparables et "bricolables" directement, au lieu de nous placer en situation de dépendance totale (autonomie vs hétéronomie) ; qui nous ouvrent le monde plutôt que nous le fermer (jeux vidéos imaginatifs vs jeux débiles addictifs par exemple). Je parle parfois d’un épicurisme numérique à trouver, qui serait un art de vivre avec les smartphones, les applis, les plateformes qui sache supprimer tous les désirs vains, superflus et addictifs, favorisant l’auto-aliénation, au profit des seuls outils réellement efficaces pour déployer nos puissances et nous émanciper.

    Vous venez de publier un conte sur les dangers de l’addiction aux smartphones adressé aux adolescents. Pourquoi ce choix de s’adresser aux jeunes ? L’enjeu vous semble-t-il de taille ?

    Les jeunes, et notamment les ados, sont la cible la plus évidente des séductions du numérique. Découvrir le web, accéder en un clic à toutes les musiques du monde, toutes les infos en temps réel, tous les films possibles ou presque, c’est incroyablement fascinant. Pouvoir gérer à 13 ans ses rapports aux autres, en filtrant, en jouant, à chaque instant, à distance, c’est prodigieux et très attirant. Ça offre un pouvoir inattendu. Et on ne mesure pas tout de suite ce que ça va entraîner en termes de dépendance, de peur de rater (syndrome FOMO), de manipulation comportementale, de fermeture au monde réel, incarné, de perversion aussi dans les rapports humains. Le rôle des écrivains, des penseurs, des psys, est de les alerter là-dessus, de leur offrir du recul, une distance critique, de leur montrer ce qui va vraiment les enrichir aussi. Ce n’est pas un enjeu de taille : c’est tout simplement l’enjeu central de l’éducation aujourd’hui. Savoir éduquer cette nouvelle génération au numérique, rien n’est plus vital et décisif à mes yeux.

    Vous dites que les ados sont plus susceptibles de tomber dans le piège du "technococon". De quoi s’agit-il précisément ?

    C’est un cocon dans lequel ils vont accoucher eux-mêmes dans la douceur. C’est le confort douillet des outils, des plateformes, des algorithmes qui vont décider à ta place quelle est la prochaine vidéo que tu vas regarder, la prochaine musique que tu vas aimer. C’est l’aimant des jeux addictifs, fondés sur les cycles "dopaminiques" du cerveau, dont il est très difficile de se défaire. C’est l’outillage des paresses, de la loi du moindre effort, qui, s’il survient trop tôt, rend l’enfant incapable de se bouger, de faire les efforts cognitifs pour réfléchir, critiquer, penser par lui-même. C’est une chrysalide de fibres optiques et d’applis multi-couches enveloppées autour d’eux et qui interfacent et médient tous leurs rapports au-dehors. C’est le plus puissant des pièges qu’ils puissent rencontrer. Leur apprendre à déchirer ce cocon, leur faire entrevoir chaque jour ce qu’il y a au-dehors — aussi bien la misère que la splendeur du vivant — est une nécessité cruciale.

    Au-delà des jeunes, quel rôle peut jouer la littérature, et la science-fiction en particulier, dans la bataille des imaginaires à l’aune de cette crise ?

    Un rôle majeur, central même peut-être. Parce que la littérature peut croiser et tramer ensemble émotions, perceptions et concepts, toucher les dimensions à la fois affectives et rationnelles, et surtout changer nos modes d’attention aux choses, au monde, aux pratiques. L’imaginaire proposé par les multinationales et les gouvernements est souvent très pauvre quand les œuvres portent énormément de perspectives, variées, complexes, riches. Parfois, ce sera une série TV qui offrira un horizon désirable, une contre-culture précieuse pour transformer ce monde. Parfois ça peut être une BD. Parfois un roman de SF. Parfois un jeu vidéo. Mais tout ça concourt à former des imaginaires de révolte, de reconstruction, de résilience à l’effondrement possible, de renaissance des valeurs du vivant.

     

    "Ce n’est même plus l’ancien monde, c’est l’outre-tombe" 

     

    La période semble en effet fertile pour tout auteur de science-fiction. Vous inspire-t-elle particulièrement ?

    Non, pas spécialement parce que le réel gouvernemental est si pauvre, si limité mentalement, si minable en vérité qu’il n’a aucune vertu inspiratrice. Macron ne peut strictement rien inspirer parce que c’est une machine évidente, un automate, une triste IA de marketing politique, une marionnette néolibérale sans aucune espèce d’intuition ni de créativité, ni de charme, ni de surprise. Ce type est fait en bloc de rien. Trump est inspirant par son grotesque, son côté brechtien, sa "viscéralité", sa férocité animale très joviale. La politique française actuelle est vide, désincarnée : Castex, Véran, Darmanin, Macron, quelle médiocrité sidérale, quel silence de toute intelligence ! Ce n’est même plus l’ancien monde, c’est l’outre-tombe. Ils ne comprennent ni ne sentent rien. On ne peut rien en tirer comme auteur ou il faudrait être le Flaubert de la médiocrité politique ?

    Ce qui m’inspire par contre est la réaction des gens au confinement. Ce que ça produit en eux. Cette anthropologie du prisonnier digital.

    * Alain Damasio, Scarlett et Novak, Rageot, 64 p., 4,90 euros

    Source : https://www.marianne.net/

  • Black-out total en Europe sur le scandaleux sabotage de Nord Stream par l’Amérique !, par Marc Rousset

     

    Avant de tirer les conclusions géopolitiques sur « l’acte de guerre » commis par Biden contre les intérêts stratégiques et économiques de l’Europe, il importe de relater les principaux faits ahurissants, selon la très longue chronique «  Comment l’Amérique a détruit le gazoduc Nord Stream », écrite le 8 février 2023 par le journaliste américain Seymour Hersh dans le Scheerpost.


    En juin 2022 des plongeurs de la Marine américaine de la base de Panama en Floride, opérant sous le couvert d’un exercice de l’OTAN très médiatisé, connu sous le nom de « Baltops 22 », ont posé des explosifs déclenchables à distance à 260 pieds sous la surface de la mer Baltique qui, trois mois plus tard, ont détruit trois des 4 tuyaux des gazoducs Nord Stream 1 et 2.

    MARC ROUSSET.jpgL’administration Biden a fait tout son possible pour éviter des fuites, tout au long de la planification qui s’est étendue de fin 2021 aux premiers mois de 2022, donc bien avant le déclenchement de l’opération militaire spéciale Z le 24 février 2022. Tant que l’Europe restait dépendante des gazoducs russes pour le gaz naturel, écologique et bon marché, Washington craignait que des pays comme l’Allemagne soient réticents pour fournir à l’Ukraine les armes et l’argent dont elle avait besoin, afin de vaincre la Russie, dans une guerre à venir préparée en fait depuis 2014 par l’Amérique, après le coup d’État de Maïdan par la CIA.

    Dès décembre 2021, Biden a autorisé le Secrétaire d’État Jake Sullivan à réunir un groupe de travail interarmées pour élaborer un plan de sabotage des gazoducs. Ont participé également à l’élaboration de ce plan entre autres le Directeur de la CIA William Burns, Victoria Nuland et Anthony Blinken.
    Dès le 7 février 2022, soit moins de trois semaines avant l’invasion russe, lors de la visite du chancelier Scholz à Washington, Biden déclarait en sa présence : « Si la Russie envahit… il n’y aura plus de Nord Stream 2. Nous y mettrons fin ». Vingt jours plus tôt, la sous-secrétaire Nuland avait livré le même message lors d’une réunion du département d’État en comité restreint : « Je veux être très claire avec vous aujourd’hui »  a -t-elle déclaré en réponse à une question : « Si la Russie envahit l’Ukraine, d’une manière ou d’une autre, il n’y aura plus de Nord Stream II. Nous y mettrons fin.»

    Ceux qui préparaient la mission ont été consternés par ces révélations folles avant même que le plan soit exécuté. La source du journaliste Seymour Hersh a pu même dire : « C’était comme poser une bombe atomique sur le sol à Tokyo et dire aux Japonais que nous allons la faire exploser ». Mais l’avantage pour la CIA fut de ne plus avoir l’obligation légale de signaler l’opération au Congrès car elle n’était plus secrète, selon la loi américaine.
    La Norvège était le pays idéal pour organiser la mission car les États-Unis y ont beaucoup investi dans de nombreuses bases navales et aériennes. La marine norvégienne n’a pas tardé à trouver le bon endroit dans les eaux peu profondes (200 pieds) à quelques milles de l’île danoise de Bornholm. De plus, en cas de destruction des gazoducs, la Norvège pourrait vendre encore davantage de gaz à l’UE, à un prix encore plus élevé…

    Ce sont donc des plongeurs militaires américains de la base Panama en Floride qui, à partir d’un chasseur de mines norvégien, ont placé des charges C4, avec une minuterie déclenchable à distance, pour les quatre gazoducs, dans des cocons en béton. Les charges ont été déposées, en juin 2022, lors des exercices navals « Baltes 22 « de l’OTAN qui impliquent chaque année, depuis 21 ans, des dizaines de navires de la sixième flotte américaine basée à Gaeta, en Italie, au sud de Rome.

    Les charges C4 attachées aux gazoducs ont été déclenchées le 26 septembre 2022 par une bouée sonar. La bouée a été larguée par un avion de surveillance maritime P8 de la marine norvégienne qui effectuait un vol apparemment de routine. Le signal s’est propagé sous l’eau vers les deux gazoducs et quelques heures plus tard, en raison de l’explosion, trois des quatre tuyaux ont été mis hors service.
    Les médias américains ont traité l’attentat comme un mystère impossible à résoudre, la Russie étant le coupable probable, sans jamais indiquer un motif clair. Interrogé lors d’une conférence de presse en septembre 2022, le secrétaire d’État Blinken a déclaré : « C’est une formidable opportunité de supprimer une fois pour toutes la dépendance vis-à-vis de l’énergie russe et ainsi d’enlever à Vladimir Poutine la militarisation de l’énergie comme moyen de faire avancer ses desseins impériaux. C’est très important et cela offre une formidable opportunité stratégique pour les années à venir, mais en attendant, nous sommes déterminés à faire tout notre possible pour nous assurer que les conséquences de tout cela ne soient pas supportées par les citoyens de nos pays ou d’ailleurs, autour du monde ».

    Blinken a simplement oublié de préciser que les Européens imbéciles remplaçaient en fait la dépendance stratégique russe par la dépendance stratégique américaine, avec un gaz de schiste liquéfié américain non écologique, hors de prix, transporté par des méthaniers pollueurs, avec des usines polluantes de liquéfaction et de regazéification . Le gaz russe très bon marché et transporté dans des gazoducs écologiques assurait, lui, la compétitivité des industries européennes qui sont maintenant incitées à délocaliser leur production aux États-Unis, avec en prime la destruction supplémentaire d’emplois industriels bien rémunérés, déjà en voie de disparition en Europe ! Merci ami Biden pour ce coup de poignard dans le dos !

    Quant à Victoria Nuland, lors d’un témoignage devant la commission des relations étrangères du Sénat, elle a pu déclarer, fin janvier 2023 , au sénateur américain Ted Cruz : « Comme vous, je suis, et je pense que l’administration est très heureuse de savoir que Nord Stream 2 est maintenant, comme vous aimez le dire, un morceau de métal au fond de la mer. »
    L’Amérique de Joe Biden a donc fait preuve d’un cynisme le plus total et il n’est plus possible de parler de bloc occidental ! Tous les médias européens se taisent, alors que tous les gouvernements et tous les états-majors européens savent que ce sont les Américains avec les Norvégiens qui ont fait sauter Nord Stream ! Tout le monde sait à quoi s’en tenir de l’« ami américain », mais personne ne dit rien, ce qui est ahurissant ! D’autant plus qu’il y avait des intérêts européens et pas seulement russes pour financer les gazoducs Nord Stream (la société française Engie, par exemple, perd plus de 1 milliard de dollars, suite au sabotage américain). Mais la Vérité étant connue de tous, les répercussions historiques à long terme de ce scandale, de cette trahison par l’Amérique, sont déjà en marche, afin de pouvoir construire une Europe libre, européenne, proche de la Russie, dans un monde multipolaire.

    Le plus cocasse, comme l’écrit André Posokhov sur R/L, c’est que l’Allemagne, « paillasson servile », soit agressée par un attentat qui ruine son économie et qu’elle puisse pourtant décider de rentrer en guerre avec la Russie pour défendre l’intérêt des seuls États-Unis contre ses propres intérêts. À qui profite le crime ? Qui d’autre que Washington avait intérêt à ce sabotage, d’autant plus qu’un procureur allemand vient de confirmer qu’il n’y avait aucune preuve contre la Russie dans ce dossier ? Tout cela constitue un cas d’école historique exceptionnel, difficilement imaginable !

    Les gazoducs Nord Stream ont toujours été considérés par l’Amérique comme une menace. Les puissances maritimes anglaise et américaine ont toujours fait en sorte que jamais n’émerge sur le continent européen une nation dominante que ce soit la France de Napoléon, l’Allemagne de Guillaume II ou la Russie de Poutine. Zbigniew Brzezinski dans le Grand Échiquier a insisté lourdement sur ce thème, afin que les États-Unis puissent maintenir leur suprématie mondiale.
    Il est fondamental pour l’Amérique que les deux économies voisines et complémentaires de l’UE et de la Russie ne fassent pas leur jonction, car ce nouvel ensemble pourrait devenir aussi puissant que les États-Unis et la Chine. L’unification continentale eurasiatique est le cauchemar des géopoliticiens américains, thème traité d’une façon détaillée dans deux de mes livres  : « La Nouvelle Europe Paris-Berlin-Moscou » (2008), livre pionnier, et « Comment sauver la France/ Pour une Europe des nations avec la Russie » (2021).

    Ce sont les Américains et les Anglais qui ont forcé la main à Zelensky en mars 2022 pour commencer une guerre véritable qu’il souhaitait arrêter avec Poutine. Ils ont fait miroiter à l’Ukraine une défaite rapide de la Russie grâce aux sanctions économiques et monétaires, mais cela n’a pas réussi. Les éléments d’appréciation de l’Amérique en 2022 étaient ceux de 2014, année du coup d’État de Maïdan : les sanctions auraient très certainement réussi en 2014, mais entre-temps la Russie prévoyante, méfiante et réaliste, face aux premières sanctions en vigueur dès cette époque, suite à la prise de contrôle de la Crimée, avait pris des mesures pour augmenter sa souveraineté, l’autarcie et la sécurité de son économie (non dépendance au système Swift contrôlé par l’Amérique plus particulièrement, avec la mise en place d’un système autonome russe de règlement interbancaire ).

    La carpette Zelensky des Anglo-Saxons a déjà sacrifié pour les belles paroles de Boris Johnson et de Joe Biden, la bagatelle de 155 000 soldats ukrainiens tués et 200 000 blessés ! C’est le sang ukrainien qui coule à flot, pas le sang yankee ! La guerre durera-t-elle jusqu’au dernier conscrit ukrainien enrôlé de force à 16 ans ?

