1/ Vous êtes un auteur prolifique, et avez choisi d’inscrire votre action au cœur de plusieurs champs, parfois jugés incompatibles – à tort d’ailleurs. Comment définiriez-vous votre action ; êtes-vous d’abord un militant, un chercheur, un enseignant ou tout à la fois ?
Comme sociologue (j’enseigne à HEC Montréal) et comme chroniqueur (Journal de Montréal et Figaro). Je me suis toujours intéressé, à travers mes livres, à la configuration de l’espace public en démocratie. À quelles conditions peut-on y avoir accès ? À partir de quels critères peut-on y être reconnu comme un interlocuteur légitime ? En d’autres termes, c’est la question de la légitimité qui m’obsède. C’est ce qui m’a amené à m’intéresser à ce qu’on pourrait appeler la grande mutation idéologique occidentale engagée à partir des années 1960. Nous vivons aujourd’hui sous le régime diversitaire, qui prétend donner la seule interprétation possible de l’expérience démocratique – alors qu’à mon avis, il la dénature. Je m’intéresse beaucoup à la manière dont le régime diversitaire se représente ses adversaires et ses ennemis. C’est ce qui explique notamment mon intérêt pour le conservatisme, et plus largement, pour les différentes formes de dissidences au sein de la modernité. Car si la modernité émancipe l’homme, elle le mutile aussi, et il faut prendre la révolte contre cette mutilation au sérieux. La modernité porte aussi en elle une tentation totalitaire, et il vaut la peine, encore aujourd’hui, de voir de quelle manière elle s’actualise pour mieux y répondre. Au nom de quoi les hommes ont-ils résisté au totalitarisme, au siècle dernier, et au nom de quoi pourraient-ils y résister, aujourd’hui ?
Pour ce qui est de mon travail de chroniqueur, il consiste essentiellement à penser l’histoire qui se fait, pour le dire avec les mots de Raymond Aron. J’essaie, à travers mes chroniques, de décrypter l’époque derrière l’actualité, de situer les événements dans un contexte plus large pour les rendre intelligibles, en dévoilant dans la mesure du possible leur épaisseur historique et sociologique. Suis-je militant ? Je ne le crois pas. Je tiens beaucoup trop à ma liberté intellectuelle pour me définir ainsi. Cela dit, je suis militant d’une cause, une seule, mais qui me tient à cœur plus que tout : l’indépendance du Québec.
2/ Comme étudiante en administration publique, j’ai lu vos travaux sur le multiculturalisme assimilé par vous à une religion. Et je vous rejoins presque systématiquement mais, au fond, j’ai envie de vous demander pourquoi la France a échoué à imposer l’assimilation ?
Il y a des raisons internes et externes à cela.
Parmi les premières, on trouve la mise en place d’un dispositif politico-médiatique inhibiteur qui se réclame de l’antiracisme mais qui a véritablement eu pour fonction, depuis 40 ans au moins, de faire le procès de la nation : ceux qui résistaient à cette dénationalisation de la France étaient disqualifiés moralement, extrême-droitisés, fascisés, nazifiés, même. Ils étaient ostracisés, traités en paria. Le progrès des sociétés était associé à leur dénationalisation. La nation devenait une référence au mieux vieillotte, au pire maudite, et qui s’en réclamait risquait une très mauvaise réputation. La référence nationale a été refoulée dans les marges de la cité ou ne survivait dans le discours public que dans sa forme la plus diminuée. À travers tout cela, la définition de la nation n’a cessé de s’affadir : on a cessé de parler de la France comme une réalité historique et substantielle, pour la définir exclusivement à travers des valeurs républicaines, certes honorables et admirables et auxquelles je tiens comme tout le monde, mais qui ne la caractérisent pas. À ce que j’en sais, la démocratie, l’égalité, la justice sociale ne sont pas exclusives à la France. En fait, les références incandescentes à la République ont de plus en plus servi à masquer la désubstantialisation de la nation, comme si la première devait finalement se substituer à la seconde. C’est dans ce contexte que la France est ainsi passée de l’assimilation à l’intégration à la «société inclusive». Elle a suivi son propre chemin vers le multiculturalisme, même si le corps social y résiste, tant les mœurs françaises demeurent vivantes. La définition de l’identité nationale tend à se retourner contre les Français, dans la mesure où on leur reproche de verser dans la crispation identitaire et la xénophobie dès qu’ils refusent de pousser plus loin leur conversion au multiculturalisme qui repose, je l’ai souvent dit, sur l’inversion du devoir d’intégration. Dans la logique du multiculturalisme, ce n’est plus au nouvel arrivant de prendre le pli de la société d’accueil mais à cette dernière de transformer ses mentalités, sa culture, ses institutions, pour accommoder la diversité – l’islamisme, nous le savons, verra là une occasion de faire avancer son programme politique, en le formulant dans le langage du droit à la différence. Et plus la France est pénitente, honteuse d’elle-même, occupée à s’excuser dès qu’on l’accuse de quelque chose, moins elle est attirante, évidemment. Il est difficile d’aimer un pays qui maudit ses héros et veut les faire passer pour des monstres. L’État lui-même, perdant confiance en sa légitimité, a progressivement renoncé à assimiler en ne posant plus la culture française comme culture de convergence : elle ne devenait, en France, qu’une culture parmi d’autres, devant renoncer à ses «privilèges» historiques pour qu’advienne le vivre-ensemble diversitaire. Autrefois, plus on envoyait des signes ostentatoires d’assimilation ou d’intégration, plus on avant de chance de profiter des avantages de la coopération sociale. Il n’en est plus ainsi puisque les mécanismes sociaux poussant à l’assimilation sont désormais diabolisés au nom d’une fantasmatique «lutte contre les discriminations». D’ailleurs, l’État n’ose même plus défendre les frontières, au point de célébrer ceux qui ne les respectent pas au nom d’une conception particulièrement dévoyée de la fraternité.
On mentionnera aussi la dynamique de l’individualisme propre à toutes les sociétés modernes, mais qui s’est radicalisée avec les années 1960 et qui pousse l’individu à se désaffilier du cadre national comme si ce dernier était écrasant, étouffant, illégitime. Cette dynamique pousse à la désassimilation de la population française historique – et de toutes les populations occidentales, évidemment. L’individu ne se voit plus comme un héritier : il en vient même à rêver à son autoengendrement. Le progressisme contemporain déréalise l’individu et l’arrache aux appartenances les plus fécondes : il le décharne en croyant l’émanciper. Il le condamne pourtant à la nudité existentielle. C’est ainsi qu’on doit comprendre la fameuse théorie du genre qui pousse l’individu à vouloir s’autodéterminer au point de choisir lui-même son propre sexe, s’il s’en choisit un, parce qu’il peut aussi avoir la tentation de demeurer dans un flux identitaire insaisissable : c’est la figure du queer, associée, par ses promoteurs, à une forme d’émancipation absolue, la subjectivité ne se laissant plus instituer et se définissant exclusivement sous le signe de la volonté et de l’autoreprésentation. Qui questionne cette théorie est immédiatement accusée de transphobie, comme s’il fallait bannir intégralement ce qu’on pourrait appeler l’anthropologie fondatrice de la civilisation occidentale. L’être humain ne naît plus homme ou femme, apparemment : par décret théorique, on abolit l’humanité réelle pour en fantasmer une nouvelle, fruit d’un pur modelage idéologique. Le réel est condamné, proscrit, maudit : le réel est réactionnaire. Mais puisque le réel résiste, il faut toujours plus loin l’entreprise de rééducation des populations, qui ne parviennent pas à voir leur réalité à travers les catégories privilégiées dans les sciences sociales universitaires. L’État social se transforme alors en État-thérapeutique qui multiplie les campagnes de sensibilisation à la différence et à la diversité, pour neutraliser ce qui, dans la population, la pousse à ne pas s’enthousiasmer pour cet univers orwellien. Cela dit, l’individu ne peut pas durablement vivre dans un monde aussi mouvant, donc il en vient à se replier sur des identités de substitution paradoxalement bien plus contraignantes que l’identité nationale. On constate aujourd’hui, par exemple, une remontée du racialisme, qui vient essentiellement de la gauche, et qui cherche à relégitimer un concept régressif, la race, que nos sociétés avaient travaillé à neutraliser depuis plusieurs décennies. Ne soyons pas surpris : dès le début des années 1990, les plus lucides le disaient déjà, si vous renoncez à la nation, vous aurez pendant un temps l’individu, mais très vite, vous retomberez vers la tribu.
Quant aux facteurs externes, j’en identifierais rapidement quatre.
