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POUR UNE REFLEXION DE FOND SUR LE "MARIAGE POUR TOUS" (11) - Michel Maffesoli et Hélène Strohl : " Normaliser le mariage ? "

Sans titre-1.jpgNous mettons en ligne, aujourd'hui, une réflexion  de Michel Maffesoli et Hélène Strohl* sous le titre : "Normaliser le mariage ?".

Une dernière contribution suivra encore. Notre dossier, désormais à la disposition de tous, comportera donc, en fin de compte, un total de douze documents constituant notre dossier : "POUR UNE REFLEXION DE FOND SUR LE "MARIAGE POUR TOUS" **. 

Normaliser le mariage ?

Il ne se passe pas un jour sans qu’on en parle. Qu’on somme les personnalités d’avouer leurs aventures, les hétérosexuels à confesser leur peu d’attirance physique pour les personnes de leur sexe, les citoyens à avouer tous les fantasmes qui traversent leur esprit, les délicieuses montées de désir avec lesquelles ils agrémentent l’ennui des réunions comme les regards un peu appuyés avec lesquels ils rompent la monotonie du trajet quotidien en métro.

La sexualité est devenue et Foucault l’avait bien montré, la chose la moins cachée du monde. On peut même dire en tordant à peine l’ancien adage « passion avouée est totalement pardonnée ». Il est ainsi plus dans l’air du temps de divorcer et de se remarier à l’envi plutôt que de vivre ensemble les cahots de la vie, les escapades solitaires et les retrouvailles passionnées d’un vieux couple.  Et quand l’on éprouve le désir d’expérimenter des pratiques autres que celles de la classique hétérosexualité monogame, il est de bon ton d’en faire une identité.

Deux types de comportement sont désignés comme anomiques : ceux des minorités diverses, qui ne peuvent pas satisfaire à des  règles juridiques qui leur sont inadaptées (les homosexuels par exemple) et ceux qui ne se conforment pas aux règles imposées par l’institution, celle du mariage en particulier.

Dès lors l’entreprise de normalisation va poursuivre deux buts, qui ne sont qu’apparemment contradictoires : faire entrer dans le moule institutionnel les comportements marginaux bien répertoriés, le couple homosexuel qui va pouvoir se marier ; pourchasser, notamment chez les grands de ce monde, tous les écarts faits à la morale conjugale, l’infidélité en particulier.

Dans les deux démarches, le débat est déplacé, ce qui serait en jeu est toujours un  intérêt supérieur : les enfants dans le cas du couple homosexuel, le droit à l’information politique dans l’inflation journalistique de faits divers concernant la sexualité des hommes politiques.

 La discussion sur la sexualité homosexuelle devrait se concentrer sur la question de savoir si une relation d’amour peut durer sans une institutionnalisation, sans une reconnaissance sociale, une contrainte (une responsabilité) commune (des enfants), un projet commun et reconnu (un patrimoine) et dès lors traduire les interrogations qui touchent tous les membres de la société. Mais ce débat s’est figé sur la question des enfants : les homosexuels seront-ils de bon parents ?[1]

Le lien du mariage qu’il soit hétérosexuel ou homosexuel n’infère pas magiquement la qualité de bon parent ; en revanche on peut se demander si la volonté d’étendre le mariage aux homosexuels ne resortit pas plutôt d’une volonté totalitaire de faire entrer toutes les relations sexuelles et amoureuses dans le modèle du couple monogame.

Cette entreprise de normalisation peut aussi se lire dans la tendance toujours croissante des média à traquer tous les écarts à la sexualité monogame quand elle est le fait d’hommes ou de femmes politiquement en vue. Certes cette idéologie de la transparence, traduit simplement la stratégie commerciale  de journalistes, qui sont bien plus malins que les paparazzi, en présentant ces croustillantes histoires d’alcoves sous les couleurs de l’investigation politique.

Mais dans les deux cas, celui de l’extension du mariage comme celui de la volonté de faire savoir ce qui se passe dans le secret des couples, on se trouve face à une tentative d’encadrer, de domestiquer cette « anormalité » qui toujours resurgit, ce mal que l’on voudrait tant cacher et, finalement, n’est ce pas une ultime tentative de cacher l’animalité de notre nature humaine, de notre sexualité ?

Pense-t-on  que lorsque les couples homosexuels seront mariés, ils se conformeront à la stricte fidélité exigée par le Code civil ?  La fidélité conjugale est-elle le prix que doivent payer ceux dont Roland Barthes disait que leur privilège était ce droit au papillonnage, aux aventures toujours renouvelées ?

D’une certaine manière, et contrairement à ce que pense le camp dit conservateur, étendre le mariage, c’est le conforter, de la même façon que traquer tout manquement à ses principes. Ce moralisme monogame se manifeste également dans la furie  de certaines et certains à vouloir éradiquer les rapports sexuels tarifés, paradigme immémorial de la relation sexuelle hors mariage. Madame Boutin rejoint ainsi les militantes féministes les plus hystériques. “Au nom de la pureté, du mariage, de la femme, de l’amour” et contre le sexe bestial.

Prenons garde que le « mariage pour tous » ne devienne pas un mariage imposé par la puissance publique, un mariage d’Etat. Et qu’il ne faille pour pouvoir exercer une quelconque responsabilité sociale montrer patte blanche et fidélité sans faille. Ou « divorce propre », divorce expliqué aux enfants, divorce bien organisé.