    Nous sommes donc en présence d’une guerre américano-russe dans laquelle les Européens se sont laissées entraîner avec une stupidité, une naïveté ahurissante, en devenant même parfois plus royaliste que le roi Biden ! Macron est un des meilleurs exemples car il pense déjà à sa future carrière dans les grandes institutions internationales. Macron trahit la France, tout comme la politique du général De Gaulle qui serait resté neutre dans ce conflit, partant du principe que notre pays n’a aucun intérêt particulier en Ukraine ! Les Européens montrent par là-même au monde entier leur rôle de valet de l’Amérique et leur soumission totale à Washington !

    Mis à part l’extrême gauche allemande, des hommes politiques comme Oskar Lafontaine et surtout les députés très remontés de l’AfD , ni le chancelier Scholz, ni la plupart des députés, ni les médias ne se sont plaints en Allemagne de cette tuile qui tombait sur leur économie. À noter cependant que, selon les sondages, dans l’ancienne Allemagne de l’Est, la population est majoritairement opposée à l’intervention allemande en Ukraine, de même que presque la moitié de l’ensemble des Allemands ! En Italie, Berlusconi, tout comme Viktor Orban en Hongrie, fait aussi entendre sa voix et sa violente opposition à l’attitude actuelle de Européens en Ukraine !

    Devant la veulerie incompréhensible des Européens, il ne manque en fait plus que le droit de cuissage pour Biden en Europe ! Mais le conflit est en train d’évoluer d’une façon différente de ce qu’avait prévu l’Amérique en mars 2022 : non seulement l’écroulement de la Russie sur le plan économique n’a pas eu lieu, mais les économies européennes ont plus de soucis à se faire que l’économie russe ! La mise au ban de la Russie est le seul fait des Européens ; 80 % de la communauté internationale est plutôt favorable à la Russie ! Enfin, ce qui est très grave pour les États-Unis c’est que pour la première fois leur hégémonie politique, économique et militaire dans le monde est véritablement menacée à brève échéance ! La Russie et la Chine sont très actifs pour mettre fin dans un avenir rapproché à l’extraterritorialité américaine et au règne du dollar !

    C’est bien parce qu’elle sent des menaces mortelles venir que l’Amérique s’est cru obligée d’employer des méthodes ahurissantes de gangster telles que l’annulation du contrat français du siècle pour les sous-marins en Australie, le gel incroyable jamais pratiqué jusqu’à ce jour des avoirs en dollars et en euros de la Banque centrale d’un grand pays internationalement reconnu et membre du Conseil de Sécurité à l’ONU, et le scandaleux sabotage par explosifs des gazoducs Nord Stream, vitaux pour la compétitivité économique et la sécurité énergétique de l’Europe, la Russie ayant toujours respecté ses contrats, même pendant la guerre froide !

  • Les Français bientôt dans la rue pour exiger la fin des sanctions contre la Russie, par Marc Rousset

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    Le « Wall Street Journal » du 3 août prédit aux Européens des troubles sociaux à la rentrée avec des risques de renversements politiques : « L’hiver en Europe pourrait être le Printemps pour Poutine » en raison des troubles sociaux provoqués par la flambée des prix de l’énergie et le marasme économique à venir !

    Les dirigeants occidentaux, style Macron, Scholz et Von der Leyen de l’UE, sont des incapables, des idéologues rêveurs, des technocrates droits-de-l’hommistes complètement nuls en stratégie et en « real politik », juste capables d’envoyer des « tweets » pour répondre aux attentes des électeurs naïfs et décérébrés par les médias ! De lourdes erreurs stratégiques, justifiant le renvoi immédiat de nos dirigeants, ont été commises par l’UE, lors de la mise en place des sanctions envers la Russie ! Macron, l’UE et sa clique sont dans une impasse totale : ils en sont réduits à vouloir maintenant faire payer leurs propres et seules erreurs aux Français, aux « Gilets jaunes qui fument des clopes et roulent au diesel » et qui n ’auront bientôt plus le moindre sou en fin de mois pour payer le gazole et les factures démentielles d’électricité.

    MARC ROUSSET.jpgMacron et l’UE ont voulu, dans la précipitation, réduire la forte dépendance au gaz russe de l’UE (40 %) sans disposer de solution de rechange immédiate ! Les États -Unis, un tuyau crevé décadent qui ne souhaite que notre dépendance et le malheur européen, ne disposent pas du dixième de la capacité gazière de la Russie, avec un gaz de schiste polluant lors de son extraction, vendu à un prix exorbitant aux Européens, transporté par des méthaniers polluant l’Atlantique en lieu et place des écologiques gazoducs russes, avec des investissements longs et coûteux de liquéfaction aux États-Unis et de regazéification dans les ports méthaniers européens ! De plus les Allemands, caniches de l’OTAN, et vendus à l’Amérique, vont sacrifier 2 % de leur territoire à l’exploitation d’éoliennes et de panneaux solaires, tout en prolongeant le recours massif à leur charbon lignite extrêmement polluant !

    Suite à la sécheresse, à la vague de chaleur, à la fermeture irréfléchie de Fessenheim par Macron, à l’arrêt depuis plus de 10 ans pour des raisons idéologiques du programme nucléaire français, ainsi qu’à la maintenance nécessaire d’environ la moitié des réacteurs nucléaires français, le mégawattheure d’électricité française livrable en 2023 se vend à environ 540 euros le mégawattheure, soit cinq fois la moyenne des cinq dernières années ; en Allemagne, le prix est de 414 euros le mWh. Les prix stratosphériques du charbon et du gaz (le TFF néerlandais est à 226 euros le mégawattheure au lieu de 46 euros il y a un an, après un plus haut au printemps 2022 de 335 euros) alimentent la flambée inflationniste des prix de l’électricité !

    Et enfin, pour ceux qui ne sont pas cardiaques, Gazprom vient d’annoncer ce mardi 16 août 2022 que les prix du gaz en Europe pourraient encore davantage augmenter jusqu’à 60 % de plus cet hiver, pour dépasser les 4 000 dollars les 1000 mètres cubes, au lieu des 2500 dollars actuels, qui ont déjà fortement augmenté. Gazprom voit ses recettes s’accroître, tandis que les exportations de gaz vers l’UE ont chuté de 36,2 % pour atteindre 78,5 milliards de mètres cubes et la production du groupe a baissé de 13,2 % à 274,8 milliards de mètre cubes par rapport à l’année précédente. La Russie a cependant multiplié par quatre son excédent commercial avec l’UE (45,2 milliards d’euros) pour le premier trimestre 2022 par rapport à la même période de 2021 (10,8 milliards d’euros).

    Les Français, comme les Hongrois, veulent du gaz russe bon marché, écologique et abondant. Comme le remarque Viktor Orban dans l’un de ses derniers discours, « nous sommes assis aujourd’hui dans une voiture avec les quatre pneus à plat. Il est absolument clair que la guerre ne peut pas être gagnée de cette manière. Les Ukrainiens ne gagneront jamais la guerre avec la Russie parce que l’armée russe a une supériorité asymétrique. La deuxième réalité est que les sanctions ne déstabilisent pas Moscou. La troisième, c’est que l’Europe va mal politiquement et économiquement, avec des gouvernements qui tombent comme des dominos (Angleterre, Italie, Bulgarie, Estonie). Et enfin la majeure partie du monde n’est manifestement pas de notre côté : Chinois, Indiens, Brésiliens, Afrique du Sud, Monde arabe, Afrique…) ». Le résultat pratique, c’est que la Russie commence à livrer plus de gaz naturel que prévu par contrat, à un prix imbattable, à la Hongrie ! Jusqu’à fin août, un volume supplémentaire quotidien de 2,6 millions de mètres cubes arrivera du Sud en Hongrie, via le gazoduc Turkstream !

    En même temps, comme dirait le « vendeur de soupe » Macron, pour soi-disant éviter le cependant rationnement inéluctable à venir, les pays de l’UE sont censés diminuer leur consommation de gaz de 15 % entre août 2022 et mars 2023 ! L’Allemagne voudrait même réduire sa consommation de gaz de 20 % ! Une partie de la production industrielle allemande pourrait être délocalisée. Les cuves ne sont remplies à ce jour qu’à 75 % en Allemagne ; quatre terminaux GNL flottants ont été très chèrement loués et 3 projets de construction très coûteux de terminaux permanents ont été lancés. Une nouvelle taxe de 480 euros par an pour une famille de 4 personnes est aussi envisagée à partir d’octobre 2022 jusqu’en avril 2024, afin de venir au secours d’Uniper et des autres importateurs allemands de gaz naturel en faillite, suite à l’envolée des prix provoquée par les stupides sanctions de l’UE !

    En Angleterre, la révolte gronde déjà également car la facture est beaucoup plus salée qu’en Allemagne. Des mouvements sociaux britanniques refusent de payer leurs factures d’énergie et ont ouvert la saison avec le mouvement « Don’t pay UK ». La hausse n’est pas en effet contenue comme en France, jusqu’à fin 2022 avec le bouclier tarifaire qui limite la hausse du prix de l’énergie à 4 % d’une façon artificielle et intenable, tout en ruinant EDF ! Selon le « Guardian », le montant de la facture de gaz et d’électricité pourrait atteindre l’équivalent de 350 euros par mois dès cet automne ! À quoi s’ajoutera l’inflation galopante pour les produits alimentaires et de première nécessité de l’ordre de 13 % en octobre ! Les impayés de factures d’électricité en Angleterre atteignent déjà le niveau record de 1,3 milliard de livres. « Don’t pay UK » a d’ores et déjà fait réagir plus de 100 000 participants, les factures d’énergie ayant plus que triplé ! On assiste à une véritable fronde, trop de ménages ne pouvant plus payer car le gouvernement a simplement annoncé en mai 2022 une aide unique de 400 livres par an. Le PIB s’est replié de 0,6 % en juin et le Royaume-Uni va tout droit vers la récession en fin d’année, la contrepartie du prix à payer par le va-t-en guerre Boris Johnson, avec ses tocades guerrières et ses fougueuses rodomontades antirusses lors de ses déplacements en Ukraine.

    Macron et l’UE font vivre aux Français un cauchemar énergétique ! Faute de gaz, l’Europe se rue sur le charbon banni par les mêmes idéologues irresponsables ! La guerre en Ukraine a précipité la crise énergétique. La volonté stupide de l’UE et de Macron de ne pas dépendre du charbon russe et le bond des prix du pétrole et du gaz ont fait aussi flamber les cours du charbon ! Entre janvier 2022 et août 2022, le prix du charbon a triplé pour passer de 120 $ la tonne à 324 $, mais il a été multiplié par plus de cinq depuis 2021 ! Le spécialiste de l’énergie Rystad s’inquiète : « Les options de l’Europe en matière de gaz, charbon, nucléaire et énergies renouvelables pour combler le déficit énergétique sont très limitées et coûteuses ». Ce cabinet a donné l’alerte dès la mi-juillet en disant que la crise, c’est-à-dire le manque d’électricité approche ! Merci Macron pour ce cadeau supplémentaire de Jupiter, nonobstant les caisses vides et les 2 500 000 immigrés envahisseurs extra-européens en 5 ans au peuple français !

    Après la stupidité immonde et scandaleuse de la fermeture de Fessenheim, contre l’avis de tous les employés, de tous les syndicats de la centrale, du maire de la commune et de l’immense majorité des experts non idéologues, la coûteuse relance en France de la centrale au charbon de Saint-Avold, pour éviter un black-out cet hiver, fait aussi frémir ! Là encore, selon le délégué syndical FO Jean-Pierre Damm, « nous avions dit dès le départ que la fermeture de la centrale était une erreur stratégique et qu’il fallait la garder en réserve ». Mais autant en emporte le vent avec les irresponsables de Renaissance, Macron et les Khmers verts. Les syndicats ont négocié une prime mensuelle de 5 000 euros pendant 6 mois, en plus du salaire, pour inciter les salariés (qui ont déjà encaissé leur prime de licenciement), à reprendre le travail ! Malgré l’inflation titanesque des coûts d’exploitation tous azimuts, la direction de l’usine a affirmé que le profit attendu pour cet hiver avoisinera les 100 millions d’euros. Les prix stratosphériques ne cessent en effet de grimper : le mégawattheure livrable en décembre 2022 coûtera plus de 1000 euros, soit vingt fois plus que le prix d’avant la crise, d’où un prix encore plus élevé que le seuil de rentabilité de la centrale de Saint-Avold, malgré sa très forte dégradation.

    Le résultat final des courses pour vouloir défendre le régime corrompu de Volodomyr Zelensky, pour vouloir interférer dans une guerre interne à la Russie qui ne concerne en rien les Français, l’Ukraine étant russe depuis 881 et la Rus de Kiev, c’est que, non seulement les groupes français comme Renault et la Société Générale se ruinent tout en perdant leurs débouchés (16 milliards d’euros perdus en 3 mois pour le entreprises du CAC 40), mais c’est maintenant le tour des Français de se serrer la ceinture, d’être rationnés en hiver, de voir leurs factures d’énergie augmenter d’une façon stratosphérique à partir de janvier 2023, en tant que consommateurs, alors qu’ils paieront aussi, en tant que contribuables, les sommes empruntées par Macron pour boucher les trous d’EDF en 2022 !

    Et tout cela pour les seuls beaux yeux de L’Amérique, puissance maritime, qui mène par procuration, avec les cadavres ukrainiens et les armes de l’Occident, la suite de la guerre historique menée par l’Angleterre contre la puissance russe continentale et européenne ! Le seul espoir pour les Français de faire bouger Macron et l’UE, afin d’en finir avec cette guerre stupide en Ukraine ainsi qu’avec les sanctions suicidaires contre la Russie, c’est que la coalition de droite prenne le pouvoir en Italie lors des élections en septembre, ce qui fera trembler l’UE et conduira probablement à l’explosion de la zone euro !
    Quant aux Français, il faut qu’ils descendent dans la rue à la rentrée pour faire céder l’UE, créer une crise de régime en France et se débarrasser de l’abominable et incapable Macron !

    Marc Rousset

  • L'unité du genre humain, notamment par les mouvements migratoires, est-elle pour demain ? (1/2).

                Mgr Agostino Marchetto est le secrétaire du Conseil pontifical pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement. Et il a prononcé, à Rome, le 19 juin, une conférence que Patrice de Plunkett, dans son « blog d’un journaliste », présente ainsi : Le Vatican et les migrants : retentissante conférence de Mgr Marchetto . La philosophie de cette analyse est une directive catholique. Dont on ne peut pas, par conséquent, accepter telle ou telle chose, et rejeter telle ou telle autre...

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                Nous publions ci-dessous, pour que les lecteurs de ce blog en aient connaissance, le curieux texte dont il est question, du moins les extraits que Patrice de Plunkett en donne, dont, nous devons le dire, l’expression nous paraît confuse, et, du moins dans sa version française, à la limite du jargon.