Il faut d’abord mentionner l’américanisation des mentalités, qui déstructure l’imaginaire national en imposant un univers conceptuel absolument étranger à l’histoire française, qui la rend inintelligible aux nouvelles générations. On le voit avec la promotion délirante d’un racialisme venu tout droit des universités américaines et qui pousse à la tribalisation des appartenances. Ce racialisme déstructure profondément les rapports sociaux. La France en vient à ne plus comprendre ses propres mœurs et intériorise, du moins dans son appareil médiatique, la critique de l’intelligentsia anglo-saxonne, qui la présente comme une Union soviétique bulldozant ses minorités. La gauche radicale universitaire et les mouvements sociaux qui s’en réclament jouent un grand rôle dans cette américanisation, et pas seulement le capitalisme, comme on a tendance à le croire. Le commun des mortels résiste à cette dynamique, mais il y résiste peut-être de moins en moins.
La mondialisation, aussi, transforme les conditions mêmes de l’existence des sociétés. Il n’est plus nécessaire de s’assimiler pour fonctionner en société. Les métropoles et leurs banlieues connaissent une hétérogénéité identitaire de plus en plus marquée et la révolution technologique permet de vivre dans une société sans vraiment chercher à y appartenir, en continuant d’habiter mentalement son pays d’origine. On ne saurait sous-estimer les effets politiques de cette dynamique sociologique qui devrait nous amener à examiner avec lucidité ce qu’on pourrait appeler nos capacités d’intégration comme société.
La construction européenne, aussi, qui n’a pas grand-chose à voir avec la civilisation européenne, et qui a même tendance à se construire contre elle, a contribué à disqualifier la référence nationale, en la décrétant inadaptée aux temps nouveaux. L’UE prétendait transcender les nations en les invitant à constituer politiquement la civilisation européenne : en fait, elle s’est construite contre la civilisation européenne, en la vidant de son épaisseur historique. On se rappellera son refus de reconnaître ses racines chrétiennes. La souveraineté nationale était jugée réactionnaire, et ceux qui la défendaient passaient pour les nostalgiques du nouvel ancien régime, centré sur la figure de l’État-nation. L’européisme s’accompagnait aussi d’un discours sur la mondialisation où l’intérêt de l’humanité était associée au mouvement perpétuel – Taguieff a parlé pour cela de bougisme. La mode, il y a quelques années encore, était à la déterritorialisation des appartenances et aux identités hybrides, engendrées par des métropoles mondialisées, se présentant comme tout autant d’espaces privilégiées pour favoriser le déploiement du régime diversitaire.
Il faut aussi parler de la pression migratoire. L’historien québécois Michel Brunet disait que trois facteurs pesaient dans le destin des civilisations : le nombre, le nombre, et encore le nombre. L’immigration massive déstructure profondément les sociétés qui la subissent. Le phénomène n’est pas nouveau : il se déploie depuis plusieurs décennies, même si le maquillage de la réalité par une démographie lyssenkiste a tout fait pour en minimiser la portée. Ou alors, on présente les grandes migrations d’aujourd’hui comme des flux démographiques naturels appartenant aux lois de l’histoire, auxquels on ne pourrait rien faire. On joue du droit, de l’histoire et de la statistique pour faire croire que ce qui arrive n’arrive pas et les médias, trop souvent, participent à ce recouvrement idéologique de la réalité. Plus encore, ils jouent un rôle central dans cette négation du réel. Nous vivons une forme d’écartèlement idéologique : la mutation démographique des sociétés occidentales est reconnue lorsqu’il faut la célébrer, mais niée lorsqu’on pourrait être tenté de la critiquer. Les tensions associées à cette société fragmentée sont constamment relativisées. Lorsque le réel pèse trop fort, on le maquillera ou on le traitera sur le mode du fait divers : on se souvient tous du traitement des agressions de Cologne, en 2016. On pourrait évoquer bien d’autres exemples, plus récent, mais celui-là est resté dans nos mémoires. Sur le fond des choses, l’immigration massive tend progressivement à rendre de plus en plus difficile l’assimilation et favorise plutôt la constitution de communautés nouvelles, qui se définissent à travers l’action d’entrepreneurs idéologiques associés à la mouvance indigéniste et décoloniale, comme des victimes intérieures de la communauté nationale. La laïcité française est ainsi présentée comme une forme de néocolonialisme intérieur destinée à étouffer les populations immigrées. Amusant paradoxe : autrefois, le colonialisme consistait à imposer sa culture chez les autres, aujourd’hui, cela consiste à imposer sa propre culture chez soi. Les nations occidentales sont expropriées symboliquement de chez elles, et lorsqu’elles protestent contre cette dépossession, on juge qu’elles basculent dans le suprémacisme ethnique. On leur explique que leurs racines ne comptent plus : nous sommes tous des immigrants, telle est la devine du régime diversitaire. L’histoire nationale est appelée à se dissoudre dans la mystique diversitaire : tel était le projet qui animait, il y a quelques années, l’ouvrage L’histoire mondiale de la France. Le régime diversitaire cherche alors à imposer de toutes les manières possibles la fiction du vivre ensemble, quitte à devenir de plus en plus autoritaire dans la maîtrise du récit médiatique pour éviter que des voix discordantes ne viennent troubler la fable de la diversité heureuse. Il cherche à contrôler les paroles dissidentes au nom de la lutte contre les propos haineux, mais on comprend qu’à ces derniers sont assimilées toutes les critiques du progressisme.
3/ Parlons d’école : quelles grandes similitudes voyez-vous entre le combat pour la liberté scolaire en France et au Québec ?
La question de l’autonomie scolaire me semble moins centrale, si je puis me permettre, que celle de la soumission du ministère de l’Éducation, chez nous, mais aussi, je crois, chez vous, à un pédagogisme débilitant qui a progressivement sacrifié les savoirs – j’ajoute toutefois que le phénomène est allé beaucoup plus loin de notre côté de l’Atlantique que du vôtre, où survit encore une conception exigeante de la culture. Cela dit, dans toutes les sociétés occidentales, une forme d’égalitarisme a poussé à la déconstruction de la culture parce qu’elle est verticale, et censée légitimer, dans l’esprit de ses détracteurs, certains mécanismes de reproduction sociale au service d’une élite masquant ses privilèges ses références culturelles. Alain Finkielkraut, dans La défaite de la pensée, et Allan Bloom, dans L’âme désarmée, ont analysé et critiqué ce discours dès la fin des années 1980. L’école ne devait plus transmettre le monde mais le recommencer à zéro : l’héritage était réduit à un stock de préjugés condamnables. Par ailleurs, le pédagogisme a voulu transformer l’école en laboratoire idéologique devant moins transmettre un patrimoine de civilisation que fabriquer à même les salles de classe une société nouvelle, dans la matrice du progressisme contemporain. Le pédagogisme invite moins à admirer et explorer les grandes œuvres, par exemple, qu’à les démystifier pour voir comment elles sont porteuses d’intolérables préjugés comme le racisme, la xénophobie, l’homophobie, la transphobie, la grossophobie, et ainsi de suite. Et cela quand on leur parle de ces œuvres. Car l’élève est aussi invité à exprimer son authenticité et à construire lui-même son propre savoir : c’était la lubie du socio-constructivisme. Le ministère de l
Manifestation d’un collectif de soutien à Adama Traoré. BERTRAND GUAY/AFP
Le philosophe dénonce l’influence croissante du décolonialisme au sein de la gauche dans un essai tout juste paru, intitulé «L’imposture décoloniale».
FIGAROVOX. - Dans votre dernier ouvrage L’imposture décoloniale vous dites: «Le postcolonialisme (…) risque d’entraîner toutes les familles de la gauche dans l’adhésion à une vision identitaire». Quelle est cette vision identitaire qui vous inquiète?
![](http://lafautearousseau.hautetfort.com/media/01/00/3655806653.75.jpg)
Pierre-André TAGUIEFF. - Le postcolonialisme est, pour aller vite, la version soft du décolonialisme, lequel séduit non pas en raison de sa consistance théorique mais par sa «radicalité» idéologico-politique. Les idéologues décoloniaux appellent en effet à rompre totalement avec le passé maudit de la France et plus largement de l’Europe et de l’Occident, dont il réduisent l’histoire à celle du racisme, de la traite négrière, du colonialisme et de l’impérialisme.