En bref, pendant le mariage rien n’est permis, mais avant et après le mariage, rien n’est interdit. Y compris de présenter aux enfants plusieurs images d’adultes parentaux contradictoires : un “couple parental” qui ne se témoigne plus ni amour, ni même estime réciproque ; un beau-père et une belle-mère qui ne doivent pas être considérés comme des figures parentales.

Il se construit ainsi une figure du mariage et de la famille totalement déconnectée de la vraie vie. Celle du quotidien, de l’autorité parentale de tous les jours, de la protection et de l’affection. Celle du couple confronté aux aléas de la vie, des rencontres, des hauts et des bas, des rythmes sexuels et émotionnels parfois divergents. Le mariage pour tous se réduirait ainsi à n’être que “le plus beau jour de ma vie” comme disent les midinettes des publicités.

Une société qui construirait ses relations sociales sur des valeurs aussi abstraites, des figures aussi peu incarnées, un mariage soluble et réitérable à volonté, un masculin et une féminité assignés à un seul genre, la normalisation et l’assignation à identité de toute pratique sexuelle hors couple, la volonté de tout savoir et l’incapacité à préserver ou comprendre l’intimité, cette société ne pourrait que créer une inflation de comportements pervers, parfois violents.

Car vouloir forcer chacun à dire, à proclamer, avec qui et dans quelle position il couche, quels sont ses préférences et ses habitudes, voire ses fantasmes, c’est s’exposer à détruire la fragile barrière entre l’imaginaire et la réalité, entre le fantasme et le passage à l’acte, entre le fait d’éprouver un désir et le fait d’y céder.

C’est aussi appauvrir le champ des possibles des relations humaines charnelles et émotionnelles que de vouloir les contenir dans une forme prédéterminée, fût-elle la plus libérale possible.

Car la normalisation est créatrice d’anormalité, normer c’est désigner la frontière entre le normal et le pathologique, et c’est donc aussi créer l’anormal et le pathologique.

Peut être conviendrait-il plus modestement de s’accommoder de notre faiblesse face aux forces du désir et de la passion, d’accepter l’aspect noir et aventureux du vivre ensemble et d’en limiter les règles.

Préférer dès lors à un ordre externe imposé par le pouvoir de la loi et de l’Etat un ordre interne plus chaotique, impur sans doute, mais concret et congruent.

 

(1) : Alors qu’on s’interdit de poser cette question de la capacité parentale face à nombre d’enfants, dont on constate qu’ils sont maltraités ou en tout cas “non éduqués” par des parents en très grande difficulté, parce que le lien du sang prédisposerait “naturellement” à être bon parent.

* Michel Maffesoli, membre de l’Institut universitaire de France,

  Hélène Strohl, Inspectrice Générale des Affaires sanitaires et    Sociales (IGASS).

 

** Précédentes mises en ligne :

> 14.01.2013 : Jean-François Mattéi article du Figaro : "Mariage pour tous et homoparentalité".  

> 22.01.2013 : Chantal Delsol, entretien avec Jean Sévillia (Figaro Magazine).

> 29.01.2013 : Thibaud Collinarticle dans Le Monde du 15 janvier. 

> 5.02.2013 : Hilaire de Crémiersnote parue sur le site de Politique Magazine, le 15 janvier.   

> 12.02.2013 : Sylviane Agacinski, conférence dans le cadre des Semaines sociales. (VIDEO) et entretien sur Europe 1 (VIDEO).

> 19.02.2013: Bruno Nestor Azérot, député de la deuxième circonscription de la Martinique (GDR), discours prononcé le mercredi 30 janvier  à l'Assemblée Nationale(VIDEO).

> 26.02.2013 : Daniel Godard, professeur de Lettres Classiques, une réflexion dont l'originalité est de se placer d'un point de vue linguistique qui fait entendre, dans ce débat, "la voix de la langue française".  

> 06.03.2013 : Bertrand Vergely, le point de vue du philosophe et théologien, la question du mariage gay appelle dix remarques.

> 12.03.2013 : Danièle Masson, agrégée de l'Université, "Paradoxe et mensonges du mariage pour tous"

> 20.03. 2013: réflxion de Fabrice de Chanceuil du point de vue de l'écologie humaine.

 

Commentaires

  • Et le Figaro du 13 Juillet nous livre un article hélas payant

    http://recherche.lefigaro.fr/recherche/access/lefigaro_fr.php?archive=BszTm8dCk78atGCYonbyzq9iJ%2BkyDm3csT7xEE24NevxKrqs4rWi4BhIapAtEDGsu2IGtjAq08M%3D

    sur la protestation de commissaires du syndicat représentatif et modéré « Syndicat des Commissaires et Hauts Fonctionnaires de la Police Nationale » (SCHFPN) dans leur revue « Tribune du commissaire », où l’on peut lire :

    « … Mariage gay : le malaise grandissant des commissaires face à la répression

    12/07/2013

    Ces commissaires qui refusent une police politique.
    Dans le journal interne du Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN), des hauts fonctionnaires font part de leur refus d'être «une police d'opinion» face aux manifestants anti-mariage gay.

    Il y a quelques jours, les CRS s'indignaient, dans un tract du syndicat Alliance, de leur mission «ridicule» contre les «veilleurs debout». Aujourd'hui, c'est chez les commissaires de police que la colère gronde … »

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