                En premier lieu, s’il s’agit d’une « directive catholique », elle ne concerne que les catholiques. Elle n’oblige nullement les autres, qui ne sont pas forcément de mauvais citoyens. Mais oblige-t-elle les catholiques ? L’argument disciplinaire, ou argument d’autorité, nous paraît bien faible, dans une matière qui n’est pas du ressort direct de l’Eglise, même si ses « analyses » doivent toujours être étudiées avec attention. D’autre part, pour que la « philosophie de cette analyse » constitue une « directive catholique », encore faudrait qu’il s’en dégage une qui soit suffisamment  claire et nette pour s’imposer. Nous regrettons de dire que nous ne pensons pas que ce soit le cas.

                Même si la tonalité générale insiste surtout sur les devoirs que l’on a envers les migrants, (leurs droits à eux) et sur le bienfait supposé des mouvements migratoires, notamment en vue de l’unité du monde, il y a de tout dans ce texte : l’apologie de « l’accueil dialoguant » mais aussi le droit aux « différences légitimes » ; « l’acceptation de la réalité changeante de notre temps » mais « sans perdre de vue sa propre identité » alors même que « dans le domaine culturel se fraye une « mens » toujours plus transnationale » … Nous devons œuvrer « tous ensemble à une société nouvelle », « à commencer par l’Europe » laquelle « doit se placer dans le droit fil de son humanisme originel ». De quoi s’agit-il ? Jadis, disons-le simplement, cela s’appelait du pathos.

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    Si l'Eglise a parfaitement le droit de s'exprimer sur "les migrants",
    il faut bien voir que les sociétés -et du reste l'Eglise le reconnaît-
    ont, elles aussi, des droits.....

                Vous lirez ce texte que nous persistons, quant à nous, à qualifier de « curieux » car nous ne croyons pas du tout que le catholicisme consiste à l’abandon de tout esprit de réflexion critique, en toutes matières, mais plus spécialement en matière de praxis politique.

                Redisons-le tout aussi simplement : nous nions que le déracinement massif de populations lointaines vers le monde du déracinement marchand puisse être un bienfait; et nous ne croyons pas davantage que soit en train de se réaliser « l’unité du monde » sinon par le bas, le rien, le néant du même mondialisme marchand. Lequel, d’ailleurs, selon toute probabilité, sera un jour, compensé par le brutal retour en force des réalités forgées bien plus durablement par l’Histoire et la géographie, la diversité des peuples et des nations …

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    Des bidonvilles à Montreuil ! Lorsqu'on parle des migrants, il faut voir tous les aspects du problème..... Et si l'un des droits fondamentaux du Malien, du Comorien, du Roumain et autres était de pouvoir vivre dignement chez lui, sans être obligé d'être déraciné, pour n'être - fort souvent... - que de la "chair à profit" ?....

                Une dernière question, avant de reproduire le texte publié par Plunkett : « l’idolâtrie de soi-même, de son propre groupe, de sa propre tradition socioculturelle » sont certainement, en langage catholique, un péché, et en langage profane un réel dérèglement ; mais est-ce là le danger qui guette l’Europe d’aujourd’hui ? Et même le monde, menacé, au moins pour l’instant, par le nivellement le plus destructeur qui soit. Et d’autre-part, « la haine de soi-même, de son propre groupe, de sa propre tradition socioculturelle » ne constitue-t-elle pas un autre « péché » ou un dérèglement tout aussi grave ? Et n’est-ce pas celui dont nous souffrons bien davantage, aujourd’hui, que de l’autre ? Par quel aveuglement inverse-t-on ainsi la réalité et la gravité des risques ?

                Nous reviendrons tout prochainement sur ce sujet et verserons au débat un autre texte dont nous aurons la faiblesse de penser qu’il est d’une clarté, d’une clairvoyance tout à fait différentes …

                Voici le texte cité par Patrice de Plunkett :

     Le secrétaire du Conseil pontifical pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement, Mgr Agostino Marchetto, a souligné l'importance de passer de la dimension multiculturelle à la dimension interculturelle. C'était durant une conférence intitulée Multiculturalisme (de fait) et religion,à Rome le 19 juin. Le thème de la rencontre : « La sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales », rappelait le 60ème anniversaire de la signature de la Convention européenne sur ce sujet.

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    18 mars 2009 : Mgr Marchetto est en Corse, où il participe à la procession de la Vierge de miséricorde - A Madunaccia - dans les rues d'Ajaccio...

    « L'urgence d'aujourd'hui et le secret de l'avenir », a déclaré Mgr Marchetto, « résident dans le dialogue entre les personnes, les communautés, les autorités et organisations civiles, les peuples, les cultures et les religions pour s'opposer à la fermeture et à l'intolérance qui, au fond, naissent de l'idolâtrie de soi-même, de son propre groupe et de sa propre tradition socioculturelle ».

    Pour Mgr Marchetto, « l'accueil 'dialoguant' s'exprime dans une rencontre authentique qui se sert de cet art difficile mais inépuisable qui consiste à conjuguer ensemble l'aspect personnel et l'aspect de groupe, à articuler les identités, complémentarités, coresponsabilités et créativités, en passant de la dimension multiculturelle à la dimension interculturelle, offrant des espaces dynamiques à la réciprocité et à la fécondité ».

    Le représentant du Saint-Siège a demandé « non pas l'homme au-dessus, contre ou sans l'autre homme, mais ensemble, tous, pour une société nouvelle. A commencer par l'Europe, afin qu'elle se place dans le droit fil de son humanisme originel ».

    La tolérance, a-t-il souligné, « ne suffit plus ». « Il faut passer nécessairement à la 'convivialité des différences' . La question ne se résout donc pas en nous demandant ‘qui est l'autre' ou ‘qui suis-je', mais plutôt ‘ qui suis-je par rapport à l'autre' ».

    Mgr Marchetto a relevé que « notre époque est faite de rencontres entre les personnes et les peuples de différentes cultures, nationalités et religions », un processus dans lequel les migrations « jouent un rôle significatif ».

    Il a ensuite déploré le fait que « les différences légitimes » aient été « utilisées pour dominer ou pour discriminer », et qu'elles ne sont donc pas toujours « considérées à leur juste valeur ». Aussi souligne-t-il la nécessité de « concevoir la juste diversité comme une valeur, en développant une vision plurielle de la réalité » : « le pluralisme, en effet, par principe et en soi, implique reconnaissance, respect, promotion des diversités, des droits de tous, dans un climat d'harmonie et de cohabitation pacifique ».

    Mgr Marchetto a signalé la fonction importante de la religion « pour favoriser l'acceptation de la réalité changeante de notre temps, sans perdre de vue sa propre identité, mais également l'engagement à faire grandir le respect envers les femmes et les hommes d'origines différentes, en particulier dans les régions où les migrations sont fortes ».

    « Mais le respect ne suffit toutefois pas, car nous devons accueillir, comme expression d'amour », a-t-il ajouté. D'où la nécessité d'« une vision qui permette, dans une réalité aussi complexe que la nôtre aujourd'hui, difficile et contradictoire, de saisir aussi en Europe les signes d'un monde nouveau qui naît, où la religion a un rôle très important, que nous le voulions ou non ».

    « Ainsi, dans le domaine culturel, se fraye une ‘mens' toujours plus transnationale, que nous pourrions aussi définir interculturelle, dans la mesure où les avancées technologiques, dans leur évolution incessante , nous mettent en situation de ‘vivre' en même temps dans divers milieux sociaux ». Dans l'univers religieux existe aussi « la possibilité de réaliser une fraternité universelle, autrement dit une unité où les différences ne sont pas gommées, mais vécues dans leur identité ‘relationnelle' ».

    « Le phénomène migratoire devient un laboratoire où l'ouverture, l'accueil et le respect des cultures des autres peuvent être mis à l'épreuve, tandis que les valeurs humaines et religieuses, qui ne sont pas en contradiction, soutiennent et motivent leurs divers parcours et tentatives. »

    « Du reste, les notes de l'accueil, de 'l'itinérance' et de la communion sont les points de référence dynamiques dans la recherche d'un amour authentique vis à vis de l'autre, spécialement dans les contextes où le multiculturalisme est bien plus présent... Les déplacements migratoires créent des occasion de rencontre avec des personnes d'autres cultures et religions, qui nous interpellent et invitent à abandonner des certitudes et certains schémas mentaux pour nous mettre en chemin vers l'autre et lui offrir un dialogue interculturel, interreligieux », a-t-il conclu.

  • POUR UNE REFLEXION DE FOND SUR LE ”MARIAGE POUR TOUS” (11) - Michel Maffesoli et Hélène Strohl : ” Normaliser le mariage

    Sans titre-1.jpgNous mettons en ligne, aujourd'hui, une réflexion  de Michel Maffesoli et Hélène Strohl* sous le titre : "Normaliser le mariage ?".

    Une dernière contribution suivra encore. Notre dossier, désormais à la disposition de tous, comportera donc, en fin de compte, un total de douze documents constituant notre dossier : "POUR UNE REFLEXION DE FOND SUR LE "MARIAGE POUR TOUS" **. 

    Normaliser le mariage ?

    Il ne se passe pas un jour sans qu’on en parle. Qu’on somme les personnalités d’avouer leurs aventures, les hétérosexuels à confesser leur peu d’attirance physique pour les personnes de leur sexe, les citoyens à avouer tous les fantasmes qui traversent leur esprit, les délicieuses montées de désir avec lesquelles ils agrémentent l’ennui des réunions comme les regards un peu appuyés avec lesquels ils rompent la monotonie du trajet quotidien en métro.

    La sexualité est devenue et Foucault l’avait bien montré, la chose la moins cachée du monde. On peut même dire en tordant à peine l’ancien adage « passion avouée est totalement pardonnée ». Il est ainsi plus dans l’air du temps de divorcer et de se remarier à l’envi plutôt que de vivre ensemble les cahots de la vie, les escapades solitaires et les retrouvailles passionnées d’un vieux couple.  Et quand l’on éprouve le désir d’expérimenter des pratiques autres que celles de la classique hétérosexualité monogame, il est de bon ton d’en faire une identité.

    Deux types de comportement sont désignés comme anomiques : ceux des minorités diverses, qui ne peuvent pas satisfaire à des  règles juridiques qui leur sont inadaptées (les homosexuels par exemple) et ceux qui ne se conforment pas aux règles imposées par l’institution, celle du mariage en particulier.

    Dès lors l’entreprise de normalisation va poursuivre deux buts, qui ne sont qu’apparemment contradictoires : faire entrer dans le moule institutionnel les comportements marginaux bien répertoriés, le couple homosexuel qui va pouvoir se marier ; pourchasser, notamment chez les grands de ce monde, tous les écarts faits à la morale conjugale, l’infidélité en particulier.

    Dans les deux démarches, le débat est déplacé, ce qui serait en jeu est toujours un  intérêt supérieur : les enfants dans le cas du couple homosexuel, le droit à l’information politique dans l’inflation journalistique de faits divers concernant la sexualité des hommes politiques.

     La discussion sur la sexualité homosexuelle devrait se concentrer sur la question de savoir si une relation d’amour peut durer sans une institutionnalisation, sans une reconnaissance sociale, une contrainte (une responsabilité) commune (des enfants), un projet commun et reconnu (un patrimoine) et dès lors traduire les interrogations qui touchent tous les membres de la société. Mais ce débat s’est figé sur la question des enfants : les homosexuels seront-ils de bon parents ?[1]

    Le lien du mariage qu’il soit hétérosexuel ou homosexuel n’infère pas magiquement la qualité de bon parent ; en revanche on peut se demander si la volonté d’étendre le mariage aux homosexuels ne resortit pas plutôt d’une volonté totalitaire de faire entrer toutes les relations sexuelles et amoureuses dans le modèle du couple monogame.

    Cette entreprise de normalisation peut aussi se lire dans la tendance toujours croissante des média à traquer tous les écarts à la sexualité monogame quand elle est le fait d’hommes ou de femmes politiquement en vue. Certes cette idéologie de la transparence, traduit simplement la stratégie commerciale  de journalistes, qui sont bien plus malins que les paparazzi, en présentant ces croustillantes histoires d’alcoves sous les couleurs de l’investigation politique.

    Mais dans les deux cas, celui de l’extension du mariage comme celui de la volonté de faire savoir ce qui se passe dans le secret des couples, on se trouve face à une tentative d’encadrer, de domestiquer cette « anormalité » qui toujours resurgit, ce mal que l’on voudrait tant cacher et, finalement, n’est ce pas une ultime tentative de cacher l’animalité de notre nature humaine, de notre sexualité ?

    Pense-t-on  que lorsque les couples homosexuels seront mariés, ils se conformeront à la stricte fidélité exigée par le Code civil ?  La fidélité conjugale est-elle le prix que doivent payer ceux dont Roland Barthes disait que leur privilège était ce droit au papillonnage, aux aventures toujours renouvelées ?

    D’une certaine manière, et contrairement à ce que pense le camp dit conservateur, étendre le mariage, c’est le conforter, de la même façon que traquer tout manquement à ses principes. Ce moralisme monogame se manifeste également dans la furie  de certaines et certains à vouloir éradiquer les rapports sexuels tarifés, paradigme immémorial de la relation sexuelle hors mariage. Madame Boutin rejoint ainsi les militantes féministes les plus hystériques. “Au nom de la pureté, du mariage, de la femme, de l’amour” et contre le sexe bestial.

    Prenons garde que le « mariage pour tous » ne devienne pas un mariage imposé par la puissance publique, un mariage d’Etat. Et qu’il ne faille pour pouvoir exercer une quelconque responsabilité sociale montrer patte blanche et fidélité sans faille. Ou « divorce propre », divorce expliqué aux enfants, divorce bien organisé.

    En bref, pendant le mariage rien n’est permis, mais avant et après le mariage, rien n’est interdit. Y compris de présenter aux enfants plusieurs images d’adultes parentaux contradictoires : un “couple parental” qui ne se témoigne plus ni amour, ni même estime réciproque ; un beau-père et une belle-mère qui ne doivent pas être considérés comme des figures parentales.

    Il se construit ainsi une figure du mariage et de la famille totalement déconnectée de la vraie vie. Celle du quotidien, de l’autorité parentale de tous les jours, de la protection et de l’affection. Celle du couple confronté aux aléas de la vie, des rencontres, des hauts et des bas, des rythmes sexuels et émotionnels parfois divergents. Le mariage pour tous se réduirait ainsi à n’être que “le plus beau jour de ma vie” comme disent les midinettes des publicités.

    Une société qui construirait ses relations sociales sur des valeurs aussi abstraites, des figures aussi peu incarnées, un mariage soluble et réitérable à volonté, un masculin et une féminité assignés à un seul genre, la normalisation et l’assignation à identité de toute pratique sexuelle hors couple, la volonté de tout savoir et l’incapacité à préserver ou comprendre l’intimité, cette société ne pourrait que créer une inflation de comportements pervers, parfois violents.

    Car vouloir forcer chacun à dire, à proclamer, avec qui et dans quelle position il couche, quels sont ses préférences et ses habitudes, voire ses fantasmes, c’est s’exposer à détruire la fragile barrière entre l’imaginaire et la réalité, entre le fantasme et le passage à l’acte, entre le fait d’éprouver un désir et le fait d’y céder.

    C’est aussi appauvrir le champ des possibles des relations humaines charnelles et émotionnelles que de vouloir les contenir dans une forme prédéterminée, fût-elle la plus libérale possible.

