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Covid-19 : entretien avec une infirmière en première ligne, par Maxime Briand.

Dans un style direct et sans faux-semblant, une infirmière, urgentiste à Paris, nous a livré son témoignage sur la manière dont elle a ressenti le choc qu'a constitué le déferlement de l'épidémie sur l'hôpital. Pour d’évidentes raisons, cette infirmière a souhaité conserver l’anonymat.

Propos recueillis par Maxime Briand, de l’ISSEP

Chaque année les syndicats et personnels hospitaliers organisent des manifestations pour mettre en garde contre les conséquences de la suppression de postes et de la diminution du budget et du nombre de lits. Comment l’hôpital public a-t-il fait face au Covid avec ces conditions alarmantes ?

Nous avons effectivement dû faire face à une pénurie de matériel de protection. Durant la « première vague » de mars/avril, nous avons manqué de solutions hydro-alcooliques et de sur-blouses pour nous protéger. Nous devions alors garder la même blouse durant toute la nuit en notant notre nom dessus. Ainsi, nous allions voir tous nos patients avec le même équipement… Tout à fait hygiénique dans une épidémie ! Sans compter que les solutions hydro-alcooliques et les masques nous étaient donnés au compte-goutte et que nous en manquions certaines nuits. Dans notre hôpital, et plus particulièrement dans mon service d’urgence, nous avons heureusement bénéficié de renforts humains : des infirmiers et des internes venus renforcer nos effectifs. Mais nous savions que ces « renforts » étaient des professionnels dont les services avaient fermé à cause de la crise et donc que leurs spécialités manquaient à ce moment-là. On a pu se rendre compte quelque temps après, avec un peu de recul, que le grabuge pour les patients chroniques et la prise en charge de pathologies considérées comme non urgentes était immense ; que ce soit le dépistage du cancer ou le suivi de malades chroniques somatiques ou psychiatriques. Dans mon hôpital, toutes les chirurgies qui le pouvaient ont été annulées et reportées afin de libérer des lits et faire des services avec des « lits Covid ». Pour cela, mon hôpital semble avoir été très réactif dans sa capacité à ouvrir de nouveaux lits.

Nous avons vu, pendant le premier confinement, un intérêt nouveau des politiques pour la santé de l’hôpital, notamment en débloquant 500 millions d’euros en avril dernier. Avez-vous perçu l’impact de ces aides au sein de vos services ? Cet intérêt s’est-il maintenu dans le temps ?

Nous avons bien eu des renforts médicaux et paramédicaux. Je sais qu’il y a eu un certain nombre d’intérimaires ou de jeunes retraités rappelés sur l’hôpital. On peut donc dire que nous avons perçu une aide (indispensable) en terme d’effectifs, mais nous n’avons pas constaté de miracles et en tout cas presque aucune différence en terme de matériel, je dirais même au contraire… Nous arrivions péniblement à obtenir un masque toutes les quatre heures et nous ne pouvions pas toujours avoir les masques adaptés aux gestes à risque : à savoir les masques FFP2 en cas d’intubation ou de contact avec un risque élevé de projections des gouttelettes.

Du point de vue de nos rémunérations, nous avons bénéficié d’une prime de 1000 € à la fin de ces deux mois de mars et avril. Était-ce pour « acheter » notre confiance, notre silence ? Quoi qu’il en soit, c’était une somme importante effectivement, mais de là à compenser la détresse de ces deux mois denses, vécus dans des conditions angoissantes, sans savoir ce qui nous attendait, je pense qu’il y a une certaine marge. À supposer, c’est vrai, que l’argent puisse régler un problème d’ordre physique et psychologique, et compenser le manque chronique d’effectifs et de reconnaissance.

 

La préoccupation de la « santé de l’hôpital » n’aura donc que peu duré apparemment : une fois le pire fini, nous redevenons une « vulgaire entreprise » qui doit faire du chiffre.

 

Non, je ne peux pas dire que cet intérêt se soit maintenu dans le temps. Passée cette « première vague », l’ouverture de « nouveaux » lits et les renforts qui nous avaient été accordés n’ont bien sûr pas duré et nous en sommes quasiment revenus au point de départ. Il est toujours aussi difficile de trouver des lits aux urgences pour les patients nécessitant d’être hospitalisés.