Ils rejoignent en cela les artisans-militants d’une contre-histoire dite «histoire mondiale» ou «globale», obsédés par la déconstruction du roman national français. Ils ne voient dans l’universalisme, celui du judéo-christianisme comme celui des Lumières, que l’expression d’un eurocentrisme qu’ils s’efforcent frénétiquement de «déconstruire» en même temps qu’ils s’appliquent à «provincialiser» l’Europe et sa culture. Ils criminalisent au passage la laïcité, dans laquelle ils ne voient qu’intolérance et rejet de la diversité, refus des saintes «différences».
L’attractivité du décolonialisme à gauche et à l’extrême gauche s’explique largement par un appel du vide, dont les causes sont identifiables: la décomposition de la gauche et l’essoufflement du modèle social-démocrate, l’incrédulité croissante envers le marxisme et l’utopie communiste dont on hérite cependant l’anticapitalisme et l’anti-impérialisme, la banalisation d’un néo-féminisme misandre, dit «radical», dans les milieux intellectuels ainsi que le surgissement d’un antiracisme dévoyé, masquant à peine un racisme anti-Blancs doublé d’une judéophobie à visage «antisioniste».
La gauche intellectuelle est profondément divisée sur ces questions qui s’entrecroisent
À cela s’ajoute un sentiment de culpabilité à l’égard de l’islam, la «religion des pauvres» et des «dominés», qui fait que la «lutte contre l’islamophobie» peut être érigée en premier commandement de la «religion de l’Autre» (Philippe d’Iribarne). Il faut aussi bien sûr pointer l’influence du gauchisme identitaire à l’américaine, dont les thèmes se diffusent massivement sur les réseaux sociaux.
Dans cette perspective, tous les malheurs du monde s’expliquent à partir de la relation d’inégalité entre «dominants» et «dominés», qu’on interprète en termes racialistes et victimaires: ce sont «les Blancs» qui dominent et les «non-Blancs» qui sont dominés. La «race» revient à l’ordre du jour: en dépit du fait qu’on la présente comme une «construction sociale», la couleur de la peau reste son principal indice.
On brandit par exemple avec enthousiasme l’«identité noire», la «conscience noire» ou la «fierté noire», alors qu’on dénonce, à juste titre, les suprémacistes blancs qui parlent d’une «identité blanche», d’une «conscience blanche» ou d’une «fierté blanche». On se retrouve ainsi dans un monde divisé en «Blancs» et «Noirs» ou «non-Blancs», et ce, au nom d’un «antiracisme» douteux, qui s’avère un antiracisme anti-Blancs, c’est-à-dire une forme politiquement correcte de racisme. Une grande inversion des valeurs et des normes s’accomplit sous nos yeux.
Est-ce que la gauche a les ressources intellectuelles pour y résister?
La gauche intellectuelle est profondément divisée sur ces questions qui s’entrecroisent. À simplifier le tableau, je distinguerai trois nébuleuses idéologiques. Tout d’abord, les défenseurs de la laïcité stricte, dans la tradition républicaine privilégiant l’égalité dans une perspective universaliste, qui forment le camp de la gauche ferme ou «dure», intransigeante sur les principes. Ensuite, les partisans d’une laïcité «ouverte», tentés par le multiculturalisme, qui peuplent les territoires de la gauche «molle», convertie à la «religion de l’Autre».
Enfin, les ennemis de la laïcité, dans laquelle ils voient l’expression proprement française d’un «racisme d’État» ainsi qu’une machine à justifier l’«islamophobie». Le slogan «Touche pas à mon voile» illustre cette position pseudo-antiraciste, qui consiste à retourner contre le principe de laïcité l’exigence de tolérance et l’impératif du respect des différences. C’est le camp de la gauche folle, celle qui s’est ralliée au drapeau du postcolonialisme et du décolonialisme, dont la passion motrice est la haine de l’Occident.
La gauche « molle », (...) ayant pour seul horizon « l’ouverture », fournit des « idiots utiles » (...) à la gauche folle, qui mène la danse
Cette nouvelle «gauche de la gauche» est rageusement anti-occidentale, elle est à la fois hespérophobe et gallophobe, en ce qu’elle réduit la France à un pays raciste et islamophobe. C’est cette gauche en folie, dont les nourritures psychiques proviennent des campus étatsuniens pratiquant le culte de la «radicalité», qui, voulant tout déconstruire et tout décoloniser, s’est engagée dans la voie dangereuse qu’est la «politique de l’identité».
La gauche «molle», celle des bien-pensants (opportunistes, apeurés, naïfs, peu informés) ayant pour seul horizon «l’ouverture», fournit des «idiots utiles» (et parfois inutiles) à la gauche folle, qui mène la danse. Le décolonialisme, c’est la maladie sénile de la gauche intellectuelle contemporaine.
Vous insistez sur la dimension déresponsabilisante des théories «systémiques» qui soulagent l’individu du fardeau de la responsabilité individuelle. Est-ce pour vous une des raisons principales de leur succès?
En parlant de «discriminations systémiques», on paraît expliquer avec objectivité les échecs socio-économiques des individus appartenant à des minorités supposées discriminées. Ces individus sont ainsi déresponsabilisés: ils peuvent accuser «le système» d’être le seul responsable de leurs malheurs, comme ils peuvent accuser un prétendu «racisme d’État» de couvrir ou de justifier les «discriminations systémiques» dont ils s’imaginent être les victimes. Ce qui n’empêche nullement de considérer les discriminations réelles à l’emploi ou au logement, dont les causes sont loin de se réduire aux origines ethno-raciales.
La dénonciation litanique du «racisme systémique» fait partie de la rhétorique des mouvances décoloniales et islamo-gauchistes. Il s’agit du dernier avatar de la notion de «racisme institutionnel», élaborée par deux révolutionnaires afro-américains, l’activiste Stokely Carmichael et l’universitaire Charles V. Hamilton, dans leur livre militant titré Black Power, sous-titré «La politique de libération en Amérique», publié en 1967. Cette notion était destinée à mettre l’accent sur le caractère systématique («systémique», dit-on plutôt aujourd’hui) ou structurel du racisme anti-Noirs dans la société nord-américaine, en supposant qu’il était inscrit dans les normes culturelles, les institutions et les pratiques sociales «normales», qu’il dérivait de l’organisation même de cette société.
Il pouvait donc fonctionner socialement sans être intentionnel ni conscient. Le présupposé de ce modèle critique du racisme est que seul le racisme blanc existe et qu’il se confond avec le «pouvoir blanc» et la «société blanche» que seule une «révolution noire» peut transformer. Autant dire que, construit pour dénoncer le racisme anti-Noirs dans l’Amérique de la fin des années 1960, ce modèle est daté et situé. On ne saurait l’importer aveuglément pour analyser le racisme dans la société française contemporaine.
Mais c’est précisément son simplisme qui est attrayant pour les radicaux de gauche: le racisme invisible explique tout et les mobilisations antiracistes ont un parfum révolutionnaire. En répétant litaniquement que la France est une société intrinsèquement raciste, on justifie les appels à la destruction du «vieux monde», qu’on juge irréformable. La notion de «racisme systémique» illustre bien ce que Raymond Boudon appelait le «sociologisme», qui postule que l’individu est le jouet des structures et des institutions, et incite à ne poser qu’une question: À qui profite le «système»?
Cette déclaration témoigne de l’extrême confusion qui dérive d’un demi-siècle de déconstructionnisme en philosophie (...) et de constructivisme en sciences sociales
Mais la réponse est toujours connue d’avance. Les pseudo-antiracistes y répondent en donnant dans le complotisme: ils désignent les membres de la «race» dominante («les Blancs»), instaurateurs et profiteurs du «racisme systémique». Voilà qui justifie les prêches contre «l’hégémonie blanche» et «le privilège blanc».
Vous citez la cheffe du Parti des Indigénistes de la République Houria Bouteldja: «Le ‘je’ cartésien va jeter les fondements philosophiques de la blanchité». Sans reprendre ses termes, l’universalisme des Lumières n’est-il tout de même pas spécifique à l’Occident, conséquence de l’universalisme chrétien?
Relevons d’abord le mélange de stupidité et de cuistrerie d’une telle affirmation, émanant de l’activiste qui incarne parfaitement l’islamo-gauchisme à la française. Elle témoigne de l’extrême confusion qui dérive d’un demi-siècle de déconstructionnisme en philosophie («tout est à déconstruire») et de constructivisme en sciences sociales («tout est construction sociale»).
Dans les milieux décolonialistes à la française, le thème de la «blanchité» est d’importation récente et soulève un problème insoluble: si, en bon antiraciste, on récuse l’essentialisme en tant que présupposé du racisme, comment concevoir d’une façon non essentialiste ladite «blanchité»? Répondre en agitant le terme magique de «construction sociale», c’est se payer de mots. Le réinvestissement du biologique s’opère ainsi sous couvert de «construction sociale». Les pseudo-antiracistes à l’américaine diabolisent les gènes, mais sacralisent la couleur de la peau. Chassée par la grande porte de l’antiracisme savant des généticiens, la «race» revient par la fenêtre du néo-antiracisme militant.