    Car la normalisation est créatrice d’anormalité, normer c’est désigner la frontière entre le normal et le pathologique, et c’est donc aussi créer l’anormal et le pathologique.

    Peut être conviendrait-il plus modestement de s’accommoder de notre faiblesse face aux forces du désir et de la passion, d’accepter l’aspect noir et aventureux du vivre ensemble et d’en limiter les règles.

    Préférer dès lors à un ordre externe imposé par le pouvoir de la loi et de l’Etat un ordre interne plus chaotique, impur sans doute, mais concret et congruent.

     

    (1) : Alors qu’on s’interdit de poser cette question de la capacité parentale face à nombre d’enfants, dont on constate qu’ils sont maltraités ou en tout cas “non éduqués” par des parents en très grande difficulté, parce que le lien du sang prédisposerait “naturellement” à être bon parent.

    * Michel Maffesoli, membre de l’Institut universitaire de France,

      Hélène Strohl, Inspectrice Générale des Affaires sanitaires et    Sociales (IGASS).

     

    ** Précédentes mises en ligne :

    > 14.01.2013 : Jean-François Mattéi article du Figaro : "Mariage pour tous et homoparentalité".  

    > 22.01.2013 : Chantal Delsol, entretien avec Jean Sévillia (Figaro Magazine).

    > 29.01.2013 : Thibaud Collinarticle dans Le Monde du 15 janvier. 

    > 5.02.2013 : Hilaire de Crémiersnote parue sur le site de Politique Magazine, le 15 janvier.   

    > 12.02.2013 : Sylviane Agacinski, conférence dans le cadre des Semaines sociales. (VIDEO) et entretien sur Europe 1 (VIDEO).

    > 19.02.2013: Bruno Nestor Azérot, député de la deuxième circonscription de la Martinique (GDR), discours prononcé le mercredi 30 janvier  à l'Assemblée Nationale(VIDEO).

    > 26.02.2013 : Daniel Godard, professeur de Lettres Classiques, une réflexion dont l'originalité est de se placer d'un point de vue linguistique qui fait entendre, dans ce débat, "la voix de la langue française".  

    > 06.03.2013 : Bertrand Vergely, le point de vue du philosophe et théologien, la question du mariage gay appelle dix remarques.

    > 12.03.2013 : Danièle Masson, agrégée de l'Université, "Paradoxe et mensonges du mariage pour tous"

    > 20.03. 2013: réflxion de Fabrice de Chanceuil du point de vue de l'écologie humaine.

     

  • Syrie : Un voyage spirituel hautement symbolique conduit par Mgr Rey ... Le prince Jean dans les pas de Saint-Louis

    « Divine liturgie » à Damas © Charlotte d'Ornellas

    par Annie Laurent  

    Pour Lafautearousseau, Annie Laurent a bien voulu rédiger ses impressions de voyage. Un voyage, on va le voir, « en tous points exceptionnel », selon l'expression de notre confrère Péroncel-Hugoz. Et d'une indéniable portée symbolique s'agissant de l'amitié franco-syrienne, soulignée par la participation du prince Jean de France. Un grand merci à Annie Laurent !  LFAR 

     

    2444184188.jpgLe 28 mars dernier, lundi de Pâques, le prince Jean s’est envolé pour la Syrie en compagnie d’un groupe conduit par Mgr Dominique Rey, l’évêque de Fréjus-Toulon, qui avait d’ailleurs célébré son mariage en 2009. Ce court voyage, auquel Jean-Baptiste d’Albaret, rédacteur en chef de Politique Magazine, a également participé, et que j’ai eu le privilège d’accompagner, s’est achevé dans la nuit du 2 au 3 avril. L’organisation logistique avait été confiée à la jeune association SOS Chrétiens d’Orient, fondée en 2013 et très active sur le terrain. Grâce à elle, nous avons obtenu des autorités toutes les facilités pour circuler sans problèmes, étant entendu que nous sommes restés dans des régions dont l’armée a repris le contrôle, ce qui n’est pas le cas, par exemple, de certaines banlieues de Damas.

    Ce voyage avait un but précis : il s’inscrivait dans le cadre du jumelage conclu entre le diocèse varois et l’éparchie grecque-catholique de Homs, dont le titulaire est Mgr Abdo Arbach. Il s’agissait donc d’un pèlerinage et c’est pourquoi il ne comportait aucune rencontre avec des dirigeants politiques syriens. Notre groupe, composé de 45 personnes, parmi lesquelles un bon nombre de jeunes professionnels et étudiants, s’est rendu sur les pas de saint Paul à Damas ainsi qu’en divers sanctuaires de Homs et de sa région. Le séjour fut aussi, bien entendu, ponctué de rencontres avec plusieurs ecclésiastiques et des fidèles chrétiens appartenant à diverses Eglises orientales mais également à l’Eglise latine.

    A Damas, après une visite très recueillie à la maison d’Ananie, l’évêque qui eut l’honneur de baptiser Saul, le futur « apôtre des nations », la délégation a été accueillie par Sa Béatitude Grégoire III Laham, patriarche d’Antioche et de tout l’Orient des grecs-melkites-catholiques, de Jérusalem et d’Alexandrie, dont le siège se trouve dans la capitale syrienne. Invité à s’exprimer, le prince Jean s’est présenté en évoquant son lointain ancêtre Saint Louis ainsi que l’attention particulière que ce dernier portait aux chrétiens d’Orient et en se situant lui-même dans cette noble tradition de protection dont la France actuelle se doit d’être la digne héritière. Dans la soirée, après une messe célébrée en rite byzantin dans l’église patriarcale, Grégoire III a invité toute la délégation à un dîner officiel auquel il avait aussi convié le nonce apostolique en Syrie, Mgr Mario Zenari, et des évêques de divers rites, tous déjà présents lors de la « divine liturgie ». L’ambiance, très festive, ponctuée de chants français entonnés joyeusement par les prélats, suffisait à montrer la reconnaissance de nos hôtes syriens, touchés par notre visite alors que Paris a rompu toutes relations avec ce malheureux pays. Durant tout notre séjour, nous n’avons d’ailleurs croisé aucun autre Français.

    Dans la capitale toujours, sous la conduite de l’archevêque maronite, Mgr Samir Nassar, qui nous a fait visiter sa modeste cathédrale, nous avons aussi pu prier devant la tombe des trois bienheureux frères Massabki, martyrisés avec un groupe de franciscains lors des massacres de masse commis en 1860 contre les chrétiens du Mont-Liban et de Damas, ce qui avait préludé à l’expédition de troupes françaises à l’initiative de l’empereur Napoléon III.

    1459494701-887ba8a80b67b1aaeefec541655445ad.jpgLa deuxième partie du séjour s’est déroulée à Homs, ville terriblement sinistrée, où nous avons pu déambuler à pieds sur plusieurs centaines de mètres, sous la protection bienveillante des soldats syriens, très souriants comme tous ceux que nous rencontrions. Les deux cathédrales que nous avons visitées, la grecque-catholique et la syriaque-catholique, sont dans un état pitoyable : coupoles et toitures perforés par les obus, iconostase et autels brûlés, icônes aux yeux perforés par les balles des djihadistes. SOS Chrétiens d’Orient participe à la reconstruction de la première. Partout alentour, ce n’est qu’amoncellement d’immeubles détruits. Nous avons aussi prié sur la tombe du Père Frans van der Lugt, jésuite hollandais, qui avait tenu à demeurer sur place malgré les dangers, pour secourir les chrétiens qui n’avaient pas pu quitter la ville. Assassiné le 7 avril 2014, il est enterré dans le jardin de son couvent. Comme Homs, les deux autres villes de la région que nous avons visitées, Qussaïr et Yabroud, ont été pendant des mois le théâtre d’affrontements entre les djihadistes de diverses obédiences, y compris Daech, et l’armée nationale qui a finalement pu reprendre possession des lieux (en mai 2014 pour Homs), avec parfois l’appui du Hezbollah libanais. De notre autocar, nous pouvions alors contempler les sommets enneigés du pays du Cèdre.

    Les dernières étapes nous ont conduits dans la « Vallée des chrétiens », également très proche du Liban, avec notamment une visite captivante du célèbre Krak des Chevaliers édifié au XIIIème siècle sur un sommet stratégique. Une brigade de Daech a aussi séjourné dans ses murs avant d’en être délogée. Les dégâts ne sont heureusement pas irrémédiables et la restauration de l’imposant édifice est sur le point de commencer. Puis, nous sommes allés à Maaloula, l’un des trois villages syriens où les habitants parlent l’araméen, la langue du Christ. Cet endroit a beaucoup souffert. En 2013, lors de l’attaque des djihadistes, trois jeunes gens ont été abattus devant chez eux après avoir refusé de se faire musulmans et six autres ont été enlevés. On est sans nouvelles d’eux. La localité compte deux monastères, l’un dédié à sainte Thècle, cette disciple de saint Paul, venue d’Asie mineure, qui échoua ici sous une protection divine qui la fit échapper à la persécution. Les moniales qui y vivaient et qui ont pu quitter les lieux ne peuvent pour l’heure envisager d’y revenir car le bâtiment a été entièrement détruit par les rebelles. L’autre monastère, dédié aux saints Serge et Bacchus, est quant à lui beaucoup moins endommagé, mais il est encore vide de toute présence de religieux. Depuis la libération de Maaloula, la sécurité est en partie assurée par une brigade locale, affiliée à une « garde nationale » qui reçoit ses armes et ses munitions du gouvernement, ses membres conjuguant la surveillance avec leurs activités professionnelles.

    Enfin, nous sommes allés au sanctuaire grec-orthodoxe de Sednaya, situé à une heure de route au nord de Damas. 36 moniales résident en ce lieu qui abrite une célèbre icône représentant la Vierge Marie, dont la réalisation est attribuée à saint Luc. L’icône ne sort jamais de sa niche toujours fermée où elle est soigneusement gardée. Lors de notre passage, il y avait une foule de pèlerins, l’église était pleine de fidèles en prière.

    Partout, nos interlocuteurs ont montré une force d’âme, un courage et une vitalité vraiment étonnants et sans doute inattendus pour beaucoup d’entre nous. Comment oublier, par exemple, cette classe de l’école patriarcale grecque-catholique de Damas où les jeunes élèves, tous en uniforme, ont interprété pour nous des chants en français ayant pour thème le désir de paix ? Après ce voyage, on se dit que la France a vraiment trahi son histoire et ses responsabilités et que l’un des moyens de racheter cette faute majeure est de se rendre dans ce beau pays de Syrie, berceau du christianisme comme ont tenu à nous le rappeler tous nos interlocuteurs. 

     

  • Sarkosix contre Sarkosus : n'oublions pas « nos ancêtres les Romains »

    Capture d'écran du film « Astérix et Obélix au service de Sa Majesté »

     

    Par David Brunat  

    En invoquant « nos ancêtres les Gaulois », Nicolas Sarkozy a semé le trouble voire déclenché la foudre des historiens. David Brunat considère au contraire [Figarovox du 26.09] que l'ancien président de la République est - comme nous tous - un Romain qui s'ignore. Nous ne lui donnerons pas tort de dénoncer ainsi les simplifications et la démagogie inhérents à la démocratie à la française. Ni de rappeler nos racines latines. Nous trouvons seulement qu'il verse un peu trop dans l'excès inverse : notre fond gaulois est aussi une réalité qu'il n'est pas bon d'occulter. Même « le grand Bainville » - l'expression est d'Eric Zemmour - le note dans son Histoire de France : « Les Français n'ont jamais renié l'alouette gauloise et le soulèvement national dont Vercingétorix fut l'âme nous donne encore de la fierté. » Dans un contexte où nous, Français - avons tant besoin de retrouver les motifs de notre fierté, n'en écartons aucun, n'oublions pas celui-là. Fût-ce pour les besoins d'une tribune au demeurant excellente et fort utile.  Lafautearousseau

     

    david-brunat.jpgPar Toutatis ! Que les dieux de Vercingétorix et de Diviciacos (druide gaulois tenu en haute estime par Cicéron et par César en personne) me gardent d'emboucher à mon tour la trompette de la controverse enflammée née des propos incendiaires de l'ancien président de la République sur « nos ancêtres les Gaulois » et autres aïeux tutélaires et symboliques.

    Piètre historien mais virtuose de la manœuvre électorale et tribunitienne, Nicolas Sarkozy savait ce qu'il disait, ou plutôt savait pourquoi il le disait, lorsqu'il a vanté les origines gauloises communes et idéales des fils et filles de France. Le « roman national » autorise bien des libertés avec la vérité historique - c'est d'ailleurs le propre du roman d'avoir le droit d'inventer, de broder, de fantasmer.

    Les historiens ont poussé les hauts cris. Ils étaient dans leur rôle. Sur le plan historique, Sarkosix a dit des âneries, mais avec l'excuse que ces âneries - asinus asinum fricat - furent propagées au XIXe par les pères barbus et cultivés de la IIIe République. Les historiens sérieux savent en effet que les Gaulois du début de l'ère chrétienne, disons deux générations après Vercingétorix, se sentaient romains. Qu'ils étaient romains. Que cette image d'Epinal de Gaulois farouchement épris de liberté, résistant à l'impérialisme de Rome, grands, vaillants, blonds, musclés comme Conan le Barbare, patriotes échevelés et même un poil nationalistes, est justement une image d'Epinal, un mythe forgé de toutes pièces entre 1870 et 1914 pour des raisons de propagande et pour faire bisquer Bismarck et le nouveau Reich, afin de contrer idéologiquement cette Allemagne nouvellement unie et assimilée aux envahisseurs romains, brutaux, impérialistes, impitoyables.

    Il fallait alors de toute urgence s'inventer un passé de résistance, d'indépendance, de liberté originelle. Il fallait faire corps et faire nation, alors même que Vercingétorix lui-même n'a jamais rêvé d'une quelconque « nation gauloise » et que, très vite, la culture celte disparut complètement, absorbée par une romanité hégémonique et du reste parfaitement acceptée par les élites gauloises, qui servirent dans les armées romaines et envoyèrent leurs fils étudier à Rome.

    Je voudrais juste profiter de ces propos de tribune électorale - propos populaires et plébéiens au sens premier et latin - pour rappeler à quel point notre héritage commun - héritage non biologique, non génétique, mais culturel, symbolique, politique et social - est profondément romain.

    Comme tous ses compatriotes, Sarkosix s'exprime dans une langue qui dérive directement du latin. Les mots français d'origine gauloise sont rares (truite, ruche, javelot, chamois …), y compris ceux qui illustrent « l'esprit gaulois », à commencer par le précieux et polysémique « con » (utilisé par ex. dans la locution : « Casse-toi, pauvre con »), qui vient tout droit du latin cunnus.

    La carrière qu'a embrassée Sarkosix parallèlement à ses mandats politiques, celle d'avocat (advocatus), doit beaucoup aux Latins et à leur système juridique, et presque rien aux anciens Gaulois.