Quant au manque d’effectifs, ce grave problème pour le milieu hospitalier est toujours d’actualité. Dans nos urgences, certains jours, le sous-effectif se fait cruellement sentir. Pour un service d’urgence aussi grand que le nôtre et comptant près de 300 passages sur 24 heures lors des plus grosses journées, le manque d’infirmières est vraiment scandaleux. Inutile de préciser que, contrairement aux services d’hospitalisation classique, nous n’avons pas de nombre limite de patients et nous nous devons donc d’accueillir toute personne qui se présente aux urgences. Que nous ayons la place ou non.

Sans compter la pression et le stress auquel nous faisons face certains jours, lorsque nous sommes combles et en sous-effectif mais que les soins doivent quand même être faits, et rapidement ! La préoccupation de la « santé de l’hôpital » n’aura donc que peu duré apparemment : une fois le pire fini, nous redevenons une « vulgaire entreprise » qui doit faire du chiffre. Notre salaire, quant à lui, n’a pas bougé, contrairement aux augmentations promises.

Le 11 novembre dernier, Konbini publiait le témoignage d’une infirmière. En reconversion, elle estimait que son travail n’était plus que celui d’une « machine » bonne à produire du chiffre, dénuée, par nécessité économique, de tout aspect humain. Ce mal du métier est-il un sentiment généralisé dans votre profession ?

Tout à fait ! Je dirais que c’est bel et bien la première impression que j’ai eue en découvrant le milieu hospitalier. Quelle désillusion a été la mienne en première année d’études, en constant que les infirmières n’avaient plus « le temps » de parler à leur patients, de discuter quelques instants ou de prendre les quelques minutes nécessaires pour leur tendre une oreille attentive ou leur murmurer quelques paroles réconfortantes. Ce travail de « machine » est encore plus flagrant aux urgences où le flux constant des patients et des soins nous oblige à nous chronométrer afin de ne pas passer à côté d’une urgence. Ce sentiment de devoir faire du chiffre en oubliant l’aspect humain est en effet un sentiment généralisé dans ma profession. Nous aimerions pouvoir rester plus de temps au chevet de nos patients. Surtout quand on sait que nous avons parmi nos patients beaucoup de personnes âgées, souvent plus fragiles, plus lentes et parfois quelque peu perdues d’avoir été transportées à l’Hôpital. Devoir « speeder » nous donne donc parfois l’impression cruelle de les brusquer, de les laisser perdues. C’est très frustrant.

Vous êtes urgentiste à l’hôpital, à Paris, depuis plusieurs années. Vous voyez donc passer chaque jour dans votre service de nouveaux patients très divers. On parle d’un ensauvagement accru de la société : de par votre expérience professionnelle, quel constat établissez-vous sur l’atmosphère sociale ?

Je suis en effet infirmière dans des urgences parisiennes, dans un quartier « chaud » si je puis dire. La population que nous sommes amenés à soigner est donc très variée. Elle va des personnes âgées des beaux quartiers aux émigrés vivant dans les camps près du périphérique. Nous prenons en charge beaucoup de personnes en situation de précarité, un certain nombre d’agressés à l’arme blanche, etc.

Pour ce qui est de l’« ensauvagement » de la société je ne pourrais nier qu’il existe. Malheureusement, la violence est très présente dans nos urgences. Rares sont les nuits où nous ne sommes pas agressés verbalement voire physiquement. Nous accueillons beaucoup de personnes émigrées aux urgences. Cette population vient très souvent pour des problèmes bénins, ils préfèrent venir chez nous plutôt que chez un généraliste puisque que nous distribuons les soins gratuitement. Mais le problème, c’est que nous ne sommes pas là pour « soigner » de petites ampoules aux pieds. Ce genre de problème nous fait perdre beaucoup de temps, risque de retarder la prise en charge d’autres patients plus graves et devient usant à la longue.

Nombreuses sont aussi les personnes qui viennent en pensant que tout leur est dû, que nous sommes à leurs ordres et que nous devons les servir comme s’ils étaient à l’hôtel. Sans parler de certains hommes pratiquant une religion étrangère à la culture française, qui nous considèrent comme leurs servantes et nous parlent de façon inadmissible parce que nous sommes des femmes.