Faisant de la «blanchité» un stigmate, les idéologues décoloniaux s’efforcent de réduire l’exigence d’universalité à une arme secrète de la «société blanche» pour inférioriser ou disqualifier les non-Blancs. Manière de réaffirmer leur dogme fondamental: l’Occident est intrinsèquement raciste.
Mais il ne faut pas oublier que ce sont des intellectuels occidentaux «blancs» qui, les premiers, ont lancé cette grande accusation sur le marché des idées. La haine de soi et l’auto-accusation pénitentielle font partie de la pathologie des milieux intellectuels occidentaux. Ne voir dans l’universalisme que ses instrumentalisations politiques et ses corruptions idéologiques, c’est faire preuve soit d’ignorance, soit de mauvaise foi.
«Il est facile de reconnaître dans cette bouillie discursive des traces de l’utopie communiste». Qu’est-ce qui vous donne à penser que nous faisons face à un «marxisme racialisé» à l’heure où les marxistes purs et durs sont difficiles à dénicher?
À quelques exceptions près, les intellectuels marxistes-léninistes, encore nombreux dans les années 1970-1990, se sont ralliés, d’une façon plus ou moins explicite, aux courants subalternistes ou décoloniaux, après avoir flirté avec le tiers-mondisme et l’altermondialisme. Le décolonialisme se présente en effet comme une réinterprétation hypercritique de l’histoire et un programme d’action révolutionnaire séduisant.
L’évolution des milieux trotskistes est à cet égard fort intéressante: nombre de leurs intellectuels ont repris à leur compte les principaux thèmes décoloniaux (dénonciation du «racisme systémique», du «racisme d’État», de l’«islamophobie d’État», etc.), au point de juger acceptables la vision racialiste de la société et la promotion de notions comme celles d’identité raciale ou de conscience raciale. Ils tendent à oublier la lutte des classes au profit de la lutte des races et des sexes-genres, avec ce supplément de verbiage pseudo-savant qu’est l’«intersectionnalité».
La bêtise la plus redoutable, parce qu’elle passe inaperçue, c’est la bêtise des élites intellectuelles, soumises aux modes idéologiques et rhétoriques
Ce qui a fait basculer les marxistes, c’est d’abord la formation d’un prolétariat issu de l’immigration et de culture musulmane, et le ralliement croissant du prolétariat traditionnel aux partis dits populistes. C’est ensuite leur engagement inconditionnel en faveur de la cause palestinienne, qu’ils ont érigée en nouvelle «cause universelle». C’est, corrélativement, leur interprétation de l’islam politique comme une force potentiellement révolutionnaire avec laquelle il fallait s’allier. C’est aussi l’importance qu’ils ont accordé aux questions de «race» (la «race» étant une «construction sociale») et à la lutte contre le racisme, faisant passer au second plan la lutte des classes.
C’est enfin leur passion de la critique radicale des sociétés occidentales, caractérisées par une somme de traits négatifs (capitalisme, impérialisme, colonialisme, racisme, sexisme, hétéro-patriarcat), donc vouées à être détruites. Ils ont ainsi comblé leur imaginaire utopiste de la table rase et de la construction d’une société parfaite (post-capitalisme, post-raciste, post-sexiste, etc.). Il ne leur restait plus, en rejoignant les rangs décoloniaux, qu’à ériger la «race» en principe explicatif de l’histoire, et, ainsi, à fondre le marxisme dans un néo-gobinisme dont le programme sommaire tourne autour d’une volonté de vengeance ayant pour cible la «société blanche» ou l’«homme blanc», abominable profiteur du «système hétéro-patriarcal».
Vous rappelez que l’activiste Rokhaya Diallo a retweeté le compte satirique de Titania McGrath sur Twitter qui se moque des délires woke et devance même parfois des discours progressistes. La frontière entre la parodie et le premier degré est-elle ici en voie de disparition?
C’est là un indice de la bêtise des nouveaux bien-pensants. Il ne s’agit pas de la bêtise ordinaire, pour ainsi dire innocente, mais d’une bêtise prétentieuse, arrogante, sophistiquée. Un esprit de sérieux idéologisé, doublé d’une roublardise plus ou moins affûtée. C’est la bêtise commune aux élites médiatiques et aux élites académiques faisant profession de «radicalité», à Rokhaya Diallo ou Lilian Thuram en version militante, à Judith Butler ou Gayatri Chakravorty Spivak en version «théorique», disons comiquement pédante.
On a trop négligé de considérer le rôle de la bêtise dans l’histoire, comme le notait Raymond Aron. Mais la bêtise la plus redoutable, parce qu’elle passe inaperçue, c’est la bêtise des élites intellectuelles, soumises aux modes idéologiques et rhétoriques, conformistes dans le
«Je crois à la possibilité, pour des enseignants motivés, aimant eux-mêmes la France, de transmettre cet amour à leurs élèves» AFP
Dans son dernier livre, Jean-François Chemain déplore que la France soit trop souvent délaissée dans les discours républicains. Fort de son expérience d'enseignant en ZEP, il plaide pour un enseignement de l'histoire qui fasse aimer la France à ses enfants.
![](http://lafautearousseau.hautetfort.com/media/02/01/1629596683.15.jpg)
Votre livre débute avec le constat qu'il faut faire aimer la France à ses enfants, parler à leur cœur plutôt qu'à leur intelligence. En tant que professeur en collège, avez-vous le sentiment d'être parvenu à transmettre cet amour de la France à vos élèves?
Jean-François CHEMAIN. - Effectivement, les élèves que j'ai eus en ZEP sont avant tout des affectifs, qui veulent aimer, qu'on les aime, et qu'on leur donne à aimer. C'est une équation très simple et très efficace, que j'ai personnellement expérimentée pendant une dizaine d'années. Avec des résultats très concrets, comme une classe qui se met spontanément debout pour chanter la Marseillaise à l'entrée du principal du collège, ou des élèves qui se mettent à danser en criant «vive la France» quand une de leurs camarades annonce qu'elle vient d'obtenir la nationalité. Mais faire aimer la France à ces jeunes est une gageure, puisqu’ils sont naturellement gorgés de discours de haine de notre pays, qu'ils proviennent de leur pays d'origine, de leur religion, de leur quartier, de leurs chanteurs préférés… À quoi s'ajoute le discours de repentance de plus en plus véhiculé par l'Éducation nationale elle-même. La France aurait tant à se faire pardonner – la colonisation, l'esclavage, la Shoah, son «racisme» actuel – que l'on ne touchera jamais le fond de ce tonneau des Danaïdes. Faire aimer la France ne fait absolument pas partie des missions d'un enseignant, au contraire c'est une prétention très mal vue par les instances qui veillent sur les programmes, très soucieuses d'un possible retour au «roman national». Le «roman de la gauche», par contre, fait fureur ! Donc oui, j'ai eu le sentiment de pouvoir, à mon petit niveau, faire un peu avancer l'amour de mes élèves pour la France, mais en franc-tireur, sous le manteau, et sans pouvoir préjuger de la pérennité du résultat.
Vous citez Péguy dans votre livre. S'il est connu pour sa description des hussards noirs de la République, il faisait aussi le constat d'une déliquescence de l'école républicaine dès la fin du XIXe siècle. Au contraire, votre propos semble teinté d'optimisme. Vous avez encore espoir en l'école?
Non, je ne crois pas que l'école, telle qu'elle est aujourd'hui, puisse régler des problèmes auxquels elle contribue largement. «Dieu se rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes» disait Bossuet ! Le niveau des élèves français s'effondre d'un classement PISA à l'autre, mais les idéologues qui tiennent l'Éducation nationale n'en ont cure, tout à leur souci de nivellement égalitaire. Résultat, c'est un constat récurrent et général – mais que fait-on pour y remédier? – les élèves, dans leur grande majorité, ne maîtrisent plus la grammaire et le calcul, ce qui les rend inaptes à raisonner… peut-être est-ce ce que l'on veut, au moins inconsciemment, tant cette inaptitude permet de faire passer n'importe quelle ineptie, de susciter n'importe quels réflexes pavloviens. Je suis frappé, enseignant aujourd'hui dans des écoles post-bac, de l'homogénéité d'une grande partie de la jeunesse tant quant aux sujets qui lui semblent importants que quant à ce qu'il faut en penser. Pour ce qui est de faire aimer la France, je suis seulement optimiste de constater que la disposition existe chez les jeunes, mais il faudrait qu'il y ait en face quelque chose qui y réponde. Je crois donc à la possibilité, pour des enseignants motivés, aimant eux-mêmes la France, de transmettre cet amour à leurs élèves, quels qu'ils soient. Et là c'est un appel aux vocations !