    Surdoué du cursus honorum politique, Nicolaus fut longtemps le premier édile de Neuilly et plusieurs fois ministre (et il n'est pas inutile de se souvenir que minister signifie en latin « celui qui sert » …). Il s'est toujours plu à se présenter comme un homo novus s'étant élevé tout seul à la force du poignet, aux forceps, en passant sous les fourches caudines de l'establishment. Il a donné ses ordres à ses préfets et influencé le Sénat. Il a aussi fait figure de Brutus en prenant jadis parti électoralement contre son ancien mentor Chirac. Il a savouré un triomphe en 2007 mais approché de la Roche Tarpéienne en 2012. Las ! Peu désireux d'imiter le sage Cincinnatus, il a snobé l'Aventin et il piaffe d'impatience de redevenir César.

    Ce tribun du peuple offre un magnifique mélange d'histrion et d'imperator, comme l'antique scène romaine en produisit tant. Et regardez comme il chérit cette République - Res publica - qu'il prétend incarner mieux que quiconque et dont il n'a de cesse de reprendre la tête !

    Bref, ce chef de guerre qui prétend lutter pour les couleurs gauloises sous l'étendard mythiquement unificateur de la Gaule est un Romain qui s'ignore. Alors qu'il s'apprête à en découdre dans ces périlleuses primaires (encore un terme latin dans le village gaulois !), il rêve certainement de s'exclamer à l'exemple du grand César, modèle de tous les ambitieux : Veni, vidi, vici. « À moi la pourpre impériale, et au diable ce loser de Vercingétorix étranglé dans une prison romaine ! Puissent Juppé, Fillon et tous les autres subir le même sort », se dit-il peut-être dans son for (= forum) intérieur, sans le proclamer urbi et orbi.

    Bref, en un mot comme en mille, ce Gaulois-là, accro aux frissons transgressifs du Rubicon et aux enivrantes couronnes de laurier, tient plus de Sarkosus que de Sarkosix.

    Le 24 septembre, dans un discours à Perpignan, il en a remis une couche et célébré, outre ses chers Gaulois, « nos ancêtres les rois de France, les Lumières, Napoléon, les grands républicains, les tirailleurs musulmans, les troupes coloniales mortes au Chemin des Dames, etc. ». Soit. Mais dans cette liste à la Prévert, pas un mot, pas une allusion sur les Romains. Rayés de la carte mentale de cet ingrat.

    Il sera cependant peut-être d'accord avec l'idée selon laquelle « la vertu de la race, c'est la noblesse » (« Generis virtus nobilitas »). Ce fut la maxime d'un empereur romain, le successeur de Caligula et le prédécesseur de Néron: l'empereur Claude. Aussi appelé, excusez du peu, le « divin Claude » (Claude, comme le nom de l'associé de Sarkosus avocatus). Né l'an 10 av. J.C. à Lyon, ou Lugdunum, capitale des Gaules. Fondée par un Romain, Lucius Plancus (joli patronyme !), lieutenant de César et gouverneur de la Gaule chevelue.

    Tout cela, il est vrai, est à s'arracher les cheveux pour qui n'aime pas à s'embarrasser de détails historiques superflus. Dans son désir ardent de reconquérir la titulature suprême, Sarkosus est prêt à raser gratis et à faire table rase (tabula rasa) de l'héritage romain. Sa garde prétorienne le soutiendra jusqu'au bout. D'autres, (très) nombreux, soupirent et sifflent : « Quousque tandem abutere, Nicolaus, patientia nostra …»?

    Par Jupiter, ils sont fous, ces Romains qui se prennent pour des Gaulois !  •

    David Brunat  

    Normalien et philosophe de formation, David Brunat est écrivain et conseiller en communication. 

  • Syrie : les dessous de l’intervention russe

    Photo: Sipa

    Entretien avec Fabrice Balanche

    L'entretien qui suit avec Fabrice Balanche - entretien paru dans Causeur - prolonge très utilement la chronique de Péroncel-Hugoz qui précède.  

    Spécialiste de la Syrie, notamment de la région côtière alaouite, Fabrice Balanche est directeur du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à l’université de Lyon-2. Il analyse les raisons de l’intervention russe en Syrie et décrypte le grand jeu à l’œuvre dans ce pays… dont la France est exclue.

    Daoud Boughezala. Depuis son déclenchement la semaine dernière, la campagne de bombardements russes en Syrie a provoqué une escalade de tensions avec la Turquie et l’ensemble de l’OTAN. Que cherche Poutine en bombardant les groupes d’opposition armés syriens ?

    Fabrice Balanche. Vladimir Poutine a deux objectifs en Syrie. D’une part, installer durablement les troupes russes dans la région alaouite, sur la côte méditerranéenne. D’autre part, renforcer Bachar Al-Assad en vue de futures négociations sur l’avenir du pays. Les groupes d’opposition armés, des dernières brigades de l’Armée syrienne libre à Daech, sont frappés par Moscou non pas en fonction de leur idéologie, mais de la menace qu’ils représentent pour accomplir ces objectifs. C’est pour cette raison que l’aviation russe a, jusqu’à présent, peu ciblé Daech, dont le territoire se situe à l’Est de la Syrie, mais davantage, Al-Nosra et les groupes alliés de la branche syrienne d’Al-Qaïda, ce qui représente en nombre plus de 80% des rebelles. Les 20% restants se trouvent surtout dans le sud de la Syrie, où le soutien américain les oblige à demeurer « fréquentables » sur le plan idéologique.

    Les vives protestations de l’OTAN signifient-elles que l’Occident, France en tête, soutient tacitement les groupes d’opposition armée à Assad autres que l’Etat islamique, fussent-ils alliés ou affiliés à Al-Qaïda ?

    François Hollande a demandé à Vladimir Poutine de ne frapper que Daech, comme le fait la coalition occidentale. Hormis quelques bombardements en juillet 2014 sur Al-Nosra et Ahrar es-Sham, les Etats-Unis évitent de s’en prendre aux deux piliers de «  l’Armée de la conquête », une coalition islamiste financée par l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie en vue de faire tomber Bachar Al-Assad. Cette coalition a enregistré d’importants succès au printemps dernier en s’emparant de la province d’Idleb et en menaçant Lattaquié, dans la région alaouite. Les Occidentaux espéraient que cela amènerait Bachar Al-Assad à négocier en position de faiblesse et à abandonner le pouvoir, comme le réclame François Hollande. L’intervention russe met fin à leurs espoirs. L’Occident pensait naïvement qu’il suffirait d’entretenir un conflit de basse intensité en Syrie pour affaiblir l’armée syrienne. C’était sans compter le désastre humanitaire et ses conséquences en termes de migrations pour l’Europe, les attaques terroristes qui se multiplient et le déploiement de troupes russes et iraniennes en Syrie. Car il était évident que les deux alliés de Bachar Al-Assad que sont la Russie et l’Iran allaient finir par intervenir directement.

    En ce cas, pourquoi la Russie a-t-elle tant tardé à s’engager militairement sur le terrain syrien ?

    La Russie attendait que le moment soit favorable sur le plan géopolitique. Les Etats-Unis sont en position de faiblesse à l’extérieur car ils entrent en campagne électorale. Barack Obama a tout fait pour désengager les Etats-Unis d’Irak et d’Afghanistan, ce n’est pas pour se lancer dans une aventure militaire en Syrie. Quant aux Européens, ils sont tétanisés par le flux de réfugiés et le risque terroriste. Ils souhaitent que le conflit s’arrête quelle que soit l’issue, y compris le maintien au pouvoir de Bachar Al-Assad, pour une période de transition politique, qui est évidemment appelée à durer. L’accord sur le nucléaire iranien a été entériné, ce qui laisse plus de marge de manœuvre à Téhéran pour également intervenir en Syrie et en Irak, comme en témoigne l’annonce d’une coordination du entre Téhéran, Bagdad, Damas et Moscou contre Daech, prélude à une coalition concurrente de celle mise en place par les Etats-Unis.

    Sur le plan intérieur, le gouvernement syrien est fragilisé, son armée fatiguée est réduite par des pertes qu’elle ne parvient pas à compenser par les recrutements. Et au niveau local, la menace d’une attaque des rebelles sur Lattaquié, au nord de la côte méditerranéenne où précisément la Russie veut installer ses bases militaires, a obligé Vladimir Poutine à réagir. Il fallait aussi que Bachar Al-Assad soit en position de faiblesse pour qu’il accepte les conditions russes, car jusqu’à présent, même s’il était dépendant de la Russie pour son approvisionnement militaire, il refusait l’installation des troupes russes sur son territoire : question de fierté.

    Paradoxalement, à mesure qu’il se recroqueville sur son pré carré territorial (la fameuse “Syrie utile” de Damas à Lattaquié), le régime syrien semble regagner en respectabilité internationale. Néanmoins, les différentes conférences de la paix entre Damas et l’opposition  pacifique ont-elles une chance d’aboutir à une pacification sur le terrain ?

    L’opposition pacifique syrienne vit dans un monde virtuel, complètement déconnecté de la réalité du terrain, sans aucun levier sur les groupes militaires. Pourquoi Damas négocierait-il avec ces groupes ? Ceux-ci sont soutenus à bout de bras par les Occidentaux, la Turquie et les pétromonarchies qui ont besoin de conserver une opposition politique pour d’éventuelles négociations. Devant l’impossibilité de trouver une alternative politique à Bachar Al-Assad et face à la menace djihadiste, le principe de réalité s’impose à beaucoup de pays, tel l’Allemagne, en première ligne de la vague migratoire venue de Syrie. Désormais, l’Occident veut préserver les institutions syriennes et ramener le calme dans le pays. Le maintien d’un conflit de basse intensité, comme le souhaite la France, est devenu beaucoup trop coûteux pour l’Union Européenne, car c’est cette dernière qui accueille les réfugiés syriens et non les pétromonarchies du Golfe qui financent la rébellion. Mais pour pouvoir traiter avec Bachar Al-Assad, il faut redorer son image, il en va de la crédibilité des dirigeants, qui après l’avoir conspué, vont devoir renouer officiellement avec lui.

    Rétrospectivement, les anathèmes d’Assad contre ses opposants, qu’il a assimilés à des “terroristes” dès le début de la crise au printemps 2011, se sont révélées être des prophéties autoréalisatrices : grâce à l’expansion de l’État islamique, le pouvoir syrien se pose en ultime recours. Laurent Fabius n’a-t-il pas raison de faire de Daech et de Damas des alliés objectifs ?

    La politique de Laurent Fabius sur la Syrie est un échec total. Il a eu tort sur toute la ligne. C’est pour cette raison qu’il a été quelque peu dessaisi du dossier par le Président de la République début septembre. Notre ministre des Affaires étrangère réécrit l’histoire de la crise syrienne pour justifier ses positions. Il affirme ainsi  que si nous avions bombardé Damas en septembre 2013, les rebelles modérés auraient pris le pouvoir et Daech n’aurait jamais existé. Hubert Védrine dans une excellente tribune dans Libération a répondu que rien n’était moins sûr. Je partage tout à fait son avis : nous aurions tout simplement eu Daech à Damas. Le communautarisme et le salafisme radical ne sont pas nés en 2011, sous l’impulsion d’un régime machiavélique. Ils sont constitutifs de la société syrienne et ne demandaient qu’à s’exprimer au grand jour. Certes, Bachar Al-Assad a joué avec ce qui lui permettait de fragmenter l’opposition. Mais si Damas et Daech sont des alliés objectifs, dans ce cas Israël et le Hamas le sont également, sans oublier les Etats-Unis et la Russie, et en son temps François Mitterrand et Jean-Marie Le Pen. Ce genre de raccourci est indigne d’un ministre des Affaires étrangères. Cependant, après avoir affirmé pendant deux ans que Bachar Al-Assad avait créé Daech, prétendre aujourd’hui qu’ils ne seraient plus que des alliés objectifs témoigne d’une certaine inflexion de la diplomatie française ! 

    Entretien par Daoud Boughezala, rédacteur en chef de Causeur.

     

  • Une ”écriture excluante” qui ”s’impose par la propagande” : 32 linguistes listent les défauts de l’écriture inclusive.

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    "Outre ses défauts fonctionnels, l’écriture inclusive pose des problèmes à ceux qui ont des difficultés d’apprentissage et, en réalité, à tous les francophones soudain privés de règles et livrés à un arbitraire moral." Bien que favorables à la féminisation de la langue, plusieurs linguistes estiment l'écriture inclusive profondément problématique.

    Présentée par ses promoteurs comme un progrès social, l’écriture inclusive n’a paradoxalement guère été abordée sur le plan scientifique, la linguistique se tenant en retrait des débats médiatiques. Derrière le souci d'une représentation équitable des femmes et des hommes dans le discours, l’inclusivisme désire cependant imposer des pratiques relevant d’un militantisme ostentatoire sans autre effet social que de produire des clivages inédits. Rappelons une évidence : la langue est à tout le monde.

    Les défauts de l'écriture inclusive

    Les inclusivistes partent du postulat suivant : la langue aurait été "masculinisée" par des grammairiens durant des siècles et il faudrait donc remédier à l’"invisibilisation" de la femme dans la langue. C’est une conception inédite de l’histoire des langues supposant une langue originelle "pure" que la gent masculine aurait pervertie, comme si les langues étaient sciemment élaborées par les locuteurs. Quant à l"invisibilisation", c’est au mieux une métaphore mais certainement pas un fait objectif ni un concept scientifique.

    Si la féminisation est bien une évolution légitime et naturelle de la langue, elle n’est pas un principe directeur des langues

    Nous relèverons simplement ici quelques défauts constitutifs de l’écriture inclusive et de ses principes.

    • La langue n’a pu être ni masculinisée, ni féminisée sur décision d’un groupe de grammairiens, car la langue n’est pas une création de grammairiens — ni de grammairiennes. Ce ne sont pas les recommandations institutionnelles qui créent la langue, mais l’usage des locuteurs. L’exemple, unique et tant cité, de la règle d’accord "le masculin l’emporte sur le féminin" ne prétend posséder aucune pertinence sociale. C’est du reste une formulation fort rare, si ce n’est mythique, puisqu’on ne la trouve dans aucun manuel contemporain, ni même chez Bescherelle en 1835. Les mots féminin et masculin n’ont évidemment pas le même sens appliqués au sexe ou à la grammaire : trouver un quelconque privilège social dans l’accord des adjectifs est une simple vue de l’esprit.
    • Si la féminisation est bien une évolution légitime et naturelle de la langue, elle n’est pas un principe directeur des langues. En effet, la langue française permet toujours de désigner le sexe des personnes et ce n’est pas uniquement une affaire de lexique, mais aussi de déterminants et de pronoms ("Elle est médecin"). Par ailleurs, un nom de genre grammatical masculin peut désigner un être de sexe biologique féminin ("Ma fille est un vrai génie des maths") et inversement ("C’est Jules, la vraie victime de l’accident"). On peut même dire "un aigle femelle" ou "une grenouille mâle"…

    Une écriture excluante

    La langue n’est pas une liste de mots dénués de contexte et d’intentions, renvoyant à des essences. Il n’y a aucune langue qui soit fondée sur une correspondance sexuelle stricte. Autrement, le sens des mots serait déterminé par la nature de ce qu’ils désignent, ce qui est faux. Si c’était le cas, toutes les langues du monde auraient le même système lexical pour désigner les humains. Or, la langue n’a pas pour principe de fonctionnement de désigner le sexe des êtres : dire à une enfant "Tu es un vrai tyran" ne réfère pas à son sexe, mais à son comportement, indépendant du genre du mot.