 

C’était très sympa de nous faire applaudir, Président. Ce serait encore mieux de nous payer décemment et d’organiser véritablement les services de santé.

 

Nous accueillons aussi beaucoup de personnes en situation de précarité, qui peuvent vivre dans la rue et sont souvent alcoolisées. Ces prises en charge, pour nous, sont difficiles, car il s’agit le plus souvent de gens qui cherchent un endroit où dormir et manger au chaud. Étant donné leurs vies difficiles, certains sont agressifs si nous sommes incapables de leur fournir un lit.

Un autre problème de notre société, que l’on ne constate que trop aux urgences, est le manque d’éducation d’aujourd’hui. En effet notre société vit sur le modèle du « tout nous est dû ». Les gens sont habitués à avoir tout, tout de suite, à obtenir tout ce qu’ils désirent immédiatement. C’est ainsi que certains patients s’impatientent et nous insultent dès que l’attente est un peu trop longue ou que l’on ose leur refuser un café… La politesse et la courtoisie sont trop souvent oubliées. Avec notre société où le confort est roi, beaucoup sont incapables de souffrir ou de ressentir une gêne quelques heures et viennent aux urgences au moindre bobo. C’est ainsi que nous devons prendre en charge beaucoup de gastroentérites ou de grippes chez des patients jeunes qui n’ont besoin d’aucun soin médical mais simplement de repos et de patience.

Enfin, pour ce qui est de l’atmosphère sociale, je constate avec inquiétude qu’il y a beaucoup de gens déséquilibrés, fragiles. Nombres de jeunes viennent car ils ont tenté de mettre fin à leurs jours, jeunes et moins jeunes d’ailleurs. Pourrait-on faire un lien entre les mœurs totalement dépravées de notre époque et l’état de grande faiblesse de tous ces gens qui consultent ? Nous recevons aussi aux urgences beaucoup de personnes qui décompensent et « pètent un câble », comme on dit, source parfois de grandes violences physiques qui nous amènent à les prendre en charge à une dizaine de soignants, et parfois même avec l’aide de la police. Cette misère sociale est de plus en plus flagrante.

Un autre point que je voudrais aborder est le système de soins français. Les patients n’ont rien à avancer à l’hôpital et avec la sécurité sociale et notre système d’assurance, les patients ne réalisent pas, pour la plupart, la valeur des soins. Pour ce qui est des urgences, ils ignorent que chaque passage aux urgences a un coût. Une simple consultation avec un urgentiste en pleine nuit coûte une centaine d’euros, sans compter les soins qui peuvent s’y ajouter. Je pense que si les gens réalisaient cela, ils ne se déplaceraient que pour l’indispensable. Certains patients, il faut le préciser, viennent toutes les semaines, voire tous les jours à certaines périodes.

Pendant le premier confinement, la France vous a rendu hommage chaque soir à 20h30. Depuis, beaucoup n’hésitent pas à qualifier les membres du corps hospitalier de « héros ». Que vous inspire cette distinction ?

Effectivement, ça avait un côté réconfortant de voir que nous étions soutenus et encouragés. Des « héros », je ne sais pas, mais ce qui est certain c’est qu’il faut être bien accroché pour perdurer dans cette voie et avoir le courage de venir travailler encore et encore. C’est éprouvant, tant physiquement que psychologiquement. Mais nous vivons aussi de très belles choses et pour rien au monde je ne regretterais d’être infirmière. Même si je ne me vois pas faire ce métier encore à 50 ans.

Pour revenir sur la façon dont j’ai l’impression d’être perçue par la société en tant que soignante, je dirais qu’à l’heure actuelle j’ai plutôt l’impression de faire partie des « oubliés », des « délaissés », voire des « pestiférés » à fuir. « Oubliés » par le gouvernement et « fuis » par la société. Du moins en cette période de Covid. En effet, travaillant à l’hôpital, j’ai eu plus d’une fois des réflexions me faisant comprendre que je pouvais être une menace contaminante et que j’étais priée de garder mes distances. Que ce soit dans mon village natal en rentrant chez mes parents ou ailleurs. Je peux aussi vous citer l’exemple de certains de mes collègues que leurs propres parents ne voulaient plus voir pendant les « pics » de l’épidémie, car ils estimaient le risque trop important pour eux.

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Source : https://www.politiquemagazine.fr/

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