Le but avoué de l'instruction publique était, selon les mots mêmes de son promoteur Ferdinand Buisson, de mettre en œuvre la morale évangélique mais sans Dieu, et sans l'Église. Ce qui est la véritable définition de la laïcité.
Jean-François Chemain
Si vous semblez attaché à l'école, vous êtes plus sévère à l'égard de la République qui selon vous prend trop de place dans les discours officiels au détriment de la France. Vous pensez vraiment que la République a supplanté la France dans l'enseignement de l'histoire à l'école? Opposer les deux a-t-il un sens?
Je le pense vraiment. La France est une terre, un peuple, une histoire, une civilisation multicentenaires. La République c'est l'État, et un certain mode de gouvernement depuis cent cinquante ans. Ce sont deux notions aussi différentes que le cheval et le cavalier. Et pour filer la métaphore, je dirais que la République n'est pas très tendre avec sa monture, qu'elle a tendance, depuis l'origine, à vouloir dresser à la cravache. Ça commence par une Terreur, dont on ferait mémoire ad nauseam si quelqu'un d'autre l'avait commise, mais qu'on escamote pudiquement, quand on ne lui trouve pas des excuses… Et ça se poursuit par un lancinant travail d'éducation/rééducation… Pour faire simple, le discours sous-jacent est celui-ci: la France a commis bien des péchés au cours de sa longue histoire. Elle y a été entraînée par l'Église catholique qui avait trop de pouvoirs. Heureusement, les Lumières sont arrivées, permettant l'avènement de la République qui, elle, a enfin tiré la France vers le haut. Donc tout ce qu'il y a eu de bien par la suite, on peut le mettre sur le compte de la République, et des républicains. Et tout le mal est advenu du fait de ceux qui, manipulés par l'Église et les nostalgiques de la France d'Ancien Régime, refusaient la République. Le combat n'est jamais terminé.
L'esclavage? C'est Louis XIV et le Code Noir, tandis que la Seconde République l'abolissait définitivement – après que Napoléon l'a restauré: présentés ainsi, les faits sont simples et sans appel. La participation à la Shoah? C'est Pétain et le régime de Vichy, qui avaient supprimé la République. Là aussi c'est simple et sans appel. La Résistance? Les républicains ! La collaboration? Les adversaires de la République… L'affaire Dreyfus? D'un côté les gentils dreyfusards, de gauche et anticléricaux, les «républicains», en somme, de l'autre les méchants cathos patriotes. Pour la colonisation, c'est maintenant plus délicat, avec Ferry et son discours sur le devoir des «races supérieures» de dominer les «races inférieures», et son successeur Paul Bert qui a dit encore pire, mais on ne s'étale pas trop là-dessus. Le Président Macron a récemment reconnu le rôle de «la France» au Rwanda, alors que je ne crois pas que beaucoup de Français savent même où se trouve ce pays, et que si du mal a été fait c'est sur les instructions des dirigeants de la République. Donc la République est, en permanence, le procureur de la France et des Français, appelant à l'expiation et, pour ce qui la concerne, elle, en conserve toujours les mains propres.
Vous reprochez à la République laïque son ambiguïté vis-à-vis du sacré. Vous pensez qu'elle ignore trop son propre héritage — chrétien et gallican — en prétendant s'ériger en nouvelle mystique?
La République n'est pas, contrairement à ce qu'on croit, neutre religieusement. Elle est même le résultat de l'absorption de l'Église catholique – au moins de ses missions éducatrices et moralisatrices – par l'État absolutiste. La Révolution ne constitue en rien une rupture par rapport à l'Ancien Régime, mais bien l'accélération, la finalisation d'un processus commencé depuis Philippe le Bel. Il a d'abord pris la forme du gallicanisme, soumission de l'Église à l'État au temporel, puis celle de l'absolutisme, affirmation que le souverain tient sa sacralité de Dieu lui-même et non plus de l'Église, ce qui affaiblit les prétentions de cette dernière, enfin celle du despotisme éclairé, idée qu'il appartient à l'État de rationaliser l'Église dans l'esprit des Lumières, ce qui a été fait pendant les trois premières années de la Révolution, expérience de monarchie constitutionnelle. La République a donc achevé cela, d'abord par le Concordat de 1801, qui a nationalisé, fonctionnarisé l'Église, ensuite par les lois de la IIIe République. Celle-ci a rendu sa liberté à l'Église, en 1905, mais après en avoir repris la fonction moralisatrice et éducatrice, avec la création d'une «instruction publique», devenue «éducation nationale», dont le but avoué était, selon les mots mêmes de son promoteur Ferdinand Buisson, de mettre en œuvre la morale évangélique mais sans Dieu, et sans l'Église. Ce qui est la véritable définition de la laïcité.
Aujourd'hui le processus s'accélère, avec l'affaiblissement des fonctions régaliennes de l'État, conséquence de l'Union européenne, et celui de ses missions de producteur de biens et services, et de «providence», faute de moyens financiers. Il ne lui reste plus qu'à nous rendre plus vertueux, ce qui constitue désormais son obsession. C'est la mission que s'est donnée un véritable «clergé» républicain, constitué, comme sous l'Ancien Régime, d'intellectuels à statut protecteur, forts de leur magistère intellectuel et moral, et payés avec les impôts du peuple pour lui faire en permanence la leçon: universitaires, «chercheurs» en sociologie, journalistes et artistes subventionnés, juges…
Il faut en revenir à plus de modestie, de réalisme, de vérité aussi, en sortant de la révérence idolâtre à des idées abstraites, qu'on a cherché à imposer par les moyens les plus coercitifs, pour en revenir au simple amour de la France.
Jean-François Chemain
Vous dites que le dialogue est plus facile à établir entre croyants — chrétiens et musulmans dans le cadre de vos interactions avec vos élèves — qu'entre croyants et athées. Mais que faire face à ce constat? La France ne doit-elle pas protéger justement la liberté de ses citoyens de ne pas croire?
Ayant enseigné en milieu presque exclusivement musulman, j'ai pu constater que mes élèves étaient très intéressés par les discussions d'ordre religieux, et que beaucoup s'y montraient plus ouverts qu'on aurait pu l'imaginer. Mais cela ne veut bien sûr pas dire qu'il faudrait obliger quiconque à croire, ou même à faire semblant ! Je note au passage que les reproches qui sont faits à l'Église quant à l'obligation de pratiquer, sous l'Ancien Régime, au moins aux grandes fêtes, ou à l'esprit dévot qui régnait au sommet du pouvoir au Grand Siècle, sont bien autant à mettre au compte de l'État, tant il est vrai que, comme l'écrivait la Bruyère, «un dévot est quelqu'un qui serait athée sous un roi athée». Et on en a aujourd'hui, des dévots de la laïcité ! Au contraire, l'Église a toujours su que la foi est une question personnelle, un effet de la «grâce», et qu'on ne saurait l'obtenir par décision d'État.
Vous diriez qu'au fond l' «évangile républicain» est trop abstrait pour susciter un sentiment d'appartenance? Il façonne des constructions intellectuelles trop éloignées de toute réalité tangible pour être aimées?
On cite régulièrement la devise «liberté, égalité, fraternité» comme un mantra, supposé galvaniser l'énergie du croyant, produire un effet magique, susciter l'intervention de quelque force surnaturelle. Mon expérience est que ces mots, dans les classes, ne suscitent que scepticisme et frustration. Ils sont trop abstraits, et constituent un objectif impossible à atteindre. Qu'est-ce en effet que la «liberté»? Je mets quiconque au défi de donner une définition claire et opératoire de la liberté républicaine, surtout à l'heure où, comme le notait Philippe Muray, il est devenu impossible, au nom de l'avènement de L'Empire du Bien, de «ne pas tout interdire, absolument». Qu'a-t-on désormais le droit de faire, de dire, et même de penser? Les jeunes musulmans ne voient dans ce mot qu'une imposture, alors qu'on demande aux filles d'enlever leur voile à l'école.
Idem pour l'égalité… Les Français ne sont déjà même pas d'accord sur son contenu: égalité des chances? Égalité matérielle? Les jeunes issus de l'immigration trouvent anormal d'être, pour beaucoup, au bas de l'échelle sociale, et considèrent les Français «de souche» comme des privilégiés, sans voir qu'il a fallu à ces derniers des générations de labeur et de sacrifice pour sortir de la misère… Le malentendu est total !