    • Les formes masculines du français prolongent à la fois le masculin (librum) et le neutre (templum) du latin et font donc fonction de genre "neutre", c’est-à-dire par défaut, ce qui explique qu’il intervienne dans l’accord par résolution (la fille et le garçon sont partis), comme indéfini (ils ont encore augmenté les impôts), impersonnel (il pleut), ou neutre (c’est beau). Il n’y a là aucune domination symbolique ou socialement interprétable. Quand on commande un lapin aux pruneaux, on ne dit pas un.e lapin.e aux pruneaux
    • La langue a ses fonctionnements propres qui ne dépendent pas de revendications identitaires individuelles. La langue ne détermine pas la pensée — sinon tous les francophones auraient les mêmes pensées, croyances et représentations. Si la langue exerçait un pouvoir "sexiste", on se demande comment Simone de Beauvoir a pu être féministe en écrivant en français "patriarcal". L’évidence montre que l’on peut exprimer toutes les pensées et les idéologies les plus antithétiques dans la même langue.

    Ces formes fabriquées ne relèvent d’aucune logique étymologique et posent des problèmes considérables de découpages et d’accords

    • En français, l’orthographe est d’une grande complexité, avec ses digraphes (eu, ain, an), ses homophones (eau, au, o), ses lettres muettes, etc. Mais des normes permettent l’apprentissage en combinant phonétique et morphologie. Or, les pratiques inclusives ne tiennent pas compte de la construction des mots : tou.t.e.s travailleu.r.se.s créent des racines qui n’existent pas (tou-, travailleu-). Ces formes fabriquées ne relèvent d’aucune logique étymologique et posent des problèmes considérables de découpages et d’accords.
    • En effet, les réformes orthographiques ont normalement des objectifs d’harmonisation et de simplification. L’écriture inclusive va à l’encontre de cette logique pratique et communicationnelle en opacifiant l’écriture. En réservant la maîtrise de cette écriture à une caste de spécialistes, la complexification de l’orthographe a des effets d’exclusion sociale.Tous ceux qui apprennent différemment, l’écriture inclusive les exclut : qu’ils souffrent de cécité, dysphasie, dyslexie, dyspraxie, dysgraphie, ou d’autres troubles, ils seront d’autant plus fragilisés par une graphie aux normes aléatoires.
    • Tous les systèmes d’écriture connus ont pour vocation d’être oralisés. Or, il est impossible de lire l’écriture inclusive : cher.e.s ne se prononce pas. Le décalage graphie / phonie ne repose plus sur des conventions d’écriture, mais sur des règles morales que les programmes de synthèse vocale ne peuvent traiter et qui rendent les textes inaccessibles aux malvoyants.

    L’écriture inclusive pose des problèmes à tous ceux qui ont des difficultés d’apprentissage

    • On constate chez ceux qui la pratiquent des emplois chaotiques qui ne permettent pas de produire une norme cohérente. Outre la prolifération de formes anarchiques ("Chere.s collègu.e.s", "Cher.e.s collègue.s", etc.), l’écriture inclusive est rarement systématique : après de premières lignes "inclusives", la suite est souvent en français commun… Si des universitaires militants ne sont pas capables d’appliquer leurs propres préceptes, qui peut le faire ?
    • L’écriture inclusive, à rebours de la logique grammaticale, remet aussi radicalement en question l’usage du pluriel, qui est véritablement inclusif puisqu’il regroupe. Si au lieu de "Les candidats sont convoqués à 9h00" on écrit "Les candidats et les candidates sont convoqué.e.s à 9h00", cela signifie qu’il existe potentiellement une différence de traitement selon le sexe. En introduisant la spécification du sexe, on consacre une dissociation, ce qui est le contraire de l’inclusion. En prétendant annuler l’opposition de genre, on ne fait que la systématiser : l’écriture nouvelle aurait nécessairement un effet renforcé d’opposition des filles et des garçons, créant une exclusion réciproque et aggravant les difficultés d’apprentissage dans les petites classes.

    Outre ses défauts fonctionnels, l’écriture inclusive pose des problèmes à tous ceux qui ont des difficultés d’apprentissage et, en réalité, à tous les francophones soudain privés de règles et livrés à un arbitraire moral. La circulaire ministérielle de novembre 2017 était pourtant claire et, tout en valorisant fort justement la féminisation quand elle était justifiée, demandait "ne pas faire usage de l'écriture dite inclusive" : des administrations universitaires et municipales la bafouent dans un coup de force administratif permanent. L’usage est certes roi, mais que signifie un usage militant qui déconstruit les savoirs, complexifie les pratiques, s’affranchit des faits scientifiques, s’impose par la propagande et exclut les locuteurs en difficulté au nom de l’idéologie ?

     

    Tribune rédigée par les linguistes Yana Grinshpun (Sorbonne Nouvelle), Franck Neveu (Sorbonne Université), François Rastier (CNRS), Jean Szlamowicz (Université de Bourgogne).

    Signée par les linguistes :

    • Jacqueline Authier-Revuz (Sorbonne nouvelle)
    • Mathieu Avanzi (Sorbonne Université)
    • Samir Bajric (Université de Bourgogne)
    • Elisabeth Bautier (Paris 8-St Denis)
    • Sonia Branca-Rosoff (Sorbonne Nouvelle)
    • Louis-Jean Calvet (Université d’Aix-Marseille)
    • André Chervel (INRP/Institut Français de l’Éducation)
    • Christophe Cusimano (Université de Brno)
    • Henri-José Deulofeu (Université d’Aix-Marseille)
    • Anne Dister (Université Saint-Louis, Bruxelles)
    • Pierre Frath (Univesité de Reims)
    • Jean-Pierre Gabilan (Université de Savoie)
    • Jean-Michel Géa (Université de Corte Pascal Paoli)
    • Jean Giot (Université de Namur)
    • Astrid Guillaume (Sorbonne Université)
    • Pierre Le Goffic (Sorbonne Nouvelle)
    • Georges Kleiber (Université de Strasbourg)
    • Mustapha Krazem (Université de Lorraine)
    • Danielle Manesse (Sorbonne Nouvelle)
    • Luisa Mora Millan (Université de Cadix)
    • Michèle Noailly (Université de Brest)
    • Thierry Pagnier (Paris 8- St Denis)
    • Xavier-Laurent Salvador (Paris 13-Villetaneuse)
    • Georges-Elia Sarfati (Université d’Auvergne)
    • Agnès Steuckardt (Université Paul Valéry, Montpellier)
    • Georges-Daniel Véronique (Université d’Aix-Marseille)
    • Chantal Wionet (Université d’Avignon)
    • Anne Zribi-Hertz (Paris 8- St Denis)

    Source : https://www.marianne.net/

  • Jean-Paul Brighelli : «Comment peut-on enseigner avec un masque?».

    Un enseignant de physique fait cours à une classe de 6ème. DANIEL LEAL-OLIVAS/AFP

    Source : https://www.lefigaro.fr/vox/

    Le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer a finalement annoncé que l’obligation de porter le masque concerne tous les enseignants, y compris en maternelle. Les relations entre les élèves et leur professeur s’en trouveront affaiblis regrette l’enseignant et essayiste Jean-Paul Brighelli.

    Peut-être vous rappelez-vous les travaux de Gregory Bateson et de l’École de Palo-Alto, qui ont renouvelé grandement la théorie de la communication. Ils ont fait émerger la notion de double bind, la double contrainte — même si la traduction française évacue le nœud qui était central dans l’expression américaine. C’est bien dommage, parce que la double contrainte est au cœur des processus tragiques: si Phèdre parle, elle meurt, et si elle ne parle pas, elle meurt. Ou, si l’on préfère un exemple moins dramatique, c’est ce qui arrive à ce légionnaire romain sommé, dans Astérix en Corse, de dire que la sœur du chef corse lui plaît (et alors on le tue) ou qu’elle ne lui plaît pas — et alors on le tue.

    Nous en sommes là, avec cette histoire de masque. Si nous le portons en cours, nous sommes ridicules (et parfois inquiétants, avec les plus petits), inaudibles, inopérants. Surtout avec les élèves «décrocheurs», avec les plus démunis, qui ont besoin de la présence physique du maître, qui leur a tant manqué depuis la mi-mars. Si nous ne le portons pas, nous risquons d’attraper ou de transmettre cette étrange maladie qui tue de préférence les vieux et épargne les jeunes — au fond, le Covid, c’est le Temps.

     

    Pour remplir l’espace d’une classe, 300m3 en moyenne, il faut forcer sur sa voix. Pour le faire avec un masque, il faut crier plus fort.

     

    J’ai analysé par ailleurs l’impossibilité pratique d’enseigner masqué, du point de vue de la communication. La même école de Palo-Alto a particulièrement travaillé sur ce que Edward T. Hall nomme fort joliment «le langage silencieux»: le non-verbal constitue plus de 50% de la communication. Quel enseignant peut accepter que la moitié de son enseignement disparaisse dans les limbes? Sans compter que nombre de gens (et donc d’élèves) sont prioritairement des visuels: ceux qui disent «je ne peux pas le voir» sont bien plus nombreux que ceux qui affirment «je ne peux pas le sentir». Ces élèves lisent sur nos visages les données complémentaires qui donnent sens au discours. Sans elles, nous aurons la sensibilité et l’expressivité d’un GPS.

    Parce qu’il en est de l’enseignement comme de la séduction. Tout participe au processus. Croyez-vous que Juliette eût aimé Roméo si l’héritier des Montaigu avait porté un masque — surtout un masque de type chirurgical…

    Mais il est vrai que les médecins, qui n’ont pas été à pareille fête depuis bien longtemps, voudraient même imposer le masque jusque dans les alcôves…

    Le masque «mange» une partie des sons, et obligera l’enseignant à parler encore plus fort. Je supplie le lecteur de me croire sur parole: pour remplir l’espace d’une classe, 300m3 en moyenne, il faut forcer sur sa voix. Pour le faire avec un masque, il faut crier plus fort. Pour ramener un peu d’ordre quand Kevin fait le pitre — non, rien ne convaincra Kevin, si l’enseignant le lui dit à travers son masque. Sans compter qu’en quelques minutes, le tissu se charge d’humidité. Et colle aux lèvres, au nez, aux joues. L’horreur.

     

    C’est en lisant, littéralement, sur les visages que les règles d’accord du COD ou le théorème de Pythagore sont ou ne sont pas compris que l’on infléchit son cours, que l’on reprend la démonstration, en se répétant sous une autre forme.

     

    On objecte volontiers qu’un chirurgien opère parfois plusieurs heures avec un masque. Mais il ne déclame pas en même temps! C’est une chose de se promener masqué — et c’est déjà une contrainte douloureuse. C’est tout autre chose de parler, à jet continu, pendant des heures, avec un masque en travers du visage.

    Et encore s’agit-il là du rapport de l’enseignant à l’élève. En sens inverse, des élèves masqués ne manifestent rien, du point de vue de l’enseignant. Or, c’est sur le visage des élèves qu’on lit leur degré de compréhension ou d’effarement — pas autrement. Il est rare que celui qui ne comprend pas lève la main pour le dire — cela le distinguerait trop du groupe. C’est en lisant, littéralement, sur les visages que les règles d’accord du COD ou le théorème de Pythagore (ou celui de Poincaré-Bendixon) sont ou ne sont pas compris que l’on infléchit son cours, que l’on reprend la démonstration, en se répétant sous une autre forme, que l’on travaille tel ou tel segment de la classe — car il arrive que les élèves en difficulté se regroupent, d’instinct. Il en est de même au théâtre, où l’acteur saisit, par une série de signes imperceptibles, que les spectateurs à droite de la scène n’entrent pas dans la pièce, et qu’il faut modifier légèrement sa position pour travailler ces groupes rétifs.

    Il est en pratique non seulement impossible, mais surtout contre-productif, d’enseigner masqué. J’entends bien que le nombre d’élèves par classe interdit la «distanciation» physique ; que les élèves ne doivent pas se toucher, ni échanger leurs stylos (essayez un peu de les empêcher de tripoter ce qui se trouve sur le bureau du voisin). Mais si l’on veut rattraper ces cinq mois perdus, il faut enseigner, enseigner à fond, enseigner de toutes ses forces — et pas se réfugier derrière des prétexte prophylactiques pour ne faire que la moitié du travail.

     

    La moitié d’un enseignement, ce n’est pas de l’enseignement. Une demi-transmission, c’est pas de transmission du tout.

     

    Parce que la moitié d’un enseignement, ce n’est pas de l’enseignement. Une demi-transmission, c’est pas de transmission du tout.

    Les pédagogues professionnels conseillent donc de remplacer les expressions de visage par une gestuelle plus accentuée. Le mime Marceau reprend du service! Mais le geste, il est déjà là, il est l’un des artefacts majeurs de la communication silencieuse. Il vient à l’appui du visage — sauf qu’avec un masque, il n’y aura plus de visage. C’est l’homme invisible professeur.

    La rentrée sera complexe. Certains enseignants en sont déjà à refuser les copies — sinon par informatique — afin de ne pas risquer peut-être de se contaminer avec du papier que des gosses peut-être porteurs de virus auront touché. Les réseaux sociaux vibrent de conversations sur le temps de purgatoire du papier (48 heures? 72 heures?). Faudra-t-il aussi porter des gants? Une combinaison de cosmonaute, peut-être… L’ombre du «cluster» plane déjà, par anticipation, sur les lieux scolaires. Et qu’en sera-t-il, quand au Covid se rajouteront la grippe ou les gastros saisonnières? L’enseignement français est-il condamné au «distanciel» désormais? Quitte à accroître inexorablement le nombre des «décrocheurs»…

    Les professeurs (et leurs représentants syndicaux, qui depuis la mi-mai ont fait de la surenchère sécuritaire, et passaient avec un mètre-ruban vérifier que les tables étaient bien à distance réglementaire — au lieu de faire cours) qui choisiront d’enseigner masqués, quitte à être inaudibles et en fin de compte inutiles, devraient se méfier. Si le ministère se met à penser comme eux, et finit par croire que la solution du problème passe par Internet, il n’aura plus besoin de 850 000 enseignants: quelques centaines triés par leur capacité à créer des tutoriels sur YouTube, feront tout aussi bien le boulot.

     

    Agrégé de Lettres modernes, ancien élève de l’École normale supérieure de Saint- Cloud, Jean-Paul Brighelli est enseignant à Marseille, essayiste et spécialiste des questions d’éducation. Il est l’auteur de La fabrique du crétin (éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et de Voltaire ou le Jihad, le suicide de la culture occidentale (éd. de l’Archipel, 2015).

  • Covid-19 : la fin de nos libertés ?, par Jean Bouër.

    Source : https://www.politiquemagazine.fr/

    Gavés d’interdictions, les Français n’ont jamais si bien senti à quel point l’État voulait leur bonheur. Le juge administratif a néanmoins tempéré ces ardeurs.