Quant à la fraternité, les «noirs», les musulmans, s'appellent «frères» entre eux, les féministes «sœurs»… La fraternité n'existe plus que dans les «communautés» ennemies d'une nation éclatée… Mais qui se sent «frère» d'un autre français de qui il ne partage ni la race, ni la religion, ni le genre, ni les préférences sexuelles? Quant à la laïcité, elle sera inopérante tant qu'elle ne reconnaîtra qu'elle n'est qu'un catholicisme sécularisé. Il faut en revenir à plus de modestie, de réalisme, de vérité aussi, en sortant de la révérence idolâtre à des idées abstraites, qu'on a cherché à imposer par les moyens les plus coercitifs, pour en revenir au simple amour de la France, de son Histoire, de son patrimoine, de sa culture, de sa langue… et de son peuple.
Agrégé et docteur en histoire, Jean-François Chemain a été professeur en ZEP pendant une dizaine d'années. Il enseigne aujourd'hui dans le supérieur et a récemment publié Non, la France ce n'est pas seulement la République (Artège, 2021).
Source : https://www.lefigaro.fr/vox/
Pour son 30ème anniversaire, l'excellente revue Commentaire ressort un texte de fond sur la laïcité, du regretté sociologue François Bourricaud. Il y rappelle que :
* "... la laïcité ... peut engendrer le conformisme le plus étouffant, comme celui que tentait d'imposer Robespierre avec la fête de l'Être suprême au pire moment de la terreur jacobine...
* ... le paradoxe de la laïcité, c'est qu'elle rompt avec les dogmes des religions révélées tout en prétendant utiliser ces dogmes ... (donc rien d'autre qu'une lutte pour la prise de pouvoir)
* ... les républicains, puis les radicaux et les socialistes verront dans le dessaisissement de l'Église catholique (de l'école), dans la fin de sa prépondérance pédagogique, la condition préalable de tout progrès..."
L'heure n'est certainement pas à réécrire les évènements dramatiques qui se sont déroulés pendant 30 ans jusqu'à la loi de 1905. Sinon pour rappeler que prendre le contrôle de l'école était une obsession; mais sans changer notablement le contenu de ce qui était dispensé, comme en témoigne la lettre fameuse de Jules Ferry aux instituteurs du 17 novembre 1883.
Pour féroce qu'ait été la lutte pour arracher aux congrégations (surtout aux Jésuites) leur rôle d'enseignants, le texte de Ferry ne laisse pas d'émouvoir par sa grande sensibilité, et les sentiments quasi paternels qu'il exprime à l'égard de l'enfance et de l'adolescence. Sans minimiser son engagement sectaire anti-religieux, on n'imagine pas aujourd'hui quel responsable politique pourrait écrire l'équivalent. Il ne viendrait à l'idée de personne de mettre en cause un équilibre qui fut long à établir, et la cohabitation qui est sortie de cette crise violente, mais il faudrait être aveugle pour nier la gravité de la situation d'aujourd'hui.
Lorsque l'on se réfère à ces évènements comme au catéchisme de la République en passant par dessus une centaine d'années, on commet toujours un oubli fâcheux: le marxisme et son matérialisme desséché a semé son poison. Proliférant entre l'époque de nos aïeux et aujourd'hui, les enfants de Lénine, Trotski, Mao et Langevin-Wallon laissent derrière eux :
· La déchristianisation de notre vieux pays;
· La ruine de l'école de la République,
et sont totalement tétanisés devant la moindre décision quant à l'installation galopante d'une religion dont il ne fait aucun doute qu'elle entrera en conflit avec les racines philosophiques et religieuses de la France.
L’ISLAM
Pourquoi ce retour aux sources est il indispensable ?
Afin de cesser de psalmodier des slogans approximatifs assénés à longueur de polémiques, dangereusement pernicieux parce qu'ils nous dissimulent la nécessité d'aborder avec lucidité les deux défis fondamentaux qui nous attendent :
1. Quelle lecture fait l'Islam de la laïcité à la française ?
2. Quelle laïcité l'État en France peut il imposer à l'Islam ?
Ce n'est pas le lieu de tenter des réponses qui prendraient plusieurs pages. Mais on peut au moins rappeler la nature profonde d'une religion (que des media immatures présentent avec une insistance lourde, comme la seconde de France), en soulignant deux de ses caractéristiques fondamentales, qui la rende difficilement assimilable aux canons de la République de Léon Gambetta :
· La croyance dans la prédestination;
· L'organisation complète de la société, de la famille, de la vie quotidienne et de l'enseignement, jusqu'à avoir établi un Droit, ou le religieux et le séculier sont étroitement imbriqués.
Soulignons des évidences que nos législateurs oublient (ou préfèrent oublier) :
1. L'accès au Coran ne peut se faire qu'en langue arabe
2· Cet accès est enseigné très jeune, à l'âge où il faut acquérir les bases de la langue
3· Utopie que de faire semblant de croire que la laïcité à la française pourra imposer sa loi, contre la loi coranique (et le crime d'apostasie)
Faut il rappeler les incidents permanents dans les hôpitaux, ceux qui commencent à surgir dans les entreprises (cf Le Figaro du 3 avril 2008; L'entreprise face à la pratique de l'Islam; l'Association nationale des directeurs des ressources humaines s'est saisie du problème des revendications religieuses au travail). Mon activité professionnelle m'emmenait souvent en Arabie Séoudite, voyageant quelques fois sur Saudi Airlines; sitôt les portes de l'avion fermées à Roissy, un enregistrement récite un verset du Prophète sur les devoirs du voyageur et la protection qu'il reçoit d'Allah. Dans de tels contextes les gémissements du Grand Orient contre ce qui reste de foi chrétienne vivante en France, et ses assourdissants silences sur l'installation de l'Islam, sont incongrus ou délibérément malhonnêtes.
Le journaliste Claude Imbert du Point a écrit qu'un évènement majeur du XXème siècle en France a été la déchristianisation de notre vieux pays. Beaucoup de petites communes n'ont plus les finances pour entretenir leurs églises promises à la démolition. Sujet très vaste, mais nous sommes au coeur et nous héritons de cette situation. Membre de la commission sur la nationalité dans les années 1980, l'historien protestant Pierre Chaunu avait illustré cet inquiétant héritage en citant à ses collègues le prophète Jérémie "Les pères ont mangé des raisins verts et ce sont les dents des enfants qui en sont agacées" (31,29).
La laïcité à la française n'a aucun sens pour l'islam et l'incompatibilité est totale. La seule issue est une application intransigeante de nos lois qui aboutira fatalement à entraver le culte de cette religion, mais quels pouvoirs publics sont prêts à la confrontation et surtout sommes nous en mesure à ce jour de pouvoir prétendre exercer ce magistère? La réponse est clairement négative, car il est totalement illusoire de vouloir revenir au respect des lois si l'école ne retrouve pas un fonctionnement normal. Banalité que de redire que le bien le plus précieux d'une nation, d'une civilisation, d'une religion est ses enfants et sa jeunesse.
Et les musulmans ont beau jeu de souligner tous les travers d’une société déboussolée. Ils ne laisseront pas enseigner à leurs filles par des pédagogues dévoyés, la procédure pour avorter. La polémique créée en décembre 2007, dans une banlieue de Lyon par un recteur ignare, à l'ouverture d'une école confessionnelle musulmane, a surtout permis à des imams de nous jeter à la face que les parents en ont assez que leurs enfants fréquentent des établissements où ils n'apprennent plus rien sinon à devenir des vauriens. Au printemps 2001 un dénommé Cohn-Bendit eut à s'expliquer sur ses "écrits de jeunesse" (Le grand bazar 1975) d'une abjection insoutenable, où se mêle pédophilie et déviance sexuelle sur mineurs. Mystère de la République si celui que la presse de mars 2001 avait surnommé "le gourou crasseux" ne fut pas renvoyé devant les tribunaux.
Et donc si communautarisme il y a, il ne concerne pas uniquement la question de la foi. Dans une société dépravée il n'y a aucun doute que la plupart des religions cherchent à rehausser le sens du Sacré chez l'Homme.
Il n’y a guère de doute que le sujet de la laïcité à la française, est particulièrement mal maîtrisé. Pour preuve l’opuscule de Jean Glavany, député, ex chef de cabinet de François Mitterrand, et responsable de la laïcité au PS. Son travail est pour tout dire particulièrement médiocre (Nov. 2011), empêtré dans l’islam et ses voiles, sans aborder la vraie nature de cette religion.