    Sous prétexte de lutter contre l’épidémie de Coronavirus, on est allé loin dans la restriction des libertés publiques. Plus besoin de guerre ou d’émeutes. Non seulement en plein confinement mais même après, car la vie « normale » est loin d’avoir repris. Le 11 mai 2020 met juste fin à un régime d’interdiction. En effet, si, avant cette date, l’interdiction de sortir était la norme et la liberté l’exception, strictement, les libertés restent toujours aménagées, car soumises à un certain nombre de conditions. Ce n’est pas parce que l’on est dispensé d’attestation que l’on fait ce que l’on veut. En fait, jamais dans l’histoire d’une République qui se dit libérale et démocratique on n’a autant accepté de limites aux libertés.

    Revenons sur ces mesures inquiétantes décidées pour le « bien » des Français… Prenons la mesure la plus emblématique : l’interdiction des rassemblements. Imposée initialement par décret du 23 mars 2020, elle a été maintenue avec une barre faisant office de seuil fatidique : ne pas dépasser 10 personnes. « Tout rassemblement, réunion ou activité sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public, mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes, est interdit sur l’ensemble du territoire de la République », affirmait le décret du 31 mai 2020. La situation n’aurait pas été ironique si les Parisiens, médusés, n’avaient immédiatement assisté, le 2 juin dernier, au rassemblement sauvage de plus de 20 000 personnes pour Adama Traoré, devant le tribunal judiciaire de Paris ! Illégalement, ces milliers de personnes ont pu se réunir pour protester contre la supposée mort par plaquage ventral d’un jeune poursuivi pour extorsion de fonds en juillet 2016. Ironie du sort : certains manifestants ont porté un masque, tout en cassant ou en mettant le feu aux poubelles… Finalement, il a fallu attendre que l’interdiction des rassemblements de plus de 10 personnes soit neutralisée en passant sous les fourches caudines du juge administratif. En effet, le Conseil d’État, saisi par des syndicats, a suspendu la mesure. Dans une ordonnance rendue le 13 juin 2020, il estimait que cette interdiction ne pouvait être justifiée que si les « mesures barrières » ne pouvaient être respectées ou que si l’événement risquait de réunir plus de 5 000 personnes. Le Gouvernement a donc été prié de revoir sa copie. Cela ne met pas pour autant fin à l’interdiction des réunions de plus de 5000 personnes prévue jusqu’au 31 août 2020. Au passage, certains n’ont pas attendu que le Conseil d’État tranche. Les partisans d’Adama Traoré ont saccagé la place de la République le jour même où le juge demandait à l’État d’assouplir les interdictions…

    La contestation des normes et « archipélisation » de la France

    Bien sûr, l’État n’avait pas osé interdire après le 11 mai les déplacements dans les transports – on est effectivement plus de 10 dans le bus ou dans le métro… –, mais les parcs et jardins ont pu être ouverts, et sur les charmantes pelouses vertes, on a souvent été plus de 10 à prendre l’apéro… Autre exemple de contradiction : les bars et les restaurants. Pas question de boire ou de manger dedans mais cela a été permis en terrasse dans les départements classés en zone dite orange, ce qui visait l’Île-de-France. Finalement, l’interdiction – quelque peu hypocrite – a été levée le lundi 15 juin 2020, le lendemain de l’annonce d’Emmanuel Macron à 20 h… Les restrictions auront été rudes, mais aussi cacophoniques, ce qui résume assez bien la situation actuelle. Plus près de nous, toujours à Paris, on s’est encanaillé près du canal Saint-Martin pour siroter lors de la fête de la musique le 21 juin dernier. Cette fois-ci, les interdits marchent difficilement au nom de la « teuf ». Il y a une chose que ce régime d’interdiction a révélé : les cassures profondes de la société française, son « archipélisation » (Jérôme Fourquet), qui fait que les normes ne sont pas les mêmes partout et pour tous, parce qu’au fond, personne n’y croit vraiment, les « Gaulois » pas plus que ceux d’origine étrangère. Les interdictions, ce n’est donc pas pour tout le monde, que ce soit avant le 17 mars ou après le 11 mai. Et certainement après le 10 juillet 2020, la date officielle retenue pour la fin de l’état d’urgence sanitaire. D’ailleurs, ce sont les communautés – au sens large – qui ont contesté – violemment ou pacifiquement – ces interdits.

    Des libertés sauvées par le juge ?

    Finalement, c’est le juge administratif qui a retoqué certaines interdictions. Un autre exemple de restriction mal vécue, mais corrigée par le juge administratif, peut être cité : la liberté de culte, ressuscitée – sans ironie pour les chrétiens qui nous lisent – par une décision du 23 mai dernier. En effet, dans son décret du 11 mai 2020, le Gouvernement avait interdit tout exercice du culte. Il aurait donc fallu attendre le 2 juin pour que les fidèles puissent participer à des offices religieux. Saisi par plusieurs associations catholiques et par des particuliers, le Conseil d’État estime que l’interdiction est trop générale et absolue par rapport aux circonstances sanitaires qui l’ont justifiée. Sous huitaine, le Gouvernement a donc dû revoir sa copie. Le 23 mai 2020, il a autorisé la reprise du culte en exigeant le port du masque et le respect des gestes barrières (ouf !). Depuis, les catholiques sont contents de pouvoir pratiquer, même si d’autres restrictions peuvent poser problèmes (l’inscription obligatoire à la participation au culte, etc.). On mesure comment une liberté a pu être restaurée, mais en acceptant de saisir le juge. Et surtout comment, dans la léthargie générale, ce sont les « minoritaires » qui demandent à remettre les points sur les « i ». Pas besoin d’être racaille pour le demander… Non seulement l’État impose des restrictions, mais c’est son appareil lui-même (les juges administratifs en l’espèce) qui reconnaît que quelque chose ne va pas…

    La perpétuation du système

    Il serait insuffisant de lire ces mesures à la lumière de la seule pandémie qui a touché notre pays. Ce que révèlent les restrictions est loin d’être circonstanciel. Covid-19 ou pas, les atteintes aux libertés publiques sont dans l’air du temps. Ces interdictions traduisent une singulière tournure qui affecte les sociétés contemporaines. C’est l’ère du « capitalisme autoritaire » ou du « capitalisme policier ». La démocratie devenant atone et fatiguée, le système partisan étant sérieusement affaibli et géré par un « bloc central » qui ne représente que 20% des électeurs, il ne reste plus que la contrainte pour gérer le « gros animal ». Les croyances sont liquéfiées. Ainsi, aux dernières élections municipales, les candidats de centre, de droite et de gauche ont proposé les mêmes programmes dans les métropoles : ils sont tous paysagistes ou veulent planter des arbres à chaque coin de rue. On se rattrape donc sur les normes et le bâton coercitif. Car sinon, comment faire tenir ensemble des Français qui se communautarisent ou qui sont encore plus consommateurs que citoyens ? Les Français ne croient plus en rien, mais il reste encore la peur du gendarme. Le Covid-19 permet donc au système de se perpétuer avec une crise de nature inédite, qui n’avait pas de précédent dans la mémoire collective. À quand de vraies libertés ? Au fond, la situation actuelle – et cocasse – peut rappeler un ouvrage d’un éminent professeur de droit public : la République contre les libertés[1]. On est en plein dedans.

    [1]. Jean-Pierre Machelon, La République contre les libertés ?, Paris, Presse de la Fondation nationale des sciences politiques, 1976.

    Illustration : Qu’importe l’émotion pourvu que vous ayez un masque ! La République et ses Normes à Géométrie Variable ®.

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  • État de droit ou État dépravé ?, par Claude Janvier.

    L’imposition du « passe sani­taire » montre que nous ne sommes pas dans un État de droit. Au-delà de la ques­tion du « passe », c’est une refonte totale de nos ins­ti­tu­tions qui est nécessaire.

    2.jpgEric Dupond-Moret­ti s’est fen­du d’un tweet le 5 août 2021 à 22 h et je cite : “Non, nous ne sommes pas dans une dic­ta­ture, mais dans un État de droit ! Ceux qui hurlent après le Conseil consti­tu­tion­nel pour sa déci­sion sur le #Pass­Sa­ni­taire l’auraient encen­sé s’il les avait confor­tés. Contrai­re­ment à leurs convic­tions le droit, lui, ne peut être manipulé.”

    Ce genre de rhé­to­rique fleure bon la droi­ture, l’équité, l’intégrité, l’éthique ! Un état de droit… Son­nez buc­cins et trompettes !

    La réa­li­té est toute autre. Au vu du nombre de cas­se­roles, – des chau­drons pour cer­tains -, que se traînent pra­ti­que­ment tous les poli­tiques, et au vu du fait qu’un casier judi­ciaire vierge ne soit tou­jours pas exi­gé pour être dépu­té, – alors que pour ouvrir un res­tau­rant, c’est une obli­ga­tion -, l’équité, la droi­ture et tout le flon­flon ont déjà du plomb dans l’aile.

    15 jan­vier 1990 : Michel Rocard, alors 1er ministre de la Ve Répu­blique, fit voter la loi d’amnistie pour les délits et crimes liés au finan­ce­ment des par­tis poli­tiques et des cam­pagnes élec­to­rales, dans le cadre d’un pro­jet de régu­la­tion du finan­ce­ment de la vie poli­tique fran­çaise. Le début de la fin. (1)

    Mais au fait, qu’est-ce qu’un État de droit ? Selon le site offi­ciel, Vie publique : “Le concept d’État de droit s’oppose à la notion de pou­voir arbi­traire. Il désigne un État dans lequel la puis­sance publique est sou­mise aux règles de droit.” Selon la défi­ni­tion don­née par le juriste Hans Kel­sen au début du XXe siècle, c’est un “État dans lequel les normes juri­diques sont hié­rar­chi­sées de telle sorte que sa puis­sance s’en trouve limi­tée“. L’État de droit implique le res­pect de la hié­rar­chie des normes (“La hié­rar­chie des normes implique que chaque norme juri­dique est rédi­gée sur le fon­de­ment d’un droit qui lui est supé­rieur“), ain­si que l’égalité devant la loi :

    L’égalité des sujets de droit consti­tue la deuxième condi­tion essen­tielle d’un État de droit. Cela implique que les per­sonnes et les orga­ni­sa­tions reçoivent la per­son­na­li­té juri­dique, en tant que per­sonnes phy­siques pour les per­sonnes, en tant que per­sonne morale pour les orga­ni­sa­tions. L’État est lui-même consi­dé­ré comme une per­sonne morale.

    L’État de droit sup­pose aus­si “la sépa­ra­tion des pou­voirs qui vise à évi­ter la concen­tra­tion du pou­voir dans les mains d’un des­pote. Le pou­voir est dis­tri­bué entre des organes indé­pen­dants et spécialisés :

    – Le pou­voir de voter la loi (pou­voir législatif) ;

    – Le pou­voir d’exécuter les lois et pour ce faire d’édicter des règle­ments (pou­voir exécutif) ;

    – Le pou­voir de rendre la jus­tice (pou­voir judi­ciaire).

    Le qua­trième pou­voir ne figure pas dans ce texte, mais il existe : la presse. Contrô­lée par une clique de mil­liar­daires issue du CAC 40 et aux ordres de l’État, elle est un organe de pro­pa­gande assu­rant que le pou­voir reste dans les mêmes mains.

    Sur le papier, un État de droit paraît être le garant du peuple. En réa­li­té, un Pré­sident pos­sé­dant la majo­ri­té à l’Assemblée natio­nale et au Sénat est le maître du pays. Étant don­né aus­si que les membres des Conseils d’État et consti­tu­tion­nel sont sou­vent des anciens ministres, la boucle est bou­clée. Un État de droit n’est pas dif­fé­rent d’un pou­voir arbitraire.

    L’imposition de la loi concer­nant le passe-sani­taire le démontre. Emma­nuel Macron et ses ministres en vou­laient l’instauration. Votée la nuit en com­mis­sion mixte le 25 juillet 2021, et enté­ri­née par le Conseil consti­tu­tion­nel en ce 5 août 2021, – jour funeste pour la démo­cra­tie -, cette loi inique prouve bien que l’État de droit fran­çais res­semble plus à une répu­blique d’opérette qu’à une ins­ti­tu­tion bien­veillante cen­sée pro­té­ger le peuple. L’instauration du passe-sani­taire pri­vant les citoyens du droit le plus élé­men­taire qui est la libre cir­cu­la­tion, prouve indu­bi­ta­ble­ment que nous sommes vrai­ment en dictature.

    Il n’y a aucune dif­fé­rence entre un État de droit tel que nous le subis­sons depuis trop long­temps et un État arbi­traire sou­mis au bon vou­loir d’un sou­ve­rain. De plus en plus de Fran­çais sont dans la rue pour dire “Non” au passe de la honte. En plein mois d’août, le nombre de mani­fes­tants pré­sents est un record. Mais ne vous y fiez pas, com­battre le passe-sani­taire ne repré­sente que le som­met de l’iceberg. Une refonte totale de nos ins­ti­tu­tions est urgente. Il est plus que néces­saire de sor­tir de l’Europe, de faire le ménage, et d’avoir enfin des poli­ti­ciens intègres pre­nant soin des citoyens.

    (1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Amnistie_parlementaire

    Le virus et le Pré­sident : Enquête sur l’une des plus grandes trom­pe­ries de l’Histoire

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    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • Livres & Actualité • Alain de Benoist contre le libéralisme (et ce qu’il a fait de nous)

     

    Par Jean-Paul Brighelli

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgNous avons mis en ligne, vendredi, une vidéo dans laquelle Alain de Benoist présente lui-même le livre qu'il vient de publier, Contre le libéralisme.

    Voici ce qu'en a pensé Jean-Paul Brighelli. Nous avons dit souvent aimer son style, son humour, son expression directe et sans ambages, son érudition, son bon sens, son non-conformisme et jusqu'à la verdeur de son langage. Cette excellente recension - parue sur son blog le 25 février - ne manque pas à la règle. Voici !  LFAR  

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    Tous les hommes ne sont pas interchangeables

    Seule l’extrême densité de l’actualité m’a fait retarder le compte-rendu déjà écrit du dernier livre d’Alain de Benoist, Contre le libéralisme.

    FIC147777HAB0-768x1234.jpgUne actualité si épaisse qu’elle a permis le déferlement de la sottise la plus élémentaire, non pas celle supposée des « gilets jaunes », qui n’en sont pas encore à formaliser l’ensemble de leurs revendications, et auxquels il est un peu vain de reprocher en bloc les bêtises de quelques-uns, mais celle des commentateurs : faut-il qu’ils aient peur pour qu’on lise sous la plume de gens ordinairement mieux avertis (Jean-François Kahn ou Jacques Julliard, par exemple) des pauvretés idéologiques d’un tel calibre… Cela me rappelle les éructations de la bonne madame Sand au moment de la Commune (lire absolument Les Ecrivains contre la Commune, de Paul Lidsky) : la « socialiste » de Nohan a soudainement craint que le peuple dont elle chantait les louanges tant qu’il fermait sa gueule ne vienne dévaster sa gentilhommière… Que voulez-vous, le peuple braille, gueule, éructe, et parfois même coupe des têtes. Et parfois, il n’a pas tort de le faire : nous exaltons la Révolution chaque mois de Juillet selon un rite magique – pour qu’elle ne se reproduise pas.