Si les dogmes; les définitions et l’Histoire ne sont pas clairs pour des responsables ou des décideurs, peut-on attendre qu’ils le soient chez les exécutants ?
Un exemple du méli-mélo intellectuel dans lequel nous pataugeons. Une jeune cervelle portant le titre de professeur de lettres et d’histoire dans un lycée de Bordeaux (lien : http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20120914.OBS2461/laicite-autorite-le-prof-agresse-a-bordeaux-veut-briser-l-omerta.html ) est agressé par un élève. Ce dernier sans doute d’origine marocaine n’appréciait pas que son professeur ait émis des restrictions sur la démocratie au Maroc. Mais en lisant le nouvelobs jusqu’au bout on découvre que ce pédagogue est outré que l’Éducation nationale utilise le calendrier des fêtes chrétiennes pour calquer le déroulement de l’activité scolaire. C’est vrai, c’est très énervant … !
Concluons en soulignant que nous serons d'autant plus fondés à être inflexibles chez nous, que l'on se sera montré infiniment respectueux envers les pays berceau de l'Islam ou ceux dont il est la religion majoritaire. Force est de constater qu'en cautionnant ou en rejoignant des opérations militaires à la justification fumeuse, et empêtrés dans un simili de politique étrangère sans colonne vertébrale, nous sortons de cette logique, en nous faisant entrainer dans un conflit entre l’Occident et l’islam, loin de l’histoire et de la tradition diplomatique française.
Mais la loi de 1905, élaborée à son époque face à des religions où le séculier et la foi sont séparés dans leur Livre, n’est certainement le rempart que des politiciens prétendent opposer à un système socio religieux exclusif et conquérant.
A lafautearousseau, on l'a décidé une fois pour toutes: on se réjouit de tout le bon et de tout le positif dans ce qui arrive, même si, pour le reste, en notre for intérieur, on n'en pense pas moins... Cela nous vaut, régulièrement, d'être appelé blog optimiste, ce qui ne nous gêne pas, à cette nuance près -de taille, tout de même...- que nous préférons le terme d'Espérance, mais, bon...
Le dimanche 31 janvier, le motif de satisfaction est venu de la bonne demie page que le Journal du Dimanche a consacrée au séjour toulonnais du Prince (la page 12, pour être précis). Certes, deux ou trois choses, dans l'article, sont ce qu'elles sont. Mais, appliquons notre principe, et ne boudons pas notre plaisir. Il est positif -et révélateur- que le JDD, sans qu'on lui demande rien, ait jugé que la visite du Prince à Toulon méritait qu'on l'évoquât, et qu'on en rendît compte. Et ce qui transparaît, dans cette demie-page, à côté d'un ton parfois moqueur, ironique ou condescendant, c'est que le Prince agit, travaille, va à la rencontre des gens; même modestes, même de ceux qui vivent dans des HLM; et qu'il parle aussi -et qu'il écoute: très important, l'écoute...- avec des animateurs socioculturels....
Une chose malgré tout, pour Mathieu Deslandes, le journaliste qui a écrit l'article: Nous ne rêvons pas d'un "retour de la Monarchie". La Monarchie de Saint Louis, de François premier, d'Henri IV et de tous les autres rois, la Monarchie appartient à l'Histoire. De la France et de l'humanité. Ce à quoi nous rêvons -et travaillons...- c'est à une ré-instauration de la Monarchie. C'est radicalement différent. Pas de restauration, d'une chose qui est derrière nous; une instauration, ou ré-instauration, de ce qui apparaît de plus en plus comme le recours, quand on voit l'état désastreux dans lequel la république idéologique à mis la France.
Et, là, la Monarchie n'est pas derrière nous, elle est devant nous. La république idéologique a vieilli, terriblement vieilli, et -surtout- terriblement mal vieilli. Il n'a pas tenu ses promesses, ce merveilleux système au nom duquel les Révolutionnaires ont causé la mort de 700.000 personnes, instauré le Totalitarisme et organisé le premier Génocide des temps modernes, matrice de ceux d'Hitler, de Staline, de Mao, de Pol Pot....
Et c'est parce que nous constatons ce désastre; parce que nous voyons qu'on a fait tout ça, pour ça; que les Bastille se comptent maintenant par dizaines et par centaines; que les féodalités de tous ordres dictent leur loi à un "semble Etat", qui, de toutes façons, n'a plus guère de pouvoir; que les dettes et déficits colossaux du Système font précisément de ce Système un voleur... etc... etc... que nous voulons, non pas restaurer quelque chose d'hier, mais instaurer quelque chose de nouveau, pour aujourd'hui et pour demain.
Le nouvel Ancien Régime, monsieur Deslandes, c'est aujourd'hui, et c'est cette république idéologique à bout de souffle.
Comme le dit le Prince Jean , dans son livre, que vous citez: "La Monarchie est une idée neuve en Europe..." (page 214, chapitre XI, Institutions).
La belle jardinière, caricature de Forain
(1) : Est-ce l'émotion: dans la version internet, pendant quelques heures, ce fut une photo du Prince Eude, avec son épouse Marie-Liesse, qui apparut, sous-titrée Jean d'Orléans ! Là aussi: mais, bon....
Voici l'article de Mathieu Deslandes:
Deux fois par mois -dit la légende, illisible ici- Jean de France parcourt l'Hexagone;
Dans le Var, il s'est rendu dans une cité difficile (ci dessus),
puis a rencontré des notables (à gauche)
La tournée du "vrai Prince Jean"
Mieux connaître ses sujets, telle est la volonté de l'héritier des princes de France. Et c'est ainsi que Jean d'Orléans a grimpé les étages d'une HLM de Toulon.
Des mains baguées de chevalières tapotent des applaudissements: Son Altesse Royale le prince Jean de France vient d’achever sa conférence. Dehors, la nuit camoufle la rade de Toulon. Une dame perdue dans une immense fourrure bondit sur ses Mephisto: elle veut une dédicace du " vrai Prince Jean". Le vrai ? "Pas celui de Neuilly", glousse-t-elle.
Pour s’adresser à l’héritier du trône de France, les silhouettes se font raides et les voix pointues. "Lors de ce genre de séances, il y a toujours des monarchistes, des curieux et des zinzins, énumère le Prince. Beaucoup veulent me toucher... " Qu’ils sachent donc que Jean d’Orléans (son nom civil) n’a pas hérité du pouvoir de guérir les écrouelles.
"Quelque chose de sacré émane de lui", affirme pourtant un jeune entrepreneur varois, au bord de l’asphyxie dans son nœud Windsor. "Vous réalisez qu’il a dans son sang des traces des gènes de saint Louis ?" Peu de gens reconnaissent dans la rue ce grand garçon au front large et à la gentillesse hors d’âge. Mais ceux qui savent qu’il est l’arrière-petit-fils de l’arrière-petit-fils de Louis-Philippe disent ressentir un effet particulier. Et cela, partout où il passe.
A raison de deux visites par mois en moyenne, Prince Jean parcourt la France à la rencontre de ses sujets. Ce week-end, il est à Lille. La semaine dernière, il était à Toulon. Dans chaque ville, les militants de son association Gens de France (humour princier !) assurent la logistique. Les consignes sont toujours les mêmes. Servir au Prince des repas sans gluten ni lactose ("sinon vous aurez un régicide sur la conscience"). Et lui composer "un patchwork de rencontres", afin de mieux connaître les réalités "politiques, spirituelles, sociales et militaires de notre pays". Y compris ses marges.
"La France est monarchiste de coeur et républicaine de raison"
Un brin fébrile, son comité d’accueil toulonnais le conduit donc "au cœur d’un quartier difficile", Sainte-Musse. Grande première: le Prince monte dans un appartement d’une tour HLM, où vivent des animateurs socioculturels. Il les écoute parler de leur mission. Ceux qui viennent à sa rencontre voudraient des oracles et des grands discours. Mais la plupart du temps, Prince Jean reste silencieux. "Il est sans cesse en rétention verbale", confirme le docteur Jean Gugliotta, un de ses conseillers. "Il est un citoyen ordinaire. En même temps, il a mille ans d’histoire familiale sur les épaules et tout ce qu’il dit se trouve chargé d’une portée particulière." Aussi entre-t-il plus que prudemment dans la vie. A 44 ans, l’héritier des Capétiens vient seulement de se marier, d’avoir un enfant, Gaston, et de ramasser dans un livre* ses convictions, globalement fidèles aux enseignements de l’Église.