    Nous ne sommes pas des Alain Minc

    Contre le libéralisme donc… Entendons-nous : Alain de Benoist n’a rien contre l’idée que son boulanger ou son menuisier soient des entrepreneurs libéraux — tant qu’ils ont du talent. Un homme qui cite si souvent Ayn Rand (si vous n’avez pas vu le Rebelle, de King Vidor, empressez-vous !) n’a rien contre l’expression du génie, de l’individu porté à son plus haut point d’incandescence. Mais il s’agit ici de l’individuation libérale, l’assurance fournie par le libéralisme actuel que la médiocrité de chacun pourra s’exprimer sans contrainte, pourvu que chacun soit libre de consommer, c’est-à-dire au fond d’être asservi à l’objet, à l’avoir, faute d’être, qui est au cœur de son ouvrage. L’autre versant, c’est l’économisme, c’est-à-dire la tendance à remplacer le politique par un prêt-à-porter financier : « It’s the economy, stupid ! » beuglait James Carville, l’organisateur de la campagne de Clinton en 1992 — en écho au « There is no alternative » de Thatcher — « affirmation impolitique par excellence ». Ou à l’idée que, comme le proclame Alain Minc, « le capitalisme ne peut s’effondrer, c’est l’état naturel de la société ». L’illibéralisme contemporain, la pensée alter-mondialiste, le souverainisme sous toutes ses formes, nourrissent leurs critiques et leurs révoltes de ces affirmations péremptoires qui font les beaux jours des banques, mais pas les nôtres.

    Loana, c’est Jeremy Bentham

    Qu’est-ce que l’individu libéral ? « La culture du narcissisme, la dérégulation économique, la religion des droits de l’homme, l’effondrement du collectif, la théorie du genre, l’apologie des hybrides de toute nature, l’émergence de « l’art contemporain », la télé-réalité, l’utilitarisme, la logique du marché, le primat du juste sur le bien (et du droit sur le devoir), le « libre choix » subjectif érigé en règle générale, le goût de la pacotille, le règne du jetable et de l’éphémère programmé, tout cela fait partie d’un système contemporain où, sous l’influence du libéralisme, l’individu est devenu le centre de tout et a été érigé en critère d’évaluation universel. »

    C’est ce qu’il y a de bien avec les philosophes (et beaucoup moins avec les penseurs d’opérette qui se répandent en éditos chiasseux), c’est qu’ils savent poser un problème, pour en détortiller les nœuds dans les pages suivantes. Alain de Benoist montre avec une grande rigueur le lien qui unit Jeremy Bentham et John Stuart Mill à Loana ou à Macron (dont Marcel Gauchet dit qu’il est « le premier vrai libéral, au sens philosophique du terme, à surgir sur la scène politique française »).

    « L’immigration se résume à une augmentation du volume de la main d’œuvre et de la masse des consommateurs »

    Comment ? protestent déjà les demi-habiles (rappelons au passage que le demi-habile pascalien est, comme le « presque intelligent », un gros connard qui se croit habile). Vous êtes contre la liberté ? Oui — chaque fois que, comme l’explique Pierre Manent, le règne sans partage des droits individuels fait automatiquement périr l’idée de bien commun. L’idée quantitative de l’individu, qui finalement renonce à être pourvu qu’on le laisse avoir, explique par exemple l’accueil que le libéralisme fait à l’immigration incontrôlée : « Le libéralisme, explique Alain de Benoist, aborde cette question dans une optique purement économique : l’immigration se résume à une augmentation du volume de la main d’œuvre et de la masse potentielle des consommateurs grâce à des individus venus d’ailleurs, ce en quoi elle est positive. Elle se justifie en outre par l’impératif de libre circulation des hommes, des capitaux et des marchandises, et permet aussi d’exercer une pression à la baisse sur les salaires des autochtones ». Et d’ajouter : « On raisonne ainsi comme si les hommes étaient interchangeables ». L’idéologie des Droits de l’homme, appliquée de façon aveugle, finit par nier ces droits mêmes. Carton plein pour le vendeur d’i-phones et autres babioles onéreuses et jetables – mais pour nous ?

    Un exemple qui a surgi au fil de ma lecture — et c’est toujours bon signe quand un livre agite en vous des idées. On propose plusieurs dates pour la fin de l’empire romain : 410, avec le sac de Rome par les Wisigoths d’Alaric, ou 455 avec les Vandales de Genséric, ou 476, avec l’abdication du dernier empereur, Romulus Augustule. Mais pour moi, le début de la fin, c’est, en 212, l’édit de Caracalla, faisant de chaque habitant de l’Empire un citoyen romain. Ce n’était plus la peine désormais de chercher (souvent en servant dans l’armée) à devenir romain. Et on eut très vite recours à des Barbares pour remplacer les citoyens qui pouvaient dès lors se contenter de péter dans leurs toges. On leur avait donné un droit, et supprimé les devoirs. Le reste n’est qu’histoire des cataclysmes et de la décadence, comme le peignait Thomas Couture. 

    Que la liberté de consommer soit un asservissement est une évidence qui n’échappe qu’aux libéraux, pour qui « la liberté est en fait avant tout liberté de posséder. » Caracalla, le premier, en banalisant le « citoyen », a proclamé l’avènement de l’individu — rendant, du coup, le plaisir vulgaire et la citoyenneté obsolète.

    Y a-t-il de l’espoir ? Eh bien oui : le système est en train d’atteindre ses limites. « À l’endettement du secteur privé s’ajoute aujourd’hui une dette souveraine, étatique, qui a augmenté de manière exponentielle depuis vingt ans, et dont on sait parfaitement qu’un dépit des politiques d’austérité, elle ne sera jamais payée. » Plus vite on la dénoncera, plus vite nous récupèrerons le droit d’être des individus ré-organisés en société, unus inter pares, comme on disait à l’époque où « aristocratie » n’était pas un vain mot. Et nous balaierons les oligarques qui se prennent pour des élites auto-proclamées.

    Quant à savoir où se situe Alain de Benoist dans l’échiquier politique… Un homme qui cite souvent Jean-Claude Michéa ne peut être tout à fait mauvais. Mais j’imagine que Jacques Julliard et Jean-François Kahn doivent penser qu’il est le diable — contrairement aux esprits éclairés qui lisent ou écrivent dans son excellente revue, Eléments, en vente dans tous les kiosques.  

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    Jean-Paul Brighelli
    Enseignant et essayiste, anime le blog Bonnet d'âne hébergé par Causeur
  • Feuilleton : Chateaubriand, ”l'enchanteur” royaliste... (32)

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    Anne-Louis Girodet, Portrait de Chateaubriand,
    Saint-Malo, musée d’Histoire de la Ville et du Pays Malouin.

    (retrouvez l'intégralité des textes et documents de cette visite, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)

    Aujourd'hui : Napoléon se livre aux Anglais...

    Tout va très vite, depuis la seconde abdication de Napoléon, le 22 juin.
    Celui qui n'est plus que l'ex-empereur s'est retiré à la Malmaison avant de se rendre à Rochefort, où deux frégates, mises à sa disposition par le gouvernement provisoire, l’attendent pour le transporter avec toute sa suite aux États-Unis, où il avait déclaré vouloir se retirer...
    Changeant finalement d'avis, et probablement beaucoup trop optimiste sur le sort que ceux-ci lui réserveraient, il prit la décision surprenante - et aberrante, pour lui... - de se rendre aux Anglais !...
     
    Des Mémoires d'Outre-Tombe, La Pléiade, Tome I, pages 987 à 993, extraits :
     
    15 juilllet,croisades,jerusalem,godefroy de bouillon,barnave,louis xvi,revolution,roi,paris,hotel de ville de paris,françois premier,porte saint martin"...Sorti de Paris le 25 juin, Napoléon attendait à la Malmaison (ci contre) son départ de France... La Malmaison, où l'empereur se reposa, était vide. Joséphine était morte; Bonaparte, dans cette retraite, se retrouvait seul. Là il avait commencé sa fortune; là il avait été heureux; là il s'était enivré de l'encens du monde; là, du sein de son tombeau, partaient les ordres qui troublaient la terre.
    Dans ces jardins où naguère les pieds de la foule râtelaient les allées sablées, l'herbe et les ronces verdissaient; je m'en étais assuré en m'y promenant. Déjà, faute de soins, dépérissaient les arbres étrangers; sur les canaux ne voguaient plus les cygnes noirs de l'Océanie; la cage n'emprisonnait plus les oiseaux du tropique : ils s'étaient envolés pour aller attendre leur hôte dans leur patrie...
     
    ...Toutes les lâchetés avaient acquis par les Cent-Jours un nouveau degré de malignité; affectant de s'élever, par amour de la patrie, au-dessus des attachements personnels, elles s'écriaient que Bonaparte était aussi trop criminel d'avoir violé les traités de 1814.
    Mais les vrais coupables n'étaient-ils pas ceux qui favorisaient ses desseins ?
    Si, en 1815, au lieu de lui refaire des armées, après l'avoir délaissé une première fois pour le délaisser encore, ils lui avaient dit, lorsqu'il vint coucher aux Tuileries : "Votre génie vous a trompé; l'opinion n'est plus à vous; prenez pitié de la France. Retirez-vous après cette dernière visite à la terre; allez vivre dans la patrie de Washington. Qui sait si les Bourbons ne commettront point de fautes ? qui sait si un jour la France ne tournera pas les yeux vers vous, lorsque, à l'école de la liberté, vous aurez appris le respect des lois ? Vous reviendrez alors, non en ravisseur qui fond sur sa proie, mais en grand pacificateur de son pays."
    Ils ne lui tinrent pas ce langage : ils se prêtèrent aux passions de leur chef revenu; ils contribuèrent à l'aveugler, sûrs qu'ils étaient de profiter de sa victoire ou de sa défaite.
    Le soldat seul mourut pour Napoléon avec une sincérité admirable; le reste ne fut qu'un troupeau paissant, s'engraissant à droite et à gauche...
     
    ...Napoléon quitta la Malmaison accompagné des généraux Bertrand, Rovigo et Becker, ce dernier en qualité de surveillant ou de commissaire. Chemin faisant, il lui prit envie de s'arrêter à Rambouillet. Il en partit pour s'embarquer à Rochefort...
     
    15 juilllet,croisades,jerusalem,godefroy de bouillon,barnave,louis xvi,revolution,roi,paris,hotel de ville de paris,françois premier,porte saint martin...Depuis le 1er juillet, des frégates l'attendaient dans la rade de Rochefort : des espérances qui ne meurent jamais, des souvenirs inséparables d'un dernier adieu, l'arrêtèrent... Il laissa le temps à la flotte anglaise d'approcher. Il pouvait encore s'embarquer sur deux lougres qui devaient joindre en mer un navire danois (c'est le parti que prit son frère Joseph); mais la résolution lui faillit en regardant le rivage de France. Il avait aversion d'une république; l'égalité et la liberté des États-Unis lui répugnaient. Il penchait à demander un asile aux anglais : "Quel inconvénient trouvez-vous à ce parti ?" disait-il à ceux qu'il consultait. - "L'inconvénient de vous déshonorer", lui répondit un officier de marine : "Vous ne devez pas même tomber mort entre les mains des Anglais. Ils vous feront empailler pour vous montrer à un schelling par tête."  
     
    Malgré ces observations, l'empereur résolut de se livrer à ses vainqueurs. Le 13 juillet, Louis XVIII étant déjà à Paris depuis cinq jours, Napoléon envoya au capitaine du vaisseau anglais le Bellérophon (ci dessous) cette lettre pour le prince régent : 
     
    "Altesse Royale, en butte aux factions qui divisent mon pays et à l'inimitié des plus grandes puissances de l'Europe, j'ai terminé ma carrière politique, et je viens, comme Thémistocle, m'asseoir au foyer du peuple britannique. Je me mets sous la protection de ses lois, que je réclame de votre Altesse Royale comme du plus puissant, du plus constant et du plus généreux de mes ennemis.
    Rochefort, 13 juillet 1815."
     
     
    Si Bonaparte n'avait durant vingt ans accablé d'outrages le peuple anglais, son gouvernement, son roi et l'héritier de ce roi, on aurait pu trouver quelque convenance de ton dans cette lettre; mais comment cette Altesse Royale tant méprisée, tant insultée par Napoléon est-elle devenue tout d'un coup le plus puissant, le plus constant, le plus généreux des ennemis, par la seule raison qu'elle est victorieuse ?
    Il ne pouvait pas être persuadé de ce qu'il disait; or ce qui n'est pas vrai n'est pas éloquent. La phrase exposant le fait d'une grandeur tombée, qui s'adresse à un ennemi est belle; l'exemple banal de Thémistocle est de trop.
     
    15 juilllet,croisades,jerusalem,godefroy de bouillon,barnave,louis xvi,revolution,roi,paris,hotel de ville de paris,françois premier,porte saint martinIl y a quelque chose de pire qu'un défaut de sincérité dans la démarche de Bonaparte; il y a oubli de la France : l'empereur ne s'occupa que de sa catastrophe individuelle; la chute arrivée, nous ne contâmes plus pour rien à ses yeux. Sans penser qu'en donnant la préférence à l'Angleterre sur l'Amérique, son choix devenait un outrage au deuil de la patrie, il sollicita un asile au gouvernement qui depuis vingt ans soudoyait l'Europe contre nous, de ce  gouvernement dont le commissaire à l'armée russe, le général Wilson, pressait Kutuzoff dans la retraite de Moscou, d'achever de nous exterminer : les Anglais, heureux à la bataille finale, campaient dans le Bois de Boulogne. Allez donc, ô Thémistocle, vous asseoir tranquillement au foyer britannique, tandis que la terre n'a pas encore achevé de boire le sang français versé pour vous à Waterloo !
    Quel rôle le fugitif, fêté peut-être, eût-il joué au bord de la Tamise, en face de la France envahie, de Wellington devenu dictateur au Louvre ? La haute fortune de Napoléon le servit mieux : les Anglais, se laissant emporter à une politique étroite et rancunière, manquèrent leur dernier triomphe; au lieu de perdre leur suppliant en l'admettant à leurs bastilles ou à leurs festins, ils lui rendirent plus brillante pour la postérité la couronne qu'ils croyaient lui avoir ravie.
    Il s'accrut dans sa captivité de l'énorme frayeur des puissances : en vain l'océan l'enchaînait, l'Europe armée campait au rivage, les yeux attachés sur la mer. 
     
    Le 15 juillet, l'Épervier transporta Bonaparte au Bellérophon. L'embarcation française était si petite, que du bord du vaisseau anglais on n'apercevait pas le géant sur les vagues. L'empereur, en abordant le capitaine Maitland, lui dit : "Je viens me mettre sous la protection des lois de l'Angleterre." Une fois du moins le contempteur des lois en confessait l'autorité.
     
    La flotte fit voile pour Torbay : une foule de barques se croisaient autour du Bellérophon; même empressement à Plymouth. Le 30 juillet, lord Keith délivra au requérant l'acte qui le confinait à Sainte-Hélène : "C'est pis que la cage de Tamerlan", dit Napoléon..."