" Et le retour de la monarchie ?" Aristocrates et roturiers, royalistes et républicains, tous finissent par formuler la question. Au risque de décevoir ses plus fervents soutiens, Jean d’Orléans dresse un constat lucide: "Pour moi, la monarchie est une espérance. Il me manque cependant les circonstances et la volonté populaire. Pour l’instant, la France est monarchiste de cœur et républicaine de raison..."
En attendant que l’histoire sonne à sa porte, ce fan de U2 est sollicité pour évoquer son aïeul Henri IV: on célèbre cette année le quatre centième anniversaire de la mort du Vert-Galant. C’est un début. "Jean IV" préférerait exercer un magistère moral. Mais entre la protection de l’environnement "à la manière d’un Al Gore", la défense du patrimoine culturel, de la francophonie ou celle des personnes handicapées (il a un frère et une sœur concernés), son cœur balance encore.
Comme son grand-père avant lui, il rêve de la présidence de la Croix-Rouge, "en tout cas d’une grande institution où je pourrais délivrer une vision à long terme, alors que les politiques ont le nez dans le guidon". Entre une bruschetta au foie gras et un mignon de veau aux morilles, il précise: "Je pourrais apporter de la sérénité et… oui, me faire connaître."
* Un Prince français, Pygmalion, 240 pages, 19,50 euros.
Voici maintenant nos commentaires. D.C. parle d'or quand il parle de res publica. Comment ne pas être d'accord avec lui ?
Ce n'est en effet, et bien sûr pas, "la" République, en tant que technique ou forme de gouvernement qui nous gêne et que nous critiquons. C'est "cette"république, qui a une histoire, à laquelle elle ne peut ni ne veut -semble-t-il...- échapper, et qui est fondamentalement anti-chrétienne, anti-historique, dans la mesure où elle rejette nos racines et se construit sans elles, en dehors d'elles et contre elles ("du passé faisons table rase...").
Elle qui fonctionne un peu -prenons une image- comme un diffuseur d'ambiance: elle diffuse un esprit, une mentalité, mais cet esprit et cette mentalité vont directement contre nos Racines historiques profondes; elles nient et combattent ces Racines historiques et chrétiennes....
Crier "Vive la république !" si nous étions en Suisse ou en Allemagne, cela irait de soi, et nous n'aurions aucune répugnance à nous affirmer républicains, ce régime n'ayant absolument pas, dans ces deux pays voisins, la moindre trace des connotations idéologiques qu'il a chez nous.. Qui militerait pour l'instauration d'une monarchie en Suisse ? Être "pour" un roi de Suisse, parce que nous sommes partisans de la Royauté en France, serait précisément aux antipodes de ce réalisme qui est le nôtre et que nous ne cessons d'opposer à l'idéologie révolutionnaire de 1789/1793, et à la république idéologique qui en est issue.
Il y a quelques temps, Antiquus postait un commentaire, que nous avions relevé, dans lequel il évoquait la démocratie idéologique. Sans avoir eu connaissance des propos de D.C., Antiquus nous aidait déjà, ainsi, à progresser dans la réflexion engagée par ailleurs, mais pas encore publique: ce n'est donc certes pas "la" république, ou "toute" république (pas plus que "la" démocratie, ou "toute" démocratie) que nous critiquons -et là-dessus nous ne pouvons que rejoindre D.C.- mais "cette" république idéologique qui est la nôtre (et cela vaut aussi pour "cette" démocratie idéologique qui est la nôtre...) qui en une seule année, l'année terrible 1793, a posé les bases des Totalitarismes et des Génocides modernes. Et sans avoir jamais effectué le moindre travail de mémoire ou de repentance, elle qui se repend de tout et à tout propos ! Elle ajoute ainsi le crime de mémoricide à son négationnisme et à son révisionnisme.
Cependant, les choses sont-elles écrites pour toujours ? En d'autres termes, pourrait-il y avoir un jour une bonne république en France ? Une telle question mérite d'être posée même si, vaguement iconoclaste, elle pourrait aller jusqu’à remettre en cause le projet royaliste ! Mais il est légitime de poser cette question deux siècles après la révolution : et si, finalement débarrassée du venin idéologique des origines, la république finissait par se transformer peu à peu en ce qu’elle est partout ailleurs dans le monde (sauf chez nous, encore la fameuse exception française !...) : une simple technique de gestion, une simple forme de gouvernement ?
Après tout, la République, au sens de la Révolution, n’a pas plus qu’un autre régime les promesses de l’éternité. Comme les virus ou les épidémies, les idéologies peuvent, elles aussi, s’épuiser, finir leurs cycles, cesser pour un temps (ou pour quelques siècles) d’être virulentes. Les XIXème et XXème siècles révolutionnaires – où les peuples se sont épuisés à l’expérience désastreuse des idéologies – ne pourraient-ils pas avoir aussi épuisé les forces de l’Idéologie ? C’est à voir. La République, alors, pourrait-elle, en France, devenir viable ?
Que faudrait-il, alors, pour que cette république (aujourd'hui encore et toujours république idéologique) devienne une "bonne" république ?
Nous y voyons au moins quatre conditions:
1) Qu’elle cesse d’être une idéologie ou pire encore – ce qu’elle est en fait – une religion, pour devenir un moyen de gouvernement comme un autre.
Plus de « piliers du temple »(propos de Jacques Chirac, parlant de la Loi de 1905...), plus de « temple » du tout, plus de prétention totalitaire à être un « absolu universel » - notion abstraite et révolutionnaire issue de 89.
(Par parenthèse, la république française ne peut pas être sainement laïque précisément parce qu’elle est, elle-même, de fondation, une religion, laquelle est religion d’Etat)
2) Qu’elle cesse d’être anti historique.
Qu’elle assume désormais l’intégralité de notre histoire nationale, alors que les principes de la république française reposent jusqu’à présent sur l'idée que la France héritée du tréfonds de l'Histoire, a été abolie par la déclaration de 1791. Elle doit assumer au contraire la totalité de l’héritage national, à commencer par l’héritage capétien et par l’héritage chrétien, fondateurs de la Nation, avec toutes les conséquences de cette « rupture » sur
- le droit des Français à préserver l’identité nationale ainsi redéfinie,
- l’enseignement,
- les commémorations du passé national
- la conservation du patrimoine,
- le traitement dû aux héritiers actuels des rois de France.....
Qu’elle accepte une saine critique des phases les plus destructrices de la période révolutionnaire et post-révolutionnaire
(le Martyre des rois Louis XVI et Louis XVII ; de la reine Marie-Antoinette ; le génocide de la Vendée ; les années de Terreur et toutes leurs victimes ; les guerres révolutionnaires et post-révolutionnaires ; les destructions du patrimoine ; les luttes antichrétiennes etc...)
En bref, qu’elle accepte de dresser le constat de ce que René Sédillot avait appelé "le coût de la Révolution".
3) Qu’elle abaisse les féodalités minoritaires qui imposent la « pensée unique » à une majorité de Français qui n’en veut plus. (les Politiquement / Historiquement / Moralement corrects)
Ces féodalités sont précisément celles qui dictent leur loi :
- aux grands moyens de communication
- au monde de l’enseignement
- au monde du travail
Sans cela rien n’est possible. Rien n’aura d’effet durable. Tout sera toujours à refaire.....
4) Qu’elle trouve le moyen d’instaurer au sommet de l’État une institution pérenne et indépendante, espace a-démocratique non soumis à l’élection, capable d’incarner et garantir le bien-commun dans la durée. Le chef de la Maison de France, famille fondatrice de la Nation, nous paraît être, dans cet ordre d’idée, la personnalité naturellement désignée pour exercer cette fonction.
Sinon, les inévitables alternances détruiront toujours tout. A supposer que du « positif » aurait été accompli. (Ne nous faisons pas d’illusions : nous somme déjà en 2012 !)
A ces 4 conditions, la république pourrait devenir une "bonne république". Ou s’en rapprocher. Mais serait-elle encore la République qui a existé jusqu’ici, issue de la Révolution ?
En fait, comme se sont toujours accomplies en France les véritables « révolutions » politiques, c'est-à-dire par l’adaptation de l’existant, nous serions entrés dans un nouveau régime. Ce serait une évolution salvatrice. Rien ne nous dit ni ne nous assure que nous nous acheminions vers de telles perspectives.
Mais, comme le disait Sénèque, « il n’y a pas de vent favorable pour qui ne sait pas où il va ». Il importe en effet de ne pas ignorer les vents favorables – lorsqu’il en existe – et aussi de savoir clairement vers quoi l’on veut aller.... (à suivre...)